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\\ McGILL UNIVERSITY .' LE THEME DE LA FOLIE CHEZ MAUPASSANTb~
1 Jâcqueliné C~eva1ier k thesis.1
submitted to..
The Facu1ty of Graduate Studies and Research
M~Gi11 University
in partial fu1filment of the requirements for tne degree of
Master of Arts
1
Department of French Language and Litera~ure
i August 1977 .. 1 1978
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Jacqueline Ch~valiër 1 91
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1 " université McGill Département de Langue et de Culture Françaises Maltrise às ArtsJacque Lj, .. I!e~.t:;~a lier
"-LE ',l'HEME DE LA FOLIE
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RESUME
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pans cet ouvrage, nous abordons le thàme de la~~~ie
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dans les ,Contes et,Nouvelles de ~uy de Maupassant. Aprês un bref survol de la vie de l'auteurL,~ous ,dégageons les
princi--, - ,'!.t
pales caractéristiques de son mal ë~~h les appliquons à
l'oeuvre.
Dans un premier chapitre, "Prodromes", nous
que les personnages offrent un terrain favorable au dévelpppe-ment dei névroses et plJs tard de psychoses. Ceci est da au
1
fait qu'ils vivent dans un monde dur et'sans espoir, où le pes-simisme les domine. De plus, ils sont très imaginatifs et extr@mement ~ensibles aux influences extérieures, et ils se
1
1
"
~etranchent dans une solitude génératric~ d'ango~sse.
Puis dans le cha pi tre intitulé IIN@vro.ses", nous
abor-,
dons les 'différentes formes de n~vroses, c'est-à~ire hystérie, névrose phobique et ~ur~out Inévrose ob~essionnelle. Cette der-nière est
Itr~s
importante puisqu'ellese'~évêle êtrè~la
base même du thème du double.1 1
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1 "'- y- I-l ' •'-Enfin, dans le
d~rnier cha~itre,
"Psychoses",~Jus'
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étudions les diverses-tendances psycpotiques qui apparaissent à trav.er.,s les Contes et Nouvelles.- Etant e,ntendu' qu 'u~e
psy-,1 •
chose est une maladie qui condfit à la réalité, des phénomènes ~els que
une per~e deI contact avec les
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hallucinations, le dbuble et" bien sUr, la paranola se développent.
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Pour conclure, nous tentons de donner une explicatîoh
à la névrose obsessionne,lle dont souffrent les personnages,
et nous soulignons le ch~minement intérieur suivi par Maupassant pour eSiayer d'exorciser son mil •
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'l'I!EME DEh
li'o.LIE CHJ;:Z~UPASSANT
1 ABSTRACT
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, In this work, wé deal with the sUbject of ~nsanity irr the Contes et Nouvelles of Guy de Maupassan~. Af"rrr a rapid , survey of: the author Îs lif~, we,'rbring out the main
character-stics of his disease and we apply them tOI his work~
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We câll the first chapter ':'prodrorne.s" because we want
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to pnderline that the characters offer a propitieus ground te
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the\gre~th of neurosis and later psychosis. This is due to
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the act that they livé in a harsh a~~ hopeless world where _
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pessil ism overwhe\lmS thern. Moreover, they have a rich imaginaI..
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tion 1 d
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'they c~fine themselves in a solitude which increases their)
anguish\
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Then, in the chapter
as~eçts·Jf·~eurOsts
:IINeurosis", we deal with the hysteria, phobia and
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and of course paranola beéome more and more evldent.
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neuxqsis that the qharacters bear, and we underlihe th~ t
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PRODROMES..
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18 NEVROSES 59(
PSYCHOSES •.
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INTRODUCTIONDepuis l'avènement d~ '~a psychanalyse, le thème de la folie a intéres~é beaucoup de critiques littéraires, e~
d'ail-, >
leurs) l'analyse psychanalytique d'une oeuvre peut l'éclairer d'un jour tout, à fâit nouveau.
...
genre de critique, i l faut non seulement posséder de solides
. . \ h" . t ' ... .
conna~ssances en psyc ~atr~e, ma~s enço e d~sposer de
reHse~-~
"
gnements biographiques assez nombreux et précis sur l'auteur. 1
Ce n'est malheureusement pas le cas pour Guy de Maupassant. La folie étant une tare familiale plus ou moins
\
honteuse au siècle dernier, les critiques de son gpoque ont tous observé un pudique silence
sJr
les manifestations de'son mal. De plus, les rapports médicaux concernant sa maladiefont-défaut. \
,
IDe toutes f~çons, la psychanalyse, pour être vraiment valable, doit s'\{ablir entre un thérapeu~e et un patie~t bien vivant, puisqu'il s'agit de pousser ce dernier dans ses ultimes
1
retranchements. Donc l'analys'e d'une 'oeuvre "morte" ne peut être faite en profondeur. C'est pourquoi i l ne faut pas
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- '1' 2 )s'attendre à trouver dans ce travail une psychanalyse de la folie de Maupassant.
..
D'après les quelques
renSeignemen~s
biographiques dont on dispO~é, on définira les manifestations de la folie de1
l'écrivain. Une
fOi~
celles-ci déterminées" il s'agira de les étudier à· travers son oeuvre.. De noJ jours, les psychiatres admettent généralement qu'il faille remonter à la
tr~isième
génération pour expliquer la p,sychose d'un individu. Sans aller si loin, tout le monde s'accorde à reconnaîtrel'influbn~e
du milièu' familial, et par là des parents, sur ~e comportement des enfants. C'est pourquoi l'étude de la famille de Maupassant ne peut que nous éclairer.L'importance de Laure de Maupassant dans la vie de l'écrivain fait bien souvent oublier le père de Guy. Georges
~ormandy rappelle :
Gustave de Maupassant était un parfait gentilhomme et
~n monde du monde accompli. ( • • • ) très séduisant, mais d'un caractère voluptueux et faible à la fois, il fut une manière de don Juan trop tendre { • • • } Ce tempérament ardent, ces instincts aristocratiques d'homme d'esprit galant et dé~ensier, se retrouveront intégralement chez Guy.1
1 - Georges Normandy, Guy de Maupassant (Paris: Va~ Rasmussen,
( 1
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3
Ceci est important car cette faiblesse de caractère se
~
retrouvera également c~ bi~n Çle~ héros d1',Maup assant. Quant
à l'importance des femmes dans sa vie et son oeuvre, elle est
1
~ indéniable.
Mais bien"sür, l'hérédité la plus forte provient du
côté maternel. Déjà -le grand-père de Guy semblait être très
~ttiré par ~e merveilleux bien qu'étant un industriel fort
~éaliste, ainsi que le mentionne la légende~rapportée par
Georges Normandy qui conclut :
Guy qui n'.~ut.pas de 'superstition d'enfance, devait
hériter de son grand-père maternel cette cur~osit~
de la vie.occulte, et, à l'exemple de son oncle Alfred Le Poittevin, déduire le monde surnaturel du monde matériel. 2
!
Cette attirance pour tout ce qui semble appartenir à un
autre monde, n'a r~en d'un prodrome de la folie; cependant,
Guy de ~upassant la poussera à l'extrême.
1
On ne peut p~sser sous silence Alfred Le Poittevinl
l'oncle de
G
uy,~-·
qu~ Joua un s~ . grand rôle dans la vie de1 1
Gus~ve Flaubert. C'était un homm~brillant, mais extrêmement
\
nerveux et impressionnable, comme le rapportent tous -les biographes
2 - Ibid. 1 p. 9. "
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4
de Maupassant et de Flaubert. De quoi est~il mort? On dira
..
qu'il a été emporté "prématurément" par une maladie de coeur.
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.
1 ~
~
Mais bien sûr, la charge la plus lourde semble peser
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--sur Laure de Maupassant. Elle a souffert très longtemps de
crises nerveuses ~t cela marqua très profondément l'enfance de
,.
• son fils. Léon Fontaine, ami d'enfance de Guy, rapporte:
? Il arrivait parfois que, sous l'influence de la IQ.Jladie,
Mme de Maupassant n~ se montrât pas très tendre: Guy
m'a confié qu'il avait beaucoup souffert de ces sautes d'humeur, car il était très sensible. 3
--Ainsi, l'instabilité est le côté négatif de Laure, qui
fut par ailleurs une mère très dévouée. :rI' est à remarquer que
ses crises nerveuses se poursuivront tout au cours de sa vie,
ass~ longue au demeurant, puisqu' ,elle mourut à 11 âge. de 83
.
~ans, ayant eu le chagrin d'enterrer ses deux fils et son
ex-~ri. En septembre 1878, Guy écrivait à sa mère :
1,1 [Léon Fontaine] m'a dit que tu n'allais pas mi~x
et que si tes yeux te faisàient moins souffrir, ton
coeur allait plutôt mal. Je né comprends pas que tu
âies des syncopes aussi" "violentes avec une maladie aussi peu' avancée que la tienne: il faut que' l'affec-tion nerveuse se combine avec les trqubles or'aniques. 4
"\
3 - Pierre Borel, Le vrai Maupassant (Genève
1~51), p. 17. 4 - Norrnandy, op.cit .. , p.16. me r? Pierre Cailler, / /
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5L'affection ner~euse dont souffrait Laure ne séra jamais clairement définie. Hystérie? Névrose ? Syphilis ner-veuse ? On ~'ihterroge encore 1 Cependant, Paul Igno~emar-que, non sans ironie :
Laure had always had nervous fits, and after her tw6 sons started to grow up, her syrnptoms conspicuously resembled theirs. She suffered from tapeworm like Hervé, and from eye troubles like Guy.5
Au cours de cette même année 1878, Gustave Flaubert
répondait à Maupassant :
( •.• ) bien embêté de ce que vous me di tes de votre pauvre mère. Le plu simple ne serait-il pas de lui trouver une maison de anté?6
-Tragique question qui semble résumer le destin de famille, mais qui montre également combien l' hérédi té de Guy est lourde.
Il faut malheureusement ajouter à cela la mésentente,
puis le 9ivorce de ses parents qui le marquera ,à vie, ainsi que le souligne Léon Fontaine :
5 - Paul Ignotus, The paradox of Maupassant (London Wagnals, 1968), p. 226.
-\
: Funk &
6 Gustave Flaubert. Carnets et Pro;ets (Lausanne: Ed. Rencontres, 1965)~ p. 258, Lettre du 28 nOvembre 1878.
Il
1
1 /
6
Et puis i l y eut les douloureux dissentiments qui
finirent pa:r séparer le 'Père et la mère de
Maupassant. Celui-ci fut témoin de leurs
discus-sions violentes. Il' devait en garder une terrible empre in te. 7
~\ ,
1
;
\.
D'~lleurs tous les biographes -de l'écrivain
s'accor-1
,~~ ,donnaitre qu'il décrivit une de ces scènes
particu1iè-\
r~énib1e,
dans sa nouvelle Garçonl un Bock 18
/
--/
Outre cette hérédi té fami~iale, il faut égalemen.tcon-sidérer l'influence extérieure du siècle et des grands penseurs.
Le "spleen" est à la mode. Il s'explique par des raisons
histo-riques et sociales. Le XIXe siècle voit le triomphe d~ la
bourgeoisie, et les gràndes épopées napoléoniennes ne sont plus
qu'un souvenir juste bon à faire rêver. Les jeunes gens et les
intellectuels sont pris d'un vérit~le dégoût ,de leur siècle,
ils Si ennuient, et surtout le gouvernement du Princ
7
Présidentné leur a offert qu'un idéal bourgéois. C' est l'époque où les
romans historiques
qul
pennettent l'évasiOll dans un passé hauten couleurs, connaissent un certain succès : de même, on assiste
7 8
-Borel, 'Le vrai Maupassant, p. 17.
1
Guy de Maupassant, Michel, 1973), II, de cette édition.
Contes et Nouvelles (Pa:ris : ~lbin
f
~- - ,
7
, >g,
la littérature fantastique et de la
science-Il ne faut pas oublier non plus l'influence prépondé-rante du philosophe allemand Arthur Schopenhauer sur tout le
XIX: siècle, comme le remarque pierre cogny :
L'influence de Schopenhauer fut très forte sur le
XIX~ siècle, parce qu'il proposait une·explication
rationnelle, donc satisfaisante, de l'échec de l'humanité qu'il fallait bien constater. ( . . . ) . Schopenhauer (. . .) [établit] que la souffrance
est la condition même de la vie et que l'absurdité, précisément, est de tenir à cette vie qui ne peut engendrer que le malheur.9
P'lus que les écrivains de son époque, Maupassant profes-sera une grandel admiration pour "l' ~ortelle pensée du
grand
saccage~r
derê~es qu~
ait passCr-l;=-,;:r;elt ,10 'V 'plus et qui exprime si bien les conclusions auxquelles l'écrivain est arrivé par lui-même :
J ~ .... Jouisseur désabusé, il a renversé les croyances, les espoirs, les poésies, les ,chimères, détruit les
aspirations, ravagé la confiance d'es ames, tué l'amour,
~battu le culte idéal de la femme, crevé les illusion$
d,es coeu;SiI' accompli la plus gigantesque besogne de
9 - pierre cog~-Maupassant l'Homme sans Dieu (Bruxelles: Renaissance du Livre, 196B), p. i 27.
1
\10 - Auprès d'un Morlt, II, p. 80S.
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8
-sceptique qui ait jamais été faite. r Il a tout traversé
de sa moquerie, et tout vidé. l l
f
Pour déf;i;nir aussi claiJ:lement S'chopenhauer, il fallait
~raiment le comprendre e~ surtout le suivre, comme l~ montre
1
cette lettre à Flaubert, du 5 juillet 1878, où l'on croi~ait entendre le philosophe allemand
Il me vient par moments des perceptions si nettes de l'inutilité de topt, de la méchancet~ inconsciente de la création, du vlice de l'avenir quel qu'il soi t, que je me sens venir une indifférence, triste pour toutes choses .12
Ce pes,simisme latent chez Maupassant ne s'est pas
1
nourri uniquem~nt ce la doctrine de Schopenhauer. Il est impos-sible de passer sous silence l'influence du maître de Guy, le
\-
;solitaire de Croisset, ,Gustave Flaubert. L'attitude de Flaubert
l '
est elle aussi très pessimiste, 'et il ést certain qu'elle ne put I~' laisser son élève indifférent. On connaît le mot célèbre qui
, ~
révèle la ViSi):n ,boire du monde que livre,Flaubett dans une lettre. à Louis Collet
Il - 'Ibid., Il, p. 805.
.
12 Pierre Castex,. Le Conte Fantastique en Franc,e de Nodier
·à Maupas~ant (Paris : José Corti, 1-~62), p. 367 •
,
1
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1
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9
1
Je niai jamais vu ur enfant sans pepser qui il devien-drai t vieillard, ni un berceau sans songer à une t'
tornbe. 13
De plus Flaubert a fustigé la bêtise humaine en bon disciple, Maupassant reprendra ce thème et il soulignera éga~ lement la routine monotone de llexistence qui finit par tout
détruire. Ce sera le thème de nombreux' contes, . en particulier Promenade.
Il est évident que les influences èxtérieures qe
1 •
Flaubert kt Schopenhauer ni ont fait que renforcer chez
Maupassant de solides dispositions à la tristesse. Il se plain~ q~a plusieurs ~fois à son maître Qe son ennui, du manque de
,
variété dès événements, des femmes et de l'amour. Flaubert ll~ncourage à se lancer à corps perdu dans le travail' pour o pallier son pessimisme naissant, et surtout il le met en garde contre la tristesse :
Il
13
.
,
Prenez garde à la tristesse.', CI-test un vice. ," On prend plaisir à être chagrin et quand le ch~grin est passé, comme on y ~ usé des forces préciéusès, on en reste \
.'
\
Gustave Flaubert, Lettres à Louise Collet (Lausanne: Ed. Rencontre, 1964), p. 63, Lettre du S,août 1846.
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'C
~ , -~ -r ~---_
-L,
10
---abruti. Alors on a des regrets, mais il n'est plus'
temps ... 14 1 c
..
Flaubert semble
a~oir press~nti
chez Guyc~
plaisir -quasi morbiae qu'il aura à ne reteli1~r que le mauvais., côté d~schoses, à analyser, à di'Ss.équEf' les différentes formes d'une
,
angoisse existentielle, ~usqu'à y ~aisser ses dernièrés forces.
,
,'I~
,, l
, j
,
Tout ceci n'indique pas la folie de l'écrivain, mais
révè~e-combien
le terrain a pu être favorable à son dévelobpe-ment, car le principal agent de sa psychose fut évidemment sa maladie. Que ce soit un mal hérédita~re, i l n'yà
là aucundoute, mais de surcroît, les biographes s'accordent à\reconnaî-tre que "Maupassant a été atteint d'une affection syphilitique
- 15
du système nerveux"·.
,
1
~ Donc.' d'---UJJ,e part une maladie nerveus~ héz:édi taire, peut-être d'origine syphilitique, d a~urb~-par±-~u~ne syphilis acquise qu'il aurait contractée entre 20 et
26
ce qui1
7
14 - GustJve Flaubert, Carnets et Projets; p.
,
209, 15 août 1878.L
'Lettre du ' "
,
'~-'! !., \ ,..,;
,15 Borel, Le vrai Maupassant, p. 149. 1
... QI,
16 - Cf. Castex, Le Conte Fantastigue en France, de Nodier
à
Maupassant, p. 366.;
1
= ' $ i 1 '1 . . -r:-,., '.~" "!
Il
-~/--~·"--
-;--~---\
(
- 1
11
expliquerai t que' le mal
s~
/ soi t échel.oim,
sur tan t d'ann~es
depar la robuste constitution physique de l'écrivain.'
.
Dès
1~76, Maup~ssaï~
se plaindra de batJements decoeur,·cornrne sa mère, et ce s9~t les premières migraines.
~""""~
.
Cependant, i l se soigne ••• Mais de qtielle manière 1 Dans une
•
lettre à Robert Pinchon, il énumère ée qu' il abso~be "de la
• 1
digitale et du bromure,
puis
de l'arsenic, de l'iodure de potassium et d:e la teinture de COlchique".,17 Plusr tard, lors ...que ses né'vralgi'es deviendront insoutenables, il 'aura recours (
aux drogues telles que l'éther, le chlorofo~e, l'opium, le ha,cnich, la cocalne et la morphine.l
?
\
\
Maupassant devait avoir une nature vraiment solide pour résister à pareil traitement 1 Nonobstant ces soins, le mal
empire, chute des cheveu~ et Le
dia-.'
gnos'ti,,:c des médecins semble on ne taisiste, comme le, févèle cette lettre à Flaubert
,17 {l
18
-'"
Quant à moi, je suis ~oujo~rs déplumé. La Faculté croit maintena~t qu.'
ii
ni y cl rien de syphilitique367, Lettre à Robert Pinchon, 11 mars 1876.
,
Cf. \Edouard Mayni
Ma';lpassan~ (prriS'
SU1V.
./
\.
La vie et l'oeuvre de
Guy
de: Mèrcure de France, 1907), pp. 227 et
\ '
(
r
-
..
-12
dans mon affair_e, mais -que j'ai u1n rhumatisme consti-tutionnel qui m'a 'd'abord attaqué l'estomac et le
coeur, puis ,en dernier lieu la peau.19
"!-En 1880, ses yeux commencent à lui causer de graves
ennuis, en particulier l'oeil droit. Dans une lettre à.
Flaubert, début mars 1880, Maupassant e~plique
, \ 0 '
J'ai une paralysie de l'accommodation de l'oeil droit
( •.• ) Je suis d' a~rès lui [Dr Po tain
J,
atteint de lamême maladie que ma mère, c'est-à-dire d'une légère
irritation re ~a partie supé~ieure de la moelle. Donc,
troubles du 'coeur, chute des poils ou accidents de l'oeil a'uraient la même cause. 20
A l'époque, ,seul le Dr Landolt semble avoir' remarqué
qu'il s'agissait d'~ne infection syphilitique, et que "
Maupassant était sur la voie de la paralysie générale, comme
en fait, foi sa lettre à Albert
Lu~roso,
le 29 octobre 1903. 21',\
1 f Le surmenage, le travail intensif et la mort oe Flaubert, le 18 mai. 1880, ajoutés à 'ses trouples physiologiques ne font
que développer la psychose de l'écri~ain :
J'ai froid plus encore
d~
la solitude de~a
vie que (de la solitude de la maison. Je sens un ~ense
19 - Borel, Le vra~ Maup~ssant, p. 143.
20 Ibid., p. 144.
21 - Alber~Lumbroso, Souvenirs sur Maupassant (Rome: Bocca
Frères, 1905.), p. 581. r} l, ;' J )
..
}"
-
...
-13
/
égarement de tous les êtres, le poids du vide. Et
au mil~eu de cette débandade de tout, mon cerveau
fonctionne, lucide, exact, m'éblouissant avec le
Rien éternel. 22
1
A partir de 1883, ses souffrances redoublent, son humeur
devient)irstable, il a peur de la solitude ~t de la nuit, et i+
::t. ' d h I l ' , 23 • b i 1 h
commence d avo~r es a uc~nat~ons. Ces 0 sess ons
e
ante-ront jusqu'à la fin de sa vie, et on les verra évoluer dans son
oeuvre. , \
c1esj également à cette époque qu'il s'intéresse aux , expériences du Professeur Charcot à la Salpêtrière, et il les
mentionnera dans des:contes tels que Le Horla (II, pp. ~l06-11)
et Un Fou? (II, p. 970). Mais il faut souligner que tout le
monde se passionnait pour l'hypnotisme et le magnétisme. En
effet, dans ,,1' édi tion Conard, 'on rappelle' "que dans le cours '
des années 1885, 1886, 1887, parurent p~us de soixarlte \ouvrages
1
-.24fur la névrose, l'obsession, l'hypnotisme et la suggestion."
ir
!
22 Borel, Le vrai Maupassant, p. 144.
23 Cf. ibid., p. 133.
!
l,
24 - Pierre' Cogny, Le/Maupassant du Horla' (par.iS : Minard, 1962),
p. 17.
,
,-~J
-~ -~:\r·1
~.~ ! 1 1 1 1 14Maupassant commence aussi à montrer une curiosité mor--bide pour la folie. D'ailleurs, bien que pon9t~s , \ différemment,
trois contes seront intitulés "fou" : Fou? '(II, P 785), Un Fou? (II, p. 970), Fou (II, p. 1010),' et il ne faut s
(
oublier la Lettre d'un Fou (II, p. 1003), qui reproduit trop bien le délire pour ne pas exprimer l'angoisse profonde de l'écrivain. De plus, de nombreux contes seront consacrés à la folie. Maupassant explique ainsi cet attrait:
-:'
Les ,fous m'attirent ( • • • ) Pour eux l'impossible n'existe plus, l'invraisemblable disparaît, le fééri-que devient constant et le surnaturel'familier ( • • • ) P9ur eux tout arrive et tout peut arriver ( • • • ) Eux s~u1s peuvent être heureux sur la terre, éar, pour eux,
la Réalité n'existe plus. 25 1
j
,~
Bien que cette opinion rejoigne celle des intellectuels
3
"
de son époque, o,n ne peut s'empêcher de, penser à Freud et à la j
1
l
différence qu'il établit entre la psychose et la névrose
i
Neurosis does not deny'the existence ofrekl~ty,~
it merely tries to ignore i t i1pSychosis denies it ~nd tries to ~ubstitute something else for it. 26
1
Et i l est intéressant de noter que Maupassant mettra en scène p,rincipalement des psychotiques souffrant des mêmes
('\
25 Madame Hermet, II, p. 1124.
"
\
\
\ 1 \
26 - S~gmund Freud, The Loss of Realit in Neurosis andl P • (Collected papers, New York: Basiè Books, 1~59),
,,_.-1 !
c'
-~ I-~.- ,
---1
,-1
•
(,
15désordres que lui. Tàut au long, de 'son oeuvre, on verra
pro-1
gresser son angoisse qui éclatera dans le personnage'parano!a- , que du Horla. Leslie Rabkin explique le comportement de ce
type de malade et souligne particulièrement la logique de son raisonnement :
The paranoid psychotic,
~ho
usually s a reasonablê\ ability -for acceptable intellectual'and emotional -.~
responsiveness, - lives in the tense grip of apprehension and\1 uncertainty un~il he suddenly cornes: to a realiza-. tion about the "truel l meaning of events taking placearound him. a reali~ation which lIexplains Il the prodromal
.. 1 - ----,
sensations of agitation and distress. The delusions of these individuals are often highly elaborated and'
organized and are, almost invariably,- of a p~rsecutory nature. 27
Ceci peut Si appliquer à plusieurs héros de Maupass·ant,
surtout cette mani~ de la 'persécution dont on sait qu'il a lui-même souffert. Bien des ~ritiques reconnaissent ~e la triste
période'~es procès (1888) relève de la pathologie, et Edouard
~aynial souligne qu'à la clinique 9u Dr Blanche, le délire dé 1 t écrivail?,_ ';reflétait particuli~rement la manie de \a persécu-tion et celle des grandeurs.
tr2~
27 Leslie Rabkin, Ps~chopatholoqy 1 and Literature (San
Fr~cisco : Chandler, 1966), p. 179.
28 - Maynial, op. cit., p. 284.
1
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16
Très souvent, aes ~;ymptôme5 5' accompagnent également d'un sentiment
d~
perte de lavolonté~
de dépersonnalisation.Cl est ce que Leslie Rabkin appelle "obsessive-cornpul'sive
..
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,reactions Il
-~~/~
.
__________________ ~T~h~e~p~e~r~s~~~w 1s~ted by forces wh~ch seem out of-his control,; ~e
is
~ to do or think'50mething quiteou~ of keepin
g
with the way he consciously wants toact or feel. 2 .,
1 f
'En littérature, on appellera ce phénomèn~ beaucoup plus prosafquement le thème du double.
1
d~ns l'oeuvre. 1
On le verra aussi
évo-,
.
Ceci nous amène à souligner un point important. Tous
\ .
thèmes vont pt'ogresser -dans les contes, c' est-à-dire qu'
t
ls, , lus en plus marqués au fil du temps, suivant" . ' ,
'.
1
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'i,
~
1
1
..
1la ascendante de la maladie': De la même manière~,~l~e~sL-_---;~
, \ ----~~
Contes et Nouvelles vOllt_--r-efléterPeu à peu 11 angoisse
person-~--- ,- 1 '
______ ---.--- t
---neIie de Maupassant. Il y a autant de diffé:r:ence entre ~
1
Docteur Héraclius Gloss (IX, p. 709), écrit en 1875, et ~ Borla, écrit onze ans plus tard, qu'éntre-une farce d'êt:üdiant • e;t un drame vécu.
/
1 '~ ~ { r~ \ \.
- - - _ , ."'1'" ,/ '
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'J , _ _ _ _ _ ~~_~ _ _ _ _ T
"
.
~~, .Dans un premier chapi tri' ,nous ver.:-ons donc - liS
pro-dromes de la folie
\qui
apparàisse~t dans lé pessimisme, lasolitude et surtout la peq,r. Puis nous aborderons, les. tendances
_névrotiquef?
~~
lion retrouve chez-l~S person~_èn
par'ti':..-~- /
, ~ / /
culiêr 11 obsession. ,_Enfin, nous terminerons notre étude par
-~es ca~actéristiques psychotiques des héros, telles 'que les
\ \ ~
1
hallucinat+ons et le phénomène du'Double. 1
/" \" _ • ...-J--/ / Q
,
,\', ' -'-,\
~~/
/ " / -\ 1 ~ ,1CHAPITRE PREMIER
PRODROMES
Certains traits de caractère des personnages tels que ~ ;!;leur pessimisme, leur horreur de la solitude et surtout l~ur
angoisse peuvent être consid4rés comme des signes avant-coureurs
~'
de la folie, car ils s~ht poussés à l'extrême. Ils montrent
,
'donc le terrqin ,fi~vorable offert au développement des névroses, ,et plus tard des psychoses.
Le pessimisme de Mau~ssant prend naissance dans la mono-tonie des jours qui passent, pendant lesquels ses personnages répèteront les mêmes gestes,. essaieront de vivre mais sans
éprou-u' ver de passion pour rien, et finalement, ils ne garderont "dans
l'esprit aucun de ces souvenirs qui font date",l pour
abo~
la vieillesseSOlit~ire.
()
1 -
L'
Ermite, II, p. 1055 (26 janvier 18'86).(
"
-- - W'
-1
19
Déjà en 1883, cette vision noire du monde hantera l'écrivain jusqu'à l'idée fixe:
Chaque cerveau est comme un cirque, dù tourne
éterne~lement un pauvre cheval enfermé ( • • • )
Il faut tourner, tourner toujours, par les mêmes idées, les mêmes joies, les mêmes plaisanteries, les mêmes habitudes, les mêmes croyances, les mêmes écoeurêroents. 2
,~ I~
Cette image saisissante du
Cheva~\
jermé révÈlle l'obses-/ '
sion naissante, mais aussi la
pauv~e~e
nos sentiments et la limite ~e nos sens qui ne nous permettent pas de dépasser cette routine quotidienne.Maupassant a toujours recherché un idéal, que ce soit en amour ou au niveau des sens, poursuivi un rêve qu'il n'atteindra jamais et que, d'ailleurs, personne ne pourra jamais atteindre. Il a essayé de trouver la femme idéale, la femme par~aite, mais il n' y est point parv~nu ~ ses expériences avec les drogues lui,
! ~
ont fait' entrevoir la plénitude des sensations que 1 t'OI~ pouvait ressentir, mais ce n'est qu'un état passager._
\
Dans d'aÇsolu, cette recherche de la perfection et de itude, et dans sa volbnté d'éprouver d'autres serisa- ',-tions, se complaire dans son pessimisme. Il tentera
,
'2 - Suiciàes, II, p. 82\5 (17 avril _1883) •
.
,-,.
Pla
\
(
-~ , - - - - r - --~- -, oIl
..
20de l'approfondir, car i l n'envisage pas d'autres possibilités afin de sortir du cercle infernal.
• J • •
En effet, i l aurait pu essayer d'analyser ce pesslmlsme
.
pour en déterminer la structure et surtout la cause, et parvenir ainsi à s'en dégager. Au contraire, il joue avec les idées /
noi-res, 'peut-être dans un but d'auto-destruction, ou plus simplement
artil~,tiqùe et littéraire.
~ Pour alimenter son pessimisme, Maupassant n'aura qu'à regarder autour de lui les petits bourgeois, limités par leur
petit horizon, leu~s petites préoccupations, s~~battant dans de petits drames, n'ayant que de petites aspirations. Cependant, ces '!confinés", selon la classification d'Albert-Marie Schmidt, auront parfois le désir de s'élever au-dessus de leur condition, et ils courront à l'échec: qui bien souvent ~es fera tomb~r encore plus bas dans l'é~helle sociale.
\ '
3 4
Oue ce soit dans A Cheval ou La Parure, ils semblent
1
appartenir à un monde dont ils n'ont pas le droit de sortir, le monde des ratés o~ tout manquement à la règle est sévèrement puni.
\,
3 A Cheval, l, p. 397 (14 janvier l~83). 4 - La Parure, I~ p. 453
(17
février 1884) •(,
~/-~-~---~
21
Influencé par Flaubert, Maupassant a ressenti très tôt,
e
dès 1880, cette bêtise humaine due à 11 incapacité des êtres ~e
sortir de leur routine, de se renouveler. Elle éclatera
princi-palement lors des réjouissances populaires. pend~nt lesquelles
la masse, pare~lle à un troupeau de moutons, accomplira les
mêmes gestes qui sembleront pourtant
rompr~
la mdnotonie desjours.
Ce long déferlement du peuple dans les rues de Paris, un
jour de 14 juillet, sera perçu par llécrivain avec un certain
réalisme, mais aussi un profond mépris
o
bousculade, éreintement, sueurs et poussière,vociférations, remous de chair humaine, extermi-nation des cors aux pieds, ahurissement de toute pensée, senteurs affreuses, remuements inutiles, haleines des multitudes, brises à llail, donnez à M •. Patissot toute la joie que peut contenir son
coeur.S
Maupassant nta4rnet pas que lIon puisse trouver un certain
plaisir dans des choses aussi peu raffin~es, dans le spectacle de
"toutes les laideurs physiques chamarrées dl oripeaux". .
.
6 CI est1
pourquoi i l fustige a~ec une ironie mordante cet idéal mesqu~n,
cette absence de valeurs nobles.
. 5 - Les Dimanches' d'un Bourgeois de Paris, l, p. 312 (31 18 août 1880). 6 ~.
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\22
Si le peup+e des villes symbolise la bêtise humain1e, celui des' campagnes révèlera en outre sa férocité naturelle\ et presque inconsciente. Déjà les enfants~ qui s'acharneht contre
'"
Simon "éprouvaient ce besoin cruel q~i pousse les poules d'une basse-cour à achever l'une d.'entre elles aussitôt qu'elle est
blessée,,~7
Cette cruâuté s'exerce contre tous les défavorisés, 8
qu'ils soient infirmes ou qu'ils ne se conforment pas aux règle~
de morale, établies par la société, comme Madame Baptiste La petite fille grandit, marquée d'infamie, isolée, sans camarade, à peine embrassée par les grandes personnes, qui auraient cru se tacher les lèvres en touchant son front. 9
. La bêtise et la méchanceté humaine acculeront Madame Baptiste et bien d'autres au suicide. Cependant, on peut voir
10
l'évolution de Maupassant qui nous présente la mort du Gueux
1
comme une libération, mais trois ans plus tard, i l noircit le
7
,,...,; ...
Le Papa de Simon, l, p. 15 (1er décembre 1879').
8 Cf. L'Aveugle, II, p. 311 (31 mars 1882).
... ~
9
Mad~~~e,
II, p. 355 (28 novembre 1882).~O
Le G$eqx,II,~p.
439 (9 m1rs 1884).•
23
Il
tableau et la cruauté des paysans condamnera le Vagabond a~x
travaux forcés.
Pierre Cogny remarque très justement que pour l'écrivain "l'argent est, au fond, le seul grand moteur du monde, le seul
. d ( . fi 12
qu~ ure et qu~ soumette • Ainsi, l'épouse de Toine ne
sup-,
porte pas l'inactivité de son mari, devenu une bouche inutile à nourrir, et elle lui trouvera un:"travail" pour mériter sa
soupe : l
Toine vaincu. Il dut couver, il dut renoncer
aux"partie e domin~s, renoncer à tout mouvement,
car la vieille privait de nourriture avec
féro~ité chaque f 's qu'il cassait un oeuf. 13
\ '
1
Il faut que Toine finira par se résigner et
accepter la volonté de s
chosifié, ~l parviendra
femme. Réduit à l'état de couveuse,
\ 7'- ..
"
-19ré tout à trouver une étrange
satis-faction dans son rôle. cependart, l'histoire de Toine liontre
l'éternelle lutte du plus fort contre le plu~ faible. Dès que
l'un se trouvera en désavantage, l'autre en profitera pour 1
,l' asservir.
11 - Le Vagabond, II, p. 667 (1er janvier 1887).
12 -, Coqny, Maupassant l'Homme sans Dieu, p. 21.
.-13 Toine, l, p. 183 (6 janvier 1885).
•
{
(
- ....
-24
"
Le monde de
M~upas~ant
estpa~ticulièrement d~r,
c'est,
la loi de la jungle, et, à la moindre défaillance, on' se fait
détruire. Les personnages n'auront une chance de survivre que
s'ils sont riches, ou plus méchants, oU'plus "malins" que les autres .'
..
De toutes façons, le futur .est automatiqueme'nt négati.f
pour les faibles. Leur avenir est fermé soit par la cruauté
des êlU'tres, soit par la malchance, la fa tali té. Certains
p~r-so~nages semblent prédestinés à souffrir continueilement, sa~s
espoir de voir les choses s'arranger'un'jour.
Ici encore, on peut voir"se détériorer le monde 1 de
Maupassant au fil des ans. L10rphelin14
(1883) devient
ma~Fe
de son village malgré15 .
Berthe .( 1884), après
suffisant pour prendre souffrir hprriblernent
l'assassinat de sa avoir été amenée à
un mari,
-Ir
pa4~r~
de l'abandon de son la grande vie avec sa dot.
1
tutrice. un degré
folle est époux qui
14 L'Orpheliri" II, p. 837 (~5 juin 1883).
15 - Berthe, II, p. 986 (20 octobre 1884)~
Quant à de ,conscience la seule à peut mener
Il
..
.",
;1 ,\.'
" i 1---_
..._---_
....
_---
.{.~.~~(
·C
~ I--~ r
-_.~._-. , -_.~._-. l '1
25
Presque toujours les innocents paieront pour les coupa-16 ( ) ...
bles, corru::ne dans Le Garde 1884 f ou Céles.te, la vieille bonne,
meurt brûl~e , , vive alors qu'elle n'avaLt aucune responsabilité dans ce.qui s'était passé. Et l'on assiste à l'aberration finale
dans
~17
(1885) où un fou criminel préside aux Assises, tandis que 1-' in~ocent est au banc des assassins. - Bref, dans ce "monde-
.
à l'envers", la justice est vraiment aveugle et le crime paie.
Cependant, Maupassant ressent au plus profond de lui-,ême cette misère humaine, cetté injustice monstrueuse pe la vie; ces existences brisées dès le départ par une malchance incessante :
J'ai eu, pendant une demi-heure, la sinistre ~ensation~ de la fatalité ~nvîncible 1 j'ai éprouvé cè"frisson
qu'on a en descendant aux puits des mines. J'ai tou-ché ce fond noir de la misère humaine: j'ai compris
l
l'impossibilité de la vie honnête pour quelques-uns. 8 "
Maupassant ne se contente ~as de voir. et de comprendre le malheur autour de lùi. Ïl va le recherc'her, être attentif à
1 b /
1 1
1 1
sa présence pour pouvoir mieux s'y projeter, et c~est là le
drame. Ttois
~ns
plus tard, en..
l886, ses personnages, submergés1
16 - Le Garde, II, p. 977 (8 octobre 1884). 17 - Fou, II, p. 1016 (10 ~eptembre 18SP).
l~ - L'Odyssée d'une Fille, l, p. 1246 (25 septembre l8~3).
\
\
•
•
(
t
,
26
par la misère humaine, pourront jeter à la face du monde leur
mépris pour ceux qui passent dans la vie ep Pirtant des oeillè-
Il
res
Fichez-moi la paix avec votre bonheur de taupes, votre bonheur d'imbéciles que satisfait un fagot qui flambe, un verre de vieux vin ou le frôlement
d'une femelle. Je vous dis, moi, que la misère
humaine me ravage, que je la vois partout, avec des yeux aigus, que je la trouve où vous n'aper-cevez rien, vous gui marchez dans la rue avec la
pensée de la fête de ce soir
ei
de la fête dedemain. 19
f"
Ainsi, Maupassant s'aCharnera à trouver le ~heur
Si y complaira,
autour de lui, et" bien sûr, il y arrivera. Il
mais on peut se demander jusqu'à
q~el pOin~ce
n'est'pas pourl'exorciser. En effet, dans le passage suivant, n'est-ce pas l'angoisse propre de l'écrivain devant la v.ieillesse, la soli-tude et la mort qui s'exprime?
.Oh 1 la misêre des vieux'sans pain, des vieux sans
espoirs, sans enfànts, sans argent, sans rien autre
cHise
que la mort devant eux,y
pensez-vous? Ypen~ez-vous aux vieux affamés des mansardes 1
Pensez-vous aux larmes de ces yeux ternes, qui furent brillants, émus et joyeux, jadis 120
1
«
'. 'II" -1 1 27 cette Pluk lemisère est d'autant plus tragique que les vieux
.il'ont moindre esp~ir, de même que les plus jeunes qui
attendent encore un hypothétique retour de chance qui ne viendra
jamais d'ailleurs. Ils finiront par se résigner tristement,
21 1
comme YVette, en'tre autres, qui acceptera de mener une vie
\
qu'elle déteste.
\
Il est évident que dans un monde sans espoir, un Di~~-~
juste êt bon n'a plus sa place. Il devient donc le Dieu
"massacreurll,22 celui qui donne la vie, crée l'homme avec des
Q
facultés amoindries, puis "après quelques années d'épanouissëment
bestial"23 lui envoie la vieillesse, les infirmités et la
décré-pitude, avant de le laisser retourner au néant dloù il est sorti.
Et pourtant, la mort serait-elle acceptable sans la vi~lesse?
-Le Dieu de Ma~passant est un Dieu aveugle. Il n l,a pas·
la moindre conscience de sa p~issance, ni des désastres qrlil
est susceptible de produire :
21 - yVette, II, p. 481 (29 aont - 9 septembre 1884).
22 -" Moiron, II, p. 11'4~ (27 se,tembre 1887).
23 LIInutile Beauté, l, p. 1157 (2/7 avril 1890).
.
.
b " • ~--'.~--" _ _ 'T _ _ _ _ _ _ " " " " " • • """""""""""""""""~""""""",, . . ~ . . . u ~~•
,
. . ~,-(.
1
,
28 1Sais-tu comment je conçois Dieu, dit-il : comme
~. un monstrueux organe créateur inconnu de\nous,
qui sème par l'espace de~ milliards dé mondes,
ainsi qu'un poisson unique pondrait des oeufs
dans la mer. ~1 crée parce que c'est sa fonction
de Dieu i ma~s il est ignorant de ce qu'il fait,
stupidement prolifique, inconscient des combinaisons de toutes sortes produites par ses germes
épar-pillés. 24
Et le héros se déplace dans un monde absurde, régi par
des forces inconscientes. Il ne comprend pas d'où il vient ni
où il va, il ne verra que le malheur autour de lui. Peu à peu,
il finira par se sentir complètement étranger à cet univers :
(. • .). ce monde n'est pas fait pour des créaturep
comme nous. La pensée éclose et développée par un
miracle nerveux des cel~ules de notre tête, toute
impuissante, ignorante et confuse qu'elle est et qu'elle demeU/rera toujours, fait de nous tous, les
intellectuel~, d'éternels et misérables exilés sur
cet te terre. 25
Maupassant se sent donc "exil~1I en ce mond~, trop
diffé-rènt d'un peuple avec lequel il nia rien de co~un, ou de gens
1
.
du monde,
1
f il juge superficiels, il ne lui restera plus qu'àIl
, s'isoler. Cet isolement' semble normal', un aboutissement logique
dû à sa supériorité. Héraclius Gloss :
24 - ~., p. 1158.
25 - ~., p. 1159~
C'est ce qui se passe pour le Docteur
\ ,
J
,
.,
- - - _ . _ _ @ • • • I.' . . . ( . . . .. . . • ,,$ '
(
1
29
Ainsi que ands esprits qui vivent soli.
taires parce que leur évation les isole au-dessus
du niveau commun de la bê' . se des peuples, Hér~clius
s'était senti seul 26
----~~~---~---
~Dix ans plus tard, alors que ses personnaqes se
débat-tront seuls dans ~n -monde hostile et terrifiant, Maupassant
con tinuera à appré cier le côté pos i"ti f' de la soli tude, c' es t- à-,
1
-/
dire la rupture avec la bêtise humaine qui l'entoure. Mais il
faut r~arquer que l'isolement, loin d'être définitif, n'est
envisagé que pendant quelques jours, 'et qu' i-l en tire toujours
,le même plais ir :
Etre sèul, tout à fait seul, pendant quelques jours
~st une des meil+eures choses que je sache. N'entendre
~ersonne répéter les sottises que l'on sait depuis
longtemps ( • • • ) est pour l'âme u~e sorte de bain
frais et calmant, un bain de silenc~, d'isolement et
de repos. 27 .
)
De fait, il existe deux tendances paiado~ales chez
l'écrivain d'une part les personnages qui ne peuvent accepter
Dans l'un de ses derniers '~ontès, .on voit apparaître
le malade mehtal qui ne peut supporrer la présen~e des autres
26 - Le Docte~r Héraclius Gloss, II, p. 738 (1875).
i
27 - Jour de Fête, l, p. 1055 (20 juillet 1886).
1 1 . . . .
.
ÜKt IF' 1 [ LI
- - -
-=======---
-~,
(
(
30
trop longtemps, et qui dit: "je me fatigue très vite1de
to~t
28ce qui ne se passe pas~ el} moi".
Ceci est compr~hensible, car le malade se replie totale-ment sur son petit univers, dans lequel il assiste à la progres-C'est
sion~~,sa psychose qui' peut s'y dév:lopper à son aise.
pourquoi la fin du conte exprime le délire d'un
paranolaque-.
~qui, bien qu ·'enfermé dans
l~
solituded~ile,
craint tout, '
de même d'y être persécuté par les autr~s :
Et je suis seul, toJt seul'depuis trois mois. Je
suis tranquille à peu près. Je n'ai qu'une peur ..•
,
Si l'antiquaire devenait fou._~ et si on l'amenait en cet asile ••• Les prisons elles-mêmes ne sont pas sllres.29contra~rement
à l'intellectuel qui recherche la~oii
-tude, les héros de Maupassant vont tout faire pour y échapper. En effet, étant donné qu'ils sont tellement·habitués à voir tout
"-,
.
.
en floir" leur isolement ne fait qu'accentuer leur tendance fnatu-rel1e au pessimisme :
1
J'étais/chez moi, tout
S~~l
et je sentis bien que ai je demeurais ainsi j'allais avoir une effroyable crise de tristesse, de ces tristesses qui doivent rnrner au suicide quand elles ;reviennent souvent-. 3028 - ui sait -?'. 1-1, p. 1187 (6 av.ri1 1890). 1198-99'. II. p. 566
(l~ déC~mbr~
1884).. 1
.
' 1 , J "-.
.
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î \ , 1t
1
.
1(-,---
~..
- --. . ~--\ ·f ' ,----~
---31 " 31Ainsi) le malade de Châtel-~uyon nous décrit d'aborp
~
.---
~-mais aussitôt soli-un paysage assez morne et trl.ste, que sa
,
tude est ro.rnpue par l'arrivée de "deux veuves, tout. change, les lieux reprennent vi~, et sa cure devient supportable. Qùand ~
~~'
M. Blondel, il se ,rend bientôt compte que "la solitude de sa
vie nouvelle le
pous,sa~t
à penser tristement, "à voir s'ombre". 32Si les personnages sont plus ou moïns incapabl~s de rester seu~s~ c'est qu'ils ne supportent pas de sè retrouver
,
'.;-Ç ,
face à la triste réalité, ~acè à la monotonie de leur'petite
e~istence, face à eux~~êrnes gui,. bien souvent, ont raté leur
vie pour une
bê~ise,
pour suivre une règle de morale, oupir~
?~
~3
1
par manque d'audace cçmme M. Saval.
Dans une réaction "normale dl auto-défense, afin que leur maiaise soit ,moins 'génible à supporter, les'personnages
le projeter sur le monde et léS objets qui les ~nv'
:' 1 /
A*nsi,
,Ir
logis, ou plus s~plernent la chambre, va représenter peu à peu ia viè du célibataire qui l'habite :1
31 Mes -2,5 jours, l, p. 707 (25
'oût
188'5). ,32 - L' ~preuve, l, pe' 11-21 (13 juillet 1889).
,0 33 Cf. ,Regret, ~, p. 903 (4 novembre 1883). o 'x '
..
,.
-
.
,_r-T\--... T--~--.
...
.,,---~-- ~---~---~(
> "..
C'
32Sa ch~re était vide de souvenirs comme sa vie.
Et la p~nsée de rentrer gans cette pièce, tout seul, de se coucher dans son li t, de re faire tous' ses mouvements et toutes ses besognes de chaque
soir l'épouvanta. 3'4 <' '.
Ces a-ppartements, à ·1,; image de le.ur propt'iét~ire, sans ,
aucune personnalité, semblent deven~r peu à peu maléfiques.
'lIIo
c'est-à-dire qu'i~s dégagent une certaine angoisse, C?OC en
-!I
. 'retour dû à la proje~tion que les per'Sonnages ont fait sur eux ...
.
Ainsi les hé:r:os ,,Von t-ils e~~oncevoir une certain,e peur, déj à '" un léger symptôme. de 'la m~nie
.
de }a persécution :La soirée se passait qornrne l'après-midi jusqu'au mor;nent de la fermeture ... C'était pour.lui '.
l'instant terrible, l'instant où i l fallait rentrer
<, dan~ le noi·r, dans la chambre vide, pleine de
l?ou-venirs af,freux, . de pensée's hot,ribles et d' aQgoisses. -: 5
c
Dans, cës chamDres de célibataires, i l faut remarquer l ' 'importance act:ordée au l i t . D'ailleurs, M?upassant' lui a
con-'.
36
sacré un conte entier,' c-' est d.i.re si lJa- sujet. l" intérespse
)
' .. Podr l'écrivain, le l i t représente les trois ét~pes principales
,
.
Q
de la vie d'un homme: la-naissance, l'amour et la ,procréation, et enfin la mort.
promènade: "
34 - II, p. 948 (27 mai :1884) •
35 - Monsieur Parent,: II, p. 613 (3 janvier 1886). 36\- Le Lit,;:r', p. 633 (16 It,lars 1882) • -.&'
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.
--1. ... ': 33Mais dans ces logis tristes et solitaires, le lit représente l'élément immuable, la mort, puisque la naissance est oubliée depuis longtemps, et l'amour, qu'il soit
p~o-créateur ou non, n'existe pas. Ainsi, ce l i t que le héros ne partage avec personne, lui, ~ai~ prendre conscience d,e, son
-
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inutilité' sur ;terre, et c'
.
~s't une des rà.isc;m-s"pour lesquelles~
il se sent écra,sé par la solitude et la tristesse :
.
,Il allait rentrer chez lui, et soudain la pensée de son grand appartement vide ( • • . ) du l i t large, antique et solennel comme une couche mortuaire, lui fit entrer jusqu'au fond du coeur, jusqu'au fond ~e la chair, un autre froid plus doulQureux encore que .. celui !le l'air glÇl.cé. 37
Le froid qui fait frisonner le personnage, ce froid si pénible à supporter,
-"'su~tout
lorsque l'on ne laisse rienderrière soi, ne peut êt;re que ,
.
celui des ténèbres éternelles.Le h-éros v~ ~ss-ayer de fuir cette solitude intérieure, en voyageant. Voir a'autres lieux, d'autres gens, d'autres
"
.
~o~~umes'dàF~ l'espoir, t~~jours déçu, de trouver le bonheur,
.
-.
de ne plus ee sent~r exilé,,' .,d 1 être intégré à un groupe :
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.
JI ai tenté de voyager>, ~"isolement qui on_ éprouv..e en des li.eux ipconnus
m'
a fai,t peur.~ t . '
3,7
m ~ ., ':.. ~, J •
Duchog~, 'II,'p~ 696 (1~" novembre 1887).
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34
Je ne suis senti tellement seul sur terr'e et si petit, que j'ai repris bien vite la route de chez moi .38
De fait, clest vraiment lorsque\ lion voyage que lion prend conscience ,de la solitude et de li indifférence au rnili~u de laquelle chaque être vit. Quand on es t entou:E'é de ses amis, on a 11 impression dl avoir une certaine importance, une certaine utilité. Mais au loin, on se rend plus vite compte que l'homme nlest qulun grain de poussière en ce vaste monde.
Et le héros de Maupassant a peur car i l se trouve sou-dain
confront~
à quelque chose de cosmique, de trop grand pour lui, dont ,il ne peut comprendre les mécanismesAlors devant le bock baveux apporté par un garçon . qui court, on se sent si abominablement seul
qu 1 une sorte de folie vous saisi t, un besoin de
parti~, dl aller autre part, n'importe où, pou~ ne
pas rester là, devant cette table de marbre et ce v
lustre écl'atant. Et ~n s' aperçoi t soudain qu Ion est' vraiment et toujours et partout seul \ au monde, mais que dans les lieux connus, oIes coudoiements
fal\li-liers. vous donnent seulement l'illusion de la fra-terni té humaine. 39 ..
- - ,1
Et c'est ainsi que les personnages se trouvent en face de ,leur problème majeur : la communication. 'Ils sont seuls parce
38 - Suicides, II, pp.l 824-25 (17 avril 1883).
39- - Les Soeurs Rondoli.,_,I, p. 1255 (mai-juin 1884) •
35
qu'ils ne peuvent pas communiquer, pareils à des rails de
chem~n de fer, ils 'vont côte à côte, sans jamais se rencontrer
s~uf peut-être à l'infini, dans la folie.
Et les héros, obsédés par leur solitude, sont encore moins capables de se faire comprendre, de s'ouvrir, persuadés dès le départ de l'échec de leurs efforts
Je t'ai entraîné ce soir, à cette promenade, pour ne pas rentrer chez moi, parce que je souffre horri-blement, maintenant de la solitude de mon logement. A quoi cela me servira-t- i l ? Je te parle, tu m'écoutes, et nous sommes seuls tous deux, côte à
côte, mais seuls. Me comprends- tu ~40
L'angoisse est inséparable de cette solitude, car
habi-tu~llement, lorsque l'on communique avec une personne, un
échange s'établit, on ~end et l'on donne de soi.' Le héros de
Maupassant est incapable de donner et de recevoir, et\il regarde avec de plus en plus d'affolement l'être impénétrable
qui lui fait face. L'angoisse que Pascal ressentait en face de l'univers, Maupassant la ressentira en face de l'homme:
Eh bien, l'homme ne sait pas davantage ce qui se
passe dans un autre homme. Nous sommes plus loin
l'un de l'autre que ces astres, plus isolés surtout,
parce que la pensée est insondable. 4l
1
40 - Solitude, II, p. 924 (31 mars 1884).
41 - Ibid., p.
-
925.\1, 1
36
Etant dOnné~qUe le héros ne comprend pas l'autre, qu'il
se trouve en face d'un myst~re, il en aura peur, car pour
Maupassant "on n'a vraiment peur que de ce qu'on ne comprend
42 •
pas", et cet autre est pressenti corltmè un être hostile, qui
1
!
deviendra persécuteur au fur et à mesure que la psychose évoluera.
Pourtant l'écrivain sait combien l'isolement peut être
néfaste aux" êtres humains, et il en c~prend le danger:
~
Certes la solitude est dangereuse pour les intelli,-gences qui travaillent-. Il nous faut autour de
nouS, des hommes qui pen~ent et qui' parlent. Quand
nous sommes seuls longtemps, nous peuplons le vide de fantOmes. 43
En effet, la solitude va accro1tre progressivement la
psychose des personnages. Ils vont frOler l'Inconnu,
l'Invi-sible, et ils vont peupler leur solitude de fantOmes ou de fantasmes issus de leurs hallucinations .
. Il faut noter que les personnages seront hantés soit par un fantasme, c'est-à---dire une image provenant de leur
halluqination, comme le héros de Lui -?, soit par le fantOme
1
42 La Peur, II, p. 959 (25 juillet 1884).
43 - Le Borla, II, p. 1105 (1886).
:1
37
d'une personne morte, comme M. Renardet, maire de
carveli~,
\
da~s-La Petite ROque.
Pour ~chapper à ces obsessions nées de la solitude,
plusieurs,possibilités s'offrent aux personnages. La première solution à laquelle ils pensent, la plus facile, est évidemment
le mariage, leurrè à travers lequel ils croient pouvoir
poss~-der une personne qui chassera leurs fantasmes par le seul fait (l'
qu'elle est vivante, et surtout qui elle ne les partage pas: Je me marie pour n' être pas seul 1 (. • .) .Je
ne veux plus être seul, la nuit. Je veux sentir un être près de moi, contre moi, un être qui
peut parler, dire quelque chose, n'importe quoi. 44
La seconde solution proposée aux personnages, la plus radicale, est le suicide. L'anéantissement, que l'on e~père • total, est le moyen qui semble le plus sûr pour se débarrasser
~
Ides fantômes. Les héros de Suicides45 et de Promenade,46 en~re autres, y parviendront de cette manière.
"
44 - Lui ?, II, p. 853 (3 juillet 1883).
45 Suicide~, II, p-., 823', (17 avril 1883).
46' - Promenade, II, p. 943 (27 mai 1884).
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