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Texte intégral

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Les crimes de disparitions forcées du Parti communiste (bolchevique) de l’Union

soviétique : une pratique antérieure au Décret « Nacht und Nebel » examinée à la

lumière de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes

contre les disparitions forcées

Mémoire

Marielle Parent

Maîtrise sur mesure en géographie, langue et civilisation russes

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Les crimes de disparitions forcées du Parti communiste (bolchevique) de l’Union

soviétique : une pratique antérieure au Décret « Nacht und Nebel » examinée à la

lumière de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes

contre les disparitions forcées

Mémoire

Marielle Parent

Sous la direction de :

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Résumé

Historiens, juristes et défenseurs des droits de la personne retracent l’origine des disparitions forcées à partir du Décret « Nuit et Brouillard » du régime hitlérien. Notre contribution sera de remettre en question cette évocation historique en démontrant l’existence d’une pratique antérieure sur le territoire soviétique. L’étude met en valeur les obstacles rencontrés lors des recherches effectuées par les proches, les services diplomatiques et consulaires, les ONG (Croix-Rouge, Société Mémorial), afin de reconstituer l’itinéraire emprunté par les disparus. Les faits de disparition sont établis et analysés de pair avec la Convention internationale pour

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Pезюме Историки, юристы и защитники прав человека считают, что насильственные исчезновения впервые вошли в практику в связи с декретом «Ночь и туман» гитлеровского режима. Мы хотели бы поставить под вопрос это историческое утверждение и показать, что подобная практика существовала на советской территории и ранее. Настоящее исследование выявляет препятствия, встреченные при розысках исчезнувших их близкими, а так же дипломатическими и консульскими службами, общественными организациями (Красным Крестом, Oбществом Мемориал), что бы восстановить их маршрут передвижения. Факты исчезновений установлены и исследованы совместно с Международной Конвенцией для защиты всех лиц от насильственных исчезновений.

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Abstract

Historians, jurists and human rights defenders trace the origin of enforced disappearances to the “Night and Fog Decree” issued by Hitler. Our contribution will consist of questioning this historic reference by proving the existence of a past practice within Soviet territory. The study highlights the obstacles faced during the searches conducted by close relatives, diplomatic and consular services, and NGOs (Red Cross, Memorial Society), in order to reconstruct the route taken by the disappeared persons. Facts underlying the disappearances are established and analyzed along with the International Convention for the Protection of

(6)

Table des matières

Résumé ... iii

Pезюме ... iv

Abstract ... v

Liste des sigles, acronymes, abréviations ... viii

Dédicace ... ix

Épigraphe ... x

Remerciements ... xi

Introduction ... 1

Le Décret « Nacht und Nebel » ... 1

Hypothèse ... 4

Un précédent: la disparition des personnes en Russie soviétique ... 4

Objectif général ... 6

La reconstitution d’un crime d’État ... 6

Objectif secondaire ... 6

L’examen du statut des lieux ... 6

Précision notionnelle ... 9

Le concept de disparition forcée en droit international ... 9

Méthodologie ... 12

La qualification juridique des faits de disparition ... 12

Sources documentaires ... 14

Intérêt de la recherche... 18

La nature continue du crime ... 18

Critère I L’implication directe ou indirecte d’agents étatiques dans la privation de liberté 23 Le cadre spatial des arrestations ... 24

Le modus operandi des arrestations ... 28

Le rôle du passeport intérieur soviétique ... 32

Le plan organisationnel des arrestations ... 35

Critère II Le refus des agents étatiques de reconnaître la privation de liberté ou la dissimulation du sort ou du lieu ... 51

(7)

Les démarches pour l’obtention de renseignements ... 52

Le mensonge ... 67

La suppression du droit de correspondre avec le monde extérieur ... 79

Les demandes d’assistance à des intermédiaires pour la localisation des personnes disparues ... 89

Les entraves aux contacts consulaires et diplomatiques ... 90

La Croix-Rouge politique... 92

Les limites d’une recherche in situ ... 96

Conclusion ... 120

L’enjeu de la reconnaissance publique au plan international d’une pratique de disparitions forcées antérieure au Décret « Nacht und Nebel » ... 120

Références bibliographiques... 132

Législation ... 132

Documents onusiens et gouvernementaux ... 132

Doctrine ... 133

Autres sources documentaires ... 135

ANNEXE 1 ... 145

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ... 145

(8)

Liste des sigles, acronymes, abréviations

CICR: Comité international de la Croix-Rouge

Convention: Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

GUÉPÉOU: Direction politique d’État

KGB : Comité pour la Sécurité d’État

MVD: Ministère des Affaires intérieures

NKVD: Commissariat du Peuple aux Affaires Intérieures

NN : Nuit et Brouillard

OGPOU : Direction politique unifiée d’État

Pacte: Pacte international relatif aux droits civils et politiques

TCHÉKA: Commission extraordinaire de lutte contre la contre-révolution, le sabotage et la spéculation

(9)

Dédicace

À la mémoire de:

Ekaterina Pavlovna Pechkova (1876-1965) de la Croix-Rouge politique, son collaborateur Vinaver, et ses autres associé(e)s, pour leur assistance humanitaire auprès des proches, amis et défenseurs de ces milliers de personnes « disparues » sur le territoire soviétique.

(10)

Épigraphe

Candles and silence drove a stake into the heart of Soviet conformity during the early evening of October 30, 1989. Individual Soviet citizens encircled KGB headquarters at Dzerzhinsky (now Lubyanka) Square. They formed a human chain around the office building of repression and its 200-cell prison. Fear once impelled people to cross Moscow streets to avoid even the shadow cast by this dreaded citadel. But on the last day in October 1989, the International Day of Political Prisoners, perhaps two thousand men and women bravely surrounded the real center of the empire that made Soviet life evil. The All-Union Society

Memorial inspired and organized the encirclement1.

1 Nancy Adler, Victims of Soviet Terror: The Story of the Memorial Movement, Westport, CT, Praeger, 1993

(11)

Remerciements

Je remercie chaleureusement M. Sylvain Lavoie et M. Roy Duncan de la Faculté de droit pour les encouragements à la réussite. Un merci spécial à M. Henri Dorion, retraité du Département de géographie, qui avait démarré l’encadrement de mon projet d’études et de recherche dans sa version initiale. Les magnifiques diapositives présentées au cours Russie

et républiques périphériques ont été une motivation pour faire plus ample connaissance avec

les espaces géographiques russes. Ce projet d’études n’aurait pas vu le jour sans la participation de la Faculté des Études supérieures et de la Faculté de droit, grâce à l’octroi d’une autorisation réciproque pour la poursuite d’études simultanées en Études russes et droit international. Je tiens à remercier pour leur soutien administratif Mme Ginette Bernard et les professeurs Marc Saint-Hilaire et Renéo Lukic, respectivement des Départements de géographie et des sciences historiques. Je remercie le personnel de la bibliothèque, particulièrement Mme Thérèse Renaud du service Colombo pour l’accès aux publications à l’externe, et les services de l’informatique.

Je remercie les membres de la Société Mémorial, et à titre posthume, Alexandre Soljenitsyne, Andreï Sakharov, Pierre Kropotkine, de même que celles et ceux qui ont pris part à l’instauration d’un mouvement extraordinaire pour les Droits de l’homme en Russie. J’aimerais exprimer toute ma gratitude envers deux personnes qui m’ont appuyée dans mon parcours universitaire. Je suis reconnaissante envers la Fondation Ladislas-Gonzarow qui m’a permis d’effectuer une incursion présentielle parmi les lieux russes, et en particulier sibériens.

Les vues et interprétations formulées dans ce mémoire n’engagent que l’auteure. Elles ne reflètent aucunement celles des personnes ci-haut mentionnées, pas plus que la teneur du présent document.

(12)

Introduction

Le Décret « Nacht und Nebel »

ACCUSÉ KEITEL.- Je dois admettre que le rapprochement de mon nom et de ce décret dénommé « Nacht und Nebel » constitue pour moi une charge très lourde, bien qu’il ressorte du document qu’il s’agit là d’un ordre du Führer. C’est

pourquoi je voudrais expliquer les circonstances qui ont donné lieu à cet ordre2.

S’il y a un fait notoire reconnu, notamment par les historiens, les juristes et les défenseurs des droits de l’homme, c’est l’imputabilité aux Nazis de l’invention du phénomène des

disparitions des personnes.3 Cette association récurrente émane d’un ordre du Führer en date

du 7 décembre 1941, popularisé sous le nom de Décret «Nacht und Nebel » (« Nuit et Brouillard ») et des termes évocateurs d’une directive y donnant suite, signée par Wilhelm Keitel.

Es ist der lange erwogene Wille des Führers, daβ in den besetzten Gebieten bei Angriffen gegen das Reich oder die Besatzungsmacht den Tätern mit anderen Maβnahmen begegnet werden soll als bisher. Der Führer ist der Ansicht: Bei solchen Taten werden Freiheitsstrafen, auch lebenslange Zuchthausstrafen, als

2 Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, 14 novembre 1945-1er

octobre 1946, Nuremberg, Allemagne, 1947, Tome 10, p. 563

3 François Bédarida, Le régime « Nuit et Brouillard » dans La déportation et le système concentrationnaire nazi,

Nanterre, Paris, 1995, p. 49; Amnesty International, Les « disparus »: rapport sur une nouvelle technique de

répression, Inédit, France, 1981, p. 12; Amnesty International, Les disparitions, Actes Sud, France, 1994, p.

100; Tatjana Milic, International Convention for the Protection of all Persons from Enforced Disappearance, Medjunarodni Problemi, Vol. 62, No 1, 2010, p. 38; Khushal Vibhute, The 2007 International Convention

Against Enforced Disappearance: Some Reflections, Mizan Law Review, Vol. 2, No 2, July, 2008, p. 287; Claire

Callejon, Une immense lacune du droit international comblée avec le nouvel instrument des Nations Unies pour

la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, Revue trimestrielle des droits de l’homme,

Vol. 66, 2006, p. 337; Kirsten Anderson, How Effective is the International Convention for the Protection of

all Persons from Enforced Disappearance likely to be in Holding Individuals Criminally Responsible for Acts of Enforced Disappearance, Melbourne Journal of International Law, Vol. 7, p. 249; Dalia

Vitkauskaite-Meurice et Justinas Zilinskas, The Concept of Enforced Disappearances in International Law, Jurisprudence, 2 (120), 2010, p. 197; Emmanuel Decaux et Olivier De Frouville, La Convention pour la protection de toutes

les personnes contre les disparitions forcées, Actes de la journée d’études du 11 mai 2007 organisée par le

Centre de recherche sur les droits de l’homme et le droit humanitaire (C.R.D.H.) de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Bruylant, 2009, endos; Manfred Nowak, Torture and Enforced Disappearance dans

International Protection of Human Rights: A Textbook, Turku, Âbo Akademi University. Institute for Human

Rights, 2009, p. 151; Lisa Ott, Enforced Disappearance in International Law, Intersentia, Cambridge, 2001, p. 3; Tullio Scovazzi et Gabriella Citroni, The Struggle against Enforced Disappearance and the 2007 United

Nations Convention, Martinus Nijhoff Publishers, Boston, 2007, p. 2; Steven Dewulf, The Signature of Evil. (Re)Defining Torture in International Law, Intersentia, 2011, p. 416

(13)

Zeichen von Schwäche gewertet. Eine wirksame und nachhaltige Abschreckung ist nur durch Todesstrafen oder durch Maβnahmen zu erreichen, die die Angehörigen und die Bevölkerung über das Schicksal des Täters im Ungewissen halten. Diesem Zwecke dient die Überführung nach Deutschland. Die anliegenden Richtlinien für die Verfolgung von Straftaten entsprechen dieser Auffassung des Führers. Sie sind von ihm geprüft und gebilligt worden.

[traduction anglophone:4]

Copy of Copy

The Chief of the Supreme Command of the Armed Forces 14 n 16 WR (I 3/4) Nr. 165/41 confidential

Dec. 12th, 1941 Secret

Subject: Prosecution of Offences Committed Within the Occupied Countries against the German State or the Occupying Powers. 1 Enclosure

It is the carefully considered will of the Fuehrer that now measures should be conceived in order to counteract attacks against the German State or the occupying power in the occupied territories. The Fuehrer is of the following opinion. If these offences are punished with imprisonment, even with hard labor for life, this will be looked upon as a sign of weakness. Efficient and enduring intimidation can only be achieved either by capital punishment or by measures by which the relatives of the criminal and the population do not know the fate of the criminal. This aim is achieved when the criminal is transferred to Germany The enclosed directives for the prosecution of the offences comply with the Fuehrer's point of view. They have been examined and approved by him.

[signed] Keitel.

Le texte d’application prévoyait que les indésirables arrêtés en France, Belgique,

Luxembourg, Pays-Bas, Norvège5 disparaissent sans laisser de trace, qu’il ne soit donné à

leurs proches aucune information sur leur destination (Allemagne), et que « pour des délits de ce genre, un châtiment consistant en une privation de la liberté ou même en un internement à vie serait une preuve de faiblesse. On ne peut arriver à intimider d’une manière certaine que par la peine de mort ou par des mesures capables d’inspirer aux membres de la famille

4 Office of Chief of Counsel for the Prosecution of Axis criminality, Nazi Conspiracy and Aggression,

Washington, USA, Volume VII, 1946-48, p. 873-874

5 François Bédarida, Le régime « Nuit et Brouillard » dans La déportation et le système concentrationnaire nazi,

(14)

des sentiments d’incertitude sur la destinée de l’intéressé »6. Lors de son témoignage, le maréchal Keitel expliquait la motivation de la promulgation du Décret par la multiplication d’actes de sabotage par la Résistance (dont le Parti communiste français) et qu’un transfert à

partir des pays occidentaux occupés en Allemagne éviterait les procédures légales7. Le chef

du Haut Commandement des Forces armées allemandes suggérait l’illégalité des actions commises par des combattants volontaires (certains entraînés par le Parti communiste

français8), surtout en France occupée9. Le 2 février 1942, il avait étendu la procédure dans

les cas où la peine de mort ne serait pas obtenue ou les délits jugés dans les huit jours10. Le

premier convoi avait eu lieu le 29 mai 1942.11

La mémoire collective universelle consacre la publication du Décret Nacht und Nebel comme étant la preuve matérielle ayant entraîné des disparitions forcées pour la première fois.

6 Document L-90, USA-24, Compte-rendu de l’après-midi du 25 janvier 1946, Procès des grands criminels de

guerre devant le tribunal militaire international, 14 novembre 1945-1er octobre 1946, Nuremberg, Allemagne,

1947, Tome 1, p. 391

7 Procès des grands criminels de guerre devant le tribunal militaire international, 14 novembre 1945-1er

octobre 1946, Nuremberg, Allemagne, 1947, Tome 10, p. 563 à 567

8 François Bédarida, Le régime « Nuit et Brouillard » dans La déportation et le système concentrationnaire nazi,

Nanterre, Paris, 1995, p. 49

9 Wilhelm Keitel, (souvenirs, lettres, documents présenté par Walter Görlitz), Le Maréchal Keitel, Fayard, Paris,

France, 1963, p. 185

10 Olga Wormser-Migot, Le système concentrationnaire nazi (1933-1945), Presses universitaires de France,

Paris, 1968, p. 206-207

11 François Bédarida, Le régime « Nuit et Brouillard » dans La déportation et le système concentrationnaire

(15)

Hypothèse

Un précédent: la disparition des personnes en Russie soviétique

En dressant l’inventaire des crimes d’État staliniens, Nicolas Werth nomme chronologiquement la politique répressive à l’égard des Cosaques, la « dékoulakisation », la famine ukrainienne de 1932-1933, la « Grande Terreur » de 1937-1938 et les transferts forcés des « peuples punis » entre 1941-1944. Le soviétologue consent à qualifier la famine

ukrainienne de génocide12, toutefois il demeure perplexe vis-à-vis de la « Grande Terreur »

(5 août 1937-17 novembre 1938) préférant l’identifier comme un « crime de masse » sans en

préciser davantage la nature13. Son projet de faire une « autopsie » des événements de

1937-1938 n’a pas permis de détecter le crime de disparition des personnes14. S’il apparaît quelque

peu étrange que Nicolas Werth n’ait pas soulevé le crime de disparition, c’est que c’était jusqu’alors une infraction inconnue en droit international au moment de l’intérêt manifesté par les intellectuels pour les répressions politiques sur le territoire soviétique.

Mis à part l’historien Pierre Rigoulot qui y accorde une place substantielle dans sa monographie Des Français au Goulag (1917-1984) en soulignant que certains passages de

l’Archipel du Goulag de Soljénitsyne ont été lus trop rapidement,15 lorsque des crimes de

disparition sur le territoire soviétique sont évoqués, les auteurs mettent en relation différents aspects. Le juriste Jeremy Sarkin a mentionné brièvement les disparitions forcées antérieures au Décret Nacht und Nebel en rapport avec les individus emprisonnés sans procédures légales

ni l’avertissement des familles16. An Vranckx a fait un rapprochement très succinct avec

l’incarcération des nationaux dans des camps lointains17. Sur ce modèle, laisse-t-on entendre

12 Nicolas Werth, Crimes de masse et politiques génocidaires soviétiques dans Comprendre les génocides du

XXe siècle, sous la direction de B. Lefèvre & S. Ferhadjian, Éditions Bréal, 2007, p. 97

13 Nicolas Werth, Crimes de masse et politiques génocidaires soviétiques dans Comprendre les génocides du

XXe siècle, sous la direction de B. Lefèvre & S. Ferhadjian, Éditions Bréal, 2007, p. 100

14 Nicolas Werth, L’ivrogne et la marchande de fleurs. Autopsie d’un meurtre de masse, 1937-1938, Tallandier,

Paris, 2009, 335 p.

15 Pierre Rigoulot, Des français au goulag, 1917-1984, Fayard, Paris, 1984, p. 10

16 Jeremy Sarkin, Putting in Place Processes and Mechanisms to Prevent and Eradicate Enforced

Disappearances Around the World, South African Yearbook of International Law, Vol. 38, 2013, p. 25

17 Vranckx An, A Long Road towards Universal Protection against Disappearance, International Peace

(16)

que ce serait de Staline qu’aurait surgit cette « inspiration » chez Hitler. Cette évocation est une contradiction en soi, car elle pourrait passer sous silence un crime de masse, celui de la disparition des personnes. Nous avons entre autres repéré cette affirmation dans un collectif

rédigé par des juristes internationaux sous la forme de Commentaires,18une référence

documentaire très prisée par les milieux professionnels et académiques juridiques. S’agissant de la doctrine des publicistes les plus qualifiés, elle constitue une source de droit international aux côtés des traités, de la coutume internationale, des principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées et de la jurisprudence). Cette prétention s’avère encore plus problématique puisqu’elle se trouve citée à nouveau par les experts du droit international dans plusieurs ouvrages et articles.

Tous ces écrits sur la période soviétique ont en commun d’aborder partiellement la pratique, sans y apporter une qualification juridique per se.

Nous postulons un précédent à la promulgation du Décret Nacht und Nebel révélateur d’une pratique étatique de disparitions forcées sans pour autant en attribuer une inventivité quelconque aux autorités soviétiques. Des sources littéraires confèrent une origine lointaine,

sur plusieurs siècles, à ce phénomène19.

18 Christopher Hall, “Enforced disappearance of persons” dans Otto Triffterer, Commentary on the Rome

Statute of the International Criminal Court: Observers’ Notes, Article by Article, Second Edition, Nomos,

Baden-Baden, 2008, p. 221n

19 Simone Weil, Disparus, Rapport à la Commission indépendante sur les questions internationales,

Berger-Levrault, Genève, 1986, p. 18-19; Amnesty International, Les « disparus »: rapport sur une nouvelle technique

(17)

Objectif général

La reconstitution d’un crime d’État

Nous exposerons une pratique antérieure au Décret Nacht und Nebel de disparitions forcées en Russie soviétique à partir de faits relatés par des survivants et nous démontrerons que ceux-ci correspondent aux critères juridiques de la définition internationale contenue dans la

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées20(ci-après « Convention »). En 1981, Amnesty International publiait un rapport sur

la technique des disparitions forcées avec des études-pays (Argentine, Guatemala,

Afghanistan, Philippines).21 Nous établirons une reconstitution propre des événements reliés

aux disparitions forcées en Russie soviétique. Nous synthétiserons les caractéristiques prédominantes d’une pratique criminelle étatique.

Objectif secondaire

L’examen du statut des lieux

À la lecture de la publication d’Amnesty International, nous constatons que la fonction des lieux dans les disparitions forcées n’a pas été suffisamment étayée dans la perpétration du crime.

« Disparaître », c’est ne plus être vu, ne plus être là, ne plus être du tout. Les connotations les plus extrêmes du mot évoquent l’intervention magique de quelque force mystérieuse; mais sans faire référence au surnaturel, le mot suggère une perte inexplicable, irrémédiable et pour tout le monde, de toute trace de quelqu’un ou de quelque chose. Personne ne sait. De ce point de vue, « disparition » est un terme impropre […] Beaucoup de prisonniers qui ont « disparu » peuvent fort bien, au pire, avoir cessé d’être. Aucun, en revanche, ne s’est évanoui ni perdu. Vivant ou mort, chacun d’eux se trouve en un lieu bien réel [Nous soulignons] par suite d’une série de décisions prises et exécutées par

20 Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, 20

décembre 2006, Nations Unies, Recueil des Traités, Vol. 2716, p. 3

21 Amnesty International, Les « disparus »: rapport sur une nouvelle technique de répression, Seuil, 1981, 185

(18)

des personnes qui existent. Quelqu’un sait et, ce qui est plus important, quelqu’un

est responsable22.

Nous croyons qu’il serait pertinent de cerner le locus des crimes. L’intervention des lieux est une composante intrinsèque de tous les actes criminels, mais ils occupent une place prépondérante dans les disparitions forcées. Le parcours emprunté par les victimes ouvre la porte à ce que lors de la commission du crime « le disparu » transite par plus d’un endroit. La Convention fait en sorte d’accorder aux lieux une valeur spécifique en les intégrant à l’intérieur de quelques-unes de ses dispositions; c’est le cas de la définition légale. Concernant leur processus de dénomination, nous utiliserons le choronyme en raison qu’il embrasse davantage d’espaces territoriaux qui habituellement ne retiennent pas une considération. Le géographe Henri Dorion définit cette unité nominative en ces termes:

En somme, les sujets toponymiques sont plus nombreux que ne le laissent deviner les champs d'intérêt de la toponymie traditionnelle. Si l'on parlait d'«espace » et non de « lieu », de « choronymie » et non de « toponymie », déjà indiquerait-on la largeur du champ de cette science et la variété de ses sujets. C'est pourquoi nous proposons, pour désigner la science des noms de lieux, d'employer le nom

choronymie dont l'étymologie nous semble plus conforme que celle de toponymie

à la définition englobante de cette science qui porte sur l'ensemble des sujets que nous avons plus haut mentionnés et dans les optiques qu'il nous faut maintenant préciser. La choronymie traite autant des toponymes (noms de lieux) que des

régionymes (noms des grands espaces), autant des hydronymes (noms des cours

ou des surfaces d'eau) que des terranymes (noms des éléments terrestres) et même

des aéronymes (noms des espaces aériens) et des glacionymes (îles de glace)23.

Tout choronyme contient de façon générale deux éléments.

La désignation des noms de lieux s’est donc faite, dès l’origine et dans toutes les langues du monde, grâce à deux éléments qui se retrouvent pratiquement dans tous les cas : un élément générique qui traduit la forme de relief ou le phénomène hydrographique ou le type d’unité territoriale : la montagne, le lac, la ville, le

champ; puis un élément spécifique qui définit davantage, en l’individualisant, le

22 Amnesty International, « Les disparus »: rapport sur une nouvelle technique de répression, Seuil, Paris,

France, 1981, p. 11

23 Henri Dorion et Louis-Edmond Hamelin, De la toponymie traditionnelle à une choronymie totale, Cahiers

(19)

lieu en question, soit en le décrivant, soit en le liant à une personne ou à un

événement : la fontaine du Roi, la montagne blanche, la dalle des morts…24.

Les deux rôles fondamentaux du choronyme sont la « localisation/orientation » et « la communication ou témoignage culturel ». Ils comprennent « deux aspects différents et

complémentaires »25. La « choronymie administrative » réfère à l’usage officiel des noms de

lieux.

24 Henri Dorion et Louis-Edmond Hamelin, De la toponymie traditionnelle à une choronymie totale, Cahiers

de géographie du Québec, Vol. 10, No 20, 1966, p. 197

25 Henri Dorion, La toponymie et l’enseignement de la géographie, Cahiers de géographie du Québec, Vol. 30,

No 81, 1986, p. 430; Henri Dorion, Introduction à la toponymie, Document 1: Syllabus, Notes de cours

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Précision notionnelle

Le concept de disparition forcée en droit international

« Nul ne sera soumis à une disparition forcée »26

L’expression de « disparitions forcées » n’est apparue qu’environ aux années 6027. Le

texte-cadre est entré en vigueur le 23 décembre 2010 parmi les instruments de protection des droits

de l’homme, et jusqu’à maintenant, 56 États l’ont ratifiée28. Ce traité universel faisait suite à

la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées29 qui

avait vu le jour à cause de l’intensité du procédé en Amérique Latine.30 Étant donné que les

crimes de disparition ne sont pas un phénomène du passé et qu’ils continuent aujourd’hui à faire des victimes à travers le monde et se perpétuent même dans les pays dits

démocratiques31, il y a l’importance d’en scruter les mécanismes.

Le droit international donne la définition suivante de la disparition forcée :

Aux fins de la présente Convention, on entend par « disparition forcée » l'arrestation, la détention, l'enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l'État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi 32.

26 Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, 20

décembre 2006, Nations Unies, Recueil des Traités, Vol. 2716, p. 3, art. 1(1)

27 Claudio Grossman, « Disappearances », Max Planck Encyclopedia of Public International Law, Oxford

Public International Law, February 2008

28 Nations Unies, Collection des traités, État au: 3 mai 2017,

https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-16&chapter=4&lang=fr

29 Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les

disparitions forcées, Résolution 47/133,18 décembre 1992

30 Olivier de Frouville, Normes et recours internationaux en matière de disparitions forcées, p.1, en ligne:

http://www.frouville.org/Publications_files/normesetrecoursdisp.pdf

31 Jeremy Sarkin, Putting in Place Processes and Mechanisms to Prevent and Eradicate Enforced

Disappearances Around the World, South African Yearbook of International Law, Vol. 38, 2013, p. 20 -21

32 Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, 20

(21)

Le premier texte juridique universel sur les disparitions forcées était rendu nécessaire en raison de l’objectif de répression de cette infraction particulière. La disparition forcée ne peut se réduire à chacune de ses composantes isolées (l’arrestation et/ou la détention, voir l'exécution extralégale). Les juristes insistent sur la complexité du crime en mettant de l’avant la violation potentielle d’une pluralité de droits juridiques humains: le droit de chacun à la reconnaissance de sa personnalité juridique; le droit à la liberté et à la sécurité de la personne; le droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; le droit à la vie, lorsque la personne disparue est tuée; le droit à une identité; le droit à un procès équitable et à des garanties judiciaires; le droit à un recours effectif, y compris le droit à réparation et à indemnisation; le droit de connaître la vérité quant

aux circonstances d’une disparition33. Des crimes de droit commun tels que l’enlèvement ou

la séquestration n’englobent pas tous ses aspects34, comme l’implication étatique.

Paradoxalement, et a contrario du but poursuivi, c’est dans la violation de droits, contenus à l’intérieur de d’autres instruments juridiques internationaux, contraignants ou non, que les juristes ont d’abord recherché une forme d’inculpation. Plusieurs des droits spécifiques rejoignant les dimensions du crime de disparition font partie du Pacte international relatif

aux droits civils et politiques35. Eu égard au nombre d’États ayant ratifié la Convention

jusqu’à maintenant, cette motivation est à mettre en lien avec l’effet relatif des traités internationaux. Pareillement, plusieurs garanties de la Convention avaient déjà été promulguées dans l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes

soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement36 et les Règles minima

33 Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, Compilation d’Observations générales sur la

Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, p. 3, en ligne:

http://www.ohchr.org/documents/Issues/Disappearances/GeneralCommentsDisappearances_fr.pdf;n; Dalia Vitkauskaite-Meurice et Justinas Zilinskas, The Concept of Enforced Disappearances in International Law, Jurisprudence, 2 (120), 2010, p. 198; Jeremy Sarkin, Putting in Place Processes and Mechanisms to Prevent

and Eradicate Enforced Disappearances Around the World, South African Yearbook of International Law, Vol.

38, 2013, p. 27

34 Olivier de Frouville, La Convention des Nations Unies pour la protection de toutes les personnes contre les

disparitions forcées: les enjeux juridiques d’une négociation exemplaire, Droits fondamentaux, No 6,

janvier-décembre 2006, p. 2

35 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, Nations Unies, Recueil des

Traités, Vol. 999, p. 171, art. 6, 7, 9, 10(1) et 16

36 Assemblée générale des Nations Unies, Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes

(22)

pour le traitement des détenus dont « Les principes et les règles d’une bonne organisation

pénitentiaire » qui prescrivent la notification aux familles de la détention, la tenue d’un registre des personnes incarcérées, l’inspection des lieux, le contact avec le monde extérieur à intervalles réguliers, des facilités de communication avec les représentants diplomatiques

et consulaires37. La nécessité d’un texte conventionnel pour le crime de disparition forcée est

expliquée par des lacunes prêtées au Statut de Rome (lequel incrimine la disparition forcée, en tant qu’infraction sous-jacente aux crimes contre l’humanité dans le cadre d’une pratique généralisée ou systématique): l’absence de prescriptions en matière de prévention, d’enquête, d’éradication, la compétence subsidiaire de la Cour pénale internationale chargée de réprimer cette pratique étatique que dans le cadre d’un crime contre l’humanité, la démonstration d’un

dolus specialis, soit l’intention de l’auteur de soustraire la personne à la protection de la loi

pendant une période prolongée38.

37 Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, adopté par le premier Congrès des Nations Unies

pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, tenu à Genève en 1955 et approuvé par le Conseil économique et social dans ses résolutions 663 C (XXIV) du 31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai 1977, art. 7(1), 37, 55, 92; Assemblée générale des Nations Unies, Ensemble de principes pour la protection de toutes les

personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement, Résolution 43/173, 9 décembre

1988, Principe 12, 16

38 Jean-Daniel Vigny, Le rôle des ONG dans Emmanuel Decaux et Olivier De Frouville, La Convention pour

la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, Actes de la journée d’études du 11 mai

2007 organisée par le Centre de recherche sur les droits de l’homme et le droit humanitaire (C.R.D.H.) de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Bruylant, Bruxelles, 2009, p. 59; Olivier De Frouville, La Convention

des Nations Unies pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées: les enjeux juridiques d’une négociation exemplaire, Droits fondamentaux, N o 6, janvier-décembre 2006, p 16- 17

(23)

Méthodologie

La qualification juridique des faits de disparition

L’utilisation d’un cadre légal au soutien interprétatif tient à ce qu’un regard comparatif porté directement sur des pratiques de disparition rendrait la démonstration hasardeuse et moins satisfaisante. Étant donné l’absence de l’élément contextuel (conflit armé) au moment de la perpétration de la majorité des actes de disparitions forcées sur le territoire soviétique, les conduites à incriminer ne peuvent se classer au titre de crimes de guerre. Le recours à la

Convention s’explique par son champ d’application élargit, lequel s’étend aux situations

exceptionnelles (guerre) et en leur absence (temps de paix). Elle protège donc juridiquement autant les « personnes manquantes » que les personnes disparues. « Aucun circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la disparition forcée »39.

La doctrine juridique décuple la définition du crime de disparition en quatre éléments constitutifs:

1) La privation de liberté

2) Le refus de reconnaître la privation de liberté ou la dissimulation du sort ou

du lieu

3) L’implication directe ou indirecte d’agents étatiques

4) Le placement à l’extérieur de la protection de la loi

39 Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, 20

(24)

Pour les fins de notre recherche, nous aborderons les trois premiers critères de la définition en lien avec les disparitions en Russie soviétique. Le quatrième élément ne sera pas traité, car cette composante du crime est envisagée comme la conséquence inhérente de la

conjonction des autres40. Les deux premiers critères font état implicitement des agents

étatiques. Puisque leur intervention a lieu à chaque séquence du déroulement du crime et pour éviter un chevauchement inévitable et des redites, nous aborderons les trois premiers éléments en deux phases.

1) L’implication directe ou indirecte d’agents étatiques dans la privation de liberté

2) Le refus des agents étatiques de reconnaître la privation de liberté ou la

dissimulation du sort ou du lieu

Afin de faciliter la clarté de l’exposé, nous avons inséré en exergue les articles de la

Convention à propos duquel nous nous référons. Nous joignons en annexe une reproduction

intégrale du texte juridique.

40 Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Disparitions forcées ou involontaires, Fiche

(25)

Sources documentaires

C’est à partir du croisement de témoignages personnels de première main que nous avons puisé les éléments de preuve au soutien de notre démonstration. Une quantité considérable de récits rédigés par les victimes de la violence étatique soviétique ont paru. Notre base documentaire représente une recension fragmentaire de cette production littéraire. Dans la mesure où nous nous intéressons aux crimes de disparition antérieurs au Décret Nacht und

Nebel, nous avons d’emblée considéré les témoignages faisant état de faits de disparition

depuis les événements révolutionnaires d’Octobre jusqu’à son émission. Notre échantillon est constitué essentiellement de mémoires de prisonniers politiques, de visiteurs, d’employés de l’institution pénitentiaire. Ces témoignages amènent des précisions importantes quant aux lieux.

Les victimes de répression attestent de l’existence de crimes de disparition. Les survivants ne font pas référence au concept légal de la disparition forcée, mais ils soulignent la disparition des personnes et leurs efforts pour les retracer. Les mémoires d’Ioulia

Pianitskaïa41 et de Margaret Buber-Neumann42ont démontré des faits particulièrement

révélateurs de la présence du crime. Certes, tous ceux qui ont dû affronter les répressions staliniennes n’ont pas été les victimes d’une disparition forcée. Cette pratique d’élimination des opposants politiques réels ou présumés existait conjointement à d’autres crimes (exécutions sommaires, arrestations arbitraires, etc.). Dans certains ouvrages, il n’est pas toujours possible d’en avoir une confirmation certaine. Les disparus n’essayaient pas de

communiquer avec leur famille pensant leur éviter des soucis43. Parfois, les faits sélectionnés

ont fait abstraction d’éléments d’informations que s’ils avaient été rapportés auraient pu se qualifier au titre d’une disparition forcée Des témoins illustres qui ont eu droit à une diffusion internationale ne mettent pas en évidence tous des faits que l’on pourrait qualifier de

41 Ioulia Piatnitskaïa, Chronique d’une déraison: Moscou, 1937-1938, Éditions du Seuil, France, 1992, 198 p. 42 Margaret Buber-Neumann, Déportée en Sibérie, Éditions du Seuil, Paris, France, 1949, 253 p.

43 Nicolas Jallot, Piégés par Staline. Des milliers de citoyens français derrière le rideau de fer, Belfond, France,

2003, p. 196; Karlo Stajner, 7 000 jours en Sibérie, Éditions Gallimard, Paris, 1983, p. 72; Orlando Figes, Les

amants du Goulag. Une histoire d’amour et de survie dans les camps de Staline, Presses de la Cité, France,

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disparition. Contrairement à la théorie du droit international qui voudrait que l’autorité doctrinale provienne des juristes les plus influents, notre corpus qui s’est étendu au-delà des « classiques » de la littérature concentrationnaire a révélé des témoignages de disparition par des citoyens « ordinaires », des écrivains amateurs.

Nous sommes au fait des critiques remettant en cause l’authenticité de ce « genre littéraire »44.

Nous ne rejoignons pas l’opinion minoritaire qui laisse entendre que la reproduction de la structure narrative à l’origine de la similarité des vécus individuels découlerait de procédés de recopiage, et que par conséquent, toute étude deviendrait inopérante. Cependant, la méfiance à l’égard de ces mémoires n’est pas tout à fait exempte de fondement. Nous avons écarté notamment un récit parce qu’un destinataire responsable de la conservation de la correspondance épistolaire avait crû judicieux d’ajouter de sa propre initiative des lettres, alors que le sujet en captivité n’avait pas l’opportunité d’écrire… (ce qui nous a fait douter

de l’ensemble de l’entreprise)45. Par ailleurs, nous devons mentionner que les documents

officiels ne révèlent pas tout et entièrement la vérité et les procédures judiciaires ne sont pas à l’abri des faux témoignages. Des ouvrages généraux et des articles traitant de soviétologie ont été utilisés pour notre recherche.

Plusieurs des ressources documentaires ont été rendue possibles par la Société Mémorial (Общество Мемориал), une organisation non gouvernementale, créée en 1988 sous la présidence honoraire du célèbre dissident et détenteur du prix Nobel de la paix, Andreï Sakharov. L’organisme est le plus important acteur de la société civile russe. Il a pour objectif central la préservation et la restitution de la mémoire des victimes des répressions politiques; d’abord staliniennes, tel qu’inscrit dans la version initiale de la Charte de l’organisme, et qui s’étend maintenant aux répressions léninistes et poststaliniennes dans sa version actualisée.

44 Luba Jurgenson, La construction littéraire de la trace chez Chalamov dans Élizabeth Gessat-Anstett et Luba

Jugenson (sous la direction de), Le Goulag en héritage: pour une anthropologie de la trace, Éditions Pétras, Paris, 2009, p. 72

45 Emilio Guarnaschelli, Une petite pierre. L’exil, la déportation et la mort d’un ouvrier communiste italien en

(27)

La Société Mémorial poursuit tant bien que mal son œuvre. Une entrevue avec un de ses membres rappellent les obstructions commises à son endroit dans la poursuite de ses buts.

Memorial is an all-union voluntary organization dedicated to historical and educational work. It arose in 1987, in the period when the entire society was gripped by so-called perestroika. The movement was founded by a few individuals, ages twenty-five to thirty-five, who formed an "initiative group" to fight for the construction of a monument to the victims of the Stalinist repressions. In late November 1987, not long after Gorbachev's speech on the seventieth anniversary of the October coup d'etat, our group went to the Arbat [a recently established pedestrian mall] armed with signs and slogans to demonstrate. One of the signs carried words from Gorbachev's speech, that "the Stalinist repressions were a crime that cannot be forgotten or forgiven." Our goal in going to the Arbat was to collect signatures to give the Supreme Soviet, demanding a monument or memorial complex dedicated to the victims of Stalinism. We managed to remain on the street for thirty minutes, until the police came, confiscated our petitions and signs, and arrested the initiative group for "disturbing the peace46.

Malgré plusieurs obstacles, Mémorial a collecté une quantité impressionnante de témoignages oraux et de correspondances privées. Ses membres et la société civile ont cherché à établir leurs moyens de preuves, avec la compilation de données biographiques et leur regroupement dans des livres régionaux de mémoire des victimes des répressions politiques (« martirolog »). Les matériaux ont été scrutés par des professionnels pour l’élaboration de cartes géographiques et des répertoires de zones géographiques d’exclusion, afin de reconstituer des lieux de mémoire. Des travaux de l’organisme mettent en liaison les administrateurs et les lieux de réclusion.

Each listing is based on the person’s arrest warrant, interrogation proceedings, and sometimes also on a file of criminal investigation. Every name is accompanied by data: year and place of birth, party membership, nationality, workplace, position at work, place of residence, address, dates of arrest, sentence and execution, the name of a judicial or extrajudicial body that pronounced the sentence, and the article of the 1926 Criminal Code of the Russian Federation [l’auteur voulait probablement dire la République russe] (usually different

sections of article 58) under which the sentence was pronounced47.

46 Stephen Kotkin, Rehabilitation, and Historical Memory: An Interview with Dmitrii Iurasov, The Russian

Review, Vol. 51, No 2, 1992, p. 239

47 Denis Kozlov, The Leningrad Martyrology: A Statistical Note on the 1937 Executions in Leningrad City and

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Vu que la littérature testimoniale à notre disposition concernait surtout des sujets occidentaux, ses publications ont élargi le cercle des témoins oculaires.

(29)

Intérêt de la recherche

La nature continue du crime

26 mars 1958. Cela fait une éternité que je n’ai rien écrit. Il devient difficile de rétablir les dates. Je suis retournée une fois voir Anna Andreevna à Bolchévo. Cette fois, avec les Oksman. Dans la voiture, à l’aller, Oksman a dit: « L’essentiel, c’est de savoir si le processus de déstalinisation débouchera sur un autre processus. » Je lui ai donné une légère bourrade: silence en présence du chauffeur! Puis à Bolchévo, je lui ai demandé : « Vous pensiez aux procès de Nüremberg ? ». « Évidemment! ». Je lui ai dit que j’y avais pensé, moi aussi. Ce qui faisait peur, c’était le nombre des bourreaux et de leurs complices. Si on se met à les juger, comme l’exigerait la plus élémentaire justice humaine, ce seront des fleuves de larmes et de sang. Ils ont chacun une femme, des enfants. Ce seront à nouveau les queues devant les prisons, les guichets où l’on donne les renseignements, les colis, les transferts sous escorte, les cellules. Même si cette fois-ci ce n’était que justice. Non: quoi qu’il en soit, ce n’est pas pensable. Oksman dit qu’un procès de Nüremberg est indispensable, c’est une épuration nécessaire. Faute de quoi, il n’y aura pas de progrès possible. L’illégalité et l’arbitraire demeureront-au mieux

dans une mesure moindre 48.

Corollairement à l’ajout potentiel d’une « nouvelle » charge aux « répressions soviétiques », il en va logiquement d’un questionnement sur une éventuelle responsabilité en lien avec les fais de disparition.

Pour une sanction pénale individuelle des auteurs de crimes internationaux, nous devons nous tourner vers le texte fondateur de la Cour pénale internationale. La Russie n’a pas ratifié le

traité, mais demeure signataire49. La signature fait partie des modes d’expression selon lequel

un État consent à être lié. Son effet juridique amène au minimum comme obligation à ce que

la Russie respecte son objet et son but50. Cette prescription n’entraîne pas un effet coercitif

pour les cas de disparitions du passé puisque le Statut est entré en vigueur le 1er juillet 2002.

48 Lydia, Tchoukovskaïa, Entretiens avec Anna Akhmatova, Éditions Albin Michel, Paris, 1980, p. 333 49 Nations Unies, Collection des traités,

https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=XVIII-10&chapter=18&clang=_fr#5

50 Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, Nations Unies, Recueil des Traités, Vol. 1155, p.

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La Fédération de Russie n’est pas un État partie à la Convention, elle n’est donc pas liée juridiquement par ces dispositions. De plus, les organes onusiens qui examinent la conformité des obligations contractées à l’intérieur du Pacte et de la Convention possèdent le pouvoir de dénoncer un État et non de condamner les individus qui commettent des disparitions forcées. C’est pourquoi les juristes regardent du côté du droit international coutumier, et surtout de

ces règles de droit qui ont atteint un statut de jus cogens51. Ils se sont questionnés; à savoir si

le crime de disparition forcée ne pourrait se qualifier au titre d’un acte de torture étant donné son caractère absolu d’interdiction. Le Comité des droits de l’homme et des juridictions pénales régionales acquiescent à cette vision. La Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme a rassemblé dans un document révisé par le juriste Olivier de Frouville

des sources conventionnelles et jurisprudentielles pertinentes qui l’atteste. La publication52

nécessiterait d’être mise à jour, mais il y a fort à parier que cette avenue soit une des voies pour sanctionner les crimes de disparitions.

[…] est considérée comme une norme de droit international coutumier et de jus

cogens » […] Dès lors, l’interdiction lie également les États qui ne sont pas

parties aux instruments juridiques internationaux qui la consacrent. […] quelles que soient les circonstances. Pour le Comité contre la torture, en charge de contrôler le respect de la Convention, cette interdiction s’étend aussi aux traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité a justifié cette position en expliquant que « les circonstances qui sont à l’origine de mauvais traitements ouvrent souvent la voie à la torture; les mesures requises pour empêcher la torture

doivent donc aussi s’appliquer à la prévention des mauvais traitements 53.

Néanmoins, la valeur de jus cogens attribuée à la torture entraîne différentes interprétations. Dans certaines juridictions, elle a pour effet de contrecarrer toute limitation légale énoncée dans n’importe quel traité de droit international. Pour d’autres, cette attribution ne saurait

outrepasser le principe de non-rétroactivité des traités en droit international54.

According to the ratione temporis principle, states cannot be held accountable for acts that occurred before they ratified the international human rights treaty in

51 Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, Nations Unies, Recueil des Traités, Vol. 1155, p.

331, art. 53

52 Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme, Les disparitions forcées en tant que torture ou

en tant que traitement cruel, inhumain ou dégradant, Document révisé en octobre 2002, 19 p.

53 Damien Scalia, Droit international de la détention. Des droits des prisonniers aux devoirs des États, Helbing

Lichtenhahn, Bâle, 2015, p. 55 et 58

54 Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, Nations Unies, Recueil des Traités, Vol. 1155, p.

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question or before they recognized the competence of a supervisory organ to receive individual complaints about a violation of this treaty, hereinafter to be referred to as the “crucial” date. This criterion is based on the non-retroactivity

of treaties in international law55.

Pareillement, la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre

l’humanité56 que la Russie a ratifié en tant qu’État successeur à l’URSS, contrairement à ce

qu’elle stipule, n’est pas applicable pour les crimes du passé selon la Convention de Vienne

sur le droit des traités57.

Les États parties à la présente Convention s’engagent à prendre, conformément à leurs procédures constitutionnelles, toutes mesures législatives ou autres qui seraient nécessaires pour assurer l’imprescriptibilité des crimes visés aux articles premier et 2 de la présente Convention, tant en ce qui concerne les poursuites qu’en ce qui concerne la peine; là où une prescription existerait en la matière, en

vertu de la loi au autrement, elle sera abolie58 .

Cette recherche des diverses bases juridiques pour sanctionner et rendre condamnable les crimes de disparition sur le territoire soviétique a pour origine que le Décret Nacht und Nebel n’avait pas été condamné au titre d’un crime de disparitions forcées. Les faits en cause avaient été considérés par les juges du Tribunal militaire international de Nuremberg en tant que crime de guerre en raison des mauvais traitements à l’endroit des populations civiles dans les

territoires occupés59. L’infraction autonome de « disparitions forcées » ne figurait pas dans

la liste des crimes de guerre énumérés dans le Statut du Tribunal militaire international60.

Le Tribunal établi par l'Accord mentionné à l'article 1er ci-dessus pour le jugement et le châtiment des grands criminels de guerre des pays européens de l'Axe sera compétent pour juger et punir toutes personnes qui, agissant pour le compte des pays européens de l'Axe, auront commis, individuellement ou à titre

55Marthe Lot Vermeulen, Enforced disappearance: Determining State Responsibility under the International

Convention for the Protection of all Persons from Enforced Disappearance, School of Human Rights Research

Series, Volume 51, Intersentia, Cambridge, 2012, p. 190

56 Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, 26 novembre 1968,

Nations Unies, Recueil des Traités, Vol. 754, p. 73, Date de ratification: 22 avril 1969.

57 Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, Nations Unies, Recueil des Traités, Vol. 1155, p.

331

58 Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, 26 novembre 1968,

Nations Unies, Recueil des Traités, Vol. 754, p. 73, art. 4

59 Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, 14 novembre 1945-1er

octobre 1946, Nuremberg, Allemagne, 1947, Tome 1, p. 244

60 Statut du Tribunal militaire international, Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire

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de membres d'organisations, l'un quelconque des crimes suivants.

Les actes suivants, ou l'un quelconque d'entre eux, sont des crimes soumis à la juridiction du Tribunal et entraînent une responsabilité individuelle:

(a) ' Les Crimes contre la Paix ': c'est-à-dire la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression, ou d'une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent;

(b) ' Les Crimes de Guerre ': c'est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées, l'assassinat, les

mauvais traitements et la déportation pour des travaux forcés ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer,

l'exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les

exigences militaires;

(c) ' Les Crimes contre l'Humanité ': c'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.

Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot pour

commettre l'un quelconque des crimes ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes en exécution de ce plan.

Au vu de ce qui précède, certains pourraient remettre notre méthodologie pour reconstituer une pratique criminelle en objectant qu’une incrimination ex post factum, soit une interprétation a posteriori des faits va à l’encontre d’un principe général du droit pénal,

nullum crimen sine lege, soit la non-rétroactivité dans l’application du droit. Afin de

s’affranchir de cet obstacle juridique, les praticiens du droit international font valoir « le fait continu constitutif de crime », auquel le crime de disparition forcée se range. Plus exactement, aussi longtemps que le sort d’une personne disparue demeurera inconnu, le crime continuera à produire des effets. Une infraction dite continue permet de contourner le champ

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d’application ratione temporis des conventions internationales et la compétence des instances pénales rationae temporis. Le fait que la Convention a promu une « deuxième victime » en sus de la personne disparue supporte la théorie du fait continu. Dans tous les cas non résolus de disparitions forcées, l’incertitude sur le sort d’autrui provoque des peines et souffrances en continu. Une lecture conjointe de deux dispositions permet de se rendre compte de la nature continue du crime de disparition.

Tout État partie qui applique un régime de prescription à la disparition forcée prend les mesures nécessaires pour que le délai de prescription de l'action pénale :

Commence à courir lorsque cesse le crime de disparition forcée, compte tenu de son

caractère continu 61.

Et:

Aux fins de la présente Convention, on entend par « victime » la personne disparue et toute

personne physique ayant subi un préjudice direct du fait d'une disparition forcée 62.

61 Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, 20

décembre 2006, Nations Unies, Recueil des Traités, Vol. 2716, p. 3, art. 8(b)

62 Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, 20

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Critère I L’implication directe ou indirecte d’agents étatiques dans la privation de liberté

Aux fins de la présente Convention, on entend par « disparition forcée » l'arrestation, la détention, l'enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l'État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi63.

La définition conventionnelle de la disparition forcée conçoit l’arrestation, la détention et l’enlèvement en tant que « formes de privation de liberté ». La doctrine juridique différencie l’arrestation de l’enlèvement en raison que dans ce dernier cas de figure la revendication

d’une contrepartie (politique, pécuniaire) est sollicitée et négociée64. L’arrestation se

distingue de la détention parce que le crime peut débuter une fois que la personne est incarcérée. Dans la pratique des disparitions forcées soviétiques, l’arrestation, séquence initiale dans la commission du crime, constituait la forme de privation de liberté favorisée. Les arrestations qui avaient pris un caractère de masse ne résultaient pas toutes en un crime de disparition; certaines personnes étaient relâchées. Dans la majorité des cas de disparitions, le lieu d’arrestation différait d’un (second) lieu, où la personne « disparue » était mise au

secret. Le lieu d’arrestation et de détention pouvaient ne pas différés65suite à une convocation

dans un hôpital, au siège central de la milice, au bureau d’arrondissement de la police politique ou dans d’autres endroits publics.

Chacun d’entre nous pouvait, à tout instant, se retrouver dans les bureaux de la Loubianka après avoir été interpellé dans la rue et poussé dans une voiture; ou bien on pouvait recevoir un coup de téléphone avec l’ordre de se rendre à tel endroit et à telle heure. Partout dans Moscou, dans tous les grands hôtels, dans les appartements et même les appartements communautaires, le KGB disposait

63 Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, 20

décembre 2006, Nations Unies, Recueil des traités, Vol. 2716, p. 3, art. 2

64 Simone Weil, Disparus, Rapport à la Commission indépendante sur les questions humanitaires

internationales, Berger-Levrault, Genève, 1986, p. 37

65 Amnesty International, Les prisonniers d’opinion en URSS, Éditions Mazarine, Paris, 1980, p. 269; Youri

Loujkov, Moscou ne croit pas aux larmes: réflexions du maire, Anthropos, Paris, 1996, p. 186; Vladimir V. Tchernavin , I Speak for the Silent: Prisoners of the Soviets, Cushman & Flint, USA, 1935, p. 50 et 311; Francisque Bornet, Je reviens de Russie, Librairie Plon, 1947, p. 51

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de chambres pour ces rendez-vous mystérieux. Très souvent, il ne s’agissait pas d’une arrestation, mais d’un interrogatoire ou d’une proposition de collaboration. Quand on acceptait, on devait faire des rapports réguliers sur tous les gens de son entourage66.

Le cadre spatial des arrestations

Les arrestations, surtout après 1933, étaient plus fréquentes en milieu urbain que

campagnard67. L’historien Robert Conquest faisait de Moscou le lieu principal de survenance

de la privation de liberté.

Tandis que les expéditions punitives ordonnées par Staline et Yéjov ravageaient les provinces, Moscou demeurait le centre de la tourmente. C’est à Moscou que résidaient les deux tiers des soixante et onze membres titulaires du Comité central ainsi que tous les membres titulaires du Politburo-à l’exception de Kossior-tous les commissaires du peuple, les chefs des départements du Comité central, du Komsomol et des syndicats, les dirigeants du Komintern. Autrement dit, tous les leviers de commande d’une machine hautement centralisée se trouvaient

concentrés dans la capitale68.

Des lieux résidentiels moscovites ont acquis une notoriété en devenant des endroits de prédilection pour les arrestations. Il s’agit de la Maison du Gouvernement, de l’Hôtel Lux, de la Maison Lavrouchinski.

La Maison du Gouvernement, une bâtisse grise sise sur la Naberejnaïa et au 2 rue

Serafimovitch, hébergeait les cadres du régime, c’est-à-dire la nomenklatura du Parti.

Il y avait à Moscou une maison qui servait, pour ainsi dire, de baromètre de la terreur. Appelée presque officiellement la « maison du gouvernement », elle était entrée dans la littérature sous le nom de « maison du Quai », parce qu’elle était située au bord de la Moskova. C’était un immeuble immense qui occupait tout un quartier. Il avait été construit au début des années 30 confort maximal pour

66 Lila Lounguina, Les saisons de Moscou 1933-1990: racontées à Claude Kiejman, Éditions Plon, Paris, 1990,

p. 131

67 Zbigniew K. Brzezinski, La purge permanente: la politique dans le totalitarisme soviétique, Les Îles d’Or,

Paris, 1958, p. 84; David R. Shearer, Social Disorder, Mass Repression, and the NKVD During the 1930s dans

La police politique en Union soviétique, 1918-1953, Cahiers du monde russe, 42/2-4, avril-décembre 2001,

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