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Inscriptions médiévales de la région Poitou-Charentes Enquête et perspectives

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Inscriptions médiévales de la région Poitou-Charentes

Enquête et perspectives

Robert Favreau

To cite this version:

Robert Favreau. Inscriptions médiévales de la région Poitou-Charentes Enquête et perspectives. Actes du 97e Congrès national des Sociétés savantes, 1972, Nantes, France. pp.241-256. �halshs-03234960�

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Inscriptions médiévales de la région Poitou-Charentes Enquête et perspectives

Robert Favreau

I. Enquête.

1. Les circonstances font qu’il est bon de situer la présente enquête sur les inscriptions médiévales de la région Poitou-Charentes (Vienne, Deux-Sèvres, Charente et Charente-Maritime) dans le cadre élargi de l’élaboration des recueils épigraphiques. L’histoire de l’histoire est parfois instructive. La réalisation de ce que tous les historiens connaissent, aujourd’hui, par le simple sigle C.I.L. - Corpus inscriptionun latinarum - est, ainsi, pleine d’enseignements. Le projet en fut présenté par un Danois, en 1836, aux Académies de Copenhague, de Berlin et de Munich. Une modeste subvention fut accordée par l’Académie de Berlin pour de premiers travaux : les membres de la Commission des finances ne voulaient pas s’engager à fond dans une entreprise dont on ne pouvait prévoir la fin. Cinq ans après, ce premier chantier était abandonné. Un temps on put penser que le projet serait repris par la France. Prosper Mérimée en avait fait la requête en 1839, un ministre de l’instruction publique nommait à cet effet, en 1843, une commission, dont les conclusions furent approuvées unanimement, mais on en resta là, faute d’un maître d’œuvre. A son tour, un ministre, en Prusse, demandait un rapport sur une publication des inscriptions latines. Il fallut cinq ans au docteur Théodore Mommsen pour faire approuver définitivement son plan et ses méthodes - notamment l’examen personnel sur place des inscriptions, et non seulement le recours. Aux anciens recueils imprimés ... A partir de 1853, le C.I.L. fonctionne régulièrement, avec l’aide financière de l’Académie de Berlin. Aujourd’hui, l’entreprise est en majeure partie achevée, même s’il faut, et s’il faudra toujours travailler à des suppléments, un Corpus n’étant, on le sait, jamais totalement achevé. Le seul apport français à cette remarquable entre- prise a été de faire prévaloir, par les travaux de la commission de 1843, 1e principe d’une publication par ordre géographique et non pas méthodique. La grande leçon de cette réalisation est la nécessité d’un travail suivi, dans le cadre d’une institution capable d’en assurer la continuité avec des moyens réguliers.

C’est à un Italien, J.-B. Rossi, et à un Français, Edmond Le Blant, que l’on doit les premières réalisations en matière de ce qu’il est convenu d’appeler l’épigraphie chrétienne, c’est-à-dire la période allant des débuts de la christianisation - et prenant ainsi le relais des inscriptions dites « latines » - à la fin du VIIe siècle, terminus ed quem évidemment arbitraire. C’est dans la « Collection de documents inédits sur l’histoire de la France » que Le Blant publia les deux volumes de ses Inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures

au VIIIe siècle (Paris, 1856 et 1865), qui relèvent 650 inscriptions, et en 1892 un volume

de supplément de 445 inscriptions nouvelles. Une refonte, sur des bases plus complètes, de ce recueil, est actuelle- ment élaborée, avec le concours du C.N.R.S., sous la direction de M. le Professeur H.-I. Marrou. Pour l’Espagne « chrétienne », l’Allemand Hübner a publié 662 inscriptions, et pour la Rhénanie « chrétienne » F. X. Kraus en a recensé 316.

Dans le domaine de l’épigraphie « médiévale », plusieurs recueils portent l’estampille officielle. En France, les Inscriptions de l’ancien diocèse de Paris, publiées par Fr. de Guilhermy et R. de Lasteyrie dans la « Collection de documents inédits sur l’histoire de France », se présentent comme la première réalisation d’une publication des « Inscriptions de la France du Ve au XVIIIe siècle ». Les recueils d’Hübner pour l’Espagne

et de Kraus pour la Rhénanie, réunissent, le premier 157, le second 677 inscriptions pour la période IIe-IXe siècles à XIIIe siècle, tandis qu’en Allemagne est en cours actuellement,

sous l’égide de plusieurs Académies, une publication d’« Inscriptions allemandes ». En Italie, Angelo Silvagni a publié, pour Rome, les photographies de 110 inscriptions du IXe

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de 22 inscriptions médiévales du Latium, premier de cinq volumes prévus de « Monuments épigraphiques existant en Italie antérieurement au XIIIe siècle ».

Les autres réalisations à ce jour recensées sont le fait de chercheurs isolés ou de sociétés savantes, pour des régions limitées et avec des méthodes très diverses1. On pouvait espérer qu’il allait être enfin possible de réunir une documentation très dispersée, susceptible d’une exploitation à multiples aspects dès l’instant qu’il serait possible de travailler à partir d’un ensemble important d’inscriptions. En 1968, à l’initiative de M. E.-R. Labande, le C.N.R.S. créait à Poitiers une équipe de recherche associée pour l’établissement d’un Corpus des inscriptions de la France médiévale. Trois ans plus tard, la Commission compétente plaçait l’équipe en excellente position pour la poursuite d’un programme dont la première tranche avait été intégralement remplie, en dépit des difficultés inhérentes à la mise en chantier d’un travail de type tout nouveau, en un champ encore mal défriché. Le Directoire du C.N.R.S. en a décidé autrement, sans un mot d’explication, sans la moindre allusion au travail effectué. L’histoire des réalisations antérieures doit nous amener à considérer qu’il ne faut pas désespérer d’une reprise du chantier, mais force est de reconnaître qu’il est aujourd’hui difficile d’entreprendre des travaux historiques de quelque envergure, tant est précaire et trop souvent limité le soutien apporté officiellement à la recherche scientifique désintéressée.

2. Le Corpus des inscriptions médiévales de la région Poitou-Charentes a été réalisé du milieu de l’année 1968 à la fin de l’année 1969, avec des moyens matériels insuffisants, des moyens en personnel restés continûment d’une insigne pauvreté. Le premier problème a été le recensement. Deux solutions seulement sont possibles pour le repérage préalable, si l’on écarte la visite systématique de tous les édifices susceptibles d’abriter des inscriptions médiévales, ce qui supposerait des moyens en personnel et en temps qu’il serait illusoire d’espérer. On peut avoir recours aux sociétés savantes, aux érudits locaux. C’était la solution qui avait été envisagée dans les années 1840 par Arcisse de Caumont, par Didron aîné, par la commission Villemain de 1843. C’est la voie à laquelle faisait appel, en 1953, M. Jacques Stiennon pour les recensions d’épigraphie médiévale en Belgique2. Toujours utile, cette méthode n’est pas, et surtout n’est plus aujourd’hui suffisante. La seconde solution est de partir des indications fournies par les publications des sociétés savantes, les études archéologiques, les recueils manuscrits et notes d’érudits, les collections iconographiques. C’est cette recension bibliographique qui a été retenue comme élément essentiel. Elle a porté sur les inscriptions comprises entre la fin du VIIIe

siècle et la fin du XVe siècle et a servi de guide pour les recherches sur place. Les disparitions ou graves dégradations constatées ont été pour partie compensées, soit par la découverte de nouveaux textes dans les édifices visités, soit par des découvertes nouvelles signalées par les érudits locaux. Le bilan, pour les quatre départements concernés, est d’environ 520 inscriptions pour la période allant de la fin du XIIIe siècle à 1300 - 390 sur

pierre, 80 peintes, 50 sur autres supports -, et de 320 pour les XIVe et XVe siècles - 220 sur

pierre, 30 peintes, 70 sur autres supports -, soit un total de 840 inscriptions, réparties entre environ 250 communes, c’est-à-dire une commune sur six. Ces inscriptions ont été examinées sur place au cours de nombreuses « sorties » qui représentent environ 10.000 km. L’extrême dispersion de la documentation épigraphique tant au stade du pré-repérage bibliographique qu’à celui de l’examen sur place, fait que cette discipline implique de façon rigoureuse pour pouvoir rendre les services qu’elle peut offrir, la réalisation d’un Corpus.

Trois observations à propos de cette recension :

1 Cf. R. FAVREAU, « L’épigraphie médiévale », dans les Cahiers de civilisation médiévale Xe-XIIe siècles, t. XII, n° 4, 1969, p.

393-397, pour l’essentiel de la bibliographie concernant ces recueils.

2 J. STIENNON, « Où en sont les éludes d’épigraphie médiévale en Belgique? », dans Ann. Fédér. histor. et archéol. de

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- Même si la recension photographique ne devait pas être poursuivie pour les inscriptions des XIVe et XVe siècles, la recension bibliographique devrait garder la fin du Moyen Âge

pour terme, la perte de temps étant sans aucune mesure avec celle qu’impliquerait une reprise ultérieure éventuelle de dépouillements bibliographiques pour les seuls XIVe et XVe

siècles.

- Il est rigoureusement indispensable de donner une localisation précise, tout comme, lorsque l’on cite un livre, il convient de donner la ou les pages utilisées. Combien de fois a-t-il fallu procéder à des recherches minutieuses pour retrouver un texte, ce qui est dramatique lorsque l’inscription a été déplacée ou détruite. Ainsi avons-nous perdu une après-midi entière, à Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers, à la recherche d’une épitaphe mal située par les auteurs qui en avaient parlé, et que nous n’avons finalement pas trouvée... - Les groupements de paroisses sont inquiétants pour les objets mobiliers des églises. Ou bien ces objets restent dans les églises ou presbytères anciens, et sont souvent protégés, ou bien ils sont transportés à la paroisse de rattachement, ce qui ne facilite pas la tâche du chercheur. Ainsi s’est avérée pour nous éprouvante la quête des fers à hostie dans le Confolentais ...

3. Après le repérage, l’examen sur place et la photographie, vient la mise en forme

de la documentation recueillie. Chaque inscription fait l’objet d’un dossier. Le dossier doit

permettre de répondre aux différentes questions posées par l’inscription, fournir les données en un ordre constant, de manière à rendre possibles les confrontations et, si cela s’avérait par la suite nécessaire, et surtout réalisable, une exploitation par mécanographie ou ordinateur. Les éléments de chaque dossier ont donc toujours été présentés de la même manière, dans l’ordre suivant :

1. (s) de l’original ou, dans le cas d’inscriptions disparues ou dégradées, de relevés anciens.

2. Éléments de description matérielle, situation, mesures. 3. Transcription et remarques paléographiques.

4. Traduction et remarques linguistiques. Sources. 5. Commentaires historiques.

6. Bibliographie.

A l’intérieur de chaque rubrique, les renseignements sont également donnés dans un ordre constant, qui peut être particulièrement développé, ainsi pour les remarques paléographiques. Le cadre est toujours donné entièrement, avec l’indication « néant » lorsque l’inscription ne répond pas à tous les aspects envisagés.

Ces derniers sont réalisés entièrement pour la période allant jusqu’à 1300. Les inscriptions des XIVe et XVe siècles ne sont pas étudiées de façon aussi approfondie.

Lorsqu’il s’agit d’ensembles sculptés ou peints comportant pluralité d’inscriptions, le dossier correspond à la scène.

L’exploitation des dossiers appelle le complément de fichiers. Faute de temps et de personnel, ces fichiers ne sont que partiellement réalisés. Mais leur conception a été longuement discutée, des essais ont été faits, et leur réalisation complète, à condition d’être assuré de la durée de l’entreprise, pourrait intervenir immédiatement. Il s’agit de fichiers de noms de personnes, de lieux, de matières - fichier où de nombreuses notions sont appelées à figurer, telles, par exemple, la versification, les systèmes de datation, les scènes accompagnées d’inscriptions, etc. - et encore fichiers des formes paléographiques, des citations, des formules -

II. Directions de recherche.

1. L’écriture. C’est le domaine auquel l’archéologue paraît le plus attaché, car il est

susceptible de lui apporter des éléments de datation qui compléteront les données fournies par le monument lui-même. C’est aussi le domaine le plus travaillé de l’épigraphie

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médiévale, domaine où la France se place en bon rang avec l’Étude sur la paléographie

des inscriptions lapidaires de la fin de l’époque mérovingienne aux dernières années du XIIe siècle, de Paul Deschamps, parue en 19293.

Une telle étude suppose plusieurs conditions :

- Un champ chronologique suffisamment vaste pour qu’il soit possible de tracer une évolution et de dégager les caractères originaux de chaque époque. Il n’est pas possible de bien noter les effets de la réforme carolingienne de l’écriture sans considérer l’écriture des siècles qui précédent, et l’étude de l’écriture du XIIe siècle implique le recours au XIIIe

siècle, ce qui a entraîné fort logiquement un certain nombre d’auteurs, arrêtant leur recherche à la fin du XIIe siècle, à donner des exemples de l’ensemble du XIIIe siècle4.

- Un nombre important d’inscriptions. L’étude de la Paléographie des inscriptions

chrétiennes latines du IIIe à la fin du VIIe siècle, donnée par Edmond Le Blant à la fin de sa

vie, souffre, pour certaines époques, d’un trop petit nombre d’inscriptions datées5 Des résultats valables ne peuvent intervenir qu’en fin d’établissement d’un Corpus photographique.

- Une attention particulière à la notion de différences régionales dans l’écriture avant le

XIIIe siècle. C’est un problème général que connaissent tous les médiévistes, dans le domaine du vocabulaire6, de la langue7, du droit, etc., comme évidemment dans celui de l’architecture à l’époque romane. De premières recherches il ressort, par exemple, que le classicisme et le conservatisme des inscriptions de l’Allemagne ou de l’Italie du Nord et du Centre sont marqués8, alors qu’un certain nombre de formes de lettres, inspirées pour partie de l’écriture dite wisigothique, ne se trouvent que dans la péninsule ibérique, le Roussillon et le Languedoc, au Puy-en-Velay et en Italie du Sud9. La trop grande part

3 Dans le Bulletin Monumental, 1929, p. 5-86, 35 pl. h.-t. Autres études de paléographie des inscriptions : GROSSI

-GRONDI, « Excursus sulla paleografia medievale epigrafica del sec. IX, dans Dissertazioni della Pont. Accademia

romana di Archeologia, série II, t. XIII, 1918, p. 149-179 ; R. CONRARD, Niederrheinische Epigraphik vom achten bis

dreizehnten Jahrhundert. Ein Beitrag zur Geschichte der monumentalen Schrift, Francfort-s/M., 1931, 70 p. ; R. RAUH,

Paläographie der mainfräinkischren Monumentalischriften, Munich, 1935 ; Mme, N. GRAY, « The Paleography of latin

Inscriptions. Ninth and tenth centuries in ltaly », dans Papers of the Brit. School at Rome, XVI, 1948, p. 38-171 ; W.

KOCH, « Palaographie der Inschrift en österreichischer Fresken bis 1350 », dans Mitteleilungen des Instituts für

Österreichische Gescliichtsforschung, 1969, LXXVII, p. 1-42. unc estant, Vatican, I, 1943 : douze inscriptions, à titre

de spécimen, pour la Rome du XIIIe siècle, et quatre pour le Latium du XIIIe siècle.

4 Ainsi P. DESCHAMPS, dans son étude déjà citée ; ou A. SILVAGNI, dans ses Monumenta epigraphica christiana saeculo

XIII antiquiora quae in ltaliae finibus adhunc estant, Vatican, I, 1943 : douze inscriptions, à titre de spécimen, pour la

Rome du XIIIe siècle, et quatre pour le Latium du XIIIe siècle.

5 Dans la Revue archéologique, 3e série, t. XXIX, 1896, p. 177-197 et 345-355 ; t. XXX, 1897, p. 30-40, 171-184 ; t. XXXI,

1897, p. 172-184.

6 Voir par exemple l’excellente démonstration de K. BALDINGER, « L’importance de la langue des documents

pour l’histoire du vocabulaire gallo-roman (le champ onomasiologique du roturier) », dans Les anciens textes

romans non littéraires. Leur apport à la connaissance de la langue au Moyen Age, Paris, 1963, p. 41-62, cartes

(Colloque internat. organisé par le Centre de philologie et de littératures romanes de l’Univ. de Strasbourg, 1961)

7 Outre les deux vastes champs de la langue d’oïl et de la langue d’oc, la toponymie offre de nombreux

exemples d’évolutions différentes des noms selon les régions.

8 Cf. l’étude d’O. DOBIANCHE-ROJOESTVENSKY, « Quelques considérations sur les origines de l’écriture dite

‘gothique’ », dans Mélanges F. Lot, Paris, 1926, p. 693 ; plus on se déplace dans la direction du nord-est germanique, plus les dates chronologiques - établies sur les manuscrits latins de provenance romane - sont en retard ; également A. BOUTEMY, « Quelques directions à imprimer aux études de latin médiéval et de

paléographie », dans Mélanges de philologie, de littérature et d’histoire ancienne offerts à J. Marouzeau, Paris,

1948, p. 61-70 : par rapport au nord de la France, l’écriture, dans les manuscrits mosans, montre une évolution en retard de quarante ans environ.

9 Pour le C, à Elne (Pyr.-Orient.) en 1069, à Narbonne en 1174, à Siponte en Pouille, à la cathédrale de Ravallo en

1179 ; pour le D à Elne en 1069, à Saint-Michel-d’Aiguilhe (Haute-Loire), pour le E à Ecya (Espagne) en 922, et à la châsse de San Millan de la Cogolla, à Saint-Paul de Narbonne en 1173 ; pour le G à Ecya en 922, à Bari à la

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donnée aux inscriptions méridionales par Paul Deschamps dans son étude des inscriptions lapidaires du XVe siècle appelle une certaine prudence dans l’application, à d’autres

régions, des critères dégagés10.

Le souci enfin du support de l’écriture, qui peut impliquer certaines servitudes, ainsi pour les inscriptions sur granit, sur émail, ou qui correspond à des ouvriers de niveau fort différent, ainsi pour les inscriptions sur pièces d’orfèvrerie, œuvre d’orfèvres et généralement fort soignées, alors que le graveur d’une épitaphe dans une petite église rurale peut être d’un niveau de culture très modeste. Trois méthodes sont possibles pour l’étude des formes d’écriture.

On peut partir des dates, c’est-à-dire classer les formes en fonction des dates, en rejetant en fin de tableau les inscriptions non datées. C’est ce qu’ont pratiqué Edmond Le Blant et Paul Deschamps. A supposer que la date soit toujours bien établie, l’avantage de la simplicité est certain. La difficulté est dans le classement des inscriptions non ou mal datées, et dans une recherche de plus en plus malaisée à mesure que s’accroît le nombre des inscriptions mises en œuvre. On peut encore partir des lieux de conservation, ce qu’a fait M. Walter Koch pour les inscriptions des peintures murales en Autriche, mais cela n’est possible que pour un petit nombre d’ensembles. On peut enfin prendre pour base la forme elle-même, le ductus, c’est-à-dire la façon dont la lettre a été tracée, notion féconde sur laquelle ont particulièrement insisté les excellents spécialistes de l’écriture romaine qu’est M. Jean Mallon et que fut Charles Perrat11. La difficulté est dans le classement des ductus, mais les essais effectués montrent des avantages tels que c’est la méthode qui a été retenue.

Le fichier des formes paléographiques est réalisé aussi pour les abréviations, la ponctuation, les différents groupes de lettres (conjonctions, enclavements, entrelacements), ce qui, en raison même du fait que les inscriptions se présentent généralement, avant le XIVe siècle, en capitales, ne pose pas les difficultés qu’éprouve le paléographe affronté à l’écriture liée des chartes. Même en ce domaine restreint, des observations peuvent être faites dès les premières confrontations, par exemple la fréquence des conjonctions par superposition en Espagne, type que l’on trouve aussi une fois à Saint-Savin-sur-Gartempe.

La nécessité d’un Corpus photographique aussi exhaustif que possible est indispensable pour fonder des recherches de paléographie des inscriptions. Un tel Corpus photographique était souhaité pour l’Empire romain par M. Mallon dès 1946, demandé à nouveau par Ch. Perrat au Congrès international de Florence en 195512. Il n’est pas du tout chimérique de l’entreprendre aujourd’hui pour l’épigraphie médiévale, qui devrait au moins en ce domaine bénéficier de son départ tardif.

2.

Le texte. L’étude du texte en lui-même appelle des recherches d’ordre

linguistique et diplomatique.

D’ordre linguistique, il s’agit d’abord du vocabulaire, à la connaissance duquel les inscriptions peuvent apporter leur contribution.

fin du XIe siècle et à Siponte ; pour le T, à Narbonne en 1174, à Compostelle en 1189 ; pour le U à Narbonne en

1151. Il faudrait naturellement une enquête générale pour cerner exactement le champ chronologique et géographique de cette famille très particulière de lettres.

10 Cf. le compte rendu de M. SCHAPIRO dans Art Bulletin, t. XII, 1930, p. 101-109.

11 Jean MALLON, « Paléographie romaine », et Ch.PERRAT, « Paléographie médiévale », dans L’Histoire et ses méthodes,

Paris, 1961, p. 552-615 (Encyclopédie de la Pléiade).

12 Ch. PERRAT, « Paléographie romaine », dans Relazioni del X Congresso internazionale di Scienze Storiche. I.

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Ainsi, le terme de laïcus, qui se trouve dans une épitaphe à Poitiers au 1xc siècle, ne semble guère se trouver par ailleurs avant le XIe s.

Il s’agit encore de versification. Bon nombre des inscriptions des IXe-XIIe siècles sont en vers, et l’emploi, aux XIe et XIIe siècles, de la rime, avec les vers léonins, est très

fréquent. La métrique même est souvent d’un grand secours pour le déchiffrement, pour Je rétablissement d’inscriptions abîmées ou partielles, voire pour la traduction. Un bon exemple peut en être fourni avec l’inscription du début du XIe siècle qui se trouvait au linteau de la porte menant de l’église Sainte-Radegonde de Poitiers au dortoir des frères, inscription dont manque le début. La versification permet d’établir qu’il s’agit de deux hexamètres, et qu’il manque au début du premier vers une longue, au début du second une longue et une brève, et d’offrir, en conséquence, une restitution très plausible :

« [TV] QUI | ES PRE | CLARA D | ES, NOS, | CHRISTE, GV | BERNA; [NOCTI] BVS OMNIBVS | INTROIA |

CENTIBVS I ESTO LV | CERNA. »

« Toi qui es le jour éclatant, ô Christ, gouverne-nous ;

« Sois, la nuit, la lampe de tous ceux qui entrent se coucher ici. »

Le fait qu’il s’agisse de vers léonins est encore d’un prec1eux secours pour la lecture des inscriptions, très abîmées, des peintures de la crypte de Saint-Savin. Ces poésies, qui sont souvent, bien sûr, des poésies funéraires, sont parfois des pièces qui méritent de figurer honorablement dans l’histoire de la littérature. Elles peuvent être fort longues, puisqu’on peut citer, en Normandie, une inscription rimée de 200 vers13.

Les inscriptions peuvent apporter encore des éléments utiles sur la langue vulgaire. Il a été souligné combien, dans la broderie de Bayeux, les noms de lieux et de personnes concernant l’Angleterre revêtaient des formes ignorées sur le continent mais fidèles à l’orthographe saxonne14, et Mme G. Souchal a récemment montré dans l’inscription d’un émail de Grandmont du XIIe siècle consacré à Étienne de Muret, un texte en langue d’oc, là où jusque-là on avait essayé de trouver un texte latin15. On pourrait encore citer, à partir du XIIIe siècle, des inscriptions bilingues qui offrent de curieux témoignages sur la

progression de la langue vulgaire16.

L’étude des formules et la confrontation de textes de même nature permettent de suivre l’évolution des formules, en particulier dans les épitaphes, ce qu’a fort bien montré E. Le Blant pour les inscriptions dites chrétiennes17. L’évolution, au cours des temps, des formules funéraires est nette, et doit pouvoir apporter des éléments de datation. L’existence de formulaires, ou mieux sans doute de recueils de poésies et d’épitaphes en vogue auprès des épigraphistes est tout aussi certaine18.

13 Abbé COCHET, Répertoire archéologique du département de la Seine-Inférieure, Paris, 1871, col. 526, Anvéville. 14 L. MUSSET, « Notes sur la tapisserie de Bayeux », dans Art de Basse-Normandie, 1969, n° 54, p. 51-53.

15 G. SOUCHAL, « Les émaux de Grandmont au XIIe siècle », dans Bull. Mon., 1962, p. 339-357.

16 Mgr. M. CHAILLAN, « L’église de la Madeleine avec son inscription bilingue, son bac et son port », dans le Bull. archéol. du

comité des trav. histor. et scientif. , 1927, p. 397-405, texte en latin et en provençal à Mirebeau en 1229.

17 E. LE BLANT, L’épigraphie chrétienne en Gaule et dans l’Afrique romaine, Paris, 1890, p. 15-21 (âges des diverses

formules), 48-51 (les formules épigraphiques locales), 58-60 (les formulaires épigraphiques)

18 Des recueils d’épitaphes se trouvent notamment dans les œuvres de Baudri de Bourguiel, d’Hildcbert de

Lavardin, de Foulcoie de Beauvais (H. Omont, « Epitaphes métriques en l’honneur de différents personnages du XIe siècle composées par Foulcoie de Beauvais, archidiacre de Meaux ... », dans Mélanges Julien Havet,

Paris, 1895, p. 211-236). De nombreux exemples se rencontrent également dans les Poetae latini aevi carolini (M.G.H.). E. LE BLANT a cité également des formulaires pour les inscriptions dites chrétiennes.

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Il peut sembler superflu de souligner combien est utile la traduction des inscriptions. Pourtant, la traduction est exceptionnelle dans les recueils épigraphiques actuellement réalisés, il est vrai remontant généralement à une époque où on connaissait mieux le latin que de nos jours, et de bons auteurs l’écarteraient volontiers pour la raison d’évidence qu’une traduction est sujette à erreur ou approximation. La présentation du texte original permet, en fait, à quiconque de contrôler une traduction, et celle-ci, qui est loin d’être toujours aisée, est de nature à faciliter grandement la consultation du chercheur. 3. Les sources. La réalisation d’un Corpus a encore l’avantage de faciliter la recherche des sources. Un exemple récemment rencontré en témoigner. Au cours de la campagne photographique de l’an dernier, nous sommes allés examiner, en Charente-Maritime, à La Genétouse et à Villars-les-Bois, deux cloches du XVe siècle portant la même

inscription énigmatique : « MENTEM SANCTAM SPONTANEAM, HONOREM DEO, ET PATRIAE LIBERATIONEM ». Les témoignages anciens nous rapportent en outre que la cloche du beffroi de Saint-Jean-d’Angély portait le même texte. Mais il ne s’agit pas d’une mode locale. Ce texte se retrouve sur deux cloches de Souvigny, dans l’Allier, l’une datée de 1403, l’autre de 1454, sur une cloche de Saint-Papoul, dans l’Aude, et, en dehors de la fin du Moyen Age, sur une des plus anciennes cloches d’Espagne, datée de 1219, à la cathédrale d’Oviedo, comme encore sur une cloche de 1626 à Bucy-Saint-Georges, près de Paris. Un article paru dans un « Bulletin » corrézien au sujet de L’œuvre de Limoges à

Catane (Sicile)19, cite également cette inscription comme figurant sur une tablette portée par sainte Agathe en une statue du XIVe siècle, et aussi représentée à Rome à

Saint-Jean-de-Latran sous Grégoire XI (fin XIVe siècle) et à Sainte-Agnès-hors-les-murs sous Sixte IV (fin XVe siècle). D’évidence, il fallait chercher une source commune. L’exemple singulier de la

statue de sainte Agathe incitait à ouvrir les Acta Sanctorum20. On y voit que, d’après les hagiographes de la sainte, bien antérieurs au Xe siècle, un ange serait descendu du ciel après

le martyre d’Agathe et aurait placé à la tête de la sainte une tablette portant, d’après Siméon Métaphraste : « Mens sancta, spontaneus honor Dei, et patriae liberatio », et, d’après l’archevêque Méthode : « Mens sancta spontanea, honor Deo et patriae liberatio », la dernière expression se rapportant au fait que la sainte aurait protégé la ville de Catane d’une éruption de l’Etna, ce qui exclut tout rapport avec l’expulsion des Anglais à laquelle se sont référés certains commentateurs de l’une ou l’autre inscription campanaire isolée. Les Bollandistes rapportent encore que Guillaume Durand, évêque de Mende du XIIIe

siècle, fait état, en son Rationale divinorum officiorum (lib. 7, ca p. 6) de processions en l’honneur de sainte Agathe, avec statue et tablette portant le texte : « Mentem sanctam spontaneam, honorem Deo et patriae liberationem ». Voici cette fois la citation exacte, à l’accusatif, donnée par les différentes inscriptions21. Reste à savoir pourquoi ce texte a eu une telle faveur dans l’épigraphie campanaire...

Les rapports entre épigraphie et hagiographie sont d’ailleurs multiples. La passion de saint Savin et saint Cyprien22 est une bonne introduction aux inscriptions de la crypte de Saint-Savin, et combien plus les vies de saint Ambroise, de saint Emilien, de saint Hadelin, à la lecture des textes qui figurent sur l’autel carolingien de Saint-Ambroise de Milan, sur la châsse de San Millan de la Cogolla en Espagne, ou sur la châsse de saint Hadelin aujourd’hui conservée en l’église de Visé, en Belgique. On pourrait encore mener, à partir des inscriptions,

19 X. Barbier de Montault, dans le Bull. Soc. scient., histor. et archéol. de la Corrèze, t. XV, 1893, p. 477-491. 20 AA.SS., février, I, p. 629-640

21 Cet accusatif dérive peut-être de quelque hymne en l’honneur de la sainte. Les Analecta hymnica Medii Aevi

édités par G.-M. DREVES, s.j., fournissent ainsi un hymne à sainte Agathe (III, p. 95) comportant : « Dant ad caput

continentem - tabulam marmoream - quod honorem Deo, mentem - sanctam et spontaneam ». Un hymne attribué à Isidore de Séville fait aussi allusion à cette formule : « mente sancta pronuntians defensionem patria » (AA.SS., février, I, p. 601).

22 B. De GAIFFIER, « Les sources de la Passion de SS. Savin et Cyprien », dans Analecta Bollandiana, t. LXXIII. fasc.

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une curieuse quête de l’extension du culte de saint Thomas de Cantorbéry, dans l’émaillerie limousine, les ampoules de pèlerinage, les vitraux, ou même les vêtements liturgiques23.

La liturgie est, elle aussi, souvent liée à l’épigraphie avec, par exemple, la pratique des inscriptions de dédicace d’église, de consécration d’autel, de premières pierres. Dans la région Poitou-Charentes, on conserve les inscriptions des autels de Saint-Savin, de Montierneuf de Poitiers et plusieurs inscriptions de dédicace. Trois églises portent, en des lieux divers, un texte de l’office de la dédicace24, et l’alphabet inscrit à Saint-Pierre de Chauvigny est peut-être en relation avec cette cérémonie, car il est situé du côté où le prélat devait commencer à l’écrire lors de la dédicace25. Les inscriptions de premières pierres sont rarement à notre portée. Celles des anciennes églises des Carmes, vers 1345, et des Célestins, en 1365, à Paris, ont été trouvées l’une et l’autre sous le mur du fond de l’abside, et leur texte est disposé autour d’une croix26. Les anciennes règles liturgiques, telles que les rapporte notamment Guillaume Durand à la fois dans son Rationale et dans son Pontifical27, exigeaient, en effet, que le prélat trace, avec la pointe d’un couteau, un signe de croix, en disant : « Au nom du Père... ». Le musée d’Angoulême conserve également une pierre de fondation provenant de Saint-Cybard de Peyrat et datée de 1065. Il s’agit certainement d’une pierre de fondation, car elle se présente avec une inscription disposée autour d’une croix et un texte de même nature que celui des églises des grands Carmes et des Célestins de Paris28. Ce doit être un des plus anciens témoins conservés de pierres de fondation à inscription29. La liturgie de l’office des morts peut aussi être précisée, pour la fin du Moyen Age, par les nombreuses inscriptions qui commémorent les fondations pieuses30.

Sur la spiritualité chrétienne, et très particulièrement sur l’attitude du chrétien devant la mort, l’épigraphie peut apporter des témoignages de première importance. L’utilité d’un Corpus est là aussi certaine. En voici un exemple. Une des difficultés constantes du christianisme a été l’affirmation de la résurrection de la chair. Les témoignages épigraphiques en abondent dès les premiers siècles31. A propos de l’épitaphe d’un chanoine poitevin du milieu du XIVe siècle enterré à Paris, où il trouvait ce texte de Job : Credo quod redemptor meus vivit, et in novissimo die de terra surrecturus sum, et in

carne mea videbo Deum salvatorem32, Guilhermy écrit que l’usage d’écrire ce texte sur les tombeaux remonte à la fin du XIIe siècle, époque à laquelle Maurice de Sully, évêque

de Paris, et bien d’autres prêtres après lui, ordonna que ce répons de l’office des morts soit écrit sur son cercueil, parce que, de son temps, plusieurs doutaient de la résurrection des

23Ainsi d’une mitre du XIIIe s. au trésor de la cathédrale de Sens (Les Trésors des églises de France, Musée des Arts

décoratifs Paris, 1965, Paris, 1965, p. 424, n° 818).

24 Eglises de Saint-Pierre-de-l’Isle (Charente-Maritime), Châteauneuf-sur-Charente (Charente), Civaux

(Vienne).

25 Michel ANDRIEU, Le pontifical romain au Moyen Age. T. III. Le pontifical de Guillaume Durand, Cité du

Vatican, 1940, pp. 463-464 (« Studi e Testi », 88) : l’évêque inscrit d’abord l’alphabet grec en allant « de sinistro angulo orientali ad dextrum occidentalem », puis l’alphabet latin « de dextro angulo orientali ad sinistrum occidentalem ». L’alphabet de Saint-Pierre de Chauvigny est au sud-est.

26 F. De GUILHERMY, Inscriptions de la France du Ve siècle au XVIIIe s. T. Ier Ancien diocèse de Paris, Paris, 1873, p.

422-423 et 432-434 (« Coll. de documents inédits sur l’histoire de France. Troisième série. Archéologie »).

27 Guillaume DURAND, Rationale divinorum officiorum, lib. I, cap. I, 7-9 (éd. 1672), et Michel ANDRIEU, Le Pontifical ...,

p. 451-455, livre II, chap. I, De benedictione et impositione primarii lapidis in ecclesie fundatione.

28 « Hunc primum posuit lapidem Guilelmus antistes in nomine Sancte Trinitatis et individue Unitatis anno

MLXV, et posuit hic Pulcherium gramaticum et ede nutritum Catonem cognomento » (original au Musée

d’Angoulême, moulage au Musée de la Société archéologique.

29 Dans l’introduction de son Epigraphie de la Mayenne (Laval, Paris 1907, 2 vol.), l’abbé Angot écrit à propos de la

première pierre des Capucins de Château-Gontier (1611) que les lapides fundamentales durent être anépigraphes aux XIe

et XIIe s.

30 Voir par exemple l’inscription de fondation de messes de Guillaume Laydet, curé de Saint-Pierre-l’Hospitalier de

Poitiers en 1450 (LONGUEMAR, « Epigraphie du Haut-Poitou » dans Mém. Soc. Antiq. de l’Ouest, 1863, p. 243-244), et les

« Observations sur une inscription de l’église Saint-Ursin de Bourges », par J. BEREUX, dans les Mém. Soc. Antiq. du

Centre, t. XL, 1921, p. 296-305.

31 E. LE BLANT, L’épigraphie chrétienne en Gaule..., p. 57-58 ; article sur la « résurrection de la chair » de dom H.

LECLERQ, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, t. XIV, 2e partie, 1948, col. 2396-2398.

32 Job, XIX, 25-26 : « Scio enim quod redemptor meus vivit et in novissimo die de terra surrecturus sum. Et rursum

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morts33. Ce texte se retrouve dans l’épitaphe d’un évêque de Castres, vers 136834, dans l’épitaphe d’un chanoine de Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers à la fin du XVe siècle35. Mais on le trouve

encore dans l’épitaphe de l’évêque d’Hildesheim, saint Bernard, au début du XIe siècle36,

et dès le VIe siècle en Espagne37. Il ne s’agit donc pas d’une innovation du XIIe siècle, mais d’une

constante de l’inquiétude chrétienne devant le fait de la mort38.

Les rapports entre épigraphie et drame liturgique sont plus difficiles à cerner avec certitude. On a parlé, à propos des nombreuses façades qui, dans l’Ouest, et particulièrement en Charente-Maritime, représentent les Vertus et les Vices, d’un jeu charentais, qui reste une hypothèse39. Il est du moins hors de doute que la célèbre façade de Notre-Dame-la-Grande de Poitiers s’inspire du sermon du pseudo- Augustin récité aux matines de Noël et illustre avec exactitude le « Mystère d’Adam »40. Ces textes ont également été inscrits à la façade des cathédrales de Vérone, de Ferrare, de Crémone, dans l’église de San Leonardo in Arcetri, près de Florence, sur un pupitre de l’église de Sessa, sur une mosaïque de Saint-Marc à Venise, sur une mosaïque de l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem. Les sources des inscriptions doivent encore être cherchées fréquemment dans les auteurs chrétiens, et notamment dans ceux des IVe-Ve siècles, si souvent recopiés par la

suite. Une curieuse et assez fruste sculpture de l’hypogée mérovingien de l’abbé Mellebaude, à Poitiers, représente quatre archanges, dont deux sont identifiés par des inscriptions, « Rafael » et « Raguel »41, tandis qu’un autre fragment porte : « EMMANVUEL NVBISCVM DEVS », c’est-à-dire le nom hébreu que le prophète Isaïe donne au fils qui naîtra de la Vierge et la traduction latine de ce nom : « Dieu est avec nous ». Cette pratique de donner la traduction du nom hébreu se retrouve dans le célèbre autel de Bâle, du début du XIe siècle, conservé aujourd’hui au Musée de

Cluny. Les trois archanges, représentés, en compagnie de saint Benoît, autour du Christ, avec leurs noms hébreux : « Michael », « Gabriel », « Rafael », ont également, à la partie supérieure du devant de l’autel, la traduction latine de leurs noms, soit Quis sicut Hel, Fortis, Medicus. Cette traduction, donnée par saint Jérôme42 est reprise après lui par saint Grégoire le Grand dans une homélie pour le troisième dimanche après la Pentecôte43 puis par Raban Maur au IXe siècle, et encore au XIIIe siècle par le Rationale divinorum officiorum44 de Guillaume Durand, qui recopie en fait textuellement saint Grégoire. Ces interprétations, quelque peu énigmatiques si on ne dispose pas du commentaire des auteurs chrétiens à leur sujet, figurent aussi sur un crucifix du

XIIe siècle qui appartenait, au siècle dernier, à une collection privée45, et sur un reliquaire, du

33 F. DE GUILHERMY, op. cit., I, p. 361-365.

34 Marquis DE CASTELLANE, Inscriptions recueillies principalement dans le Midi de la France, p. 188 (étude parue

dans les Mém. Soc. archéol. du Midi de la France, t. II, III et IV, 1834-1835 à 1840-1841).

35 H. et P. BEAUCHET-FILLEAU, De quelques inscriptions et épitaphes poitevines, Saint-Maixent, 1894, p. 62.

36 Francis J. TSCHAN, Saint Bernward of Hildesheim. 3. Album, Notre-Dame, Indiana, 1952, fig. 261-267 («

Publications in Mediaeval Studies », XIII).

37 E. Hübner, lnscriptiones Hispaniae christianae, Berlin, 1871, n° 95, p. 27 : « Credo quod Redemptor meus vivet et in

novissimo die de terra sussitabit pelem meam et in carne mea videbo Dominum ».

38 On peut citer, dans le même ordre de pensée, cette épitaphe de l’abbaye de Lorsch : « Christe, ressuscita me

in resurrectione justorum » (F. X. KRAUS, Die christlichen lnschriften der Rheinlande, II, 1894, n° 194, p. 87-88),

ou celle d’un prêtre de Castres en 1382 : « Hic exspecto in pace resurrectionem » (CASTELLANE, op. cit., p. 191).

39 Aulnay et Fenioux en Charente-Maritime, Argenton-Château et Saint-Pompain dans les Deux-Sèvres, pour ne

citer que les scènes à inscription.

40 Julien Durand, « Monuments figurés au moyen âge d’après les textes liturgiques », dans le Bull. Mon., LIV, 1888, p.

528-532 ; E. MALE, L’art religieux du XIIe siècle en France. Etude sur les origines de l’iconographie du moyen âge,

Paris, 3e éd., 1928, p. 144. Le sermon du pseudo-Augustin se trouve dans la P.L., t. XLII, col. 1124. Le mystère d’Adam

(Ordo representationis Ade) a été édité en 1963 (Genève - Paris, 119 p.) par Paul AEBISCHER.

41 Dans la première moitié du XIIe s., un prêtre, Adalbert, répandit dans les campagnes la dévotion à sept

nouveaux archanges, en tête desquels figurent Uriel et Raguel. A la demande de saint Boniface, un synode réuni à Rome par le pape Zacharie, en 744, condamna cette pratique et rappela que les seuls archanges mentionnés par la Bible sont Michel, Gabriel et Raphaël (J.-D. MANSI, Sacrorum conciliorum nova et

amplissima collectio, XII, col. 379-380). Un capitulaire de 789 renouvela cette prescription. Uriel et Raguel

figurent, en compagnie de Raphaël, sur un moule à patènes de Gémigny, aujourd’hui conservé au Musée d’Orléans.

42 P.L., XXV, 538, commentaire sur le livre de Daniel.

43 P.L., LXXVI, 1251, S. Gregorii Magni XL homiliarum in evangelia lib. II. 44 P.L., CXII, col. 1630.

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XIIe siècle, conservé au trésor de la cathédrale de Cologne46. Une autre inscription du même

hypogée de Poitiers témoigne de la fortune de certains textes. Elle paraît tirée du Livre des

étincelles, œuvre d’un moine de Ligugé de la fin du XIIe siècle, qui attribue lui-même cette

maxime à saint Basile, c’est-à-dire au IVe siècle : « MELIVS EST IN MALEFACTIS HVMELIS

CONFESSIO QVAM IN BONIS SUPERVA GLORIACIO », « Mieux vaut une humble confession de ses méfaits qu’une superbe glorification de ses bonnes œuvres ». A défaut de rencontrer cette sentence chez saint Basile, on la trouve sous une forme approchée dans saint Augustin à propos du pharisien et du publicain et, avec la forme même de l’inscription, chez Prosper d’Aquitaine, Isidore de Séville et, plus tard, saint Bernard47. Dans les différents domaines de recherches évoqués ci-dessus, le point de départ a été, plus ou moins, rattaché à l’enquête réalisée sur les inscriptions médiévales de la région Poitou-Charentes. Pour peu qu’on élargisse le champ, c’est l’ensemble de la culture et de la sensibilité médiévales qu’il faudrait aborder à propos des inscriptions. Dans une broderie du XIIe siècle, à la cathédrale

d’Halberstadt, ce sera un rapprochement entre Charlemagne et les quatre philosophes de l’Antiquité, Platon, Socrate, Caton et Sénèque48. Dans des peintures murales de la cathédrale d’Anagni, au milieu du XIIIe siècle, on trouvera figurés les deux grands médecins de

l’Antiquité, Galien et Hippocrate49. Sur des chapiteaux bien connus de Cluny, du XIIe siècle, des textes accompagnent les tons de la musique et, dans le département de la Loire, des peintures murales du XVe siècle, accompagnées d’inscriptions, représentent un chœur d’anges

musiciens et douze instruments de l’époque50. Le réfectoire des moines de Fleury était décoré des fables d’Ésope51. Les six âges de l’homme sont sculptés au baptistère de Parme52, le plus ancien témoin d’une représentation figurée du cycle arthurien, et de surcroît en référence à un texte de ce cycle aujourd’hui perdu, illustre une des portes de la cathédrale de Modène53, et les mosaïques d’une église de Turin pourraient accompagner certaines pages du De natura rerum d’Isidore de Séville ou du De imagine mundi d’Honorius d’Autun54. On pourrait multiplier les exemples. Mais si j’ai cité quelques-unes des inscriptions les plus curieuses qui puissent être retenues, c’est surtout pour montrer la variété des textes qui, ici ou là, ont été gravés, peints, brodés. Plus ou moins originaux, nouveaux, instructifs, ces témoignages qui, grâce à la nature de leur support, généralement durable, ont franchi les siècles, sont rarement indifférents. Mais leur utilisation systématique ne sera pas possible sans réalisation d’un Corpus épigraphique. Et le temps, les hommes aussi, impitoyablement, réduisent ce matériau historique. En 1844, Didron comptait, dans l’église Notre-Dame de Châlons-sur-Marne, 526 pierres tumulaires, dont 251 entières ; en 1859, il ne trouvait pratiquement plus rien : ces dalles étaient devenues seuils de maisons, marches d’escaliers, trottoirs, moellons55.

46 F. X. KRAUS, Die christlichen Inschriften der Rheinlande, II, p. 255, n° 547.

47 S. Augustin, Enarr. in Ps. XCIII, 15 : « Ille superbus erat in bonis factis, ille humilis in malis factis » (P.L.,

XXXVII, 1203) ; S. Prosperi Aquitani sententiarum ex operibus S. Augustini delibatarum liber unus, chap. CXVIII : « Melior est in malis factis confessio quam in bonis superba gloriatio » (P.L., LI, 443) ; Testimonia

divinae scripturae et patrum, appendix XI ad S. Isidori Hispalensis opera : « Melior est enim in malis factis

humilis confessio quam in bonis superba gloriatio » (P.L., LXXXIII, 1218) ; Défensor de Ligugé, Livre

d’étincelles, éd. dom H.-M. ROCHAIS, Paris, I, 1961, p. 154 (« Sources chrétiennes », n° 77, série des textes

monastiques d’Occident, n° VII) : « Basilus dixit : Melior est enim in malis factis pura confessio, quam in bonis operibus superba gloriatio » ; Sermon de s. Bernard « de septem donis Spiritus Sancti » : « ... sicut

quidam sapiens ait : Melior est in malis factis humilis confessio quam in bonis factis superba gloriatio » (P.L., CLXXXIV, 1115).

48 J. GUIFFREY, Les tapisseries du XIIe à la fin du XVIe siècle, t. IV de L’Histoire générale des arts appliqués à l’industrie du Ve à la fin du XVIIIe siècle, Paris, s.d., p. 6, fig. 4.

49 A. GRABAR, La peinture romane du XIe au XIIIe siècle, Genève, 1958, p. 61 (« Les grands siècles de la peinture »).

50 GUILLIEN, « Peintures murales à Saint-Bonnet-le-Château (Loire) », dans Annales archéologiques, III, 1845, p.

311-314. Ces peintures ont été restaurées par les Monuments historiques en 1959.

51 Vie de Gauzlin, abbé de Fleury. Vita Gauzlini abbatis Floriacensis monasterii, éd. R.-H BAUTIER et G. LABORY,

Paris, 1969, p. 128-132 (« Sources de l’Histoire médiévale publiées par l’Institut de recherche et d’histoire des textes », 2), et R.-H. BAUTIER, « Le monastère et les églises de Fleury-sur-Loire sous les• abbatiats d’Abbon, de

Gauzlin et d’Arnaud », dans les Mém. Soc. Nat. Antiq. De France, 9e série, t. IV, 1969, p. 138-146. 52 Arthur Kingsley PORTER, Lombard Architecture, III, New Haven-Londres-Oxford, 1917, p. 143.

53 Ibid., p. 44-45. 54 Ibid., p. 445.

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Dans une petite localité charentaise - Orgedeuil -, telle dalle tumulaire d’un chevalier du

XIIIe siècle servait de montant de porte au presbytère ; le presbytère est devenu, il y a

quelques années, maison particulière ; la dalle s’est transformée en matériau pour empierrer les chemins de la commune ; quand nous sommes passés, il était trop tard...

Pour permettre l’exploitation scientifique de cette source historique encore neuve qu’est l’épigraphie, pour en préserver, autant que faire se peut, les « monuments », l’établissement d’un Corpus général des inscriptions médiévales devrait être prolongé par une publication. La publication des résultats de l’enquête Poitou-Charentes est immédiatement possible. Un copieux dossier - environ 120 pages - a été établi pour les inscriptions de Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers, multigraphié et diffusé auprès de quelques-uns des meilleurs archéologues et historiens en vue de recueillir leurs critiques, leurs suggestions. Une publication d’ensemble devrait naturellement, pour pouvoir être poursuivie avec efficacité, être plus ramassée dans son contenu : Renan a souligné à juste titre qu’une des règles « du grand art des Corpus, c’est qu’il ne faut pas y prétendre à la perfection ». Le maintien d’une équipe de recherche, son léger renforcement au point de vue personnel, permettraient de poursuivre la recension des inscriptions médiévales de la France et, simultanément, d’en publier les résultats. Encore faudrait-il qu’il y ait, une bonne fois, en France, une politique cohérente de recherche56.

56 On voudra bien considérer que ce bilan représente un étal de recherches à la date de Pâques 1972. L’équipe de

recherche associée au C.N.R.S. a été rétablie en 1973. La publication des inscriptions de la région Poitou-Charentes (C.E.S.C.M., 24, rue de la Chaîne, 86000 Poitiers) sera achevée à la fin de 1977 (3 fascicules, au total 510 pages, 170 planches). Les inscriptions du Limousin seront publiées en 1978. L’examen sur place des inscriptions de la région Aquitaine est achevé.

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