• Aucun résultat trouvé

L'idée de littérature dans Parti pris.

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "L'idée de littérature dans Parti pris."

Copied!
221
0
0

Texte intégral

(1)
(2)

l,;

L'IDEE DE LITTERATURE DANS "PARTI PRIS"

Le présent travail cherche à cerner la conception de la lit-térature et de la culture qui a dominé à la revue Parti Pris, en re-liant cette conception à la problématique générale de la revue.

Le premier chapitre a consisté à montrer l'existence d'une problématique dominante, au-delà de divergences secondaires. Dans le deuxième, nous avons démontré que cette problématique était cen-trée sur le concept de nation et de conscience ethnique, et qu'il s'agissait donc d'une problématique nationaliste.

Nous avons par la suite (troisième chapitre) montré comment la problématique littéraire et culturelle du groupe s'emboîtait dans la problématique générale, et comment cette problématique culturel-le était axée sur culturel-le concept de littérature nationaculturel-le. Le dernier chapitre est consacré à l'étude des productions littéraires du

groupe: nous voyons alors comment la problématique littéraire s'est incarnée dans une pratique littéraire.

Louis-Bernard Robitaille French

(3)

Louis-Bernard Robitaille

A thesis submitted to

the Faculty of Graduate Studies and Research McGill University,

in partial fulfilment o'f the requirements for the degree of

Master of Arts

Department of French Language

and Literature June 1972

(4)

PREFACE

Nous remercions sincèrement M. Jean Ethier-Blais, direc-teur du Département de langue et littérature frangaises de l'u-niversité McGill, qui a accepté de diriger cette recherche.

(5)

TABLE DES IvIATIERES

INTRODUCTION ••••••••• ~ •••••••••••••••••••••••••••••••••••• CHAPITRE PREMIER - HISTOIRE DE PARTI PRIS ••••••••••••••••• L'importance de Cité Libre ••••••••••••••••••••••••••••

Le succès de Parti Pris ••••••••••••••••••••••••••••••• L'illusion du "monolithisme" •••••••••••••••••••••••••• Parti Pris 'et la montée des forces indépendantistes •••

1963-64:

1964-65:

1965-66:

1966-67:

1967-68:

le discours "décolonisateur" •••••••••••••••• trL'appui tactique" •••••••••••••••••••••••••• le MLP et le PSQ •••••••••••••••••••••••••••• Une année de "théorie" ••••••••••••••••••••••

, Le débat sur le MSA et l'éclatement ••••••••• CHAPITRE II - LA PROBLEMATH~UE Dh LA DECOLONISATION ••••••• L'impossibilité d'écrire ••••••••••••••••••••••••••••••

Le pays •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

La chute "hors de l'histoire" •••••••••••••••••••••••••

La "conscience ethnique" ••••••••••••••••••••••••••••••

Le "repli culturel" •••••••••••••••••••••••••••••••••••

La société de consommation ••••••••••••••••••••••••••••

La "désintégration" ••••••••••••••••••••••••••••••••••• Un être collectif plein de vitalité •••••••••••••••••••

p.

1

p.

8

p. 9 p.

13

p.

15

p.

19

p.

24

p.

30

p.

34

p.

37

p.

41

p.

47

p.

48

p.

52

p.

58

p.

63

p.

66

p.

72

p.

77

p.

86

(6)

L·'

iii

CHAPITRE III - LA CRITIQUE DE LA LITTERATUR~ "

CANADIENNE-FRANCAISE~ ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p. 94

La

littérature chez Fanon •••• ~ •••••••••••••••••••••••••••• p. 95 Culture et collectivité •••••••••••••••••••••••••••••••••• p. 102

La

version culturelle de l'idéologie de "rattrapage" ••••• p. 106

Le

repli culturel •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p. 113

La génération du refus ••••••••••••••••••••••••••••••••••• p. 119

La

littérature nationale •••••••••• o • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • p. 128 CHAPITRE IV - L'ECHEC DU VOLONTAJUSME LITTERAIRE ••••••••••••• p. 136

La défense de "l'oeuvre ratée" ••••••••••••••••••••••••••• p. 137

Un contenu "décolonisateur" •••••••••••••••••••••••••••••• p. 142

Les conditions de production de la littérature ••••••••••• p. 146 La. rupture du contrat littéraire •••••••••••••.•••••• 0 • • • • • p. 157

L'oeuvre partipriste "par excellence" •••••••••••••••••••• P. 163

La question du joual ••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p. 165

La surcharge politique dans

"Le

Cassé" ••••••••••••••••••• p. 169

Le revirement de Chamberland et I~heu •••••••••••••••••••• p.

IB3

"Prochain épisode": l'absence du pays •••••••••••••••••••• p. 193

"La chair de poule": la recherche de l'être québécois .... p. 196

CONCLUSION ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p. 206 BIBLIOGRAPHIE •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p. 212

(7)

(

INTRODUCTION

Un numéro récent de La Barre du iourlest venu nous rappe-ler l'histoire et l'importançe de Parti Pris. Ce n'était pas inu-tile. A la vitesse où, au Qu~bec, évoluent les .luttes politiques et les débats idéologiques, la revue Parti Pris semble appartenir à un pas·sé révolu.

En un sens, c'est exact, et les témoignages des principaux collaborateurs de la revue sont éloquents: il suffit de lire ceux de Pierre Maheu, Paul Chamberland et Luc Racine pour voir à quel point eux-mêmes ont rompu avec les positions qu'ils défendaient en 1964 ou 1967. Les témoignages moins personnels, plus analytiques de Gabriel Gagnon, d'André Brochu ou de Philippe Bernard, ne.di-sent pas autre chose: Parti Pris a correspondu! une époque, et ne pourrait plus exister en 1972. Les ques~ions posées par le groupe ~l y a quelques années ont trouvé leurs réponses.

Tout cela est vrai, et pourtant, rien n'est plus actuel que Parti Pris. Car s'il est aujourd'hui impensable de reprendre le débat que le groupe avait lancé, en octobre

1963,

c'est

préci-..

sément parce que, pour l'essentiel, les termes de ce débat font maintenant partie du paysage politique et idéologique du Québec. Ceux-là même qui, à l'époq~e, dénon~aient les "r~mantiques"

lLa Barre du jour, "Parti Pris", numéros 31-32, hiver 1972, Montréal. TémOignages des principa~ fondateurs et collaborateurs

(8)

2

obsédés par le Tiers-Monde (entre autres René Lévesque) reprennent aujourd'hui, peut-être sans trop s'en rendre compte, les concepts mêmes qui ont donné à Parti Pris son image de marque: à savoir que le Québec est "colonisé", et que rien n'est possible sans l'in-dépendance nationale qui donnera à la collectivité ce "supplément d'âme". C'est ce que dit aujourd'hui le Parti Québécois, d'une maniêre ou d'une autre. Les termes. de l'analyse ne sont pas nou-veaux: ils sont, rigoureusement, ceux de la revue Parti Pris.

Ceci nous amêne à notre premier point: il n'y a pas de production culturelle, littéraire ou politique qui ait une impor-tance historique en soi. Parti Pris, tout comme Cité Libre ne

présente de l'intérêt que dans la mesure oà elle a joué un rôle, exercé une influence sur le plan idéologique. Il nous intéresse moins de savoir si les analyses de Parti Pris étaient plus ou moins pertinentes ou brillantes, que de voir comment les discus-sions menées à la revue - et ceci en-dehors des intentions de ceux qui y écrivaient - ont alimenté une idéologie nationaliste qui occupe une place extrêmement importante à l'heure actuelle au Québec.

Quand on songe aux années de parution de la revue, et en particulier aux réactions scandalisées et horrifiées qui ont ac-cueilli les premiers numéros, on a peine à croire que toute cette production ait pu être récupérée et digérée par des groupes qui, tel le Parti Québécois, n'ont pas grand chose à voir avec les po-sitions politiques de Parti Pris. A l'époque, Parti Pris passait pour une revue d'extrême-gauche, marxiste, "révolutionnaire".

(9)

Comment prétendre aujourd'hui qU'elle a été le creuset de l'idéo-logie nationaliste endossée par un parti aussi "tranquille" que le PQ?

Telle est pourtant la réalité: une re-lecture rapide de Parti Pris pourrait faire illusion, à cause de l'usage d'un cer-tain vocabulaire, d'une cercer-taine rhétorique - les rédacteurs de

la revue ne parlaient-ils pas de révolution et de socialisme, d'affrontements violents et de rapports de force? Et surtout, dans leurs positions politiques, ne faisaient-ils pas une criti-que des partis nationalistes existants et du réformisme? Ne trouve-t-on pas enfin des analyses marxistes dans la revue? Il reste que la problématique centrale de Parti Pris ne co!ncide pas nécessairement et toujours avec des positions politiques (il peut même y avoir parfois contradiction), et le vocabulaire ou la rhé-torique peuvent fort bien lui être étrangers en plusieurs endroits. Il ne suffit pas de crier "révolution!" ou de parler, ici et là, de la lutte des classes pour faire des analyses marxistes.

L'histoire de Parti Pris illustre précisément ce fait que l'idéologie n'est pas uniquement le produit de l'activité cons-ciente d'un petit groupe ou d'un individu: les gens de Parti Pri~

ont pu croire qu'ils faisaient des analyses marxistes et que leurs positions l'étaient également. Tout se passe en fait comme s'ils avaient peu â peu été happés et englobés par la nouvelle

idéolo-gie nationaliste qui prenait naissance et se développait à cette époque (et qu'ils ont contribué à développer). Faute de disposer d'instruments d'analyse vraiment adéquats (qui les avait à cette

(10)

époque?), ou de s'appuyer sur des concepts théoriques bien défi-nis, le groupe de Parti Pris a gardé tout au long de son existen-ce des positions assez floues en définitive pour qu'il soit dif-ficile de les saisir clairement au premier abord. D'où l'illusion d'un groupe de théoriciens marxistes, qui a longtemps persisté. Cette imprécision au niveau théorique a probablement abusé tout autant le groupe de Parti Pris lui-même qui ne s'est peut-être pas rendu compte que le courant qu'il alimentait était celui du nationalisme, que l'on retrouve aujourd'hui sous diverses formes au Parti Québécois, dans certaines productions culturelles (les

films de Pierre Perreault par exemple)l, et dans des publications récentes comme la revue Presgu'Am6rigue2•

Car - et c'est là notre second point - la problématique dominante à Parti Pris en est une essentiellement nationaliste, au-delà des divergences et des volte-faces qui ont pu marquer l'histoire de la revue. La plupart des collaborateurs de Parti fris ne s'y trompent pas lorsque, dans le dernier numéro de la revue, ils dressent un bilan de l'aventure. Le récent numéro de La Barre du jour est également révélateur en ce sens: le discours

4

.. - lUn des exemples les plus flagrants: Un pays sans bon sens, où tout est fondé sur la question de l'existence d'un Hêtre natio-nal", qui réunit l'intellectuel de la ville et le pêCheur ou le travailleur forestier de la Gaspésie ou de la Côte-Nord.

2ta revue Presqu'Amérique a commencé à paraître à l'autom-ne de 1971. Elle compte parmi la liste de ses collaborateurs un certain nombre de noms qui sont déjà apparus au sommaire de Parti

(11)

lyse des positions politiques du groupel pour essayer de découvrir la problématique partipriste dans son unité, ce caract~re nationa-liste apparaît clairement.

L'analyse des positions partipristes dans le domaine cul-turel et littéraire est en ce sens particulièrement féconde: le domaine culturel a toujours constitué une des préoccupations ma-jeures du groupe, au sein duquel dominaient nettement des

litté-rai~es. C'est lorsque les témoignages ou la réflexion se portent à ce niveau que l'on atteint sans doute le mieux la problématique partipriste, dominée par cette figure centrale du "pays" et de "l'être national". Ceci s'explique: au niveau politique, l'a-nalyse que l'on trouve à Parti Pris est souvent brouillée par un souci de bien se situer dans le cadre de la théorie marxiste (mê-me à ce niveau, d'ailleurs, la problématique nationaliste fait souvent surface). Ce n'est pas le cas lorsqu'il est question de problèmes culturels: les analyses les plus élaborées qu'on trou-ve sur le sujet sortent directement de Fanon et de Berque. C'est à ce niveau sans doute que la problématique partipriste est la plus facilement identifiable au premier abord.

L'analyse que nous nous proposons de faire ici des posi-tions partipristes dans les domaines culturel et littéraire nous

lRoch, Denis: in "Histoire et idéologie du mouvement so-cialiste québécois (1960-1970)", Socialisme québécois, nos 21-22, Montréal, avril 1971, pp. 56-70, a bien résumé cette histoire po-litique de la revue.

(12)

1,,-6

semble donc fort importante. D'abord parce que, comme nous le ver-rons, la problématique nationaliste dominante! Parti Pris (et qui, d'ailleurs n'appartient pas en propre à la revue) occupe une place majeure dans tous les secteurs de la production culturelle québé-coise des dernières années (cinéma, chanson, romans, poésie, théâ-tre). Comprendre cette problématique, c'est, jusqu'à un certain point, saisir les grands traits de cette nouvelle production cul-turelle.

En ce qui concerne la revue elle-même, il nous semble qu'il ne s'agit pas d'un aspect marginal de son histoire réelle: même si les analyses dans le domaine culturel n'occupent pas la plus grande place dans Parti Pris. il reste qu'il s'agit pour tout le groupe de préoccupations primordiales. Ce~_~sont des préoccupa-tions de cet ordre, croyons-nous, qui sont! l'origine même de la revue. Et enfin, comme nous l'avons dit, c'est dans le domaine culturel que les positions de fond du groupe sont le plus mani-festes.

Notre analyse se divise en quatre parties. Dans un pre-mier chapitre, nous ferons d'abord une brève description du con-texte politique et idéologique qui a vu naître la revue, et nous passerons en revue l'histoire des positions politiques du groupe, en tentant de dégager de fa~on sommaire la problématique parti-priste des divers courants qui se sont manifestés à la revue. Le

deuxième chapitre sera consacré à une description de cette pro-blématique: il s'agira d'examiner les fondements théoriques de cette problématique et ses concepts-clés (aliénation,

(13)

décolonisa-tion, révolution fondamentale etc.), en montrant comment cette pro-blématique prétend constituer une vision globale de la société qué-bécoise.

Le

troisième chapitre sera consacré à la conception de la l~t~erature qui domine à Parti Pris: nous verrons alors com-ment cette conception est reliée de fa~on étroite à la probléma-tique centrale de Parti Pris, et comment, d'autre part, les par-tipristes sont amenés à proposer une pratique littéraire volonta-riste, reliée de fa~on étroite à la pratique politique. Enfin, dans le dernier chapitre, nous examinerons comment cette concep-tion "volontariste" de la pratique littéraire a abouti à un échec, mais comment, d'autre part, la problématique nationaliste de Parti

Et!!

demeure un élément central de productions li~téraires impor-tantes, et comment elle continue d'alimenter des courants cultu-rels importants à l'heure actuelle.

(14)

(

-.

;'

CHAPITRE PREMIER - HISTOIRE DE PARTI PRIS

Le premier numéro de la revue Parti Pris paraît en octobre 1963. Si on excepte les romanciers Jacques Ferron et Jacques

Godbout, et le syndicaliste Pierre Vadeboncoeur, qui a accepté de publier des "salutations d'usage"l - il est membre de l'équipe de Cité Libre à cette époque - tous les noms qui apparaissent au sommaire sont complètement inconnus. Pourtant le premier numéro est épuisé en quelquE jours, et on doit le réimprimer. En quel-ques mois, le tirage· atteint environ les J,500 exemplai·res, chif-fre autour duquel il se maintiendra pendant au moins trois ans. La revue paraîtra pendant cinq ans, soit jusqu'à l'été de 1968, et publiera 38 numéros (dont plusieurs numéros doubles ou spé-ciaux) •

Au mois de mars 1964, les éditions Parti Pris publieront leur premier ouvrage - il s'agit de

La

Ville Inhumaine 2• Les éditions Parti Pris ont d'ailleurs survécu à la revue et comptent aujourd'hui plusieurs dizaines de titres, dans tous les domaines:

poésie, roman, théâtre, politique, histoire, sciences sociales etc.

lJacques Ferron, Paul MOrin, I, l, 58-59; Jacques Godbout, Pour riches seulement,

ILl,

60-61;

Pierre Vadeboncoeur, Salutations d'usage,

I, 1,

50-52. (~our les citations extraites des numéros de

la

revue, nous employons le système suivant: It l, 50-52 doit se lire, Parti Pris, vol. l, numéro l, pp.

50-52.1

2Laurent Birouard,

La

Ville Inhumaine, Montréal, Parti Pris, 1964, 190 pages.

(15)

(

Dàs le ·départ, le groupe s'impose donc comme une force avec

laquelle il faut compter - dans les milieux "intellectuels", s'en-tend.

Le

tirage de la revue est significatif: d'entrée de jeu, Parti Pris fait bonne figure à côté de Cité Libre, qui cannait son apogée à cette époque.

La

notoriété de Parti Pris sera importante, dês la publi-cation des premiers numéros. Chez les étudiants et les intellec-tuels plus progressistes, - et chez les indépendantistes en géné-ral - la revue constituera un inévitable point de référence. Les animateurs du groupe - Pierre Maheu, Paul Chamberland et Jean-Marc Piotte en particulier - seront de tous les panels, et on considé-rera un peu partout le groupe comme le porte-parole (un peu

ex-cessif peut-être) de la nouvelle génération intellectuelle, et comme les rivaux en titre de Cité Libre. Parti Pris aura droit aux félicitations de Pierre Vadeboncoeur, à des propos critiques mais respectueux de Claude Ryan, et aux foudres de Gérard Pelletier, qui sentira· le besoin de pourfendre le "totalitarisme" du nouveau groupel •

Tout se passe donc comme si Parti Pris comblait un vide important. Pour comprendre ce succès instantané et durable, il faut retourner au contexte de cette époque.

L'importance de Cité Libre

En

1963,

Cité Libre occupe le devant de la scène québécoi-se sur le plan idéologique et politique. Avec l'arrivée au pouvoir

IGérard Pelletier

l

Parti Pris ou la grande illusion, in

(16)

du parti libéral, en 1960, et l'avènement de la "révolution tran-quille", elle a acquis une nouvelle respectabilité: elle a une audience véritable auprès du nouveau personnel politique québé-cois. Mais elle n'a pas perdu pour autant son prestige auprès des intellectuels,·des étudiants et des syndicalistes:, pour eux,

la revue est encore celle qui a mené, à une époque difficile, la

lutte contre le duplessisme et le cléricalisme. Et même si on ne partage pas toutes ses positions, on la considère encore comme une publication progressiste, ouverte aux idées nouvelles, comp-tant parmi ses collaborateurs les esprits les plus "avancés" du

Québec. Après tout, il n'y a pas si longtemps, la lecture de Cité Libre était interdite à l'Ecole normale Jacques-Cartier. Au sortir de la "grande noirceur" du règne duplessiste, le groupe de Pierre Elliott Trudeau et Gérard Pelletier a une allure d'a-vant-garde.

Ces considérations semblent aujourd'hui assez nalves. On voit mieux maintenant quel a été le rôle de la revue et où elle

10

se situait politiquement. D'abord Cité Libre n'a pas fait tomber Duplessis: elle a été l'un des lieux où se sont exprimés les in-térêts d'une nouvelle bourgeoisie québécoise, dont la montée était contre-carrée par les politiques rétrogrades du régime en place. Cité Libre n'a d'ailleurs pas eu le monopole de la lutte idéolo-gique anti-duplessiste: qu'on songe à la Faculté des Sciences sociales de l'université Laval, à l'Institut canadien des affaires publiques et, vers la fin des années 50, au.Devoirl •

La

lutte

IVoir Marcel Rioux,

La

Question du Québec, Paris, 1969,

(17)

menée sur le front intellectuel a eu son efficacité et Cité Libre y a tenu un rôle de premier plan, mais il est important de se rappeler que les idéologues "progressistes" de cette époque ne

faisaient que refléter un antagonisme beaucoup plus profond et réel: celui qui opposait une bourgeoisie rurale et cléricale qui s'accrochait au pouvoir politique mais qui avait perdu toute im-portance sur le plan économique à une nouvelle classe d'entre-preneurs et de technocrates.

Au-delà du discours progressiste (pro-syndicalisme, dé-fense des libertés individuelles, anti-cléricalisme etc.) que te-nait le groupe de Cité Libre, des intérêts précis étaient défen-dus. C'était cette fraction de la bourgeoisie québécoise qui avait besoin avant tout de moderniser et de renforcer l'Etat qué-bécois, de lui donner des moyens d'intervention au niveau économi-que. C'était cette nouvelle bourgeoisie qui réclamait la réforme de l'éducation, de fa~on à donner à l'industrie les techniciens et la main-d'oeuvre spécialisée dont elle avait besoin etc. Au-delà de la rhétorique progressiste qui pouvait envelopper le discours citélibriste, on retrouvait le programme du parti libéral du Qué-bec.

On a dit que le pouvoir avait tué Cité Libre, ce qui est exactl : une fois appliquées une bonne partie des réformes que réclamait le groupe, celui-ci n'avait plus grand chose à dire.·

lGabriel Gagnon, "Comme Cité Libre", in La Barre du jour, nos. 31-32, Montréal, Hiver

1972,

p.

74.

(18)

Mais ce n'est pas encore tout à fait le cas en 1963. Cité Libre est alors en quelque sorte l'organe politique des partisans de la Révolution tranquille: un compagnon de route sympathique aux réformes entreprises et en même temps critique.

Cité Libre passe encore en 1963 pour une revue progres-siste, dans la mesure même où la "révolution tranquille" n'a pas perdu encore son dynamisme du début et garde encore la faveur d'une bonne partie des intellectuels et des syndicalistes: la réforme de l'éducation, la création de la Société générale de financement, l'attribution du droit de grève au secteur publie,

12

la création de la Caisse de dépôts, tout cela est en train de se faire, ou va être réalisé dans un avenir rapproché. Au sein du gouvernement libéral, le courant réformateur est encore suffi-samment fort: on n'imagine pas que le temps des partisans de l'ordre approche, et qu'on aura bientôt le "samedi de la matra-que". Aussi un appui critique au gouvernement libéral (c'est la ligne de Cité Libre) ne constitue-t-il pas nécessairement, en 1963, une option inacceptable pour les intellectuels progressistes.

Dominant sur le plan de la production intellectuelle dans la pauvreté relative que connait le Québec de cette époque -et occupant sur le plan politique des positions qui demeurent re-lativement "progressistes" (en fait si la revue était objectivement progressiste sous Duplessis, ce n'était plus le cas en 1963), ,~

Libre est donc une sorte de "monstre sacré" qui règne sans partage dans les milieux universitaires, étudiants et intellectuels. A cette époque, on pouvait fort bien imaginer des divergences de vues

(19)

lj

avec le groupe de Trudeau et Pelletier, mais il demeurait évident que ces divergences pouvaient s'exprimer dans des discussions po-lies.

Le

succès de Parti Pris

C'est dans ce contexte qu'intervient la naissance de Parti

~. Il est clair que la notoriété de la nouvelle revue tient, tout d'abord, et de faQon superficielle, à un certain succès de scandale. Ce qui saute aux yeux, dès les premiers numéros, c'est en effet, un certain ton et des positions de rupture vis-à-vis du groupe de Cité Libre. Dans le contexte que nous avons décrit, et oà la revue anti-duplessiste garde un prestige certain, c'est ma-nifester une certaine audace que de prendre position contre elle et davantage encore, de faire de cette génération "libérale" des adversaires et des ennemis. D'emblée, les responsables de Parti

~ refusent le terrain de discussion des citélibristes et pro-posent leurs propres termes:

"Les intellectuels de la génération qui nous pré-cède, en prenant le parti de "l'objectivité", jouaient le rôle de spectateur impartial; ils se situaient en face de, donc hors de la réalité, se condamnant du même coup à ne plus pouvoir la chan-ger, substituant à la violence des relations et des luttes concrètes entre les hommes l'abstraite futilité du dialogue et de la discussion. Nous avons au contraire pris le parti de nous situer hors de cette forme abstraite de dialogue, en re-fusant le critère de la Vérité éternelle qu'il im-plique. La Parole, pour nous, a une fonction dé-mystificatrice ••• ". l

(20)

Nous verrons un peu plus loin que les positions politiques prises au départ par Parti Pris ne sont pas entièrement nouvelles, et que d'autres avant eux avaient développé - avec moins de cohé-rence certes - une problématique analoguel • Ce qui est rigoureu-sement nouveau, par contre, c'est cette poeition de rupture, cet-te assurance que Parti Pris prend: ce sont des éléments qui ont certainement beaucoup fait pour leur donner au départ une audien-ce assez large. Balayer du revers de la main les enseignements et les positions d'un groupe auquel tout le monde concédait l

tout le moins une certaine intégrité et de la clairvoyance, voi-l! qui était inusité. "Ceux qui ont décidé d'agir en marge de Cité Libre, écrivait Pierre Vadeboncoeur, sont plus créateurs que nous ne le sommes. Nous parlions davantage de nos devanciers, pour en faire la critique, mais ceux qui nous suivent parlent davantage de leurs propres idées, pour les annoncer"2. C'est en effet ce que dit Pierre Maheu:

"Désormais, l'essentiel c'est nous; nous n'écrrons plus pour dialoguer, pour confronter nos i-dées avec celles de ceux qui deviennent, de jour en jour plus objectivement nos ennemis." 3

En premier lieu, il y a donc cette audace, qui donne un relief bien particulier au nouveau groupe. S'ils ont tant d'as-surance, se dit-on, c'est qu'ils ont quelque chose à dire, quelque

lSoulignons en particulier la revue Liberté qui, à partir de la fin des années 50, autour du groupe de l'Hexagone, a publié

réguli~rement, non seulement les productions des nouveaux poètes (Miron, Brault etc.), mais encore assez souvent, des articles po-litiques et culturels dont s'inspirera le groupe de parIi Pris. Il reste cependant que Liberté n'était pas une revue po itique, et demeurait très éclectique dans ses positions.

2Pierre Vadeboncoeur, Salutations d'usage, l , l ,

'2.

3Pierre Maheu, De la révolte

â

la révolution, l , l , 16

(21)

l)

(

)

chose à proposer. Il y a aussi dans ce ton - et ici, il faut don-ner le crédit à certains fondateurs de la revue comme Pierre Maheu et Paul Chamberland en particulier, dont·l'écriture était souvent fort vigoureuse et originale - un dynamisme, presqu'un certain romantisme qui changent heureusement de la grisaille de Cité Libre.

Mais si cette nouveauté dans le ton explique l'intérêt initial pour la revue, elle ne suffit pas à expliquer l'audience réelle qu'aura Parti Pris tout au long de son existence: il ne suffit pas de faire scandale, de passer pour un groupe "d'extré-mistes", et d'être dénoncé par certains hommes politiques (tel René Lévesque, à l'époque où il était ministre dans le cabinet

Lesage) comme "une bande de rêveurs et de révolutionnaires" pour trouver une clientèle.

L'illusion du "monolithisme"

Le

succès durable de la revue s'explique autrement; dans la pauvreté intellectuelle relative du Québec de cette époque

(dans les milieux de gauche en particulier), les responsables de Parti Pris passent en effet pour de redoutables théoriciens. Cer-tains leur reprocheront d'être trop théoriciens, d'être confus et difficiles d'accès dans leurs textes, d'être livresques, mais personne ne contestera à Maheu, Chamberland et autres une culture politique imposante. Les gens de Parti Pris appuient leurs ana-lyses sur des auteurs qui, au Québec, sont à peu près inconnus, en dehors de cercles restreints: d'abord les prophètes de la

(22)

décolonisation, Frantz Fanon, Jacques Berque et Albert Memmi, et plus tard des écrivains politiques comme André Gorz, des philo-sophes comme Louis Althusser, des critiques littéraires comme Lucien Goldmann. Ce seront là des auteurs que Parti Pris fera découvrir à son public: il n'est pas exagéré de dire que de nom-breux intellectuels québécois ont appris à lire certains auteurs en lisant Parti Pris.

"Ils ont de la culture... Ils ont une capacité de ré-flexion qui commande le respect", écrivait Claude Ryanl • A l'é-poque de sa parution, Parti Pris passe donc non seulement pour

16

une revue politique "d'extrême-gauche", mais également pour un repaire de gens armés (intellectuellement) jusqu'aux dents, et très sûrs de leur position. D'où le qualificatif de "monolithique" que l'on accolera le plus souvent au groupe. Par rapport! Cité Libre, dont les textes sortaient rarement d'un pragmatisme assez plat, et où personne ne s'embarrassait de définir théoriquement ses positions autrement que par des références à quelques concepts passablement éculés, la nouvelle revue semble faire preuve d'une rigueur impitoyable. Les principaux rédacteurs de Parti Pris pas-sent donc pour de redoutables théoriciens, dont les positions s'appuient sur des concepts solides.

On

sait maintenant qu'il s'agissait d'une illusion, qui n'était due, comme nous l'avons dit, qu'! une absence générale de

(23)

culture et de formation politique, chez les intellectuels québé-cois. Les principaux collaborateurs de Parti Pris étaient - et demeurent dans certains cas - des esprits originaux et productifs. Certains d'entre eux avaient une certaine formation intellectuelle au-dessus de la moyenne - mais la plupart demeuraient avant tout des littéraires. Il ne s'agissait en aucun cas d'un groupe de théoriciens marxistes rigoureux.

Des principaux rédacteurs de la revue, Jean-Marc Piotte était probablement celui qui avait la formation marxiste la plus importante. Mais, il avoue lUi-même qu'elle était fort limitée. Paul Chamberland, quant â lui, avait plutôt une formation philo-sophique hégélienne, et ses cadres de référence étaient surtout "berquiens". Quant

1

Pierre Maheu, sa formation marxiste se ré-sumait à la lecture du Manifeste du parti communiste! André Major n'a jamais prétendu être un intellectuell - il s'en est même

dé-fendu. André Brochu, enfin, avait des préoccupations strictement littéraires, et est devenu dès les premiers mois un collabor~teur

un peu extérieur au groupe2 •

Ceci pour les principaux piliers de la revue. Quan~ aux collaborateurs (une centaine environ), ils viennent de tous les horizons, et les seuls points qu'ils ont en commun sont leur option indépendantiste et le fait qU'ils se disent progressistes.

En-dehors de ces points de référence assez vagues, les positions

lAndré Major s'en explique dans le numéro spécial de

La

jarre du iour consacré à Parti ·Pris, op. cit., "Un long détourn

pp.

36 1

50.

(24)

18

défendues et la démarche employée varient de faQon étonnante. Avec le recul, on s'étonne qu'une revue soi-disant marxiste ait fait preuve d'un tel éclectisme: partisans de l'animation sociale, syndicalistes, nationalistes de droite, partisans de l'unilinguis-me, tout ce monde "a co-habité à Parti ~is sans que personne y trouve à redire. Ceci s'explique par le fait que, manquant de formation théoriqu"e et de formation politique, les responsables de Parti Pris n'ont pas toujours su déceler les contradictions qui pouvaient se glisser entre deux articles, ou même à l'inté-rieur du même article. Marxistes, ils prétendaient l'être, mais en même temps, ils se faisaient l'écho des thèses de Jacques Ber-quel, qui n'avaient rien de marxistes. Ces contradictions, à l'é-poque, sont passées totalement inaperQues: ceux qui lisaient ~­

ti Pris avaient encore moins de formation que ceux qui y écrivaient, et personne n'était en mesure de faire une critique sérieuse de ce que disaient les collaborateurs de la revue. D'oa cette réputa-tion de groupe "monolithique", de chapelle, qui a suivi Parti Pris pendant plusieurs années.

Cette réputation explique en partie le succès de la revue. Même si on n'aimait pas le "dogmatisme", on admettait que le

grou-pe constituait une sorte d'avant-garde intellectuelle. Nous avons vu que la réalité était tout autre: au premier abord, il semble même difficile de dégager une problématique dominante à Parti Pris. Dans l'analyse des faits, dans leurs propositions générales, les

lEn particulier, Jacques Berque, Dépossession du monde, Paris,

Le

Seuil, 196~, 210 pages.

(25)

collaborateurs de la revue ont rarement recours à un ensemble de concepts bien établis, et il est difficile, parfois, de trouver le lien qui unit tout ce qui a été écrit. Cette confusion sur le plan théorique explique en grande partie les volte-faces, les hé-sitations et les contradictions dans les positions politiques du groupe. C'est Jean-Marc Piotte qui, au début de la seconde année de la revue, explique les insuffisances intellectuelles du groupe:

"Nous avons adapté l la réalité québécoise - réa-lité que nous connaissions d'ailleurs par l'inter-médiaire de certains textes - les conceptions de Memmi, Fanon, Berque, Y~rx et Lénine. Nous avons

été originaux dans le domaine de la pensée québé-coise, mais non pas en ce qui concerne la pensée, disons, universelle. Nous n'avons pas été des penseurs. Mais d'excellents vulgarisateurs, d'ex-cellents pamphlétaires... Nous avons essayé d'in-troduire au sein de l'équipe de Parti Pris des gens de formation scientifique. Nous n'avons pas réussi ••• Nous ne possédons ni les techniques de recher-che, ni les méthodes nécessaires pour nous renou- l veler et approfondir notre connaissance du pays."

Ces raisons demeurent malgré tout superficielles lorsqu'il s'agit d'expliquer l'importance de Parti Pris dans l'histoire po-litique et culturelle récente du Québec. La vraie raison, c'est que Parti Pris a reflété, exprimé et élaboré - même dans des ter-mes vagues - une nouvelle idéologie, celle du nouveau nationalisme

québécois.

Parti Pris et la montée des forces indépendantistes

S'il est vrai qu'en

1963,

une bonne partie des intellectuels et des étudiants soutenaient encore la "révolution tranquille" et

(26)

20

le gouvernement, et que Cité Libre gardait un prestige certain, il est également exact de dire que de nouvelles forces politiques

com-men~aient à se développer au Québec dès cette époque.

Si on laisse de côté les cercles restreints de la gauche "traditionnelle" du Québec, (les anciens du Parti communiste, la section québécoise du CCF), qui avaient perdu toute importance à

cette époque, il reste les mouvements indépendantistes qui, eux, étaient en plein essor. C'est de ce nouveau nationalisme que Parti

ft!!

sera, en quelque sorte, le porte-parole intellectuel.

L'Alliance laurentienne de Raymond Barbeau est le premier mouvement indépendantiste: très conservateur, il se réclame de Salazar et Bolivar. En 1959, l'Action socialiste pour l'indépen-dance du Québec, qui publie

La

Revue socialiste, défend au contrai-re l'idée d'une lutte de libération nationale pour le Québec qui déboucherait sur l'indépendance politique et le socialisme. Le

groupe est éphémère et il sera supplanté, dès 1961, par le Ras-semblement pour l'indépendance nationale (RIN), au départ un club politique qui ne vise qu'à diffuser l'idée de l'indépendance sans lui donner de contenu économique ou politique. Le RIN se donnera progressivement un programme politique vraiment social-démocrate. Au développement du RIN qui, à la naissance de Parti Pris, constitue déjà un mouvement organisé, il faut ajouter l'apparition du FLQ: au printemps de 1963, soit quelques mois avant le pre~ier

numéro de la revue, les premières bombes explosent à Montréal. Le

(27)

leur place par la suite: le FLQ est né.

Telles sont donc les nouvelles forces politiques qui se dessinent au Québec à cette époque: le rôle de Parti Pris, avec le recul, aura été, d'une part, de donner une ossature idéologi-que - ou du moins des arguments et une perspective historiidéologi-que - à ce nouveau mouvement indépendantiste qui se veut radical ou pro-gressiste, et, d'autre part, de fournir un lieu de discussion où on évaluait l'orientation des différents groupes politiques. Vis-à-vis de la génération indépendantiste, Parti Pris joue en fait le rôle que Cité Libre a joué pendant les années 50 vis-à-vis de la génération anti-duplessiste.

Avec le recul, disons-nous, il semble évident que Parti

~ a été, pour l'essentiel, le creuset de l'idéologie nationa-liste qu~ occupe aujourd'hui une place majeure au Québec. Comme nous le verrons au chapitre suivant, l'histoire véritable de ~­

ti Pris est celle d'une problématique nationaliste. Mais cette

pr.o~lématique nationaliste n'était pas évidente à l'époque de la parution de la revue. Ce n'est pas seulement le fait de la d~ver­

sité des opinions publiées par les nombreux collaborateurs de la revue, ni de la confusion théorique dont nous avons parlé plus haut. C'est que l'histoire de Parti Pris s'est déroulée â deux niveaux distincts:

- d'abord sur un plan strictement politique, qu'il s'~gisse

des analyses de fond ou de considérations d'ordre stratégique, la position de Parti Pris a été apparemment celle d'un groupe plus

(28)

socialiste que' nationaliste. De façon générale, Parti Pris n'a jamais appuyé ni le RIN que l'on considérait trop libéralisant et trop électoraliste, ni le FLQ, dont on rejetait les méthodes terroristes: à long terme, Parti Pris a toujours souhaité la constitution d'un parti révolutionnaire, qui mênerait la lutte

22

de libération nationale au Québec. A moyen terme, les positions politiques de la revue ont continuellement oscillé entre, d'une part, la thêse de "l'appui tactique à la bourgeoisie nationalis-te", c'est-A-dire le soutien des luttes nationalistes des partis bourgeois pour l'indépendance du Québec, et d'autre part, la constitution "au plus tôt", d'un parti révolutionnaire qui fe-rait la lutte de libération nationale contre la bourgeoisie alliée aux fédéralistes et sans attendre les initiatives de la·;::àou' •• i-sie nationaliste. Nous verrons un peu plus loin que la thèse de "l'appui tactique" a le plus souvent dominé à la revue;

- d'autre part, en ce qui concerne sa problématique générale, Parti Pris est demeuré foncièrement nationaliste.

Le

discours qui a toujours prévalu A Parti Pris est celui de la "libération natio-nale" et de la "décolonisation", directement inspiré des thèses de Fanon et de Berque. Ces positions théoriques n'ont pas été sans

incidence sur les positions politiques de la revue. Ce qu'il im-porte de voir, cependant, c'est que les deux niveaux n'ont pas toujours cofacidé: l'histoire de Parti Pris connalt de ces écarts et de ces revirements qui entrent en contradiction avec la problé-matique dominante. Il n'en reste pas moins qu'il y a eu une pro-blématique dominante. Cette propro-blématique générale est dessinée

(29)

dans ses grands traits par André Major:

"Bien gue de formation différente - j'étais quant à moi sans formation -, nous avions fait les mêmes découvertes, décelé à travers Fanon et Memmi la nature exacte de notre aliénation, et nous étions d'accord sur l'urgence d'une cri-tique décolonisatrice, plus globale que l'ana-lyse faite l Cité Libre au nom d'un réformisme social-démocrate."

1

Il n'est pas question d'analyser ici cette problématique ce sera le sujet du prochain chapitre - mais seulement d'en si-gnaler l'existence. Soulignons d'une part que cette problématique n'a jamais été définie de fa~on extrêmement rigoureuse, par suite d'un manque de formation politique dont nous avons parlé: aussi la confusion et les contradictions ne sont-elles pas absentes du discours partipriste. Mais ce qui est important de voir, c'est qU'il y a eu bel et bien un tel discours partipriste. D'autre part,. il faut constater que ce discours partipriste a été contes-té, à l'intérieur même de la revue. D'abord par des collaborateurs plus ou moins isolés qui, bien que d'accord sur les positions de fond, tentaient d'infléchir ces positions dans un sens ou dans un autre; mais aussi par un groupe beaucoup plus homogêne et rigou-reux, qui est apparu au cours de la quatrième année de la revue, et qui a dominé de fa~on. très nette au cours de la dernière année de publication. Gabriel Gagnon le décrit assez bien lorsqu'il

écrit:

(30)

"Cette force, plua;.~.homogène, Favitant autour de Luc Racine, avait lu Marx a travers Althusser. Elle aurait voulu imprégner la revue de cette orientation théorique exclusive tout en l'en-trainant à sa suite dans une série de combats groupusculaires auxquels Racine s'attachait à ce moment." 1

24

Le groupe marxiste a eu une importance non-négligeable au cours des deux dernières années: qualitativement et quantitative-ment, sa production a été imposante, peut-être tout aussi impor-tante que celle des partipristes. Il reste que, dans l'ensemble, l'évolution et la production de ce groupe demeurent extérieures à l'histoire: Parti Pris n'a jamais été une revue marxiste, au sens o~ on l'entend généralement. Sur un plan strictement histo-rique, il peut être tntéressant de suivre cette lutte idéologique qui a opposé marxistes et "partipristes" au sein du groupe. Mais ce n'est pas notre propos ici: pour nous, il es~ clair que la vé-ritable histoire de Parti Pris est celle du partiprisme, dont nous tenterons d'analyser la problématique au chapitre suivant.

Mais auparavant, il conviendrait de rappeler les principa-les étapes de l'histoire "manifeste" de la revue.

1963-6~: le discours "décolonisateur"

La première année, celle de

196)-64,

est une année d'ap-profondissement. Dès les deux premiers numéros, en quelques arti-cles, les principaux responsables ont exposé sommairement les idées

(31)

1

qui les ont poussés à fonder Parti Pris et le but qu'ils assignent à la revue. Ils ont parlé de la "colère", avec laquelle ils

refu-sent d'accepter la "démission" de leurs ainés, de l'aliénation dont souffre le peuple québécois, "colonisé et exploité"l, de la néces-sité de passer de la révolte à la révolution2• Ils ont déclaré que le Québec se trouvait déjà dans une situation pré-révolution-naire, ils ont dessiné à grands traits l'histoire du Québec depuis le "repli culturel" qui a caractérisé la domination du clergé et de la bourgeoisie rurale) jusqu'à la montée des forces libérales. Parti Pris se donne un rôle à jouer dans cette situation pré-ré-volutionnaire: "construire avec ceux qui, à l'intérieur du grou-pe révolutionnaire, deviennent de jour en jour de plus en plus objectivement nos frères, une pensé~ qui devienne une de nos ar-mes 4."

Tout cela est encore bien vague: quelle est cette révo-lution dont Parti Pris doit contribuer à hâter la venue? Bien sûr elle doit être globale, bien sûr, "il faut montrer que l'in-dépendance est impossible sans le socialisme et inversement"5, mais encore? dans quel ordre doit-on procéder? de quelle maniè-re? quelle stratégie proposer? autant de questions soulevées par les positions initiales de la revue.

Iparti Pris, Présentation, l, l, 2-4.

2Pierre Maheu, De la révolte à la révolution, l, l, 10. 3Jean-Marc Piotte, Du duplessisme au FLQ, l, l, 22. 4Pierre Maheu, De la révolte à la révolution, l, 1, 16. 5Parti Pris, Présentation, l, l, 4.

(32)

26

Au cours de la première année, il n'y aura pas de réponse à ces questions. Tout au plus, ici et là, certains risquent-ils quelques hypothèses d'ordre stratégique (faut-il faire l'indépen-dance avant le socialisme, si cela est nécessaire? comment ap-précier l'action du gouvernement Lesage?), mais dans tous ces cas, il s'agit d'analyses partielles. Au, cours de cette première année, la description qui est faite de la colonisation et de l'exploita-tion du peuple québécois ne débouche sur aucune posil'exploita-tion straté-gique: une des raisons de cette abstention, c'est que les

res-ponsables de Parti Pris n'ont aucunement les moyens de lancer des mots d'ordre. Ils ne sont liés à aucun parti, à aucune organisa-tion. Tout au plus peQ~ent-ils, périodiquement, faire le compte des manifestations de mécontentement populaire, et "dire une ré-volution qui n'est encore qu'à l'état de germe"l.

"Le

Parti qui fera la révolution québécoise n'est pas encore né, et en attendant, Parti Pris vaut ce que vaut l'espoir. Nous n'avons qU'une chose à

faire: dire et appeler la révolution jusqu'à la susciter enfin; nous disons z nous écrivons des choses qui ne sont pas tout a fait vraies pour qu'elles le deviennent." 2

Ce rôle semble d'ailleurs suffisant aux animateurs de la revue puisque, répondant à certains critiques qui reprochent au groupe son inactivité, Pierre Maheu explique que "être efficace, pour nous, ce n'est pas devenir guerilleros ou organisateurs, mais

IPierre Maheu, Que faire?(2), l,

7, )8.

(33)

faire notre métier d'intellectuels révolutionnaires"l.

Certaines positions stratégiques se dessinent en creux bien sûr dans les propos de Parti Pris. QU'il suffise de noter pour l'instant qu'à Parti Pris, on a tendance à surestimer les velléités d'indépendance de la néo-bourgeoisie québécoise en face de la do-mination anglo-américaine. L'analyse, ici, n'est pas très claire: d'une part, nous n'avons pas de "bourgeoisie nettement constituée", d'autre part, on émet l'hypothèse d'un conflit ouvert avec Ottawa et "d'un coup de barre à gauche", même s'il est "prob1ématique"2. Il est vrai qu'en 1963-64, il n'est pas encore évident que la ti-mide tentative de reprise en main de l'économie québécoise est à toute fin pratique terminée. Mais ceci annonce déjà la position

que la revue prendra au début de l'année suivante: si la bour-geoisie nouvelle a intérêt à être nationaliste et à secouer la do-mination d'Ottawa, s'il est exact que les travailleurs québécois sont endormis par l'idéologie de la société de consommation, la seule solution consistera à accorder un appui tactique à cette bourgeoisie pour la pousser à faire une indépendance qui provoque-ra, elle, la prise de conscience débouchant sur une révolution so-ciale. Cette position sera d'autant plus logique que, pour Parti

~, les oppositions de classe sont voilées par le fait d'une domination coloniale anglo-am~ricaine: "nous sommes globalement prolétarisés: la "classe" dominante et oppressive, pour nous, est

IPierre Maheu, Que faire?(2), l,

7, 39.

2Paul Chamberland, Les contradictions de la révolution

(34)

28

étrangêre, c'est le capitalisme canadien et yankee"l. Nous revien-drons sur cette thèse, qui sous-tend l'essentiel des analyses ul-térieures de Parti Pris, en particulier dans le domaine culturel et littéraire.

Sur le plan politique, il faut également souligner les po-sitions que prend Parti Pris vis-à-vis l'action terroriste menée au cours du printemps précédent par le premier groupe FLQ. L'ac-tion du FLQ, écrit-on à Parti Pris, constitue "un événement his-torique témoignant de l'étouffement existentiel de tout un peuple ••• Les membres du FLQ par leur fierté et leur intransigeance ont réus-si à nous libérer de l'abstraction illusoire de la Morale et de sa mauvaise fOi ••• "2. Parti Pris ne ménage donc pas sa sympathie au groupe emprisonné, mais prend tout de même ses distances, à plusieurs reprises, au nom de l'efficacité politique, contre l'ac-tion terroriste, à laquelle on préfère un éventuel "parti révolu-t ionnaire". Sur les posirévolu-tions polirévolu-tiques du FLQ, on dirévolu-t peu:; de chose, sinon qu'il se situe vraisemblablement à l'extrême-gauche. Il était sans doute relativement difficile, si prês des événements, de classer politiquement un groupe terroriste qui n'avait jamais publié l'ombre d'un programme. On sait aujourd'hui que ce premier FLQ était au mieux purement nationaliste. Le fait que Parti Pris n'ait même pas signalé le fait que le groupe n'avait d'autre mot d'ordre que celui, un peu court, de l'indépendance, est assez caractéristique des analyses souvent rapides de la revue.

lpaul Chamberland, Les contradictions de la révolution tranquille, l, 5, 21.

2

Parti Pris, Pierre Maheu, La révolution et la morale,

(35)

Pour le reste, cette première année de publication est la plus "partipriste" de toutes: lE> gros de la production est centré sur la description du colonialisme au Québec. Avant de faire la révolution, avant de décider comment et par qui elle doit être menée, il faut savoir pourquoi la faire: aussi les animateurs et les collaborateurs de Parti Pris répètent-ils inlassablement, dans tous les sens et dans toutes les directions, les thèmes de l'alié-nation, du colonialisme, de la domination étrangère, du génocide culturel. C'est que, comme nous l'avons vu, la parole a une fonction "démystificatrice": elle doit servir à exorciser les fantômes, à chasser les mythes du passé. Ceci fera l'objet d'analyses ultérieu-res: pour l'instant, contentons-nous de dire qu'au cours de cette première année~ Parti Pris s'emploie à imposer un nouveau discours, à démonter celui des tenants de l'idéologie de "conservation"

-héritage de l'époque du "repli culturel" - et celui, dominant, des citélibristes, qui parle de "rattrapage" pour un Québec qui s'in-tégrerait au Canada et à l'Amérique du nord.

Pour Parti Pris, l'institution d'un nouveau discours "dé-colonisateur" est en pratique le préalable à toute analyse poli-tique. Pour établir la vraisemblance de:.ce nouveau discours, c'est

à la racine du colonialisme, dans la personnalité - individuelle et collective - du colonisé qU'il faut aller chercher les preuves de cette aliénation, c'est-A-dire les raisons, la justification même de la révolution. Cette préoccupation domine la plus grande partie de la production de la première année.

(36)

30

1964-65: "L'appui tactique"

La

seconde année marque une rupture par rapport à la

pre-mi~re et en est, en même temps la suite logique. Rupture d'abord parce que les responsables de Parti Pris

peu près les mêmes que l'année précédente, à la différence près que, depuis quelques mois déjà, Laurent Girouard a remplacé André Brochu) constatent qu'ils ne peuvent plus se permettre de se tenir à l'écart de l'action: on ne peut pas continuellement dire et appeler la révolution sans

jamais y participer. Il ne suffit pas de dire qu'on fait "son métier d'intellectuel révolutionnaire", encore faut-il pouvoir lier la théorie à la pratique. Sur le plan culturel, déjà, au printemps de 1964, les Editions Parti Pris avaient édité leur premier volume. Mais, cette fois, c'est d'action politique qu'il s'agit: c'est la création du Club Parti-Pris, qui organise, à partir de l'automne, des rencontres politiques périodiques, des colloques, des conférences etc. Parallèlement à la création du

Club, les responsables sentent le besoin de définir une ligne politique explicite: "nous avons fait de la politique littérai-re nl dit Maheu. Piotte, lui, avait souligné auparavant:

nL'époque du romantisme révolutionnaire est terminée: la lecture de Fanon et le vol de bâtons de dynamite ne suffisent plus à amor-cer une révolution ••• " 2

IPierre Maheu,

Le

poète et le permanent, II,

5,

3.

(37)

L .

Comme les responsables de la revue l'avouent eux-mêmes dans un premier manifeste, "nous avons cru, un peu na!vement, que la révolution était à notre porte, nous comprenons aujourd'hui que la lutte est à peine engagée"l. Rupture, aussi sur le plan théorique: en même temps qU'ils sentent le besoin de lier leur travail intellectuel à une pratique politique,. ils estiment né-cessaire de clarifier leurs positions politiques - de les définir plutôt. D'où la publication d'un premier manifeste. Il s'inscrit logiquement dans la perspective qui avait été élaborée, bien que de façon floue, au cours de la première année: la thèse qu'on y

trouve est celle de l'apPui tactique, pour la gauche, à la nouvel-le bourgeoisie québécoise, ou si l'on veut, celnouvel-le de: l'indépen-dance d'abord, le socialisme ensuite. Cette thèse découle en droite ligne des thèmes développés au cours de l'année précédente et dont nous avons parlé plus haut: le thème de la "nation-pro-létaire" et celui d'une conscience ethnique - ou nationale - obs-curcissant la conscience de classe.

Voici les principaux points de ce premier manifeste:

les travailleurs québécois, dans leur ensemble, ne sont pas encore parvenus à la conscience de classe: le "confort relatif" dont ils jouissent, mais surtout le fait qu'ils ressentent d'abord

la domination et l'exploitation en tant que Canadiens-Français bloquent toute possibilité de conscience de classe. Malgré le

(38)

durcissement de l'Etat et de la bourgeoisie à leur égard, il ne pourra y avoir pour eux de lutte de classe qu'une fois levée l'hypothèque de "l'aliénation coloniale";

)2

or, précisément à cette époque, on constate au Québec, l'é-mergence d'une nouvelle bourgeoisie (entrepreneurs, industriels) qui est par.enue au pouvoir en 1960 en délogeant l'ancienne bour-geoisie dominante, celle des notables et des professionnels. Cet-te néo-bourgeoisie a besoin de se donner un Etat pour se hisser au rang de "bourgeoisie nationale". Les nouvelles idées indépendan-tistes diffusées par la petite-bourgeoisie lui fournissent le pro-gramme dont elle a besoin; infailliblement, "elle en vient à re-vendiquer la souveraineté de l'Etat du Québec". Le seul chemin possible pour la gauche québécoise passe donc par "l'appui tacti-que" à cette nouvelle bourgeoisie, seule capable à l'heure actuel-le de diriger la lutte pour l'indépendance:

"Comme l'instauration de l'ordre social bourgeois représente un progrès relatif, et comme l'acquisi-tion de l'indépendance est un préalable à la lutte révolutionnaire, nous sommes malgré nous les alliés objectifs de la bourgeoisie nationale quant à cette première phase de la lutte ••• ". l

A ce souci de faire du travail pratique et de définir plus clairement une ligne politique, correspond également un souci de rigueur dans l'analyse et l'élaboration théorique. Au cours de la première année, on parlait de tout sans jamais traiter aucun sujet de fa~on spécifique. Cette fois, rêgle générale, chaque

(39)

numéro portera sur un sujet précis et constituera un dossier aussi documenté que possible: en octobre, on tentera de faire le point, un peu à l'aveuglette, sur la situation de l'information au Québec et sur les conditions d'existence d'une information "nouvelle"; en février et en mai, des études sans grand intérêt ou aux pré-tentions na!ves sur le syndicalisme et la ville de Québec; par contre, le numéro de décembre sur Montréal contient d'intéressants articles sur la domination anglophone et sur l'architecture fran-cophone "colonisée"; en janvier, un numéro capital sur la litté-rature, dans lequel la plupart des auteurs du groupe livrent leur témoignage; en mars, un numéro plus faible sur l'enseignement, mais dont l'éditorial constitue une analyse pénétrante du carac-têre "capitaliste" du rapport Parent et de la réforme de l'Educa-tion; enfin, deux numéros, l'un en avril sur le lafcisme, et l'autre, en juin-juillet sur"la difficulté d'être québécois", re-prennent sans beaucoup les approfondir, les thèmes de l'année précédente.

En bref, à part quelques heureuses exceptions dont le numéro de témoignages sur la littérature, la plupart des monogra-phies qui tentent de traiter un sujet de fa~on spécifique et ri-goureuse sombrent dans l'empirisme le plus plat ou véhiculent sans les utiliser vraiment des données de seconde main ou des é-léments théoriques mal assimilés. De fa~on plus évidente que

pour la première année, le manque de formation - et en particulier de formation marxiste dans une revue qui s'identifie comme telle

(40)

-apparaît cruellement: qu'il s'agisse d'économie, d'idéologie, de syndicalisme, ou même de culture ou de littérature, Parti Pris réussit très rarement A produire des analyses originales ou même des documents instructifs.

34

Bien que ces dossiers occupent une place assez importante, c'est donc encore la problématique des débuts de Parti Pris qui domine encore et refait surface à chaque détour. Cette probléma-tique a au moins le mérite d'être particulière à Parti Pris; ceux qui y font référence la sentent de fa~on irréfutable. Même si elle manque de rigueur, elle constitue une lecture globale des faits .ociaux traités. Il ne faut pas y chercher ce qui est in-trouvable, mais ce qu'on peut y trouver, c'est-A-dire un appro-fondissement et une explicitation des positions initiales de la revue.

Il reste, en somme, que l'option plus politique adoptée par la direction de la revue au début de l'année, n'~ pas trans-formé le discours dominant: on a essayé de faire différent, plus réaliste, mais cette tentative a donné de maigres fruits.

1965-66: le MLP et le PSQ

La

troisième année a beaucoup d'importance sur le plan po-litique, puisque c'est celle du Mouvement de libération populaire

(MLP), dont Parti Pris devient une sorte d'organe théorique. Dans l'histoire de la revue, par contre, c'est une période de flottement et de transition: une nouvelle équipe a remplacé tous les

(41)

fonda-teurs, à l'exception de Pierre Maheu, qui demeure au comité de rédaction, mais elle sera éphémère. Paul Chamberland, qui incarne véritablement, avec Pierre Maheu, "l'esprit" de Parti Pris -entreprend au cours de l'année le cheminement qui va le mener bientôt à répudier tout engagement politique. Quant à la majeu-re partie de la production de l'année, elle est axée sur les pro-blêmes et questions politiques directement reliés à l'action du MLP ou se constitue de dossiers, sur le modêle de ceux de l'année précédente. Cette fois, la problématique originale de Parti Pris est noyée dans cet ensemble: un ensemble d'ailleurs assez dis-parate, à l'intérieur des numéros, comme d'un numéro

â

l'autre. Les articles politiques côtoient des analyses de type théorique, les exposés, les compte-rendus de lectures. Et ce qui est le plus étonnant, c'est qu'au moment même où la revue est liée à un

mouvement politique, on y relève des contradictions constantes, avouées ou non. Sur le plan culturel, en particulier, on trouve dans le numéro de janvier

1966

un article sur la langue dont la thèse est aux antipodes de tout ce que la revue avait énoncé jus-que-làl • Même phénomène pour le numéro d'avril, où les articles sur les poètes Gauvreau et Péloquin2 rompent totalement avec les positions de Parti Pris sur la littérature. Pour le reste, les documents ou les analyses ont en général une qualité nettement su-périeure à l'année précédente, mais le tout manque de cohésion: il ne s'agit ni de textes théoriques originaux, ni, d'autre part,

lGilles Des Marchais, Défense et illustration du guébécien, III,

6,

24-43.

2Jan Depocas, Entretien avec Claude Gauvreau et Claude Gau-vreau

ê

Beauté baroffie, III, 9.1..--14-36; :P.aulChamberland, Entretien

avec laude Pêloau ,Claude ~éloquin, Poèmes. manifestes,

III,

9, j8-57.

(42)

)6

de documents dont la pertinence ou l'actualité compenseraient pou

7

le manque de rigueur. L'ensemble flotte un peu en l'air, au-dessus des événements et des vrais problèmes.

Les événements politiques qui se sont déroulés au cours de l'été expliquent un peu ce flottement: le Mouvement de libération populaire est né. Regroupant plusieurs petits groupes de gauche, et en particulier Parti Pris et la revue de Pierre Vallières et Charles Gagnon, Révolution québécoise, le MLP adopte une ligne politique radicalement différente de celle soutenue, explicitement ou non par Parti Pris. Pourtant, c'est la revue qui publie, en août-septembre 1965, le manifeste du mouvementl •

Par rapport au premier manifeste, il s'agit d'un changement radical. Après une analyse assez élaborée des classes au Québec, les auteurs concluent que la "nouvelle bourgeoisie" québécoise ne fera pas l'indépendance de son propre chef, parce qu'elle n'a pas la force suffisante et n'a donc pas intérêt à s'opposer à l'empri-se du capital américain et à la domination politique d'Ottawa. En conséquence, l'indépendance n'est plus un préalable à la révolu-tion économique et sociale: les classes qui ont intérêt à se li-bérer de toute oppression sont les classes laborieuses et, à mesu-re que le pouvoir de la bourgeoisie se durcira en face de leurs revendications, elles se donneront une conscience de classe. Peut-être la bourgeoisie décidera-t-elle de faire l'indépendance, mais ce sera à cause des pressions des travailleurs; sinon, en renver-sant le pouvoir de la boUrgeoisie, les travailleurs renverseront

l

Le mouvement de libération populaire et la revue Parti Pris, Yanifeste

65-66,

III, 1-2, 2-41.

Figure

TABLE  DES  IvIATIERES

Références

Documents relatifs

« En matière de vin, il faut savoir faire passer le plaisir avant le prestige » Paul

† Ne pas signer avec une société qui vous démarche à domicile ou sur les foires expositions car il est impératif que le professionnel connaisse votre terrain avant de vous faire

Les premiers, utilisant une électrode positive à base de nickel et une électrode négative constituée d’un alliage absorbant l’hydrogène, toutes deux plongées dans une solution

Avant toute prise de médicament, vous devez consulter votre médecin et lui rappeler que vous avez bénéficié d’une chirurgie de l’obésité?. ▶ Si je ne perds pas suffisamment

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version. 1

Quel sera le montant de ma pension de ma Retraite complémentaire.. Retournez sur

Comment la date de départ influe sur la pension de retraite.. Quelles sont les démarches

o au moins 6 articles originaux référencés PubMed (manuscrits complets, full papers ; les cas cliniques ou les lettres à la rédaction ne sont pris en compte que s'ils sont publiés