Anick C o udart
P arler d ’id e n t it é : pourquoi ?
Vérités essentielles ou réalités existentielles ?
Anick Coudart (UMR ArScAn - Protohistoire européenne)
Pour l'arch éologue néerlandais Franz Theus (com m unication personnelle), la sépulture d e Childéric, père d e Clovis, d écouve rte à Tournai en 1653, est caractéristique d 'u n e telle intervention. Ce m onum ent unique, qui affirm e l'identité dynastique de la « race » d e Mérovée, invente une « nouvelle tradition » politique qui ne se réclam e d 'a u c u n passé (aucune to m b e sem blable ne l'a précédé). Et c e tte innovation est si co n v a in c a n te qu'elle n 'a pas besoin d 'ê tre réitérée dans les mêmes termes m onum entaux par ses successeurs.
De telles identités ne sont en rien des « vérités essentielles », c e sont des « réalités existentielles », créées à partir d e fragments d e culture e t d'histoire e t réactivées à partir du présent dans des espaces partagés. La notion de frontière est ici fondam entale. Elle suppose des interactions entre groupes, le traitem ent d'autrui, des confrontations e t des constructions géopolitiques durables qui conduisent fo rcé m e n t à une intégration, une hom ogénéisation culturelle e t une vision du m onde com m une, en d'autres termes, à des effets de civilisation.
C om m e l'a rappelé Denys C uche ( 2001), il est tem ps d e dépasser la prétention d e l'analyse scientifique à trouver la vraie définition des identités particulières. La question pertinente est : « C om m ent, pourquoi e t par qui, à tel m om ent e t dans quel contexte, est produite, m aintenue ou remise en cause telle identité particulière ?
Les sociétés contem poraines m ettent le passé au coeur des constructions identitaires selon des dém arches qui ne sont pas celles de la science. C epend ant, la société o c c id e n ta le reste convaincu e que le passé est connaissable par une recherche scientifique. Anthropologie, archéologie e t histoire relèvent d 'u n e épistém ologie mixte, puisqu'elles sont à la fois en position d'analyse extérieure e t en situation d e participation intérieure par rapport à leurs objets d 'é tu d e . Ceci les con d u it à d évelop per un la n g a g e équivoque, par exem ple q uand les archéologues justifient leur activité non par des nécessités d e connaissance scientifique mais par un im pératif d e mémoire.
Il n 'e n reste pas moins que le passé n 'a pas le m êm e sens d 'u n e discipline à l'au tre : les archéologues le croient ob je ctif e t mesurable ; les anthropologues sont souvent accusés d'in ve n te r des fictions essentialistes en refusant une histoire aux com m unautés qu'ils é tudien t ; les historiens s'intéressent a u ta n t à la construction sociale du passé q u 'a u passé lui-même.