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Inclusion des diversités dans la société québécoise et violence structurelle : penser le dialogue comme réponse philosophique

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Conférence intitulée « Inclusion des diversités dans la société québécoise et violence structurelle : penser le dialogue comme réponse philosophique », dans le cadre du deuxième colloque organisé par l’équipe de recherche en partenariat sur la diversité culturelle et l’immigration dans la région de Québec (ÉDIQ) et la chaire de recherche sur l’intégration et la gestion des diversités en emploi (CRIDE) à l’Université Laval, sur le thème « Les diversités au Québec : vers leur reconnaissance et leur inclusion », lors de la deuxième séance du 9 mars 2021, par Mario Ionuț Maroşan.

Inclusion des diversités dans la société québécoise et violence structurelle : penser le dialogue comme réponse philosophique

Mesdames, Messieurs : c’est pour moi un honneur de participer aujourd’hui, en tant que philosophe, à ce dialogue autour d’une grande question politique, ô combien centrale : c’est-à-dire celle de la pluralité des valeurs dans notre grande pólis (πόλις), en tant que communauté de citoyens québécois libres et autonomes. Plus précisément, mon point de départ est l’incommensurabilité des valeurs et les conflits qui en découlent : autrement dit, que la chose politique consiste à répondre à tout conflit avec le dialogue et l’écoute. C’est pour cela que la conversation doit être visée, avant la violence, mais aussi avant la négociation. Cette conversation doit donc passer par l’écoute qui est en somme la condition des conditions dans la sphère privée (c’est-à-dire l’éthique), comme dans la sphère publique (soit le politique).

Dans ces conditions, il m’apparaît important d’insister sur l’aspect critique de mon approche philosophique qui s’efforce de faire sauter et ainsi désarmer les approches monistes des théoriciens. Car, pour ces théoriciens, les valeurs sont commensurables : en

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affirmant cela, ils effacent le conflit – ils en font une question d’apparence – du moment que les valeurs des citoyens n’entrent plus en opposition mais s’imbriquent au sein d’un grand tout (système unifié). Or, il faut se méfier d’un tel discours moniste. Concrètement, ma critique vise directement trois traditions fortes : (i) les tenants de l’éthique de la vertu (par exemple, le philosophe écossais Alasdair MacIntyre); (ii) les conséquentialistes tels que les utilitaristes (par exemple, le philosophe britannique John Stuart Mill); (iii) les théoriciens déontologistes tels que les kantiens (par exemple, le philosophe américain John Rawls). Cette brève introduction me permet de poser les bases de mon argumentation : en d’autres mots, alors que certains penseurs s’appuient sur l’idée selon laquelle les valeurs sont commensurables, j’estime qu’il faut plutôt partir de l’incommensurabilité des valeurs. Le conflit requiert d’être pris au sérieux.

« Le conflit est père de tout » pólemos pantōn men patēr esti (πόλεµος πάντων µὲν πατήρ ἐστι) : chez le présocratique Héraclite (VIe siècle av. J-C.), le conflit est central, en tant que principe générateur. À défaut de disposer du temps nécessaire pour examiner de manière approfondie le fragment héraclitéen B53, il convient néanmoins de le porter à votre attention :

Héraclite, fr. 53 :

πόλεµος πάντων µὲν πατήρ ἐστι, πάντων δὲ βασιλεύς, καὶ τοὺς µὲν θεοὺς ἔδειξε τοὺς δὲ ἀνθρώπους, τοὺς µὲν δούλους ἐποίησε τοὺς δὲ ἐλευθέρους.

pólemos pantōn men patēr esti, pantōn de basileus, kai tous men theous edeixe tous de anthropous, tous men doulous epoiese tous de eleutherous.

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Traduction de Heidegger, Einführung in die Metaphysik (traduite par G. Kahn) :

Auseinandersetzung ist allem (Anwesenden) zwar Erzeuger (der aufgehen läßt), allem aber (auch) waltender Bewahrer. Sie läßt nämlich die einen als Götter erscheinen, die anderen als Menschen, die einen stellt sie her(aus) als Knechte, die anderen aber als Freie.

Le s’expliquer-par-la-lutte est, pour tout (pour tout ad-estant), certes celui qui engendre (celui qui fait s’épanouir), mais (aussi), pour tout, le gardien perdominant. Car il fait apparaître les uns comme dieux, les autres comme hommes, il pro-duit les uns comme des esclaves, les autres comme des hommes libres.

(Eleni Kontogianni, « Héraclite par Heidegger : le logos comme recueillement de la physis », Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, 45, 2019, p. 205 citant Martin Heidegger, Einführung in die Metaphysik, GA 40, éd. P. Jaeger, Francfort, Klostermann, 1985, p. 66 et Heidegger, Introduction à la métaphysique, tr. fr. G. Kahn, Paris, PUF, 1958, p. 72)

Traduction utilisée par Pietro Pucci :

Pólemos est le père de toutes choses, le roi de tous les êtres : les uns il les révèle comme dieux, les autres comme hommes ; il a rendu les uns esclaves les autres libres.

(Pietro Pucci, « Héraclite : l’universel et le particulier », Revue de Philosophie Ancienne, 23, 2, 2005, p. 31)

Ce détour par Héraclite – ou plutôt un retour – nous permet de plonger au cœur de la thématique du conflit. Autrement dit, le caractère polysémique du terme pólemos (qui en langue française peut être traduit par conflit, guerre, combat, bataille, dispute, différend ou querelle)

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ouvre précisément sur mon analyse des conflits politiques aujourd’hui. Au moyen d’une série de distinctions philosophiques – à commencer par celles fondamentales entre opposition et confrontation, opposants et adversaires, amis et ennemis, conversation et négociation –, ma contribution au colloque va se déployer, dans un premier temps, dans le sens d’une critique sévère des discours politiques qui conçoivent la chose politique comme une occasion de « lutte » (le slogan suivant s’applique à cette conception : battez-vous pour votre droit à vous battre) et, dans un second temps, via la possibilité de déplacer l’exigence vers une politique de la conversation : donnant un rôle plus important à la conversation en tant que forme de dialogue distincte de la négociation. Pour ce faire, mon propos s’enracine dans l’article de :

Charles Blattberg, « Exiger la reconnaissance ? », trad. Roseline Lemire-Cadieux, La reconnaissance dans tous ses états, sous la direction de Michel Seymour, Montréal, Québec Amérique, 2009, p. 69-101.

À ce stade de mon argumentation, deux idées m’apparaissent particulièrement importantes à mettre en évidence car elles structurent la fondation de la problématique posée :

(i) En présence d’un conflit politique, les citoyens doivent s’engager dans une même activité, à savoir le dialogue.

(ii) Seulement il existe plusieurs formes de dialogues : dans ces conditions, souligne Blattberg, « toutes les formes de dialogues ne peuvent pas convenir puisqu’on a besoin d’une compréhension commune, et cela veut dire que les participants doivent se considérer comme des « opposants » et non comme des « adversaires » (p. 70).

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Pourquoi ? Parce que lorsqu’on quitte le domaine de l’opposition (où nous sommes des opposants) pour entrer dans celui de la confrontation (c’est-à-dire en tant qu’adversaires), la relation tend à se modifier et à devenir antagoniste. À ce moment-là, la confrontation entre les adversaires a pour objectif le fait de gagner quelque chose : mais le gain de l’un est toujours conditionnel à la perte de l’autre. Autrement dit, nous sommes en présence d’une relation antagoniste correspondant à un processus à somme nulle : quand l’un gagne, l’autre perd.

À titre d’exemple, dans le cadre du premier épisode de la deuxième saison de l’émission « [Re]penser le monde », diffusée sur la plateforme « Savoir média », portant sur la question « Comment vivre tous ensemble ? », les différents échanges entre l’animatrice, les trois invités et le philosophe en résidence mettent de l’avant une vision politique qui se limite aux compris et aux accommodements, plutôt qu’à la réconciliation. Seule la négociation est alors envisagée.

(https://savoir.media/repenser-le-monde-saison-2/clip/comment-vivre-tous-ensemble)

À mon avis, il se dessine aujourd’hui dans la sphère publique (c’est-à-dire du politique) – mais également dans celle privée, de l’éthique – une situation bien particulière qui paradoxalement ne reçoit pas toute l’attention qu’elle mérite : les conflits politiques sont plus souvent qu’autrement compris comme des occasions de lutte. Un certain glissement se produit.

Pour illustrer cette tendance et du même coup jeter un éclairage important sur un glissement dangereux qui est à l’œuvre, il convient d’esquisser, suivant Blattberg, « un spectre des moyens de répondre aux conflits », en distinguant entre activités dialogiques et monologiques (force), de la conversation à la violence, en passant par la négociation (p. 71) :

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(ibid.)

Mon hypothèse est la suivante : on assiste aujourd’hui à un glissement vers la droite du spectre.

D’abord, j’attire votre attention sur le fait que la conversation représente une voie permettant de répondre aux conflits politiques – c’est-à-dire de s’opposer – à contre-courant du rapport antagoniste (qui est aujourd’hui malheureusement majoritaire). La conversation est le lieu de l’écoute, par opposition aux tendances visuelles; il est essentiel de revenir sur cette grande distinction entre phénoménologie auditive et visuelle dans la partie conclusive. « Dans une conversation, les parties s’écoutent afin de trouver des moyens de résoudre leurs conflits, c’est-à-dire d’arriver à leurs fins plutôt que de faire des compromis » (ibid.). Ce n’est donc pas un accommodement qui est ici visé mais plutôt le fait d’arriver à une compréhension commune. Car la conversation se déploie non pas entre des adversaires où il doit nécessairement y avoir un perdant (pour qu’il y ait un gagnant), mais entre des opposants « qui ressemblent plus à des amis qu’à des ennemis[; qui devront] « s’efforcer » ensemble (coopérativement) d’arriver à un accord sans jamais « lutter »[, car de] cette manière seulement ils peuvent espérer réaliser leur bien commun » (ibid.). Concrètement, l’interlocuteur qui converse ne cherche pas à détruire l’interprétation proposée par autrui (dans la conversation, l’interlocuteur peut être amené à éventuellement aider autrui à préciser sa position; construire au lieu de détruire) en faisant pression sur lui et en le forçant à accepter l’interprétation du plus fort (ou du plus puissant à la table des négociations) : les interprétations avancées par les interlocuteurs autour d’une conversation doivent être transformées (en partie ou en totalité) de manière à ouvrir sur une interprétation partagée (en tant qu’expérience de vérité qui émerge précisément de l’écoute

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mutuelle et d’une synergie). L’apprentissage, souligne Blattberg, est ultimement au cœur de la conversation du moment que l’interlocuteur s’ouvre à autrui en déployant une écoute sensible lui permettant d’apprendre de lui et d’évoluer (et vice versa). La conversation est alors fragile. Or, peut-être que la fragilité (vulnérabilité, naïveté, chaleur) caractérise l’ambiance démocratique et les conversations qui s’y déploient : alors que fermeté et dureté (froideur et rigidité) triomphent dans l’horizon anti-démocratique du mode de fonctionnement autoritaire.

Ensuite, il y a la négociation (en tant que moyen dialogique d’entrer en confrontation; aux antipodes de la conversation) : elle est un moyen antagoniste de répondre aux conflits puisqu’elle s’insère dans le sillage du processus à somme nulle. En d’autres mots, il est possible de capturer pour ainsi dire l’esprit de la négociation par les deux formules suivantes : « ton gain est ma perte » ou inversement, « ta perte est mon gain ». Suivant cet ordre d’idées, force est de constater que la négociation se situe à la fois dans la continuité et en rupture avec la conversation, en ce qui concerne la place de l’écoute. Dans la continuité, parce que la négociation demeure un moyen dialogique : une forme d’« écoute » est nécessaire. Toutefois, il y a dans un certain sens rupture du moment qu’au lieu de déployer l’écoute sensible de la conversation (où les interlocuteurs « s’écoutent »), dans la négociation « les parties se content de « prêter l’oreille » aux revendications présentées à la table des négociations » (ibid.). Dans ces conditions, il faut distinguer entre le fait de s’écouter et le fait de prêter l’oreille.

À titre d’exemple, on pourrait imaginer une manifestation devant l’Assemblée nationale à Québec opposant d’une part un groupe souhaitant interdire l’étude des textes de Martin Heidegger – dans les établissements d’enseignement supérieur (enseignement collégial et enseignement universitaire) – au Québec en raison de la controverse entourant l’allégeance de Heidegger au national-socialisme et son incapacité à reconnaître ses erreurs publiquement et à

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montrer des remords ou de la compassion à l’endroit des victimes des camps d’extermination, et de l’autre un groupe en désaccord avec la censure (et pour qui Heidegger est l’un des plus influents philosophes du vingtième siècle et peut-être l’un des plus grands penseurs de tous les temps; l’étude de sa philosophie est donc nécessaire). Dans ces circonstances tendues, un des membres quitte temporairement ses rangs afin d’interpeller les membres du camp opposé : « Je veux entendre ce que vous avez à dire, je ne veux pas que nous nous hurlions dessus. Dites-moi ce que vous voulez, pourquoi vous faites ce que vous faites ». En faisant cela, les parties entrent dans la conversation en s’écoutant les unes les autres. Mais si le citoyen en question avait plutôt sollicité des membres du camp opposé ni plus ni moins que d’indiquer leurs revendications sans l’impératif de l’explication, à savoir « dites-moi ce que vous voulez ! », sans le « pourquoi vous faites ce que vous faites ? », c’est alors que la négociation se déploie, les parties se limitant au fait de prêter l’oreille aux revendications des adversaires.

(

https://www.change.org/p/sortirheidegger-penseur-nazi-de-la-liste-des-philosophes-recommand%C3%A9s-en-terminale)

En d’autres mots, dans la négociation, insiste Blattberg, on essaie de « marchander [des] demandes dans l’espoir de parvenir à un accommodement équilibré plutôt qu’à une réconciliation. Puisque la négociation implique toujours des compromis, personne ne peut s’attendre à se sentir particulièrement à l’aise avec les résultats et pour ainsi dire se sentir chez soi. (Après tout, l’« accommodation » n’est-elle pas un logement temporaire plutôt qu’un « foyer » ?) Même si l’on peut s’attendre à ce que les parties fassent pression l’une sur l’autre, on peut néanmoins parler de véritables négociations faites de « bonne foi » lorsqu’elles impliquent des concessions auxquelles elles accèdent dans un respect mutuel et non parce qu’elles s’y sentent forcées. Autrement dit, jusqu’à un certain point, il y a volonté de se tolérer

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mutuellement » (p. 71-72). Toutefois, bien que la négociation se présente comme une voie particulièrement appropriée dans un contexte d’allocation de ressources limitées (par exemple, dans les échanges commerciaux), lorsqu’il est question des valeurs des citoyens dans la sphère publique, force est de constater que les opposants doivent d’abord chercher le fait de parvenir à une véritable compréhension commune (par l’écoute et la conversation) qui exige une réconciliation et qui permet aux interlocuteurs de se sentir à l’aise avec le dénouement et de se sentir alors vraiment chez soi : plutôt que de viser d’emblée accommodements et compromis.

Enfin, à l’extrême droite du spectre, il y a la violence : c’est le lieu non pas du dialogue mais du monologue. Or, il convient de rappeler qu’il s’agit là d’un moyen de répondre au conflit : autrement dit, bien qu’il y ait quelque chose de profondément inquiétant dans le fait d’user de la violence (celle physique mais aussi celle des expressions menaçantes) avant d’avoir essayé d’abord la conversation et ensuite la négociation, il demeure toutefois que dans certains cas extrêmes, les adversaires devenus des ennemis vont recourir à la violence afin de résoudre des conflits (surtout quand la conversation et la négociation n’ont pas fonctionné).

Cela étant dit, dans l’optique d’enrichir le spectre, il convient de le compléter ainsi :

débat plaidoirie

D’un côté, il y a la plaidoirie : c’est un moyen de répondre aux conflits qui est de plus en plus populaire. Concrètement, elle n’est pas dialogique mais monologique (elle est toutefois moins violente que la guerre) : les parties plaident « devant une autorité en charge d’appliquer

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une théorie de la justice » (p. 73). De l’autre côté, il y a le débat qui comme la plaidoirie se situe quelque part entre la violence et la négociation : en débattant, on n’écoute jamais vraiment (du moins pas dans le sens de l’écoute sensible de la conversation, ni même dans le sens de prêter l’oreille comme dans la négociation), sauf pour souligner la faiblesse de l’argumentation du camp opposé. En ce sens, le débat relève davantage du monologue que du dialogue. Les adversaires dans le cadre d’un débat s’engagent à suivre des voies d’argumentation préparées à l’avance et qui leur sont propres : plutôt que de suivre la voie qui pourrait émerger de l’écoute et de l’échange avec son opposant. Ce n’est pas anodin si dans le débat on va chercher à réduire autrui au silence et à lui montrer qu’il se trompe : ainsi, il se doit d’abandonner sa perspective et d’adopter celle du gagnant du débat (sans négociation ni compromis). Pourtant, en adoptant le 2 février 2021 un « Énoncé sur la protection et la valorisation de la liberté d’expression à l’Université Laval », le conseil universitaire limite et renferme les questions liées à la liberté d'expression au seul débat : le vocabulaire du débat (7 mentions) transparaît dans le document officiel et l’Université prose le débat comme moyen privilégié de répondre au conflit (voir Préambule, Énonce fondamental et Engagement).

(

https://nouvelles.ulaval.ca/vie-universitaire/une-liberte-dexpression-cruciale-593f4878f261602f4bc85d2ff1912d85)

En guise de conclusion, il m’apparaît pertinent d’insister sur la fragilité de la conversation (en tant que condition démocratique) : l’écoute sensible (le fait de vraiment s’écouter) en politique est fragile, et il convient, cela va sans dire, de ne pas contribuer à la fragiliser davantage. Or, en glissant sur le spectre des moyens de répondre au conflit vers l’extrême droite (en d’autre mots, en reléguant au second rang la conversation – certains vont même la considérer comme une voie naïve, irréaliste et ils vont alors l’exclure tout simplement

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du domaine politique – en faisant d’emblée appel à la négociation, au débat, à la plaidoirie et à violence), nos sociétés s’éloignent de la réconciliation, de la possibilité même d’arriver à des compréhensions communes et de la réalisation du bien commun : en nous engageant sur des voies de plus en plus antagonistes, on contribue à fragiliser la conversation. En conséquence, ce qui est nécessaire à la place de ces approches antagonistes c’est une vision politique plus ambitieuse, qui vise plus haut que la violence et la négociation, en direction de la conversation et de la réconciliation. Il n’y a aucune garantie de succès, c’est vrai. Mais nous garantissons l’échec si nous n’essayons jamais. C’est là précisément ma contribution aujourd’hui.

Or, deux pistes de réflexions concrètes s’offrent alors à nous, entre autres choses :

(i) la conversation doit être intégrée et favorisée dans l’ensemble du système scolaire québécois : plus précisément, il convient d’insister sur l’écoute et sur un habilité ô combien négligée et absente du cursus académique, à savoir l’« habilité à admettre avec fierté ses erreurs » (p. 100).

(ii) « il nous faut reconnaître comment la domination des médias visuels comme la télévision [et des autres plateformes numériques et dispositifs technologiques encouragent] plusieurs d’entre nous à se « distraire à en mourir » plutôt que de s’appliquer à développer l’écoute nécessaire à la conversation. Nous devons, d’une certaine manière, surmonter les tentations visuelles pour revenir à celles de l’ouïe » (p. 101).

Autrement dit, passer d’un rapport qui relève de la position du spectateur à celui de l’auditeur. Car l’auditeur se distingue de spectateur. Les membres d’une audience sont plutôt dans une posture d’écoute : ils sont là pour questionner afin de rendre compte de la signification de ce qu’ils entendent. Ainsi, ne recherchant pas à contempler la vérité – le fait de la voir – et

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la capturer au moyen d’une vision unifiée (il convient alors de passer également de la théorie comme vision unifiée de la vérité à la pratique, car étymologiquement le mot « théorie », du grec ancien theôría (θεωρία), renvoie vers l’action de voir, l’observation et la contemplation, qui est aussi dérivé de theôrós (θεωρός) et qui relève surtout de la position du spectateur, mais aussi de ce qui est vu et ultimement, qui se rapporte alors à tout ce qui entoure le temps du spectacle), l’auditeur se distingue du spectateur en ce sens qu’il a tendance à entretenir un rapport davantage critique à l’égard de ce qu’il entend. En revanche, lorsqu’on se place dans un rapport qui relève de la position du spectateur, on est emporté par le spectacle. Il faut donc se méfier aujourd’hui de la domination des tentations visuelles : car il en résulte que cette exclusivité, pour ainsi dire, de la vue sur l’expérience de vérité occupe tellement d’espace dans nos vies, qu’il ne reste plus beaucoup de place (en tout cas pas assez) au développement des capacités auditives (c’est-à-dire de cette écoute sensible nécessaire à la conversation).

Pour citer cette conférence :

Mario Ionuț Maroşan, « Inclusion des diversités dans la société québécoise et violence structurelle : penser le dialogue comme réponse philosophique », dans le cadre du deuxième colloque organisé par l’équipe de recherche en partenariat sur la diversité culturelle et l’immigration dans la région de Québec (ÉDIQ) et la chaire de recherche sur l’intégration et la gestion des diversités en emploi (CRIDE) à l’Université Laval, sur le thème « Les diversités au Québec : vers leur reconnaissance et leur inclusion », Université Laval, Québec, 9 mars 2021.

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