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L' évolution du féminisme dans l'oeuvre de Marie Laberge

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(2)

'.'

l·oeu-v-re d e Ma.rie L a . b e r g e

par

Simone Pilon

Mémoire de maîtrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littéraure françaises Université McGill

Montréal. Québec

Juillet 1995

(3)

Acquisitions and Direction des acquisitions et Bibliographie Services Branch des services bibliographiques

395 Wellington Street 395. rue Wellington Ollawa, Ontario Ottawa (Ontario)

K1A ON4 K1A ON4

YOUfIlle VoIre relerence Our Me Notre rê/éronce

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ISBN 0-612-07954-6

(4)

professeur André Smith pour son excellente direction. son soutien et sa patience. Je suis reconnaissante de son aide dans la réalisation de ce mémoire.

(5)

TABLE DES MATIERES

Résumé i

Abstract ii

Introduction 1

Le féminisme modéré: Oubl ier .

Le féminisme revendicateur:

C'était avant la guerre â l'Anse â Gilles .

1 2 1.1 1.2 1.3 1.4 1.5 2.1 2.2 2.3 2.4 2.5 Décor et personnages . - La cuisine . - La réali té de Marianna . - La réalité de Rosalie . - La réalité de Mina , - La réali té d' Honoré .. • - ~es J;êves . La segregatl.on . La violence . L'impuissance et la subordination . Le mouvement féministe au Québec (1970-1979) .

- Le corps . - Le travail . - La parole . Le pouvoi r . Les personI]ages . - Jull.efte .. - Joanne . - Judith . - Micheline . - Jacqueline . L'exil . La sol i tude . Le travail .

Le mouvement féministe au Québec (années 1980) ..

8 11 12 15 18 24 28 32 37 39 40 44 46 47 49 50 53 55 59 60 64 65 68 71 73 75 81

3 Le féminisme disparu: Juillet 86

3.1 Les personnages 86 - Cha rIo t t e . . . .. 89 - Catherine... 94 3.2 La sph~re pul;>l:~que 98 3.3 La sphere prl.vee 100 3.4 L'avortement 104 3.5 La violence 106 3.6 L'image de la femme 110

3.7 Le mouvement féministe au Québec (1989-1995) 114

- La violence , 115

- Le travail et la vie privée 117

- La vie publique 118

- Les droits de la femme 119

- L'image de la femme 120

Conclusion ' , 123

(6)

R:f:Sillffi

Marie Laberge a d'abord été dramaturge à partir de la fin des années 70. Elle a publié 15 pièces qui lui ont permis de se tailler une place importante, non seulement dans le théâtre féminin au Québec, mais aussi dans le théâtre québécois en général. En plus d'être une dramaturge accomplie, Marie Laberge est aussi romancière.

Ce mémoire étudie les idées féministes ainsi que le vécu féminia tels qu'ils apparaissent dans l'oeuvre dramatique et romanesque de Laberge.

Nous verrons comment Laberge s'intègre dans le théâtre féminin au Québec. Nous soulignerons également les grands thèmes du mouvement féministe québécois depuis 1970. Nous utiliserons le concept bakhtinien de chronotope afin d'explorer le vécu féminin dans le corpus étudié.

Nous analyserons trois mouvements de l'oeuvre labergienne qu'on peut intituler le féminisme revendicateur, le féminisme modéré et le féminisme disparu. Dans chacun, nous étudierons un texte en détails. Après avoir relevé les idées développées dans les textes choisis, nous les comparerons au reste des oeuvres de la période ainsi qu'au mouvement féministe québécois de l'époque.

En conclusion, nous résumerons l'évolution du féminisme chez Laberge tout en le mettant en parallèle avec le mouvement

féministe au Québec .

(7)

Marie Laberge began her career as a playwright at the end of the 1970's. Presently, with 15 plays to her name, she holds an important place in women's theatre in Quebec and in Quebecois theatre in general. Not only is Marie Laberge a successful playwright, she is also a novelist.

This work examines the feminist ideas and the female experience as presented in Marie Laberge's plays and novels.

Ini tially, the important themes of women' s theatre in Quebec and Marie Laberge's position and role within this movement will be explored. The dominant themes of the feminist movement in Quebec since 1970 will be highlighted. The concept

chronotope, defined by the Russian theorist Mikhail Bakhtine,

will be employed in this thesis to assist with the evaluation of the female experience.

Three periods of Marie Laberge's work will be defined as feminist action, moderated feminism and absence of feminism. To properly study these three phases, one text from each, which best represents the ideas of that period, will be analyzed in detail. Once the ideas relevant to this study are exposed, they will be explored in relation to the other works in each phase and to the feminist movement in Quebec during the same period.

In conclusion, the growth of the feminism in Marie Laberge's work will be summarized and compared to the feminist movement in Quebec and its evolution .

(8)

INTRODUCTION

Au début des années soixante-dix, un nouveau mouvement théâtral s'est développé au Québec. Ce courant, initié par les femmes, avai t pour but de dénoncer les stéréotypes féminins négatifs présents dans le théâtre existant et d'y introduire une voix féminine. A travers une structure non-traditionnelle composée de nombreux monologues, ces pièces dénoncent «l'oppression de la femme dans la société patriarcale»1 ainsi que «l'inceste, le viol et la violence»2. L'ambition première de ces dramaturges était de revendiquer le droit à «l'avortement et plus globalement la réappropriation du corps et par là de • l' identi té des femmes»J. Ce théâtre mili tant ~st caractérisé

par une absence de personnages masculins.

Ce théâtre, qui rejoignait un public exclusivement féminin, a bientôt cédé sa place à un nouveau courant plus accessible au grand public. Vers la fin des années 70, nous remarquons que le théâtre féminin québécois a repris une structure plus traditionnelle en introduisant des personnages masculins et en élargissant sa vision à des sujets qui ne sont plus spécifiquement relatifs aux femmes.

C'est à ce deuxième courant du théâtre féminin québécois que Marie Laberge appartient. Cependant, nous ne pouvons pas

G. Boyer, Théâtre

Literature, p. 76.

Ibid., p. 77 .

Ibig., p. 77.

(9)

ignorer l'influence qu'a eu le premier courant, plus radical, sur son oeuvre. Tout comme dans le théâtre militant, les

De plus, le féminisme ainsi que la personnages masculins

dramatique de Laberge.

sont presque absents de l'oeuvre

condition féminine sont centraux dans ses oeuvres théâtrales. Nous y voyons les thèmes de l'inceste, du viol, de la violence ainsi qu'un désir de la part des personnages féminins de s'affirmer et de prendre la parole. Cependant, le théâtre de Laberge est composé principalement de caractéristiques du

deuxième courant, car il a une structure assez traditionnelle et trai te une variété de thèmes. De plus, l'emploi du joual, «langage populaire des personnages»4, donne un effet réaliste à

ses pièces. Nous pouvons nous identifier à ses personnages et

aux situations qu'ils vivent. Le résultat, c'est que ses pièces atteignent une grande partie de la population tout en conservant un aspec t mi l i tan t . Dans son oeuvre romanesque tou tefois , Laberge abandonne toute ambition idéologique.

Depuis 1981, Marie Laberge a publié quinze pièces et trois romans. Son oeuvre aborde les thèmes de l'amour, la solitude, l'impuissance, les relations conjugales et les rapports mère-fille. Nous étudierons cette thématique d'un point de vue féministe. Nous nous concentrerons en particulier sur les rêves des femmes, leurs actions, mais aussi leurs difficultés à agir. Nous verrons qu'en dix-huit ans d'écriture, l'univers labergien

(10)

ainsi que la vie des femmes ont subi plusieurs changements. La question que nous nous posons est donc la suivante: comment le féminisme de Laberge évolue-t-il à travers son oeuvre et à quel point se rapproche-t-il du mouvement féministe québécois?

Au début de sa carrière, les idées féminis tes que Marie Laberge présente dans ses oeuvres sont très revendicatrices. Cependant, plus son oeuvre se développe, plus modéré son féminisme devient. Daas ses oeuvres dramatiques qui datent de 1984 et au-delà, les luttes des femmes sont de moins en moins représentées. Les personnages féminins ne semblent plus vouloir s'unir dans un combat collectif. Le féminisme revendicateur présent dans les oeuvres antérieures a disparu. Les personnages féminins se contentent de leurs acquis et cessent de lutter pour plus. Lors de l'introduction des romans dans son oeuvre, nous voyons un troisième changement. Les femmes ne poursuivent plus, dans l'ensemble, qu'un combat individuel. Elles n'ont plus de soucis idéologiques.

Cette transformation des idées féministes de Marie Laberge est intéressante car, jusqu'à un certain point, elle est analogue à celle du mouvement féministe au Québec qui a été très acti f jusqu'à la fin des années 70, mais qui s'est ensuite fortement modérée. Pendant les années soixante-dix, les Québécoises se sont unies afin de lutter contre plusieurs inégali tés sociales. Elles réclamaient l' égali té au travail, l'accès aux garderies, à la contraception et à l'avortement. Ce mouvement féministe a eu une action sur la société québécoise.

(11)

Au début des années 80, ce sentiment de solidarité chez les Québécoises s'est dissipé. Sensibles aux progrès accomplis et fatiguées de lutter pour plus, les femmes ont eu tendance à se contenter des petits gains déjà obtenus. Toutefois, vers la fin des années BD, la société québécoise a été témoin d'un renouvellement du féminisme. Les femmes, remarquant que plusieurs problèmes existaient toujours et qu'elles étaient loin d'occuper une position égale à celle des hommes dans la société, ont repris la lutte. Cette quête n'est toujours pas terminée.

Afin d'analyser le féminisme chez Laberge, nous proposons de diviser son oeuvre en trois parties. La première comprend ses oeuvres dramatiques rédigées avant 1984: Eva et Evélyne

(1977), Ils étaient venus pour ... et C'était avant la guerre à

l'Anse à Gilles (19Bl), Avec l'hiver gui s'en vient et L'homme

gris (1982) ainsi que Jocelvne Trudelle trouvée morte dans ses

larmes (1983). Ces pièces présentent une condition féminine

dépourvue de droits encore que les femmes soient capables d' identi fier leurs problèmes et d'essayer de les résoudre. Elles sont tentées par diverses formes d'actions. Nous avons cependant situé la pièce Le banc dans la deuxième partie de l'oeuvre. Bien que rédigée en 1981, cette pièce présente un

vécu féminin différent de celui des pièces indiquées plus haut. Dans Le Banc, Laberge met en scène des femmes qui, incapables de

(12)

la vie publique et la vie privée. Cela nous conduit â situer Le Banc dans la deuxième partie de l'oeuvre qui comprend les oeuvres dramatiques rédigées entre 1984 et 1988, bien que quelques unes n'aient été publié qu'au début des années 1990. Ces pièces, avec dates de publication sont: Deux Tangos pour toute une vie (1985), Le Night Cap Bar ainsi que Oublier (1987), Aurélie, ma soeur (1988) et Le faucon (1991). Ces pièces mettent en scène des femmes qui jouissent d'un vécu plus positif que celui de leurs contemporaines, mais qui n'est pas exempt de problèmes, parfois graves. Cependant, ces femmes ne rêvent pas

â un avenir meilleur où elles auraient davantage de droits et de liberté. Elles ne voient que leurs problèmes du moment et n'essayent pas de les régler, mais plutôt de les oublier. Elles sont lasses de lutter et veulent simplement vivre, même dans la misère.

Les romans de Laberge constituent le troisième groupe d'oeuvres que nous étudierons. Nous y retrouvons des femmes fortes et indépendantes, tout comme celles de la première partie. De plus, contrairement aux femmes du deuxième groupe d'oeuvres, ces femmes ne se laissent pas traîner dans la" misère. Elles jouent des rôles actifs dans leurs vies, elles décident de ce qu'elles désirent et réalisent leurs rêves. Ce sont les personnages féminins de Juillet (1989), Quelques Adieux (1992) et Le poids des ombres (1994).

(13)

analysant une oeuvre de chaque période, à savoir: C'était avant la guerre à l'Anse â Gilles, Oublier et Juillet. Après avoir analysé ces trois oeuvres en détails, nous en retiendrons les

éléments principaux et nous verrons comment ils sont représentés

dans le reste de la période.

Afin de bien faire ressortir les idées féministes chez

Laberge, nous avons décidé d'employer le concept du théoricien

russe Mikhail Bakhtine, nommé chrono tope. Dans son oeuvre

Esthétique et théorie du roman, Bakhtine réunit dans ce concept

l'idée de «temps-espace»; qu'il définit comme «la corrélation

essentielle des rapports spatio-temporels, telle qu'elle a été

assimilée par la littérature.~6 Cette méthode d'analyse, employée par Maïr Verthuy dans «La vraie vie est ailleurs»: la

question de l'espace-temps dans l'oeuvre théfitra1e de Marie Laberge7, nous aidera â identifier divers archétypes féminins.

De plus, nous pourrons analyser les actions et les rêves des

femmes afin de voir où elles ont accès dans la société et où

elles désirent pénétrer. En comparant ces résultats avec le

vécu féminin au Québec, nous serons à même de voir si les rôles

que jouent les personnages féminins de Laberge sont

contemporains. Nous serons également en mesure d'évaluer si ces

~ M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, p. 237. Ibid., p. 237.

7 M. Verthuy «La vraie vie est ailleurs»: la question de l'espace-temps dans l'oeuvre théâtrale de Marie Laberge dans A.

(14)

femmes désirent améliorer leurs vécus ou si elles se contentent de ce qu'elles ont.

En comparant les idées de Laberge â l'évolution du mouvement féministe au Québec, nous pourrons analyser l'influence de la société québécoise sur son oeuvre. Est-ce que les idées que Laberge développe sur le féminisme ressemblent â

celles proposées par le mouvement féministe au Québec? Nous croyons que les idées radicales présentes dans le mouvement féministe au Québec des années 70 sont également présentes au début de la carrière de la dramaturge. De plus, tout comme dans la société québécoise, le féminisme de Marie Laberge s'est modéré vers le milieu des années 80. Et dans ses romans. Laberge ne suit plus la même voie que le mouvement féministe au Québec. L'influence de la société québécoise sur son oeuvre semble avoir diminué.

(15)

1 LE FBMINISME REVENDICATEUR:

C'STAIT AVANT LA GUERRE À L'ANSE À GILLES

A la fin des années 1930, le théoricien russe Mikhail Bakhtine a étudié le problème de l'espace-temps dans le roman. CP.t élément que Bakhtine nomme chrono tope aide a établir «l'image de l'homme en littérature, image toujours essentiellement spatio-temporelle.»8 Ces chronotopes peuvent

être des stéréotypes, des images qui nous sont familières et qui ont un élément spatio-temporel spécifique. Nous pouvons citer comme exemple le stéréotype de la mère canadienne-française, définit par Jean LeMoyne dans Convergences:

la mère canadienne-française se dresse en calicot, sur son "prélart", devant un poêle et une marmite, un pet! t sur la hanche gauche, une grande cuiller à la main droite, une grappe de petits aux jambes et un autre petit dans le ber de la revanche, là, à côté de la boîte à bois ... Notre image a beau ne correspondre à rien d'actuel ou à peu près, elle s'impose avec insistance, elle est

familière à tous et constitue une référence valablf pour tous. Nous avons affaire à un mythe.

Si nous regardons cette image de plus près, nous découvrons qu'elle incarne une certaine époque qu'on peut situer avant la Seconde Guerre mondiale dans les foyers ruraux du Québec. Nous reconnaissons tous ce stéréotype de la femme, mais nous l'attribuons au passé, au Québec d'autrefois.

8

9

M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, p. 238,

(16)

Dans l'oeuvre de Marie Laberge, nous retrouvons divers chronotopes, par exemple celui de la femme martyre qui ignore ses propres désirs afin de se dévouer à sa famille et celui de la "super-mom" des années 80 qui essaye d'assumer toutes les responsabilités d'une carrière et d'une famille. Les hommes sont également stéréotypés. L'homme doux, qui respecte les femmes, est considéré faible par la société. Cette dernière promeut plutôt ceux qui occupent des postes importants et qui s'intéressent à leurs carrières. Bien que souvent ces images soient mythiques ou exagérées, elles sont très répandues et acceptées par la société. Même si nous n'y croyons pas, elles sont ancrées dans la population québécoise et exercent un pouvoir sur elle. Les personnages labergiens sont incapables d'ignorer complètement ces stéréotypes et sentent qu'ils doivent les imiter.

Les femmes et leur vécu dominent l'oeuvre de Laberge. Bien que les hommes soient présents, ils jouent un rôle secondaire. C'est pour cette raison que nous avons choisi d'étudier les idées féministes que Marie Laberge présente dans son oeuvre. En dégageant ces éléments tout au long de sa carrière et en les comparant au mouvement féministe québécois, nous serons en mesure d'évaluer l'influence de la société québécoise sur cette même oeuvre. Grâce à la théorie du chrono tope , nous pouvons

observer l'évolution de la femme et de son rôle dans la société labergienne et québécoise.

(17)

séries de chronotopes. La première, celle de la réalité et la deuxième, celle du rêve. Pour étudier ces deux séries, nous avons divisé l'oeuvre de Laberge en trois parties.

La première comprend les pièces rédigées au début de sa carrière, entre la fin des années 70 et le milieu des années 80: C'était avant la guerre à l'Anse à Gilles et Ils étaient venus pour ... (1981), Avec l'hiver gui s'en vient et L'homme gris (1982) et Jocelyne Trudelle trouvée morte dans ses larmes (1983). Cependant, tout les ouvrages rédigés pendant cette période n'appartiennent pas à ce groupe. Nous pouvons citer

comme exemple une pièce qui date de 1981, Le Banc. Elle présente un vécu féminin plus contemporain et montre l'incapacité des personnages de rêver. Par sa thématique, cette pièce appartient donc à la deuxième période de l'oeuvre de

Laberge, caractérisée par l'impuissance et la futilité.

Nous pouvons retracer un thème principal parmi les pièces du premier groupe: la condition féminine. Dans ces ouvrages, la vie des femmes n'est guère exaltante. Bien que leur vécu ne corresponde pas au mythe décrit pas Jean LeMoyne, il n'est pas tellement meilleur. Les femmes n'ont pas beaucoup de droits ni de liberté, elles travaillent fort et sont victimes de violence. Leur problème est relié au manque de pouvoir. Elles sont prisonnières d'une impuissance qui caractérise tous les aspects de leurs vies. Néanmoins, les personnages ne sont pas complètement paralysés, ils ont de l'espoir et des rêves pour l'avenir.

(18)

1.1 Décor et personnages

C'était avant la guerre à l~Anse à Gilles date du début de la carrière de la dramaturge. C'est un bon exemple pour illustrer la di fficile condition des femmes. Ceci est dû à

plusieurs raisons. Chez chaque personnage, on peut observer les deux types de chronotopes définis plus hautlO • Ils forment en même temps une opposition et une complémentarité. Ces chronotopes, à travers les divers personnages, aident à

illustrer la condition féminine à l'époque et ce que les femmes désirent obtenir. Ce qui est intéressant, c'est que bien que l'action se déroule en 1936, la réalité de ces femmes a très peu changé entre ce temps et la date 00 Marie Laberge rédige la pièce, 1981. C'est une pièce historique qui demeure toujours très actuelle en ce qui concerne le thème de la condition féminine et les idéologies dominantes.

En étudiant chaque personnage de cette pièce et les chronotopes qui les entourent, nous pouvons voir la lutte constante qui existe dans leur vie, «00 les valeurs du devoir et du sacrifice s'opposent à celles de la liberté et de l'émotion»l1. Il n'est pas surprenant que ces premières valeurs (le sens du devoir et du sacrifice) soient celles ancrées dans le vécu des femmes tandis que les deuxièmes (la liberté, les

10.

ID L'un relié au réel, l'autre au rêve. Cf. supra, p.

11 P. Lavoie, Le trio infernal ou De l ' impossibilité

(19)

émotions) sont celles auxquelles elles rêvent et aspirent. C'est dans cette pièce que les personnages «tracent le long chemin à parcourir pour transformer l'Histoire et créer de nouveaux rapports entre hommes et femmes, entre parents et enfants»!2. Cette route en est une que les femmes essayent toujours de parcourir, le trajet n'est pas encore terminé. Dans la pièce, la vie réelle, très négative, est le commencement tandis que les rêves de Marianna en constituent le but.

LA CUISINE

Regardons, pour commencer, les chronotopes qui présentent la réalité afin d'avoir un aperçu de la vie de ces femmes dans cette petite communauté. La pièce traverse les quatre saisons de l'année 1936. Toute l'action se déroule dans une pièce de la maison de Marianna, la cuisine. Ce choix n'est pas fortui t étant donné que cet endroit appartient aux femmes. A travers ce lieu restreint, il est possible de voir. en détail, le vécu des femmes. On y apprend beaucoup au sujet de leur travail, leurs relations familiales, leurs amitiés et leurs désirs car. pour l'essentiel, leur vie se déroule à la maison et, en particulier, dans la cuisine. C'est là où elles s'occupent des enfants, préparent les repas et font le ménage. L'anthropologue Rayna R. Reiter explique ce phénomène de la division des tâches qui n'est

(20)

pas particulier au Québec:

the general pattern cross-cul turally is that women tend to do the majority of child care, cooking, provisioning of clothing, gathering, and horticulture. These activities serve to reproduce the household in a continuous, daily fashion. Jhey also tend to keep women close to home.

Cette division, qui est basée sur les différents rôles remplis par les ho~mes et les femmes, crée une division entre les sexes et les activités du village. En lisant cette pièce, nous

remarquons que la description du vécu des femmes de l'Anse à

Gilles correspond bien à cette description. Le domaine de la femme est privé; elles n'existent que dans la maison, hors de la sphère publique.

Bien que cette image de femmes isolées et du travail qu'elles font ne soit certes pas positive, on voit néanmoins que la cuisine leur est devenue un refuge important. Elles peuvent l'identifier comme leur espace où elles seules peuvent pénétrer, où elles prennent des décisions. elevées par leur mère dans cet endroit et formées à accomplir leur rôle, elles possèdent la connaissance et les talents nécessaire pour bien faire leur travail. Germaine Greer commente ce phénomène d'apprentissage:

A girl is early introduced to her menial role, as her mother teaches her household skills [ ... ] While little boys are forming groups and gangs to explore or terrorize the

13 R. R. Reiter, Women ln the South of France. dans R. Reiter, Toward an Anthropology of Women, p. 274.

(21)

district, she is isolated at home ... 14

Elles peuvent avoir confiance en elles-mêmes et se respecter parce qu'elles y font du bon travail et contrôlent cet univers. Leurs maris ne s'intéressent guère à ce qui s'y passe. Elles se sentent donc à l'aise dans cet espace restreint et beaucoup de leurs contacts avec d'autres femmes se produisent dans ce lieu. l I n ' est donc pas surprenant que ce soi t là que Marianna accueille ses invités. Bien que toute la maison lui

appartienne, c'est là qu'elle fait son travail et c'est dans cet endroit qu'elle se sent à l'aise avec elle-même.

On doit se demander quel effet cette isolation, cette ségrégation des femmes dans le domaine privé a sur leur vie. Comme le dit Honoré vers la fin de la pièce, après avoir entendu une citation de Maria Chapdelaine:

vous avez pas assez grand icitte, vous pouvez pas prendre vot' respire à l'aise: c'est p'tête la faute aux cuisines, rapport qu'on vous a toujours mis en d'dans, vous aut', pis q~:vous seriez du monde de dehors comme nous aut'. '

En gardant la femme dans la maison, on ne l'isole pas simplement du monde social et politique, mais aussi du monde des idées. Au travail, au café, dans la rue, les hommes discutent de la politique, de la situation locale, du monde. Parce qu'elles n'ont pas accès à ces lieux, les femmes manquent d'occasions pour échanger des idées. En plus, en 1936, très peu de familles

15

p, 117.

G. Greer, The Female Eunuch, p. 86-87.

(22)

rurales avaient transmettre dans des les radios. lieux L'information devaient se publics, auxquels les femmes n'avaient pas accès.

Dans la cuisine de Marianna, on peut étudier les liens qui existent entre les femmes. A travers leurs entretiens et leurs manières de s'exprimer, nous sommes amenés à mieux comprendre leur attitude féministe. Dans la cuisine de Marianna, les personnages discutent de poli tique; ce lieu devient un forum d'idées et d'échanges. Dans ce chapitre, nous allons étudier en détail d'où viennent les idées et opinions qu'expriment ces personnages. Il est important de préciser que ces conversations peuvent avoir lieu parce que Marianna est une veuve et propriétaire de sa maison. Bien que ça soit toujours la cuisine, Marianna sait que c'est son espace à elle et qu'elle y

est libre d'exprimer ses opinions et d'en discuter avec d'autres.

LA RMLITti: DE MARIANNA

Quelle est la réalité de Marianna? Est-ce que cette réalité est différente de celle d'une femme mariée? Marianna travaille de longues heures â laver et repasser les draps des gens aisés de la communauté. Bien que le travail ne soit pas facile et qu'elle ne gagne pas beaucoup d'argent, elle aime ce qu'elle fait. En travaillant seule, chez elle, elle peut

(23)

accueillir ses amis et avoir le temps de cuisiner pendant qu'elle accomplit ses autres tâches. Bien que ce scénario ressemble beaucoup à celui d'une femme mariée, il s'en écarte cependant considérablement.

Premièrement, Marianna étant la patronne, il n'y a personne chez elle qui la surveille, et surtout pas son mari. Elle choisit quand et comment elle travaille. Deuxièmement, elle a la liberté de décider comment dépenser l'argent qu'elle gagne. Finalement, elle aime travailler, car de cette façon elle ne s'ennuie pas et peut vraiment se respecter. Comme elle le dit

à Honoré, «J'me vois pas assis à m'barcer pis rien fére, comme si j'serais mûre pour l'hospice.»16 On voit donc qu'à travers son travail, Marianna gagne un peu d'autonomie et est capable de demeurer seule.

En plus d'avoir un domaine propre et de pouvoir travailler pour gagner sa vie, et donc de se distinguer d'une façon importante des femmes traditionnelles de son milieu, elle possède aussi une liberté qui leur est étrangère. La différence la plus évidente entre elle et ses voisines, c'est qu'elle n'a pas de mari ni d'enfants; elle est autonome, sans dépendants. Et, elle n'est pas prête à renoncer à cette vie de femme seule. Elle est contente de n'avoir pas d'enfants et elle n'éprouve

s'ennuyer et Mina pense qu'elle vit «dans 16 Ibid. , p. 63.

17 Ibid., p. 40.

aucune envie de se remarier. Honoré croit qu'elle doit l' chagrin»17.

(24)

Marianna leur répond simplement: «Mais chus pas misérable: j'ai des amis, des livres, d'l'ouvrage en masse~18. En se remariant, Marianna aurai t toujours «d 'l'ouvrage en masse~, mais elle n'aurait pas tant de liberté en ce qui concerne ses amis et ses loisirs. Elle sait qu'elle est mieux comme elle est à présent. Mais cette envie qu'elle a de demeurer seule crée des problèmes sociaux et politiques. Par exemple, bien qu'on croie qu'elle devrait se trouver un nouveau mari, on trouve aussi que ce n'est pas acceptable qu'elle ait des amis masculins. Honoré, que nous allons étudier plus en détails, est un bon ami de Marianna et lui rend visite souvent. ~tant donné qu'il n'est ni son mari ni son prétendant, la société désapprouve cette relation et la réputation de Marianna (et non celle d'Honoré) en souffre. Comme le dit Rosalie, «Honoré. Qui rentre icitte comme chez eux, pis qui jase, pis qui a presquement son fauteuil dans place. Penses-tu qu'ça s'jase pas, çà, Marianna?»19

Marianna et Honoré ont commis deux erreurs selon les critères sociaux de l'époque. Premièrement, ils sont à l'aise ensemble. Marianna ne se sent pas dominée par Honoré qui, lui, ne la traite pas en subordonnée. Contrairement aux relations traditionnelles de pouvoir entre les hommes et les femmes, ils se traitent en égaux. Deuxièmement, ils se parlent. D'après les valeurs ambiantes, les hommes et les femmes ne devraient pas se parler, ils ne devraient même pas avoir quelque chose à se

18

19

Ibid., p. 40. Ibid., p. 32.

(25)

dire. Honoré devrait s'occuper de la vie du village tandis que Marianna ne devrait que se soucier de sa maison. Marianna et Honoré sont contraints par ce que la société juge acceptable et

ils devraient se comporter selon ces règles.

On voit donc que Marianna jouit d'un peu plus de liberté que la femme traditionnelle, mais qu'elle est toujours opprimée par la société en ce qui concerne ses idées, ses activités et ses actions. Dans la majori té des aspects de sa vie, elle ignore ce que pense la paroisse et continue à prendre ses propres décisions. Par contre, dans plusieurs domaines, les femmes ne peuvent même pas s'exprimer sur ce qu'elles veulent. Dans la pièce, le manque de pouvoir électoral est le symbole de ce que les femmes n'ont pas, car ce droit donnerait aux femmes la parole. Elles pourraient exprimer, officiellement, leurs opinions et auraient donc accès à la sphère publique, celle de

la politique, qui leur est interdite. Le droit de vote aux femmes fut accordé en 1940.

LA RSALITe DE ROSALIE

Le personnage de Marianna et son rôle dans la cuisine nous ont donné un bon aperçu des valeurs au sujet des femmes de cette époque. Cependant, Marianna n'e~t pas la seule à être

prisonnière de la tradition. A travers les endroits où se trouvent les autres personnages, nous serons en mesure d'évaluer

(26)

la condition féminine présentée dans la pièce plus en détails.

Rosalie, la jeune servante orpheline, est présentée dans deux

endroits principaux à part la cuisine de Marianna; la cuisine de

ses maî t res et le bureau de Monsieur. Avant de commencer

l'étude de ce personnage, il est important d'indiquer en général ce que comprend la vie quotidienne de cette femme.

La tante Mina croit que le salaire que gagne la servante

est suffisant pour le travail qu'elle fait: «Douze piasses,

mais nourrie, logée, fournie d' souliers: c' pas rien!,20.

Rosalie n'est pas d'accord et estime qu'elle est exploitée par

les bourgeois de la ville. Elle défend sa position en parlant

à Mina:

Pis j'travaille en masse, c'pas d'la gâgne de chômage que j'fais, tante Mina: de sept heures du matin jusqu'à neuf heures le soir,

pis une veillée d'congé

P'f

semaine el soir

que çà adonne à monsieur.

Bien que Marianna travaille elle aussi de longues journées et ne gagne probablement pas non plus un gros salaire, sa situation

est très différente de celle de son amie orpheline. Rosalie n'a

pas de liberté, elle est dans une classe sociale très humble et elle a peur de son patron, à juste titre comme nous le verrons.

C'est chez le patron de Rosalie qu'on voit les deux

endroi ts où se retrouve cette jeune femme et, comme nous le

verrons, il existe une forte division entre les deux. Il ya la

cour et la cuisine qu' on pourrait appeler le domaine privé,

20 21

Ibid., p. 85. Ibid., p.85.

(27)

celui de Rosalie. Il y a aussi le bureau de monsieur, le salon et la salle à manger. Ces endroits, bien qu'ils soient toujours dans la maison, sont moins privés que la cuisine. C'est là où on accueille le monde, où on discute de politique et d'affaires. C'est là où le monde extérieur pénètre dans la maison. C'est le domaine de "Monsieur".

Le patron de Rosalie entre dans la cuisine deux fois et le résultat est toujours le même. Rosalie, nerveuse, devient inquiète et apeurée, ne comprenant ni sa présence ni ses actions. La première fois, c'est quand il veut lui parler de la lettre de Florent Oubé. Monsieur entre dans la cuisine pour lui dire qu'il veut lui parler. Il envahit son sanctuaire, son espace privilégié. Rosalie, surprise par sa présence, s'inquiète «sans bon sens»22. L'action de la scène entre Rosalie et son patron ne s'arrête pas là, car Monsieur la déplace vers son bureau. Nous allons analyser la suite de cette scène plus en détails plus tard. Mais, pour le moment, passons au deuxième incident.

Encore une fois, il s'agit d'une scène où Rosalie est en train de travailler dans la cuisine. Son patron y entre. La seule différence entre cette scène et celles qui la précèdent, c'est que cette fois, il est saoul. Rosalie, tout comme dans la scène précédente, est inquiète et apeurée devant lui. L'action qui suit est d'une nature très violente. Monsieur pousse Rosalie à terre, ignorant ses protestations. Il fonce sur elle,

(28)

la viole, se lève et quit te la cuisine en disant, «Farme ta gueule, la bonne. sans çà, j't'égorge comme un cochon. Farme ta gueule, par pas de t' çà à parsonne. »23 Rosalie ne retournera

jamais chez cet homme. Elle n'a plus rien au monde. Elle a perdu tout respect d'elle-même, de son patron et de son sanctuaire. Bref, elle a perdu le goüt de vivre. La cuisine de Marianna et celle de son patron sont tous ce qu'elle avait. Elle a perdu la moitié de son espace, tout ses biens ainsi que sa réputation. Une histoire inventée par son patron au sujet de sa disparition fait qu'elle ne pourra plus jamais se présenter

à l'Anse à Gilles.

C'est avec le personnage de Rosalie que la cuisine, symbole de la vie des femmes à l'époque, prend de nouvelles dimensions . Ce qu'on a vu chez Marianna, c'est-à-dire l'importance d'un endroit où on travaille fort mais qui est néanmoins un refuge, n'a plus le même sens. Ce refuge a été envahi par la violence, par l'Homme.

En retournant à la scène où Rosalie est convoquée dans le bureau de son patron, on peut étudier l'importance de ce dernier lieu. Le bureau, domaine de Monsieur, est l'endroit où il peut exercer tout son pouvoir. Il écarte Rosalie de tout ce qui lui est familier et la place dans un domaine où elle sait qu'elle n'a pas accès. Ce mouvement-là lui donne l'impression d'être omnipuissant. Le résultat de ceci est qu'elle se montre faible devant lui, soumise à son autorité. Sans savoir pourquoi, alors

(29)

qu'elle est dans son bureau, Rosalie commence à pleurer: «Pis là, j'sais pas pourquoi, c'est niaiseux, han, y avait pas d'raison, mais j'me sus mis à pleurer.~24 L'intimidation de son patron est plus qu'elle ne peut tolérer et sa réaction ne fait que renforcer les idées de Monsieur qu'elle es t une femme faible, pleurnicheuse et facile à dominer. C'est après cette scène qu'il la viole, il sait qu'il exerce une force qui est plus que physique. Il possède la capaci té d'intimider et de dominer Rosalie. Il n'a besoin de rien d'autre pour l'attaquer.

Le salon et la salle à manger jouent aussi un rôle important dans la vie de Rosalie et dans la pièce. Comme nous l'avons déjà dit, les femmes sont très isolées de la politique et des idées. Elles n'ont pas accès au monde extérieur. Le seul domaine où Rosalie peut obtenir de l'information au sujet de la politique ou des affaires, à part de chez Marianna, c'est chez son patron. En servant le souper ou les apéritifs, Rosalie entend parler son patron et ses invités. Elle a l ' occas ion d'entendre leurs points de vue et leurs idées. Quand Marianna lui demande comment elle a tant appris au sujet de la politique, Rosalie répond: «J'en entends assez parler chez monsieur~25. Ce sont les idées de cet homme qu'elle réitère chez Marianna. Elle est comme une femme mariée qui ne sait de la politique que

ce qu'elle en entend de son mari.

Cette réitération de ce que disent les hommes crée deux 24

25

Ibid., p. 46.

(30)

problêmes pour les femmes de cette piêce. Premiêrement, les idées qu'elles entendent ne leur apportent pas une vision objective du monde, elles ne vont pas nécessairement les aider et, souvent, elles peuvent même empêcher le progrês que font les femmes en ce qui concerne leur libération éventuelle des tradi tions et de leur soumission aux hommes. Par exemple, Rosalie voit son patron comme la voix de la raison, car il est riche et respecté. Par contre, ses idées sont celles de la tradition et du Québec d'autrefois. On peut voir ceci dans un débat chez Marianna où Rosalie explique â Honoré que «Monsieur va voter pour lui, çartain: y dit qu'Duplessis va nous sauver d'la crise.»26 Parce qu'elle n'en discute pas avec son patron, elle ne connaît pas son raisonnement ni les conséquences de son choix.

Le deuxiême problême que crée cette acceptation des faits par les femmes est dû au fait qu'elles ne peuvent pas en discuter. Le résultat, c'est que la politique leur semble três complexe. Rosalie avoue elle-même qu'elle n'a «pas encôr toute compris dans politique: c'est compliqué, c'est pas pour â rien qu'c'est pas des afféres de femmes. »27 Rosalie illustre parfaitement le manque de pouvoir qu'ont les femmes en politique et l'impuissance qu'elles ressentent dans ce domaine. Elles ne se pensent pas capables d'agir en politique parce qu'elles n'en ont jamais eu l'occasion.

26 27

Ibid., p. 87.

(31)

LA ReALITS DE MINA

La relation entre Rosalie et son patron, du point de vue de l'échange des idées, ressemble â une relation entre mari et femme. Ce n'est toutefois pas la seule façon qu'ont les femmes d'accéder (bien que d'une manière limitée) aux idées. Tante Mina, elle aussi, s'est appropriée les idées d'un autre mais, cette fois, ce sont celles du curé. Tout comme Monsieur pour Rosalie, le curé représente le respect et la connaissance pour Mina. Elle le voit comme quelqu'un qu'on ne doit pas contester, qui veut le bien pour tout le monde. Dans les paroles de Mina, on entend la voix de la raison, de la tradition et du patriarcat.

L'eglise est donc un chronotope pour la tante Mina, car cet endroit représente une certaine idéologie; celle du peuple québécois catholique. C'est une idéologie qui appartient de plus en plus au passé. Bien qu'avant la guerre, elle ait été assez répandue, les auteurs d' Une brêve histoire du Québec affirment que dans les années 40, «L'idéologie officielle de l'eglise, qui avait défini le Québec comme une société catholique, française et rurale, ne correspond plus â la réal! té. »28 Pour la tante Mina, cet endroit sacré représente ce qui es t bon et pur. Cependan t, on sai t bien que pour le féminisme, c'est l'opposé. L'eglise, au Québec en 1936, est une

28

(32)

des plus grandes forces dans la société, sinon la plus importante. C'est grâce à elle que les valeurs ·de la famille,

de la tradition, voire de la femme soumise, dominent toujours. Par contre, les curés ne sont pas les seuls représentants de cette institution. Des politiciens, comme Duplessis, se sont aussi chargés de s'assurer que ses valeurs, que ses moeurs demeurent au centre de la vie québécoise. Dans ce même ouvrage, on précise que Duplessis est partagé «entre son désir de moderniser l'économie du Québec et son attachement aux valeurs ancestrales ... »29 Ce n'est donc pas surprenant que Mina espère qu'il gagne l'élection de 1936.

Tout comme Rosalie, Mina exprime les valeurs du patriarcat (telles qu'elle les a apprises du curé) chez Marianna. C'est à

travers ces deux femmes que le monde extérieur, traditionnel, pénètre dans la cuisine. On pourrait aussi croire que la présence d'Honoré, parce qu'il est un homme, crée le même effet. Par contre, en étudiant ce personnage plus en détails, nous

remarquons que Mina est plus une force envahissante et négative que lui. Gisèle Tremblay explique ce phénomène dans son texte intitulé Un manifeste pour les femmes:

Nos adversaires ne sont pas tous les hommes et seulement les hommes. Ce sont les hommes et les femmes qui, figés dans les privilèges de la domination, cherchent au mépris de cette 3fspérance à s'approprier encore le monde.

29

30

Ibid, p. 106.

G. Tremblay, Un mani fes te pour

(33)

Bien qu'on ne puisse pas dire que Mina soit dominante dans la paroisse, elle l'est dans sa maison. Et elle aime exercer ce pouvoir.

Avec ses valeurs de la tradition et du patriarcat, Mina représente le monde des hommes. A travers cette femme, la société haineuse, de laquelle se cache Marianna, parvient à pénétrer dans la cuisine. Brian Pocknell, dans son texte trai tant de La fonction de l'espace dans le théâtre de Marie

Laberge reconnaît le rôle d'opposant que joue Mina et le patron

de Rosalie en tant qu'ils «défendent le statu quo pour la condition féminine»31. Par contre, il ignore l'effet qu'à leur présence chez Marianna. Il décrit la cuisine de cette dernière comme «un espace-refuge»32, car «c'est ici que Rosalie, violée par son patron, vient se cacher à l'abri des accusations et des mensonges de ses employeurs et des habitants de l'Anse à Gi lles»33 . Bien que cet «espace-refuge» soit le meilleur

31

endroit qu'ont ces femmes, même là, elles ne peuvent pas se cacher de l'extérieur. Marianna et Rosalie doivent quitter ce

"sanctuaire" pour espérer trouver un vrai endroit protecteur.

L'~glise n'est pas le seul chronotope qui entoure la vie de la tante Mina. A travers sa vie à la maison, on a un aperçu de la vie familiale différent de celui qu'on voit chez Marianna et

B. Pocknell, La fonction de l'espace dans le théâtre

de Marie Laberge dans A. Smith Marie Laberge, dramaturge, p. 50.

32 Ibid., p. 51. 33 1bid., p. 51.

(34)

Rosalie. Mina demeure avec son fils et sa bru. Cette dernière essaye d'ailleurs de se libérer. Elle ne s'occupe ni de son mari, ni de ses enfants. Elle feint la maladie. Mina doit la remplacer et l'aider dans ses tâches ménagères. D'après la tan te Mina, cet te femme s'attend à ce qu'on s'occupe d'elle: «Est rendue qu'à s'occupe pus pantoute de Cyprien: pis y est aussi accaparant qu'elle.»34

Bien que Mina n'aime pas la femme choisie par son fils. on comprend à travers cette scène où elle se plaint à Marianna qu'elle aime bien avoir une bru paresseuse. Quand «la rousse»35 est arrivée, Mina s'est sentie déplacée, sa maison à elle est devenue celle de sa bru. Elle n'a plus eu de contrôle ni de pouvoir dans sa vie immédiate. Ses tâches, ses responsabilités, même sa voix lui ont été enlevées: «La maison qui était la mienne y a pas si longtemps, c'est la sienne à l'heurê qu'il est. Moi, j'ai pus rien à dire»36. Elle a perdu la place, bien que ténue, qu'elle occupait dans la vie. Elle n'a rien à faire. Albertine, le personnage crée par Michel Tremblay, exprime des sentiments semblables envers sa vie à l'âge de 70 ans:

Une femme vide devant une télévision vide dans une chambre vide qui sent pas bon.

(Silence.) C'es~ftu ça qu'on appelle une vie bien remplie?

34 p. 35. 35 36 37 l;;di tions

M. Laberge, C'était avant la guerre â l'Anse à Gilles, Ibid., p. 40.

Ibid., p. 34.

M. Tremblay, Albertine, en cinq temps. Montréal: Les Leméac Inc., 1984, p. 101.

(35)

Ces deux femmes ont accompli leur devoir, elles se sont mariées, elles ont élevé des enfants et, maintenant, elles n'ont plus rien au monde. Quand la bru commence à négliger ses responsabilités, Mina retrouve alors un peu de sa vie passée, elle a quelque chose à faire. Elle a repris, en partie du

38

moins, l'espace, le pouvoir et la liberté que sa bru lui avait pris.

LA R2ALITI: D'HONORE

Honoré, le seul homme qui pénètre dans la cuisine de Marianna, est présenté comme un être privilégié. On voit cela de deux façons. En regardant où il travaille, on voit bien que c'est en dehors de la maison, mais pas dans la sphère des hommes. Son emploi à but esthétique et non lucratif lui donne du plaisir. Dans une entrevue avec André Dionne, Marie Laberge décrit ainsi ce personnage:

Honoré est très délicat, il aime les fleurs plutôt que le blé d'inde ou les croisements de tomates. Il n'est pas représentatif de l'homme de 1936, mais plutôt d'un type d'hommes qui, avec la naïveté en moins, ont un certain désespoir de n'être pas pris pour ce qu'ils sont, c'est-à-dhre capables d'amour et aussi de faiblesse .

Il ne va pas faire fortune dans cet emploi, mais il est

A. Dionne. Marie La berge • dramaturge dans Lettres québécoises, no 25 (printemps 1982), p. 66.

(36)

content et aime son travail. Mina, représentant le monde des hommes, montre la position qu'ont ces derniers envers Honoré. Il n'est pas un «gentleman»39 et il appartient au groupe «des hommes engagés mal embouchés, pis trop flanc-mous pour s'trouver une position â salaire»40. En fait, le travail que fait Honoré

est généralement associé aux femmes. Le résultat, c'est qu'il ne commande pas le respect dans la so~iété. Par contre, pour Marianna, il est un bon ami, un homme qu'elle peut respecter.

Bien qu'il soit important de situer cet homme professionnellement, il est également nécessaire d'étudier le rôle d'Honoré en tant qu'invité chez Marianna, car c'est là qu'on voit qu'il est l'homme idéal de l'avenir, celui qui aime les femmes, éprouve du respect pour elles et essaye de les comprendre et de les aider â changer leur rôle dans la société. Dans une entrevue avec Kathleen Demnon, Marie Laberge parle de l'importance des hommes dans le féminisme: «Je suis féministe parce que j'essaye d'améliorer l'état de la femme, mais pas en parlant exclusivement aux femmes. Je ne pense pas que l'état des femmes va s'améliorer si les hommes ne se réveillent pas.»41 Bien que plusieurs des idées qu'exprime Honoré soient traditionnelles, il est prêt â apprendre et â comprendre. Par exemple, en parlant â Marianna, il montre qu'il croit que les

39

p. 93.

40 41 Laberge,

M. Laberge, C'était avant la guerre â l'Anse â Gilles, Ibid., p. 93.

K. Demnon, La solitude dans le théâtre de Marie Mémoire de maîtrise (McGill), 1985, p. 109-110.

(37)

femmes sont nées en sachant comment cuisiner et faire le ménage. Marianna lui répond que la «tarte au sucre, le r'prisage pis le

r' passage, on a pas ça écri t dans l' sang, vous savez, çà s'apprend, pis din fois c'est long.»42 Honoré, qui écoute bien ce que Marianna lui dit, reconnaît son erreur:

Ouais, vous avez ben qu'trop raison, Marianna. M'en vas jongler à çà, t'à l'heure en r'virant les mottes de terre sus ma plate-bande. J'en ai ben jusqu'à fin du jour à toute organiser çà correque dans ma tête. Vous êtes d'~~on pour déranger un homme vous, Marianna.

Voilà la force du personnage d'Honoré. Des situations comme celle-là se présentent tout au long de la pièce. Un des mandats du féminisme, comme nous l'a dit Marie Laberge, doit être d'éduquer non seulement les femmes mais aussi les hommes. Sans ça, rien ne peut changer. Les femmes, en progressant, vont rapidement se trouver face à un mur qu'elles ne pourront pas escalader. Ce mur, qui est le patriarcat, les repoussera à leur place de bonnes femmes où elles devront reprendre leur travail ménager. Ce pourrait être désespérant. Mais chaque fois qu'un homme comme Honoré surgit, les femmes trouvent une ouverture dans ce mur par où elles peuvent passer. Honoré, lui, au lieu de rester derrière avec les autres hommes, passera lui aussi par cette ouverture et continuera de lutter. symboliquement, avec les femmes.

42

p. 21. 43

M. Laberge, C'était avant la guerre à l'Anse à Gilles, Ibid., p. 21.

(38)

Il n'y a que deux personnages masculins dans les ouvrages qui forment la première partie de l'oeuvre de Marie Laberge qui commandent du respect. Honoré et un des personnages mineurs de Ils étaient venus pour .... Dans cette pièce, Elzéard pleure la perte de sa femme, Julia, qui vient de le quitter. Il comprend les problèmes qu'elle ressentait et pourquoi elle a dû partir. Sans enfants â cause de sa stérilité, elle se sentait exclue de la communauté. Elle n'avait pas, non plus, le droit d'avoir des relations sexuelles avec son mari, qui n'auraient été que pour le plaisir. Francine Noël commente l'opposition entre Elzéard qui comprend ce que ressentait sa femme et le scandale que ça provoque dans la communauté: «seul son mari abandonné, lisant sa lettre d'adieu. la comprend et continue de l' aimer»44. La présence d'Elzéard et d'Honoré opposée aux valeurs de la société patriarcale, est positive pour l'avenir.

*

*

*

En étudiant l'emploi des espaces et leur importance par rapport â la société et l'époque, nous pouvons déceler le point

de vue de Marie Laberge sur la condition féminine. C'est un

44 F. Noël, Plaidoyer pour mon image dans Jeu, no 16 (3e trim 1980), p. 53.

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monde où la femme est opprimée et victime de violence. Elle est impuissante face â sa famille, la société et elle-même. Elle n'a pas de voix, et n'a pas le droit, ni même la capacité de penser indépendamment des hommes. Elle est prisonnière du patriarcat, sa cellule étant la cuisine. Elle ne peut pas échapper â «c' te maudite trappe â rats»l5, phrase célèbre de Carmen, personnage de Michel Tremblay, qui l'utilise pour décrire la famille. Par ailleurs, une étude différente de l'espace chez Laberge peut aussi nous montrer la vie rêvée par les personnages et leur désir d'échapper â leur réalité afin de découvrir un monde meilleur pour l'avenir.

LES

RÊVEs

Marianna est le personnage le plus riche en ce qui concerne les rêves. Ceci peut être expliqué de plusieurs façons. En général, on pourrait attribuer cet te vie pleine de rêves et d'espoirs â sa liberté. Cette femme a du temps pour penser. pour s'occuper d'elle-même. Elle n'a pas, non plus, â se sentir

coupable d'avoir des idées â elle. Comme elle n'est plus mariée, elle ne doit plus avoir peur de ne pas partager les idées de son mari, de s'opposer â lui. Elle ne rend plus de comptes â personne, sauf â elle-même. En plus, Marianna, qui a

45 M. Tremblay, A toi. pour toujours.

(40)

perdu son mari à un jeune âge, désire toujours vivre et apprendre, mais elle jl1ge que cela sera très difficile si elle reste à l'Anse à Gilles. A travers ses propos, on est capable de voir la liberté qu'elle désire par rapport aux autres femmes. Ses idées sont à elle, elle ne réitère pas ce que les autres ont di t, elle pense p'lr elle-même. C'est pour ça qu'elle veut voter, pour que sa voix qui, jusqu'à présent était ignorée, soit entendue «j'aimerais autant voter de moi-même»46, dit-elle.

Marianna rêve, mais de quoi rêve-t-elle? D'un lieu nouveau, inédit. De la ville. Pour elle la ville, c'est l'avenir. C'est là qu'elle croit pouvoir échapper au patriarcat et devenir libre de travailler afin d'acquérir plus de droits. Là, elle pourra faire entendre sa voix. Marianna exprime à Rosalie un désir «de toute sacrer là pis d'm'en aller loin, ben loin d'l'ordinaire, d'la vie d'toué jours, de c'te carcan-là.»47. Elle rêve d'un autre monde, d'une utopie où elle pourra se cacher de la réalité et s'évader de sa vie présente.

La ville n'est pas seulement un symbole de liberté et d'un mode de vie différent pour Marianna, c'est aussi l'espoir d'un meilleur avenir pour toutes les femmes. Comme elle le dit à Mina: «J'pense qu'y faut pas vivre en arrière de son temps: ça s'fait ça dans les grand'villes, pas s'marier, pis c'est pas vu

46

p. 89.

47

M. Laberge, C'était avant la guerre à l'Anse à Gilles, Ibid., p. 49.

(41)

comme un vice.»48. Marianna voit donc la ville comme le présent

~t lIIêlll~ l'avenir tandis que l'Anse â Gilles, c'est le passé.

Pour elle, cet av~nir ~~t un~ u~ll~ chus~ et ell~ aimerait ~n

fair~ partie. L'impression de Mina sur cette nouvelle vie est

complètement différente, Ce~ femm~~ ù~ la ville, ce sunt

«celles qui portent pas d'gants pis qui d'mandent de s'élever au rang d' l' humme [ ... ] lu va~ parde ton âme, ma l" t ite f Hie. »49 Ce n'est donc pas surpr'~l1llUt 4U~ l'l1na ue par"tlig~ pa~ l~ ùé~ir ù~

Marianna. Elle est contente où elle est. Bien qu'elle aimât

avoir plus de pouvoir dans ~a lIIai~uu. ~ll~ n~ p~II~~ pa~ avuir l~

druit ù~ ~'épalluuir ùans un autre domaine.

Par quels moyens Marianna accède-t-elle il ce rêve urbaiuÎ

Ell~ eu li plusi~ur"s. Eu fai t. UII puurrait les appeler plutôt

des liens entre elle et ce nouveau monde qu'elle désire laul

découvrir. En parlant avec Honoré, Marianna lui dit que chaque

fois qu'elle entend une voiture, elle éprouve une envie de

cuurir" après et ù~ lUullt~r" ù~ùèlns ·püur" ll~ l'lus r~venir. Ce ne

sont pas seulement les automobiles qui l'attirent, mais aussi

les bateaux qui passent le long du fleuve. Pour elle, ce sont

là des moyens qu'elle pourrait emprunter puur quitter l'Anse â

Gille~ ~t chauger sa vie.

Ces muyens sont visibles de sa cuisine. Par la fenêtre, on

voit le fleuve et les bateaux qui y passent. Le contraste entre

ce monde idéalisé ~l 1., lIIunùe réel devient encore plus !!larqué,

48

49

Ibid., p. 37 . Ibid" p. 39.

(42)

Plus Marianna se sent prisonnière dans sa cuisinb, plus elle désire partir. Le fleuve et le bateau l'«Empress of Britain»50 sont très présents sur scène et l'effet qu'ils ont sur Marianna devrai t être le même que ressentent les spectateurs et les lecteurs. On n'oublie jamais cette petite ouverture sur une autre vie. Cette importance est signalée par la dramaturge dans sa description du décor quand elle indique que la «fenêtre par contre est importante»51. D'après Marie Laberge, peu du décor est nécessaire à la mise en scène de la pièce, seulement «le poêle sur lequel chauffent les fers à repasser»52, les draps qui «représentent les quatre saison de l'an 1936»53 et la fenêtre. Voilà les trois éléments principaux de nos chronotopes: l'espace du réel représenté par les fers et celui du rêve par le fleuve. Le temps qui se déroule est indiqué par le changement des draps. Ceci est opposé à la cuisine de Marianna où tout demeure

identique.

Le dernier lien entre le monde réel de Marianna et ses rêves es t la radio. Dans la deuxième partie de la pièce, Marianna s'achète une radio. Elle est une des seules personnes de la paroisse qui en possèdent une. Grâce à la radio, Marianna peut enfin entendre les nouvelles et apprendre ce qui se passe dans le monde. Elle n'est plus séparée du monde des idées, de

50 Ibid. , p. 51. 51 Ibid .• p. 10. 52 Ibid. , p. 10. 53 Ibid .• p. 10.

(43)

l'extérieur. Cet instrument lui permet aussi d'oublier où elle est et de s'échapper, au moins dans le rêve.

Marianna n'est pas la seule qui rêve d'une vie différente, mais les autres personnages sont moins passionnés qu'elle. Mina, bien qu'elle se sente déplacée dans sa maison, ne fai t rien pour améliorer sa situation. Ses rêves ne représentent pas pour elle une vie nouvelle ou différente, mais simplement le désir de retrouver ce qu'elle avait dans le passé. Honoré, lui, ne semble pas capable de rêver seul. Bien qu'il veuille que les rêves de Marianna soient réalisés, il n'y aurait pas pensé sans son aide. En référence à une citation de Maria Chapedelaine que Marianna lui lit, Honoré dit: «J'm'en vas lire le livre, pis m'en vas essayer de pas m'fére pogner avec les belles phrases comme t'à l' heure»54. Bien que Honoré soi t d'accord avec les idées de Marianna, les concevoir lui-même est hors de sa portée. Il est content de sa vie et seule Marianna réussit à le secouer .

Nous avons vu que dans C'était avant la guerre à l'Anse à

Gilles, Marie Laberge présente la vie quotidienne des femmes, caractérisée par la solitude, le travail, l'impuissance et la

54

..,:"

(44)

misère. A l'opposé, on trouve le rêve de Marianna. Cette dernière rêve â une vie plus libre où les femmes auront des droits et plus de possibilités de s'épanouir. Plus la réalité est écrasante, plus nécessaire sont les rêves. En étudiant les lieux présentés dans la pièce, il est possible de voir ces deux mondes. De plus, on voit les idées de Marie Laberge sur la vie des femmes et ce qu'elle devrait être. Nous voyons que son féminisme est revendicateur, qu'il pousse les femmes à prendre le pouvoir, à ne pas attendre que tout leur soit donné. Le fait qu'elles sont séparées de la société, séquestrées, victimes de la violence, subordonnées aux hommes et impuissantes ne peut plus continuer. Les femmes doivent toujours essayer, d'une manière ou d'une autre, d'échapper à leur soumission .

1.2 La ségrégation

Les idées de Marie Laberge sur la condition féminine et le féminisme sont présentes dans toutes les pièces de cette première pé:riode. Bien que C'était avant la guerre à l'Anse à Gilles serve de modèle pour illustrer la revendication féministe, d'autres pièces peuvent aussi être étudiées dans cette perspective, par exemple Ils étaient venus pour .... Cette pièce se déroule dans la nouvelle communauté de Val-Jalbert, où toute l'action est axée autour de l'usine, C'est là que les • hommes travaIllent tandIs que les femmes restent à la maison et

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s'occupent des enfants. C'est le début du siècle. Nous découvrons deux lieux, l'usine qui est la réalité des hommes et la maison, celle des femmes. Le village de Val-Jalbert est le rêve de tous pour une vie meilleure, sans misère.

On voit les deux sexes essayer de respecter la division entre ces deux lieux, mais sans beaucoup de succès. Les femmes,

li travers leurs maris et leurs voisins, sont au courant de ce

qui se passe li l'usine. Elles commentent l'exploitation de

leurs maris; elles envoient des lettres au gouvernement pour que l'usine, fermée, ruuvre; elles puussent leurs maris li truuver du

travail quand ils sont en chômage. Bien qu'elles semblent savoir cumment fonctionne le monde des affai res, elles sont exclues du monde ouvrier. Toute leur influence s'exerce de l'extérieur. Elles n'ont pas accès au monde du travail directement. Par cuntre, un voi t qu'indirectement, elles y sont présentes. Les hommes écoutent leurs femmes, dont les idées et les opinions parviennent li être transmises.

Les hommes découvrent qu'en isolant les femmes de leur domaine, ils se trouvent aussi isolés. Les femmes ne veulent pas qu'ils pénètrent dans leur monde. Quand ils travaillent, ils ne sunt pas li la maison six juurs de la semaine. Les femmes

s'occupent des enfants et de la maison. Elles se réunissent et se parlent. Elles unt créé leur propre univers. Pal' contre, quand les hommes sont en chômage, elles se retrouvent avec leurs maris qui s'ennuient et qui veulent eux aussi jouer un rôle au foyer, Les femmes, ne voulant pas leur présence dans leur

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univers qui est déjà si restreint. ne le permettent pas. comme

l'indique le passage suivant: «Ben jusse si ma femme me met pas

à porte de ma prop' maison.»55 La division entre les domaines

des deux sexes est forte et demeure intacte.

1.3 La violence

La femme comme victime de violence est aussi un thème

important dans l'oeuvre de Marie Laberge. Dans L'homme gris.

crée en 1984. elle nous présente une violence à la fois mentale

et physique. Christine. une jeune femme. quitte la maison

familiale et se marie. Au cours de la pièce, nous apprenons les

détails de son enfance et nous comprenons pourquoi elle est

partie. Christine, nommée d'après Christophe. son frère qui est

mort à la naissance, vit comme une enfant sous l'oeil voyeur de

son père et se retrouve. à l'âge de 12 ans. souffrant

d·anorexie. Elle ne pouvait plus tolérer son regard. Après sa

guérison, son père ne peut plus la regarder. Pendant la pièce.

c'est la première fois qu'il lui avoue ouvertement: «J'pouvais

pas te r·garder. j·tais pas capable. ça m'rendait malade.»56 Il

lui dit même qu'â cause de sa timidité et du fait qu'elle

bégaye. il ne l' embaucherai t pas dans son magasin. En se

rendant compte que son père ne l'aime pas, comment aurait-elle 55

56

M. Laberge. Ils étaient venus pour ...• p. 65.

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pu éprouver de l'amour pour elle-même?

Christine a donc quitté ce milieu familial où elle était «ba ttue psychologiquement dans un monde d'apparences douces»57 pour se marier â un homme qui abuse d'elle physiquement. Ironiquement, pour elle, il s'agit d'un progrès, car la haine, la colère et les émotions sont alors exprimées et elle peut mieux les affronter. Cependant, on voit que ni la vie avec son père, ni celle avec son mari, ne sont acceptables. Dans les deux cas, elle est victime de la violence jusqu'au point ou, finalement, elle tue son père. Comme le di t Blanca Navarro Pardinas dans son texte sur la communication dans cette pièce, «L'assassinat de son père, paradoxalement. devient un acte de légitime d6fense. »58

1.4 L'impuissance et la subordination

Le dernier aspect â souligner de cette première période de l'oeuvre de la dramaturge est la subordination des femmes et, conséquemment, leur manque de pouvoir. Cela est bien illustré dans Jocelyne Trudelle trouvée morte dans ses larmes. Cet ouvrage, publié en 1983, met en scène une jeune femme qui s'est suicidée. Cependant. elle ne meurt pas immédiatement et passe

57 B. N. Pardinas, Les masques de la communica tion: analyse de Jocelyne Trude11e trouvée morte dans ses larmes et de L'homme gris dans A. Smith, Marie Laberge. dramaturge, p. 118.

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une Journée, à l'hôpital, entre la vie et la mort. A travers sa famille, ses amis et les chansons de Jocelyne (la seule façon qu'elle a pour communiquer ses pensées aux spectateurs), nous découvrons un peu sa vie et nous comprenons pourquoi elle a dû se suicider. Sa seule échappatoire, c'est la mort. Pardinas nous explique dans ce même article, que pour Jocelyne, «la mort devient ainsi la seule compagne qui accepte la tot81i té de l'être»59. Dans la pièce, l'endroit où est le piano est le symbole de la mort. C'est également le chronotope du rêve de Jocelyne, le temps étant l'éternité. Mais, ce qu'il est

important de voir, c'est de quelle sorte de réali té elle s'échappe pour que sa mort soit une libératiun.

On découvre rapidement que la maison et la famille sont les lieux d'où Jocelyne s'échappe. BIen qu'elle ne reste plus chez ses parents, on comprend que les problèmes qu'elle y 8 vécus existent toujours. L'atmosphère dans laquelle Jocelyne a été êlevée était oppressive et violente. Sa mère, peureuse et soumise, est devenue un être nul. Marie Laberge décrit la mère

(qui est si anonyme qu'elle porte ce nom dans le texte) dans «un état de choc. Peu de gestes, une fébrili té intérieure, une fatigue, une vieillesse prématuré. On doit la sentir vaincue d'avance» .60 Cet te femme, toute au long de la pièce, ne s'inquiète Jamais de sa fille, mais de la réaction de son mari.

5960

larmes.

Ibid., p. 111.

M. Laberge, Jocelyne Trudelle trouvée morte dans ses

(49)

Elle fait preuve d'une peur intense envers lui.

Quand arrive sur scène cet homme duquel Mme Trudelle a si peur, il correspond à quoi on s'attendait. Il est agressif et ne s'occupe ni de sa femme, ni de sa fille. Il ne pense qu'à sa réputation. Il donne des ordres à l' infi rmière, sa femme et Carole, l'amie de Jocelyne. Cette dernière, qui comprend les problèmes de la famille, ne tolère pas le père. Par contre, la seule raison pour laquelle peut lui résister, c'est qu'elle ne fait pas partie de la famille. Elle reconnaît que Jocelyne et sa mère ne sont pas dans la même sltua tion. Elle dlt li M.

Trudelle: «chus pas vot'fille, ni vot'femme. fa que j'vas dire c'que j'vas vouloir.»61

On voit que ùans cette famille, ce n'est que le père qui a une voix. La mère, qui parle un peu à l'infirmière et à elle-même, ne dit presque riell â sun marI. Elle s'assure qu'Il Jl'a besoin de rien, mais elle est incapable de s' affi rmer. Elle veut rester près de sa fille et attendre avec son mari, mais Il ne le permet pas. Jocelyne, elle. a une voix, mais seule le pIaniste et les spectateurs peuvent l'entendre. Ses cllansons. provoquées par ses émotions et les réactIons des personnes dans sa chambre, expriment ce qu'elle n'a jamais pu exprimer avant, On voit ceci quand son père crie et énerve les personnes autour de lui, y compris sa fille:

61

LaIssez-moi me préserver Avant de crever par vos mots Avant d'mourir du silence

(50)

Qui hurle que tous est mort, mort. 62

On entend ici l'écho de Christine qui, elle non plus, ne veut plus entendre son père et se sentir impuissante à parler. Jocelyne ne se défend pas, elle se cache. Christine, elle aussi, a essayé de faire cela en se mariant, mais l'agresseur est toujours là. Elle le tue avant qu'il réuHsisse à la tuer, comme l'a fait le père de Jocelyne .

Marie Laberge nous peint donc un portrait très sombre de la vie des femmes au début de son oeuvre. Quelques unes de ces femmes essayent de se libérer. D'autres passent toute leur vie dans cette misère. Par contre, quelques unes sont contentes de leur vie et ne semblent pas vouloir la changer. Ce qu'il est intéressant de voir, ce sont les idées qui appartiennent au mouvement féministe à l'époque où ces ouvrages furent rédigés. Ceci nous permettra de comprendre si ce que Marie Laberge nous présente est révolutionnaire ou si elle ne fait que montrer les idées courantes à l'époque.

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