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Réflexion sur la phénoménologie moniste du traduire avec illustrations tirées de la traduction tamoule de l'Anthologie de la nouvelle québécoise actuelle

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RÉFLEXION SUR LA PHÉNOMÉNOLOGIE MONISTE DU TRADUIRE AVEC

ILLUSTRATIONS TIRÉES DE LA TRADUCTION TAMOULE DE L’ANTHOLOGIE DE LA

NOUVELLE QUÉBÉCOISE ACTUELLE

THÈSE

SHARAN KUMAR SUBRAMANIAN

DOCTORAT EN LINGUISTIQUE

PHILOSOPHIAE DOCTOR (PH. D.)

Québec, Canada

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Résumé

La traduction a une longue histoire au Tamil Nadu. C’est une tradition qui remonte au IIIe siècle

av. J.-C. Les toutes premières traductions sont des adaptations d’œuvres sanscrites, appelées transcréations, qui commencent pour de bon au VIe siècle de notre ère. La traduction d’œuvres

anglaises débute au XIXe siècle. Au XXe siècle, les œuvres russes, françaises, latino-américaines

et scandinaves sont traduites vers le tamoul. La traduction de la littérature québécoise voit le jour en 1995. Les premières traductions à paraître sont Le libraire de Gérard Bessette et Encore cinq

minutes de Françoise Loranger. En 1997 apparaît la traduction de La vie en fuite de Denis

Bélanger. En 2002, les pièces Les Belles-Sœurs de Michel Tremblay et Leçon d’anatomie de Larry Tremblay sont traduites. En 2008, La distraction de Naïm Kattan et l’Anthologie de la

nouvelle québécoise actuelle sont traduites vers le tamoul.

Dans la traduction tamoule de l’Anthologie de la nouvelle québécoise actuelle, nous constatons un nombre significatif d’omissions. Nos recherches montrent que les omissions peuvent être divisées en trois catégories, à savoir les métaphores, les descriptions d’ordre sexuel et les descriptions qui présentent des problèmes d’ordre linguistique. Dans la présente recherche, nous cherchons à découvrir les méthodes adoptées par les traducteurs indiens anciens et contemporains pour traduire les œuvres littéraires vers le tamoul, ce qui nous permettra de mieux comprendre les méthodes de traduction adoptées pour traduire vers le tamoul les nouvelles québécoises, en vue entre autres d’étudier le rôle du sens suggestif et du délice esthétique en traduction littéraire. Au moyen d’une lecture phénoménologique moniste des omissions, nous souhaitons relever l’importance de comprendre et de reproduire les huit correspondances, à savoir la corrélation, la compatibilité, la contiguïté, le rythme, les déterminants, les changements mimétiques, les émotions fugaces et le délice esthétique. La recherche devrait contribuer à mieux comprendre le rôle de l’interprétation dharmique, de l’herméneutique analogique et du principe des huit correspondances en traduction littéraire. Il convient de noter que notre objectif n’est pas de prescrire une approche globale qui s’étend à tout type de traduction, ni de décrire l’activité traduisante du point de vue de l’effet. Nous ne tenons qu’à ouvrir le débat sur l’art traductif par rapport à une nouvelle façon d’aborder la traductologie, en mettant l’accent sur ce que nous appelons la phénoménologie moniste du traduire.

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Abstract

Translation in Tamil Nadu has a hoary past. It is a tradition that dates back to the 3rd century B.C.

The very first translations into Tamil are adaptations of Sanskrit works, called transcreations that appear in the sixth century C.E. The translation of English works begins in the nineteenth century. In the twentieth century, Russian, French, Latino-American and Scandinavian works are translated into Tamil. The translation of Quebec literature gets under way in 1995. That year, Le

libraire by Gérard Bessette and Encore cinq minutes by Françoise Loranger are translated into

Tamil. In 1997, La vie en fuite by Denis Bélanger is translated into Tamil. In 2002, the plays Les

Belles-Sœurs by Michel Tremblay and Leçon d’anatomie by Larry Tremblay are translated. In

2008, La distraction by Naïm Kattan and Anthologie de la nouvelle québécoise actuelle are translated into Tamil.

Our analyses show that there are a significant number of omissions in the Tamil translation of the Anthology. The omissions fall under three categories, namely omissions of metaphors, omissions of sensual descriptions and omissions of words/phrases owing to lack of equivalents. This research seeks to discover the methods used by the ancient and contemporary Indian translators to translate literary works into Tamil. This would help us better understand the translation methods adopted to translate Quebec novels into Tamil, and the role of suggestive meaning and aesthetic relish in literary translation. Through a Monist Phenomenological reading of the omissions, we propose to stress the importance of comprehending and recreating the eight correspondences, namely the correlation, the compatibility, the contiguity, the rhythm, the determinants, the mimetic changes, the transient states of mind and the aesthetic relish. This research should contribute to a better understanding of the role of dharmic interpretation, analogical hermeneutics and the principle of eight correspondences in literary translation. It is worth noting that our goal is not to put forth a one size fits all approach that is suited for all kinds of translation, nor to describe the translation process from the point of view of aesthetic response. Our sole aim is to kick start the debate on the art of translation from the perspective of a novel approach to Translation Studies, focussing on what could be named the Monist Phenomenology of translation.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... v

Table des matières... vii

Remerciements ... xiii

Introduction ... 1

Chapitre 1 : La traduction au Tamil Nadu ... 25

1.1 La tradition de traduction au Tamil Nadu ... 25

1.2 Les grands traducteurs d’œuvres étrangères et indiennes ... 27

1.3 L’activité traduisante selon les traducteurs tamouls ... 29

1.4 L’activité traduisante selon les théoriciens tamouls de la traduction ... 40

1.5 Le rôle de la Sahitya Akademi dans le développement de l’activité traduisante ... 49

1.5.1 Les prix de traduction attribués par l’Akademi ... 51

1.5.2 Les traductions en tamoul publiées par l’Akademi... 51

1.6 Perspectives nationales – le statut professionnel du traducteur en Inde... 52

1.7 La traduction d’œuvres québécoises ... 54

Chapitre 2 : Éthique en traduction littéraire et histoire de la censure en Inde ... 57

2.1 Éthique et morale en Occident ... 57

2.1.1 Prolégomènes au Dharma, au Karma et au Moksā ... 64

2.1.2 Éthique en traduction littéraire ... 72

2.1.3 Vers l’herméneutique analogique de l’interculturalité ... 89

2.1.4 Vers une éthique dharmique du traducteur ... 116

2.2 Qu’est-ce que la censure ? ... 129

2.2.1 L’histoire de la censure en Inde ... 130

2.2.2 Les différents types de censure en Inde... 134

2.2.3 Le fondamentalisme religieux ... 136

2.2.4 Le sexe et l’obscénité en Inde ... 145

2.2.5 Le négationnisme ... 154

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Chapitre 3 : Phénoménologie moniste du traduire ... 165

3.1 Pratyabhijñā, ou doctrine de la reconnaissance ... 165

3.2 La philosophie shivaïte du langage ... 178

3.3 La métaphysique du mot et le holisme cognitif de Bhartrhari ... 182

3.4 La compréhension du sens contextuel en linguistique occidentale et en linguistique indienne ... 194

3.5 L’allusion en poétique tamoule et sanscrite ... 196

3.6 Qu’est-ce que le sens contextuel, le sens suggestif et le délice esthétique ? ... 201

3.6.1 Les différents types de sens suggestif ... 217

3.6.2 Le sens involontaire ... 218

3.6.3 Le sens volontaire ... 219

3.6.4 Qu’est-ce que le délice esthétique ?... 222

3.6.5 L’universalisation de l’expérience esthétique ... 230

3.7 Anvitābhidāna (contextualité) ou Abhihitānvayā (compositionnalité) ? ... 234

3.8 La sémantique sérielle des sens ... 243

3.9 Émotion, délice esthétique et beauté en littérature ... 257

3.10 Pertinence de la doctrine de la reconnaissance et de la théorie du sens suggestif par rapport à la traduction littéraire ... 282

Chapitre 4 : Lecture moniste de la traduction tamoule de l’Anthologie de la nouvelle québécoise actuelle ... 311

4.1 L’interprétation dharmique et l’herméneutique analogique ... 322

4.2 Contextualité ou compositionnalité ? ... 325

4.3 Le rapport entre le sens contextuel et le rythme ... 326

4.3.1 Le rythme – vu autrement ... 328

4.3.2 Le rythme, le délice et la beauté ... 336

4.4 Vers une beauté éthique ... 351

Conclusion ... 357

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ix ऊर्ध्वोर्द्वमारुह्य यदर््तत्तत्तवं ध ीः पश्यतत स्रन्ततमवेदयन्तत | फलं तदार्दयै परिकन्पपतानां वववेकसोपानपिंपिानां || अभिनविाितत, ६

La vérité, qui est perçue par l’intellect inlassable qui grimpe de plus en plus haut,

est le fruit de l’échelle de pensée érigée par les penseurs précédents *

(Abhinavabhāratī, VI) [* Notre traduction]

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À ma mère et à mon père dont le plus grand cadeau est mon corps À tous mes professeurs, et tout spécialement

à mon directeur de recherche dont le plus grand cadeau est ma conscience

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Remerciements

Je remercie vivement et chaleureusement mon directeur de recherche, Louis Jolicœur, professeur de traductologie à la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université Laval, sans qui cette thèse n’aurait pas vu le jour et qui a fait preuve d’un constant dévouement, m’encourageant sans cesse et me mettant toujours sur la bonne voie grâce à son profond savoir en traductologie fondé sur sa longue et remarquable expérience dans ce domaine. Je lui dois plus qu’il n’est possible d’exprimer ici. Mes sincères remerciements à Mmes Sarah Cummins et Zélie Guével

pour leurs précieux conseils et leurs nombreuses suggestions qui m’ont souvent aidé à me remettre sur la bonne voie. Je tiens à exprimer mes profonds remerciements à Mme. Patricia

Godbout et à M. Patrick Duffley pour leurs inestimables suggestions, critiques et commentaires sans lesquels je ne serais pas en mesure de comprendre les limites de ma réflexion.

Je veux manifester mon intense gratitude envers mes anciens professeurs Dr. Kichenamourthy, Dr. Vengouattaramane et Dr. Panneerselvame de la Pondicherry University à Puduchery, pour m’avoir encouragé à poursuivre mes études à l’étranger et pour leur indéfectible soutien. Je remercie aussi mes professeurs à la Jawaharlal Nehru University (JNU) à New Delhi de m’avoir bien enseigné les principes fondamentaux du domaine. Qu’ils sachent à quel point je leur suis reconnaissant. Il est difficile de reconnaître suffisamment la grande générosité de la professeure Dr. Valarmathi, de l’International Institute of Tamil Studies, à Chennai, qui m’a fourni tous les ouvrages sur la tradition de traduction au Tamil Nadu et qui, faisant preuve d’un grand désintéressement, a mis à ma disposition le résultat de ses recherches. Je dois absolument mes remerciements les plus profonds au docteur C. S. Radhakrishnan, professeur de sanscrit à la Pondicherry University, pour m’avoir expliqué les grandes lignes de la poétique sanscrite. Sachez qu’en l’absence de votre soutien et de votre savoir, je n’aurais pas été en mesure de réfléchir et d’écrire cette thèse. Mes remerciements vont aussi à ma tante Manju Ramachandran pour son soutien tant moral que financier et à mes collègues ainsi qu’à mes amis qui m’ont appuyé tout au long de la rédaction de la thèse. Je profite de l’occasion pour remercier du fond de mon cœur le Département de langues, linguistique et traduction et le Bureau des bourses et de l’aide financière de l’Université Laval pour le soutien financier, incontournable dans ce genre d’entreprise, qui m’a aidé à mener à bien la thèse. Enfin et surtout, les mots ne suffisent pas pour remercier mes parents pour leur encouragement et leurs bénédictions.

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Introduction

La traductologie en tant que discipline, selon Holmes1, s’intéresse au développement d’une

théorie intégrale et inclusive qui pourrait servir à expliquer et à présager tous les phénomènes qui ont trait à l’activité traduisante et à la théorie de la traduction. À cette fin, les théoriciens de la traduction puisent dans des domaines aussi divers que l’anthropologie, les sciences cognitives, la philosophie et la critique littéraire, entre autres. En conséquence, la traductologie, qui devient de plus en plus une spécialisation interdisciplinaire2, peine à intégrer théorie et pratique.

L’approche interdisciplinaire, selon nous, représente des défis importants sur deux fronts, à savoir la méthodologie et la spécialisation. Pour que les méthodes interdisciplinaires soient conformes aux attentes de la communauté qui s’en sert, les méthodologues rapprochent des disciplines qui relèvent des sciences humaines et celles qui se rapportent à des sciences naturelles dont les méthodologies ne sont pas de même nature. Les théoriciens qui abordent la traductologie du point de vue des sciences naturelles n’apprécient pas toujours l’apport des sciences humaines qui sont souvent perçues comme des spécialités qui manquent de rigueur empirique. De plus, les traductologues qui se spécialisent dans l’approche scientifique ont tendance à aborder l’art traductif par le truchement des catégories conceptuelles et des paradigmes propres à la science. Nous sommes d’avis que le manque d’herméneutique analogique tend des embûches à la quête de la correspondance entre les méthodologies qui présentent des perspectives opposées, car c’est l’uniformité que nous recherchons et non l’unité.

En ce qui a trait à la spécialisation, comme les études interdisciplinaires se trouvent en marge des sciences naturelles et des sciences humaines, il devient problématique de cerner le niveau de spécialisation requis pour intégrer les catégories conceptuelles propres à ces domaines à la traductologie. Le manque de correspondance entre les catégories conceptuelles donne naissance à des conflits, car il faut transcender les catégories « traditionnelles » pour faire concorder les points de vue courants dans le domaine connu avec ceux d’un domaine inconnu. Comme

1 J S Holmes: « The Name and Nature of Translation Studies », in Translated! : Papers on Literary Translation and Translation Studies, R. v. d. Broeck (Eds.), 1988, Amsterdam.

2 M Snell-Hornby: Translation Studies : An Interdiscipline, Edited by Mary Snell-Hornby, Franz Pöchhacker and Klaus Kaindl, Philadelphia, John Benjamins Publishing Company,1994.

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2

l’explique Casey Jones3, « the academic system is still very much structured on the concentration

of specific majors as disciplines and the integration of interdisciplinary studies have become unusual to the traditional fields of study ». Bien que le phénomène de la traduction demeure le même, les spécificités ne sont guère semblables, à titre d’exemple, entre la traduction littéraire et la traduction juridique. Du coup, la conception d’une méthode de traduction juridique nécessiterait des spécialisations dans les études juridiques plutôt que dans la littérature. Il s’avérerait délicat de trouver des aspects communs entre ces deux filières diamétralement opposées. D’ailleurs, l’intégration des points de vue non concordants entre les différents domaines remet en question la liberté accordée aux chercheurs et aux théoriciens de réconcilier deux façons dissemblables d’aborder la traductologie. Nous ne disons pas qu’il ne faut pas tenter de rapprocher des perspectives différentes. Au contraire, nous disons que, ce faisant, il faut privilégier les similarités et non les différences. À la lumière de l’approche dualiste réductionniste, ce n’est pas souvent le cas.

En ce qui concerne la conception du processus de traduction, d’un côté, il y a la pensée empiriste selon laquelle le sens est objectif et stable et, par conséquent, ne nécessite pas d’interprétation de la part du traducteur. De l’autre, il y a la pensée postmoderne selon laquelle le sens est intrinsèquement instable et a donc besoin de l’interprétation pour être compris. En ce qui concerne la méthode adoptée pour étudier le processus de traduction, selon les tenants du paradigme des sciences empiriques (Empirical Science Paradigm), qui s’inspirent des sciences naturelles, il faut mettre l’accent sur l’observation, sur la description des faits empiriques et des hypothèses vérifiables, et sur la recherche appliquée pour mieux comprendre les enjeux traductologiques.

Par contre, d’après les tenants du paradigme des sciences humaines (Liberal Arts Paradigm), on n’a pas besoin de miser sur des preuves scientifiques et sur l’inférence pour trouver des solutions à la problématique de la traduction. Alors que la première approche se fonde sur la logique, la deuxième approche donne davantage d’importance à l’intuition. Ainsi, l’approche dualiste absolutiste fait la loi dans la manière dont on aborde la traductologie en tant que discipline. D’ailleurs, le binarisme ne se limite pas à la façon dont on aborde le texte. Il s’étend également à

3 C Jones: « Interdisciplinary Approach : Advantages, Disadvantages, and the Future Benefits of Interdisciplinary Studies », in Essai, Vol. 7, Article 26, 2010, Illinois.

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3 la conceptualisation du rapport entre le Soi et l’Autre. La pensée duelle n’aide pas le lecteur-traducteur à trouver le rapport qui unit le Soi du lecteur-traducteur et celui de l’Autre, en l’occurrence de l’auteur, car le Soi de l’Autre est radicalement autre. En ce qui a trait à la conception du sens et de l’effet, selon les tenants de l’approche linguistique, il faut essayer de reproduire les mots qui ont un sens équivalent dans la langue d’arrivée. En revanche, selon les tenants de l’approche fonctionnaliste, l’équivalence ne dépend pas des conventions linguistiques, mais bien des conventions culturelles. Par conséquent, le sens contextuel s’appuie plutôt sur le contexte culturel du lecteur-traducteur. Il convient de noter que la notion d’équivalence repose sur la conceptualisation dualiste du signe linguistique, ce qui fait penser la traductologie en termes de langue de départ et de langue d’arrivée, d’approche sourcière et d’approche cibliste, de langue et de discours, et de dénotation et de connotation.

À la lumière de ces observations, une question se pose : faut-il connaître les grandes lignes de toutes ces approches à tendance scientifique pour pouvoir traduire, ou la traduction est-elle purement un art qu’on apprend sur le tas? Selon bien des praticiens, la théorie de la traduction n’aide pas vraiment à comprendre les enjeux, car les théories, en général, baignent dans l’abstraction et, de ce fait, ne sont guère adaptées aux besoins du marché. Dans la plupart des cas, les théoriciens misent sur la pratique pour étayer leurs hypothèses, la pratique alimentant ainsi la théorie. Anthony Pym résume bien l’importance de la théorie ainsi : « Instructors and trainers sometimes assume that a translator who knows about different theories will work better than one who knows nothing about them. As far as we know, there is no empirical evidence for that claim, and there are good reasons to doubt its validity4. » (Pym, 2010, p. 4)

Le prétendu écart entre la théorie et la pratique provient du fait que la plupart des praticiens se concentrent sur la traduction non littéraire, tandis que les théoriciens de la traduction se fondent sur la traduction littéraire pour comprendre la problématique de la traduction sous toutes ses facettes. Le traducteur juridique, à titre d’exemple, est contraint de s’appuyer sur les spécificités de son domaine, car il estime que les théories de la traduction, de par l’accent mis sur des théories littéraires, ne sont pas suffisamment adaptées à la pratique. Par-dessus le marché, le client pense que le travail du traducteur est quelque chose d’arbitraire qui ne requiert aucune spécialisation, car, à peu de chose près, ce n’est qu’un processus de transfert de codes

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linguistiques dont n’importe quelle personne bilingue sera capable. La différenciation radicale opérée entre le Soi et l’Autre, entre la langue et le discours, et entre l’équivalence et l’effet, accompagnée du manque de consensus entre les théoriciens et les praticiens à l’égard de l’apport de la théorie à la pratique font que la traductologie demeure encore dans son ghetto idéologique, et que le travail du traducteur est toujours vu comme une activité et non comme une profession de plein droit. Nous estimons qu’il faut se tourner vers des méthodes non réductionnistes pour mieux comprendre le rapport entre le signe, le référent et le sens, entre le sens et l’effet, entre l’identité et l’altérité, entre la théorie et la pratique, et entre le Weltanschauung du traducteur et celui de l’Autre.

Problématique

L’Anthologie de la nouvelle québécoise actuelle, recueillie par Gilles Pellerin et publiée en 2003

aux éditions de L’instant même, a été traduite et publiée en tamoul en 2008, aux éditions Samhita Publications, à Chennai. Dans la traduction des nouvelles choisies, nous constatons un nombre significatif d’omissions. À partir de nos analyses, nous pouvons dire que la plupart se divisent en trois catégories : les omissions de figures de style, les omissions descriptives d’ordre linguistique et les omissions de contenu sexuel. En premier lieu, nous cherchons à comprendre dans quelle mesure l’interprétation dharmique influe sur l’acceptabilité du texte littéraire. En deuxième lieu, nous voulons savoir dans quelle mesure le sens contextuel, le rythme des sens et le délice esthétique influencent les décisions éthiques. En dernier lieu, nous tenons à analyser dans quelle mesure les omissions nuisent à la beauté de la traduction.

Hypothèse

Nous postulons que pour mieux comprendre et réexprimer la beauté qui joue un rôle primordial dans tout texte littéraire et qui doit être reproduite dans toute bonne traduction, il faut comprendre et reproduire non seulement les sens dénotatif et indicatif, mais aussi le sens suggestif, car comme l’affirment Anandavardana et Abhinavagupta, c’est le délice esthétique issu des sens dénotatif, syntaxique, indicatif et suggestif qui contribue à la beauté du texte et de la traduction.

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5 Objectifs

La traduction a une longue histoire au Tamil Nadu. C’est une tradition qui remonte au IIIe siècle

av. J.-C. Dans la présente recherche, nous chercherons à découvrir les méthodes adoptées par les traducteurs indiens anciens et contemporains pour traduire les œuvres littéraires vers le tamoul, ce qui nous permettra de mieux comprendre les méthodes de traduction adoptées pour traduire vers le tamoul les nouvelles québécoises du recueil intitulé Anthologie de la nouvelle québécoise

actuelle, en vue entre autres d’étudier le rôle du sens suggestif et du délice esthétique en

traduction littéraire. Compte tenu du fait qu’il y a un nombre significatif d’omissions dans la traduction tamoule de cette anthologie, nous tenons à faire une lecture phénoménologique moniste des omissions et une étude de l’importance de comprendre et de reproduire le sens suggestif et le délice esthétique qui en résulte. La recherche devrait contribuer à mieux saisir et à apprécier le rôle de l’interprétation dharmique, de l’herméneutique analogique, et du principe des huit correspondances dans la compréhension et dans la restitution du continu de l’expérience esthétique en traduction littéraire. Il convient de noter que notre objectif n’est pas de prescrire une approche globale qui s’étend à tout type de traduction, ni de décrire l’activité traduisante du point de vue de l’effet. Nous ne tenons qu’à ouvrir le débat sur l’art traductif par rapport à la phénoménologie moniste du traduire.

Corpus

Nous travaillerons à partir de l’Anthologie de la nouvelle québécoise actuelle, recueillie par Gilles Pellerin et parue aux éditions de L’instant même en 2003, et de la traduction tamoule intitulée கெகெக் சிறுெதைெள் (Les nouvelles québécoises), parue à Samhita Publications en 2008.

Nous avons choisi la traduction de cette anthologie parce qu’elle représente la littérature québécoise dans toute sa diversité. Le lecteur tamoul pourra mieux apprécier les caractéristiques qui distinguent la littérature québécoise de la littérature française à laquelle il est habitué. En outre, certaines nouvelles telles que Oui or No, La maîtresse de mon père sont porteuses de sens politique et suggestif. Pour le lecteur moyen tamoul qui ne connaît pas les rapports entre le Québec et le Canada, et les thèmes qui intéressent les Québécois, la traduction de cette anthologie sera l’occasion de se sensibiliser sur ces aspects. C’est pour cette raison que nous avons voulu nous concentrer sur la traduction de cette anthologie. Cela nous a permis de

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comprendre comment les traducteurs présentent cette société géographiquement et culturellement éloignée de la leur, voire, sur certains fronts, diamétralement opposée.

Bien que l’ouvrage porte le nom « Anthologie » en français, nous observons que toutes les nouvelles qui font partie de l’original ne sont pas traduites. Nous supposons que les traducteurs ont décidé d’exclure les autres nouvelles, car, du point de vue du contexte existentiel des traducteurs, il se peut que ce recueil de huit nouvelles fasse mieux ressentir une résonance interculturelle profonde entre la tradition littéraire québécoise et sa contrepartie indienne. Les huit nouvelles traduites sont les suivantes :

1. Les yeux du diable de Gilles Pellerin 2. Nadette et autres noms de Louis Jolicœur 3. Oui or No de Monique Proulx

4. Baptiste de Sylvie Massicotte 5. L’apparition de Roland Bourneuf

6. La maîtresse de mon père de Jean Pierre Girard 7. Le ramasseur de souffle de Hugues Corriveau 8. Son dernier amant de Hans-Jürgen Greif

Nous constatons, comme mentionné précédemment, un nombre significatif d’omissions. Une enquête à la loupe révèle que la plupart des omissions sont des descriptions métaphoriques, des descriptions d’ordre sexuel et des descriptions qui présentent des problèmes d’ordre linguistique. C’est-à-dire des descriptions qui verbalisent difficilement à cause d’un prétendu manque d’équivalent en tamoul.

Pour mieux expliquer les omissions et les répercussions sur la beauté de la traduction, nous nous servons de l’œuvre fondamentale d’Anandavardana intitulée Dhvanyaloka, et de l’œuvre d’Abhinavagupta intitulée Locana, traduites en anglais par Masson, Ingalls et Patwardhan, parues aux éditions Harvard Oriental Series en 1990. Nous allons également nous servir d’autres ouvrages qui portent sur la linguistique et l’esthétique indiennes pour mieux étayer les propos de ces deux penseurs et pour faire des analyses comparatives entre les méthodes indiennes et occidentales. Tout au long, nous nous servons d’exemples tirés de l’Anthologie de la nouvelle

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7 Description des chapitres

La thèse se divise en quatre chapitres. Le premier chapitre intitulé La traduction au Tamil Nadu se divise en sept parties. Dans la première partie, nommée La tradition de traduction au Tamil

Nadu, nous traçons l’histoire de la traduction au Tamil Nadu. Le grammairien Tolkāppiyare, le

premier à codifier la grammaire tamoule, parle de l’importance de distinguer l’œuvre originale de la traduction dans son œuvre fondamentale, la Tolkāppiyame, qui date du IIIe siècle av. J.-C.

Dans cette œuvre, qui porte entre autres sur la grammaire tamoule, Tolkāppiyare parle des avantages et des inconvénients des emprunts dans la traduction. Pour y remédier, il préconise la technique de la transcréation qui consiste à adapter l’œuvre selon le goût des lecteurs et à vernaculariser les mots étrangers. Tout au long des premiers siècles de notre ère, plusieurs œuvres sanscrites sont adaptées en tamoul. Ainsi, la traduction sert de passerelle entre les traditions littéraires sanscrites et tamoules. L’activité traduisante ne cesse de croître au Moyen Âge. Une des plus grandes transcréations est le Râmâvatârame, une adaptation du Râmâyanâ, faite au XIIe siècle par Kambā. Au cours de l’époque moderne commence la traduction d’œuvres

composées dans les langues indiennes et d’œuvres littéraires anglaises, russes et françaises. Au XXe siècle, plusieurs œuvres du monde latino-américain et polonais entre autres sont traduites

vers le tamoul. Ainsi, la tradition de traduction au Tamil Nadu recouvre une période de plus de deux mille trois cents ans.

Dans la deuxième partie, nommée Les grands traducteurs d’œuvres étrangères et indiennes, nous nous concentrons sur les plus grandes traductions faites au XXe siècle. Les grands

traducteurs de cette époque sont entre autres Swaminatha Sharma, S. Virouthachalame et K. N. Subramaniam, qui traduisent les œuvres étrangères vers le tamoul. Il convient de noter que les traducteurs se servent des traductions anglaises d’œuvres composées en grec et en d’autres langues européennes et que le plus grand nombre d’œuvres traduites vers le tamoul sont des œuvres anglaises et russes. Quant à la traduction d’œuvres écrites dans des langues indiennes, R. Veezhinathan, Saraswathi Ramnath et M. K. Jagannatha Raja sont entre autres les traducteurs les plus connus. En ce qui concerne la traduction d’œuvres indiennes, le plus grand nombre d’œuvres traduites sont des œuvres bengalies.

Dans la troisième partie, appelée L’activité traduisante selon les traducteurs tamouls, nous abordons l’activité traduisante telle que conçue par les traducteurs tamouls. Cette partie se divise

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en deux sections. Dans la première section, nous parlons des choix qui motivent l’utilisation des différents procédés de traduction tels que la transcréation, l’adaptation, l’abrègement, la traduction idiomatique et la traduction littérale pour traduire les œuvres vers le tamoul. Dans la deuxième section, nous parlons de l’activité traduisante comme la conçoivent les traducteurs indiens du XXe siècle.

Dans la quatrième partie, intitulée L’activité traduisante selon les théoriciens tamouls de la

traduction, nous nous concentrons sur l’activité traduisante telle que conçue par les théoriciens

de la traduction. Cette partie porte entre autres sur ce que les théoriciens pensent des choix traductifs des grands traducteurs du XXe siècle, le sort du traducteur littéraire au Tamil Nadu, et

ce que les autorités gouvernementales, les organismes publics et privés, les universitaires et le grand public pensent des traducteurs et de la traduction en tant que profession.

Dans la cinquième partie, appelée Le rôle de la Sahitya Akademi dans le développement de

l’activité traduisante, nous faisons une étude du rôle de la Sahitya Akademi dans la promotion de

la traduction. Dans un premier temps, l’organisation, créée le 12 mars 1954 à New Delhi, avait pour objectifs la promotion des accords entre les associations culturelles et les universités, et l’encouragement de la création littéraire dans les langues indiennes. Au cours des années, l’Akademi se concentre sur l’identification et la reconnaissance de la littérature de renom, ouvrant la voie à l’épanouissement de la littérature indienne. Hormis la promotion de la littérature, l’organisation s’efforce d’inculquer la conscience littéraire aux Indiens. Il convient de noter que la Sahitya Akademi est la plus grande maison d’édition dans le monde qui publie des œuvres dans 24 langues indiennes.

Dans la sixième partie, intitulée Perspectives nationales – le statut professionnel du traducteur

en Inde, nous décrivons les problèmes auxquels le traducteur fait face pour réussir dans son

travail qui est toujours vu comme une activité et non comme une profession de plein droit. Bien que la mondialisation contribue à l’interaction entre les Indiens et à la diffusion de l’information, elle tend des embûches surtout aux niveaux professionnel et éthique, car les compagnies externalisées (BPO), qui ont leur siège social à l’étranger, se soucient peu de la rémunération juste et des codes d’éthiques des traducteurs. Il y a aussi des problèmes sur le plan culturel. Le traducteur peine à se distinguer de ses compatriotes majoritairement polyglottes. Comme il existe des gens bilingues partout au pays, la personne qui sollicite le service du traducteur a

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9 tendance à assimiler les coûts de transaction d’un traducteur professionnel à ceux accordés à son ami polyglotte. Ce qui fait que le traducteur est souvent à court de ressources, mal payé, mal perçu par le public, qui ne comprend pas la nature de son activité professionnelle, et par les propriétaires, qui doutent de la capacité du traducteur à acquitter à terme le loyer.

Dans la septième partie, appelée La traduction d’œuvres québécoises, nous traçons l’histoire de la traduction d’œuvres québécoises vers le tamoul. Nous parlons des problèmes de la traduction de la littérature québécoise qui se différencie nettement de la littérature française à laquelle les traducteurs indiens sont habitués.

Le deuxième chapitre, intitulé Éthique en traduction littéraire et histoire de la censure en Inde, se divise en deux sections. Dans la première section, qui se divise en quatre parties, nous faisons une étude comparative qui porte sur la pensée éthique occidentale et le dharma. Dans la deuxième section, qui se divise en cinq parties, nous examinons de près la pratique de la censure en traduction littéraire en Occident et en Inde.

Dans la première partie de la première section, nommée Éthique et morale en Occident, nous nous concentrons sur la conceptualisation de l’éthique en Occident et en Inde. Nous faisons une étude des différentes approches éthiques que prônent des penseurs aussi divers qu’Emmanuel Kant, J. S. Mill, Lawrence Kohlberg, Richard Shweder, Bertrand Russell et Paul Ricœur. Nous montrons ensuite en quoi l’approche dharmique se distingue de l’éthique occidentale. Le système dharmique met l’accent à la fois sur l’agent et l’action, car les éthiciens hindous sont d’avis qu’une bonne action doit être l’ouvrage d’un agent responsable, dont la responsabilité n’est pas d’ordre personnel, mais bien cosmique. En outre, à la différence du système déontologique qui régit le code d’éthique de la plupart des professionnels y compris celui des traducteurs, l’éthique dharmique se fonde sur le contexte existentiel de l’agent et non exclusivement sur le devoir et l’utilité de l’action. C’est-à-dire que la décision éthique du point de vue dharmique comprend non seulement le devoir et l’utilité de l’action, mais aussi la pertinence de ces deux derniers par rapport au contexte existentiel. Selon cette perspective, le bon et le mauvais ont des valeurs relatives selon le contexte existentiel de l’agent, car une décision éthique qui se fonde uniquement sur le bon et le mauvais gravés dans le marbre ne mène

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qu’à des conflits irréconciliables5. Ainsi, en ce qui a trait à des décisions éthiques qui nécessitent

de prendre en considération l’universel et le contextuel, contrairement à la déontologie qui oppose l’universel au contextuel, l’éthique dharmique prône que le contextuel est contenu dans l’universel.

Dans la deuxième partie, appelée Éthique en traduction littéraire, nous faisons un bref survol de ce que disent les théoriciens occidentaux de la traduction tels que Berman, Pym, Chesterman, Meschonnic et Laygues à propos de l’éthique en traduction littéraire. Alors que Berman et Laygues soutiennent l’éthique de la vertu, Pym prône la déontologie. Chesterman préconise une éthique fondée sur l’éthique de la vertu et sur le conséquentialisme. Meschonnic, de par son accent sur l’éthique du rythme, se trouve, selon nous, en deçà du conséquentialisme. Ainsi, selon Berman, l’étranger, de par son étrangeté, offre du plaisir au traducteur et à ses lecteurs, ce que le traducteur doit s’efforcer de conserver dans la traduction. Partant, il revient au traducteur d’être une personne vertueuse afin de ne pas annexer l’Autre et sa façon de penser. La différence, chez Berman, aussi radicale soit-elle, est ce qui aide à entamer le dialogue entre deux cultures dans le vrai esprit intersubjectif.

D’après Pym, l’éthique en traduction commence par la responsabilité inconditionnelle du traducteur. Les principes fondamentaux de l’éthique interculturelle doivent se fonder sur la responsabilité, car c’est elle qui aide le traducteur à intervenir dans le texte afin de saisir l’intersubjectivité. Par conséquent, le traducteur a le devoir et la responsabilité de favoriser la coopération – le signe caractéristique de l’intersubjectivité.

Selon Chesterman, la norme, qui joue un rôle important dans la prise de décision éthique, doit être étudiée du point de vue de la valeur. Par conséquent, ce sont les valeurs qui définissent les normes d’attente, de relation, de communication, et de responsabilité. Les quatre valeurs, notamment la clarté, la vérité, la fiabilité et la compréhension doivent fournir le code d’éthique qui sera applicable à l’éthique du traduire. L’approche déontique, comme la conçoit Chesterman, suggère qu’on peut concevoir la traduction non seulement comme une action productive, mais

5 Cela ne veut pas dire que les principes catégoriques ne sont pas utiles pour prendre des décisions éthiques. Bien au contraire, nous disons que lorsqu’il y a un dilemme moral qui surgit de l’opposition entre deux impératifs catégoriques, l’agent doit avoir la liberté de se fonder sur le contexte existentiel pour faire un choix éthique raisonné. Nous verrons que la décision dharmique privilégie l’universel et le relatif. Mais à la différence de la déontologie et du conséquentialisme, l’approche dharmique stipule que c’est le contexte existentiel et non le devoir ni l’utilité qui aide l’agent à prendre une bonne décision (v. pp. 13, 65, 101, 106, 116, 122, 123, 126, 348, 358).

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11 aussi comme une action préventive. Quel que soit le cadre éthique, il faut constamment penser aux valeurs qui servent de guide aux normes, car les traducteurs sont des agents de changement. D’après Meschonnic, il faut concevoir l’éthique du point de vue du continu du rythme et non du point de vue du discontinu du signe, car le signe fait penser à l’éthique en termes binaires, ce qui contraint l’agent d’opposer la langue au discours et le signifiant au signifié. Or, il faut se tourner vers le continu du rythme, car c’est lui qui aide à communiquer le faire des mots. Cet accent mis sur le faire qui, selon nous, se rapporte à l’action nous fait conclure que l’approche que prône Meschonnic s’inscrit plutôt dans le conséquentialisme.

Selon Laygues, le traducteur n’est pas un simple agent qui répond aux impératifs catégoriques. Il est le déclencheur du processus éthique. Le texte, étant le visage de l’Autre, contient les pensées de l’Autre. Comme le traducteur est l’agent qui manipule la parole de l’Autre, il faut lui accorder plus de responsabilité et, par conséquent, plus de liberté. Laygues veut que le traducteur, qui est censé être une personne vertueuse et responsable, serve de semeur d’éthique non seulement aux lecteurs, les consommateurs de la traduction, mais aussi aux éditeurs, les commanditaires du service de traduction, ce qui le rapproche de la méta-éthique et de la déontologie.

Dans la troisième partie, intitulée Vers l’herméneutique analogique de l’interculturalité, nous parlons de l’importance de repenser la façon dont on aborde l’Autre, car, selon nous, le rapport entre le traducteur et l’auteur, l’Autre, est au cœur même de tout postulat éthique. Nous nous fondons sur la pensée de Ram Adhar Mall, ancien professeur de philosophie à l’Université Louis-et-Maximilien de Munich, pour proposer une nouvelle façon d’aborder le texte et le message de l’Autre, appelée herméneutique analogique. Cette approche met l’accent sur la nécessité d’aborder l’Autre non seulement du point de vue du lecteur-traducteur, mais aussi du point de vue de l’auteur et de sa culture. Cette façon de procéder à l’étude de l’Autre aidera le traducteur à éviter l’identification totale et la différenciation radicale. Nous pensons que ni l’universalisme ni le relativisme ne peuvent apporter des solutions aux problèmes éthiques d’ordre contextuel, car la tolérance de l’Autre et de ses traditions culturelles ne mène qu’à la violence et à l’angoisse. S’il faut comprendre l’altérité dans le vrai esprit interculturel, il faut non seulement étudier l’Autre du point de vue de la culture de la personne qui tente de l’étudier, mais aussi se voir comme l’objet de l’étude du point de vue de l’Autre. Le respect pour l’Autre et pour la vérité dans sa tradition aidera le traducteur à trouver la voie médiane entre l’exotisation et la

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vernacularisation de la pensée de l’Autre. Il convient de noter que l’herméneutique analogique fait partie intégrante de l’interprétation dharmique du texte.

Pour mieux comprendre et démontrer comment la logique dharmique diffère de la logique binaire occidentale6 et comment le binarisme provoque le nivellement de l’altérité, nous nous

appuyons sur la pensée de Rajiv Malhotra selon laquelle l’individu sédimenté dans des cultures monothéistes, habitué à la tradition binaire de mettre en valeur les différences en faisant la différence radicale entre la vérité spirituelle et la vérité scientifique, entre le sujet et l’objet, entre l’esprit et le corps, entre le sacré et le profane, a souvent tendance à ne pas prendre en considération sa capacité à être à la fois sujet et objet, à ressentir l’identité et l’altérité, à aborder l’esprit en fonction de l’unité corporelle et à ne pas se concevoir soi-même comme faisant partie du cosmos, en raison de ses convictions anthropocentriques. D’après Malhotra, les aspects qui différencient le système dharmique du système non dharmique sont entre autres la conception de l’unité, le rapport entre la partie et le tout.

Le système dharmique postule qu’il n’existe que le tout et que les parties ont une existence relative par rapport au tout. Pour mieux l’illustrer, l’exemple classique dont on se sert est celui du sourire qui se manifeste sur le visage. Le sourire n’a pas d’existence en l’absence du visage. Celui-ci dépend du visage pour dévoiler sa présence. Toutefois, la face existe indépendamment du sourire. Le rapport entre les différentes entités qui font partie du cosmos est semblable au rapport entre le sourire et le visage. C’est un rapport unidirectionnel qui va des parties vers le tout. Tout comme le sourire qui n’est qu’une manifestation du visage, tout ce qui se manifeste n’est qu’une représentation de la réalité ultime. Cette façon d’aborder le rapport entre le traducteur et l’Autre aboutit à l’unité intégrale, car le traducteur ne tolère pas les différences de

6 On pourrait se demander si l’on peut réduire la logique occidentale au binarisme. Bien qu’il existe plusieurs types de logique, la traductologie, qui se fonde en majeure partie sur le structuralisme et sur le poststructuralisme, propose que c’est le binarisme qui fait école si bien que l’Autre est toujours compris à travers le prisme du Soi. Sa façon de voir la réalité est toujours vue comme opposée à la façon privilégiée du Soi. L’identité du Soi s’oppose ainsi à l’identité de l’Autre. En effet, cette différence radicale est l’essence même de l’identité. Ces catégories réductrices servent à renforcer l’idée selon laquelle soit il faut comprendre l’Autre comme étant radicalement autre, soit il faut subsumer l’Autre dans des catégories logiques préétablies. Ainsi, « the binary logic of imperialism is a development of a tendency of Western thought in general to see the world in terms of binary oppostions that establish a relation of dominance. A simple distinction between center/margin; colonizer/colonized; metropolis/empire; civilized/primitive represents the violent hierarchy in which it actively perpetuates. […] In fact, […] the one depends on the other in a much more complex way than this simplistic binary structure suggests, with the ‘civilizing mission’ of the former categories acting as the cloak for the naked exploitation of those consigned to their binary opposites and the former category all too often acting to conceal and justify the latter ». (Ashcroft et al., 2000, p. 20)

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13 l’Autre, mais montre son respect pour l’Autre et pour ses pratiques culturelles. Selon cette perspective, lorsque le lecteur-traducteur respecte l’Autre et sa revendication à la vérité, le conflit et l’angoisse qui découlent de la différence et de la tolérance perdent leur importance. Dans la quatrième partie, nommée Vers une éthique dharmique du traducteur, nous mettons en exergue l’éthique dharmique du traducteur selon laquelle le purva-paksha, dont l’équivalent libre serait l’argument à première vue (Prima facie argument), aidera le traducteur à se mettre à la place de l’Autre et à percevoir comment et en quoi la compréhension du traducteur de la vérité unique diffère de celle de l’auteur. Cette façon de procéder à la compréhension de l’Autre aide le traducteur à ne pas aborder la réalité différenciée uniquement de son point de vue. Le

sapeksha-dharma, aussi appelé le respect mutuel, se réalise lorsque le traducteur accorde de la crédibilité

et le bénéfice du doute à la revendication de vérité de l’Autre. Il respecte, accepte, apprécie et comprend la projection de la réalité décrite dans l’ouvrage comme étant tout aussi vraie que sa façon culturelle d’aborder la même réalité. Ceci deviendra possible dans la mesure où le traducteur trouve le bon centre d’orientation herméneutique. Par conséquent, l’interprétation

dharmique du texte dépendra en grande mesure du contexte existentiel du traducteur. C’est pour

la même raison que les impératifs catégoriques qui s’appuient sur le devoir et sur l’utilité n’aideront pas à la mise en application des lois éthiques universelles qui serviront de guide à l’évaluation de l’acceptabilité du texte.

La deuxième section, appelée Qu’est-ce que la censure ?, qui porte sur la censure en littérature, se divise en cinq parties. Nous disons que la censure entre en jeu lorsqu’il y a une incompatibilité entre les normes et le sens sentimental associé aux croyances. La censure peut être appliquée lorsque l’expression verbale ou écrite risque de porter atteinte aux codes vestimentaires, aux croyances religieuses et linguistiques, à la sécurité nationale et à l’expression sexuelle, entre autres. Dans certaines circonstances où la censure est imposée par les autorités constituées, le silence est parrainé par l’État. Dans d’autres où les normes ne sont pas clairement énoncées, il y a autocensure anticipée.

Dans la première partie, intitulée L’histoire de la censure en Inde, nous abordons la nature de la censure en Inde. Bien qu’il n’existe pas d’instance centralisée telle que l’Église catholique ou l’ouléma qui veille sur la liberté d’expression, l’État peut intervenir pour protéger les intérêts de la communauté. La censure des livres s’étend aux affaires qui touchent à l’obscénité, qui nuisent

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aux sentiments religieux, qui remettent en question la souveraineté de l’État, qui concernent le journalisme préjudiciable et qui abordent les relations internationales.

Dans la deuxième partie, nommée Les différents types de censure en Inde, nous décrivons les trois principaux types de censure qui existent en Inde. Dans le premier type de censure, l’État censure l’œuvre d’art qui contrevient aux sentiments culturels et communautaires. Dans le deuxième type de censure, l’État met en vigueur la censure pour s’assurer que la presse et la communauté littéraire projettent une image favorable aux intérêts politiques des pouvoirs constitutifs. Dans le troisième type de censure, l’État intervient pour protéger les intérêts des minorités religieuses. Le fondamentalisme religieux et l’obscénité se trouvent dans la première catégorie. Les ouvrages qui remettent en question les frontières du pays, le rapport entre l’Inde et le Pakistan, l’identité et la vie privée de Jawaharlal Nehru, de Mahatma Gandhi et de Mohammed Ali Jinnah, l’état d’urgence dans les années soixante-dix, le rapport entre l’Inde et la Chine, le rapport entre le régime soviétique et l’Inde, la question du Cachemire, entre autres, se trouvent dans la deuxième catégorie. Dans la troisième catégorie se trouvent la politique d’enseignement et de généralisation de l’histoire de l’Inde, les conversions religieuses forcées, les conflits intercommunautaires, surtout entre les musulmans et les hindous depuis le septième siècle.

Dans la troisième partie, appelée Le fondamentalisme religieux, nous mettons en évidence les raisons pour lesquelles certaines œuvres portant préjudice à l’harmonie communautaire furent caviardées. Le Râmâyanâ de Valmiki est un classique parmi les épopées hindoues. Ce chef-d’œuvre sanscrit en versets fait partie intégrante du patrimoine du pays et représente l’élément constitutif de l’imagination collective culturelle dharmique. Mais, au vingtième siècle, cette œuvre fait l’objet de disputes qui sont souvent le résultat d’une déconstruction peu légitime, ce qui fait que l’œuvre est souvent lue à des fins politiques et non spirituelles. La politisation des croyances religieuses ne se limite pas aux mythes de la majorité hindoue. En 2006, le ministre de l’éducation de l’État de Nagaland, Imkong. L. Imchen, de la région reconnue comme la pépinière des baptistes au nord-est du pays, demande le bannissement du film The Da Vinci Code, arguant que le film porte atteinte aux sentiments religieux des chrétiens qui représentent près de 6% de la population indienne. Mais l’ouvrage qui fait de l’esclandre à l’échelle mondiale, même de nos jours, est l’œuvre maîtresse de Salman Rushdie, à savoir Les Versets sataniques. La créativité artistique est bafouée dans un pays dit « libre » le 5 octobre 1988 quand l’Inde, le premier pays

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15 non musulman à caviarder le livre, décide de proscrire l’ouvrage, avant même les pays musulmans. Nous disons que les fondamentalistes, de par la censure, ne visent que le pouvoir, coûte que coûte, car ils savent que leur existence est menacée si la vérité finit par se savoir. La quatrième partie, intitulée Le sexe et l’obscénité, porte sur la censure relative à la représentation du sexe et de l’obscénité. Le totalitarisme ne se cantonne pas aux affaires de la religion. Le contrôle de la pensée s’étend aussi bien à tout ce qui va à l’encontre de la décence et de la moralité. Au pays du Kâmasûtra, la sexualité, à l’ère védique, était un aspect vital qui faisait l’objet d’une étude légitime. De nos jours, on ne peut pas avoir un discours ouvert à ce propos en grande partie à cause des valeurs morales étrangères importées du Moyen-Orient et de l’Europe.

Dans la vision dharmique, l’assouvissement du kâma, ou les plaisirs sensuels, demeure un des quatre principaux objectifs de l’existence humaine, les trois autres étant le dharma, ou la vie éthique, l’artha, ou l’accumulation de la richesse, et le moksā. Au treizième siècle, les Turcs envahissent la tradition dharmique. Les musulmans qui découvrent la civilisation hindoue sont abasourdis par le niveau d’avancement scientifique et moral et outrés par la liberté sexuelle des hindoues. Le calvaire de la tradition hindoue ne semble pas tirer à sa fin même après la dissolution de l’empire islamique. La destruction intellectuelle commence à partir de l’arrivée des missionnaires portugais, italiens, allemands et, enfin et surtout, anglais.

Les Indologues de l’époque, tels que Hegel et Max Müller ne pouvaient pas accepter que les Hindous bruns aient été en avance sur les plans spirituel, moral, intellectuel, économique, philosophique et littéraire par rapport aux Européens blancs. La mise en application des valeurs éthiques non dharmiques fait aborder le sexe en tant que fruit défendu et en tant qu’acte honteux et avilissant, et cela demeure vrai théoriquement même de nos jours. Les hindous laïcs formés dans des traditions non dharmiques ont honte de leurs ancêtres immoraux. Ainsi, selon ces individus, seules la moralité, la chasteté, la modestie peuvent les aider à mener une vie juste. Par conséquent, toute représentation, tout débat portant sur la sexualité est interdit.

Dans la cinquième partie, appelée Le négationnisme, nous parlons de la censure qui prend la forme du négationnisme de l’histoire. La censure intellectuelle, telle que nous la concevons, vise à nier, au nom de la laïcité, les événements historiques pour ne pas offenser les minorités ethniques, religieuses et linguistiques. Du point de vue occidental, le négationnisme fait

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essentiellement référence à la négation de la Shoah. En Inde, le négationnisme prend la forme de la dissimulation de l’histoire de la persécution des hindous pendant l’invasion musulmane qui commence par l’invasion turque et dure tout au long de l’empire moghol.

Toute étude portant sur l’invasion musulmane et les inquisitions est interdite. Comme les musulmans sont la plus grande minorité d’Inde, l’intelligentsia hindoue à tendance marxiste tente de bannir toute étude qui porte sur l’histoire des invasions musulmanes. Par conséquent, la plupart des historiens, politiciens et journalistes nient tout conflit entre les hindous et les musulmans, en majeure partie par ignorance du sujet. La censure prend la forme d’une réécriture de l’histoire en présentant une version blanchie qui représente l’amitié inventée entre les hindous et les envahisseurs musulmans. La conséquence directe de l’orientation négationniste du gouvernement de l’Inde vis-à-vis de la politique religieuse est la volonté de passer au caviar des livres qui portent un regard critique sur l’Islam, sur l’ordre d’un imam ou d’un homme politique musulman.

Le troisième chapitre, intitulé Phénoménologie moniste du traduire, se compose de dix parties. Dans la première partie intitulée Pratyabhijñā, ou la doctrine de la reconnaissance, nous définissons la nature du Soi et de la conscience en nous inspirant de la philosophie shivaïte, appelée Pratyabhijñā. Selon les tenants de cette école, l’individu, appelé Shiva, est de nature divine. Mais il oublie sa vraie nature et s’identifie au mécanisme psychophysique, ce qui donne naissance à la dualité et, par conséquent, à la confusion. Les enseignements de la Pratyabhijñā visent à aider l’individu à reconnaître sa vraie nature et à lui montrer la vérité, c’est-à-dire qu’il est nul autre que Shiva lui-même. En conséquence, la reconnaissance consiste à prendre conscience de l’objet à titre de telle ou telle chose en se servant de la langue et des conventions sémantiques stockées dans la mémoire, et à unir ce qui est apparu dans le passé avec ce qui se manifeste dans le présent. C’est une cognition qui se réfère à un objet qui est perceptible. L’individu atteint l’objet en unifiant ses expériences vécues. Pour que l’individu comprenne et unifie les vécus actuels et passés, il faut que la conscience ait comme siège le Soi qui, en tant que véhicule, aide à la reconnaissance de soi-même en jetant de la lumière sur l’objet, et en prenant conscience de l’affect de la lumière que dégage l’objet. C’est la capacité de jeter de la lumière et de ressentir la lumière dégagée par l’objet qui transforme l’être ordinaire en un être sensible et qui le différencie de l’objet. Même s’il faut détruire toutes les impressions et les expériences, le Soi restera immuable. Ainsi, il faut accepter la nature permanente et indestructible du Soi.

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17 Dans la deuxième partie, nommée La philosophie shivaïte du langage, nous parlons du lien entre le langage et la conscience et comment le langage aide à prendre connaissance de la réalité externe. Le Soi, selon Abhinavagupta, est en mesure de comprendre et d’articuler son expérience grâce au langage. Lorsque l’individu entre en contact avec l’objet, la lumière que dégage l’objet a un effet sentimental sur la conscience de l’individu. Ces impressions émotives sont canalisées par le langage préverbal, par le murmure interne qui enchaîne la pure conscience de Soi aux langages conventionnels. Ainsi, nous pensons que si la conscience n’était pas de nature linguistique, nous ne serions pas en mesure d’expliquer l’essence de nos expériences, et pourquoi nous avons conscience de sentir, de percevoir, de comprendre, de déduire, de reconnaître, et de désirer. Cette parole agit chez les êtres ordinaires aussi bien de façon interne qu’externe. Par conséquent, l’intuition, la pensée, la parole et la perception sont inséparables. Ce qui les distingue, c’est uniquement le degré d’illumination de la lumière-en-soi déjà présente.

Dans la troisième partie, appelée La métaphysique du mot et le holisme cognitif de Bhartrhari, nous nous fondons sur l’œuvre de Bhartrhari, intitulée Vākyapādiyā, pour mieux comprendre comment la langue aide à comprendre la réalité. Selon lui, l’existence au niveau empirique se définit par quatre concepts clés, à savoir la conscience, la conceptualisation, la reconnaissance de l’existence des objets et le changement. Ainsi, nous sommes en mesure de prendre conscience des objets qui nous entourent non seulement parce que nous les percevons, mais aussi parce que nous avons la capacité de les subsumer sous des noms et des formes. Partant, on ne peut pas concevoir en l’absence de mots. Si nous enlevons le contenu linguistique à la perception, il n’y a plus de perception digne de ce nom. La conscience ne dépasse guère les mots; avoir conscience, c’est avoir conscience des mots qui « représentent » les contenus perceptibles.

Dans la quatrième partie, intitulée La compréhension du sens contextuel en linguistique

occidentale et en linguistique indienne, nous tentons de comprendre la nature de la

compréhension du sens contextuel du point de vue des théories linguistiques hindoues et occidentales. Selon Nida, il faut comprendre non seulement le sens dénotatif qu’il appelle « numérique » et le sens connotatif qu’il appelle « analogique », mais aussi le sens référentiel qui repose sur les concepts qui sous-tendent ces deux sens pour comprendre le sens intégral. Selon Newmark, en sus de comprendre les sens dénotatif et connotatif, il faut également comprendre les sentiments qu’évoquent les deux sens. D’après Seleskovitch, le traducteur arrive à comprendre le sens contextuel en se fondant sur sa compréhension des sons, du sens syntaxique

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et du sémantisme de l’énoncé. En outre, les mots porteurs de sens renvoient aux autres idées qui dépendent du bagage cognitif du lecteur. À la différence des penseurs occidentaux, Anandavardana souligne l’importance de comprendre non seulement les sens dénotatif et indicatif pour saisir le sens syntaxique, mais aussi le sens suggestif et le délice esthétique pour comprendre le contenu affectif et pour jouir de la beauté qui en découle.

Dans la cinquième partie, nommée L’allusion en poétique tamoule et sanscrite, nous nous concentrons sur la technique de la suggestion en poétique tamoule et sanscrite. La suggestion fait partie intégrante de la poétique hindoue qui recouvre toutes les traditions littéraires originaires du sous-continent indien. La littérature tamoule classique, appelée littérature sannegamme (சங்ெம்),

fut composée entre le IIIe siècle et le IVe siècle av. J.-C. La poésie sannegamme se divise en deux

genres selon le contexte exégétique, notamment agamme (அெம்) et pouramme (புறம்). On trouve

l’utilisation répandue du sens suggestif dans des poèmes agamme qui portent sur la vie familiale et conjugale. Le sens suggestif, appelé iraïtchie (இதறச்சி) est le sens implicite que l’auteur

communique en se servant des outils poétiques tels que le paysage littéraire, appelé thinaïe

(ைிதை), et la métaphore implicite, appelée oullouraïe ouvamame (உள்ளுதற உவமம்). L’auteur, en

usant du paysage et des métaphores, communique un sens plus étendu que le sens conventionnel. En ce qui concerne la réponse esthétique, le délice esthétique, appelé rasa dans la tradition sanscrite, s’appelle méïppādoue (கமய்ப்ொடு) dans la tradition tamoule. Le sens suggestif, appelé

dhvani en sanscrit, s’appelle iraïtchie en tamoul. Ce dernier, qui signifie littéralement « chair »,

aide à communiquer le sens suggestif par le biais des éléments physiques tels que la flore et la faune. Dans les deux traditions, les lecteurs doivent avoir une assez bonne connaissance des systèmes sémiotiques pour comprendre les sens explicites et implicites, ce qui nécessite un certain niveau d’éducation et de sophistication.

Dans la sixième partie, appelée Qu’est-ce que le sens contextuel, le sens suggestif et le délice

esthétique ?, nous nous appuyons sur l’œuvre d’Anandavardana, à savoir la Dhvanyaloka, pour

mieux saisir l’importance du sens contextuel, du sens suggestif et du délice esthétique en traduction littéraire. La théorie du sens suggestif fut proposée pour la première fois en poétique sanscrite par Anandavardana, un philosophe shivaïte du IXe siècle. Il s’inspire de la Natyasāstrā

(traité sur la danse classique hindoue) écrite par Bhāratamounie au IVe siècle av. J.-C., pour

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19 Selon Anandavardana, il y a quatre différents types de sens, à savoir les sens dénotatif, syntaxique, indicatif et suggestif. La dénotation se réfère à la capacité d’un mot de faire référence à un objet sans l’interférence du sens secondaire du mot. C’est-à-dire que le sens dénotatif du mot, appelé abhidā, se rapporte au sens primaire du mot. Bien qu’un mot puisse avoir plusieurs sens, la puissance dénotative se limite au sens le plus reconnu du mot. La puissance dénotative n’a pas de capacité de faire référence au sens indicatif, car elle s’épuise une fois qu’elle fait référence à l’objet reconnu conventionnellement comme le référent primaire. C’est le sens syntaxique, appelé tātparyā, qui aide à comprendre la spécificité et le sens secondaire des mots individuels et qui aboutit à la cognition de la métonymie et de la métaphore. La puissance syntaxique des mots est ce qui donne naissance au sens fusionnel des mots individuels. La puissance dénotative des mots peut faire référence à un sens non reconnu sans perdre la force du sens reconnu. Cette puissance s’appelle la puissance indicative, ou gunavritti. Cette dernière se divise en deux types, à savoir la métaphore, ou oupacāra, et la métonymie, ou

laksanā. Pour qu’il y ait indication, il faut que les trois conditions suivantes soient présentes :

l’incompatibilité du sens principal dans le contexte; le rapport de similarité ou d’opposition entre les référents primaires et secondaires dans le cas de la métaphore; le rapport de proximité dans le cas de la métonymie; l’intention du locuteur qui justifie le transfert du sens entendu au sens non entendu.

D’après Ananda, c’est le sens suggestif, appelé dhvani, qui aide à comprendre le contenu affectif de la métaphore, car cette dernière perd la puissance une fois que le lecteur établit le rapport de similarité ou de différence dans la compatibilité des sens dénotatifs et syntaxiques. Selon lui, comme les sens métaphoriques et syntaxiques doivent leur pertinence au sens dénotatif, ces deux sens n’aident pas à communiquer l’émotion, car cette dernière s’exprime de façon indirecte. D’ailleurs, on ne fait pas de comparaison juste pour communiquer le message. Il y a le contenu affectif que le locuteur ne veut pas communiquer directement par le biais du sens dénotatif. En effet, c’est par la suggestion, appelée vyangyā, que l’on peut communiquer l’émotion une fois que la métaphore perd sa puissance sémantique. Et il y a certains types de suggestion qui engendre la jouissance appelée délice esthétique, ou rasa, chez le lecteur. Le délice est une expérience affective propre au lecteur qui se réalise grâce à l’interaction des facteurs objectifs tels que le déterminant, appelé vibhāvā, les changements mimétiques, appelés anoubhāvā, les émotions fugaces, appelées vyabhicāribhāvā, et des facteurs subjectifs tels que les émotions de

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