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De la multiculturalité en termes de divergence de points de vue

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De la multiculturalité en termes de

divergence de points de vue

Sylvie Leleu-Merviel

1 UPHF, DeVisu, F-59313 Valenciennes, France email : sylvie.merviel@uphf.fr

Résumé

Les regards et les points de vue sur le monde mobilisent des composantes culturelles qui peuvent parfois générer de la contradiction entre cultures. Comprendre les processus à l’œuvre permet d’en mesurer les répercussions et de profiler les moyens d’une possible compatibilité, à défaut de convergence.

En effet la vérité n’existe pas. Le réel est d’une complexité incommensurable, impossible à embrasser dans toute sa complétude. Dès lors, toute représentation du réel sous quelque forme qu’elle soit n’en constitue qu’une approche incomplète, limitée et très approximative, à travers laquelle les choix de coupe définissent ce que nous nommons un « regard » - parmi une infinité de possibles. Au-delà de ces regards essentiellement descriptifs, les points de vue

Mots-clés : Regard, sens, signification, représentation, données, information,

coalescence.

I

NTRODUCTION

Au cours du XXème siècle, notre rapport au monde a changé sous la pression de deux influences croisées. D’un côté, la montée en puissance de la science nous incite à croire en un monde rationnel, entièrement fondé sur la rigueur, l’exactitude, l’objectivité, en un mot la vérité. De l’autre, l’importance croissante de la communication, dans ses dimensions les plus manipulatoires, nous fabrique des schèmes fictionnels qu’il est reposant de ne pas contester. Ainsi les médias construisent-ils de toutes pièces l’image d’un personnage public (par exemple un nouveau « présidentiable » ou « ministrable ») ou une catastrophe nationale – resp. internationale – (grippe aviaire, menaces terroristes…) : non pas que les faits n’existent pas, mais la dimension promotionnelle versus catastrophique relève dans chacun de ces cas d’une véritable construction sémantique à vocation dramatique ou événementielle, voire spectaculaire.

Pour comprendre les processus mobilisés dans les démarches interprétatives, il convient d’examiner tout d’abord les modalités de notre rapport au réel, et la manière dont l’être humain s’approprie des faits attestés pour leur donner du sens.

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L’ensemble est mis en œuvre pour expliquer de quelle manière des ancrages culturels différents peuvent conduire à des divergences de regards génératrices d’incompréhension, ou même de conflits interculturels.

1

RAPPORT

AU

REEL

Avant d’aborder la question des divergences culturelles, il convient de porter un regard rapide sur le rapport de l’humain au réel.

1.1 La vérité est une fiction

Sous l’impulsion des tous premiers philosophes, la Vérité a été posée comme LA valeur absolue. Et depuis des lustres, des décennies, des millénaires, l’être humain s’épuise à sa recherche.

S’il s’y épuise, c’est qu’il veut à toute force concilier l’inconciliable. En effet l’humain contemporain a récusé l’ancestrale dimension spirituelle et sacrée de la Vérité. Il voudrait une véracité rationnelle, qui puisse être soumise à la validation par la preuve. Pourtant, le scientifique sait bien que la caractéristique essentielle des vérités qu’il construit est d’être réfutables. Elles s’élaborent dans le cadre d’une théorie qui stipule des hypothèses, un corps de méthodes, un choix d’outils formels. En dehors des limites étroites de ces localités restreintes, cette petite certitude durement acquise s’écroule. C’est pourquoi l’on peut aller jusqu’à poser que la vérité est une fiction, puisque les toutes petites certitudes que le scientifique produit sont assujetties à un ensemble de contraintes restrictives qui les rend plus souvent invalides que pertinentes.

Ainsi les vérités scientifiques sont-elles aussi, par projection à la limite, des fictions, puisque les conditions de leur émergence sont irréelles, i.e. trop éloignées de la réalité dans toute son épaisseur pour être exactement avérées.

1.2 Substituer le réel à la vérité

Ecartons l’hypothèse classique de Berkeley selon laquelle la vie est une hallucination collective, un délire permanent auquel nos sens prêtent un simulacre de vérité, et admettons l’existence du monde. Nous en avons la preuve empirique tous les jours : le monde, c’est ce qui résiste (parfois violemment) à notre volonté ou à nos désirs de maîtrise.

Dans cette densité où nous vivons, dans laquelle nous baignons, la vérité n’existe pas. Seule demeure la notion de réel qui s’y substitue. Edgar Morin et Jean-Louis Le Moigne (1999) l’ont montré, le réel est infiniment complexe, tissé de faits et d’événements en interaction qui s’influencent, interagissent, interfèrent et se modifient les uns les autres à l’infini.

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C’est dans la façon dont nous appréhendons cette complexité incommensurable, impossible à embrasser dans toute sa complétude, que se construit notre rapport au réel.

1.3 Circonscrire le réel

Il s’agit donc de cerner comment nous circonscrivons le réel, en gardant à l’esprit que nous ne pouvons au mieux qu’en bâtir des représentations, partielles, partiales et parcellaires (Gigand, 2010), approximations grossières, discrètes, imprécises et lacunaires de l’infinie complexité sous-jacente.

Dans son ouvrage Sur le tissage des connaissances, Mioara Mugur-Schächter (2006) s’emploie à analyser ces processus. L’opération de génération d’une entité-objet précède la formation d’un regard composé d’un ensemble de vues correspondant à certaines propriétés qualifiantes (les aspects) de l’objet généré. Mais, nous sélectionnons (souvent spontanément et sans le conscientiser vraiment) les propriétés aspectuelles retenues pour qualification parmi une infinité de possibles. Le reste est purement et simplement négligé. Parfois même, nous fabriquons les caractéristiques de toutes pièces, avant d’éprouver leur validité qualificationnelle. C’est ce que fit par exemple Marcel Duchamp en ramassant un urinoir usagé, en le renversant, en y apposant une signature (qui n’est pas la sienne : R. Mutt) et en le proposant en 1917 dans un lieu consacré de l’art sous le titre Fontaine, consolidant par là-même le concept de ready-made qu’il avait inventé en 1913 avec sa Roue de bicyclette. Comme l’indique Mugur-Schächter (2006), le saut épistémologique est décisif : il remet en question l’existence d’entités-objets-en-soi qui préexisteraient aux descriptions que nous en élaborons, qualifiés à l’avance par des propriétés qu’ils posséderaient à l’état brut, en vérité et indépendamment de tout examen par une conscience humaine. Il ne s’agit plus du tout alors de simplement détecter, presque passivement, sur une entité-objet préexistante une propriété préexistante qui n’attendrait que de se faire découvrir. La description n’est plus dans cette optique qu’un construit, dont le rapport avec ce que serait le réel dans toute sa complexité (lequel nous reste définitivement inaccessible) ne peut être cerné qu’en spécifiant les processus d’élaboration des construits, lesquels sont foncièrement subjectifs et asservis à un projet donné.

Notons qu’il fallut du temps pour admettre l’idée d’une réalité constructible, puisque les organisateurs de l'exposition de la Société des Artistes Indépendants de New York refusèrent la Fontaine de Duchamp, incapables de voir une œuvre d’art dans un article industriel ordinaire, placé de manière à ce que sa fonction d’usage initiale disparaisse sous le nouveau point de vue, concrétisé par un titre et l’installation expositionnelle proprement dite. Avec le recul, on sait pourtant la notoriété actuelle de l’œuvre et le statut de symbole de l’art contemporain qu’elle a acquise.

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1.4 Qualifier le réel

Sans approfondir la Méthode générale de Conceptualisation Relativisée MCR (Mugur-Schächter, 2006 : 29-146), on peut synthétiser succinctement les quelques étapes suivantes :

1) La première phase est la capture de fragments purement factuels, obtenus par une découpe volontaire dans la densité du réel, et qui par la suite sont traités comme une matière première pour les sémantisations progressives. 2) Sont saisis ensuite des aspects, dimensions de qualification au travers

desquelles s’élaborent des vues-aspect de l’entité-objet.

3) Alors, une grille de qualification consiste en un nombre arbitrairement grand, mais fini, de vues-aspect. Elle est dénommée un regard. Elle définit une représentation (parmi une infinité de possibles) de l’entité-objet. On pourra noter que la grille des propriétés qualifiantes peut résulter de mesures objectives et quantifiées générées par un ou des dispositifs et/ou appareils enregistreurs (ainsi en est-il de la température, du poids, etc.), ou d’une appréciation qualitative relevant de la sphère subjective, psychique, émotionnelle et/ou sociale (ceci est une œuvre d’art).

4) Un même réel observable peut donc générer, via des choix divers de propriétés qualifiantes, des regards divergents, quoique tous recevables en termes de représentation valide.

Ces processus enchâssés de capture, saisie et qualification forment les prémisses de la construction de sens.

2

ELABORATION

DES

CONSTRUITS

DE

SENS

Des travaux antérieurs ont formalisé le processus d’élaboration des construits de sens – voir par exemple (Leleu-Merviel, 2010 ; 2013 ; 2014). Ils ne sont pas détaillés ici. Seuls quelques éléments de compréhension sont rappelés. Le lecteur pourra se reporter aux références citées pour une appréhension plus fine et plus complète.

2.1 Adossement du sens au pattern

Comme rappelé ci-dessus, le processus commence par une découpe à laquelle procède l’interprétant1 dans la complexité du réel. Est ainsi prélevé d’un chaos informationnel indistinct ce qui est saisi comme une « entité-objet ». L’opération

1 Dans cette formulation, il ne s’agit pas de la conception peircienne de l’interprétant. Nous nous référons

davantage à Bateson, qui définit un bit d’information comme “a difference that makes a difference” – une différence qui produit une autre différence – (Bateson 1972 : 315). En suivant Bateson, l’information est “that which is conveyed by a message and provokes a response” – ce qui est convoyé par un message et provoque une réponse –, tandis que le message est “a portion of the world that comes to the attention

of a cogitative system” – une portion du monde qui se révèle à l’attention d’un système interprétant –,

que ce système interprétant soit humain ou non. L’« interprétant » est ici une traduction du “cogitative

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requiert la capture de caractéristiques isolées à partir d’aspects distinctifs. Tout le processus repose sur la saisie de différences, de discontinuités, de ruptures, que (Floridi, 2011) désigne comme des diaphories (Leleu-Merviel & Useille, 2008).

Les données élémentaires sont ensuite assemblées pour constituer des entités de plus haut niveau, qui définissent une représentation (parmi une infinité de possibles) de l’entité-objet. Ainsi, à partir d’aspects qualifiants discrets reliés par des liens, l’intelligence élabore des schèmes de compréhension signifiants, structurants et organisants. La mise en tension des différents aspects permet de combiner une représentation élaborée porteuse d’indices de compréhension novateurs. Cette vision du processus de signifiance traduit en termes de liaisons ou de liens la dimension structurelle et/ou organisante que Marcia J. Bates désigne comme un pattern (Bates, 2005 ; 2006). Les patterns ne sont pas des faits mais des construits humains s’appuyant sur un nombre fini d’aspects sélectionnés, soit volontairement, soit inconsciemment. En fonction des aspects retenus et de leur organisation, il y a toujours plusieurs patterns pertinents possibles simultanément pour une même entité-objet. Le processus de construits de sens qualifie ainsi l’entité-objet à travers son insertion par l’interprétant au sein d’un pattern cohérent et crédible, parmi un grand nombre de possibles.

2.2 Signifiance

Reprenons la notion de sens, telle que définie par Atlan (1977), « le sens de l’information s’identifie à l’effet produit par la réception du signal correspondant chez le destinataire ». Peirce (1978) a désigné par « sémiose » ce processus d’émergence.

Plusieurs remarques s’imposent. D’une part, il est clair que le sens résulte d’un processus dont la production finale se renouvelle à chaque échange : ainsi le sens généré n’est jamais le même, même si l’entité-objet et l’interprétant sont les mêmes et quoique le processus soit invariant. A fortiori le sens est-il éminemment différent d’un interprétant à l’autre. Par ailleurs, le sens généré dans l’instantanéité de l’échange n’est jamais maîtrisable. Unique, il se construit dans et par l’interaction. Il apparaît donc excessivement naïf de penser que l’entité-objet porte en elle-même son propre sens, que le sens est « contenu », encodé dans les données, ou qu’il peut en être déduit par simple analyse formelle.

En deuxième lieu, le potentiel signifiant doit être compris comme un vecteur à plusieurs composantes. Si les sciences cognitives mettent l’accent depuis plusieurs années sur l’effet « rationnel », ou intelligibilité, qui se traduit en termes d’apport de « connaissances », on ne peut tenir pour négligeable l’intelligence « émotionnelle » dont la portée est affective ou sensible. Certains travaux donnent un écho particulier à cette composante déterminante du sens (Goleman, 2001 ; Goleman et al., 2002). Antonio Damasio avance même qu’elle serait préalable à toute autre (Damasio, 1994 ; 2003). C’est dans cette mesure que le terme de « sens » est préféré à celui de « signification », plus strictement rationnel, proposé par Peirce. De même, la « signifiance », fait de pouvoir signifier dans un registre et/ou dans un autre, processus à même d’engendrer potentiellement des myriades de sens possibles, est

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préférée à « interprétation » (la signification n’est au final que l’une des potentialités de sens).

2.3 Inférences interprétatives

En résumé, le tissage des différents aspects et les reliances qui en émergent permettent de combiner les données, perçues alors comme indices signifiants de compréhension. Finalement, ce ne sont donc pas les données elles-mêmes qui supportent la structure explicative, mais les liens aux interstices entre les données, sur lesquels viennent s’édifier les schèmes structurants.

L’ensemble des inférences interprétatives ainsi effectuées est fortement conditionné par les connaissances et les expériences antérieures ou la culture. Il est aussi asservi à des objectifs et/ou à des buts qui contribuent à façonner un horizon de pertinence au sein duquel s’inscrivent les sémantisations. Ainsi que l’indique Jean-Claude Ameisen au chapitre « Mais tu es la musique tant que dure la musique » de son ouvrage Sur les épaules de Darwin, les battements du temps (2012 : 29) : « Ce que nous appelons notre conscience du présent, de l’instant présent, est une oscillation permanente entre mémoire et anticipation, entre souvenirs et désirs, entre nostalgie et attente. En fonction de nos souvenirs, de nos émotions, de nos espoirs et de nos craintes, en fonction de ce que nous avons déchiffré et compris du passé, et de ce que nous imaginons de l’avenir ».

Plus précisément, nos inférences interprétatives ne peuvent s’établir que sur du déjà su, du déjà connu, par un processus de rapprochement par similarité que nous avons désigné comme une coalescence (Leleu-Merviel, 2014). Jean-Claude Ameisen (2012 : 26) s’en fait l’écho dans les termes suivants : « Il y a une dimension plus profonde encore dans ces relations entre notre mémoire et notre perception du temps présent. Notre mémoire tisse en permanence, à partir de nos souvenirs, une correspondance qui nous paraît évidente entre les sensations que perçoivent nos différents sens. Une correspondance qui donne à ce que nous appelons la réalité, cette familiarité, cette ressemblance et cette fidélité par rapport à ce que nous en avons, il y a longtemps, découvert, et inscrit en nous sous la forme de souvenirs ». Le terme « coalescence » couvre à la fois la correspondance, la familiarité, la ressemblance et la fidélité.

La traque du sens s’adosse donc à la capture de diaphories volontairement prélevées dans le tissu diaphorique par l’interprétant qui les instrumente en tant que données, c’est-à-dire constituants d’une grille qualificationnelle sur laquelle s’appuie un pattern cohérent et crédible – généralement appris antérieurement. Néanmoins, ni la simple lecture, ni l’interprétation via le pattern ne suffisent à saisir le tout de ce qu’est le sens. Il est important de souligner à nouveau que viennent s’immiscer aussi des dimensions culturelles et sociales qui mettent en relief le caractère relatif de la signifiance. Comme en atteste Martine Joly (2003), « les signes ne sont signes que parce qu’ils signifient pour quelqu’un dans un certain contexte, c’est-à-dire que leur aspect perceptible met en œuvre un processus de signification et donc d’interprétation, dépendant de leur nature, du contexte de leur manifestation, de la culture du récepteur ainsi que de ses préoccupations ».

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Ainsi, le sens ne peut être conçu que contextuellement et culturellement. Ces acquis antérieurs, appris, mémorisés et engrangés en mémoire, vont contribuer à moduler un point de vue strictement individuel et chaque fois différent. Par conséquent, le paragraphe précédent a mis en évidence qu’un même réel peut supporter des regards différents (i.e. des qualifications aspectuelles différentes). Nous voyons maintenant qu’au demeurant, des regards identiques (mêmes données, mêmes patterns) peuvent conduire à des points de vue différents (coalescences et inférences interprétatives différentes).

3

Q

UELQUES EXEMPLES

Nous l’avons vu, les aspects et les dimensions de qualification dont l’assemblage compose un regard, et au-delà un point de vue, sont infiniment complexes et variés. Nous allons illustrer ce phénomène au moyen de quelques exemples.

3.1 Une sculpture de Camille Claudel

Commençons par une des sculptures les plus célèbres de Camille Claudel. Nous en examinons la photographie reproduite figure 1. Pour simplifier la présentation, nous nous limiterons à des qualifications verbales (nous aurions pu aussi considérer le format de la photo – largeur x hauteur en centimètres –, ou le triplet de valeurs Rouge, Vert, Bleu codées sur 8 bits de la matrice de pixels de l’image, ce qui est la seule description recevable par exemple pour l’ordinateur qui l’enregistre).

On peut qualifier la figure 1 de multiples manières : - c’est une image,

- c’est une photographie,

- c’est un cliché de La petite Châtelaine.

Mais l’effet de présence indicielle d’une photographie conduit souvent l’interprétant à confondre l’image et l’objet qu’elle représente. Bien que nous ayions été mis en garde par René Magritte dans son tableau La trahison des images (Ceci n’est pas une pipe indique le tableau, « essayez donc de fumer avec » disait Magritte), cette confusion est courante. Elle mène à une nouvelle série de qualifications :

- c’est une sculpture de Camille Claudel, - c’est un marbre blanc,

- c’est une œuvre qui se trouve au musée de La Piscine à Roubaix,

- c’est Jeanne Enfant ou La petite de l’Islette ou L’inspirée ou Contemplation, - c’est l’une des versions de La petite Châtelaine.

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Figure 1 - Jeanne

Toutes ces qualifications de l’entité-objet sont rigoureusement exactes. Le choix de l’une ou l’autre d’entre elles (ou d’autres encore…) sera relatif à sa capacité à faire sens dans un contexte donné pour un récepteur-modèle au sens d’Eco (1985).

3.2 Un légume

Plus prosaïquement, considérons à présent de la salade. Le regard partagé porté sur ce légume est souvent le suivant :

- 99% d’eau, - léger, diététique, - bon pour la santé.

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Mais que survienne une infection à e.coli (bactérie pathogène Escherichia coli), et un nouveau pattern se met en place :

- légume dangereux,

- tueur potentiel, associé au risque de mort.

On voit donc qu’un contexte particulier procédant d’une actualité (le contexte d’une épidémie ponctuelle) peut contrarier, voire même inverser le pattern interprétatif associé au légume. Comme l’indiquent Capurro et Hjørland (2003), l’interprétation est subjective, pragmatique et située, à la fois spatialement et temporellement.

3.3 Modulations culturelles des construits de sens

Outre le temps qui peut faire varier les construits de sens comme le montre l’exemple précédent, des différences culturelles peuvent également se faire jour à chaque étape du processus global, différences qui vont colorer les construits de sens élaborés.

Ainsi, le tableau Guernica sera souvent vu comme l’une des œuvres les plus célèbres du peintre Pablo Picasso, et un des tableaux les plus connus au monde. Mais un espagnol y verra davantage la mémoire d’un des pires événements de l’histoire espagnole. Et ces deux points de vue ne s’opposent pas : ils sont tous les deux coalescents avec le tableau.

Le monde entier verra Jorge Semprun comme un modèle de la résistance et un homme politique espagnol majeur. Mais la France se plaira à le distinguer comme un grand auteur français du XXème siècle. Une fois encore, les deux points de vue ne s’opposent pas, car ils sont tous deux coalescents avec le personnage public.

3.4 Ferments de la discorde

En revanche, les environnements sociaux dans lesquels sont appropriés des faits identiques peuvent conduire à des interprétations opposées. Ainsi « l’affaire DSK » qui a opposé Dominique Strauss-Kahn à Nafissatou Diallo a-t-elle pu susciter les interprétations suivantes :

- aux Etats-Unis : ilmérite 76 ans de prison,

- en France : on aurait pu garder cette affaire secrète si elle s’était passée en Europe,

- en Afrique : c’est l’un des attributs légitimes du pouvoir en ce monde, il n’y a rien de répréhensible à cela.

Les trois regards sont coalescents avec la situation, en dépendance étroite avec le contexte culturel qui produit l’interprétation. On voit là surgir les divergences culturelles qui s’expriment dans les divers points de vue quant à une même

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« réalité », divergences génératrices d’incompréhensions, et parfois même de conflits.

4

C

ONCLUSION

Ayant analysé comment les différences culturelles modulent l’édification des regards et des points de vue respectifs portés sur une même réalité, nous pouvons en déduire que la multiculturalité, en termes de compréhension entre les peuples, nécessite :

1. de laisser s’exprimer le point de vue de l’autre et de le respecter,

2. d’identifier les composantes du point de vue qui génèrent des divergences, voire de la discorde,

3. de tenter de produire de la compatibilité, à défaut de convergence, en trouvant un méta-regard qui coiffe et conjoigne tous les points de vue tout en respectant les différences culturelles.

5

R

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Figure

Figure 1 - Jeanne

Références

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