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La survivance française.

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(1)
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\î>7. 1337

M^GILL

UNIVERSITY

LIBRÀRY

* I

931

(3)
(4)
(5)

n

Là SURVIVANCE FRANÇAISE "

M. A.

Mo Gill University

Montréal •

(6)

S.- Accusations injustes.

3.- Les rois de France et la survivance française au Canada. 4.- A 1*impossible, nul n'est tenu.

5.- Mésintelligence. 6.- La nation Canadienne-française. 7.- Le provincialisme canadien. 8.- Le miracle canadien. 9.- La Nouvelle-France et le déluge. 10.- La Nouvelle-France et la Révolution. 11.- Les Talons-Rouges au Canada.

12.- Conséquences d'un compromis. 13.- Comme cy-devant.

14.- L'Eucharistie et la survivance.

15.- Mort d'un Eveque et ses conséquences. 16.- Une victoire et ses dangers.

17.- La pensée française.

18.- Les autochtones et la cause française. 19.- Ce qu'on ne dit pas.

20.- Suite et fin d'un compromis.

21.- La survivance française et l'avenir. 22. Conclusion.

(7)

français se souviennent avec amour, de leur ancienne patrie. N'ont-ils pas adopté pour devise: Je me souviens? Plusieurs

conférenciers et hommes de lettres français ont fait

s'ac-créditer cette légende, soit en cachant consciemment la vérité, soit en ne racontant inconsciemment que ce qu'ils ont vu en

voyageant, c'est-à-dire le côté romanesque des choses. Un Français ne peut conserver longtemps d'illusion lorsqu'il ha-bite parmi les Canadiens. Il est à remarquer que, Même avant 1763, des .français avaient senti comme une barrière s'élever entre la nouvelle et la vieille France. Bougainville écri-vait en 1758: "... il semble que nous soyons d'une nation différente, ennemie même." Aujourd'hui, c'est un peu la même impression qui reste, disons-le franchement.

Cependant, lorsque nous vivons au milieu d'eux et que nous prenons une part active à leurs joies et à leurs peines les qualités françaises des Canadiens se révèlent à nos yeux et nous disons: "Ces gens-là sont Français, aussi Français que nous."

Quelle est donc cette barrière qui semble séparer les Français et les Canadiens-français intellectuellement? Essayons de comprendre quels sont ces malentendus qui les

(8)

corn-mises de part et d'autre, comme dans toutes les querelles de famille.

Ce qui semble inexplicable au point de vue psychologi-que, c'est de contempler des gens qui se disent Français et qui essayent d'oublier la France.

Les Français eux-mêmes seraient très ordinaires, très prosaïques, s'ils n'étaient pas transformés, disons même transfigurés par leur amour pour la France. C'est là le

grand charme que les étrangers voient, en étudiant le carac-tère français. En ignorant la France, les Canadiens ont per-du ce charme là. Il est vrai qu'ils ont transféré leur af-fection et qu'ils aiment leur Nouvelle-France; c'est la

con-clusion à laquelle nous arriverons à la fin de cette thèse. Un jour viendra, espérons-le, où le génie de la race repren-dra son équilibre au Canada, et justice sera rendue à la France.

Le rôle que les Canadiens sont appelés à jouer en ce monde est celui de trait d'union entre les Anglais et les Français. L'Angleterre n'a jamais demandé aux Canadiens de renier leur passé, ou d'abandonner leurs souvenirs. L'his-toire du Canada Français a commencé là ou l'hisL'his-toire de France a commencé.

Maintenant, les Canadiens se sentent comme des enfants qui grandissent et qui détestent qu'on s'en aperçoive. Le Canada est encore trop jeune pour qu'on puisse le juger impartiallement. Tâchons donc d'étudier les circonstances

(9)

Hémon l'avait-il compris lorsqu'il écrivait cette phrase: "Les Canadiens n'ont guère appris, et n'ont rien oublié?"(l)

Cette thèse tentera de démontrer que l'esprit canadien est complexe, qu'au Canada on a beaucoup appris, beaucoup trop oublié et pas assez glorifié la vieille France. La conception canadienne du patriotisme semble trop étroite, trop orgueilleuse. Depuis la chute de Québec on ne se oonsi-dère plus comme une branche de l'arbre français, mais comme un rejeton, aui, affranchi par les événements, se développe dans un sol nouveau, à l'abri du drapeau britannique. Quant à la France, les Canadiens ne voient plus en elle §u'un accident. Ils sont Canadiens par nature et Français acciden-tellement. S'il en est ainsi, dira-t-on, pourquoi la cul-ture française a-t-elle survécu au Canada?

Nous essayerons de démontrer que c'est la France qxA en est responsable. Là où la France sème, la récolte est française; là où son esprit a passé , il reste quelque cho-se d'impérissable.

La France est omniprésente au Canada; elle n'a pas à rougir du passé; elle n'a jamais abandonné la colonie com-me une mère qui abandonne un enfant nouveau-né. Le Canada, en 1763, était un enfant en état de marcher, un enfant ter-rible, plein de force et de vitalité, capable comme il l'a montré, de se défendre et de se faire respecter.

(10)

Les lignes qui vont suivre chercheront à rétablir

l'équilibre entre la vérité et la légende. Pour bien juger l'oeuvre d'un artiste, il faut regarder son tableau en

perspective. Or, ce qui manque au Canada, c'est justement la perspective. Pour bien juger l'oeuvre de la France au Canada, il faut un peu de recul; il faut s'éloigner assez pour pouvoir obtenir une vue d'ensemble, une vue où les détails apparaissent indispensables à l'harmonie des élé-ment s et leur donnent ce dont ils ont besoin, la

profon-deur.

Il ne faut donc pas voir dans cette thèse, une attaque contre les Canadiens d'aujourd'hui, mais plutôt une plai-doirie en faveur de la France d'autrefois.

Et comme la France est immortelle, ceux qui voudront, pourront voir dans cette thèse une plaidoirie en faveur de la France, tout court.

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ACCUSATIONS INJUSTES.

Dans un livre qui montre d'une manière touchante l'affection qu'un Canadien de langue anglaise peut avoir pour ses compatriotes de langue française, le colonel ?/• Bovey fait une étude approfondie des problèmes de la

survivance française au Canada. Il cite en passant, une re-marque faite par un Canadien-français "Mr. Ouimet",

remar-que qui résume parfaitement l'état des esprits de l'élite intellectuelle canadienne-française. Voici cette remarque: "Nos ancêtres trouvèrent dans le clergé un compagnon insé-parable durant la période critique. Le clergé remplaça les

chefs qui s'étaient enfuis en face du drapeau des conqué-rants." (2)

A première vue, ce passage de î.Ir. Ouimet ne présente rien de blessant pour qui que ce soit. Cependant si l'on regarde entre les lignes on voit que la France est impli-quée dans cette accusation.

Le rôle du clergé est trop noble pour qu'il soit né-cessaire de faire apparaître son oeuvre au Canada, sous un faux jour. Ce qui nous intéresse donc c'est uniquement l'insinuation qui tend à faire croire que la France a aban-donné la cause canadienne au moment critique.

(12)

Or, si nous remontons le cours de lfhistoire, il est

intéressant de voir quelle fut la réaction au Canada lorsque le Gouverneur de Québec, J. Murray, fit la proclamation suivante:

Proclamation

22 Mars 1764

Comme le terme, accordé par le dernier traité de

paix approche, auquel il faut que les Canadiens qui préféreront un gouvernement despotiques un gouverne-ment libre, passent en France, il vous est ordonné par les présentes d'assembler aussitôt que faire se

pourra les habitants des paroisses et leur faire signer un écrit par lequel ils marqueront s'ils doivent

con-tinuer dans ce pays ou passer en France.

J. Murray.

Monsieur de Guerchy, ambassadeur de France à Londres se plaignait à la Même époque de ce que certaines obstruc-tions étaient placées (disait-il) afin d'empêcher le retour de ceux qui voulaient retourner en France. (3) Cette plain-te injustifiée nous a valu nombre de lettres échangées entre la nouvelle colonie et la nouvelle métropole , qui montrent non seulement la réaction du pays après la conquête, mais

aussi, mais surtout, qu'aucun chef ne s'est enfui devant le drapeau des conquérants, voici la lettre qui semble jeter

(3)- Colonial Office Records; Correspondance de J. Murray 1761-1764, archives, Ottawa.

(13)

St. James, Jan.14, 1764.

Honorable J. Murray, Governor of Québec. Sir,

I am to signify to you His Majesty's Pleasure that you do most fctrictly forbid and employ ail law-ful means to prevent the exaction of any greater price for the passage of the French, than is paid by the

English

This complaint of obstruction to the émigration of the Canadians, and the consequential demand of li-berty to send English or French ships to bring away such of them as are desirous of returning to France, were received hère with the greater surprise, as none of the letters received from you, or any other of the King's Governors in that country nor the reports of

such of the natives as hâve come hither upon différent accounts, and some very lately, give the Jsast reason to believe that there is such disposition to quit the Province and settle in France as is represented by the French Ambassador. And therefore there seems great cau-se to apprehend that this demand of cau-sending ships

(and especially French ones) to Québec, is designéd as a temptation to multiply the number of Smi^rators,

(14)

ra-ther than as a meansto enable those who hâve already

taken their resolution, to carry it into exécution. I must however désire that you will take the earliest apportu-nity of informing me whether there are any great num-ber of the French inhabitants who hâve determined to

quit the Province.

Dunk Halifax.

Le Gouvernement anglais avait donc offert dix-huit mois aux Français qui désiraient vendre leur propriété et passer en France. Le 14 janvier 1764 Lord Halifax donna des ordres précis, comme on voit, afin de faciliter le départ de ceux qui voulaient quitter le Canada. Il exprima sa surprise d'avoir reçu des remontrances de la Cour de France. Il de-manda à Murray de lui envoyer une liste de ceux qui dési-raient émigrer.

Le Gouvernement envoya aussitôt l'information requise. A Trois-Rivières une vingtaine de personnes,

peut-être une dizaine veulent passer en France. Plus tard, le chiffre se précise; il n'y aura là que cinq émigrants, deux femmes, deux enfants, et un domestique qui, selon le lan-gage de Li. Ouimet, fuiront devant le drapeau du conquérant.

A Québec deux cent soixante-dix personnes veulent émigrer, hommes, femmes et domestiques; et le Gouverneur

d'ajouter qu'il y aurait assez de vaisseaux pour transporter six fois ce nombre d'émigrants.

(15)

quons celui d'un nommé Charest, délégué par les Canadiens eux-mêmes pour discuter en Angleterre les droits de

l'Egli-se Catholique. Quant aux autres passagers, la plupart étai-ent des officiers et quelques nobles. L'armée ayant été rapatriée après la défaite, il n'y avait plus rien à faire au Canada pour les officiers. Ils retournèrent en France pour y attendre des jours meilleurs.

Ne les perdons pas de vue. Dans la lettre de Sir G. Carieton que nous allons citer, il est question d'une cen-taine d'officiers cantonnés en Touraine, s'y tenant prêts à être renvoyés au Canada en cas de guerre entre la France et l'Angleterre. Carie ton ajoute que ces officiers ont déjà servi au Canada et connaissent le pays où il leur se-rait facile de prêcher la révolte.

Québec, 25 Hov. 1767.

Sir G. Carleton to Sari of Shelbourne.

As the common people are greatly influenoed by their Seigneurs, I annex a return of the Noblesse of Canada, showing with tolerable exactness their âge, rank and présent place of abode together with such na-tives of France, as served in the Colony troops so ear^ ly in life as to give them a knowledge of the country, an aequaintance and influence over the people equal to the natives of the same rank. (4). From whence it

(16)

appears that there are in France, and in the French service, about one hundred offioers aUready to be sent back in case of a war, to a country they are in timately acquainted with, and with the assistance of some troops to stir up a people accustomed to pay them implicit obédience.

^5) Les archives du Canada nous montrent qu'à la même époque il y avait cent vingt-six familles nobles établies au Canada. 11 est difficile de dire lesquels, parmi les officiers, étaient nés au Canada car tout officier devait naturellement suivre son régiment, dans la bonne ou dans

la mauvaise fortune. Il est donc très intéressant de cons-tater que parmi les soixante-dix officiers qui passèrent en France en 1767, il y avait des Canadiens, nés au Canada. Tous étaient cantonnés en France, à Paris, à 21ois, à Tours, la Rochelle, Dunkerque, et faisaient partie des régiments Dauphine, Guienne, Sarre, Hoyal-Artillerie, rtoyal-Rous-sillon. (6)

Comment peut-on accuser de tels gens de s'être enfuis? Les récits que nous offrent les historiens Canadiens-fran-^

çais montrent souvent une partialité injuste envers la France. Ils essayent d'établir une ligne de démarcation entre la mère-patrie du régime français et le Canada.

(5)- Résident noblesse 1767, Québec Province, Can. Archi-ves. D. Brymner 1888.

(17)

la défaite et de chanter les louanges de ceux qui organi-sèrent la survivance française au Canada si l'on trace des frontières qui n'existaient pas avant 1763. Il y eut des fautes commises en France, cela est indiscutable, mais il y en eut aussi au Canada, comme le prouve l'histoire. Com-ment le nier lorsque nous voyons les crimes commis par des

personnages nés au Canada? Les cinquante fonctionnaires accusés devant le Châtelet n'étaient pas tous nés en Fran-ce. Que dire des Péans, Deschesnaux, Cadet, Morin, Pénis-seault, Corpron, tous Canadiensqui, au dire de l'abbé Cas-grain, firent un profit de 12.000.000 sur des ventes de

23.000.000. (7) Que penser de ce Denis de Vitré qui pilo-ta les navires de Wolfe jusqu'à Québec? (7) Vaudreuil lui-même était-il sans reproches lorsqu'il passa en

Fran-ce dans le but d'expliquer (entre autres choses) sa capi-tulation de Llontréal? N'avait-on pas reçu des ordres

formels?

"La Cour" écrivait-on de Versailles ne veut aucune capitulation. Lévis avait essayé d'exécuter ces instruc-tions à la lettre et s'était querellé avec Vaudreuil, le

•pWfcot

Canadien. Il avait préféré brûler ses drapeaux*que de les laisser tomber dans les mains des Anglais. (8) Que pen-ser de ce Vergor qui aurait pu culbuter les grenadiers de ïïolfe le long des falaises, s'il avait obéi aux ordres

(7)- A. Liehtenberger. "Montcalm et la Tragédie Canadien-ne" Paris. Pion Sditeur. p. 139 et 203.

(8)- Suite de la Campagne en Canada, 1760.

(18)

précis de Monte.aim, donnés la veille de la débâcle. Au Canada, les historiens essayent, et non sans succès, de faire apparaître la vieille mère-patrie chargée sous le poids total des fautes commises.

Passons maintenant à la Noblesse. D'abord, il faut dire que cette Noblesse canadienne ne ressemblait guère à celle de Versailles. Nous reprendrons cet important sujet plus tard. Toujours est-il que les nobles ne s'en-fuirent pas. Dans la lettre de Carieton déjà citée, on voit qu'il en restait assez pour influencer les gens du peuple; et cela notons avec soin, quatre ans après la si-gnature du traité de paix.

Peut-on croire que le sort des 60.000 Français dépen-dait de ce petit nombre d'émigrants que nous avons vu re-tourner sur les navires anglais, de cette Noblesse que le Gouverneur Murray désignait ainsi: "Those by them, styled Noblesse?"

Ce qui nous intéresse c'est de constater que la ma-jorité de la Noblesse ne s'est pas enfuie. Il est avéré que leur nombre, leur influence étaient assez grands au Canada pour justifier les appréhensions de Carleton. Sa lettre est donc de prime importance.

Toute la correspondance de l'époque prouve d'ailleurs que les nobles au Canada n'avaient pas assez d'or pour

payer leur passage. On y voit aussi que tous comptaient sur le retour des flottes du roi de France.

(19)

Murray to Halifax Québec.

that there are not more than two hundred and seventy soûls men, women and children who will emigrate from this Province in conséquence

of this treaty of iteace, and that most of thèse are officers and their wives, children and servants, and that there is no want of ships for six times the number

Québec, April,14, 1764.

Murray to Halifax

at présent few in my opinion de-sign to emigrate from this country, except those generally by them styled Noblesse, and thèse hâve hitherto been and still are detained hère, rather upon account of the non-payment of their letters of exchange and Bills of Ordonnances than from the mo-tives they prétend to alledge

(20)

Passons maintenant au Clergé. Les conditions étaient tout à fait différentes pour les chefs spirituels du Cana-da français. D'après les Articles de Montréal 1760, il fut accordé le libre exercice de la Religion Catholique, Apostolique et Romaine, en son entier Comme 0y Devant, Sans Estre Inquiétés en Aucune Manière, Directement ou

Indirectement.

Il ne faut pas prétendre comme le fait M. Ouimet, cité plus haut, que le clergé remplaça les chefs qui s'é-taient enfuis, car le clergé faisait partie intégrale du Gouvernement pendant le régime français. Ceux qui com-posaient le clergé avaient toujours été des chefs, dans la colonie. Ils ne remplacèrent donc point des chefs, mais ils continuèrent à être des chefs Comme Cy Devant, Sans Estre Inquiétés.

Avant la chute de Québec, le Gouverneur, l'Intendant et l'Archevêque représentaient l'autorité royale. Lorsque

cette trinité humaine perdit son unité par le départ du Gouverneur et la fuite de l'Intendant, l'autorité du cler-gé s'en trouva augmentée. Les populations reconnurent en l'Eglise le seul Cy Devant chef dont l'autorité française ne pouvait être contestée par les vainqueurs. Malgré ses apparences spirituelles, le clergé n'en représentait pas moins l'autorité du roi de France, autorité autour de

la-quelle tous pouvaient se rallier sans renier leur nouveau serment. Les Anglais le savaient si bien que, le 8 sep-tembre 1760, ils refusèrent d'accepter l'article 30 de

(21)

la capitulation de Montréal, dont voici la teneur.

"Si par le traité de Paix, le Canada restait au

pouvoir de sa Majesté Britannique, Sa Majesté Très Chré-tienne (Louis XV) continuerait à nommer 1'Eveque de la colonie, qui serait toujours de la Communion Romaine et sous lfautorité duquel les peuples exerceraient la

Reli-gion Romaine."

En marge de cet article on lit Refusé

ce qui fait honneur au sens commun et à l'intelligence des Anglo-Saxons. Cette demande et ce refus montrent

qu'au temps des fleurs de lis, l'autorité du roi et celle de l'Eglise s'entrelaçaient et se confondaient, comme le font les branches des arbres séculaires qui se joignent en poussant côte à côte. Ceci est d'une importance capi-tale.

Et pour en finir avec cette accusation qui tend à insinuer que tous les crimes, toutes les fautes sont du côté de la France, lisons un passage du rapport signé par le Général Gage et daté du 20 mars 1762.

"Personne n'a laissé ce Gouvernement pour passer en France, excepté ceux qui avaient des emplois soit militai-res, soit civils, au temps du régime français. Je ne m'at-tends à aucune émigration à la signature de la Paix étant persuadé que les habitants resteront sous la protection britannique. Je n'en vois aucun se préparer à abandonner

(22)

le Gouvernement (de Montréal) et nul nTy semble enclin

à le faire, excepté quelques dames dont les époux sont déjà en France et qui ont l'intention de quitter le pays si leurs maris ne désirent pas revenir au Canada".

(9) M. Baby nous dit définitivement que le nombre de ceux qui passèrent en France était "un chiffre bien insignifiant."

Cette légende rend l'amitié entre Canadiens-fran-çais et FranCanadiens-fran-çais difficile. Elle vaut donc la peine d'être discutée.

(9)- Exode des Classes Dirigeantes à la Cession du Canada, par l'Honorable Juge Baby. Montréal.

(23)

LES ROIS DE FRANCE, ET LA SURVIVANCE FRANÇAISE

AU CANADA.

Au lieu de lui jeter la pierre, les Canadiens-fran-çais devraient élever une colonne en souvenir de Sa Majes té Très Chrétienne Louis XV. Au lieu de voir en lui un Français qui renia l'oeuvre de ses prédécesseurs, ils devraient le considérer comme un roi qui essaya de sauve-garder la seule force française qui pouvait être sauvée, je veux dire l'Eglise. On a tellement dit de mal du roi, qu'on nous permettra d'en dire du bien, surtout si ce que nous avançons est basé sur des faits, irrévocables.

Disons d'abord que le succès de l'Eglise Catholique avant et après la conquête est dû aux rois de France. Louis XIV décida que 1'Eveque continuerait à être l'un des trois Présidents de son Conseil Supérieur. Pour assu-rer l'union, ce roi défendit aux protestants de venir s'installer sur les fcords du Saint-Laurent; les conflits qui ensanglantèrent la France furent donc inconnus au Canada faute de combattants, tout le monde étant du même avis. Ayant été protégée, établie, subventionnée, il était naturel que l'Eglise conservât, qu'elle sauvegar-dât si possible, le pouvoir qu'elle avait reçu grâce à

(24)

l'intervention royale. Lorsque le roi d'Angleterre per-mit au Clergé de rester à la tête de ses ouailles, la

survivance française fut assurée en Amérique. Le princi-pe de la royauté sur lequel est basée la force de

l'Egli-se, ce principe ne changea point: Les Canadiens pouvaient dire en 1763 "Le roi (de France) est mort, vive le roi

(d'Angleterre)." Mais qui obtint la permission dont nous venons de parler? C'est celui qui signa l'article 4 du traité définitif, c'est-à-dire le roi Louis XV, le roi vil, comme on l'appelle au Canada.

Longtemps après, durant la visite en Europe de Mgr. Plessis, Louis XVIII annonça que si les conditions du traité de Versailles, touchant le libre exercice de la religion n'étaient pas observées par l'Angleterre, la France serait toujours prête à réclamer. (10)

En restant au Canada, l'Eglise ne fit rien qui ne fût au-dessus de son devoir et de ses intérêts. Elle

continua l'oeuvre que les rois lui avaient donné le mo-yen de commencer. Pourquoi se serait-elle enfuie? Cette

A

Eglise ne connait pas les frontières. Pourquoi la louer parce qufelle est restée au Canada? N'est-elle pas

Uni-verselle? Pourquoi aurait-elle abandonné 60.000 catho-liques lorsqu'elle avait fait de si grands sacrifices pour convertir les sauvages?

(10)- Bulletin des Recherches Historiques Roy. 0ct. 1896. 10e livraison, 2e vol. p. 160.

(25)

ges qu'elle a reçues, la question n'est point là; mais au Canada l'on a tendance à oublier que l'oeuvre de l'Eglise est indirectement l'oeuvre de la France et de ses rois.

"La conversion d'un infidèle" disait Champlain, "vaut mieux que la conquête d'un royaume". A plus forte raison peut-on dire que le bien-être spirituel des diens valait mieux que la conquête (ou la perte) du Cana-da. Louis XV eut soin de spécifier que l'Eglise Romaine conserverait ses droits. Le traité ne menaçait rien qui touchât d'une manière vitale à l'élan qui avait été im-primé par la France. Longtemps avant Sir N. Angell,

Louis XV savait que la terre appartient à celui qui l'ha-bite et qu'il ne suffit pas de peindre une carte en rou-ge pour chanrou-ger diamétralement la destinée d'un peuple.

(Il) Allons chez les conquérants pour trouver la preuve de ce que nous avançons. Lord Egremont écrivait à Murray en 1763 une lettre résumée ici. Il informe le Gouverneur que les Français du Canada ont l'intention de se servir de leur religion comme d'un prétexte pour rester en communication avec la France. Egremont soup-çonne que les prêtres se servent de leur influence pour comploter le retour de l'ancien régime français. Il

(11)- Egremont à Murray: Aug. 13, 1763 Shorttand Doughty. Archives 1759-91; p. 169.

(26)

rappelle donc à Murray que le quatrième article du traité définitif spécifiait que l'influence religieuse au Canada était libre en tant que le permettaient les lois de la Grande-Bretagne. Il réitère que cette question a été dé-finitivement résolue à la signature du Traité. Il expli-que expli-que les Ministres français voulaient insérer les mots "Comme Cy Devant", mais que l'Angleterre avait

refu-sé catégoriquement d'admettre ces mots équivoques et

avait substitué les siens que nous avons cités plus haut. On constate souvent dans l'histoire, des victoires diplomatiques remportées après des échecs militaires. La France aurait remporté une telle victoire si son roi avait pu conserver le droit de nommer 1'Eveque de Québec Comme Cy Devant. C'est ce qui explique l'insistance de ses Ministres.

Nous verrons plus tard que le refus de l'Angleterre n'empêcha point cette victoire diplomatique; oeuvre

pos-thume de la diplomatie royale. Mais n'anticipons pas. L'Angleterre eut donc soin que le roi de France per-dît le moyen d'intervenir dans les affaires de son

an-cienne colonie. Cependant la France remporta une victoire diplomatique à longue portée comme nous allons voir,

lorsqu'elle fit insérer l'article 4. Si le nom de la

France a été plus ou moins déraciné en Amérique, ce n'est pas la faute de ses rois qui s'étaient résignés de par

(27)

concernait le Canada, tant que le traité était respecté. C'est parce qu'il a été respecté que la France n'est pas revenue sur les bords du Saint-Laurent.

(12) Dans son discours adressé à la France, Les-carbot avait dit: "Ce qu'étant ainsi, il faut posséder la terre en conservant ses naturels habitants et y plan-ter sérieusement le nom de Jésus-Christ et le vôtre."

Le vôtre veut dire, le nom de la France.

Ceci avait été accompli, même avant 1763. La France avait fait de son mieux pour planter son nom en Amérique. L'Eglise avait fait l'impossible pour y planter le nom de Jésus-Christ. Pourquoi ne veut-on pas voir, au Canada, que la dualité de l'oeuvre accomplie était due au roi de France, à ses vaisseaux et à ses troupes?

Qui pourrait dire d'ailleurs, où la France finissait et où l'Eglise commençait, lorsqu'on étudie l'une et l'au-tre au Canada? N'y avait-il pas un mélange inexprimable de sentiments, chez les missionnaires? De leurs coeurs

oatholiques, le patriotisme n'était pas exclus. L'Eglise 1' admet lorsqu'elle rend à la mémoire d'un martyr

l'homma-ge de la canonisation. La décision finale de la Sacrée Congrégation des Rites est toujours précédée de longues et minutieuses discussions qui cherchent à établir les

(12)- Lescarbot: Histoire de la Nouvelle-France,Paris 1617. Dédicace eu roi et à Mgr. Jeannin.

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motifs qui firent agir le pionnier de la foi. S'il est démontré que le patriotisme a joué la moindre part dans le dévouement du héros, celui-ci n'est pas reconnu digne de recevoir l'hommage dû seulement à ceux qui ont été inspirés par la foi et rien que par la foi chrétienne.

L'histoire de la colonie révèle le nom de soldats qui ressemblent à des prêtres en plus de prêtres qui ont toutes les qualités du soldat. Il est difficile de

tra-cer les frontières entre le spirituel et le temporel quand ces deux pouvoirs collaborent. Quand il s'agit de sphères d'influence, on peut dire comme Lescarbot:

"Il y a deux choses principales qui coutumièrement exci-tent les Rois à faire des conquêtes, le zèle de la Gloi-re de Dieu, et l'accroissement de leur propGloi-re."

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A L'IMPOSSIBLE, NUL N'EST TENU.

Dans un poème intitulé "Vive la France",Fréchette, grand poète canadien, nous parle de Français qu'un roi vil avait vendus gaiement.

Peut-être serait-il plus juste de parler un peu plus de Louis XIV et un peu moins de Louis XV, lorsqu'on veut mettre les choses au point. Cependant, puisqu'on parle

tant de Louis XV, au Canada, étudions de près les faits et gestes de ce monarque.

On ne peut contredire le fait que le Traité de 1763 était désastreux. Louis XV n'était pas un génie et il aurait fallu l'être pour accomplir l'impossible. Napoléon lui-même qui n'était pas inférieur à Louis XV au point de vue intelligence, vendit la Louisianne, sachant que la France ne pouvait conserver un pied à terre en Améri-que, avec des flottes inférieures. Cependant le roi fut plus matois que l'empereur, car il fut assez prévoyant pour obtenir la promesse qui suit: "Sa Majesté Britanni-que convient d'accorder aux habitants du Canada la li-berté de la religion catholique."

S'il n'avait pas stipulé cette clause importante, capitale on peut dire, Louis XV aurait bien mérité les

(30)

épithètes qui lui ont été adressées. Si vil qu'il fût, il eut soin de mettre dans les mains de ses anciens su-jets, la clef qui devait un jour les rendre maîtres des champs. S'il n'avait pas spécifié cela les Canadiens parleraient l'Anglais aujourd'hui dans leurs foyers.

Les Canadiens-français ne comprirent jamais le plan d'ensemble, où se jouait non pas leur destinée,

mais bien la destinée du monde. Toute victoire française demeurait stérile, tant que les flottes anglaises n'é-taient pas détruites. Lorsque la France, en 1759, ten-tait une descente en Angleterre, les Canadiens se plai-gnaient de ce que les secours n'arrivaient pas. En un mot, ils avaient ce défaut de provincialisme frondeur

que l'on retrouve un peu partout, quand on lit l'histoi-re de la France. Toujours est-il que le sort du Canada se décidait en Europe. Montcalm recevait de Versailles le message suivant qui explique le point de vue français. "La Cour ne veut- aucune capitulation; conservez un pied au Canada à quelque prix que ce soit; si nous l'avions une fois perdu tout entier, il serait comme impossible

de le ravoir." To*;

En effet, tant qu'on y tenait garnison, on pouvait discuter.

(31)

MESINTELLIGENCE.

Les Canadiens étaient irrités d'apprendre que

Louisbourg changeait de mains en vertu de traités signés en Europe sans qu'ils fussent eux-mêmes consultés. On

troquait Madras pour Louisbourg comme on troque un cheval aveugle contre un borgne. Or l'attachement au sol natal est une des grandes vertus françaises. Les générations qui naquirent au Canada s'attachèrent au sol. Isolés,

loin de l'Europe, les habitants de la colonie se créèrent un patrimoine dont le destin cessa d'être le même que

celui de la mère-patrie. (13) Les populations virent

avec effroi leur avenir à la merci de quelque traité signé par un roi inconnu. Il leur semblait que la France troquait ses colonies d'un coeur léger, qu'elle les considérait

comme des jetons qu'on pouvait jeter sur l'échiquier euro-péen et perdre, sans perdre l'honneur. Il faut comprendre

cela si l'on veut juger l'attitude froide des Canadiens envers la France avant et après la débâcle. Lorsque nous étudions la survivance française au Canada, pour la bien comprendre, il semble nécessaire de remonter, comme nous le faisons, le cours de l'histoire.

Avant la défaite, lorsque les officiers français

(13)- A. Liehtenberger: Montcalm et la Tragédie Cana-dienne, p. 236.

(32)

débarquaient à Québec dans leurs beaux habits qui sen-taient encore l'odeur de Versailles, les Canadiens se voyaient comme des parents pauvres dont les souffrances, la pauvreté étaient mises en relief par les contrastes. L'hostilité des Canadiens envers la France date d'avant la conquête. En 1756, on écrivait à Montealm d'éviter avec soin tout ce qui pourrait occasionner la moindre altercation avec le sieur de vaudreuil; de mettre tout en usage pour que les troupes de terre vivent en bonne union avec les troupes de la colonie.

Les Canadiens étaient donc devenus insulaires; la Cour de Versailles faisait l'impossible pour ménager leur susceptibilité. Montealm fut placé sous les ordres de

Vaudreuil, lequel conserva la direction générale des opérations. Les résultats ne se firent pas attendre; ti-raillements, tirage, disputes s'étendaient jusque chez les subalternes. Le coeur gros, Montealm dut faire fusil-ler un caporal du régiment de la Sarre, lequel avait manqué de respect à un officier Montréalais. La France

et les Français étaient d|jà accusés, incompris, trai-tés en ennemis parfois, avant la mort de Montealm. A

cette époque les Canadiens avaient déjà beaucoup oublié. Quant à ce qu'ils ont appris depuis, nous allons essayer de l'expliquer.

Somme toute, ce qui arriva au Canada était dû aux effets du temps et de l'espaoe. Le roi de France devait

(33)

perdre treize, et pour les mêmes raisons. Il est curle,ux de voir l'esprit colonial, s'épanouir, se développer, s'affirmer, se révolter. Qu'il s'agisse des colonies es-pagnoles, anglaises ou françaises, cette, évolution chez les coloniaux, est normale, inévitable, puisqu'elle suit les lois naturelles du progrès successif vers la maturité.

(34)

LA NATION CANADIENNE-FRANÇAISE

Après la défaite finale, les jeunes Canadiens ne connurent de la France que ce qu'ils entendaient dire d'elle, par les vieux, dans les veillées. Ils la criti-quèrent sans la connaître, oublièrent les sacrifices qu'elle avait faits, et petit à petit se forma une lé-gende qui ferait sourire si elle n'était insultante pour la vieille mère-patrie. Voici cette légende qui représen-te l'opinion de tous les Canadiens. Le passage suivant la résume parfaitement.

"Cent cinquante ans de vie pénible et laborieuse

consacrée à refouler la forêt; à explorer les fleuves et les rivières; à courir les feois; à évangéliser les sauva-ges, etc. etc. e t c . . à organiser une vie sociale et ci-vile, paroissiale et familiale selon les exigences nou-velles du milieu et du climat; à se protéger contre les

convoitises meurtrières d'un conquérant acharné et les négligences angoissantes d'une mère-patrie indifférente, voilà en résumé, les quelques traits distinctifs qui

marquaient déjà, aux teintes de l'heroisme et de l'épreu-ve, la figure de nos ancêtres avant même la conquête de 1760." (14)

(14)- "La Nation Canadienne-française": A.Lévesque, Montréal, 1934.

(35)

Toujours cette insinuation que la France a mauvaise figu-re. On ne parle au Canada que de nos ancêtres, notre oeu-vre, nos martyrs. L'effort surhumain que fit la France pour donner la vie à une colonie lointaine, effort qui

dura cent cinquante ans, tout cela est passé sous silence. On parle de Louis XV naturellement, mais pas de Louis XIV; lui et son oeuvre sont oubliés. On oublie que ces ancêtres, ces martyrs étaient souvent plus Français que Canadiens. Bréboeuf n'était-il pas né à Condé-sur-Vire, Jogues à

Orléans, Garnier et Lallemand à Paris, Daniel à Dieppe, Chabanel en Lozère?

La France de Louis XTV était la France du trône et de l'autel; il est impossible de parler de l'un sans fai-re allusion à l'autfai-re. L'oeuvfai-re catholique au Canada est une oeuvre française. C'est grâce aux précautions prises par l'Archevêque de Rouen en 1652, que la mémoire des épreuves de Bréboeuf et de ses compagnons à été conser-vée. (15) Cet Archevêque français sous la juridiction duquel la colonie française était alors placée, conser-va avec soin les documents qui rendirent possible plus tard, la glorification de ces martyrs par l'Eglise.

Les Canadiens n'ont pas le droit d'accaparer ces héros. Ils sont Français d*abord, Canadiens accidentel-lement.

(15)- Les Jésuites Martyrs: E.J. Devine, Bauchesne Editeur, Paris, p. 251.

(36)

Quant à ceux que les Canadiens appellent "Nos an-cêtres", il est enfantin de les peindre comme posses-seurs de toutes les vertus, victimes de Louis XV et de ses maîtresses. Peut-être que Montealm a exagéré, mais il écrivait à propos d'eux: "Nous manquons de marchandi-ses, on les vole dans les portages, on ne punit personne. Cara patriaS L'idée qu'il est permis de voler le roi est dans la tête de tous les Canadiens."

N'en déplaise aux descendants de ces ancêtres, disons bien clairement ceci. La ligne de démarcation qui sépare les Français et les Canadiens ne fut tracée qu'en 1759, par le général ïïolfe. Ce n'est qu'à partir de ce moment là que les Canadiens ont le droit de parler d'eux-Mêmes sans faire mention de la France. Avant cette date, Gou-verneur, Intendant, Eveque, prêtres, armée, marine, mili-ces, femmes, enfants, tout cela c'est indivisible,

c'est la nouvelle France, fille de la vieille; c'est en un mot, la France.

(37)

LE PROVINCIALISME CANADIEN.

Ce provincialisme qui étonne chez l'es Canadiens, était dû au fait que l'esprit provincial était très dé-veloppé chez les Français, avant la Révolution. Sous Louis XTV, on était Picard, Gascon, Normand et Canadien avant d'être Français. Jeanne d'Arc avait commencé l'at-taqué contre les frontières provinciales au profit des frontières nationales. Son rêve ne prit forme précise qu'à la Révolution, époque où l'on voit se former la Na-tion, une et indivisible.

(16) L'empereur Napoléon lui-même aida à transfor-mer le caractère français.

Le Canada, sous Louis XIV était donc une vaste pro-^ vinee française aux frontières imprécises. Les habitants de cette province avaient à cette époque, les qualités d'obéissance, de respect -des lois, d'amour de l'ordre, qualités qui les distinguent encore aujourd'hui. La

survivance au Canada est donc la continuation d'une oeu-vre commencée sous l'ancien régime. En France, influencé par la Révolution, le peuple français a perdu contact avec la nouvelle France qui en réalité est plutôt ancien-ne que nouvelle.

(16)- Mémoires de Caulaincourt. Patriotisme des français. chapitre III.

(38)

Il est naturel que les Canadiens aient tenu à con-server les lois et les coutumes de Paris après la défai-te. Au Canada en effet, le système féodal retrouvait dans un pays vaste et inculte, les conditions primitives qui

l'avaient vu naître en Europe. Toute organisation publi-que se maintient par ses services et tombe par ses abus; la féodalité retrouvait sur les bords du Saint-Laurent, un terrain idéal pour regagner ce qui était perdu en Eu-rope. Le seigneur canadien ne ressemblait guère à son prototype français. Il vivait sur la seigneurie,, au mi-lieu des habitants dont il partageait les dangers. En France, les seigneurs vivaient à la cour, et quant à leurs serfs, ceux-ci regardaient avec avidité une terre où ils devaient verser sueur et sang et qui ne leur appar-tenait pas. Au Canada il y avait plus de terre qu'on n'en pouvait posséder. Quelques présents aux chefs indiens suf-fisaient pour acquérir de nouveaux districts.

(17) "En France" dit Thiers, les^pesaient sur une seule classe. La Noblesse et le Clergé possédaient à peu près les deux tiers des terres; l'autre tiers, possédé par le peuple, payait des impôts au roi, une foule de droits féodaux à la noblesse, la dîme au clergé et suppor-tait de plus les dévastations des chasseurs nobles et du gibier. La perception était vexatoire; les seigneurs

(17)- Thiers: Histoire de la Révolution p.15. Paris. Furne, Jouvet et Cie. MDCCCLXVI

(39)

maltraité, enfermé, était condamné à livrer son corps à défaut de ses produits. Il nourrissait donc de ses

sueurs, il défendait de son sang, les hautes classes de la société, sans pouvoir exister lui-même."

Voilà pourquoi les Canadiens et les Français ont suivi deux routes différentes. Pour les premiers, le

tiers-état était tout; pour les autres, il n'était rien. Après la chute de Québec, les Canadiens se rattachèrent

à leur coutume de Paris, car c'était pour eux la seule manière de survivre. En France, au contraire, on

s'a-cheminait vers la destruction d'un système vétusté et on abolissait les abus.

L'Eglise au Canada ne recevait que le quart des terres offertes aux colons par Louis XIV. La dîme n'y était que d'un vingt-sixième (au lieu d'un dixième en France), et cela n'était perçu qu'en grains, jamais en argent. (18) Il n'y avait aucune taxe sur les bettera-ves, les pommes de terre, les choux.

m ) Le Canadien n'était pas un vassal, au sens français du mot. L'©sprit de la féodalité ne régna jamais au Ca-nada. Comme l'explique si bien M. Lanctot en parlant de l'ancien régime au Canada. "Quant à la propriété

fon-cière, elle suit le régime féodal selon la coutume de Paris, mais c'est un régime modifié, adapté au milieu,

(18)- "History of Canada" (Public School) G.M. Wrong, Ryerson Press, p. 65-66.

(J4)_"Le Ca.Tia.da- d'Hier et cl^Àiijourcl

)

hui

(40)

et protégé par la loi au point qu'il a même pris le nûm plus aimable de régime seigneurial." (19)

La survivance française n'aurait pas eu lieu si

l'Angleterre n'avait pas scrupuleusement tenu ses promes-ses. Elle respecta la liberté de conscience de ses nou-veaux sujets. Elle rétablit l'ordre dans les finanoes,

chose qui gagna le coeur des Canadiens, habitués qu'ils étaient aux lettres d'échange et aux cartes à jouer du régime français. Et l'Angleterre en s'installant à Qué-bec, protégea les Canadiens contre les attaques de la Révolution; sans elle, le Canada aurait connu la chouan-nerie; sans l'Angleterre la nouvelle et la vieille Fran-ce seraient devenues ennemies mortelles à Fran-cette époque.

Au Canada, ni la Noblesse, ni le Clergé ne commirent les fautes qui justifient la Révolution en France. Le

Clergé français était divisé en deux parties inégales, le haut et le bas clergé. Le bas clergé méritait les élo-ges de Voltaire qui les voyait ". le jour, la nuit, au soleil, à la pluie, remplir les fonctions les plus pénibles et les plus désagréables." (20)

Ce n'est pas le bas clergé que ce philosophe a jamais attaqué, mais il s'en est pris aux cadets de familles no-bles qui composaient quelquefois le haut clergé et

tou-chaient comme 1'Eveque de Strasbourg, plus de 400.000 francs par an, beaucoup de curés de campagnes en recevaient à

peine 400.

(20)- A. Amman et E.C. Coûtant, "Histoire de France" P. 290. Librairie Nathan 1901.

(41)

ration de Voltaire, s'il l'avait vue.

(21) Quarante deux prêtres français se réfugiè-rent au Canada de 1791 à 1799 et y trouvèréfugiè-rent un peu-ple soumis aux lois de l'Eglise. Ceci tend à démontrer que la Révolution fut le résultat des abus commis par la Noblesse et le haut Clergé, et ne fut pas due à l'influence des philosophes.

(42)

LE MIRACLE CANADIEN.

L'Angleterre eut-elle jamais l'intention d'anglici-ser le Canada?

Il semble qu'elle n'eut pas, tout au moins au début, l'idée d'accomplir brusquement cette tâche contre-nature,

comme le montre la lettre qui suit.

To the right Hon. Halifax, From Gr. Murray.

The people ï hâve governed near

5 years without any Civil Jurisdiction or even Ins-tructions from home are composed of a conquering ar-my who claim a sort of right to lord it over the vanquished; of a distressed people stript of ail their substance real and imaginary, dreading the fa-te of their Religion and accustomed to an arbitrary Government — and of a sett of free British Mer-chants, as they are pleased to stile themselves who, with the prospect of great gain hâve come to a coun-try where there is no money and who think themselves superior in rank and fortune to the soldier and the canadian, deeming the ftrst voluntary, and the second born slave s. "

(43)

rétablir la balance en faveur des vaincus, et les ras-surer sur leur sort.

Une autre lettre que nous allons citer, jette une lumière éclatante sur les problèmes qui confrontaient les Gouverneurs après le Traité de Paix.

Carleton to Shelbourne (22) Québec, 25 of Nov. 1767

My Lord,

Having arrayed the strength of His Majes-ty's old and new Subjects, and shewn the great Supe-riority of the Latter, it may not be amiss to obser-ve that there is not the least Probability, this présent Superiority should ever diminish; on the

contrary more than probable it will increase and strengthen daily; the Europeans who migrate never wi^ll prefer the long unhospitable winters of Canada,

to the more cheerful climates and more fruitful Soil of His MajestyTs Southern Provinces

But while this severe climate and the

po-verty of the country discourages ail but the Natives, it's healthfulness is such, that, barring catastro-phe shocking to think of, this Œountry must, to the

(44)

end of Time, be peopled by th© Canadian Race, who already hâve taken such firmMoot, a&d got to so great a Height, that any new Stock transplanted will be totally hid, and imperceptible amongst

them, except in the Tov/ns of Québec and Montréal. "

D'après cette lettre, on voit que l'oeuvre de la

France n'était pas en danger. Et ce qui est encore plus intéressant, on voit que le miracle canadien n'a rien de miraculeux. "Ce pays" disait Carieton, "sera occupé jus-qu'à la fin du monde, par la race canadienne, qui a déjà si fortement pris racine que n'importe quelle autre nou-velle race transplantée ici, serait complètement submer-gée."

Ce qui donne du poids à ce témoignage de Carleton, c'est quiil semble être fait casuellement, au cours de sa lettre. Il montre bien, et d'une manière définitive, que la survivance française lui semblait assurée en 1767. Ses raisons?

1. Supériorité de la race française au point de vue du nombre.

2. Faculté de s'adapter aux conditions climatériques. 3. Le courage, la ténacité de la race. C'est tout

ce qu'il dit.

Cette survivance ne fut donc pas une surprise pour les conquérants; elle était même prévue par eux.

(45)

veut voir un miracle là où il n'y en a pas. Les rois de France avaient créé une autre France et l'avaient orga-nisée de façon à ce qu'elle puisse subsister par elle-même. Voilà tout.

Toutes les lettres citées plus haut montrent aussi indirectement la grandeur de caractère, la magnanimité de ces conquérants "acharnés" comme l'écrit M. Lévesque déjà cité.

"Vous êtes Allemands et vous le resterez" disait Guillaume aux Alsaciens en 71. Que l'on compare le ton de ces conquérants,l'Anglais et l'Allemand et l'on verra que le Canada était en bonne mains en 1767. Il y a loin entre Sa Majesté George 3 roy de la Grande Bretagne, de France et d'Irlande et les Hohenzollerns.

Pourquoi, dira-t-on, l'Angleterre avait-elle conquis la colonie française? Elle l'avait conquise uniquement parce qu'elle voyait en elle un danger pour les treize colonies du sud. Lorsque la France fut chassée de l'Amé-rique, les Canadiens perdirent le soutien qui les rendait dangereux. L'Angleterre ne conquit le Canada que pour se débarrasser d'un voisin turbulent. Les hommes d'état anglais, à l'instar de Voltaire, ne voyaient au Canada que des arpents de neige. Le sort des habitants ne les intéressait pas. Pour mettre fin aux rêves de revanche, ils offrirent l'or anglais en échange du papier de France.

(46)

Ceci fait, ils tuèrent cette idée de revanche en se ser-vant d'une arme nouvelle — la bonté. Le résultat ne se fit pas attendre. Lorsque les colonies du sud se

révol-tèrent, l'on vit ce spectacle étrange de mains françaises tenant haut le drapeau anglais, contre les attaques

d'Anglo-Saxons. C'était une manière d'exprimer la recon-naissance, à la française.

Quant à la survivance française, nous devons essa-yer maintenant de l'expliquer dans ses détails. Il a été question, dans les pages qui précèdent, du rôle de l'E-glise, de la politique des rois de France, du courage de l'armée. Peut-être n'avons-nous pas assez parlé du peuple Canadien-français.

(23) "The 4th Order" écrivait Murray "is that of the Peasantry; thèse are a strong healthy race, plàin in their dress, virtuous in their morals, and temperate in their living."

Il semble en effet que le soi-disant miracle soit dû à ce peuple dont la vitalité morale fut toujours

égale à la vitalité physique. Vitalité morale due au fait que les Canadiens appartenaient tous à une et même reli-gion qui avait droit d'ancienneté sur la relireli-gion des con-quérants. Cette religion frappe par sa dignité, la beau-té et la solennibeau-té'de son service, la force de son orga-nisation ultra-montaine, le dévouement de ses défenseurs.

(23)- Canadian Archives. Documents A. Shortt and A.G. Doughty. Part 1 , 1759-1791, page 79 Murray au roi.

(47)

la politique de Richelieu et de Louis XIV. Ce roi savait que l'union fait la force, même en ce qui concerne le spirituel. Eut-il tort, eut-il raison d'empêcher les Protestants persécutés de se réfugier au Canada? Ceci n'entre plus dans le cadre de cette thèse où il s'agit seulement de la survivance française et de ce qui l'a rendue possible.. Toujours est-il que la fleur du Clergé français formait en Amérique une phalange d'avant-garde. Grâce à l'union, grâce à la vitalité du peuple, on don-nait à un vieux système£lbdal un nouveau terrain où ses

CL-forces épuisées retireraient leur jeunesse, dans une sorte de regain moral et physique.

Quant à la vitalité physique de la race, cela fut illustré d'une manière frappante au lendemain des défai-tes. Qu'on en juge d'après l'exemple qui suit.

Après Culloden, beaucoup d'Ecossais catholiques eu-rent maille à partir avec les autorités anglaises. Le chef d'un clan, un nommé Fraser, offrit de lever un ré-giment parmi ses hommes inactifs. Cette offre fut accep-tée et Pitt les envoya au Canada. On avait dit à ces Ecossais que la France était responsable de leur défaite à Culloden, et les avait abandonnés. Ces soldats se bat-tirent donc contre la France au Canada avec d'autant plus d'ardeur. Après la bataille, ils restèrent en pays con-quis, se marièrent avec des Canadiennes; leurs enfants

(48)

devinrent aussi Français que les ancêtres maternels l'a-vaient été. Et le Régiment Fraser disparut petit à petit, détruit, annihilé par le mariage. (24)

Lorsque nous étudions ce miracle canadien, comme on appelle à tort la survivance française, on en revient

toujours à l'Article 4 du traité de paix. On se souvient que cet article 4 protégeait le Catholicisme. Liais dira-t-on, en insérant cet article, Louis XV obtint pour ses anciens sujets, un avantage que nul n'aurait pu leur re-fuser. Ceci est un raisonnement absolument faux, car l'au-torité du Pape avait été abolie dans les possessions an-glaises, depuis le règne d'Elisabeth. L'histoire de l'Ir-lande le prouve. Les craintes manifestes des Canadiens à ce sujet étaient donc justifiées. Même après la chute de Québec, ils se tournèrent anxieusement vers la France se demandant s'ils allaient être déportés comme l'avaient été les Acadiens, ou si le roi de France obtiendrait

pour eux la liberté du culte. Tout dépendait du roi Louis XV. En France, le roi travaillait donc pour le Canada.

Sachant que tout Eveque devait faire (en théorie) un ser-ment reconnaissant la suprématie du roi d'Angleterre en matière spirituelle aussi bien que temporelle, il voulut

conserver pour les Evoques canadiens l'ancien état de de, choses Comme Cy Devant.

(24)- Recherches Historiques. Roy . Juillet 1899,JNO 7 vol. 5, p. 219.

(49)

compromis, imaginèrent d'insérer une phrase équivoque, admettant que la religion catholique serait tolérée, au-tant que le permettaient les lois de la Grande-Bretagne.

Mais il nous faut faire un retour en arrière et nous demander ce qu'étaient ces lois de la Grande-Breta-gne.

Depuis la reine Elizabeth, le catholicisme était illégal. La reine avait accusé le Nonce du Pape de faire de la propagande contre la couronne, dans les provinces irlandaises. Il fut donc décidé à cette époque de mettre fin à toute autorité ultra-montaine. De par la loi, le pouvoir royal devint suprême en matière d'autorité ecclé-siastique en Angleterre, dans ses colonies présentes ou futures, et cela pour toujours. La reine fut immédiatement excommuniée par le Pape Sixte v. Elle lui rendit la

pa-reille en se servant des nouveaux pouvoirs qu'elle s'é-tait arrogés; elle excommunia le Pape durant une cérémo-nie religieuse à St. Paul.

Il était donc tout naturel que les Canadiens se

tournassent vers la France, qui seule pouvait mettre fin à leurs inquiétudes. Telles qu'elles étaient en 1763, les lois de la Grande-Bretagne n'admettaient pas la légalité de l'organisation et des doctrines catholiques. (25)

(25)- 16th section of Statute, Act of Parliament, Reign of Queen Elizabeth.

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L'Angleterre commit donc une faute en acceptant le compromis que nous avons cité plus haut, (article 4) Louis XV remporta une victoire qui rendit la survivance française chose possible. On dira que l'Angleterre ne pouvait faire autrement qu'elle ne le fît. C'est encore une erreur, car elle aurait pu déporter, disperser les

Canadiens; elle aurait pu imposer sa volonté comme Louis XIV imposait la sienne en France, par la persécution.

De plus, n'avait-on pas octroyé dix-huit mois aux popu-lations pour se préparer et passer en France? Ce fut une grande surprise pour les vainqueurs lorsqu'ils virent que personne ne bougeait après la débâcle. Mais si Louis XV n'avait pas insisté sur cet article 4, il y aurait eu un exode en masse. Il faut être impartial et rendre à Louis XV et ses Ministres la justice dont nous parlons,et que voici. La survivance française commence à cet article 4 du Traité de Versailles. Le roi et ses Ministres durent insister longuement pour obtenir la protection qu'ils voulaient pour les Canadiens.

Egremont écrivait à Murray que ces Ministres vou-laient insérer les mots "Comme Cy Devant" et qu'ils n'a-bandonnèrent cette idée que lorsqu'on leur fit entendre catégoriquement que ce serait les tromper si l'on accep-tait ces mots, car le roi n'avait pas le pouvoir de tolé-rer la religion catholique d'aucune autre façon qu'en

tant que les lois de la Grande-Bretagne le permettaient.(26)

(26)- Lettre d'Egremont à Murray. Whitehall Aug.,13,1763 P. 169. Shortt & Doughty, Canadian Archives 175Ç

(51)

ent lire les compte-rendus des négociations dans les lettres anglaises du temps. La survivance française au Canada est un miracle qui n'a rien de miraculeux.

Lorsque l'Angleterre octroya le "Québec Act", elle spécifia que nul ne serait obligé au Canada, de faire le serment du temps de la reine Elizabeth. On en substitua un autre qui ne soulevait point la question de suprématie ni du Roi, ni du Pape. Ceci était donc le résultat de la politique de Louis XV. On n'en parle jamais au Canada,

si ce n'est pour avilir ce Prince.

A partir de cette époque, et dans une certaine me-sure, le Clefgé remplaça les chefs que l'occupation an-glaise avait chassés.

(27) On avait beau écrire de Londres "vous ne devez pas admettre la moindre juridiction ecclésiastique étran-gère à la province que vous gouvernez", rien ne pouvait plus arrêter l'élan français et catholique.

De plus, en admettant la liberté de conscience dans cet article 4, les Ministres français obtinrent pour les Canadiens, la liberté civile, indirectement. En théorie aussi bien qu'en pratique, un catholique ne pouvait avoir accès aux fonctions civiles de la Grande-Bretagne sans qu'il ne fît une déclaration contre le Papisrae, chose que nul Canadien n'aurait voulu faire. Les lois de la

Grande-(27)- Instructions (approved by His Majesty in Council) to Gr. Carleton in 1768. ^hortt & Doughty 1759-91 Canadian Archives p. 301.

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Bretagne étaient formelles à ce sujet.(28) Il devenait donc de plus en plus clair que la victoire de 7/olfe cré-ait des responsabilités auxquelles l'Angleterre n'avcré-ait pas pensé. Le premier des devoirs était donc la révision d'anciennes lois et la création d'une organisation nou-velle, adaptée aux circonstances étranges créées par la

conquête.

Ni le roi d'Angleterre, ni ses Ministres, ni le Gou-verneur Garleton, ni les Canadiens ne semblent s'être ren-dus compte au début, de l'importance fatale de l'article 4 du Traité de Paix. Il semble que Louis XV et ses

Minis-tres furent les seuls à comprendre la portée de cette phra-se équivoque "En tant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne." Même chez ce roi impolitique, la tradi-tion politique des rois de France continuait à s'affirmer. Ce qui semblait perdu allait être ainsi sauvegardé, jus-qu'au retour de la Fortune.

Nous voici arrivés maintenant au noeud de la question. En un mot, les Canadiens ne pouvaient admettre la

suprématie du roi d'Angleterre en matière ecclésiastique. Le roi Louis XV le savait, et ne pouvant plus les proté-ger, il avait passé cette responsabilité au i?ape. La lut-te devait donc être, à partir de cetlut-te époque, une lutlut-te BHtre le roi d'Angleterre et le Pape, avec la survivance

(28)- F. Maseres, Attorney General of Québec 1769 pre-pared a report by order of Garleton. Shortt & Dou-ghty 1759-91. Canadian Archives p. 327 to 369.

(53)

et Papes, ce sont presque toujours les Papes qui ont le dessus. Une étude quelque peu approfondie du sujet ré-vèle un Louis XV nouveau, certainement pas si vil qu'on ne le dépeint généralement.

Mais, dira-t-on, pourquoi l'Angleterre n'a-t-elle pas étouffé cette résistance française? En voici les raisons:

1. L'armée d'occupation était très dispersée dans un pays plus ou moins hostile.

2. L'Angleterre éprouvait de l'inquiétude en voyant ses colonies du sud prêtes à se révolter.

3. On craignait un retour des secours de France. 4. En aidant la survivance française, l'Angleterre

se conciliait plus de 60.000 personnes. Citons encore une lettre importante:

Lîy Lord,

(29) Notwithstanding this, and their décent

and respectful obédience to the King's gol^ernment hitherto, I hâve not the least doubt of their secret

attachment to France, and think this will continue as long as they are excluded from ail employments under the British Government

(29)- Carie ton to Hillsborchugh. Secret Correspondence. Québec Nov. 20, 1768. Can. Archives 252. p. 890.

(54)

. . . But should France begin a war in hopes the

British colonies wilî push matters to extremities, and she adopts the project of supporting them in

their independent notions, Canada probably will then become the principal scène where the fate of America may be determined. Affairs in this situation, Cana-da in the hands of France would no longer présent

itself as an ennemy of the British colonies, but as an aKy, a friend, and a protector of their Indepen-dency. Your Lordship must immediately peseceive the many disadvantages Great Britain would labour under,

in a war of this nature; and on the other hand, how greatly Canada might for ever support the British interests on this Continent

Pour en arriver à gagner complètement le coeur des Canadiens, il fallait tolérer l'Eglise, au sens large du mot. Mais l'Eglise ne peut être tolérée. On peut la

per-sécuter, exiler ses membres, on peut déporter les popu-lations qui la soutiennent, mais la tolérer c'est admet-tre sa présence, c'est admetadmet-tre sa force. Ceci est juste-ment ce qu'avait prévu sa Majesté Catholique Louis XV.

Ce que &e Prince n'avait pas prévu, c'est que les circonstances allaient mettre la survivance française au second plan et l'Eglise au premier. Au lieu d^être

(55)

l'Eglise servant la culture française, ce fut la cultu-re française qui fit possible la survivance catholique devant la marée anglo-saxonne et protestante. La survi-vance française est devenue pl^s catholique que

françai-se. La langue française en Amérique est devenue une arme à deux tranchants, car en plus des traditions sentimen-tales qu'elle protège, elle offre à 3.000.000 de Cana-diens l'isolement intellectuel contre 1*invasion protes-tante.

Il semble donc que le roi Louis XV mérita bien le nom de Sa Majesté Catholique, nom dont il se servitt lorsqu'il signa le Traité de Paix. Dans ce traité, la France perdait tout, fors l'honneur, mais l'Eglise ne perdait rien.

Il est donc évident que la lutte entre le roi d'An-gleterre et le Pape allait être pour la première fois, une question coloniale. Cette question de souveraineté avait été temporairement résolue dans la métropole en 1688 par l'exclusion de l'élément catholique de façon à unir le Protestantisme et la Constitution et d'en faire un tout inséparable. (30)

La question de l'épiscopat n'était pas posée uni-quement au Canada; elle dura §n Angleterre jusqu'au dix-neuvième siècle. Ce ne fut qu'en 1829 que le — Roman

Catholic Relief Act — apporta une définition plus heureuse

(56)

des rapports entre le spirituel et le temporel. Avant cette date, la doctrine de la suprématie du Pape était matière séditieuse si elle était imprimée.

Il ne faut voir en tout ceci qu'une question poli-tique. Comme dit H.J. Laski: "It was, préjudice apart, emphatically a question of unity of allegiance which had lain at the root of the Catholic difficulty." (31)

Si le roi Louis XV n'avait pas essayé d'arracher aux ministres anglais le droit de nommer l'évêque lui-même, il n'y aurait aucun argument sur lequel s'appuyer

pour échafauder une défense en faveur de la France et de ses rois.

Il semble donc certain que Sa Majesté Catholique Louis XV manoeuvra pour transformer une question^mon-diale. Lorsqu'il vit que son pouvoir était complètement limité par le traité, il se servit de la question de souveraineté pour créer une difficulté que l'Angleterre trouverait insoluble.

Et chaque fois que les gouvernements se sont atta-qués aux choses spirituelles, le résultat a été le même, coups de fusils en l'air, coups d'épées dans l'eau.

Tant que 1'Eveque de Québec vivait, la question ne se posait pas. Mais après lui le problème de l'episcopat devait devenir insoluble, car ni le roi de France, ni le roi d'Angleterre ne pouvaient nommer un nouvel Eveque.

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XV; la force des doctrines catholiques empêchait un pro-testant de s'immiscer dans les affaires romaines.

Le Pape ne pouvait donc rien ratifier puisque ni le roi gallican, ni le roi anglican ne pouvaient agir.

Quant à l'Angleterre, pourquoi se serait-elle souciée outre-mesure en octroyant aux Canadiens-français ce qui, après tout, n'était qu'un semblant de liberté religieuse? Le catholicisme avait été vaincu dans la Métropole; à

fortiori devait-il l'être au Canada. Comme les pages qui suivent vont le montrer, l'Angleterre se trompait.

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LA NOUVELLE-FRANCE ET LE .DELUGE.

Le caractère français assimile facilement les peu-ples qui entrent en contact avec lui; il s'adapte aux

circonstances avec souplesse. Il est en cela diamétrale-ment opposé au caractère auglais, moins idéaliste, plus

pratique, qui veut dominer et n'assimile pas.

Les lettres de Vfolfe à sa mère jettent sur ce sujet une lumière éclatante. Il y dépeint ses adversaires et

remarque avec dédain les Indiens mêlés aux rangs fran-çais. Il ne peut voir aucune harmonie entre le panache des officiers français et les plumes des sauvages. Il se réjouit à la pensée que ce grand continent américain va bientôt être, grâce à la victoire qu'il sent venir, la possession intégrale de l'Angleterre qui supplantera la race qu'il croit inférieure à la sienne.

Il ne voyait pas que l'assimilation comme elle était pratiquée par la France et l'Espagne est une méthode de colonisation plus durable que la domination des aborigè-nes, car la,première est indépendante de la force, la

seconde ne peut s'en passer. Quant au rôle joué par les Indiens dans le drame de la survivance française au

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ce qui souille sa gloire laquelle autrement serait digne d'immortalité". Que dirait Lescarbot s'il pouvait voir les résultats de la politique anglo-saxonne en ce qui concerne les autochtones? Au Mexique, 85 pour cent de la population est indienne; aux Etats-Unis, les Indiens sont parqués dans les réserves comme des buffles.

Le Français n'a pas été cruel au Canada; c'est un peu pour cela que son oeuvre est immortelle.

Les Français et les Anglo-Saxons semblent être des-tinés à vivre côte à côte, comme c©s époux qui, s'esti-mant et se respectant, ne peuvent se comprendre, l'humeur de l'un étant incompatible avec l'humeur de l'autre. Au Canada, ce fut une répétition de ce qui s'était passé en Europe; comme les Normands avaient conquis l'Angleterre

intellectuellement, les Français au Canada allaient deve-nir des conquérants dans le domaine de la pensée.

Le caractère français a toujours été dominé par une idée; que ce soit pour un principe ou pour un autre, on le voit toujours en proie à l'amour, à la haine, à une passion quelconque. Le Français est le seul moderne qui soit encore prêt à partir pour une croisade. Au fond du coeur il est resté moyenâgeux et en cela les Canadiens sont restés Français.

Depuis 1763 les Canadiens ont repoussé les avances de l'Eglise anglicane; ils ont conservé l'héritage

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fran-çais, y ont ajouté ou retranché, ils l'ont développé, adapté, enrichi quelquefois. Cette oeuvre montre des qualités poten-tielles qui semblent tendre à la création d'une nation où l'on retrouvera les éléments qui ont fait la grandeur de la France.

Au début de cette thèse, il était question de fautes commises par les Français en ce qui concerne les Canadiens-français. Ce oui irrite ces derniers c'est d'entendre d'éter-nelles comparisons plus ou moins justes entre un pays et

l'au-tre. Louis Hémon nous offre un exemple de ce défaut; il re-gardait le Canada, mais il voyait la France.

Le Canada se sent donc un peu comme un jeune homme auquel on dirait toujours "Vous ressemblez à votre mère." Et quand on arrive à un âge où l'on tend à avoir sa propre personnali-té, un âge où l'on ne veut ressembler à personne parce qu'on n'a pas fini de grandir, de telles phrases irritent.

De leur côté, les Canadiens ne voient chez eux que le Canada et ne voient pas la France. Le livre de M. Lévesque déjà cité, donne bien l'impression de cet état d'esprit. Cet auteur y fait un résumé de la survivance française. Il parle de la langue, des lois civiles, d'organismes sociaux, de méthodes d'enseignement, mais il en parle comme s'il dé-sirait accepter ces dons français et rapetisser l'importance de leur origine.

Essayons donc de mettre les choses au point. Dans les chapitres qui suivent, il sera démontré que ce soi-disant miracle accompli par les Canadiens après 1763 n'aurait pu

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colonie géographiquement, politiquement et spirituellement. Louis XIV donna au Canada ce e^ui est essentiel pour être fort,

il lui donna l'unité.

Nous reviendrons plus tard à cette politique des rois de France et de cette faute commise lorsqu'ils voulurent im-poser l'unité en France, par la force, et ce faisant, semè-rent ce qui devait être la récolte révolutionnaire. Les phi-losophes ne sont pas directement responsables de cette Révo-lution, les rois le sont.

Expliquons-nous. La politique de Louis XIV dans son en-semble fut grandiose et resplendissante, mais en France elle eut ses mauvais côtés. Si nous analysons cette politique au point de vue canadien, nous remarquons qu'aucune tache, aucun nuage n'y viennent obscurcir l'éclat du Roy Soleil. Au Canada

son oeuvre n'est que resplendissante. Pourquoi a-t-o-n tendan-ce au Canada à oublier tendan-ce qui se passa avant le déluge ?

Richelieu avait refusé aux protestants le privilège de se réfugier dans les nouvelles colonies. Louis XIV reprit cet-te précaution en y ajoutant la persécution en France.

Si l'on veut donc chanter les louanges de ceux qui rendi-rent la survivance française possible, il faut remonter avant le déluge.

il y a deux choses qui nous intéressent.

Premièrement, les protestants avaient tendance à créer un état dans l'Etat. Ensuite, s'ils avaient été admis au

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Canada, ils auraient créé une colonie dans une colonie. Par conséquent, l'Angleterre aurait trouvé une population cana-dienne divisée en deux parties et il lui aurait été facile d'entamer ce bloc disjoint et de le détruire en commençant par un morceau et en finissant par l'autre.

Les Protestants ne peuvent être accusés d'avoir une

conception du patriotisme différente de celle des Catholiques. Mais les circonstances auraient été différentes, les

Hugue-nots auraient été les premiers anglicisés, car leurs doctri-nes n'entraient point en conflit avec celles du Clergé

angli-can.

"Pourquoi ce mouvement séparatiste chez les protestants? dira-t-on.

A cette question on pourrait répondre par deux ques-tions et dire, "Furent-ils persécutés parce qu'il créèrent en France un Etat dans l'Etat; ou créèrent-ils un Etat dans l'Etat parce qu'ils furent persécutés ?

Répondre à ces questions serait s'éloigner du sujet de cette thèse. Ce qui est vital ici c'est de constater que la force et la vigueur déployées par l'Eglise après 1763 étai-ent le résultat des précautions prises par Richelieu d'abord, par Louis XIV ensuite, pour assurer l'unité nécessaire à

une colonie lointaine. Pour obtenir cette unité en France, Louis XIV commit des fautes, signes précurseurs de l'orage et du déluge. Lorsque ce roi disait "L'Etat, c'est moi," il créait des difficultés qui justifiaient son successeur lors-que celui-ci disait:- "Après moi le Déluge."

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