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j o u r n a l h o m e p a g e :w w w . e m - c o n s u l t e . c o m / p r o d u i t / E N C E P
MÉMOIRE
ORIGINAL
Les
contenus
anatomiques
au
test
de
Rorschach
:
comparaison
des
réponses
de
sujets
infirmiers
à
une
population
contrôle
Anatomical
contents
in
the
Rorschach
test:
Comparison
between
a
population
of
nurses
and
a
control
group
J.
Englebert
∗,
E.
Thiltges ,
C.
Wertz ,
A.
Blavier
Centred’expertiseenpsychotraumatismesetpsychologielégale,facultédepsychologie,universitédeLiège,3,boulevarddu Rectorat,bâtimentB33,4000Liège,Belgique
Rec¸ule19aoˆut2011;acceptéle26mars2012 DisponiblesurInternetle21aoˆut2012
MOTSCLÉS Rorschach(Système Intégré); Contenu anatomique; Sujetsinfirmiers
Résumé L’étudedescontenusdesréponsesauRorschachestsourcedenombreuses discus-sionsetcontroverses.Nousavonsdécidéd’étudierlesréponses« anatomie»(leursfréquences etleursqualitésformelles)desujetsinfirmiers(n=38)encomparaisonàungroupetémoin.Le testaétéadministréselonlesrecommandationsduSystèmeIntégré.Lamoyennederéponses
An+Xy(3,58)estnettementplusimportantepourlegroupe« infirmiers» comparéeaugroupe témoin(0,89)etauxtroisnormescomparativesquenousavonssélectionnées(de0,96à1,83). Encequiconcernelaqualitéformelle(FQ),l’analysedevarianceenmesuresrépétéesmeten évidenceuneffetd’interactionsignificatifquidémontrequelessujetsinfirmiersdonnentun nombresignificativementplusélevédemauvaisesformespourlesréponsesAn+Xy.Ilest pro-bablequecesrésultatssoientliésàlaconfrontationaucorpsdanslequotidienprofessionneldes infirmiers.Deplus,nouspouvonssuggérerqu’ils’agitaussid’unetendancedusujetàlivrer,à traverssesperceptions,descaractéristiquesidiosyncrasiquespermettantdediffuserson iden-titépropre.Nouspouvons,eneffet,émettrel’hypothèsequelessujetsinfirmiers,sélectionnés encettequalité,enproposantdesréponsesanatomiquesontétéconformesàl’identitésociale implicitementattendue.Encequiconcernelaqualitéformellemoinsadéquatedesréponses anatomiquesdonnéesparlessujetsinfirmiers,nouspouvonsmettreenévidenceuneffetde déformationvisuelleliéeàlaprofessionquiestintéressanted’unpointdevuepsychologique, carilsuggèrequecettetendanceàpercevoirplusderéponsesanatomiquespuisses’opérerau détrimentdu«réel».Nosrésultatsconcernantlescontenusanatomiquesdessujetsinfirmiers nouspermettentdeformulerunehypothèsesurlestatutidentitairequepeuventrecouvrir,en fonctionducontexte,lescontenusauRorschach.
©L’Encéphale,Paris,2012.
∗Auteurcorrespondant.
Adressee-mail:jerome.englebert@ulg.ac.be(J.Englebert). 0013-7006/$—seefrontmatter©L’Encéphale,Paris,2012.
LescontenusanatomiquesautestdeRorschach 95 KEYWORDS Rorschach (Comprehensive System); Anatomicalcontent; Nursepopulation Summary
Introduction.—ThestudyofanswercontentstoaRorschachtestleadstonumerousdebates
andcontroversies.Fromapragmaticpointofview,therecurrentquestionistounderstandthe meaningofacontent(oritsrepetition)inaprotocol.Fromadiscursiveandperceptivepointof view,itishazardoustogiveaninterpretationotherthandescriptiveandcontextual.Indeed, nosingleinterpretativetheoryoranalysismethodisabletodeterminewithcertaintyandrigor astrictcorrelationbetweenpeople’spsychologicalfunctioningandthecontentstheyperceive.
Methods.— In thisempirical context,we studiedthe ‘‘anatomy’’answers (frequencies and
formalqualities)inapopulationofnurses(n=38)matchedwithacontrolgroup(non-medical subjects,n=38).TheRorschachtestwasadministratedaccordingtotherecommendationsof theIntegratedSystem.
Results.—TheaverageofAn+Xyanswerswasclearlyandsignificantlyhigherinthenurse
popu-lation(3.58)thaninthecontrolgroup(0.89)andthaninthethreecomparativenormsthatwe selected(from0.96to1.83).Concerningtheformalquality,therepeated-measuresanalysisof varianceshowedasignificantinteractioneffect:althoughsubjectsinthecontrolgroupgavea similarnumberofordinary,unusualandminusformsforAn+Xyanswers,thenursesgavemore erroneous(minus)forms(1.79)thanunusualforms(1.21)andfinallythanordinaryforms(0.58).
Discussion.—Twohypothesesmaybesuggestedinordertoexplainourfindings.Ononehand,
itishighlyprobablethatourresultsarelinkedtotheeverydaybodyconfrontationinanurse’s job.Ontheotherhand,wesuggestthatbygivingAn+Xyanswers,nursestendtorevealsome idiosyncraticcharacteristicsinordertoshowtheirownidentity.Indeed,ournursesubjectswere selectedbecauseoftheirjob,andsotheycompliedwiththesocialidentitythatwasimplicitly expected.Thisiscongruentwiththecomplexfunctioninginsocialreality:inasocialgroup, peoplewillnotverbalizealloftheirperceptions;theywillpreferentiallyverbalizeperceptions thatdefinetheirsocialidentity.Conversely,ifsomeperceptionsdonotcomplywiththesubject’s identity,theseperceptionswillbelessfrequentlyverbalized,despitethefactthattheywere perceived.Concerningthesecondmainfinding,theinadequateformalqualityofanswersgiven bynursesemphasizesavisualmisrepresentationconditioningduetoone’sjob.Thiseffectis interestingfromapsychologicalpointofviewbecauseitsuggeststhatthistendencytoperceive moreanatomicalcontentsarisestothedetrimentofthe‘‘reality’’.Finally,ourfindingsallowed us tosuggest thehypothesisofthe role ofidentityinanswercontents toaRorschach test accordingtothecontext,andtoformulatesome recommendationsaboutthecontentusein theRorschachinterpretation.
©L’Encéphale,Paris,2012.
Introduction
L’étudedescontenusdesréponsesauRorschachestsource denombreusesdiscussionsetcontroversesquiopposentles praticiens dutest à leurs détracteurs maisaussi, au sein même de la communauté des utilisateurs, les représen-tantsdes différentesméthodesd’analyse [1—6]. Lesdeux méthodesfaisantautoritéàl’heureactuelle(dumoinsdans lepaysagedelafrancophonie)sontl’écoledite«franc¸aise» inspiréedel’approchepsychanalytiqueetleSystème Inté-gré développé par l’Américain J.E.Exner. Cette dernière méthode est d’inspiration cognitive et s’inscrit dans une volontéd’étude etd’amélioration desqualités psychomé-triquesdutest(validitéetfidélité)[2,4,7]touten permet-tantl’élaborationderecherchescliniquesvariées[8,9].
Demanièrepragmatique,laquestionrécurrente concer-nant les contenus consiste à comprendre ce que peut indiquer et signifier un protocole fournissant plusieurs réponses à contenu «sexuel», «anatomie», ou encore «nourriture». D’un point de vue à la fois discursif et perceptif, ilest délicatde pouvoir justifier une réflexion autre que descriptive et contextuelle. Pour prendre un
exemple«classique»(nonpasqu’ilsoitspécialement fré-quent,maisplutôtqu’ilreprésentelesdifficultésquenous pouvonsrencontreravecl’analysedescontenus),lorsqu’un sujetdélinquantsexuelfournit plusieursréponsesavecun contenu«sexuel»[10],lelienlogiqueavecune caractéris-tique psychologique est difficilement identifiable. Certes, riennepermetdedirequetoutliencausalestforcément infondé mais, surtout, il faut constater qu’aucun moyen d’interprétation ni aucune méthode d’analyse ne permet de déterminer avec certitude et rigueur une corrélation entre le fonctionnement psychologique d’un individu et lescontenusqu’ilperc¸oit.Tout auplus, dansune optique phénoménologique(quimériteraitd’ailleursprobablement d’être étudiée plus dans le détail), nous pouvons établir unerelationentrele contenudesréponsesetlecontexte de l’évaluation (être sélectionné pour une étude en tant quedélinquantsexuel,réaliserunRorschachenvued’une admission pour un traitement, etc.), ou encore objecti-verl’occurrenceducontenudans lediscoursdusujet(par exemplepourunsujetquineparvientpasàparlerde sexua-lité maisquiperc¸oit denombreux contenus«sexuels»au test).Toutescesréticencesbienlégitimesexpliquent pro-bablementpourquoilesétudeslesplusrécentesconsacrées
auRorschachenSystèmeIntégrésesontpeuintéresséesaux contenus.
C’est dans ce contexte que nous avons entrepris d’étudier les réponses « anatomie» (leurs fréquences et leurs qualités formelles) de sujets infirmiers. En effet, commecelaadéjàétésuggéré[11],ilsembleraitqueces derniers produisent un plus grand nombre de réponses à contenuanatomique,cequipeutêtrecomprisetexpliqué intuitivement:laconfrontationquotidienneau corpsdans savieprofessionnelleconduirait,eneffet,l’infirmierà per-cevoirplusdecontenusanatomiques,encomparaisonàdes sujetstout-venant.Malgrécetteévidence,ilapparaît oppor-tun,d’unepart,deconfirmerclairementcettetendanceet, d’autrepart,dediscuterdela significationpsychologique quepeuventreprésentercescontenus« anatomie»dansce contexte.
Lacotationdesréponsesàcontenuanatomique selonleSystèmeIntégré
Silecontenu«anatomie»n’apparaîtpasdansla monogra-phieprincepsdeRorschach[12],elleapparaîtravitedansles importantescontributionsde Beck [13]—–cotéAn—–ou de KlopferetDavidson[14]—–cotéAt.Lesréponsesàcontenu anatomiqueselonleSystèmeIntégré[7,15,16]peuventêtre cotéesdedeuxmanières:lesréponses«anatomie»[An]et lesréponses« radiographie»(X-ray)[Xy].Plusprécisément: • An:lesréponses« anatomie» correspondentàuncontenu
del’anatomieinterne,dusqueletteoudesmuscles; • Xy: ces réponses correspondent aux radiographies de
squelettes oud’organes. La cotationXy exclut la cota-tionAn,puisquecesdeuxcotationsinterviennentàvaleur égaledanslesprocéduresd’interprétation.
Lesréponses«anatomie»peuventégalementêtre asso-ciéesaucontenusecondaire «Art»[Art], s’ils’agit d’une illustrationoud’uneplancheanatomique.
Lesétudesconcernantlescontenusanatomiques autestdeRorschach
Selonlesnormesaméricaines[7],lesréponsesAn (0,88/pro-tocole)sontgénéralementplusfréquentesquelesréponses Xy (0,08). Une différence similaire entreles réponses An etXy apparaîtpourlesnormesfranc¸aises[17]etpour les normesbelges[18].Enrevanche,cesdeuxbasesdedonnées européennesprésententunedifférenceimportanteavecles normesaméricainesconcernantlenombremoyenbeaucoup plusélevéderéponsesAn(France:1,27;Belgique1,59)et Xy(France:0,3;Belgique:0,24).Cesdifférencessont sur-prenantesetpeuventdifficilementêtreexpliquéesparune disparitéculturelle.
Au niveau psychologique, plusieurs études ont mis en évidencedesfréquencessignificativementplusélevées de réponsesAnchezdessujetsprésentantdesproblématiques somatiques[19—22].Ilestaussicommunément acquisque les sujets consultant fournissent davantage de réponses An que les non-consultants [15]. Enfin, Exner et al. [23] onttrouvéunemoyennede2,2Xychez21patients schizo-phrènesprésentant des délirescorporels etune moyenne
de1,7Xychez17patientsdépressifshospitalisésprésentant destroublessomatiques.Àlalecturedecerecensementde la littératurerelativeau Rorschach selonle Système Inté-gré, nous pouvons être surpris du peu d’études récentes s’intéressant aux contenus anatomiques. À l’inverse, la méthoded’interprétationpsychanalytiqueabeaucoupplus développélaréflexionsurlescontenus,moinsensebasant surdesexpériencesempiriquesquesurdeslogiques inter-prétatives correspondant àla métapsychologiefreudienne (par exemple, les échelles de barrière etpénétration de Fisher et Cleveland [24] et la Rorschach Oral Depedency ScaledeMaslingetal.[25]).
Malgrélepeud’étudesrécentes,lesdifférentesdonnées existantesontpermisàExneretàlaRorschachWorkshopde postuler quelescontenusanatomiquesauRorschach four-nissent des indications surd’éventuels problèmesliésaux préoccupationscorporelles[7].Nousdevonsnéanmoins sou-ligner, à la lumière de ces recherches, que l’analyse des contenusAnetXydoitêtreréaliséeavecprécaution,d’une part, en raison des grandes variations entre les normes américaines eteuropéenneset,d’autrepart,enraison du peu d’étudesrécentesconcernantlavaliditédesréponses « anatomie».
Lasignificationdesréponsesàcontenu anatomiqueselonleSystèmeIntégré
Il convient, initialement, de rappeler que l’analyse du test de Rorschach selon le SystèmeIntégré s’inscrit dans une logique intégrative, conformément au principe des hypothèses «cumulatives» concernant le fonctionnement psychologique. Ilestdoncrecommandé d’éviter les hypo-thèses «déconnectées» les unes des autres [7,15,16]. CommelesuggèrentExneretal.[7,15,16],l’interprétation vadel’analysemoléculaireàlaconstructiond’untableau globalquiintègredemanièrecohérentetouteslesdonnées analytiquesconcernantlesujetoulepatient.Lafinesseetla complexitédel’analysedutestdeRorschachrésidentdans l’intégrationdedonnéesnomothétiques(visantàtirerdes loisgénéralesàpartirdefaitsconstatés)etidiographiques (relativesàl’étudedescriptivedecassinguliers).
Bienqu’àl’étapedecotation,unedifférencesoit propo-séeentrelesréponses« anatomie»[An]et«radiographie» [Xy], l’analyse de ces réponses s’effectuera toujours en associantcesdeuxtypesdecontenusquenousappellerons «contenusanatomiques»[An+Xy].Lessignifications attri-buées à ces données età intégrer à l’analyse globale du protocolesontlessuivantes:
• lorsqueAn+Xyégal à2, ilest possible quele sujet ait despréoccupationscorporellesmaiscetélémentn’estpas fondamentaldansl’organisationpsychologiquedusujet, àmoinsquecesréponsessoientd’unemauvaisequalité formelle;
• si An+Xy supérieur à 2, on peut estimer qu’il existe des préoccupations d’ordre corporel inhabituelles. Ces protocolesreflètent généralementdes problèmes soma-tiqueset/oudespréoccupationscorporellesinhabituelles d’originepsychologique,liéesàlaconceptionglobaleque lesujetadelui-même.
LescontenusanatomiquesautestdeRorschach 97 Tableau1 Comparaisondesmoyennesdunombrederéponses[R]etdunombrederéponsesAn+Xy.
Sujetsinfirmiers (n=38) Sujetstémoins (n=38) NormesExner (n=450)
Normesfranc¸aises (n=146)
Normesbelges (n=100) R(M) 23,21(SD=6,62) 22,45(SD=8,04) 23,36(SD=5,68) 22,97(SD=7,05) 24,44(SD=8,85)
An+Xy(M) 3,58(SD=2,29) 0,89(SD=1,01) 0,96 1,57 1,83(SD=1,76)
Tableau2 ComparaisondesfréquencesderéponsesAn+XyetdesoccurrencesdesprotocolesprésentantAn+Xyégaleà2et
An+Xysupérieurà2.
Sujetsinfirmiers(n=38) Sujetstémoins(n=38) ValeurduChi2 Valeurdep
An+Xy 136 34 33,5305 0,000108a An+Xy=2(occurrences) 31 8 27,8614 0,000000a An+Xy>2(occurrences) 22 3 21,5184 0,000004a aSignificatif(p<0,05).
Méthode
PopulationLa population cible était composée de 38infirmiers (spé-cialisés en psychiatrie, oncologie, urgence, pédiatrie, revalidation, diabétologie, chirurgie,soins intensifs, infir-mièreaccoucheuse,nonspécifié).Enparallèle,nousavons procédé à l’échantillonnage d’un groupe témoin: chaque sujetdenotreéchantilloninfirmieraétéappariéàunsujet dugroupetémoinencequiconcernelesexe(33femmeset cinq hommes)et l’âge (M=32,3ans; écart-type de 10,3). Aucun des 76sujets ne devait avoir d’antécédent psy-chiatrique et tous devaient être «non-consultants» pour participeràl’étude.
Procédure
Le test de Rorschach a été administré selon les recom-mandations du Système Intégré en respectant les règles d’administration etde cotation inhérentes à la méthode. Parmil’ensembledesprotocoles,aucunnes’estrévélé inva-lide(touscomptaientaumoins14réponses).Lescotations An et Xy et leurs localisations ont été vérifiées séparé-mentparaumoinstroisdesquatreauteurs(avecunaccord inter-juge de100%). Le test aété administrédemanière individuelle aux 38sujets infirmiers et aux 38sujets du groupetémoinselonlesmêmesconsignes.
Analysesstatistiques
Une fois les cotations effectuées et vérifiées, nous avons comparélesmoyennesdesréponsesetdescontenusAn+Xy danslesdeuxgroupes.Unemiseenparallèledecesdonnées aveclesnormesaméricaines [7],franc¸aises [17]etbelges [18]aégalementétéréalisée.
Dans unpremier temps, nous avons confrontéles fré-quencesde réponsesAn+Xy dansles deuxeffectifs.Nous avonsensuitecomparéle nombredesujetsprésentantau moinsdeuxréponsesAn+Xyentrelesdeuxgroupes.Enfin,
nousavonseffectuéunecomparaisondesdeuxéchantillons en ce qui concerne les sujets présentant plus de deux réponsesAn+Xy.L’ensembledecesanalysesontété effec-tuéesparleteststatistiqueduChi2.
Dans unedeuxièmesérie d’analyses,nous avons consi-déréetcomparélenombrederéponsesAn+Xydanslesdeux groupesenfonctiondelaqualitéformelle(FQ)desréponses paruneAnovaenmesuresrépétées.
Lelogicielutilisépourl’analysedesdonnéesest Statis-tica9.
Résultats
ComparaisondesfréquencesdesréponsesAn+Xy Lamoyennedunombretotalderéponses[R]pourles infir-miersestde23,21(±6,62)etlamoyennedunombretotal deréponses[R]pourlessujetstémoinsestde22,45(±8,04). Cesdeuxmoyennesnediffèrentpas(t(74)=0,45,p=0,24) et correspondent aux normes américaines, franc¸aises et belges. En revanche, la moyenne de réponses An+Xy (3,58) est nettement plus importante pour le groupe «infirmiers»comparéeaugroupetémoin(0,89,t(74)=6,62, p<0,000005) et aux trois normes comparatives que nous avonssélectionnées(de0,96à1,83,Tableau1).
Sur les 38protocoles du groupe témoin, 34réponses An+Xysontapparues,alorsquepourlegroupe«infirmiers», le nombre total de réponses An+Xy est de 136. Cette différence est nettement significative selon le test sta-tistique du Chi2 (Tableau 2) et l’analyse de variance en mesures répétées (F(1,74)=44,27, p<0,000). Outre cette différencetrèssignificativesurlenombretotalderéponses An+Xy, 31protocoles de sujets infirmiers contiennent au moinsdeuxréponsesAn+Xyalorsqueseulementhuitsujets dugroupetémoinprésententcettemêmecaractéristique. Enfin,22sujets infirmiers sur 38présententunnombre de réponsesAn+Xysupérieurà2,pourseulementtroissujets témoins.Cesdeuxdernièresdifférencessontégalement sta-tistiquementsignificatives(Tableau2).
Pour présenter ces mêmes résultatsen termesde fré-quence,nousobservonsque81,6%dessujetsinfirmiersont
Tableau3 Comparaisondeproportionsdesujets présen-tant un protocolecomportant An+Xy égaleà 2et An+Xy
supérieurà2. Sujets infirmiers (n=38) Sujets témoins (n=38) An+Xy=2(occurrences) 81,6%(31/38) 21,1%(8/38) An+Xy>2(occurrences) 57,9%(22/38) 7,9%(3/38)
Tableau4 NombreetfréquencedesréponsesAn+Xy en fonctiondeleursqualitésformelles(ordinaire,inhabituelle oumauvaise)etdugroupe(infirmiersoutémoins).
Sujetsinfirmiers RéponsesAn+Xy Sujetstémoins Réponses An+Xy Nombretotal deréponses 136 34 FQo 22 (16,2%) 10 (29,4%) FQu 46 (33,8%) 10 (29,4%) FQ— 68 (50%) 14 (41,2%) FQ:qualitéformelle.
aumoins deuxréponses An+Xy, alorsque c’estle cas de seulement 21,1% des sujets de l’échantillon témoin. En outre, 57,9% de sujets infirmiers donnent plus de deux réponses An+Xy pour seulement 7,9% de sujets témoins (Tableau3).
Comparaisondesqualitésformellesdesréponses An+Xy
Ence quiconcerne la qualité formelle (FQ)des réponses An+Xy, parmi les 136réponses des sujets infirmiers, 50% sont de forme «moins» (—), 33,8% sont de forme «inhabituelle» (u) et 16,2% sont de forme «ordinaire» (o).Les sujets témoinsfournissent quantà eux 41,2% de réponses«moins»,29,4% deréponses «inhabituelles» et 29,4%deréponses«ordinaires»(Tableau4).
L’analysedevarianceenmesuresrépétées(àpartirdes données brutes) met en évidence un effet d’interaction significatif (F(74,1)=6,21, p<0,005, Fig. 1) qui démontre quesilesnombresdeformesordinaires,deformes inhabi-tuellesetdemauvaisesformespourlesréponsesAn+Xysont relativement similaires dans le groupe témoin, les sujets infirmiersdonnentquantàeuxunnombresignificativement plusélevédemauvaisesformes(1,79)quedeformes inhabi-tuelles(1,21)etfinalementquedeformesordinaires(0,58, F(1,74)=8,75,p<0,0005).Lesanalysespost-hocmettenten évidenceune différencesignificative entrelestrois types de qualité de réponses dans le groupe des infirmiers (de p<0,05àp<0,0000), alorsqu’aucune différence significa-tiven’apparaîtauseindugroupecontrôle(p=0,64etp=1).
Figure 1 Qualité formelle (ordinaire,inhabituelle ou mau-vaise)desréponsesAn+Xydanslegroupeinfirmieretdansle groupetémoin.
Discussion
Objectivationduphénomène:lesinfirmiers fournissentplusderéponsesanatomiques
La comparaison des réponses «anatomie» aux protocoles de Rorschach des sujets infirmiers avec ceux de la popu-lation témoin nous permet de confirmer les intuitions et les observations [11] qui n’avaient jamais été soumises à une vérification empirique. Les infirmiers fournissent, de manière statistiquement très significative, un nombre plusélevéderéponsesàcontenuanatomique(An+Xy).De manièreplusdétaillée,nouspouvonsaussiobserverqueles infirmiersdonnentsignificativementplusfréquemment« au moinsdeux» (indiquant,selonlespropositionsd’Exner,des préoccupationscorporelles)et« plusdedeux» (indiquant, toujoursselonExner,despréoccupationscorporelles impor-tantes)réponsesàcontenuanatomique.
Cependant,cesrésultatsnepeuventpasêtre catégori-quement interprétésde lasorte.Eneffet,ilnepeutêtre soutenuquelessujetsinfirmiersprésententuneproportion si élevéedetroubles etpréoccupationscorporelles.Selon nous,deuxhypothèsespsychologiquessontàdégager: • laplusévidenteconsisteàconsidérerqu’ilestprobable
queces résultatssoientliésàlaconfrontation aucorps dansle quotidienprofessionneldes infirmiers.Àtravers lanotiondecorps,nouspensonsaucorpsréel,maisaussi àlareprésentationdecelui-ci.Ils’agiraitdonctantd’une confrontationvisuelle(lecorpsréel)quedela représenta-tionimaginairequelesujetinfirmiers’enfait.Ilnefaut effectivementpasoublier quebeaucoupdesujets infir-miers nesont pas directement confrontés aux organes, maisbienàleursreprésentationsvisuelles(radiographies, planche anatomique, etc.) ou discursives (discours des professionnels,despatients,etc.);
• unesecondehypothèse, quinenous apparaîtpasmoins probante(sil’ons’interrogesurlesfondementslogiques du test), est de considérer que ce nombre élevé de contenus anatomiques ne dépend pas uniquement de perceptionsantérieuresouquotidiennes.Eneffet,nous pouvons suggérer qu’il s’agit aussi d’une tendance du
LescontenusanatomiquesautestdeRorschach 99 sujet à livrer, à travers ses perceptions, des
carac-téristiques idiosyncrasiques permettant de diffuser son identitépropre.SelonExner[15,16],letestdeRorschach est une situation originale de confrontation à des sti-muli complexes à travers laquelle le sujet donne des informations sursesmodesd’entrée encontactavecla «réalité».Àpartir decepostulat théorique, nous pou-vonsnousdemanderdequoidépendcequ’un sujetvoit (et verbale) dans un contexte complexe donné. Dans le cas présent, nous pouvons émettre l’hypothèse que les sujets infirmiers, sélectionnés en cette qualité, en proposant desréponses anatomiquesontétéconformes à l’identité sociale implicitementattendue (cherchant, d’une certaine manière, à confirmer lapremière hypo-thèseexplicitéeci-dessus).Rappelonsqu’Exneretal.[26] ontpumontrerqu’enrèglegénéraleunindividuverbalise seulement 25% des réponses potentielles qu’il perc¸oit. Cela est assez congruent avecle fonctionnement com-plexedelaréalitésociale:engroupe,lesujetsocialne verbalisepasl’ensembledesesperceptionsetsansdoute verbalise-t-il préférentiellement des données qui vont contribueràdéfinirsonidentitésociale.Probablement,à l’inverse,siuneperceptionnecorrespondpasàl’identité dusujet,cettedernièrepourraitêtremoinsfréquemment verbalisée malgré le fait qu’elle ait été perc¸ue. Souli-gnons,infine, quecettehypothèseestvalablequel’on considère ces « choix identitaires» deréponses comme étantconscientsouinconscients.
Ces deux hypothèses nesont évidemmentpas mutuel-lement exclusives et auraient même plutôt tendance à se compléter et à se renforcer l’une l’autre. Elles nous semblentcorrespondreàl’hypothèse généraled’Exnerqui consisteàdéfinirletestdeRorschachcommeuneépreuve essentiellement perceptivo-cognitive (et secondairement projective).
Donnéescomplémentaires:lesinfirmiers
fournissentplusderéponsesanatomiquesavecune qualitéformelle«inhabituelle»et«mauvaise» Nos secondes analyses statistiques nous ont permis de mettreenévidencelefaitquelessujetsinfirmiers,enplus defournirdavantagedecontenusanatomiques,perc¸oivent cesréponsesselonunequalitéformellemoinsadéquate.En effet, les infirmiers donnent proportionnellement plus de réponsesanatomiquesavecunequalitéformelle«moins»ou « inhabituelle»que lapopulation témoin. Cettedeuxième observationestintéressantecar,sinousnousaccordonspour direquelaperceptionélevéederéponsesanatomiquesest liée à l’activité professionnelle de nos sujets, nous pou-vonsmettreenévidenceunvéritableeffetdedéformation visuelle liée à la profession. Cette «déformation profes-sionnelle»estintéressanted’unpointdevuepsychologique car elle suggère que cette tendance à percevoir plus de réponsesanatomiques puisse,dans des circonstances plus importantesquecequ’ilnepourraitêtreattendu(plus fré-quemmentquelapopulationtémoin),s’opéreraudétriment du«réel»—–bienquecestatutderéeletderéalitédoitêtre entenduavecprécautionetrelativité,grâcenotammentaux apportsdelaphénoménologie[27].
LecontenuauRorschachcommevecteurde diffusiondel’identitédusujet
Nos résultats concernant les contenus anatomiques des sujets infirmiers nous permettent de formuler une hypo-thèse sur le statut identitaire que peuvent recouvrir, en fonctionducontexte, lescontenus au Rorschach. Ilvade soiquecetteproposition nepeutêtre systématiséeetne peutêtreappliquéeàl’analysedescontenusengénéral,ni mêmeauxcontenusanatomiquesenparticulier.Cette hypo-thèse doitplutôt être envisagée, selon le contexte, pour comprendrecommentlesujetapu,éventuellement, sélec-tionner,certains contenus pour diffuserson identité. Afin d’étayercettehypothèse,laméthodologiepourrait consis-ter,dans une tellesituation, àinterroger, a posteriori,le sujet lorsqu’un nombre étonnamment élevé de contenus spécifiquesestproposé(cequenousn’avonspasfaitdans notre étude auprès des sujets infirmiers). Nous pouvons, enoutre,constaterquelescontenusseraientundesseuls éléments du test de Rorschach que le sujet semble pou-voir maîtriser «volontairement». Ou, du moins, le sujet auraitune relativeimpression decontrôle, contrairement àdenombreusesautresvariablescommelesdéterminants desréponses(estompages,mouvements,couleurs,etc.)ou leurslocalisations.Cettedernièreconstatationdevraitêtre approfondiedans des études portant sur lespratiques de simulationautestdeRorschach.
Formulationderecommandations
Les résultats de notre étude et les hypothèses que nous avonspuformuleràpartirdeceux-cinouspermettent, in fine,d’émettreune recommandationgénérale concernant l’utilisation des contenusanatomiques(etpouvant proba-blement concerner l’ensemble des contenus de manière générale) pour l’analyse du test de Rorschach. En effet, touteinterprétation devraêtreeffectuéeavecprécaution etilconviendradegarderàl’espritquelaperceptiondes contenusanatomiques(etsurtoutleurverbalisation)peut, seloncertainescirconstances,êtreplusvraisemblablement liéeàunefamiliaritéaveclescontenusproposésouunmode dediffusiondel’identitésocialedusujet (identité profes-sionnelle).Cestendancespeuventserévélerimportantes, puisqu’ellespeuventprendre lepassur lescontraintes du réel (lorsque les sujets infirmiers donnent des réponses anatomiquesavec une qualité formelle «inhabituelle» et surtout«mauvaise»).
Déclaration
d’intérêts
Lesauteursdéclarentnepasavoirdeconflitsd’intérêtsen relationaveccetarticle.
Références
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