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L'État social au Chili sous le prisme des politiques de l'enfance : continuités et inflexions 1973-2013

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L’État social au Chili sous le prisme des politiques de

l’enfance : continuités et inflexions 1973-2013

Paula Cubillos Celis

To cite this version:

Paula Cubillos Celis. L’État social au Chili sous le prisme des politiques de l’enfance : continuités et inflexions 1973-2013. Sociologie. Université Sorbonne Paris Cité, 2017. Français. �NNT : 2017US-PCB183�. �tel-02191450�

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Université Paris Descartes

Ecole doctorale Sciences Humaines et Sociales 180

Laboratoire CERLIS

L’État social au Chili sous le

prisme des politiques de

l’enfance :

Continuités et inflexions 1973-2013

Par Paula Cubillos Celis

Thèse de doctorat de Sociologie

Dirigée par Danilo Martuccelli

Présentée et soutenue publiquement le 26 septembre 2017

Devant un jury composé de :

Duvoux, Nicolas, Rapporteur ; Soulet, Marc-Henry, Rapporteur ;

Bataillon, Gilles, Directeur de recherche ; Destremau, Blandine, Directeur de recherche ; Lefèvre, Cécile, Professeur des Universités

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Remerciements

Rédiger des remerciements pour un travail si intense n’est jamais tâche facile. Au risque d’exclure des personnes qui m’ont accompagnée tout au long de ces quatre années, je tiens pourtant à remercier celles qui ont « subi » ma ténacité, sans oublier tous ceux qui m’ont aussi permis de me consacrer à la belle aventure de devenir chercheuse.

Tout d’abord, je remercie mes deux beaux compagnons : Pedro et notre fils, Camilo Newen. Merci de m’avoir supportée, de m’avoir laissé « me laisser aller » dans les couloirs, si lointains parfois, de la réflexion (et de m’éloigner ainsi de la vie quotidienne). Je remercie, dans une même échelle de priorité, Danilo Martuccelli. Je le remercie de son ironie, de sa provocation constante, de sa rigueur, de ses blagues, de ses commentaires sans concessions et de me pousser tout le temps à aller plus loin. Je remercie Danilo de m’avoir accompagnée de près, faisant montre d’une générosité énorme, de m’avoir aidée d’une manière professionnelle et tendre, à mesurer mes impulsions et à devenir celle que je suis aujourd’hui… Grâce à lui, cette expérience de formation est aussi une formation de vie.

Je remercie spécialement mes camarades, Natalia et Rodrigo, qui ont fait de ce travail une aventure collective, partagée et fraternelle. Merci, les copains, pour votre réflexion, nos différences, votre soutien et pour freiner mes angoisses. Vous faites partie de cette thèse. Pour son soutien, de si loin mais tout aussi proche, je remercie ma famille au Chili : maman, papa, ma sœur Mary Paz, merci de votre soutien permanent et sans relâche…merci de toujours me faire confiance.

Je remercie le CERLIS de m’avoir accueillie et de m’avoir apporté son soutien dans les activités de formation « autogérée » menées au sein du laboratoire, notamment dans l’atelier sur l’Amérique latine. Mes remerciements à l’École Doctorale SHS pour faciliter les démarches vers le Chili. Un grand merci à la Beca Chile qui m’a permis de me consacrer en exclusivité à ma thèse entre 2014 et 2017.

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Résumé (français) :

Les transformations de l’État social au Chili, suite à la restructuration politico-économique consubstantielle à la dictature militaire (1973-1990), ont fait l’objet d’un intense débat. Cependant, les transformations survenues depuis 1973 dans la relation entre l’État, le marché et la société civile, concernant l’accès aux droits, sont à situer dans une structure de distribution inégale des droits qui s’est forgée tout au long du XXe siècle. Cette philosophie de l’État social, et son rapport aux individus, se caractérise par la classification des bénéficiaires : des porteurs de droits et des récepteurs de l’assistance. Ce système s’organise à partir de la configuration de deux voies d’accès à la protection, en relation directe avec la participation au marché et se caractérise par la dimension privatisée de la conception de la solidarité, soit à travers la famille soit à travers la philanthropie.

Le processus de néo-libéralisation introduira trois inflexions dans ce modèle : la libéralisation des secteurs sociaux qui va perfectionner le système de collaboration public-privé ; la technocratisation de la prise de décisions et de l’intervention ; le changement de la nature du ciblage comme mécanisme de justice sociale. Ainsi, le modèle de distribution inégale des droits, majoré par la mise en place de l’État résiduel pendant la dictature puis par la sophistication des politiques de ciblage pendant la démocratie, va prendre forme, notamment sur le plan de la gestion sociale de l’enfance. Les politiques de la santé, de l’éducation et de la protection spécialisée reflètent ce modèle de continuité et les inflexions néolibérales. Il s’agit de la reconfiguration de l’État social sous tension : le rôle fort régulateur qui accompagne la libéralisation des secteurs sociaux est ancré progressivement dans un discours des droits sociaux qui fait écho aux processus de démocratisation vécus par le pays, à partir de 1990. L’objectif de cette recherche est de réfléchir sur les formes que l’État social adopte à partir de la restructuration politico-économique du pays ainsi que de retracer ces transformations dans un cadre sociopolitique et historique. De cette façon, nous nous consacrerons à l’analyse des reconfigurations du social et du politique dans la nouvelle donne, à partir de l’étude des politiques sociales menées envers l’enfance.

Summary (English):

The transformations of the Chilean Welfare State, following the political-economic restructuration after the military dictatorship (1973-1990), have been the core of an intense

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debate. However, the transformations taking place since 1973 in the relationship between the State, the market, and civil society, regarding the access to rights, lie in a structure of unequal distribution of rights forged throughout the 20th century. This philosophy of the Welfare State and its relation to individuals is characterized by the classification of beneficiaries: the bearers of rights and the recipients of assistance. This system is organized based on the configuration of two mechanisms of access to social protection, with the direct participation of the market, and which is characterized by the privatized dimension of the solidarity conception, either through the family or through the philanthropy.

The neo-liberalization process introduces three changes to this model: the liberalization of the social sectors, which improves the public-private collaboration system; the technocratic development of the decision-making process and the intervention process; and the change of targeting as a mechanism of social justice. Thus, the model of unequal distribution of rights, enhanced by the establishment of a residual state during the dictatorship and then by the sophistication of targeting policies during the democratic period, takes shape, particularly, in terms of the social management of childhood. The policies of health, education, and specialized protection, crystallize a model of continuity and neoliberal inflections. This is the reconfiguration of the Welfare State as a tension: the strong regulatory role that accompanies the liberalization of the social sectors is gradually anchored on a discourse of social rights that reflects the processes of democratization experienced by the country since 1990.

The objective of this research is to reflect on the forms that the Welfare State adopts from the political-economic restructuration of the country and to trace these transformations in a socio-political and historical framework. In this way, this study seeks to analyze the reconfigurations of social and political process, from an empirical regard, discussing the studies of social policies towards the childhood.

Resumen (español):

Las transformaciones del Estado social de Chile luego de la restructuración político-económica realizada por la dictadura militar (1973-1990), ha sido objeto de un intenso debate. Sin embargo, las transformaciones realizadas desde 1973 en la relación entre el Estado, el mercado y la sociedad civil respecto al acceso a los derechos, se sitúan en una estructura de distribución desigual de derechos, forjada a lo largo del siglo XX. Esta filosofía del Estado social y su relación con los individuos, se caracteriza por la clasificación de beneficiarios: de un lado los

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portadores de derechos y del otro, los receptores de asistencia. Este sistema se organiza a partir de la configuración de dos vías de acceso a la protección, en relación directa con la participación en el mercado, y se caracteriza por la dimensión privatizada de la concepción de la solidaridad, sea a través de la familia o de la filantropía.

El proceso de neo-liberalización introducirá tres inflexiones a ese modelo: la liberalización de los sectores sociales, que perfeccionará el sistema de colaboración público-privada; la tecnocratización de la toma de decisiones y de la intervención; el cambio en la naturaleza de la focalización, en tanto mecanismo de justicia social. De esta manera, el modelo de distribución desigual de derechos, aumentado por la implementación del Estado residual en dictadura, y luego por la sofisticación de la focalización en democracia, toma forma especialmente en el plano de la gestión social de la infancia. Las políticas de salud, educación y protección especializada, reflejan tanto este modelo de continuidad como las inflexiones neoliberales. Se trata de una reconfiguración del Estado social bajo tensión: el rol fuertemente regulador que acompaña la liberalización de los sectores sociales, está anclado progresivamente en un discurso sobre los derechos sociales que hace eco de los procesos de democratización vividos por el país desde 1990.

El objetivo de esta investigación es reflexionar sobre las formas que adopta el Estado social a partir de la restructuración político-económica del país, tanto como trazar esas transformaciones en un marco político-histórico. De esta manera, nos interesamos al análisis sobre las reconfiguraciones de lo social y lo político en el nuevo escenario, a partir del estudio de las políticas de infancia.

Mots clés (français) : État social, politiques sociales, enfance, Chili Keywords: Welfare State, social policy, chilhood, Chile

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION ... 9

PARTIE I: VERS UNE CARTOGRAPHIE DE LA DISTRIBUTION DE L’ACCÈS AUX DROITS DANS LE CHILI REPUBLICAIN (1810-1973) ... 25

CHAPITRE I:LA CONFIGURATION DE L’ÉTAT SOCIAL ... 28

CHAPITRE 2:DEUX RESEAUX DE PROTECTION SOCIALE :VERS UNE ANALYSE DE LA STRUCTURE D’ACCES AUX DROITS 46 CONCLUSIONS ... 67

PARTIE II: LA REFONDATION DU CHILI : LA DICTATURE ET LE RÉCIT DE LA DÉPOSSESSION (1973-1989) ... 69

CHAPITRE 3:LES ENJEUX POLITICO-ECONOMIQUES DE L´IMPLANTATION DU MODELE ... 72

CHAPITRE 4:LA GRANDE STRATEGIE :L’ÉTAT RESIDUEL AUTORITAIRE ... 93

CHAPITRE 5:LA PROTECTION SPECIALISEE ET L’ENFANCE PAUVRE :LA MARCHANDISATION DE L’IRREGULARITE SOCIALE ... 106

CHAPITRE 6:LA SANTE DE L’ENFANCE AU CŒUR DE LA MISSION MILITAIRE ... 131

CHAPITRE 7:LA REFORME DE L’EDUCATION :LA LIBERALISATION DU SYSTEME ET LA FIN DE L’ÉTAT ENSEIGNANT ... 154

CONCLUSIONS:UN RETOUR AU « MOULIN SATANIQUE » :VERS UNE CONCLUSION DES REFORMES MILITAIRES ... 175

PARTIE III: LA GESTION DÉMOCRATIQUE DU MODÈLE ... 179

CHAPITRE 8:LA MISSION CONCERTEE :LA LEGITIMATION DU MODELE PAR LA VOIE DEMOCRATIQUE ... 182

CHAPITRE 9:LA DETTE SOCIALE ET L’ÉTAT RESIDUEL MAJORE ... 199

CHAPITRE 10:LA TRANSITION ET LA CONVENTION :DEMOCRATISATION ET PRIVATISATION DES DROITS DANS LA PROTECTION SPECIALISEE DE L’ENFANCE ... 214

CHAPITRE 11:L’ETAT DE SANTE DE L’ENFANCE PENDANT LA TRANSITION ... 239

CHAPITRE 12: L’ŒUVRE FINALE ET LA CONSECRATION DE L’EDUCATION DE MARCHE SOUS LE SIGNE DE L’EQUITE ... 257

CONCLUSIONS:VERS UNE RELECTURE DE LA TRANSITION SOCIALE DU CHILI ... 284

PARTIE IV: LA CONSOLIDATION DÉMOCRATIQUE DU CHILI NÉOLIBERAL ... 288

CHAPITRE 13:LE RETOUR DE LA CONTESTATION SOCIALE ET DE L’ÉTAT DE PROTECTION ... 291

CHAPITRE 14:LA RECONFIGURATION DU SOCIAL SOUS LE SIGNE DE L’EGALITE DES CHANCES ... 310

CHAPITRE 15:LA REFORME DE LA TUTELLE ET LA POLITIQUE DE LA CONSOLIDATION ... 325

CHAPITRE 16:LA SANTE DANS LE PARADIGME DE LA PROTECTION SOCIALE ... 352

CHAPITRE 17:LA REGULATION ET L’EVALUATION DU MARCHE DE L’EDUCATION :LA NOUVELLE CASQUETTE DE L’ÉTAT SOCIAL DEMOCRATIQUE ... 377

CONCLUSIONS:LES SPECTRES DE L’ÉTAT RESIDUEL : L’HERITAGE DU MESSIANISME ... 399

CONCLUSION: SUR LA RECONFIGURATION DE L’ÉTAT SOCIAL AU CHILI ET LE SENS DU POLITIQUE .... ………..402

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ANNEXE N°1 ... 426

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Introduction

Les transformations de l’État social au Chili, conséquences de la restructuration politico-économique instaurée par la dictature militaire de Pinochet (1973-1990), ont fait l’objet d’un intense débat tant au Chili qu’à l’étranger. La restructuration néolibérale a en effet transformé en profondeur l’activité de régulation et de protection de l’État, notamment l’articulation des relations entre cet État, le marché, les individus et les familles.

Mes recherches, dont cette thèse est l’aboutissement, présentent l’analyse de 40 ans de transformations de l’État social au Chili, transformations effectuées notamment à partir des politiques sociales pour l’enfance, depuis 1973 jusqu’à 2013. Nous abordons cette large période car elle représente la phase d’expérimentation, d’installation et de consolidation du modèle d’économie monétariste ou économie sociale du marché, donc le néolibéralisme. Ce changement de paradigme économique bouleverse la sphère politique, notamment du fait que son implantation a lieu dans le cadre d’une dictature militaire, qui impose le modèle d’expérimentation dans un contexte fortement répressif. Toutefois, l’installation définitive du modèle, étant contemporaine du défi de la récupération du régime démocratique, se met aussi en place au sortir de la période sombre du régime militaire.

Le processus d’installation et de légitimation de ladite expérimentation socioéconomique n’est pas tâche facile, dans la mesure où celle-ci engendre des transformations substantielles dans les façons d’appréhender le social. Dans cette perspective, notre hypothèse est que tout en s’inscrivant dans la continuité de l’histoire sociale chilienne et de l’existence d’une structure de distribution inégale de l’accès aux droits, la restructuration néolibérale impose des inflexions qui lui sont propres dans le rapport entre l’État social et les individus, marqué par une dépolitisation inédite des questions sociales.

Par conséquent, l’on peut considérer que ce modèle historique de distribution inégale des droits a été amplifié par la mise en place de l’État résiduel pendant la dictature, puis par la sophistication des politiques de ciblage pendant la démocratie (1990-2013). Ainsi, bien que la reconfiguration socioéconomique et politique du néolibéralisme autoritaire change les formes de l’État social tel qu’il existait jusque-là, la structure de distribution inégale de l’accès aux droits devient sa condition de possibilité. Or, les inflexions de l’État social néolibéral ont trouvé

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un terrain de prédilection dans la gestion sociale de l’enfance. Le résultat en est un État social sous tension, plus que jamais tiraillé entre des orientations différentes.

En partant de ce cadre historique et d’une analyse critique des dispositifs mis en place par les secteurs emblématiques des politiques de l’enfance - notamment la santé, l’éducation et la protection spécialisée -, cette thèse s’interroge sur la nature de l’État social propre au néolibéralisme chilien. Peut-on parler d’un État social propre au néolibéralisme ? Et, si c’est le cas, quelles en sont les caractéristiques ? L’enjeu central est ici de mettre en évidence la reconfiguration du social et du politique actuellement en œuvre.

La configuration d’un système de protection sociale et de l’État social au Chili résulte d’un long processus de rencontres et de conventions, de luttes et de conflits, entremêlé à l’histoire même de la République. On divise ce processus en trois grandes phases : tout d’abord, la configuration de l’État et du social (1810-1920) ; ensuite, la phase d’articulation de l’État social et du modèle de développement (1920-1950) ; enfin, la phase de la crise du modèle et des réformes (1950-1973). L’analyse de ces processus socio-historiques au Chili nous mènera à la description d’une formation basée sur deux voies ou réseaux d’accès aux droits, caractérisés par deux traits principaux : la centralité du rôle de la famille et l’alliance public-privé.

À la lumière de cette interprétation sociohistorique, l’intérêt de cette thèse est de retracer la manière dont l’État du Chili gère, depuis 40 ans (1973-2013), les politiques de l’enfance dans le domaine de la protection sociale, dans le contexte du nouveau modèle économique implanté à partir de 1973. Il s’agit d’observer les changements, les continuités et les ruptures au sein des différentes administrations du modèle néolibéral, concernant la structure historique de distribution de l’accès aux droits, ainsi que dans l’articulation de la triade État, marché et famille/individu. L’objectif de cette thèse est donc d’analyser l’action de l’État chilien par rapport à la protection de l’enfance, depuis l’installation du modèle néolibéral jusqu’à sa consolidation démocratique. Dans cet objectif, nous analyserons : les continuités et les ruptures entre les différentes administrations politiques par rapport à la construction du modèle de protection des droits ; la philosophie du social configurée par chaque période ; la forme de l’État social dans la logique néolibérale, cristallisée sur les sphères politique et économique. Notre propos est de contribuer à la réflexion sur la reconfiguration des relations entre l’État social, le marché et les individus dans un contexte néolibéral, à partir de l’expérience chilienne.

Dans ce sens, les politiques de l’enfance constituent un créneau historique d’intervention de l’État qui nous permet d’analyser l’action publique en perspective ainsi que d’identifier un terrain d’action étatique de prédilection pendant les périodes étudiées. L’intérêt politique porté à l’enfance incitera l’État à réaliser des dépenses d’une ampleur considérable et ce, depuis la

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dictature, malgré la philosophie résiduelle pratiquée par le régime militaire. Une question s’impose alors : Pourquoi l’enfance prendra-t-elle une place centrale dans les investissements publics en pleine époque de restriction de l’intervention directe de l’État ? La cible que représente cette population spécifique nous montre comment, tout au long de la mise en place de l’État social néolibéral, l’action se concentre sur une conception d’investissement par l’intégration des individus au marché.

Cet intérêt se manifeste de façon exponentielle autour de l’enfance, concernant notamment les volets psychologique, sociologique et économique de ce domaine d’intervention. Quant aux arguments psychologiques, les premières années de vie d’un enfant sont fondamentales pour le développement des aptitudes affectives, cognitives et sociales. Pour ce qui est de la sociologie, l’intérêt sur l’enfance consiste à cerner une catégorie sociale qui dépasse la simple manifestation d’une tranche d’âge et qui devient cruciale pour le déploiement des stratégies de développement social, qui permettront de réduire la pauvreté et les inégalités. Enfin, le volet économique cible l’enfance par rapport aux possibilités de retour et de rendement des investissements effectués, visibles par la suite sur le marché du travail.

Enfin, à partir du décryptage des sens de l’action de l’État du Chili envers l’enfance, en tant que catégorie cible de la période 1973-2013, nous chercherons à comprendre ce qui a changé sur le plan social à partir de l’installation du néolibéralisme. Comment l’État social se repositionne-t-il ? Comment le social se réarticule-t-il à partir des transformations de la sphère politique et économique ? Le parcours de 40 ans d’histoire contemporaine du Chili nous illustrera ce processus axé sur l’action envers l’enfance, en illustrant ainsi le présent et l’avenir du modèle.

Des recherches ont certes été menées dans le domaine des changements opérés dans la politique de la protection de l’enfance au Chili, notamment à partir de la signature de la Convention Internationale des Droits de l’Enfance et l’Adolescent, en 1990. Cependant la plupart des études focalisent leur attention sur les degrés de réalisation des droits économiques, sociaux et culturels des enfants dans le contexte néolibéral, sans proposer de lecture globale sur le sens du social ni sur la philosophie de la protection suivie dans ce cadre. D’où notre intérêt pour cerner les politiques sociales de protection en partant de la lecture du phénomène de transformation de l’État social.

Après cette présentation des objectifs et de la problématique qui sous-tendent notre recherche, nous proposerons, dans l’introduction, une partie dédiée aux différents repères théoriques qui encadrent la discussion de cette thèse, notamment en ce qui concerne l’État au Chili, la

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conception de l’État social et la conception même du néolibéralisme. Une troisième partie expliquera la méthodologie utilisée ainsi que le travail de terrain réalisé.

Repères théoriques

La République dans l’histoire du Chili

La périodisation large et uniforme de la phase républicaine du Chili est une allusion constante tout au long de cette thèse. En effet, l’utilisation de cette conception – à mi-chemin entre les tensions sur la conception essentielle d’une République et sa forme institutionnelle – ne fait pas ici l’objet d’un débat dont le but serait d’éclaircir les caractéristiques républicaines de l’État du Chili. Nous essayons seulement par-là de la différencier de la période coloniale dont l’organisation administrative est placée sous le pouvoir de la Couronne d’Espagne, processus qui s’étend de 1534 à 1810.

La première initiative qui conduit à l’Indépendance du pays a lieu en 1810 à travers l’organisation de la Junte de Gouvernement. Cet acte fait suite au chaos qui règne dans les colonies espagnoles après la capture du Roi Fernando VII d’Espagne par Napoléon. Entre 1810 et 1814, les Chiliens organisent un gouvernement local sans pourtant avoir conquis l’indépendance ; cette période est nommée la Vieille Patrie. La libération du Roi déclenche une guerre civile pour récupérer le contrôle des colonies ; cette période est nommée la Reconquête et prend fin avec la défaite de l’Espagne. L’indépendance du pays est actée en 1818, à partir de la proclamation de la République du Chili. La suite est une période d’administration des structures postcoloniales, tiraillée entre les intérêts des secteurs libéraux d’un côté et conservateurs, de l’autre. En effet, pendant la période 1823-1833, les gouvernements de la République sont régis par trois essais constitutionnels : la Constitution Moraliste (1823) ; les lois Fédérales (1826) ; la Constitution Libérale (1828). Cette dernière pose les bases de la construction de l’État, en définissant un territoire unifié, la protection des libertés individuelles et la tolérance religieuse. Obéissant à ces principes, l’État clôture l’étape de l’administration postcoloniale pour laisser la place, en 1833, à l’organisation de l’État du Chili, à partir de la Constitution de 1833, sous les consignes de Diego Portales, en charge de trois ministères. Cette Constitution régira le pays, avec certaines modifications, jusqu’en 1925.

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L’étape d’organisation et de consolidation de l’État du Chili date donc du début du XXe siècle, à savoir de 1833 à 1925, se déroule sans événements de résistance importants, susceptibles de briser la stabilité républicaine, à l’exception de quelques conflits civils. En 1925, la proclamation de la Constitution, sous le mandat d’Arturo Alessandri, permet de donner un support juridique à l’organisation de la République mésocrate et à l’État de compromis qui naitra des luttes ouvrières et de la configuration des élites dirigeantes. Le putsch militaire perpétré contre le gouvernement de Salvador Allende en 1973 met un terme à cette République de collaboration, plus ou moins stable. Ainsi, les militaires commandés par Augusto Pinochet mettront fin à une histoire de 155 ans de stabilité politique et de république démocratique. Dorénavant, l’organisation de l’État se réalise au cours de 17 ans de régime autoritaire, régime qui restreint les libertés politiques et sociales, ferme le Parlement et gouverne dans un climat de répression. La longue interruption de la démocratie concèdera à la période de récupération démocratique une valeur de transition dans la gestion démocratique de la normative dictatoriale. C’est pour ces raisons que, tout au long de cette thèse, nous nommerons la période qui va de l’organisation de l’État du Chili (1833) jusqu’à la période d’interruption démocratique (1973), la période du Chili républicain. Il s’agit d’identifier la période postcoloniale de l’organisation de l’administration indépendante, puis sa consolidation pendant le XXe siècle, comme une période différente de celle qui se développe à partir de la dictature militaire de 1973 et de l’organisation de l’État néolibéral qui s’ensuit.

Ainsi, la division des phases historiques au sein de la période républicaine, prend en compte moments clés de l’organisation de l’État social par rapport aux dynamiques sociales, politiques et économiques de chaque époque. L’organisation de l’État néolibéral à partir de 1973 sera divisée dans notre recherche en trois périodes : la mise en place du modèle (1973-1989), la transition démocratique (1990-1999) et la consolidation de la démocratie néolibérale (2000-2013).

Pourtant, la question de la conception du néolibéralisme dans le cadre de l’organisation de l’État autoritaire s’impose. Quel est le sens de cette notion et de la théorie monétariste dans la reconfiguration du Chili contemporain ? Ce sont là les questions auxquelles nous tenterons de répondre.

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Le néolibéralisme et l’État

Il est regrettable que la conception du néolibéralisme fasse l’objet d’une banalisation accablante. Les résistances aux processus de libéralisation des secteurs sociaux, la financiarisation de l’économie et la globalisation des marchés, ont produit un effet de néo-libéralisation des langages courants ainsi que d’indistinction des dynamiques du marché en soi d’avec la forme spécifique au néolibéralisme. D’où la réticence à identifier le phénomène néolibéral en tant que modèle, sous réserve de tomber dans les généralisations banales.

Cependant, l’identification claire des processus de néo-libéralisation des sociétés contemporaines et des États de gestion néolibérale est une démarche urgente et nécessaire. La sociologie est amenée à donner suite aux processus en cours, afin de repérer et d’appréhender les reconfigurations du social qui émergent des dynamiques de transformations économiques et politiques.

Ainsi, cette thèse aborde la question de l’implantation du néolibéralisme au Chili, en tant que modèle de développement qui remplace le modèle de substitution d’importations en place avant 1973. Mais nous nous intéresserons de plus près au phénomène de néo-libéralisation de la société chilienne et au rôle de l’État social dans la mise en œuvre de cet évènement sociohistorique. La crise politique vécue dans les années 1970, pendant le gouvernement de Salvador Allende, prépare le terrain à l’installation d’un discours qui place la liberté individuelle et économique au cœur de la reconstruction du Chili contemporain. Cela mettra fin à l’État articulateur du social et de l’économique, jusque-là connu.

Le projet de l’Unité Populaire imposait en effet un capitalisme centralisé, basé sur la planification centrale de l’action économique et la soumission de la logique économique à celle de la politique ; cette logique limitait l’action du marché ainsi que celle des élites. Cette version du capitalisme centralisé est perçue comme une rupture dans la progression suivie jusqu’alors par le projet libéral historique républicain (qui caractérise les projets de développement du continent tout au long du XXe siècle). La rupture sociohistorique du parcours vers le progrès ainsi que la subversion des secteurs subalternes, représentent la trahison du pacte mésocrate pour les élites (Salazar et Pinto, 1999).

Pour ses détracteurs, l’État outrepasse ses attributions comme médiateur de la distribution du bien-être par rapport au développement économique. L’UP trahit le pacte passé entre les élites et les travailleurs et casse les bases de l’État social corporatiste de tradition bismarckienne, en entamant l’institutionnalisation d’un welfare qui soumet le développement aux commandes

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politiques, à partir d’un discours des droits fondamentaux acquis en tant que notion de citoyenneté.

Après cette crise d’adhésion des élites, la dictature a pour mission – mission dont la définition reste pourtant assez floue tant sur le plan opérationnel qu’idéologique - de reprendre le cours de l’histoire. L’objectif qui lui est fixé est de restaurer l’ordre tout-puissant et de reconstruire le projet historique dans l’axe des nouveaux enjeux. L’accomplissement de la mission de refondation de l’ordre social chilien sous l’égide des militaires a pour cible prioritaire le rôle de l’État face au social et la reconfiguration du politique. Dans ce sens, le modèle implanté n’est pas qu’un modèle de développement parmi d’autres, testés et reformés pendant des décennies. Il s’agit d’un projet de restitution du pouvoir de classe, des élites (Harvey, 2005), d’une classe qui elle-même se reconfigure en permanence à partir des dynamiques socioéconomiques. Il s’agit là d’un projet qui procède au retrait des espaces de médiation entre les divers secteurs sociaux, pour céder la place à la liberté individuelle et lui attribuer la responsabilité d’assurer le succès ou l’échec de la vie en société.

Dans le projet néolibéral, la liberté économique devient la condition de possibilité de la liberté politique et personnelle. Dans cette optique, la tendance au socialisme, manifestée pendant le régime de S. Allende, aurait provoqué une rupture dans l’évolution politico-économique non seulement de la civilisation occidentale (Hayek, 2014) mais aussi de l’homme occidental libre. L’évolution naturelle des sociétés, dans la pensée de Hayek et des ordo-libéraux (Dardot et Laval, 2010 ; Foucault, 2008) implique de faire le plus grand usage des forces sociales spontanées des individus, donc de les recouvrir le moins possible de la coercition qu’impose l’État (Hayek, op.cit.). Dans ce cadre, la restitution d’un pouvoir de classe fait référence à la restauration de l’évolution naturelle vers le progrès économique sous la tutelle d’individus qui ont réussi dans la vie dans un cadre de concurrence généralisée.

Pourtant, bien que la concurrence soit le mécanisme de régulation sociale central de la société néolibérale, et qu’elle soit considérée comme le meilleur moyen d’orienter les efforts individuels, ce projet socioéconomique prend ses distances par rapport aux conceptions libérales classiques. La proposition est ici de faire face à la crise de gouvernance du modèle libéral classique manchestérien incarné par les propositions de Smith. Le néolibéralisme naît ainsi comme une réponse aux problèmes de gouvernance de l’idéologie naturaliste du laissez-faire (Dardot et Laval, 2010 ; Foucault, 2008 ; Harvey, 2005). Le défi de la redéfinition du projet libéral est de faire face à la conception qui implante le chaos en faisant des lois concurrentielles des lois de la jungle (Polanyi, 2014).

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Ces questions avaient d’ailleurs été posées auparavant, dans la première moitié du XXe siècle. En effet, la réalisation du Colloque Walter Lippmann (Paris, 1938) puis la fondation de la Société du Mont-Pèlerin (Suisse, 1947), proposent déjà de repenser les logiques de la gouvernance du capitalisme concurrentiel. Celui est la représentation d’une machine qui a besoin de surveillance et d’une régulation constante (Dardot et alt, op.cit). En fait, Hayek exprime que pour rendre la concurrence efficace, il faut faire appel à d’autres méthodes qui puissent guider l’activité économique au-delà du laissez-faire ; c’est-à-dire que la concurrence en tant que principe d’organisation sociale, exige certains genres d’action gouvernementale (Hayek, op.cit). En conséquence, la pensée néolibérale implique de repenser les rapports entre le marché et la société, notamment entre l’État et les individus. Donc, d’installer une nouvelle rationalité où l’État n’est plus un simple spectateur du processus mais un protagoniste à part entière, un facilitateur clé de ce mécanisme économique. Une gouvernance néolibérale qui envahit donc toutes les sphères de la vie.

Ce processus entraine la reconfiguration de l’État social en tant qu’organisateur de la solidarité collective. Le défi n’est alors plus de fixer les limites infranchissables - en vertu d’une analyse économique - du rôle des institutions, mais de savoir comment l’État compose et décompose la conception du social ; il s’agit notamment de définir comment l’État met en forme les rapports entre les individus d’une société donnée (Rosanvallon, 1992), à partir du rôle de facilitateur du marché et de déclencheur de la concurrence qu’il adopte.

C’est là, en quelques mots, le cœur de la démarche refondatrice réalisée au Chili à partir de 1973. Le putsch constitue l’action de restitution du pouvoir de classe (politico-économique ainsi que militaire) et de la récupération de l’adhésion des élites dirigeantes ancrées dans une tradition de patronage postcolonial (Moulián, 1982), élite qui porte en son sein le développement économique sous l’étiquette de libéralisme.

Le néolibéralisme au Chili prend ainsi plus la forme d’une philosophie de l’articulation de la vie sociale, politique et économique, que la forme d’un modèle de conduite orthodoxe. In fine, il s’agit d’un projet de modélisation du social qui mènera à la reconfiguration du politique, projet au sein duquel l’État devient l’acteur clé de la mission.

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De l’État social et ses manifestations

La mission de reconfigurer les médiations socio-politiques et économiques dans la nouvelle donne, reposera sur l’État et, de façon spécifique, sur l’État social. Il constitue de fait un dispositif de régulation de la vie sociale et des rapports entre le marché et les individus. Il devient ainsi le gardien des libertés individuelles et de l’expansion du projet néolibéral.

Afin de décrypter les sens qu’acquiert l’État social dans cette nouvelle configuration politico-économique, nous utiliserons dans cette recherche, ce concept dans sa forme la moins connotée. En effet, dans un sens restreint, nous adopterons ici la conception de l’État social en tant qu’organisateur de la prise en charge collective des fonctions de solidarité sociale (Merrien, 2007). Il s’agit, en d’autres termes, de l’action délibérée et organisée par l’État pour assurer la protection des droits sociaux des personnes ; l’État protège les individus qu’il considère détenteurs de droits.

Dans ce sens, la configuration d’un État social dans un régime de bien-être1 implique la monopolisation de l’articulation de la solidarité sociale, au-delà de la philanthropie, du clientélisme et du paternalisme. Ce processus s’achève à partir de la configuration des régimes de protection sociale qui, à leur tour, définissent les places du marché, des communautés et des individus. Ainsi, les modèles de bien-être expriment les résultats des arrangements institutionnels entre les intérêts de plusieurs acteurs et de plusieurs facteurs, qui se traduisent par des processus de distribution de la protection face aux risques.

Autrement dit, l’institutionnalisation politique de certains accords sur le plan social traduit les processus de tensions, de visibilité des phénomènes donnés et de leur entente. L’espace social est l’espace d’intelligibilité où se croisent diverses dynamiques de visibilité des processus d’ordre et d’unité de la société, ainsi que de dissimulation des principes générateurs du social désignés par le lieu de la politique (Lefort, 1986). Ainsi, s’interroger sur la place de la configuration du social dans la dynamique du politique, implique de s’interroger sur les différentes façons de construire les sociétés.

1 La notion de régime de bien-être traduit la conception de « welfare state regimes ». Bien que la traduction la

plus utilisée en français soit celle d’État providence, nous avons décidé d’employer un terme plus neutre, car la conception d’État providence fait référence aux processus politiques et socio-historiques ainsi qu’à une forme sociopolitique très spécifiques à l’Europe, notamment à la France. Ces processus, et donc cette notion, n’expliquent pas les processus vécus en Amérique latine et n’ont pas de correspondance linéaire avec la configuration de l’État social chilien. Toutefois, comme nous l’expliquons dans cette thèse, on repère dans la construction du système social chilien des influences des états européens, en particulier celle du modèle bismarckien allemand.

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Rosanvallon (2003) nous interpelle par rapport à une conception du politique : « tant une modalité d’existence de la vie commune qu’une forme de l’action collective qui se distingue implicitement de l’exercice de la politique »2. De cette façon, l’analyse du politique constitue une réflexion sur l’expression des lois, du pouvoir, de l’État, de l’égalité, de la citoyenneté, de l’identité, ainsi que sur les sens de tous les aspects de la vie sociopolitique, au-delà de l’action gouvernementale et de ses institutions. L’étude de la configuration du social et notamment du processus de configuration des systèmes de « distribution du commun » dans le cadre du politique, relève alors de l’étude des sociétés où les règles communes ne sont pas définies par la tradition ou l’autorité. Ce processus de définition des règles pose les bases de la façon de concevoir la place des individus dans une société, de ses acteurs et de leur rapport à la construction d’un commun possible. Il exprime donc le rapport des sujets face à l’État et au marché, en ce qui concerne les droits sociaux.

L’organisation de ces rapports ainsi que des responsabilités face aux droits, parmi les différentes instances de la vie sociale, donne donc naissance aux régimes de bien-être. La configuration des systèmes de bien-être, de l’avis d’Esping-Andersen (1999), s’explique à partir de la nature de la mobilisation de classe, des structures de coalition de la classe politique et de l’héritage historique de l’institutionnalisation du régime. Dans ce cadre, l’expression d’un régime à un moment donné est le résultat des processus sociopolitiques et historiques qui donnent forme à une perspective d’articulation de la distribution de la richesse, de la sécurité et des chances pour les familles, les communautés, les marchés et l’État (Filgueira, 2007).

Les régimes de bien-être ainsi que le rôle des États dans la distribution des responsabilités pour la protection des individus, recouvrent des natures et des parcours différents selon le contexte politico-économique et culturel desquels ils sont issus. Dans les classifications traditionnelles existantes sur l’État social en Amérique latine, le Chili est placé dans le groupe des « pionniers » de la protection sociale. Cette catégorie fait référence à une dimension distinctive en termes d’ancienneté des régimes de bien-être qui permet une classification dans un contexte régional de grande diversité, de degrés de développement et de parcours de distribution de la protection des plus dissemblables.

Pour ce qui est du Chili, le pays développe des programmes de sécurité sociale dès le début du XXe siècle selon un schéma de stratification professionnelle (Ferreira et Robalino, 2010 ; Lago, 1989 ; Merrien, 2014). À partir de cet indice, Filgueira dépasse la thèse de Mesa-Lago (1991) sur la trajectoire historique des régimes dans la région, pour lier les facteurs de

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développement historique aux facteurs politiques. Ainsi, il situe le Chili, l’Argentine et l’Uruguay, dans une position de développement important dans la région, en catégorisant ce type d’État social comme un système d’universalisme stratifié (Filgueira, 2007). Cette catégorie d’universalisme stratifié est attribuée aux régimes en vigueur avant 1973 et qui représentent la configuration des rôles existants durant la période de l’État de compromis. De l’avis de Filgueira, ces systèmes ont pour caractéristique centrale la forte stratification des bénéfices, des conditions d’accès, des échelles de protection en matière de prévoyance et de santé. Les fonctionnaires et les professions libérales, par exemple, ont un accès privilégié aux services, par rapport aux ouvriers, même si la qualité de ces services reste stratifiée.

Dans cette logique, les pays pionniers tels que le Chili, développeront une couverture universelle de services de protection de base, de stratification marquée par la qualité et les conditions d’accès, de manière massifiée. Cependant, dans cette notion d’universalisme, tant Mesa-Lago que Filgueira, séparent d’un côté, les régimes de protection dépendants de l’intégration au marché du travail, qui dans le cas chilien, se caractérisent par une gestion tripartite de la sécurité (patronage, État et travailleurs) ; et d’un autre côté, les dispositifs d’assistance de gestion philanthropique en collaboration avec l’État, financés par des sources diverses. Nous considérons que la différence entre les régimes de sécurité sociale de droits, considérés comme des acquis et qui occupent une place centrale dans le pacte mésocrate, se placent à distance des services d’assistance, liés, quant à eux, à la bienveillance et au volontarisme des institutions de la société civile. La notion de solidarité centrale organisée dans l’assistance, en tant que droit au secours, est absente de cette organisation qui est divisée en deux réseaux de protection.

Or, si le mérite de la classification proposée par Filgueira est incontestable, il faut cependant prendre acte qu’au-delà des facteurs qui configurent les classifications, l’exercice de regroupement des types d’État social en Amérique latine devient une tâche complexe. La diversité des processus politico-historiques, les caractéristiques géographiques, le profil social, l’hybridation des perspectives, entre autres, empêchent la proposition de catégories globales. Ainsi, la plupart de classifications laissent en dehors la configuration même des droits sociaux à la base des régimes et les degrés d’opposabilité qu’ils peuvent acquérir (Lautier, 2012). La notion des régimes de bien-être proposés par Esping-Andersen (1999) semble loin de la réalité latino-américaine ; non seulement à cause de leur diversité mais aussi des processus asymétriques qui président à la configuration des philosophies du social et au rôle des acteurs. Le développement des systèmes de protection et de distribution des responsabilités face aux risques, se déploie de façon asymétrique entre les différents acteurs concernés, à savoir l’État,

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les élites dirigeantes, les communautés et le marché. Le contexte d’émergence des formes institutionnelles de protection se caractérise également par l’absence de marchés formels d’emploi, d’économies industrialisées et de familles nucléaires classiques, à la différence des régimes européens.

Cependant, bien que nous soyons de l’avis qu’il n’est guère possible de réduire la complexité des phénomènes sociopolitiques aux classifications strictes, les systèmes d’organisation du bien-être proposés par Titmuss ainsi que par Esping-Andersen, interviennent dans cette thèse comme des cartes cognitives qui permettent de comprendre ces phénomènes comme des tendances. Nous interprétons plutôt ces phénomènes de configuration de la protection comme un résultat sociohistorique spécifique, résultat de la convergence des divers axes de la configuration des États sociaux modernes.

Quant au développement d’un régime d’organisation de la protection au Chili, nous proposons une lecture des modèles mixtes. La structure historique de la distribution de l’accès aux droits, abordée en profondeur dans la première partie, possède les traits des régimes de bénéfices stratifiés décrits par Filgueira, ainsi que des caractéristiques des régimes conservateurs proposés par Esping-Andersen. À cela s’ajouteront, dans la reconfiguration de l’État social entamée à partir de 1973, notamment à partir de la décennie des années 1980, les dynamiques de la restructuration néolibérale.

Dans cette perspective, les régimes de bien-être sont modelés dans la relation entre le développement des États sociaux et le marché mondial. De l’avis de Therborn et Gough (2010), l’État social contemporain est conduit, entre autres, par les intérêts financiers, les institutions, les idées et idéologies, ainsi que par les influences internationales. Dans ce cadre, l’État subordonne la pensée des politiques sociales aux idées néolibérales (Therborn et Gough, 2010) : l’État social subit cette hégémonie doctrinaire. L’influence internationale est notamment parlante dans le cas latino-américain, en raison du pouvoir exercé par des institutions telles que la Banque Mondiale et la Banque Interaméricaine de Développement. Dans la définition des politiques sociales et des articulations de la protection par la voie du marché, ces institutions ont joué un rôle prédominant depuis la fin des années 1980, en lien avec les contraintes du Consensus de Washington. Enfin, la place des banques dans la définition des stratégies résiduelles massives et le choix de la lutte contre la pauvreté, joue également un rôle clé dans la reconfiguration des secteurs sociaux sur tout le continent (Lautier, 2001).

Ainsi, la recomposition des régimes de bien-être questionne la classification et la compréhension des phénomènes qui expriment les recompositions mêmes du social et du politique dans le continent. Cette thèse se propose de décrypter quels sont les significations qui

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traversent la recomposition néolibérale de la philosophie de la protection et du welfare au Chili, dans un scénario de néo-libéralisation ascendante entre 1973 et 2013.

Sur la question méthodologique

La compréhension des réinterprétations du social et de l’État social lui-même, comme des phénomènes sociopolitiques, situés historiquement, nous permet d’appréhender les processus en cours en suivant un parcours.

À cet égard, nous essaierons d’analyser les phénomènes à partir des tensions en jeu, des rencontres et non depuis une perspective historique-évolutionniste. La révision du processus à partir des registres normatifs, des acteurs et de l’État, nous ouvre la possibilité de visualiser les tensions, ainsi que les ruptures, comme des manifestations des enjeux à un moment donné. Notre objectif est de retracer certaines dynamiques des reconfigurations de l’État social sous la forme de cartographies, qui nous permettent d’envisager leurs mouvements, leurs limites, mais surtout d’interpréter les processus de mise en forme des pratiques du social. Il s’agit de s’approcher des régimes de savoir impliqués (Sibertin-Blanc, 2010) dans ce processus de reconfiguration sociétale, autrement dit, de cartographier le social d’un modèle socioéconomique et politique en construction, son caractère inter-social et ses modèles de vérité (Deleuze, 2004).

Dans ce sens, cette recherche constitue un essai sociologique de lecture intégrale de l’État social au Chili, qui se propose d’articuler différentes sphères pour reconstruire le récit de la philosophie sociale du Chili néolibérale. Nous aborderons ainsi le rôle des acteurs impliqués - partis et secteurs politiques, acteurs sociaux, luttes sociales, experts et think-tank, analystes - et leurs positions concernant le social et le politique ; les corps normatifs de l’État social, notamment les lois encadrant la protection de l’enfance et la construction du social ; la lecture critique d’une littérature vaste et spécialisée sur la protection au Chili ainsi que sur les approches étatiques du social. L’articulation de ces trois sphères nous mène, de façon rigoureuse, à l’analyse de la complexité du processus de construction multiple, politico-intellectuelle-technique-citoyenne, de l’État social et de la philosophie du social contemporain. Il s’agit in fine de décrypter cette philosophie en relation avec : les acteurs, le processus d’articulation entre la sphère économique, politique et sociale, et la nature des institutions.

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Afin de relever ce défi, nous avons réalisé, tout d’abord, un travail d’analyse exhaustive de la bibliographie spécialisée sur l’État social au Chili et notamment de la bibliographie officielle de description des politiques sociales. Ce travail se structure en deux parties. La première fait référence à la lecture du travail des historiens et des documents des gouvernements et des Ministères sociaux jusqu’en 1973. L’analyse de ces textes configure l’hypothèse énoncée dans la première partie de la thèse en ce qui concerne l’existence d’une structure d’accès aux droits, forgée depuis 1833. L’objet de ce travail est donc la configuration de ce cadre historique à partir de sources secondaires et primaires concernant les documents d’État. Pour la deuxième partie de l’analyse bibliographique, nous avons ainsi compulsé la documentation officielle des gouvernements étudiés (5 au total, entre 1973 et 2013), tels que les bilans annuels, les programmes de gouvernement, les comptes rendus présidentiels, les documents d’installation et d’évaluation des politiques sociales, les diagnostics préalables aux programmes sociaux. Cette révision concerne les domaines du social, de la santé, de l’éducation et de la protection spécialisée de l’enfance.

D’un autre côté, nous avons analysé la législation qui norme les domaines sociaux concernés entre 1973 et 2013. Nous avons travaillé sur 141 textes de loi, dont des lois organiques, des lois, des décrets et des normes. Ces textes appartiennent au secteur social, puis aux domaines d’action visés, à savoir l’éducation primaire, la santé infantile et le système de protection spécialisée. Les différents textes de loi ont été analysés par rapport aux catégories qui concernent la protection et les droits. L’annexe N°2 présente un tableau nominatif des textes de lois étudiés.

Enfin, le troisième axe de travail comprend la réalisation de 28 entretiens auprès de décideurs qui ont fait partie des gouvernements chiliens entre les années 1973 et 2013 ; d’experts dans les domaines analysés, notamment dans les politiques pour l’enfance sur les questions de l’éducation, de la santé et de la protection spécialisée, et sur l’analyse des politiques sociales. L’objectif de ces entretiens vise à déterminer les sens de la construction de la protection de l’enfance et des droits sociaux, la prise des positions des acteurs, les enjeux politiques et économiques que représentent leurs positions, ainsi que leur relation avec les autres acteurs. Nous avons réalisé des entretiens semi-directifs, d’une durée approximative d’une heure et demie. Le travail de terrain s’est déroulé au Chili, à Santiago et à Valparaiso, entre janvier et avril 2015. L’annexe N°1 présente un tableau de description des interviewés.

L’analyse de ces trois axes - la documentation officielle et la bibliographie spécialisée, les textes de loi, et les entretiens – est effectuée à partir des techniques d’analyse des contenus. D’un ensemble de techniques partielles, complémentaires toutefois, nous expliciterons et

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systématiserons tant les contenus des messages que l’expression de ces messages. L’objectif est de proposer des déductions logiques et justifiées des manifestations de la source et de son contexte (Bardin, 1986).

Nous avons travaillé la définition des unités d’analyse à partir des énoncés extraits des lois et des phrases émises par les interviewés. Cela nous a permis de construire des catégories d’analyse liées au sujet abordé, aux intérêts des acteurs et aux principes évoqués ; le but étant d’analyser la conception étatique de la protection des enfants, à partir de l’analyse du rôle de l’État et du cadre normatif implanté par les policy makers.

Enfin, le document de thèse se structure autour de quatre parties périodisées par rapport aux axes d’analyse sociohistorique. La première partie, qui présente la formation de la structure de distribution inégale de l’accès aux droits, a pour but d’illustrer la configuration traditionnelle du régime de protection chilien. Cette structure se développe depuis l’indépendance jusqu’à 1973. À partir de la deuxième partie, la thèse s’organise en cinq chapitres par partie, qui abordent : l’axe politique-économique de l’époque, les politiques sociales, l’analyse de la protection spécialisée, puis de la santé et de l’éducation. À la fin de chaque partie, une section de conclusions en permet la synthèse.

À travers cette structure, la deuxième partie analyse la mise en place de la restructuration néolibérale à partir de la dictature militaire, et comprend la période qui s’étend de 1973 à 1989. La troisième aborde, quant à elle, la période de la transition démocratique, c’est-à-dire de 1990 à 1999. Finalement, la quatrième partie analyse la période de la consolidation démocratique qui va de l’année 2000 à 2013.Des conclusions globales présenteront un récapitulatif de la présente thèse et l’analyse finale de la recherche.

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PARTIE I

VERS UNE CARTOGRAPHIE DE

LA DISTRIBUTION DE L’ACCÈS

AUX DROITS DANS LE CHILI

REPUBLICAIN (1810-1973)

La configuration d’un système de protection sociale au Chili est le fruit d’un long processus de rencontres et de conventions, de luttes et de conflits, consubstantiels à l’histoire même de la constitution de la République. Dans cette optique, nous présenterons les dynamiques sociales, politiques et institutionnelles qui rendent compte, à chaque étape, de la construction du projet républicain et des formes historiques de l’État social au Chili.

Cela dit, l’objectif de cette partie est de retracer les grands axes du processus de configuration des régimes de bien-être existants au Chili depuis la constitution de la République jusqu’à la période autoritaire. Il s’agit de repérer les structures qui émanent des processus de définition donnés au social et au politique ainsi que la place de ces sens dans la configuration des institutions de distribution des droits.

Notre objectif n’est pas, bien entendu, de donner une vision exhaustive d’une période aussi longue mais de présenter quelques éléments indispensables à la compréhension des phénomènes que nous allons longuement étudier par la suite, notamment sur la période 1973-2013. À partir de l’analyse des différentes phases que traverse l’État social dans l’histoire du Chili, nous chercherons donc à identifier les continuités et les ruptures des structures de la distribution de l’accès aux droits sociaux. Nous tenterons également de repérer les inflexions susceptibles d’introduire des tensions parmi les acteurs et les conceptions en jeu.

Nous proposons donc d’illustrer les processus mentionnés, de repérer les acteurs et les perspectives, les éléments structurants de la distribution du bien-être et les caractéristiques des régimes, pendant la période mentionnée. La visibilité de ces aspects nous permettra ensuite

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d’analyser les continuités et discontinuités de cette structure du welfare, sous la focale de la restructuration néolibérale subie par le pays à partir de 1973.

Cette partie est structuré en trois chapitres. Le premier présente les phases du développement de l’État social au Chili à partir d’une rapide évocation des politiques phares menées dans différents secteurs de la protection3. Le deuxième chapitre analyse la structure du régime de bien-être à partir des dynamiques conflictuelles en œuvre dans la société chilienne et la mise en forme de deux grands « réseaux » de protection sociale, avant de s’attarder sur les caractéristiques principales du régime de protection configuré dans les périodes observées. Finalement, nous exposerons nos conclusions sur les aspects analysés et la configuration historico-politique des régimes de bien-être au Chili.

3 La première partie a été construite à partir de la révision des données des Recensements effectués depuis 1833 - publiés pour l’Institut National des Statistiques -, des archives historiques recensées sur le site « Memoria Chilena » de la Bibliothèque Nationale du Chili, ainsi que des sources bibliographiques telles que : Rodrigo Henríquez, 2012 ; Osvaldo Larrañaga, 2010 ; Gabriel Salazar et Julio Pinto, 1999.

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Chapitre 1

La configuration de l’État social

Même si les classifications des types de régimes de protection en Amérique latine ne sont pas absentes des débats spécialisés, nous chercherons, pour notre part, à décrypter le processus de formation de l’État social au Chili et ses multiples dimensions, sans nous attarder sur sa catégorisation classificatoire. En effet, nous considérons que certes, les principales typologies proposées mettent en lumière certains aspects de ces régimes ; mais elles présentent le défaut de rendre invisibles les tensions, les points d’inflexion de leur processus et d’extrapoler de manière abusive certaines conceptions, par exemple la prétention universaliste qui n’a jamais véritablement abouti. Nous proposons donc d’analyser le processus de configuration du régime de protection chilien à partir des phases socio-historiques pour ensuite en extraire ses caractéristiques principales.

Nous diviserons ce processus en trois grandes phases : tout d’abord, la configuration de l’État et du social (1810-1920) ; ensuite, la phase d’articulation de l’État social et du modèle de développement (1920-1950) ; finalement, la phase de la crise du modèle et des réformes (1950-1973).

1. L’État en marche et l’émergence du social

(1810-1920)

La conformation de l’État qui se met en place après le processus d’indépendance de la colonie représente la reconfiguration de l’organisation de la vie en société de la naissance du social et du politique. Pendant la période coloniale, l’administration possède un rôle médiateur entre les différents corps sociaux qui profitent de privilèges particuliers, qu’ils soient civils, militaires ou ecclésiastiques. Ce rôle n’a pas tout à fait changé pendant la période de configuration de la République, dans la mesure où l’État demeure l’entité médiatrice d’une structure sociale réduite

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aux luttes entre les élites (Urriola, 2009). De cette donne, émerge la création du cadre juridique-institutionnel.

Vers 1830, l’État s’organise pour dépasser le simple rôle de médiateur entre les pouvoirs des « caudillos »4. Portales5 s’impose comme la figure qui établit les critères d’un État centralisateur, producteur et impersonnel, en instaurant la conception d’institutions publiques garantes de l’ordre et de la stabilité (García de la Huerta, 2010). Selon Portales, le pays compte sur des dimensions idiosyncratiques propices à une réorganisation de l’État étant donné que l’ordre social est maintenu par « le poids de la nuit » ; c’est-à-dire par la tendance à l’inertie des masses, tendance qui les poussent au repos social et à obéir aux élites.

Cependant cette stabilité politique qui perdure depuis plus de cent ans, peut aussi être attribuée à deux aspects : d’un côté, au maintien de longue date de la société señorial6, notamment des dynamiques socioculturelles et politiques des groupes de privilèges associés à la propriété ; de l’autre, à l’accord implicite des élites politico-économiques traditionnelles chiliennes autour du développement de l’ordre libéral (Jocelyn-Holt, 2014). Ainsi on peut interpréter que la configuration de la République, plutôt qu’une rupture avec l’ordre social colonial, passe par la reconfiguration des intérêts des élites et de la distribution inégale des richesses, de la sécurité et des chances, dans un schéma d’autonomie administrative.

L’État représente un outil de développement de l’ordre qui organise, sur le plan politique et économique, la mise en place du marché régulateur. Les institutions de l’État s’emploient notamment à soutenir le développement de l’industrie, la modernisation, la défense, entre autres, en tant qu’affaires publiques. Les élites ont conquis l’État comme un outil de défense des intérêts de leur classe.

Pendant cette période, la population du pays augmente de façon exponentielle. La réalité démographique du pays change rapidement. Le premier recensement officiel de population a eu lieu en 1835 et compte 1.103.036 habitants tandis que celui du début du XXe siècle, en 1907, dénombre 3.231.022 habitants7.Le taux de natalité enregistre une légère baisse à cette époque :

4 Le nom de caudillo est attribué au leader politique qui exerce un pouvoir personnel.

5 Diego Portales (1773-1837), tri-ministre, homme politique considéré comme l’organisateur de l´État chilien. Il

crée un nouveau paradigme de l’État, de sa nature et de ses fonctions, qui réalise la notion de projet national au-dessus des particularités, des différences et des secteurs sociaux. Cette conception mégalomane de l’organisation des processus politiques à l’époque à Portales, a été fortement critiquée (Voir Garcia de la Huerta, 2010 ; Jocelyn-Holt, 2014). Cependant il constitue toujours une référence en ce qui concerne la configuration du cadre étatique postcolonial.

6 Dans ce contexte, cette expression fait référence à l’organisation sociale de l’oligarchie, donc de l’organisation

de la société par rapport au pouvoir des propriétaires fonciers. Le lien social s’organise autour de la relation entre le señor et les paysans. On trouve ses origines dans l’Europe médiévale qui s’organise à partir du pouvoir féodal.

7 Les données sociodémographiques utilisées dans ce chapitre sont extraites des Recensements de Population

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de 42,11 (TBN soit Taux Brut de Natalité pour mille habitants) en 1854, date de la première comptabilisation, il passe à 39,63 en 1920. De plus, le Taux de Mortalité Brute (TMB pour mille habitants) connait une hausse qui le fait passer de 21,14 en 1854 à 31,18 en 1920. Il n’existe pas de registres de la mortalité infantile à l’époque.

Concernant le monde du travail, dans le Recensement de 1907, l’on constate que 34,7% sont ouvriers et paysans et 7,9% salariés d’autres secteurs. Les travailleurs des secteurs non-salariés, tels que les femmes couturières, les commerçants et les artisans, représentent 29% de la population. On observe donc qu’au début du siècle, 71,6% de la population exerce une activité économique.

À partir de ce cadre sociodémographique, l’État endosse la représentation des intérêts des élites et place, de ce fait, la résolution des problèmes sociaux qui affectent la population en général, dans le domaine privé. Ainsi, les maladies, la mendicité, la pauvreté, sont des préoccupations qui relèvent soit de la famille soit de la charité. À l’époque, les dépenses sociales constituent une partie presque invisible des dépenses de l’État : 1% du Produit Interne Brut (PIB) en 19208. L’État se développe autour de la protection de la propriété et du progrès économique tel que le projet national ; la protection des personnes ne constitue pas une question d’intérêt public. Il garde un rôle passif sur le domaine du social, agissant seulement comme interlocuteur avec les institutions charitables. Toutefois, bien que l’action sociale organisée par l’État soit très restreinte, notamment pendant le XIXe siècle, à l’aube du siècle suivant, celui-ci s’intéresse de plus en plus aux matières sociales. Cet intérêt prend particulièrement forme dans le domaine de l’action sociale qui concerne les enfants.

De ce fait, l’État partage avec l’Église la nécessité d’éduquer le peuple aux valeurs du travail et de l’ordre pour disposer d’une main d’œuvre utile, en établissant la valeur formative de la charité. C’est à partir de là que naît la coopération pragmatique entre ces deux pouvoirs (Ponce de León, 2011) qui donnera naissance à la structure d’assistance publique-privée propre au XIXe et au début du XXe siècle, qui se caractérise par «la superposición de las nociones de pobre, enfermo e indigente [que] daban cuenta de una misma realidad en la conceptualización de la pobreza que hizo la sociedad colonial, heredada del mundo cristiano y medieval europeo »9.

Enfoque estadístico. La familia chilena en el tiempo, Chile, novembre, 2010; Enfoque estadístico. Hombres y Mujeres en Chile, Chile, décembre 2010.

8 Données extraites des archives de la Bibliothèque Nationale du Chili, disponibles sur le site www.memoriachilena.cl.

9 Ponce de León, Macarena, Gobernar la pobreza. Prácticas de caridad y de beneficencia en la ciudad de Santiago

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