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Prises de parole et querelle des femmes dans l'œuvre de M. de Navarre

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Academic year: 2021

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Hélène LUCmx

Thèse présentée au Décanat des études supérieures et postdoctorales en vue de

r

obtention du diplôme de Doctorat en philosophie

© Hélène Lucuix

Département de langue et littérature françaises Université McGill

Montréal, Québec

(4)

Bibliographie Services services bibliographiques 395 Wellington Street

Ottawa ON K1A ON4 Canada

395, rue Wellington Ottawa ON K1A ON4 Canada

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to prove the or of women dependjng on the debate the t\TIter belonged to. The of Marguerite de Navarre incorporate numerous arguments of fuis hterary debate to deconstruct them and

establish a balance between the and the defaults of men women.

Contrai)" to writers of Quarrel who were as examples women from the Bible or the Antiquity, Queen of Navarre's works portray mainly characters from daily life situations illustrate the way the two sexes use speech djfferently.

Thus, in the religious poems, women communicate more quicldy the djvine because they listen more to their which j8 the receptade of God. lndeed, the onIy

obstacle stands between them and mystical union resides in a too attachment to a human being, whereas men encounter more rundrances linked, among others, to

ambitio~ science and lust. As for profane poems, value of feminine friendship by presenting a free and equal verbal exchange, among women only, based

on mutual aid. the novellas, hold a greater power than

women and it is mirrored in the efficiency of thei! prise de parole, while there is a certain equaHty, in the cornice, ben veen the devisants both sexes.. , ln

theater, women as weB as men deliver God's Word.

Speech wruch constitutes the most important meeting ground men and women, Marguerite' s \vritings, demonstrates how the main criticism directed at women the detractors of the Quarrel, their unstoppable and slanderous chattering, as weB as many other faults are rejected by using examples of women that speak wisely. This makes Marguerite de Navarre's wTitings modem, because they deconstruct binary opposition man versus woman, everyday examples, do not propose to establish a new ruerarchy and thus they are open to plurality.

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Cette thèse analyse les prises de parole dans l'œuvre de fiction de Marguerite de Navarre en relation avec la place qu'occupent les arguments de la Querelle des femmes au sein des écrits de la sœur de François 1er.

Les textes de la Querelle des femmes, qui connaissent un vif succès au

xvr

siècle, cherchent à démontrer la supériorité ou l'infériorité des membres du sexe féminin selon que l'auteur se situe dans le camp des champions des dames ou dans celui des détracteurs. L'œuvre de Marguerite de Navarre reprend un nombre important des a priori émis dans ce débat littéraire pour les déconstruire et établir un certain équilibre entre les qualités et les défauts des femmes et des hommes. Contrairement aux écrivains de la Querelle qui prennent avant tout comme exemples des femmes de la Bible ou de l'Antiquité, les textes de la reine de Navarre mettent surtout en scène des personnages de la vie quotidienne dans des situations qui illustrent la façon dont les deux sexes prennent diversement la parole.

Ainsi, dans la poésie religieuse, les femmes entrent plus rapidement en communication avec le divin, car eUes sont plus à l'écoute de leur cœur, réceptacle de Dieu. En effet, leur seul obstacle à l'union mystique réside dans leur attachement trop fort à un être humain, alors que les hommes rencontrent plus d'entraves liées, entre autres, à l'ambition, à la science ou à la luxure. La poésie profane, quant à eUe, permet de mettre en valeur l'amitié féminine en présentant un échange verbal libre et égal, uniquement entre femmes et tourné vers l'entraide. Dans

r

Heptaméron, les hommes, au sein des nouvelles, détiennent un plus grand pouvoir que les femmes ce qui se reflète dans l'efficacité de leurs prises de parole, tandis qu'une certaine égalité s'instaure, dans le récit-cadre, entre les devisants des deux sexes. Finalement, dans le théâtre les femmes aussi bien que les hommes sont les messagers de Dieu.

L'étude de la parole qui constitue, dans l'œuvre de Marguerite de Navarre, le terrain de rencontre privilégié entre les deux sexes permet de démontrer comment la critique principale adressée aux femmes par les détracteurs de la Querelle, cene de leur bavardage médisant et incessant, ainsi que maints autres défauts sont rejetés par la mise en exemple de femmes qui utilisent la parole sagement. Cette finalité exemplaire fait des écrits de Marguerite de Navarre une œuvre moderne, car, après avoir déconstruit ropposition binaire entre l'homme et la femme à l'aide d'exemples de la vie quotidienne, ils ne se proposent pas d'établir une nouvelle hiérarchie, mais les laissent plutôt ouverts à la pluralité.

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Je voudrais, tout d'abord, remercier le Département de langue et littérature françaises de l'Université McGiU pour l'aide qu'il a bien voulu m'accorder en me faisant bénéficier d'une bourse.

Toute ma reconnaissance va à Diane Desrosiers-Bo~ ma directrice de thèse, qUi m'a permis de toujours pousser plus loin mon analyse grâce aux nombreux commentaires et conseils constructifs qu'elle m'a prodigués. Je tiens à hri exprimer ma gratitude pour la rapidité avec laquelle elle a effectué les dernières lectures de mon travail afin que je puisse le déposer à la date voulue.

Mes remerciements vont aussi à Normand Doiron qui, lors de l'examen de défense orale du projet de thèse, m'a suggéré d'envisager mon étude des œuvres de Marguerite de Navarre sous l'angle de la parole.

l finally wan! to thank my family, Dominic, Mélanie, Jonathan and Julian who lived this whole experience with me.

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Toutes les références bibliographiques des éditions utilisées, en ce qui concerne les œuvres de Marguerite de Navarre, sont données au complet lorsqu'elles sont indiquées pour la première fois. Par la suite,je n'en donne que J'abréviation entre parenthèses.

Chansons spirituelles Ch. Sp.

Comédie de l'Adoration des trois roys à Jésus Christ Adoration

Comédie de la Nativité de Jésus Christ Nativité

Comédie des innocents Innocents

Comédie du Désert Désert

Comédie des quatre femmes Quatre femmes

Comédie du parfait amant Parfait amant

Comédie jouée au Mont-de-Marsan Mont-de-Marsan

Comédie sur le trespas du roy Trespas

Complainte pour un détenu prisonnier Complainte

Dialogue en forme de vision nocturne Dialogue

Discord estant en l'homme par la contrariété de l'esprit et de la chair Discord

La Fable du faux cuyder Fable

Miroir de Jhesus Christ crucifié MlCC

Le Miroir de l'âme pécheresse MAP

Oraison à Nostre Seigneur Jésus Christ ONSJC

Oraison de l'âme fidèle OAF

Petit Œuvl1e dévot et contemplatif Petit Œuvre

Les Prisons Prisons

Les Quatre dames et les quatre gentilzhommes Quatre dames

Le Triomphe de l'Agneau Triomphe

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INTRODUCTION 1

La Querelle des femmes: quelques points de repère 3

Deux textes de la Querelle 4

LA CRITIQUE FÉMINISTE 12

La critique féministe anglo-américaine 14

Kate 1\A..illett, La Politique du Mâle (1970) 16

Mary EUmann, Thinking about Women (1968) 17

Elaine Showalter, A Litera/ure ofTheir Own (1977), Towards a Feminist CrWc (1985), Feminist Criticism in the Wildemess (1985), Speaking ofGender (1989) 19 Sandra M. Gilbert et Susan Gubar, The Madwoman in the Attic (1979) 22

La critique féministe française 24

. Hélène Cixous et l'écriture féminine 27

Luce Irigaray et le parler-femme 30

LES ŒUVRES DE MARGUERITE DE NA V ARRE 35

LES ŒUVRES POÉTIQUES 36

Généricité et parcours spirituel dans les poèmes religieux de Marguerite de Navarre 37

Le cœur: porte d'accès au salut 40

Le Miroir de l'âme pécheresse 44

Le Dialdgue en forme de vision nocturne et La Navire 53

La Complainte pour un détenu prisonnier et Les Prisons 61

Les Chansons spirituelles 78

Les je non désignés 85

Le Triomphe de l'Agneau, les Oraisons et Le Discord estant en 1 'homme par la

contrariété de l'esprit et de la chair 85

(10)

Parole et écriture dans les poèmes profanes de Marguerite de Navarre 105

La Coche 106

Les Quatre Dames et les quatre Gentilzhommes 117

La Fable dufaux cuyder 129

socIÉTÉ

ET PRISES DE PAROLE DANS L'HEPTAMÉRON 135

Les personnages des nouvelles 143

Le narrateur extradiégétique-hétérodiégétique du récit-cadre et ses devisants 190 PAROLE DIVINE ET PAROLE HUMAINE DANS LE THÉÂTRE DE

MARGUERITE DE NAVARRE 212

Le théâtre profane 213

Le Mallade et L'Inquisiteur 213

Trop Prou Peu Moins et la Comédie jouée au Mont-de-Marsan 221

Comédie sur le trespas du roy 231

Comédie des quatre femmes 233

Comédie du parfait amant 237

La tétralogie biblique 238

CONCLUSION 252

ANNEXE 258

(11)
(12)

Ainsi, bien que la Reine ait dit son opinion sur l'amour, les hommes, le mariage, elle n'a pas pris part à la Querelle, ou plutôt eUe n'a pas voulu s'y

mêler. Son rang sinon son bon sens l'en aurait de toute façon empêchée; eUe voyait en outre l'inanité d'un débat qui, à mon avis, fit entendre son dernier écho avec la diatribe ridicule de Gratien du Pont; enfin l'idée chrétienne qui domine l' Heptaméron suffirait à priori à écarter tout rapport avec le courant « polémique1 ».

Si ce recueil de nouvelles ne s'inscrit pas ouvertement dans la dynamique de cet exercice littéraire, n'en porte-t-il cependant pas les marques? J'analyserai ce problème en tentant de répondre aux interrogations suivantes:

1- Qu'est-ce que la Querelle des femmes?

2- Pourquoi Telle considère-t-il

r

Heptaméron comme indépendant de la Querelle? 3- Peut-on reconnaître dans l' Heptaméron ainsi que dans les autres écrits de la reine de Navarre les enjeux et les formes littéraires de la Querelle?

J Émile TELLE, L 'Œmlf"e de Marguerite d'Angoulême reine de Navarre et la querelle des femmes,

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La Querelle des femmes: quelques points de repère

La Querelle est un débat littéraire qUI VIse à prouver la supériorité ou l'infériorité des femmes par rapport aux hommes. Elle débute au Moyen Âge et, au cœur des écrits de cette époque, se situent les malheurs du mari face à son épouse, ainsi que les questions relatives à l'amour et au mariage. Plusieurs facteurs ont contribué à son développement. Premièrement, le débat théologique sur l'Amour de Dieu inspire l'élaboration par les clercs d' «une religion éthérée de l'amour humain2 », vision de l'amour peu fidèle à la réalité quotidienne du mariage. Deuxièmement, l'amour courtois établit l'incompatibilité de l'amour et du mariage ce qui entraîne une dévalorisation de cette institution. La lecture de ces écrits s'étend au public bourgeois et le mariage est alors critiqué à cause des maux qu'engendre la vie conjugale et non plus au nom de l'amour courtois.

Dans l'Epistre au Dieu d'Amours (1399) Christine de Pisan amorce le débat littéraire pour la défense des femmes en répondant aux attaques répétées contre son sexe que l'on trouve dans le Roman de la rose et plus spécifiquement dans la partie écrite par Jean de Meun. Elle est l'une des premières femmes à prendre la défense de son sexe en s'attaquant aux clercs qui dénigrent le mariage.

Jean Gerson, chancelier de l'Université de Paris, se joint à C. de Pisan dans ce débat contre les clercs, avec son Traitié contre le Romont de la Rose, non toutefois pour soutenir la cause des femmes, mais plutôt afin de maintenir« l'intégrité de la religion et de la morale chrétiennes3 }} en prônant la chasteté et le respect des institutions 2 Émile TELLE, L 'Œuvre de Marguerite d'Angoulême reine de Navarre et la querelle des femmes, op.

cit., p. 13.

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religieuses. Tous ces écrits sont précurseurs de la Querelle des femmes qui prend son véritable essor au

xvr

siècle.

Deux textes de la Querelle

En 1529 paraît le livre de Corneille Agrippa de Nettesheim : De nobilitate & praecellentia foeminei sexus. Écrit en 1509, mais publié en 1529 à cause de persécutions de la part des moines, le traité fut traduit en français en 1530, puis en anglais en 1542. C'est l'ouvrage qui obtint le plus de succès et que tout écrivain défenseur des dames se devait d'avoir lu. Agrippa cherche à établir la supériorité des femmes à raide d'un étalage de connaissances bibliques, antiques et juridiques4. Il considère la femme supérieure à l'homme et invoque quatre raisons justifiant son jugement : premièrement, l'origine de leurs noms respectifs5, deuxièmement, la création de la femme après tous les autres êtres6, troisièmement, son lieu de naissance7

4 Henri Corneille AGRIPPA DE NETTESHEIM, Sur la noblesse et l'excellence du sexe féminin, de sa

prééminence sur ['autre sexe, Marie-Josèphe DRA VERNAS (éd.), Paris, Côté-femmes, 1990, 145 p. 5 « Or, prenez bien garde à ceci, qui que vous soyez qui avez l'honneur de me lire, le mot Adam signifie

terre; et Eve, est un terme qui veut dire la vie. Sur cette révélation scientifiquement étymologique je bâtis

ce puissant raisonnement: la vie est d'un tout autre prix que la terre; ergo la femme excelle autant par-dessus l'homme, ene lui est autant préférable que la vie est plus précieuse que la terre », ibid., p. 34.

6 «Ainsi, q~and dans l'histoire très croyable, encore plus crue, mais absolument inconcevable de la création, le souverain faiseur réservait la femme pour son dernier coup de maître, c'est une marque infaillible, que Dieu la destinant pour fermer le cercle, il l'avait la première dans l'idée de son plan, de son dessein, la gardant pour l'autorité, pour la dignité, pour l'excellence, comme ce qu'il y aurait de meilleur et de plus parfait dans son ouvrage; enfin comme cene qui entre toutes les créatures méritait le mieux d'arrondir, de fermer, de perfectionner le cercle », ibid., p. 40.

7 « [ ... ] la femme suivant le témoignage infaillible de l'Ecriture fut formée avec les anges dans le paradis terrestre, jardin également très noble et très agréable, puisque Dieu l'avait planté de sa propre main. Adam, au contraire, où fut-il créé? Hors de ce délicieux séjour; en pleine campagne, dans un champ rural, in agro mraU, enfin au même endroit où Dieu avait créé les bêtes », ibid., p. 41.

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et quatrièmement, la matière avec laquelle eUe a été créées. Il illustre ensuite ses propos par plusieurs listes de femmes de l'Antiquité et de la Bible: Marie, Rébecca, Sarah, Didon, Circée, Médée, etc.

Il importe aussi de souligner qu'Agrippa est le premIer à utiliser de façon efficace la Bible à l'avantage des femmes et qu'il «fixe pour longtemps le plan à suivre: preuves théologiques tirées de la Genèse et preuves scripturaires, preuves naturelles, physiques, physiologiques et psychologiques, tirées des autorités antiques et de 1'« observation », listes de femmes illustres ayant excellé dans différents domaines9 . »

Gratien Du Pont de Drusac, pendant négatif d'Agrippa, publie, en 1534, Les Controverses des sexes masculin et femenin où il affirme ne s'attaquer qu'aux mauvaises femmes. Son ouvrage se divise en trois livres. Dans le premier, il établit que les femmes sont bavardes et médisantes et qu'elles ne peuvent toucher à tout ce qui est divin. Dans le deuxième livre, après avoir prouvé la supériorité des hommes devant Dieu, l'auteur va prouver celle-ci parmi les humains. Il énumère cinq motifs fondant cette supériorité : premièrement, l'homme a été modelé avant sa compagne 10.

g « Ajoutons une autre circonstance: l'homme, moyennant Dieu, et par Je concours de l'influence du Ciel, fut fait de la terre, qui, comme de sa propre nature, produit toutes les espèces d'animaux. Mais pour la femme? [ ... ] [Elle] est une production uniforme, entière, parfaite, accomplie; il ne lui manque quoi que ce soit, production plus finie, plus achevée que l'homme; car enfin celui-ci n'a pas toutes ses côtes. [ ... ] Dieu ôta un morceau à l'homme pour le donner à la femme. L'Homme n'est donc, il proprement parler, que le plus bel ouvrage de la nature, mais la femme est la plus parfaite production de Dieu », ibid., p. 43-44.

9 Marc ANGENOT, Les Champions des femmes. Examen du discours sur la supériorité des femmes (1400-1800), Montréal, Presses de l'Université du Québec, 1977, p. 30.

JO « Car lhomme fut : plus tost faict et forme 1 Que nest la femme: jen suys bien informe 1 Par la genese : au chapitre segond [ ... ] les Docteurs en Droit 1 Tiennent et Disent [ ... ] 1 Que ceulx qui sont: plus anciens et vieux [ ... ] 1 Preceder Doibvent ; en toute qualite / Et les aysnez : ceulx qui sont apres nez », Gratien DU PONT DE DRUSAC, Les Controverses des Sexes masculin et femenin, Toulouse, Jacques Colomiés,

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deuxièmement, lui seul est formé 11 l'image de Dieu 11 , troisièmement, Dieu a créé l'homme d'une matière plus noble que cene de la femme12 , quatrièmement, Dieu a donné l'autorité uniquement 11 l'homme13 et, cinquièmement, l'homme est le père de la femmeJ4 . Après cette démonstration, Du Pont de Drusac affirme, dans le troisième livre, que tous les malheurs des humains proviennent d'Ève et de la femme en général. Il dresse alors une longue liste de femmes célèbres ayant commis les péchés d'orgueil, de luxure ou de cruauté.

Il faut retenir 11 l'aide de ces deux ouvrages que les écrits de la Querelle appuient principalement leurs thèses sur des exemples bibliques ou antiques, ainsi que sur j'autorité d'auteurs reconnus. Il est très rare que l'on fasse appel à des arguments reposant sur la vie quotidienne des femmes de l'époque.

Penchons-nous à présent sur l' œuvre de Marguerite de Navarre, en examinant, à la lumière de la citation de Telle, les raisons pour lesquelles l' Heptaméron ne fait pas partie de la Querelle. Selon lui, Marguerite n'utilise pas les procédés rhétoriques convenus de la Querelle, les exemples qu'elle cite sont tirés de son expérience

1 J « Que homme est plus noble : parraison De la fonne 1 Car a Iymaige : et semblance fut faiet 1 Lhomme iadiz : Du createur parfaict [ ... ] 1 Quant aIa femme : ene nest si parfaicte 1 Car a lymage : De Dieu poinet

~e fut faicte [ ... ] / Il est bien vray : quelle est homme imparfaict », ibid.

12 «Lhomme fut faict : Du lymon De la terre 1 Avec moyse : vous en pouvez enquerre 1 La femme poinct ; car fut faide De los Qui nest si noble », ibid., f" xxxviii.

13 «Et vouldst Dieu: que fust belle et propice 1 Pour plaire a Ihomme : et Iuy faire service / De corps De biens: comme Delle greigneur 1 Et Ihonnorer : comme maistre et seigneur », ibid., f" xxxix;

« Las jamais Dieu: qui tout bien ordonna Auctorite : a femme ne Donna [ ... ] Qua lhomme Dieu: bains. en gouvernement Le paradis: quon appelle terrestre », ibid., f" xl.

14 ({ Sy De son corps: femme est Doncques sortie [ ... ] / Nest eHe pas : Doncques De lliomme fiUe [ ... }/

Par consequence: De sexe Masculin 1 Nest il Doncq frere : le sexe Femenin [ ... ] 1 Puysque De lhomme : Doncq est fille la femme 1 Elle est bien Doncq : Ïrreverante infame 1 De ce vouloir: a !homme equipparer !

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personnelle et, finalement, eUe ne cherche pas à prouver la supériorité ou l'infériorité des femmes.

En effet, contrairement aux écrits de la Querelle, ce recueil repose avant tout sur des exemples de la vie quotidienne et écarte les exempla bibliques, antiques ou littéraires (à l'exception de la nouvelle 70). Le projet de l'Heptaméron, établi par Parlamente, est d'écrire un nouveau Décaméron tout en excluant les gens de lettres et en ne racontant que des histoires vraies15.

L'accent se trouve donc mis dès le début sur l'importance de ne dire que la vérité, notion constamment renforcée par la voix des devisants qui, conformément au topos du genre, réaffirment inlassablement la véracité de leurs contes. Pierre Jourda, dans sa thèse sur Marguerite d' Angoulême 16 , a étudié ces procédés de véridiction pour identifier quatorze nouvelles dont l'authenticité des faits a été établie (1, 4, 12, 17, 21, 22,25,40,42,43,61,66,67) et six qui pourraient être vraies (14, 16,26,36,53,63). Il avance alors que, si l'ensemble des nouvelles ne renvoie pas à la réalité, le corpus. d'histoires vraies permet de penser que les autres paraissent vraisemblables et ne viennent que renforcer, par d'autres exemples, la réalité du

xvr

siècle. Il souligne alors le risque encouru par Marguerite, si eUe mentait ouvertement ; son entourage pouvait prouver la fausseté de ses affirmations. De plus, il aurait pu s'avérer néfaste

15 « Et, à l'heure, je ouys les deux dames dessus nommées, avecques plusieurs autres de la court, qui se delibererent d'en faire autant, sinon en une chose differante de Bocace : c'est de nescripre nulle nouvelle qui ne soit veritabie histoire. Et promirent les dictes dames, et Monseigneur le Daulphln avecques elles, d'en faire chacun dix et d'assembler jusques à dix personnes de ceulx et celles qu'Hz pensaient plus dignes de racompter quelque chose, sauf ceulx qui avoient estudié et estoient gens de lectres: car Monseigneur le Daulphin ne vouloit que leur art y fut meslé, et aussi de peur que la beaulté de la rethoricque fist tort en quelque partie à la verité de l'histoire », Marguerite de NAVARRE, Heptaméron, Renja SALMINEN (éd.), Genève, OToz, 1999, p. 1 L

16 Pierre JOURDA, Marguerite d'Angoulême, duchesse d'Alençon, reine de Navarre (1492-1549), étude biographique et littéraire, 2 vols, Paris, Slatk1ne, [1930] 1978, p. 769.

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d'« attribuer à un personnage vrai de fausses aventures}). Mais, s'il considère les contes de Marguerite comme vrais ou vraisemblables, cette théorie ne fait pas l'unanimité. Marcel Tete! considère le procédé de la reine de Navarre, quant au décor historique, comme un« simple voile de vraisemblance ainsi qu'une technique narrative17

».

Nicole Cazauran, de son côté, s'attache à rechercher les sources de certaines des nouvelles de

rH

eptaméron. Elle relève la similitude entre la 6e nouvelle du mari borgne et cocu mystifié par l'ingéniosité de sa femme et la 16e histoire des Cent Nouvelles Nouvelles. Il en va de même pour la ge nouvelle mettant en scène Bornet, cocu par sa propre faute, et le vieux fabHau du Meunier d'Arleux ainsi que le ge conte des Cent Nouvelles Nouvelles. Elle cite ainsi plusieurs autres exemples de nouvelles tirées de la tradition orale ou écrite18 .

Ces divers points de vue permettent d'établir plusieurs choses. Premièrement, certaines des nouvelles proviennent de faits réels puisque des documents d'archives prouvent leur authenticité. Deuxièmement, d'autres nouvelles s'inspirent de la tradition écrite et orale. Quel sens faut-il alors donner à cette insistance à affirmer la vérité de toutes les nouvelles - à l'exception de la 70e qu' Oisille avoue tirer de la tradition écrite? Est-ce seulement une loi du genre de la nouvelle qui se donnait toujours pour vraie au

xvr

siècle19 ? Ou bien s'agit-il d'un souci de présenter ces histoires comme

véritables pour les devisants ?

17 «Marguerite, comme d'autres nouvellistes, peut revendiquer une complète originalité pour ses histoires, mais cette sorte de déclaration est simplement un expédient Httéraire mystificateur », Marcel J'ETEL, L 'Heptaméron de Marguerite de Navarre. Thèmes, langage el structure, traduction française de Benoît Beaulieu, Paris, Klincksieck, 1991, p. 149.

18 Nicole CAZAURAN, L 'Heptaméron de Marguerite de Navarre, Paris, SEDES, [1976] édition revue et corrigée 1991, p. 33-37.

19 Dans la Conversation conteuse: les nouvelles de Marguerite de Navarre, Paris, PUF, 1991, p. 27, Gisèle MA THIEU-CASTELLANl donne la définition suivante de la nouvelle :

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Les devisants peuvent tous reconnaître dans ces nouvelles des situations qui auraient pu se produire dans leur entourage. Ils doutent rarement de la véracité des contes qui leur paraissent tous plausibles et actuels et ceux-ci servent de point de départ à des discussions sérieuses et souvent enflammées. Patricia Cholakian voit, pour sa part, dans cette vraisemblance des histoires narrées, une volonté de Marguerite de se détacher du genre, jusqu'ici misogyne, de la nouvelle:

By insisting that her stories are not fictitious, Marguerite de Navarre is in fact asserting her authorial power. She is challenging the misogynistic falsehoods about gender relations that narrative fiction had been recyding for centuries. Both the Decameron and the early French collections of tales were imbued with the antifeminism of the medieval fabliau from which they descended. They depicted Eve's daughters as deceitful, lascivious, and unfaithful. By banishlng «gens de lettres,}} who foUowing the lead of Jean de Meung, routinely used art and rhetoric to defame women, Marguerite de Navarre was rejecting a literary tradition that misrepresented her gender. She was claiming the right to tell about love, marnage, and infidelity from a feminine point of view20.

Cette prise de position proféminine, présente dans l'Heptaméron, l'est aussi dans le reste de l'œuvre de la reine de Navarre et se traduit par la façon dont les femmes prennent la parole. En effet, contrairement aux textes de la Querelle dans lesquels elles sont constamment critiquées par leurs détracteurs pour leur bavardage incessant et intempestif, les femmes qui peuplent les écrits de la reine de Navarre utilisent la parole

«une nouvelle aurait pour ol:!jet la relation de faits et d'événements: - authentiqutjS et authentifiés par un témoin digne de foi;

- nouveaux, c'est-il-dire SUl'Venus récemment, appartenant soit il l'actualité immédiate, soit il un passé tout proche, de {( fraîche mémoire»;

- non encore racontés, « inouïs », ou en tout cas non encore transcrits;

- dignes d'être rapportés, qu'ils soient «exemplaires », ou assez étonnants pour susciter l'intérêt des narrataires. )}

20 Patrica CHOLAKIAN, «Heroic Infidelity: Novella 15 », dans Heroic Virtue, Comie Infidelity.

Reassessing Marguerite de Navarre 's Heptaméron, Dora E. POLACHEK (dir.), Amherst, Hestia Press, 1993, p. 63-64.

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avec parcimonie, lorsque la situation les y oblige - la plupart du temps pour défendre leur honneur - ou encore pour exprimer leur quête du divin.

Par conséquent, si au premier abord

r

Heptaméron semble se détacher des écrits de la Querelle par ses procédés rhétoriques, par l'utilisation d'exemples qui paraissent provenir directement de l'expérience personnelle des devisants, l'on pourra cependant, par les sujets traités, par la façon dont les membres des deux sexes sont représentés en ce qui a trait à leurs qualités, à leurs défauts et à leurs rôles respectifs au sein de la société, établir un grand nombre de liens entre ce recueil de nouvelles et les textes de la Querelle, - non seulement en ce qui concerne la parole, mais aussi sur bien d'autres points tels le mariage, l'éducation, la religion, etc. - liens que l'on retrouve aussi dans les autres œuvres de la reine de Navarre.

Pour démontrer ma thèse, je m'attacherai donc à étudier, dans toute l'œuvre de fiction de Marguerite de Navarre, la manière dont la généricité21 des «je », aussi bien masculins que féminins, conditionne leurs prises de parole. Celles-ci ne revêtent pas les mêmes caractéristiques pour les membres des deux sexes. Ainsi, dans la poésie religieuse, je montrerai comment par l'analyse de ces prises de parole, les femmes entrent plus rapidement en communication avec le divin, car elles sont plus à

r

écoute de leur cœur, réceptacle de Dieu. La poésie profane, quant à elle, permet de mettre en valeur l'amitié féminine en présentant un échange verbal libre et égal entre les femmes. Dans l'Heptaméron, les hommes, au sein des nouvelles, détiennent un plus grand pouvoir que les femmes ce qui se reflète dans l'efficacité de leurs prises de parole, tandis qu'une certaine égalité s'instaure, dans le récit-cadre, entre les devisants des

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J'analyserai donc ces pnses de parole féminines et masculines, tout en soulignant à quelle fréquence et selon quelles modalités les arguments de la Querelle des femmes sont repris et exploités, pour démontrer que l'œuvre de Marguerite de Navarre représente un pas en avant par rapport aux écrits de ce débat littéraire, parce

qu'elle refuse d'enfenner les sexes dans les catégories génériques conventionnelles. Cette question de la différenciation entre le sexe et la généricité des personnages m'amènera, en premier lieu, à définir ces deux tennes en exposant les deux grandes approches de la critique féministe - l'anglo-américaine et la française. J'entrerai ensuite dans le vif du sujet pour présenter, dans un premier temps, la poésie qui se divise en deux grandes catégories: d'une part, les poèmes religieux qui en constituent la majorité et, d'autre part les poésies courtoises. Dans un deuxième temps, je considérerai l'unique œuvre en prose de la reine de Navarre, l' Heptaméron, et, dans un troisième temps, j'aborderai le théâtre que les éditions divisent entre les pièces profanes et les comédies bibliques.

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(23)

La première a pris son envol dans les années 1960, en Angleterre et aux États-Unis, alors que la deuxième a surtout connu son heure de gloire dans les années 1970 avec l'avènement du poststructuralisme. Ces deux courants, malgré leurs noms, ne renvoient pas à des barrières géographiques. Simone de Beauvoir, par exemple, de par ses vues anti-essentialistes se range du côté des critiques anglo-américaines. J'ai d'ailleurs ici touché à la principale diffërence entre ces deux formes de critiques ~ rune,

l'anglo-américaine, considère la femme comme un construit social dicté par toute société patriarcale, alors que l'autre croit en une essence biologique féminine, bien qu'elle s'en défende. Ces deux approches vont donc grandement différer dans leur appréhension des textes littéraires. L'anglo-américaine se penche sur le social, la vie des femmes et leurs représentations dans la littérature. La française s'intéresse à la manière dont le sujet féminin produit une écriture différente du sujet masculin. Je présenterai tout d'abord la critique féministe anglo-américaine, puis la française, à l'aide de textes qui ont marqué ces deux courants.

(24)

CRITIQUE

Dans les anIllees 1960 levers:errtents s{)cumx en faveur

vote, sur des

>. .... ~"'AU'L<'RH"', en tant que force politique, en Angleterre et aux États~Unis. En 1961,

K

ennedy

.

une commISSIon sur le statut de la femme, mais les

changements sont longs à se sentir. de Betty

Friedan -peut être considéré comme premier signe de mécontentement des femmes rapport à leur situation sociale. premières tentatives d' organisati011 d'un mouvement de libération des femmes sont alors faites par des militantes « civil rights movements)} parce qu'eUes se sentent rejetées par compagnons d'armes masculins se comportent façon sexiste.

la des années 1960, n;;nll:m~s se chargent en

propres mouvements, non seulement comme autre par rapport aux groupes déjà en place, mais aussi comme complément. Betty Frt,,,,rl>j,n fonde, en le groupe

et réformiste NOW (National Organization V/omen) s'adresse aux femmes blanches hétérosexuelles la classe moyenne. Dans les ... 'u,>,..,..,,, 1970,

mouvement féministe s'avère donc aux États·Unis.

Le rôle des critiques ,1"*";,..", .. """ tèrii1mlstt~S dans ce mouvement en est alors un

d'extension de pour que des changements politiques et sociaux interviennent

dans le domaine culturel. critiques se de cause politique

à la critique littéraire en place, c' est-à~dire mstaurèe par classe un'",u,,,"'~;""""LU,,

dominante constituée problème se pose pour ces

(25)

place. Deux possibilités s'offrent alors à elles: ou bien défier et changer les critères de sélection de l'institution littéraire, tout en essayant de ne pas la modifier radicalement, ou tout simplement ignorer complètement les règles établies par cette institution. La plupart des critiques féministes choisissent la première solution, ce qui bien souvent engendre des difficultés, puisqu'elles évoluent dans un domaine dominé par les hommes.

n y

a alors une volonté de la critique féministe de s'éloigner des notions patriarcales de la littérature. De là un refus de s'associer à une approche en particulier et aussi un rejet de toute fonne de théorie qui est considérée« masculine ».

Les tenantes de l'approche anglo-américaine sont contre une lecture ahistorique des textes littéraires dans lesquels elles réclament une représentation de leur réalité quotidienne. EUes veulent aussi y trouver des personnages féminins forts, plausibles et indépendants des hommes, qui serviraient de modèles positifs à suivre. Ces deux demandes peuvent entrer en conflit puisque bon nombre de femmes sont loin d'être indépendantes des hommes dans la vie de tous les jours.

Si les véritables débuts de la critique féministe anglo-américaine se situent dans les années 1960, il n'en reste pas moins que quelques décennies plus tôt deux précurseurs illustres, Virginia Woolf et Simone de Beauvoir, ont participé à l'élaboration de cette critique. Les principaux écrits de Woolf qui ont contribué à la critique féministe sont A Room ofOne's Own (1929) et Three Guineas (1938). Woolf accorde avant tout une importance au désavantage économique que vivent les femmes. Ce désavantage ainsi que des barrières sociales telles que le manque d'éducation empêchent les femmes de s'adonner librement à la littérature. Pour sa part, Simone de Beauvoir, dans le Deuxième Sexe, effectue une étude du statut biologique, psychanalytique et historique des femmes. Elle en conclut qu'il existe une hiérarchie des sexes basée sur l'homme élevé au statut de Sujet et ]a femme reléguée au rang de

(26)

r

Autre. EUe considère, par ailleurs, que la féminité n'est pas une essence biologique, mais un construit social. L'on constatera, bientôt, l'influence que ces deux écrivaines ont exercée sur les critiques féministes à venir.

L'approche anglo-américaine comporte plusieurs grandes figures de proue dont je résumerai ici les principales réalisations et leurs présupposés ~ enes ne sont pas les seules tenantes de ce féminisme, mais eUes en sont les plus représentatives et les plus marquantes.

Kate MiUett, La Politique du Mâle (1970)

Le livre de Millett est le précurseur de la plupart des autres travaux critiques féministes de rapproche anglo-américaine des années 1970-1980. MiHetl établit que la littérature ne peut être étudiée sans tenir compte des paramètres sociaux et politiques (ce que tous les critiques féministes anglo-américains maintiendront après elle, même s'ils divergent sur bon nombre d'autres points). Un des grands apports de Millett réside dans le fait qu'eUe accorde une place extrêmement importante au lecteur; le point de vue de l'auteur n'est plus seul roi. «Her approacb destroys tbe prevailing image of the reader/critic as passive/feminine recipient of authoritarian discourse, and as such is exactly suited to feminism's pohtical purposes1 ».

Milletl s'attaque aussi aux théories de Freud qui, selon eUe, voit en la femme une personne envieuse du pénis, passive, narcissique et masochiste2. De plus, Freud

1 Toril MOI, Sexuali]'extual Polilies. Feminist LiterafJ/ Theory, LondresINew York, Methuen, 1985, p.25.

2 « Il [Freud] baptisa cette tendance {{ envie du pénis », en découvrit les origines dans l'expérience enfantine, et fonda sur elle la psychologie de la femme, en alignant dessus ce qu'il considérait comme les trois corollaires de la sexualité féminine - passivité, masochisme, narcissisme -, de sorte que chacun de ses

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considère qu'il existe, toujours selon Minett, une essence féminine innée. D'autres critiques viendront récuser les affinnations de Millett en disant que Freud n'a jamais soutenu l'existence d'une essence féminine, mais que la psychanalyse freudienne« sees sexua] identity as an unstable subject position which 1S culturally and socially constructed in the process of the child's insertion into human society3.)} Son interprétation de l'envie du pénis a aussi été remise en cause. Toutefois, jusqu'à la parution en 1974 de Psychoanolysis and Feminism de Juliet Mitchell, les vues négatives de MiUett sur la psychanalyse étaient celles auxquelles la plupart des féministes adhéraient en Angleterre et aux États-Unis. On lui a par contre souvent reproché de ne pas avoir reconnu l'apport des critiques féministes qui l'ont précédée telles que Mary Ellmann, Katherine M. Rogers ou encore Simone de Beauvoir dont l'influence s'avère évidente dans ses écrits. EUe n'a pas non plus inclus dans son corpus d'étude d'auteures, à l'exception de Charlotte Brontë; tous les autres auteurs étudiés sont des hommes.

Mary EUmaIm, Thinking about Women (1968)

L'ouvrage de Mary EHmann, intitulé Thinking about Women, n'obtient pas autant de succès que la Politique du Mâle de Millett, qui paraît deux ans plus tard, et n'exerce pas une aussi grande influence sur les féministes, probablement parce qu'eUe ne s'intéresse qu'aux femmes dans la littérature: «1 am most interested in women as

aspects dépendait de, ou était en rapport avec l'envie du pénis », Kate MILLETT, La Politique du mâle,

Paris, Stock, 1971, p.202.

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words4 ». De plus, son livre s'adresse au grand public et non aux universitaires. Elle présente, tout comme Millett le fera, les stéréotypes féminins que perpétue la littérature masculine. Elle en dénombre onze: «formlessness, passivity, instabiEty, confinement, piety, materiality, spirituality, irrationality, compliancy, tV\lO incorrigible figures: the shrew and the witch5 ». EUmann explique que ces stéréotypes servent l'idéologie

patriarcale dominante, mais, contrairement à Millett, elle ne pense pas que cette idéologie a toujours formé un front impénétrable et indestructible. Elle pense, en effet, que certaines femmes ont réussi à y ouvrir des brèches.

Le concept d'analogie sexuelle, selon lequel tout ce que nous étudions et lisons est détenniné par les différences sexuelles, traverse l'ouvrage de Mary EHmann6. Elle montre, à ce propos, qu'un texte est reçu différemment par la critique selon qu'on l'attribue à un homme ou à une femme. Elle cherche alors à prouver le manque de logique et le ridicule de ce raisonnement. Elle tente ensuite de définir un lieu d'écriture où les femmes pourraient s'exprimer en s'éloignant de l'écriture traditionnelle d'autorité et d'assurance attribuée aux hommes. {( l hope to define the way in which it is now possible for women to write weB. Quite simply, having not had physical or inteUectual authority before, they have no reason to resist a literature ai odds with authority7 ». Pour elle, une écriture de femme s'avère plutôt ludique, mais les deux

4 Mary ELLMANN, Thinking About Womefl, New York, Harcourt Brace Jovanovich, 1968, p. XV.

5 Ibid, p. 55.!

6 « Ordinarily, not only sexual tenns but sexual opinions are imposed upon the extemal wodd. AIl fonns are subsumed by our concepts of male and female temperaments. Yeasts's silver arrows pierce red hounds. The hunter is always male, the prey female », ibid., p. 8. « Like those ofthe external world, the intricacies ofbuman beings are also understood in the exclusive tenns of sexual physiology », ibid., p. 10.

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styles d'activité scripturaire peuvent être utilisés indifféremment par les deux sexes. On voit là se profiler la notion d'écriture féminine telle que présentée par Hélène Cixous. Finalement, il importe de souligner que Mary Ellmann emploie l'ironie dans son ouvrage et déconstruit ainsi la possibilité d'une quelconque autorité.

Elaine Showalter, A Literature of Their Own (1977), Towards a Feminist Critic (1985), Feminist Criticism in the Wilderness (1985), Speaking of Gender (1989)

En 1971, Elaine Showalter effectue, avec A Literature ofTheir Own, une étude d'auteures en tant que groupe non pas parce qu'elles ont une écriture semblable, mais parce qu'elles partagent une histoire communes. De l'avis de Showalter, les écrivaines anglaises qui ont connu une certaine célébrité de leur vivant ont fmi par tomber dans l'oubli après leur mort. Son but, avec cet ouvrage, consiste à redécouvrir ces auteures disparues afin d'établir les liens qui existent entre eUes et les cinq grandes écrivaines qui seules sont restées célèbres après leur mort: les sœurs Brontë, George Eliot, Jane Austen et Virginia Woolf. EUe cherche aussi à évaluer la romancière par rapport aux femmes de son temps et à présenter, ainsi, une histoire de la littérature féminine qui s'apparente, selon eUe, à l'histoire de n'importe queUe subculture au sein de laquelle eUe reconnaît trois phases communes:

8 « W omen writers should not be studied as a distinct group on the assumption that they write alike, or even display stylistic resemblances distinctively feminine. But women do have a special hlstory susceptible to analysis, whlch includes such complex considerations as the economics of their relation to the literary marketplaœ; the effects of social and political changes in women's status upon individuals, and the implications of stereotypes of the woman writer and restrictions of her artistic autonomy », Elaine SHOW ALTER, A Litera/ure of Their Own. British Women Novelistsfrom Brontë to Lessing, Princeton, Princeton University Press, 1977.

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First there is a prolonged phase of imitation of the prevailing modes of the dominant tradition, and intemalization of its standards of art and its views on social roles. Second, there is a phase of protest against these standards and values, and advocacy of minority rights and values, induding a demand for autonomy. Finally there is a phase of self-discovery, a turning inward fteed from sorne of the dependency of opposition of a search for identity. An appropriate terminology for women writers is to calI these stages, Feminine, Feminist and Female9.

La période «féminine» commencerait dans les années 1840 avec l'utilisation de pseudonymes masculins et s'étendrait jusqu'à la mort de George Eliot en 1880, année où débuterait la phase «féministe» qui durerait jusqu'en 1920. Finalement, de 1920 à nos jours, la phase « female )} opérerait un tournant avec l'avènement des mouvements de libération des femmes.

Dans son article, «Towards a Feminist Critic », Showalter affinne l'existence de deux formes de critique féministe - en réponse aux attaques répétées contre le manque de théorie de l'approche anglo-américaine. La première se préoccupe de la femme en tant que lectrice de textes d'auteurs masculins ; Showalter l'appelle « critique féministe)} :

Its subjects include the images and stereotypes of women in literature, the omissions of and misconceptions about women in criticism, and the fissures in male-constructed literary history. It is also concemed with the exploitation and manipulation of the female audience, especially in popular culture and film ; and with the analysis ofwoman-as-sign in semiotic systems10.

La deuxième forme est la gynocritique et s'intéresse à la femme en tant qu'auteur :

Its subjects indude the psychodynamics of female creativity ; linguistics and the :problem of a female language; the trajectory of the individual or collective fenlale literary career ; literary histOl'y ; and, of course, studies of particular writers and worksl1 .

9 Ibid., p. 13.

10 Elaine SHOWALTER, «Towards a Feminist Cotie », dans The New Feminist Criticism. Essays on Women, Literature and Theory, New York, Pantheon Books, 1985, p. 128.

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Les œuvres des femmes devront être étudiées différemment de celles des hommes afin de s'éloigner des stéréotypes féminins et de créer une identité positive:

In contrast to this angry or loving fixation on male literature, the program of gynocritics is to construct a fcmale framework for the analysis of women's literature, to develop new models based on the study of femme e'Xl'erÏence, rather than to adapt male models and theories. Gynocritics begins at the point when we free ourselves from the linear absolutes of male literary history, stop trying to fit women between the tines of the male tradition, and focus instead on the newly visible world of female culture. [ ... ] Gynocritics is related to feminist research in history, anthropology, psychology, and sociology, aU of which have developed hypotheses of a fcmale subculture12 .

On retrouve donc aussi chez ShowaIter cette idée selon laquelle l'expérience des femmes est retranscrite au sein de leurs œuvres. Pour eHe, ainsi que pour Moers, Gilbert et Gubar, entre autres, c'est la société et non la biologie qui définit la perception littéraire du monde par les femmes.

Dans son article « Feminist Criticism in the Wilderness », paru en 1985, Elaine Showalter distingue alors les quatre grandes directions que prend la gynocritique, c'est-à-dire:

1-biologique: où le texte se voit marqué par le corps,

2- linguistique: où

r

on se demande si les deux sexes utilisent la langue différemment, 3- psychanalytique : où l'on observe les marques distinctives de l'écriture des femmes au niveau de leur psyché,

4- culturelle : où les trois précédentes sont étudiées en relation avec les contextes sociaux et culturels.

Showalter ne cherche pas à détruire les anciens canons littéraires institutionnels, mais eUe veut en créer un distinct pour les œuvres de femmes. D'ailleurs, en 1989, dans l'introduction à l'ouvrage Speaking ofGender, eUe affirme que la gynocritique a eu sa

(32)

raison d'être et qu'i! faut désonnais se consacrer à des études de généricité. Elle distingue les deux tennes suivants:

e sexe (sex) : identité biologique,

® généricité (gender): aspects sociaux, culturels et psychologiques qui sont

imposés à l'identité sexuelle.

Elle affirme alors que l'on ne doit plus tenir pour acquis que les hommes constituent la nonne, puisque la définition de la masculinité varie à travers les siècles, mais que l'on doit étudier, de la même façon que l'a fait la gynocritique pour les femmes, de quelle manière est construite socialement, culturellement et politiquement la généricité masculine. Elle reconnaît que cela peut présenter un danger pour les études féministes, en ne laissant plus toute la place aux femmes, mais elle considère que cette étape est nécessaire à leur évolution.

Sandra M. Gilbert et Susan Gubar, The Madwoman in the Anie (1979)

The Madwoman in the Attic présente une étude sur les écrivaines anglaises du ~ siècle et tente d'expliquer la nature d'une tradition littéraire féminine distincte à cette époque. Dans cette œuvre, Gilbert et Gubar cherchent aussi à établir une nouvelle théorie de la créativité littéraire des femmes. Enes exposent la difficulté qu'affrontent ces auteures qui ne peuvent se référer qu'à des textes écrits par des hommes. Ainsi, les modèles de femmes présentés dans la littérature sont des images fantasmées par les hommes et non construites par les femmes. Les écrivaines doivent se conformer aux modèles imposés par le patriarcat qui représentent les femmes comme des êtres passifs, dociles et « selfless}}. Celles qui prennent l'initiative d'écrire à l'encontre des normes

(33)

car

'i ,

Since texts sut)ortlm:ate

atttID'lllt that 15 so kept from

male texts wmch, defining them as « C}1Jhers, » deny

autonomy to alternatives to authority has

kept penD.

existe une '.>wh ... .t,.. féminine distincte,

Ienlln~~s doivent de façon détournée.

short, like the poet H. who declmed

aestbetic strategy by one ofher nove1s Pafunpsest, women from Jane

Austen and Mmy Shelley to Emily Dickinson prCfŒl~;::eQ

litermy are in some sense palimpsestic, wOIks whose surface designs

cORceaI or obscure deeper, less accessible (and sociaIlyacceptable) of meaning. Thus these authors managed the task achieving true female literary authOllty by simultanoous]y conforming to and subverting patriarchaI litermy standards 14.

l,a voix des femmes donc UU~,H'" et celle-ci s'exprime par

({ madwoman }}.

What fuis means, however, is that moowoman in literarure by women is not

merdy, as she in male an antagomst or foil to the heroine.

Rather, is usually sorne sense the double, an image ofher own

amciety and rage. Indeed, rnuch the poetry and fiction written by wornen

conjures this creature 50 that can come to tenns '<Nith

their own uniquely female fi:agmentation., own keen sense of

discrepancies what they are supposed to

que

retrouve une de plus cmnrrte avec Mmett et ce de l'œuvre à

cette vérité du texte qui est s'avère

13 Sandra M.GILBERT et Susan The "Madllloman if! the A ttic. The Womcm Tfrtter and the

Yale Press, p. 13.

J4 p.73.

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omniprésente chez ]a plupart des critiques féministes anglo-américaines de concert avec l'idée de la femme en tant que construit sociaL

Toril Moi, l'une des critiques féministes contemporaines les plus importantes, effectue, dans son livre Sexual/Textual Politics, une synthèse et une critique des approches anglo-américaine et française. EUe juge la première lacunaire par son manque de théorie ou de méthodologie distinctes. EUe estime de ce point de vue l'approche française plus appropriée à l'étude de textes littéraires, car eUe se révèle plus théorique.

LA CRITIQUE FÉMINISTE FRANÇAISE

La critique féministe française, qualifiée d'essentiahste, se base, en partie, sur un déterminisme biologique en vertu duquel certaines qualités se révéleraient universelles chez les femmes. Cette critique utilise la psychanalyse, pour la dénoncer, ainsi que la déconstruction de Derrida, pour condamner les oppositions binaires qui ont toujours placé les femmes en position d'infériorité. Les deux figures principales de cette critique sont Hélène Cixous et Luce lrigaray, bien que d'autres critiques importantes, telles que Julia Kristeva et Monique Wittig, y aient contribué. Toutefois, dans ce travail, je ne m'intéresserai qu'aux deux premières en raison de leur importance en ce qui a trait à l'élaboration d'une écriture spécifiquement féminine se démarquant du phal1ocentrisme.

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Dans ses textes sur la féminité16, Freud explique ainsi le développement d'une femme« normale». Dans le stade préœdipien, la petite fiUe vit un profond attachement à sa mère (phalhque) dont elle s'éloigne lorsqu'eUe s'aperçoit que cene-ci ne possède pas de pénis, et que c'est de sa faute si eUe-même n'en a pas. EUe vit alors un complexe de castration et se tourne vers son père - détenteur du pénis. EUe entre ainsi dans le complexe d'Œdipe où le « désir du pénis est remplacé par celui de l'enfant, lorsque par conséquent, selon une vieiBe équivalence symbolique, l'enfant vient à la place du pénis17 }). La petite fine, pour devenir une femme, doit ensuite liquider son complexe d'Œdipe, ce qui ne peut se faire que par refoulement, car, contrairement au garçon, elle ne vit pas sous la menace de la castration.

Lacan reprend, quelques décennies plus tard, les concepts de Freud. Au stade préoedipien, il fait correspondre l'Imaginaire, où le nouveau-né n'établit pas encore la différence entre lui-même et les autres, et s'identifie entièrement à sa mère. Vers six mois, apparaît le « stade du miroir» où le nourrisson - suite à la réflexion de son image dans un miroir ou les yeux d'un autre - s'invente une identité fantasmée. Puis vient l'Ordre Symbolique, où l'enfant est menacé de castration par la Loi du Père et se détache ainsi de sa mère pour se tourner vers son père qui possède le phallus. L'enfant ne voit plus ses désirs comblés instantanément par sa mère ; il vit alors un manque et doit avoir recours au langage pour faire connaître ses besoins. Le langage se fonde donc sur un manque, sur une perte, ceUe de la mère. Et le phaHus est le signifiant de ce manque, puisqu'il figure la Loi du Père qui a imposé la perte de la mère. Le langage

16 Sigmund FREUD, « La féminité », dans Nouvelles Conférences d'introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984, p. 150-181. Sigmund FREUD, «Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes ~>, dans La Vie sexuelle, Paris, P.UF., 1969, p. 123-132.

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m<::mqut:, Ce n'empêche pas que certaines crrnOl.les lacaniennes. Elles veulent

femmes considérées C01TIme des êtres à avec

propre, et non comme le reflet d'un homme qui ne peut se réaliser pleinement. Elles dénoncent alors système des oppositions binaires dans lequel un des termes n'existe qu'en tant que négatif de l'autre terme. À ce propos, dans la Née, Cixous présente les oppositions

versus la femme:

""'< ... 1"'"., qui correspondent à celle sous-jacente de l'homme

Activité/Passivité JourlNuit

Inte1ligible/Sensible

Soleil/Lune CulturelNature

Tête/Émotions

Chaque opposition peut s'analyser comme une hiérarchie où le côté est vu comme le négatit~ l'instance unpUliss~tntje. La mort joue un

des termes ne peut prendre vie que si meurt. dans un régime patriarcal, est toujours accordée au côté actif (masculin) et la défaite au côté passif (féminin).

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Dans ce jeu d'oppositions binaires, la critique féministe a recours à la déconstruction de Jacques Derrida qui remet en question ces oppositions et la hiérarchie violente qu'eUes engendrent. Derrida démontre que cette hiérarchie entre les deux termes peut être renversée, mais, une fois qu'eHe

r

est, se refuse à en établir une nouvelle où le second terme se verrait mis en position de supériorité.

Hélène Cixons et l'écl"itul"eféminine

Hélène Cixous veut étab1ir une écriture féminine qm renverserait ces oppositions binaires sans pour autant leur substituer un nouvel ordre. EUe affirme qu'il est «impossible de définir une pratique de récriture féminine, d'une impossibilité qui se maintiendra car on ne pourra jamais théoriser cette pratique, l'enfermer, la coder, ce qui ne signifie pas qu'eHe n'existe pas. Mais elle excédera toujours le discours que régit le système phaUocentriquel9 . »

Cependant, eUe donne une définition de la bisexualité et de l'écriture, qui se complètent, qui permet de se faire une idée de l'écriture féminine. Cixous croit fortement en une nature bisexuelle inhérente à tous les êtres humains. Elle renie la conception classique de la bisexualité qui «ployée sous le signe de la peur de la castration, à l'aide du fantasme d'un être «total» (mais fait de deux moitiés) veut escamoter la différence20. » Elle y oppose alors l'autre bisexualité:

Bisexualité, c' est-il-dire repérage en soi, individuellement, de la présence, diversement manifeste et insistante selon chaque un ou une, des deux sexes, non-exclusion de la différence ni d'un sexe, et à partir de cette pennission que

19 Hélène CIXOUS,« Le Rire de la Méduse », L'Arc, n° 61, 1975, p. 45.

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l'on se donne, multiplication des effets d'inscription du désir, sur toutes les parties de mon corps et de l'autre corps21 .

Et si la femme, avant tout, s'ouvre à cette bisexualité« qui n'annule pas les différences, mais les anime, les poursuit, les ajoute22 », l'homme éprouve plus de difficultés à le faire parce que, de tous temps, il a été « dressé à viser la glorieuse monosexuahté phaUique23 )}.

Cixous propose alors la définition suivante de l'écriture qui s'apparente à celle de la bisexualité :

Admettre qu'écrire c'est justement travailler (dans) l'entre, interroger le procès du même et de l'autre sans lequel rien ne vit, défaire le travail de la mort, c'est d'abord vouloir le deux, et les deux, l'ensemble de l'un et de l'autre non pas figés dans des séquences de lutte et d'expulsion ou autre mise à mort, mais dynamisés à l'infini par un incessant échangement de l'un entre l'autre sujet différent., ne se connaissant et se recommençant qu'à partir du bord vivant de l'autre : parcours multiple et inépuisable à milliers de rencontres et transfonnations du même dans l'autre et dans rentre, d'où la femme prend ses fonnes (et l'homme, de son côté; mais c'est son autre hlstoire)24.

Elle privilégie donc la différence et dénigre les oppositions binaires hiérarchisantes, afin que la femme - et l'homme - puissent chacun prendre leur place dans l'histoire et l'écriture, sans que l'un des deux ne soit nié par l'autre.

Il existe un lien essentiel entre l'écriture féminine et la mère comme source et origine de la voix à entendre dans tous les textes féminins. Cette voix vient de la mère dans le stade préœdipien (Freud) ou Imaginaire (Lacan) où toute différence est abolie:

Dans la parole féminine comme dans récriture ne cesse jamais de résonner ce qui de nous avoir jadis traversé, touché imperceptiblement, profondément.,

21 Ibid., p. 46.

22 Ibid., p. 46.

23 Ibid., p. 46.

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garde le pouvoir de nous affecter, le chant, la première musique, cene de la première voix d'amour, que toute femme préserve vivante ... Même si la mystification phallique a contaminé généralement les bons rapports, la femme n'est jamais loin de la «mère}) (que j'entends hors-rôle, la « mère» comme non-nom, et comme source des biens). Toujours en eUe subsiste au moms un peu du bon lait-de-mère. Elle écrit il l'encre blanche25.

La femme entretient ce rapport privilégié à la voix parce qu'elle« n'empile [pas] autant de défenses antipulsionneHes qu'un homme26. }}

La femme doit alors, pour faire entendre cette voix, inventer une nouvelle langue qui fasse voler en éclats les structures syntaxiques, lexicales et sémantiques établies par les hommes. Mais, pour ce faire, eUe ne peut pas utihser les mêmes instruments qu'eux; elle se servirait alors des structures patriarcales dont eHe cherche à s'échapper. Elle ne doit pas se demander « comment ça marche}) parce que cela revient à théoriser et à enfermer les choses. Il lui faut « chambouler le propre». Cela se traduit, dans les textes de Cixous, par l'utilisation de mots à double sens comme «voler », par des jeux de mots, par un style qui va du poétique au familier en passant par le théorique. Elle utilise aussi des phrases exclamatives et déclaratives qui donnent une impression d'immédiateté de la voix.

Il importe de souligner que, pour Cixous, l'écriture féminine est une manière d'écrire ; elle ne tient pas dans le simple fait du sexe de l'auteur. Certains hommes -rares - ont produit de récriture féminine (Jean Genet). EUe encourage les femmes à écrire: «récriture est la possibilité même du changement, l'espace d'où peut s'élancer une pensée subversive, le mouvement avant-coureur d'une transformation des structures sociales et culturelles27. }) L'écriture permet aussi à la femme de «faire retour à ce

25 Ibid., p. 44.

26 Ibid., p. 44.

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corps qu'on lui a confisqué28 }). « A censurer le corps on censure du même coup le souille, la parole. Écris-toi: il faut que ton corps se fasse entendre. Alors jailliront les immenses ressources de l'inconscient29 ».

Luce Irigaray et le parler-femme

Pour sa part, Luce Irigaray remet en question le discours philosophique « en tant qu'il faÎt loi à tout autre, qu'il constitue le discours des discours3o ». Elle dénonce aussi la psychanalyse qui a toujours servi de «relecture interprétante» au discours philosophique. Elle cherche alors à mettre au jour l'idéologie masculine en attirant l'attention sur ce qu'eUe appelle « l'économie du Même» :

La « différenciation}) en deux sexes part de l'a priori du même : le petit homme qu'est la fillette ayant à devenir un homme moins certains attributs - dont le paradigme est morphologique - susceptibles de détermLlJer, et d'assurer, la reproduction-spécularisation du même. Un homme moins la possibilité de se (re)présenter comme homme = une femme normale31.

La femme est un miroir qui renvoie sa propre image à l'homme. Elle n'existe qu'en fonction de lui et non en tant qu'être distinct et différent ~ elle est seulement un non-homme. Elle se situe « hors scène, hors représentation, hors jeu, hors je32 ». Le discours

philosophique perpétue cette réduction de

r

autre dans le même et se donne pour projet

« l'effacement de la différence des sexes dans les systèmes auto-représentatifs d'un

28 Ibid., p. 43.

29 Ibid., p. 43.

30 Luce lRIGARAY, Ce Sexe qui n'en est pas 1411, Paris, Éditions de Minuit, 1977, p. 72.

31 Luce IRYGARAY, Speculum de l'autrefemme, Paris, Éditions de Mnuit, 1974, p. 27.

(41)

« sujet masculin33 » ». L'étape suivante consiste, pour lrigaray, à produire une identité sexuelle positive pour les femmes. Au lieu d'identifier les deux sexes par A et non A (A-), eHe veut qu'ils soient représentés par A et B.

Pour conférer cette identité aux femmes et supprimer J'économie du Même, eHe considère nécessaire de « ({ rouvrir» les figures du discours philosophique - l'idée, la substance, le sujet, la subjectivité transcendantale, le savoir absolu - pour en faire resurgir les emprunts au/du féminin, leur faire «rendre)} ce qu'elles doivent au féminin34 »). Cela doit s'effectuer en « interrogeant les conditions de possibilité de la

systématicité elle-même : ce que la cohérence de l'énoncé discursif occulte de ses conditions de production, quoi qu'il en dise dans le discours35 ». Pour ce faire, il faut regarder de queUe façon le discours philosophique produit, reproduit et transpose tout ce qu'il met en scène:

[ ... ] c'est-à-dire ]' architectonique de son théâtre, son cadrage de 1'espace-temps, son économie géométrique, son ameublement, ses acteurs, leurs positions respectives, leurs dialogues, voire leurs rapports tragiques, sans oublier le miroir, le plus souvent masqué, qui permet au logos, au sujet, de se redoubler, de se réflécrur, lui-même. Toutes interventions dans la scène qui restées ininterprétées, assurent sa cohérence36.

Ce qu'elle préconise, alors, n'est pas une interprétation symbolique du logos, mais plutôt un questionnement du «fonctionnement de la « grammaire » de chaque figure du discours, ses lois ou nécessités syntaxiques, ses configurations imaginaires, ses réseaux métaphoriques, et aussi, bien sûr, ce qu'elle n'articule pas dans l'énoncé:

33 Luce lltlGARA Y, Ce Sexe qui n'en est pas un, op. cil., p. 72.

34 Ibid.

35 Ibid.

(42)

ses silences37 ». Et ce procès ne peut s'opérer par l'intermédiaire de la psychanalyse

-qui a, jusqu'à maintenant, interprété le discours philosophique - car elle «ne peut résoudre [ ... ] la question de l'articulation du sexe féminin dans le discours38 ». Il ne

reste, selon Luce lrigaray, qu'une chose à entreprendre, c'est de «« détruire}) le fonctionnement discursif 39».

Elle cherche donc à retrouver un lieu « féminin» dans le discours, mais elle ne prône pas {( une nouvelle théorie dont la femme serait le sujet ou l'objet40 ». Ce qu'eHe

propose avant tout, c'est «d'enrayer la machinerie théorique elle-même, de suspendre sa prétention à la production d'une vérité et d'un sens par trop univoques }) et de voir de queUe façon « le féminin se trouve déterminé : comme manque, défaut, ou comme mime et reproduction inversée du sujet41 ».

Cette recherche du féminin, dans le discours, représente le premier pas vers l'inclusion des femmes dans le logos jusqu'ici réservé aux hommes. À partir de là, les femmes doivent s'inventer un langage propre, autre que celui des hommes. lrigaray suggère alors le parler-femme. Le «style» de ce parler-femme ne doit jamais être fermé, ne produire qu'un sens unique - comme celui des hommes dont la sexualité est uniquement centrée sur le phallus. La sexualité des femmes est multiple - ne se concentre pas sur un seul organe - et son écriture doit l'être aussi, car c'est son corps qu'elle investit dans ce procès.

37 Ibid, p. 73.

38 Ibid.

39 Ibid.

40 Ibid., p. 75.

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