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Interactivité des sites de presse : relégation et exploitation de la parole profane

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Submitted on 26 Apr 2009

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Interactivité des sites de presse : relégation et

exploitation de la parole profane

Annelise Touboul

To cite this version:

Annelise Touboul. Interactivité des sites de presse : relégation et exploitation de la parole profane. Document numérique et société, Jun 2006, France. pp.279-289. �sic_00378750�

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Interactivité des sites de presse :

relégation et exploitation de la parole profane

Auteur

Annelise Touboul

Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication Equipe de recherche Médias et identités (EA 1858)

Université Lyon 2

annelise.touboul@univ-lyon2.fr

Résumé

Depuis 2000, les sites français de presse développent régulièrement des propositions de participation à l’attention de leur public. S’agit-il d’une simple stratégie d’affichage, d’un argument publicitaire ou d’une refonte en profondeur du contrat de communication qui définit les rôles des journalistes et du public ? Comment la presse en ligne parvient-elle à encourager et accueillir la parole profane sans affaiblir la légitimité des journalistes professionnels ? L’article étudie les principales propositions d’interactivité des sites de presse, (chats, forum,

blogs) pour tenter de comprendre dans quel dispositif s’intègre l’expression « profane » et ce que cette gestion révèle des stratégies à l’œuvre.

Mots-clés

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Interactivité des sites de presse :

relégation et exploitation de la parole profane

Annelise Touboul

Université Lyon 2 - Médias et identités

Dans son article du 17 octobre 2005, intitulé « liberation.fr fait peau neuve », Patrick Sabatier écrit que la nouvelle maquette du site répond « aux exigences des lecteurs ». Parmi les arguments avancés par le journaliste se trouve la « possibilité de réagir à l'information qu'accroît l'interactivité du média, à travers les forums, chats, blogs mais aussi les nouvelles formes de journalisme «participatif» et le dialogue permanent avec la rédaction ».

Avant même que les premières expérimentations de sites d’actualité n’aient vu le jour, les journalistes annonçaient déjà, avec enthousiasme ou effroi, les futurs bouleversements liés au développement de l’interactivité. Dix ans après, le discours n’a presque pas changé. Bien sûr, la référence aux « blogs », ou aux « chats » témoigne de la prise en compte des évolutions de la publication sur le web mais on est en droit de s’interroger sur la réalité de ces promesses d’interactivité perpétuellement réitérées… S’agit-il d’une simple stratégie d’affichage, d’un argument publicitaire ou d’une refonte en profondeur du contrat de communication qui définit les rôles respectifs des journalistes et du public ? La presse en ligne peut-elle encourager et accueillir la parole profane1 sans affaiblir la légitimité des journalistes professionnels ?

Il ne s’agit pas de nier l’évidence : si jusqu’en 2000, on ne peut que constater l’important décalage entre les promesses des discours sur la presse en ligne et la réalité de l’offre (TOUBOUL, 2001a), le développement des espaces participatifs ou interactifs constitue une des évolutions majeures des sites de presse depuis lors… L’offre se décline en différentes propositions avec au moins une constante : l’augmentation permanente des contributions. Même si la représentativité des contributeurs pose question, ces nouvelles pratiques discursives du public interroge l’autorité et le statut de l’écriture journalistique consacrés par le droit d’auteur, ainsi que la place de ces derniers au sein du débat public. Les espaces participatifs interrogent la définition du journalisme, de ses frontières professionnelles et nourrissent la réflexion sur sa réinvention permanente (RINGOOT, UTARD, 2005).

Dans le cadre de cette recherche, nous étudierons la place réservée au public au travers des différents espaces de paroles non journalistiques organisés par le journal. Notre analyse s’appuie sur l’étude d’un corpus de différentes formes d’interactivité, plus précisément les forums, chats et blogs, de deux sites web de la presse en ligne française d’actualité générale :

lemonde.fr et liberation.fr.

L’approche choisie est sémiologique puisqu’il s’agit d’étudier la pluralité des signes mobilisés pour organiser, mettre en scène et exploiter la parole des internautes. Le dispositif de gestion et d’encadrement de cette parole révèle la manière dont les journaux envisagent la médiation journalistique sur le web : les rôles choisis pour eux-mêmes et ceux concédés aux internautes. Pour compléter notre approche, des entretiens ont été réalisés avec les responsables du développement de l’offre interactive au sein des deux sites de notre corpus2.

1 Profane doit ici s’entendre dans le sens de non-initiée et non en opposition avec la sphère sacrée.

2 Entretiens réalisés avec Stéphane Mazzorato, responsable du développement éditorial au sein du monde.fr et

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Plutôt que de procéder à l’analyse de tel ou tel échange, notre attention se portera surtout sur la question du sens de l’existence même des espaces participatifs au sein de médias dont la définition suppose une communication unilatérale. Nous émettons l’hypothèse que la parole profane est tout à la fois encadrée (règles, surveillance), différenciée (signalée comme différente, placée au sein d’espaces spécifiques parfois dans une logique de club ou de communauté) et exploitée car son développement suppose tout à la fois des bénéfices économiques, éditoriaux et symboliques. Les trois aspects étant liés, ils participent tous à des fins auto-promotionnelles directes mais aussi et surtout indirectes, car ces espaces interactifs permettent de réaffirmer le rôle central du média et plus largement du journalisme.

Dans une première partie, nous présenterons les différents types d’interactivité développés par les sites du monde.fr et de liberation.fr en mettant à jour les caractéristiques communes permettant de qualifier l’offre. L’étude s’intéressera tout d’abord aux offres présentant des filiations fortes avec les pratiques des médias traditionnels pour se consacrer progressivement aux formes d’interactivité qui suscitent plus de questions notamment du fait de leur relative nouveauté dans le paysage médiatique.

Dans une seconde partie, nous chercherons à vérifier nos hypothèses en réinscrivant les espaces participatifs dans leur environnement global, en observant les liens, et les interrelations que le discours journalistique entretient avec cette expression d’un nouveau genre…

1. L’offre d’interactivité des sites de presse

Avant de s’attacher à comprendre les spécificités de chacun des espaces participatifs, rappelons quelques points récurrents :

- L’utilisation de pseudonymes, c’est-à-dire la possibilité d’être un auteur masqué, sans identification possible par le public. Seul le média, en tant qu’éditeur juridiquement responsable, connaît l’identité des contributeurs ;

- La nécessité d’une inscription auprès du média, parfois la souscription d’un abonnement ;

- L’engagement par l’usager de respecter une charte, un règlement qui rappelle l’interdiction de tenir des propos répréhensibles au regard de la loi française, le rappel d’un code de bonne conduite, la définition du rôle du modérateur, les sanctions encourues en cas de non-respect de ces règles.

Les chats des sites de presse : au cœur de l’activité éditoriale

Le chat est une messagerie instantanée dont l’usage s’est considérablement développé avec l’Internet haut débit à partir de diverses plateformes permettant les échanges en temps réels de messages écrits, parfois sonores et accompagnés d’images3. Dans le cadre des sites de presse

de notre corpus, le terme de chat recouvre une réalité très différente. Le journal offre la possibilité au public (parfois seulement les abonnés) d’interroger un invité (un expert, une personnalité du monde politique, culturel) ou bien un collaborateur de la rédaction. Le rendez-vous est annoncé quelques jours à l’avance. Le jour J, les participants proposent leurs questions à une équipe de la rédaction qui fait une sélection et présente les questions retenues à l’invité du jour qui y répond. Après le temps de l’échange, un autre travail éditorial commence. Un travail de tri, d’organisation, de lissage et de mise en forme générale pour donner lieu quelques heures plus tard à la publication d’un article dans la rubrique chat. On y trouve parfois une photographie de l’invité ; toutes les autres images sont de nature

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4 publicitaire. Plusieurs jours et mois plus tard, ces comptes-rendus de chat restent disponibles sur les sites, apparaissant soit par ordre chronologique (liberation.fr) soit par thème (lemonde.fr).

Les chats, de l’avis même des professionnels en charge de ces rubriques constituent une déclinaison sur le web de dispositifs existants sur les médias audiovisuels… Les règles sont quasiment les mêmes avec l’annonce du rendez-vous, l’invitation à participer, le filtrage des questions puis, la diffusion des réponses. Quelques différences existent cependant : il n’y a pas de fonction d’animateur sur les chats des sites de presse mais un encadrement général des conditions de l’échange ; d’autre part, sur lemonde.fr la participation est réservée aux seuls abonnés. Par ailleurs, les différentes étapes du chat impliquent toujours une intervention éditoriale : la préparation en amont de l’échange, le temps de l’interview, celui de la mise en forme et de la publication, et enfin, le temps de l’archive. On retrouve ici des considérations déjà formulées sur les différentes temporalités des médias numériques, ni flux ni stock, mais un nouveau modèle qui emprunte à tous les autres (RINGOOT, 2001).

Il apparaît nettement que le terme de chat qui véhicule des représentations d’un échange à la fois direct et immédiat, ne correspond pas aux usages des sites de presse ou le travail éditorial reste très présent.

Les forums : discussions et commentaires en périphérie

Depuis le début de l’année 2000, la presse en ligne propose des espaces de discussion entre internautes par le biais de messages envoyés et publiés sur le site et donc accessibles en permanence… Les modalités de fonctionnement des forums sont relativement semblables sur les sites du monde.fr ou de liberation.fr. La consultation des échanges est ouverte à tous mais la participation nécessite une inscription ou la souscription d’un abonnement4. Les internautes

peuvent engager des discussions ou encore intervenir dans des discussions déjà engagés. Le rôle de la rédaction consiste essentiellement dans le choix des thèmes généraux qui encadrent les discussions particulières, leur fermeture éventuelle, la définition du règlement que les internautes doivent s’engager à respecter (et les modérateurs5 à faire respecter) mais

elle offre surtout un espace et les outils de l’échange. La question de la mise en forme et de la gestion des forums constitue d’ailleurs le thème d’un forum à part entière sur le site du

monde.fr. Certains participants débattent des intérêts respectifs des deux types de mises en formes proposées : le mode discussion (ou présentation arborescente) ou le mode dit « plat » avec priorité chronologique. Le premier type d’organisation, généralement affiché par défaut, permet de traduire visuellement la structuration des échanges à partir d’un premier message. Le principe utilisé est celui de l’indentation qui hiérarchise les échanges : la première contribution est placée en haut à gauche, les messages suivants s’inscrivent avec un décalage plus ou moins important sur la droite en fonction de leur niveau d’intervention par rapport au message d’origine (réponse de premier niveau ou réponse à une réponse, etc.…) L’avantage du second mode de présentation se situe dans la possibilité de découvrir rapidement sur une seule longue page à faire défiler, l’ensemble des contributions même si la logique des échanges devient parfois difficile à saisir. Si certains utilisateurs dénoncent parfois les contraintes liées à ses applications qui organisent, et mettent en forme les conversations des

4 lemonde.fr a été le premier site de presse en ligne a rendre la participation aux espaces intéractifs payante.

S. Mazzorato justifie ce choix par le risque d’être débordé par la participation croissante des internautes. Selon Fabrice Rousselot, liberation.fr devrait aussi prochaînement conditionner la participation aux forums à la souscription d’un abonnement.

5 Les modérateurs ont pour fonction de veiller aux respects des règles ; ils peuvent participer, censurer, exclure

provisoirement ou définitivement un « forumeur » et fermer une discussion. En dehors de certains forums dits sensibles comme celui qui concerne le Proche-Orient sur lemonde.fr, les messages d’internautes ne sont modérés qu’après publication.

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forums6, à l’inverse, elles sont présentées par les responsables de ces espaces comme un

véritable service à l’usager qui facilite la participation.

La gestion des forums semble continuellement en tension entre le relatif effacement des filtres éditoriaux au profit de la libre expression des participants au débat public, et le nécessaire encadrement de cette expression par des moyens techniques et humains pour des raisons juridiques (responsabilité de l’éditeur), et organisationnelles (la gestion du flux de contributions)

Si les journaux n’ont développé l’offre de forums que tardivement (compte tenu du fait que les forums sont parmi les premières applications à avoir été développées sur Internet), c’est que les espaces interactifs au sein de sites médiatiques supposent une véritable transformation du métier de journaliste qui ne va pas sans réticences. Bruno Patino, président du Monde Interactif rappelle dans un récent ouvrage, les débats et controverses suscitées par le développement de la presse en ligne au sein des de la profession affirmant que “les porteurs de l’avenir numérique restent des figures dévaluées à dessein” (FOGEL, PATINO, 2005, p. 142). Stéphane Mazzorato regrette d’ailleurs que la rédaction du monde.fr n’accorde que peu d’intérêt à ce qui se passe sur les forums même si certains journalistes les consultent par goût personnel. Alors qu’opinions et commentaires des lecteurs prolifèrent au sein des forums, ces derniers semblent cantonnés à la périphérie de l’information, à côté de l’expression autorisée et experte des journalistes.

Les blogs : micro-publications disséminées

Le phénomène de l’autopublication interpelle du fait de son développement fulgurant et des questions adressées à l’édition traditionnelle. Les blogs qui autorisent la publication de textes, d’images fixes ou animées, de sons7 tout en s’affranchissant des filtres éditoriaux interrogent

tout particulièrement la presse en ligne.

L’organisation spatiale des blogs est particulièrement contrainte et normalisée : sur

liberation.fr et lemonde.fr, on trouve une colonne centrale pour les textes ou « billets » de l’administrateur du blog, un lien pour accéder aux commentaires postés par les internautes, et sur la droite, diverses propositions de navigation : un accès aux archives, la liste des blogs ou sites amis, éventuellement en lien avec le thème principal. Malgré ce cadre commun, les stratégies des rédactions diffèrent. Sur lemonde.fr, se côtoient des blogs d’invités (à la demande de la rédaction), des blogs « d’insiders » ou d’initiés (un inspecteur du travail par ex.) et des blogs d’abonnés. Les créateurs de blogs s’engagent à assumer la responsabilité juridique de la publication ; lemonde.fr n’exerce pas de « modération » aussi étroite que dans les forums mais il peut décider de fermer un blog ou de censurer certains messages8.

Consultables par tous les internautes, seuls les abonnés peuvent poster des commentaires.

lemonde.fr accueille plus de 5000 blogs de lecteurs, depuis l’ouverture de cette offre au début de l’année 2005. Le site comptabilise en moyenne un millier de billets postés par jour sur les

blogs qu’il héberge. Ces contributions se concentrent sur quelques blogs alors que la plupart ne semble pas bénéficier d’une activité soutenue d’échanges. Les plus actifs, blogs d’invités ou d’initiés, sont valorisés par la rédaction qui décide de les présenter en page d’accueil du fait de leur originalité ou de leur lien avec l’actualité. Sur liberation.fr, l’offre se limite à une

6 Les reproches les plus fréquents concernent certains dysfonctionnements, la lenteur, une visualisation

fragmentée dans le mode discussion, ou incohérente dans le mode « plat » qui gène la compréhension et la perception globale des échanges.

7 Cette multimodalité explique probablement le nombre des blogs de photographie et les carnets de voyage. 8 Quand la masse des blogs est trop importante pour être surveillée, il est fait appel à des logiciels d’alerte sur

certains termes sensibles, au signalement des dérives par les internautes eux-mêmes et au visionnage des images. P. Bellanger affirme que 6500 messages sont supprimés et une dizaine de skyblogs désactivés chaque jour.

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6 quinzaine de libéblogs publiés par des journalistes de la rédaction ; certains ne sont plus actifs depuis plusieurs mois. Tous les internautes peuvent poster des commentaires.

Plus que tous les autres espaces participatifs des sites de presse, les blogs posent question. Comment expliquer qu’un journaliste anime un blog alors qu’il contribue déjà au contenu du site ? Quel est l’intérêt pour un journal en ligne d’accueillir des milliers de pages à l’audience atomisée sans lien avec le contenu informationnel du site ?

Certaines études indiquent que ces blogs créés à l’initiative de la rédaction correspondent à une volonté de se rapprocher du lectorat (LE CAM, PERRIER, PELISSIER, 2005). Nos interlocuteurs ont aussi fait référence à la possibilité d’offrir une information plus spontanée, moins contrainte et plus personnelle offrant ainsi plus de proximité avec la réalité et le public9. Pour Pierre Bellanger, PDG de Skyrock, “la radio, dans cette dynamique, devient l’agrégateur d’une audience qui d’un nuage de points anonymes se mue en un réseau social en conversation permanente avec lui-même et avec la radio” (BELLANGER, 2006, p. 157). Il semble donc, que du côté des dirigeants d’entreprises médiatiques, l’enjeu de la prolifération de ces îlots d’expression que sont les blogs soit de construire et de posséder l’archipel…

2. Relégation ou exploitation de la parole profane ?

Entre les chats peu innovants, les forums qui intéressent les rédactions surtout par la quantité des connexions générées et les blogs qui peinent à réunir une audience significative, il semble que les sites sollicitent la participation du public tout en lui réservant un accueil partagé entre distanciation et rapprochement.

Les signes de la différence

La mise en forme, qu’il s’agisse d’agencement spatial ou de traitement graphique, participe à la différenciation des discours. On notera ainsi, pour l’ensemble de ces espaces participatifs, que la seule forme possible est celle de l’empilement et de la liste. L’absence de véritable liberté d’expression graphique est liée aux contraintes fortes des dispositifs et des applications logicielles qui tout à la fois, facilitent et formatent l’expression (seuls les blogs autorisent des choix limités mais peu exploités). Enfin, certaines rubriques interactives sont gérées à l’écart du territoire éditorial proprement dit : les libéblogs ouvrent une nouvelle page sur laquelle les menus et rubriques du site liberation.fr n’apparaissent pas.

Certaines dimensions organisationnelles confirment la volonté des rédactions de distinguer la parole foisonnante du public de la production quotidienne des journalistes. Ainsi, pour S. Mazzorato, la modération des forums n’est pas un métier à part entière, les modérateurs n’apparaissent donc pas dans l’organigramme de la rédaction du monde.fr10. À Libération, la

modération des forums est totalement externalisée, matérialisant ainsi la distance qui sépare le travail journalistique et la gestion du flux des contributions des lecteurs.

S’il est aisé de distinguer les différentes productions discursives publiées sur les sites de notre corpus, les rédactions se défendent pourtant de toute volonté de distanciation et revendiquent une réelle valorisation des espaces interactifs…

Les signes du rapprochement

9 Le nivellement du traitement de l’information lors des attentats du 11 septembre 2001, nous a conduit à nous

intéresser aux expressions plus spontanées sur les sites d’information. (TOUBOUL, 2003)

10D’après S. Mazzorato « modérateur ce n’est pas un métier… ». Ces derniers ne sont d’ailleurs employés qu’à

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Sur la page d’accueil, différents liens parfois enrichis d’une courte présentation invitent l’internaute à rejoindre les espaces participatifs. Les rubriques « perspectives » et « interactif » figurent dans le menu horizontal répété sur chaque page et, sur la droite de l’écran, (où cohabitent de façon plus ou moins ordonnée les dépêches, les publicités, les dossiers etc.)11 les blogs, forums et chats en lien avec l’actualité sont signalés. Libération

choisit même des formes interrogatives ou polémiques pour les titres de ces forums de façon à stimuler les réactions. Enfin, lemonde.fr, réserve un espace en page d’accueil à la publication d’une réaction à un article. L’affichage est automatique et aléatoire, renouvelé toutes les 20 minutes, permettant à chacun d’espérer son quart d’heure de gloire réalisant ainsi la prédiction d’Andy Warhol. À la lumière de ces observations, il n’est pas sûr que la mise en valeur des espaces participatifs ne procède pas essentiellement d’une logique d’appel à cliquer...

Cependant, nos interlocuteurs, tous impliqués dans le développement des espaces participatifs affirment que l’expression du public est non seulement souhaitée par les rédactions mais qu’elle prendra, à l’avenir, plus de place encore. Chacun soutient à sa manière que les productions discursives des journalistes et du public sont complémentaires : d’un côté l’information et l’analyse, de l’autre le débat et les commentaires.

On retrouve dans ces propos la différenciation des genres précédemment évoquée, ce qui nous conduit à affirmer que malgré certains signes de rapprochements, les rédactions cherchent à éviter tout risque de contamination et utilisent le dispositif pour dessiner clairement les limites respectives de chaque territoire.

Les avantages de l’ouverture contrôlée des frontières du territoire éditorial

Malgré la posture prudente voire hostile des rédactions à l’égard des espaces interactifs sur leur site (FOGEL, PATINO, 2005), le développement de ces rubriques présente des avantages non négligeables. Il existe clairement un intérêt économique direct (les recettes liées aux abonnements12) et indirect (générer du trafic pour attirer les annonceurs et augmenter le prix

des insertions publicitaires). L’intérêt de l’offre interactive dans une logique marketing est, lui aussi, évident : la création de communautés ou de clubs crée les conditions d’une fidélité ; cela permet de proposer aux participants des offres promotionnelles en relation avec leur profil. Dans le cas des skyblogs, la direction met à la disposition des annonceurs qui le souhaitent, les messages concernant leur marque ou leur marché, permettant d’affiner les stratégies de communication à mettre en œuvre (BELLANGER, 2006). À ces avantages, il faut ajouter les bénéfices en termes d’image puisque les discours d’accompagnement des technologies interactives sont connotés de façon positive. Pour la presse en ligne, l’interactivité est un signe de modernité, de dynamisme, d’ouverture…

La stratégie des rédactions qui consiste à offrir un espace à l’expression du public est d’autant plus intéressante qu’il s’agit d’un investissement à peu de frais, puisque les potentialités du numérique et de l’Internet ont quasiment supprimé les limites matérielles du territoire éditorial.

De l’intérêt sincère de certains pour un dialogue avec le public à l’instrumentalisation pure et simple des contributions, aucune de ces perspectives ne s’engage sur le terrain délicat d’une remise en question de la médiation journalistique. Et pourtant, en travaillant sur ce sujet, on

11 La partie droite des pages d’accueil a depuis les débuts de la presse en ligne été le lieu de la sortie, de la

transition vers d’autres genres de contenus que l’information journalistique d’actualité immédiate. (TOUBOUL, 2001b)

12 Les abonnements qui conditionnent la participation à l’offre interactive du monde.fr contribuent pour un tiers

aux recettes du site, les reste se répartissant pour un tiers sur la publicité et le dernier tiers sur les archives. Libération va emboiter le pas au monde.fr en imposant une formule d’abonnement pour participer aux forums.

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8 ne peut éviter les discours prédisant la fin des médias de masse ou au mieux leur reconfiguration.

3. Nouveaux pouvoirs du public, médias en danger : à qui profite le mythe ?

Sans nier les bouleversements engendrés par le développement de l’Internet, l’histoire des médias montre que les ajustements qui s’opèrent à l’arrivée d’un nouveau venu n’évincent généralement pas les anciens tenants du pouvoir (FLICHY, 1995). On constate, aujourd’hui encore, que les rédactions veulent garder la main, rester à l’origine de l’information ; libre ensuite, au public de s’exprimer, de discuter et commenter à l’infini ce qui a été initié par le média. Et pourtant, annoncer la fin des médias de masse et la prise du pouvoir par le public est devenu un lieu commun. Le réseau, dépassant tout ce qui l’a précédé est présenté comme un aboutissement. Il se transforme même en une créature vivante, totale : « La nouvelle génération est en situation de contrôle de son expression. Elle se connecte à quelque chose de vivant : elle-même […] Être un média communautaire signifie sans cesse faire disparaître l’unilatéral, sans cesse boucler avec la communauté : commentaires sur les messages, commentaires sur les commentaires, réponses aux commentaires, classement des commentaires, commentaires sur le classement… Il faut tout mesurer, tout montrer, chaque connecté doit vivre et participer aux pulsations de l’ensemble à chaque instant. » (BELLANGER, 2006, p. 159)

Agréger une audience disséminée aux quatre coins de la planète, assumer une polyphonie énonciative au sein d’un territoire éditorial organisé ne constituent pas un bouleversement majeur pour un média d’information. Certes, le média n’exerce plus le même contrôle sur son territoire éditorial mais il reste le producteur premier et principal de l’information qui sera reprise, commentée ou retraitée à l’infini (REBILLARD, 2006). Loin d’assister à la déchéance annoncée des médias de masse, ces derniers pourraient bien étendre leur zone d’influence, par la dispersion ou la dissémination de leur production…

Bibliographie

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