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Les relations Etats-acteurs sociaux dans les tranformations de la relation salariale en France et en Allemagne dans les années soixante et soixante-dix

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Academic year: 2021

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LES RELATIONS ÉTAT-ACTEURS SOCIAUX DANS LES TRANSFORMATIONS DE LA RELATION SALARIALE EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE DANS LES ANNEES SOIXANTE ET SOIXANTE-DIX

Michèle Tallard (CNRS-IRISSO, UMR 7170,/Université Paris-Dauphine), Michèle Dupré (MODYS_CNRS/Université de Lyon II), Olivier Giraud (CNRS-CMB), Catherine Vincent (IRES)

Note de synthèse

À l’heure où l’on s’interroge sur un modèle social européen, notre recherche s’attache à l’analyse comparée et approfondie des dynamiques de constitution des modèles sociaux des deux pays moteurs de la construction européenne que sont la France et l’Allemagne. Centrant le regard sur les effets de la relation entre acteurs sociaux et structures institutionnelles sur la transformation de la relation salariale, notre objet de recherche s’intéresse au premier chef à la place des régulations du travail dans les systèmes sociaux. Elle porte sur une période clé, et cependant peu analysée de la transformation de la relation salariale. Les années 60 et 70 sont à la fois des années de consolidation des modèles socio-économiques en Europe de l’Ouest – fin de la période de reconstruction –, de forte contestation sociale des structures socio-économiques en place et correspondent enfin à une période d’intense transformation économique. Cet agenda chargé de défis constitue un terrain d’analyse stimulant pour les relations Etat-acteurs sociaux et permet une mise en perspective riche avec la période actuelle caractérisée par des défis au moins aussi importants et diversifiés.

Notre questionnement initial est centré sur deux axes principaux.

En premier lieu, la France et l’Allemagne sont fréquemment opposées dans la littérature. On estime classiquement que les caractéristiques de ces deux pays sont en tout point opposées. Cependant, un examen de la littérature, notamment sur l’Allemagne, indique que les relations entre l’Etat et les acteurs sociaux n’ont pour l’instant pas donné lieu à des recherches approfondies. Le rôle de l’Etat est considéré dans le cas allemand comme celui de facilitateur d’une négociation autonome entre partenaires sociaux. Plus précisément, Wolfgang Schröder distingue dans son analyse de la genèse du modèle social allemand (Schroeder, 2000), une phase plus active où l’Etat joue un rôle de soutien à la conclusion de normes procédurales entre les acteurs sociaux et une phase où l’Etat se contente de garantir un bon fonctionnement aux procédures arrêtées aux étapes précédentes. Ces conclusions méritent d’être testées notamment dans une perspective comparative. Dans le cas français, l’intervention de l’Etat a généralement été considérée comme se caractérisant par une réglementation à base contractuelle (Tallard, 2004) afin d’exprimer l’étroite imbrication entre les pratiques développées par les acteurs sociaux et les initiatives publiques.

En second lieu, les relations entre Etat et acteurs sociaux dans la régulation des relations de travail renvoient à des processus de concertation sociale. L’attention est alors centrée sur

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l’inscription historique du développement de formes de régulation co-produites par des acteurs publics et des acteurs privés. Outre les capacités d’institutionnalisation et d’action de terrain, la capacité de voice, la capacité à produire des discours susceptibles de créer des coordinations, des alliances, etc. est également une dimension importante de l’analyse des rapports Etat / acteurs socaiux.

Objet de recherche

Notre objet de recherche porte sur l’analyse de la relation entre l’Etat et les acteurs sociaux dans la transformation de la relation salariale en France et en Allemagne dan les années 60 et 70. La relation salariale est un objet trop vaste pour être traité dans sa globalité aussi avons-nous choisi de nous concentrer sur l’un de ses éléments : l’organisation des rapports de pouvoir dans l’entreprise. Cet objet présente différents avantages. En premier lieu, il convient particulièrement à notre question de recherche : la période connaît d’intenses débats à propos de la réforme de la démocratie d’entreprise – ou plus largement, de la modernisation des rapports de pouvoir dans l’entreprise. En deuxième lieu, en ce qu’il renvoie aux formes de la représentation des salariés dans l’entreprise, à leurs droits d’information, de protection, aux diverses formes d’association des salariés à la décision dans l’entreprise ou encore aux rapports avec les gestionnaires de l’entreprise, il permet d’analyser la genèse d’une multiplicité de règles. Enfin, l’enjeu des rapports de pouvoir dans l’entreprise est central dans la mesure où il est transversal et renvoie à ce titre à la notion de démocratie industrielle. Cette notion, à la fois ancienne (Webb, 1897) et générique, permet pour une part d’analyser l’entreprise comme le lieu où s’actualisent les régulations multiformes du travail, de l’emploi, des branches d’activités ou encore d’enjeux comme la formation professionnelle et de comprendre ainsi l’entreprise non seulement comme le point d’aboutissement des régulations du domaine des relations professionnelles, mais bien comme le centre de ces régulations. D’autre part, la notion de démocratie industrielle représente un point de contact entre « les principes et les procédures de la démocratie politique et la sphère industrielle » (King, van de Vall, 1978, p. 4). Cette homologie place l’analyse du rapport au politique des acteurs des relations professionnelles au centre de la comparaison des dynamiques de transformation des formes d’organisation du pouvoir dans l’entreprise et permet, à l’inverse, d’envisager l’ouverture du champ politique – au sens institutionnel du terme – sur les acteurs des relations professionnelles, et plus largement, de l’entreprise.

L’enjeu de la dynamique de la démocratie industrielle entendue comme celle des relations de pouvoir dans l’entreprise est ainsi celui que nous avons retenu et qui nous a permis de travailler non seulement sur les débats qui ont préparé les réformes importantes intervenues en ce domaine dans les deux pays à la période qui nous intéresse (Loi sur la co-détermination sur le lieu de travail – 1972 –, Loi sur la co-détermination dans l’entreprise – 1976 – et Lois Auroux en France – 1982) mais également sur leurs processus d’institutionnalisation.

Eléments de méthode

Travailler sur les relations entre les acteurs sociaux et l’Etat impliquait de ne pas appréhender ce dernier comme une entité abstraite mais de le décomposer en trois éléments : les partis politiques et la part qu’il font dans leurs orientations aux propositions syndicales et patronales ; gouvernements et parlements et leurs modes de concertation avec les acteurs des relations professionnelles dans l’élaboration des décisions ; les administrations du travail et leur action de préparation et de mobilisation des acteurs dans l’élaboration et la mise en œuvre des réformes. L’orientation principale du programme de recherche financé dans le cadre du Centenaire du Ministère du Travail en France a en l’occurrence fourni une occasion particulièrement stimulante de s’intéresser de façon comparative au positionnement de cette institution des deux côtés du Rhin.

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Dans les deux pays en effet, le Ministère du travail joue un rôle important à la fois d’accompagnement de la mise en œuvre des mesures existantes, mais aussi de préparation des réformes à venir – d’encadrement des débats. Ce travail a requis de faire appel à différentes méthodes d’investigation.

L’ampleur des enjeux en cause et des débats nous a conduit à réaliser deux types de travaux. Dans un premier temps, nous avons procédé à un travail de cartographie et de chronologie des débats. Les acteurs impliqués, les thématiques, les controverses, les projets d’institutionnalisation, les influences réciproques, etc. ont été relevés systématiquement, à la fois au moyen d’une analyse serrée de la littérature existante sur la question et aussi – plus dans le cas de la France que dans le cas de l’Allemagne – par un travail d’entretiens auprès d’acteurs ou de grands témoins de l’époque1. Ce premier travail de repérage une fois effectué, il était plus aisé de saisir les rôles respectifs du Ministère du travail et des autres acteurs sociaux dans l’ensemble du débat.

Dans chacun des deux pays, un dépouillement des archives du ministère du travail concernant l’organisation des rapports de pouvoir dans l’entreprise a été réalisé. Dans le cas de la France, ces archives se sont avérées particulièrement riches jusqu’au milieu des années 70 et nous les avons complétées par des fonds d’archives syndicaux. Dans le cas allemand, les fonds d’archives du Ministère fédéral du travail sont homogènes d’un bout à l’autre de la période. Le dépouillement de ces fonds a été toutefois complété par celui des archives de la Chancellerie fédérale concernant les enjeux de la démocratie industrielle, ainsi que par le dépouillement du fond personnel de Karl Schiller, en raison du rôle clé joué par ce personnage, notamment, à partir de 1967, date de lancement de l’action concertée.

En dépit de certaines spécificités de présentation, les monographies françaises et allemandes valorisent une grille d’analyse commune. Elle porte sur l’analyse des discours et des positions d’acteurs en présence, sur la préparation et la réalisation de la phase d’institutionnalisation et enfin sur l’interprétation du rôle du Ministère du travail au long de ces différentes étapes.

C’est à la remise en perspective des trajectoires d’institutionnalisation de la démocratie industrielle en les resituant dans les dynamiques historiques et les dynamiques d’acteurs propres à chacun des systèmes que nous nous attacherons dans le reste de cette note de résumé. Nous nous intéresserons donc successivement aux mécanismes macro économiques de la concertation sociale (1), aux modes de constitution et de rapports à la sphère politique des acteurs syndicaux et patronaux (2), aux capacités d’action des instances représentatives du personnel (3), aux modes d’intervention du Ministère du travail (4) et enfin aux logiques politiques qui conditionnent les formes prises par cette institutionnalisation (5).

1. LES MECANISMES MACROECONOMIQUES D’EXPERTISE ET DE CONCERTATION SOCIALE

L’association des partenaires sociaux à la régulation de l’économie est une préoccupation présente dans les deux pays après 1945. L’objectif est d’élargir, au-delà des spécialistes scientifiques ou économiques le champ de l’expertise qui concourt à la prise de décision. Elle se fait généralement dans des instances réunissant ces différents types d’experts, mais leurs statuts sont notablement différents d’un pays à l’autre.

En France, dans le contexte de la reconstruction, le Plan est d’abord, pour reprendre l’expression gaulliste, une « ardente obligation » susceptible de mobiliser les énergies en fixant notamment des objectifs de croissance. Toutefois quelques années plus tard, au tournant des années soixante,

1 C’est ainsi que nous avons notamment interviewé un certain nombre des protagonistes de la commission Sudreau ainsi qu’un ancien Directeur des relations du travail et des responsables syndicaux actifs dans la période étudiée. Nous avons également pu avoir accès aux archives orales recueillies auprès d’un certain nombre de responsables de l’administration par P. Maclouf (Maclouf 2006).

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il s’insère dans un dessein réformiste dans lequel il s’agit, par des mécanismes de concertation sociale, d’associer les acteurs sociaux à égalité avec les ingénieurs sociaux, que sont les économistes et les statisticiens, à l’élaboration de visions prospectives. Alors que le modèle de relations sociales français est encore largement inscrit dans une logique de conflit, cette concertation a pour les réformateurs une visée de renforcement de la cohésion sociale autour d’une « prédiction créatrice » (Delors 1965 op.cit) dont les effets pourraient se propager jusqu’au niveau de l’entreprise.

En Allemagne, la création d’un corps d’experts à même d’éclairer la situation économique et sociale du pays sera soulevée dès 1956 par le « Conseil Economique auprès du Ministre de l’Economie 2». Le Ministre de l’Economie de la Grande Coalition Karl Schiller poursuit ce même effort lorsqu’il met en place l’Action Concertée en 1967. Le gouvernement fédéral fait de même en convoquant la Commission sur la Co-détermination. La grande coalition ne parvient pas à intégrer l’ensemble des forces sociales, ce que les grèves sauvages de 1969 révèlent clairement. Le modèle allemand de gestion macro-sociale par l’implication des grands acteurs sociaux a été renforcé par l’épisode de l’action concertée. La mobilisation d’une expertise cartellisée et des acteurs sociaux par la négociation ou au moins la consultation en amont, et sur le long terme, sont restées des caractéristiques fortes de la réforme sociopolitique, au niveau global, comme dans les différents secteurs d’action publique.

2. ACTEURS ET DEBATS DES DEUX COTES DU RHIN : LE POSITIONNEMENT DES ACTEURS SYNDICAUX ET PATRONAUX S’ARTICULE A DES VISIONS OPPOSEES DES DYNAMIQUES DE CHANGEMENT POLITIQUE

De part et d’autre du Rhin les débats sont portés par des acteurs le plus souvent similaires dont les positions s’ancrent dans des traditions historiques différentes qui éclairent leurs positionnements divergents. Toutefois, leurs poids respectifs ainsi que des organisations structurelles bien différenciées marquent les configurations nationales.

L’unité syndicale constitue en Allemagne un avantage politique déterminant, alors que le mouvement syndical joue un rôle moteur dans la réforme de la démocratie industrielle. En France, se dessine une situation plus complexe dans laquelle des réseaux moins structurés partent de l’Etat ou de la haute fonction publique pour se diffuser dans la société, et rejoindre en partie par la suite les initiatives qui émergent du camp syndical.

Avec un même objectif patronal de neutralisation du syndicat dans l’entreprise, les pratiques développées par les organisations patronales des deux pays s’insèrent dans des visions différentes sinon opposées de la place des salariés et de leurs représentants dans la régulation des relations collectives de travail dans l’entreprise.

Les modes d’intervention des autres acteurs sont également différenciés. Dans les deux pays, les partis politiques interviennent dans le débat, mais avec une intensité quelque peu différente. En France, certes le programme commun contient des propositions en matière de démocratie industrielle mais leur explicitation détaillée est laissée aux syndicats dans une sorte de partage des rôles. En Allemagne, l’intervention syndicale dans le débat apparaît plus directe. La part prise par les réseaux politiques est également d’ampleur différente. En France, ils ont été assez actifs en particulier dans les années 60.

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3. DES CAPACITES D’ACTION DIFFERENCIEES DES INSTANCES DANS L’ENTREPRISE

A la fin des années 70, les réponses apportées à la revendication de représentation salariale dans l’entreprise diffèrent sensiblement dans les deux pays. En Allemagne, les effets combinés non prévus des lois de 1972 et de 1976 ont renforcé la reconnaissance syndicale dans l’entreprise, au travers de Betriebsräte, et l’approfondissement de la participation syndicale à la gestion. En France, les comités d’entreprises résultent dès l’origine d’une volonté d’impliquer les représentants des salariés dans la démocratie économique.

Les formes de conflictualité différenciées en France et en Allemagne viennent renforcer le poids des dispositifs institutionnels développés de part et d’autre du Rhin. En Allemagne, les possibilités réelles ouvertes par les différents dispositifs de co-détermination sont souvent investies de façon volontaire et professionnelle par des représentants salariaux qui adoptent une attitude constructive. Ces mesures contribuent à rejeter les conflits qui résultent d’un affrontement quasi structurel entre salariés et employeurs, en dehors du terrain de l’entreprise. En France, l’implication des représentants salariés dans la stratégie d’entreprise est souvent moindre. En dépit d’une culture syndicale et du monde ouvrier, largement hostile à toute forme d’association avec le patronat, l’orientation générale et les pratiques des structures de représentation des salariés français sont plutôt coopérative comme en Allemagne.

4. LE MINISTERE DU TRAVAIL : UN ROLE ACTIF DE PART ET D’AUTRE DU RHIN

Dans les deux pays les gouvernements ont des objectifs en matière d’organisation du pouvoir dans l’entreprise qui s’inscrivent dans des visions sociétales mais ces objectifs occupent rarement la première place de l’agenda gouvernemental.

En France, dès la Libération, les droits des CE sont partie intégrante d’un grand projet de démocratie sociale et le dessein gaulliste d’Association capital-travail tente de se mettre en place. Une fois les principes acquis (1945-46 pour les CE ; ordonnances de 1959 pour l’Association), il s’agira pour les gouvernements successifs de les consolider. Mais jusqu’à la fin des années 60, cette consolidation ou l’extension de ces dispositifs ne constituent pas la priorité des gouvernements successifs, la priorité étant à la modernisation économique. Au milieu des années 70, avec l’arrivée au pouvoir d’une classe politique moderniste, la réforme de l’entreprise assortie d’une meilleure répartition des pouvoirs entre salariés et employeurs occupe le débat idéologique mais la priorité gouvernementale est de fait à l’emploi.

En Allemagne, l’Etat se constituera via la Loi Fondamentale en posant presque concomitamment l’autonomie tarifaire via une première loi sur les négociations tarifaires de 1949. La volonté de ne pas s’immiscer dans les négociations ne sera jamais remise en cause. On doit par ailleurs à la Grande Coalition et à la forte autorité du Ministre de l’Economie d’alors Karl Schiller la volonté d’associer plus étroitement les partenaires sociaux aux grandes décisions macro-économiques. Peut-être pour compenser cette place secondaire dans l’agenda politique, les ministres du travail sont dans les deux configurations nationales des personnalités originales ayant une ouverture sociale et un projet en matière de relations industrielles. En Allemagne, on constate une plus grande porosité entre le monde syndical et les milieux gouvernementaux. Dans les deux pays, le Ministère du travail joue, à travers des coopérations étroites entre la sphère des relations industrielles et des réseaux politiques, un rôle actif dans l’élaboration des compromis. Le Ministère met également à disposition ses moyens techniques et juridiques. Dans les deux pays, des réseaux sont alimentés de projets, propositions ou de données ou autres éléments de connaissance dans le but de faire avancer le dossier.

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Côté français, la stratégie des acteurs de la sphère politique est hésitante faute de consensus dans la société –multiplicité des visions politiques mais aussi des visions syndicales – sur le contenu de l’organisation des pouvoirs dans l’entreprise, sur son importance dans les agendas, même si les ministres du travail successifs s’impliquent fortement pour faire avancer la reconnaissance institutionnelle des syndicats. Les services administratifs jouent un rôle d’expertise juridique dans laquelle ils cherchent d’abord à faire prévaloir la stabilité des dispositifs antérieurs. L’activité du ministère reste importante au moment de la mise en œuvre des dispositifs arrêtés. Les circulaires d’application, et le travail administratif dans son ensemble permettent d’influencer la mise en œuvre dans un sens ou l’autre de façon importante. Les dispositifs ne s’arrêtent pas à la loi mais englobent l’ensemble des « textes » (Maclouf, 2007).

Côté allemand, l’expertise juridique des départements ministériels qui accompagnent le développement de l’activité conventionnelle est mise à disposition du politique. À ce dernier niveau, les Ministres, en particulier lorsqu’ils appartiennent au SPD, s’impliquent fortement pour l’extension de la codétermination et leur travail de popularisation de cet enjeu vient renforcer celui fait par le syndicat. Le Ministère du travail a veillé à ce que les lois portant sur la co-détermination dans l’entreprise ou sur le lieu de travail soient à «équidistance » des intérêts des patrons et des syndicats.

5. UNE CERTAINE SIMILARITE DANS LES DYNAMIQUES FINALES D’INSTITUTIONNALISATION

Dans les deux pays, en dépit de différences importantes dans les systèmes de concertation, la prise de pouvoir dans l’arène politique est une condition nécessaire (mais non suffisante) à l’élaboration définitive des textes. En effet, l’organisation des pouvoirs dans l’entreprise est une réforme symbolique de l’identité des organisations de la gauche politique et syndicale dans les deux configurations nationales. C’est donc leur présence au pouvoir dans l’arène politique qui conditionne l’institutionnalisation. Mais les fenêtres d’opportunités pour des réformes majeures se produisent à des moments différents suivant les capacités politiques des gouvernements : si elles se placent directement dans la dynamique de l’alternance politique en France après 1981, en Allemagne, l’alternance politique s’inscrit dans un processus plus complexe. Dès le milieu des années 60, le DGB exerce des pressions très fortes sur le SPD pour imposer l’extension de la co-détermination dans le programme du parti. Le partenaire mineur de la coalition avec lequel il accède au pouvoir à l’issue de la grande coalition en 1969 – le parti libéral FDP - est en effet au moins aussi opposé à l’extension de la co-détermination à toutes les grandes entreprises que ne l’est la CDU. Le SPD est alors aux prises avec des alliances fortement contradictoires entre le DGB et le FDP et ne parvient pas à imposer aux Libéraux la réforme de la Mitbestimmung avant les élections fédérales de 1971 qui lui confèrent un surcroît de légitimité. Jusqu’au bout du processus de négociation concernant la co-détermination dans l’entreprise, les Libéraux du FDP retardent l’avancée du dossier et s’opposent pied à pied sur tous les éléments qui permettraient de réaliser l’objectif syndical de co-détermination paritaire intégrale. Ainsi côté allemand, le compromis doit être réinventé au sein de la coalition gouvernementale, sur la base des promesses faites au syndicat.

En France, dans ces décennies 60 et 70 où des gouvernements conservateurs sont au pouvoir de façon continue, les avancées notables des droits des salariés n’interviennent que consécutivement à des crises sociales majeures (mai 1968) ou des ruptures politiques (alternance de 1981). Les organisations syndicales réussissent alors à faire aboutir des réformes présentes de longue date dans leurs programmes : elles participent alors directement à l’élaboration des lois par leurs contacts fréquents avec les cabinets ministériels en particulier celui du Ministre du Travail puis avec les groupes parlementaires. Hors de ces moments de rupture, les organisations patronales

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exercent des pressions, sur le gouvernement et/ou sur les députés libéraux pour freiner, au nom des nécessités de la compétitivité des entreprises, les éventuelles initiatives gouvernementales.

L’ensemble des résultats de ce travail sur les processus d’institutionnalisation de l’organisation des pouvoirs dans l’entreprise invite à réinterroger le stéréotype opposant l’interventionnisme étatique français à l’autonomie des partenaires sociaux d’outre-Rhin. L’État est bien présent dans les deux pays tant au niveau politique qu’au niveau technique. Mais en Allemagne, l’action publique vient en appui d’une stratégie syndicale unifiée alors qu’en France elle pallie l’absence de vision syndicale coordonnée ainsi qu’une faible mobilisation des acteurs syndicaux sur le terrain. Dans l’impuissance à faire aboutir leurs revendications sans conquête du pouvoir politique par la gauche, les syndicats français s’en remettent à la régulation étatique et éprouvent des difficultés à investir les espaces de démocratie ouverts dans les entreprises. En Allemagne au contraire, les acteurs de terrain, formés, coordonnés, animés par les centrales syndicales ont dès les années 60 cherché à imposer un fonctionnement raisonné des instances de co-détermination sur le lieu de travail. De part et d’autre du Rhin, les différences de mobilisation idéologique éclairent l’orientation et le niveau d’investissement des espaces de pouvoir. En France, les avancées en matière de démocratie industrielle se jouent plus volontiers dans l’arène politique. En Allemagne, par contraste, les acteurs syndicaux, sans délaisser ce terrain puisqu’ils jouent de leur influence notamment sur le SPD, investissent les entreprises et en font un terrain d’action pour défendre leur vision politique de la démocratie industrielle. Ces conceptions différenciées des liens entre action et horizon de réforme sociale et politique sont bien au cœur des formes contrastées dont syndicats allemands et français conçoivent leurs places.

Références :

DELORS J. (1965), « Planification et réalités syndicales », Droit Social, n° 3, mars, p. 154-160. KING C ., VAN DE VALL (1978). Models of Industrial Democracy : Consultation, Co-Determination, and Workers’ Management. Mouton. La Haye.

MACLOUF P. (2006), archives orales du ministère du travail, Fond P. Maclouf

MACLOUF P. (2007), « Fonctionnaires au Travail : bureaucratie et personnalité au ministère du Travail dans la période de son cinquantenaire », Travail et Emploi, n° 110, avril-juin, p. 47-76 SCHROEDER W. (2000), Das Modell Deutschland auf dem Prüfstand – Zur Entwicklung der industriellen Beziehungen in Deutschland. Wiesbaden, Westdeutscher Verlag.

TALLARD M. (2004), Action publique et régulation de branche de la relation salariale, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques politiques.

WEBB B., WEBB S. (1897), Industrial democracy, Londres, 1897, (Réed. Senty Press, New York, 1965).

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Cette recherché a donné lieu aux publications suivantes dans le cadre du Centenaire du Ministère du Travail

- Dupré M., Giraud O., Tallard M., Vincent C., (2006), « L’État et les acteurs sociaux face à la démocratie industrielle en France et en Allemagne», in Chatriot A., Join-Lambert O., Viet V., Les politiques du travail (1906-2006), acteurs institutions, réseaux, Presses Universitaires de Rennes, décembre, p. 343-358.

- Giraud O., Tallard M., Vincent C. (2007), « Processus d’institutionnalisation de la démocratie industrielle et crises sociales en France et en Allemagne à la fin des années soixante », Travail et Emploi, n° 111, juillet-septembre, p. 39-52.

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