L’ENSEIGNEMENT DE LA REPRODUCTION SEXUÉE EN
TUNISIE ENTRE CULTURE SCIENTIFIQUE ET
VULGARISATION
Nada TRABELSI NAJAHI(1) & Christian ORANGE(2)
(1) Faculté des sciences de Bizerte & ISEFC, Université Tunis, Tunisie, (2) IUFM des Pays de la Loire & C.R.E.N. Université de Nantes
MOTS-CLÉS : PROGRAMMES – REPRODUCTION SEXUÉE – ÉPISTÉMOLOGIE – TRANSPOSITION DIDACTIQUE
RÉSUMÉ : L’école occupe 80 % du temps des 4-18 ans, elle est de ce fait le lieu privilégié non seulement d’accès mais d’initiation à la connaissance scientifique. Les nouveaux programmes tunisiens insistent sur l’importance de la culture scientifique et introduisent l’éducation à l’environnement et l’éducation à la santé. À travers l’analyse des objectifs généraux et des objectifs spécifiques présents dans les nouveaux programmes tunisiens, nous allons mettre en exergue les perspectives des nouveaux programmes face au concept de la reproduction sexuée.
ABSTRACT : The school occupies 80 % of the time of 4-18 years ; it is of this fact the privileged place not only of access but of initiation to scientific knowledge. New Tunisian programs insist on the importance of the scientific culture and introduce environment education and health education. Through the analysis of general objectives and specific objectives present in the new Tunisian programs, we will put forward the prospects for the new programs toward a particular concept, that
1. INTRODUCTION
Tous s’accordent aujourd’hui sur l’impérieuse nécessité de développer davantage la culture scientifique face au développement rapide de la science. L’école occupe 80 % du temps des 4-18 ans, elle est de ce fait le lieu privilégié non seulement d’accès mais d’initiation à la connaissance scientifique. Les nouveaux programmes tunisiens (collège et lycée)- à partir de 2006/2008- insistent sur l’importance de la culture scientifique et introduisent l’éducation à l’environnement et l’éducation à la santé. Devant la masse de connaissances scientifiques véhiculées par l’éducation non formelle (la vulgarisation scientifique entre autre) il s’impose de réfléchir sur le rôle de l’école et le statut du savoir à enseigner. À travers l’analyse des objectifs généraux et les objectifs spécifiques d’une part et les contenus relatifs aux sciences de la vie et de la Terre présents dans les nouveaux programmes tunisiens d’autre part, nous allons mettre en exergue les perspectives des nouveaux programmes face à un concept particulier, celui de la reproduction sexuée.
2. EXPLICATIONS ET SAVOIRS SCIENTIFIQUES
Le but de la science que propose Popper, c’est la découverte des explications « satisfaisantes de tout ce qui nous étonne et paraît nécessité une explication » (1991, p.297). Orange pointe (2000, p.22) la conception de Popper, selon laquelle les théories scientifiques sont des tentatives de résolution de problèmes scientifiques, « c'est-à-dire des problèmes liés à la découverte d’explications » (Popper, 1985, p. 329). Ainsi Popper comme nombre d’autres auteurs comme Toulmin mettent l’accent sur la place de l’explication dans l’activité scientifique (Toulmin St., 1973, p. 40).Le point de vue que nous retenons, et que rappelle Orange C. (2000, p. 23-24), est que faire des sciences ce n’est pas seulement prédire, ni seulement décrire, comme le penserait un certain positivisme ou empirisme, mais une recherche et une production d’explication soumise à la critique de la communauté scientifique. Transposé à la didactique de la biologie, le cadre épistémologique qui est le nôtre, privilégie chez les élèves une construction d’explication au sein de la classe où les conceptions des élèves et le savoir scientifique à construire dans un domaine prennent la même caractéristique, à savoir une dynamique explicative. Notre constat est que les élèves ont des difficultés à se détacher de l’aspect fonctionnaliste descriptif de la reproduction et ont plus de mal à construire des modèles explicatifs. Pour comprendre ce qui se passe en classe il est important de s’intéresser à ce qui se passe en amont de ce moment
3. LA CONCEPTION DES PROGRAMMES EN TUNISIE
Il existe en Tunisie une seule édition des programmes d’enseignement des SVT qui est publiée par le ministère. L’enseignement scientifique tunisien est arabophone pendant les trois années du deuxième cycle de l’enseignement de base il devient par la suite francophone. Les programmes sont rédigés par les inspecteurs. L’école suit l’évolution d’une société en mutation ce fait les nouveaux programmes en Tunisie viseraient l’acquisition à l’élève d’un esprit scientifique, critique et ouvert et intégrerait l’éducation à l’Hygiène.
4. MÉTHODOLOGIE
Dans l’enseignement des sciences de la vie et de la terre, les tâches jouent un rôle spécifique dans l’apprentissage de cette discipline qualifiée d’expérimentale. Que ce soit au stade de l’apprentissage ou à celui de l’évaluation, une compétence s’acquiert ou se traduit à travers la réalisation d’une tâche. Notre échantillon se compose des programmes de 8e année et de 9e de base (collège) et des programmes de 3e et de 4e années secondaires (lycée). Nous avons procédé à une analyse de contenu et ce en :
- repérant tous les mots ou verbes qui indiquent les tâches à réaliser par l’élève ; - repérant les thèmes associés à la reproduction sexuée.
Nous avons pour le collège traduit tous les textes des programmes en français. Nous rappellerons que notre analyse s’intéressera à un seul étage de la transposition didactique à savoir la transposition externe ( Chevallard, Y., 1991)
5. RÉSULTATS
Après avoir repéré tous les verbes d’action explicités dans les programmes qui constituent les tâches à accomplir par l’élève, nous les avons catégorisées en deux familles de tâches :
-les tâches descriptives qui sont souvent des tâches qui se rapportent plutôt à l’observation ;
-les tâches explicatives qui sont des tâches où l’élève partant de ses observations va analyser ou poser un problème.
Nous remarquons que les tâches de type descriptif sont plus importantes que celui des tâches explicatives.
Tâches descriptives Tâches explicatives -observer -décrire -reconnaître -mentionner -identifier -constater -disséquer -exposer -préciser -indiquer -mentionner -schématiser -expliquer -déduire -montrer
-exploiter des documents -faire un débat
-analyser -s’interroger -poser le problème -traiter
Tableau 1 : Les deux familles de tâches en Biologie
Niveau Tâches descriptives Tâches explicatives 8e 4/6 2/6 9e 8/13 5/13 3e 4/9 5/9 4e 15/25 10/25
Tableau 2 : Nombre de tâches par niveau
Nous avons noté aussi que souvent l’explication a une connotation descriptive, exemple : « expliquer le cycle ovarien ». Nous noterons aussi, que l’explication quand elle existe est en rapport avec l’éducation à la santé et à l’hygiène.
En conclusion nous avons trouvé :
-des écarts entre les programmes et la nature des savoirs en biologie. En effet la méthodologie dans les programmes est descriptive et la reproduction sexuée est uniquement étudiée sous l’angle fonctionnaliste. Nous avons noté l’absence de la méthodologie explicative de la biologie historique. (Mayr E.,1982) ;
-des écarts entre objectifs spécifiques et activités envisageables : La reproduction sexuée dans les programmes Tunisiens est un concept outil et ne représente pas un objet biologique et ce à tous les
niveaux d’enseignement. En effet il n’ y a pas de problématisation de ce concept dans les nouveaux programmes. Ce concept est présenté sous forme d’une somme d’informations sans une vraie réflexion sur le statut et le rôle de ce concept par rapport aux autres savoirs biologique.
Exemple : au niveau de la 9e de base on parle de l’« intérêt de la reproduction pour la continuité et la préservation de l’espèce » alors qu’au niveau des activités on évoque l’éducation à l’hygiène. Au niveau de la 8e, on parle aussi de l’« intérêt de la reproduction dans l’amélioration de la productivité animale et végétale »
6. LES THÈMES ASSOCIÉS À LA REPRODUCTION SEXUÉE
Nous avons constaté (voir Tableau. 3) qu’à deux niveaux de l’enseignement on parle de reproduction humaine avec un volume horaire important. En effet pour la 9e (fin du collège), cette partie du programme dure 4 semaines et en 4e année (fin du lycée) cette partie dure 7 semaines.
Niveau scolaire Thème général
8e de base (collège) *Reproduction sexuée chez les plantes à fleurs
*Reproduction sexuée chez les oiseaux
9e de base (collège) *Reproduction humaine et hygiène
3e secondaire sciences expérimentales (lycée) *Reproduction chez les plantes 4e secondaire
Sciences expérimentales (lycée)
*Reproduction humaine et hygiène
Tableau 3 : Les thèmes associés à la reproduction sexuée
Nous avons noté aussi que la reproduction sexuée est souvent associée à la reproduction humaine ; elle est abordée chez les plantes mais avec un seul exemple : les plantes à fleurs et chez les animaux mais avec un seul exemple : les oiseaux
Dans les programmes tunisiens, il y a absence de la biologie du développement. Le développement embryonnaire (chez l’homme) reste une description d’étapes (de la cellule œuf jusqu’à la blastula, nidation).
La reproduction sexuée explique la diversité et ce pour introduire le chapitre sur la génétique, ce qui pourrait renforcer une idée déterministe chez les élèves. Le rôle régulateur de la reproduction sexuée (permettre la stabilité du caryotype et de l’espèce) est aussi absent des programmes.
7. CONCLUSION
La reproduction sexuée est un concept central en biologie, il est à l’intersection de la biologie évolutionniste et de la biologie fonctionnaliste. Il s’agit aussi d’un concept intégrateur qui sert à l’introduction d’autres objets de savoirs biologiques (la génétique, la diversité biologique, la classification, l’évolution…). Dans les programmes officiels tunisiens il constitue un thème de savoir important (ce concept apparaît dès le premier cycle de l’enseignement de base jusqu’à la fin de l’enseignement secondaire) ; mais son enseignement tel qu’il apparaît dans les nouveaux programmes reste sous la dominante descriptive, ce qui pourrait avoir une incidence sur la modélisation de ce concept par les élèves.
Certes l’introduction de « l’éducation à… » est importante pour former des futurs citoyens mais cela n’est pas le propre des SVT. On s’interrogera alors sur la spécificité de l’enseignement de la biologie en Tunisie et sur l’intérêt de la spécialisation des élèves (orientation scolaire). En effet, on prépare en sciences expérimentales des bacheliers futurs étudiants en branches universitaires biologiques.
BIBLIOGRAPHIE
CHEVALLARD Y., 1991, La transposition didactique. Du savoir savant au savoir enseigné, Grenoble, La Pensée Sauvage (2e édition revue et augmentée, en coll. avec Marie-Alberte Joshua, 1re édition 1985).
ORANGE C., 2000, Idées et raisons : construction de problèmes, débats et apprentissages scientifiques en sciences de la vie et de la terre, Mémoire de recherche pour L’H.D.R. Université de Nantes.
POPPER K., 1991, La connaissance objective, Paris, Aubier (éd originale, 1972) TOULMIN S., 1973, L’explication scientifique. Paris. Armand colin.
