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Sur deux modes de rationalité (substantielle, relationnelle) et leur composition. Application à la trilogie temps/espace/mouvement

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Academic year: 2021

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Sur deux modes de rationalité

(substantielle, relationnelle) et leur

composition. Application à la trilogie

temps/espace/mouvement

Bernard GUY

Ecole des Mines de Saint-Etienne, Institut Mines Télécom UMR CNRS n°5600 EVS (Environnement, Ville, Société)

LASCO (*) Idea Lab de l’Institut Mines-Télécom

(*) LAboratoire Sens et COmpréhension du monde contemporain

bernard.guy@mines-stetienne.fr

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Résumé

Nous faisons ici rentrer la trilogie temps / espace / mouvement dans la ronde des régressions à l’infini de la pensée complexe. Nous discutons pour cela de façon élémentaire l’articulation de deux modes de rationalité (ou pensées, ou discours) que nous nous permettons de définir, soient le mode substantiel d’un côté, et le mode relationnel ou complexe, de l’autre. Le pôle substantiel est un pôle disjonctif qui pointe, et fonctionne essentiellement avec des mots ; le pôle relationnel est compréhensif et englobe, allant jusqu’à des images. Ce sont deux pôles inaccessibles et indissociables, car on peut toujours disjoindre un peu plus ce qu’on avait pourtant considéré comme élémentaire ; et on peut toujours rassembler un peu plus les ensembles distingués en les regroupant dans des ensembles plus vastes. Il est erroné de disjoindre le temps et l’espace, on ne peut pas les envisager sans les englober dans le mouvement. La pensée compréhensive permet de façon naturelle de sortir le temps de son splendide et absurde isolement (de même pour l’espace). Penser le mouvement c'est penser à la fois ce qui est mobile et, par comparaison obligée, ce qui est immobile (ou moins mobile…).

Mots clés : pensée substantielle ; pensée relationnelle ; pensée complexe ; temps ; espace ;

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Sur deux modes de rationalité et leur articulation

Nous faisons ici rentrer la trilogie temps / espace / mouvement dans la ronde des régressions à l’infini de la pensée complexe (au sens d’Edgar Morin, nous allons le repréciser). Nous discutons pour cela de façon élémentaire l’articulation de deux modes de rationalité (ou pensées, ou discours) que nous nous permettons de définir, soit le mode substantiel d’un côté, et le mode relationnel ou complexe, de l’autre. Nous avons invoqué dans nos travaux cette articulation sensée faire tenir ensemble la trilogie temps, espace, mouvement, en donnant au troisième terme sa pleine valeur et son autonomie. Reparlons d’abord de ces deux modes ou pôles de rationalité, avant l’application à la trilogie annoncée. Le pôle substantiel est un pôle disjonctif qui pointe, et fonctionne essentiellement avec des mots ; le pôle relationnel est compréhensif et englobe, allant jusqu’à des images.

Ces deux pôles construisent notre connaissance en correspondance avec le monde. Ce monde que, par commodité, nous pouvons regarder sous différents angles de vue, en le découpant en différentes parties1. Le fonctionnement de ces parties est contrasté et peut s’analyser pour chacune à l’aide d’un dosage particulier entre les deux pôles de rationalité que nous venons de rappeler et qui se définissent en opposition et travaillent en composition l’une avec l’autre :

- Rationalité substantielle ou encore cartésienne, plutôt à l’œuvre pour des systèmes relativement « simples », décrits en particulier par la physique classique, par exemple un ensemble de points matériels soumis à des forces de gravitation2.

- Rationalité complexe ou pascalienne, à l’œuvre pour des systèmes moins simples, tels une personne humaine ou un groupe social. On parle aussi de « pensée complexe » ou parfois, par raccourci, de complexité.

Dans la rationalité cartésienne (substantielle, aristotélicienne3), on suppose que l’on peut

regarder telle partie du monde de l’extérieur, et fixer un instant de départ à son étude. On estime savoir faire une distinction entre les entités élémentaires et les relations qu’elles entretiennent, susceptibles d’être formulées à l’aide d’équations mathématiques. Celles-ci expriment une causalité linéaire autorisant des prévisions, à confronter à l’expérience. La connaissance progresse : les lois paraissent imposées sans arbitraire par le réel, avec un

1 Heisenberg : Le manuscrit de 1942. 2

On pourrait certainement discuter : il n’y a pas de système vraiment simple (voir la suite de la discussion).

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caractère d’unicité. Elles sont déterministes, sans certes toujours autoriser la prévisibilité parfaite, comme pour les systèmes sensibles aux conditions initiales (SCI) (par exemple le système de trois corps en mécanique ; voir aussi le cas de la météorologie). Malgré cette limitation, cette rationalité cartésienne inspire la sécurité, la maîtrise ; il y a pour elle coïncidence entre vérité (c’est-à-dire correspondance avec la réalité) et cohérence logique interne ; elle ne connaît pas (et n’accepte pas) de contradiction. Elle donne le sentiment d’aller vers une perfection, un achèvement.

Son nom renvoie à Descartes qui, dans le Discours de la méthode, nous demande de séparer et diviser : « séparer toutes choses et diviser chacune des difficultés en autant de parties qu’il se pourra ». Ce processus de séparation (l’abstraction en relève, qui se permet d’extraire du monde telle propriété pour la penser toute seule) renvoie à autant de mots que l’homme met en face des entités distinguées. Ces mots disjoignent comme le processus qui les engendre.

Par opposition la rationalité complexe (relationnelle, pascalienne4) ne possède pas toutes ces propriétés. Le chercheur qui la construit ne peut sortir du monde pour le regarder de l’extérieur ; il ne peut faire facilement la distinction, comme dans la pensée substantielle, entre entités élémentaires et lois d’interactions ; il en est réduit à établir des comparaisons de proche en proche entre des fragments du monde dans une pensée relationnelle. Il établit des groupes, des catégories, ayant un caractère englobant, entre lesquelles il met des frontières. Il y a récursivité, les objets se définissant par comparaison les uns avec les autres dans des cycles sans fin. Ainsi il n’y a pas de « point de départ » unique. Pour stabiliser cette pensée, il y a nécessité de faire des choix « arbitraires », c’est-à-dire soumis au libre arbitre. Des choix désignant un étalon archétypal qui possède des propriétés de constance et stabilité (supposées, décidées telles) mimant celles que l’on croyait atteindre dans la rationalité cartésienne. Suivant les choix faits, on construit des connaissances apparaissant différentes, bien qu’elles portent sur la même portion de réalité (pluralisme théorique). Un exemple caractéristique est celui des nombreuses théories du fonctionnement psychique (la psychanalyse et le complexe d’Œdipe ; la théorie du désir mimétique ; les approches par les neurosciences etc.). Il peut y avoir des contradictions entre les différentes théories ou même entre certains morceaux d’une même théorie, et il y a découplage entre cohérence logique et valeur de vérité. Mais comme le souligne Pascal : la contradiction n’est pas marque de fausseté. La contradiction posée à un

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niveau peut se soulager en considérant la question à un niveau plus englobant. Cette pensée engendre l’inconfort (le sentiment de tourner en rond), le renoncement à une connaissance claire et complète (présence d’incertitude, propriété d’incomplétude) ; elle est fondée sur une pratique, ou sur des désignations (provisoires…), davantage que sur des définitions « ultimes » que l’on ne peut toujours produire (« on ne sait pas toujours complètement de quoi l’on parle »). En contrepartie, elle n’est pas « close », elle est ouverte, dynamique, toujours à reprendre ; elle demande un dialogue renouvelé, sans fin, entre les différents chercheurs ; et la quête d’un point de vue « méta ». C’est la seule rationalité possible dès que l’on dépasse les systèmes « simples ». Cette rationalité fonctionne a priori encore avec des mots, mais on soulignera à ce stade leur caractère plus compréhensif, plus embrassant, que ceux de la rationalité cartésienne5.

Extension de la pensée complexe à une pensée compréhensive sans mots

Nous prenons le parti d’étendre, dans notre façon d’en parler, le champ de la pensée relationnelle complexe, en le faisant participer au vaste champ de ce que les neurosciences nous font (re-)découvrir aujourd’hui : une pensée sans mots, à l’aide d’images, une pensée de la figuration (on parle également de pensée iconique, de pensée diagrammatique lorsque les images produites ont une visée spécialement scientifique etc.). Nombreux auteurs ont souligné l’importance de cette pensée, tels Bachelard ou Bergson dans un passé récent6. Si l’on

continue d’évoquer une qualité relationnelle, c’est qu’il y a bien liaison, sous forme d’images, au moins dans le cerveau, entre les mots ou entités éventuellement pointés dans la pensée cartésienne. Les entités séparées sont englobées en parcourant des parties de plus en plus grandes de l’espace de la pensée ou du cerveau (sur des intervalles de temps possiblement croissants) ; cela correspond à une intégration ou moyennisation, nous conduisant à un outre-mots, à un amont des mots. Le chemin inverse de cette intégration est une subdivision : on retrouve les entités séparées et leurs désignations par une fragmentation des images.

On ne peut privilégier l’un ou l’autre sens dans lequel comprendre et analyser ces liens, de l’ensemble vers l’élément, ou de l’élément vers l’ensemble ; c’est-à-dire encore du mot vers

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On désigne par systémique une approche théorisée et relativement générale des systèmes complexes : démarche pragmatique sans la prétention de découper le système en éléments simples ni se raccorder d’emblée à des lois physiques connues, mais où l’on tente de relier par différentes méthodes (algébriques, statistiques, réseaux de neurones etc.) les « entrées » et « sorties » du système macroscopique, pour cerner et prédire son comportement.

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l’image ou de l’image vers le mot. Ecoutons à nouveau Pascal7

: « je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties ». Et encore : « toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes ». La causalité est ici non linéaire, circulaire : on ne peut envisager des entités séparées sans envisager un cadre qui les contient, et les relie, où elles sont repérées comme séparées ; et on ne peut pas parler de relations entre entités sans les nommer et les isoler comme entités. Pensée substantielle disjonctive analytique et pensée relationnelle compréhensive synthétique vont logiquement ensemble, cette dernière s’enracinant dans une pensée plus vaste sans mots. Ce sont deux pôles inaccessibles et indissociables, car on peut toujours disjoindre un peu plus ce qu’on avait pourtant considéré comme élémentaire (la particule est le lien entre les sous-particules) ; et on peut toujours rassembler un peu plus les ensembles distingués en les regroupant dans des ensembles plus vastes (Figure 1). En d’autres termes, la pensée substantielle peut être considérée comme relationnelle si on grossit les objets qu’elle pointe et qu’on en regarde des morceaux reliés ; et la pensée relationnelle peut être vue substantielle si on prend du recul sur les relations qu’elle définit en en regardant simplement les contours comme des points. La dualité entre particules et vecteurs d’interaction en physique exprime cela à sa façon. Le second mode compréhensif est un garde-fou : pour éviter trop d’égarements dans le fonctionnement des mots, en particulier abstraits, on s’appuie de façon implicite sur lui : il parcourt, il relie ce qui est séparé de façon artificielle selon le premier mode. La discussion, voire la résolution, de contradictions se joue souvent à la jointure des deux modes.

Donnons un exemple en invitant le lecteur à penser à une pièce de monnaie. Il en a l’image mentale : il peut la faire tourner à loisir dans son esprit. Parlons en maintenant avec des mots : nous disons le « côté pile de la pièce » et le « côté face ». Nous pouvons éloigner ces deux mots « pile » et « face » l’un de l’autre autant que nous voulons ! Mais nous commettons une erreur si nous élaborons une théorie qui ne concernerait que les côtés « face » des pièces de monnaie, sans jamais envisager le côté pile, c’est à dire sans jamais envisager l’entièreté de la pièce. Cette erreur peut être plus ou moins grave… Ou encore à propos d’une montagne, ne regardant que les cimes en niant leur soubassement.

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Les deux rationalités fonctionnent en composition l’une avec l’autre en proportions diverses

(même si on n’en a pas toujours conscience). On peut voir aujourd’hui dans la physique la plus fondamentale (la mécanique quantique, la thermodynamique etc.8) des aspects de la rationalité « relationnelle » reposant sur des choix de nature sociale non strictement imposés par la réalité (en ce sens on peut dire que toutes les sciences sont humaines). Quand on aborde une discipline donnée, il peut être intéressant de repérer les différents choix adoptés et le degré d’arbitraire qui s’y trouve, de mettre en évidence la présence de boucles de récursivité, ou au contraire de délimiter les sous-parties qui fonctionnent sur le mode cartésien. La compréhension de l’articulation souvent cachée entre les deux rationalités constitue une aide indispensable lorsqu’il s’agit de faire travailler ensemble plusieurs disciplines dans des projets communs (pluridisciplinarité, interdisciplinarité, transdisciplinarité9…). Il est utile de mettre le doigt sur les choix adoptés au départ, non toujours strictement imposés par la réalité, et interdisant un raccord immédiat entre disciplines. Le recul permis par la rationalité complexe nous le permet.

Le temps, l’espace et le mouvement

Tout ce que nous venons de dire de façon générale peut se « décliner » à propos du temps et de l’espace. En suivant Pascal, nous sommes invités à ne pas en rester au temps et à l’espace compris isolément, mais à les lier / délier sans répit. Temps et espace sont dits ou vus comme disjoints dans les mots (les deux mots d’espace et de temps), mais « en réalité » ils sont reliés dans le mouvement, envisagé de façon compréhensive. Sans rentrer dans le détail du fonctionnement du cerveau permettant de donner corps à cette façon de voir, nous dirons qu’il est erroné de disjoindre le temps et l’espace, on ne peut pas les envisager sans les englober dans le mouvement10. Séparer le temps de l’espace et élaborer de multiples théories du temps, comme s’il existait tout seul, est une faute. La pensée compréhensive permet de façon naturelle de sortir le temps de son splendide et absurde isolement (de même pour l’espace). Penser le mouvement c'est penser à la fois ce qui bouge et, par comparaison obligée, ce qui ne bouge pas. La pensée synthétique a aussi besoin de mots pour se stabiliser et se dire, et la procédure d'arrêt fait apparaître des hypothèses, ou décisions cachées, de constance ou

8 Voir par exemple Guy B. (2017) General relativity and the epistemology of space and time: a relational

approach, <hal-01529574>. Guy B. (2017) What can a better coupling between space and time concepts bring to thermodynamics ? <hal-01529570>. Guy B. (2016) L’espace, le temps et l’entropie, Editions universitaires européennes, 110 p.

9 Voir Guy B. et Leriche R. (2014) Articulation des rationalités cartésienne et "complexe" dans les projets

associant plusieurs disciplines, Actes des 3° ateliers sur la contradiction, Presses des Mines, Paris, 121-130.

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C’est ce que des philosophes, des artistes, des écrivains, ont déjà vu ou dit : il faut faire fonctionner ce lien dans la physique même, davantage que ce qui se fait aujourd’hui.

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uniformité de quelque chose, dans des opérations concrètes que l’on montre, donnant aux mots associés une fermeté nécessaire, même si provisoire... Dans le cas de la trilogie temps / espace / mouvement, les opérations concrètes renvoient à la lumière, entendue comme mouvement ou phénomène étalon liant temps et espace dans un « repère »11.

11 Guy B. (2013) Sur la « vitesse » de la lumière et sa mesure : disparition des étalons d’espace et de temps ;

l’étalon de mouvement ; <hal-00814874>; et communication au 22° Congrès général de la société française de physique, Marseille, Juillet 2013 (P082).

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Figure 1 Deux pôles complémentaires de la pensée

Les deux pôles, inaccessibles, correspondent à deux grands types d’opération de la pensée. Le pôle de la disjonction, la fragmentation, l’analyse, la division en entités toujours plus « élémentaires » : mots, points, particules, sous-particules… Le pôle de l’agrégation, la compréhension, la synthèse, la mise en relation d’ensembles toujours plus grands : phrases, livres, images, images d’images… Ces deux pôles engendrent un emboîtement infini d’ensembles/éléments tant d’un côté que de l’autre. L’espace et le temps se saisissent en allant du côté gauche, le mouvement en allant du côté droit.

Figure

Figure 1 Deux pôles complémentaires de la pensée

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تيلوع تجشخٌلا يه تجلاعه تيحطس لخذخح يف ءاوًا ثابيكشخلا عىٌلا يه تفلخخولا ٍزه لكايهلا يه ايلاح داىه تيلاثه شيىطخل ثايئاٌثلا تثعابلا تلهاعلا ءىضلل