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Art et Modernité. Espaces de la représentation et représentation de l'espace au siècle des Lumières

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Art et Modernité. Espaces de la représentation et

représentation de l’espace au siècle des Lumières

Marie-Joseph Bertini

To cite this version:

Marie-Joseph Bertini. Art et Modernité. Espaces de la représentation et représentation de l’espace au siècle des Lumières. Spatialisation en art et sciences humaines, ouvrage collectif, Collection Pleine Marge, Editions Peeters, Leuven-Paris., pp.61-84, 2004. �halshs-03202970�

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Art et Modernité.

Espaces de la représentation et représentations de l'espace au siècle des Lumières

Par

Marie-Joseph BERTINI

" On a beau dire ce qu'on voit,

ce qu'on voit ne loge pas dans ce qu'on dit".

M. Foucault, Les mots et les choses, p. 25.

Le rôle de l'art dans l'élaboration de la vision moderne de l'espace est considérable. En creusant l'espace de la représentation, l'artiste aménage une organisation de la vision qui place le sujet regardant au centre d'une nouvelle économie de la perception des phénomènes dont les prolongements modifient profondément et durablement l'expérience du monde.

Ainsi, l'esthétique des Lumières semble indissociable d'une histoire sociale, économique et culturelle qui sous-tend nombre de nos problématiques contemporaines, notamment notre intime rapport à l'espace et au temps. Le XVIII° siècle, comme notre fin de XX° siècle est en crise : tous deux écartelés entre tradition (temps circulaire) et modernité (temps linéaire), hésitant entre continuité et rupture. Dès lors l'enjeu de la représentation devient crucial. Les "Galeries de vues de la Rome antique" peintes par Giovanni Paolo Pannini en 1758, appartiennent à cette catégorie d'images qui élaborent une grammaire des formes dont l'articulation structure le langage de la modernité. Ce tableau complexe fonctionne comme un gestell, un dispositif essentiel, au service d'un nouveau régime du regard. A ce titre, il soutient une esthétique de l'espace articulée en trois volets fondamentaux : il présente en effet le triple intérêt d'être à la fois une restitution, une représentation et une expérience de l'espace. Espace imaginaire naturalisé par le geste du peintre, mais aussi espace naturel somptueusement réinventé : ce tableau participe activement à la production d'une réalité dans laquelle il s'inscrit lui-même par avance, comme pour mieux l'affranchir de ses artifices.

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Artiste unanimement apprécié en son temps pour ses vedute - ses vues de villes1 - maître de Piranèse et d'Hubert Robert, Pannini peindra avec brio les cérémonies et les fêtes dispensées par les principales cours d'Europe2. A mi-chemin entre reportage et chronique mondaine, il se spécialise dans les représentations des monuments de l'Antiquité, marquées par un goût très vif pour les ruines et leur évocation mélancolique et raffinée.

UNE VISITE VIRTUELLE

A ce titre, les "Galeries" fonctionnent à première vue comme un espace d'exposition des oeuvres innombrables de l'artiste, une sorte de musée imaginaire doublé d'un

1 L'italien désigne d'abord par veduta un point de vue, puis la vue que l'on a de ce point de vue. La langue signale

ainsi clairement l'espace comme cela même qui est organisé par le regard.

2 Distingué par le cardinal de Polignac, ambassadeur de France auprès du pape Benoît XIII, Pannini fut chargé

d'organiser les fêtes somptueuses données à Rome en 1729 en l'honneur de la naissance du Dauphin, fils de Louis XV. Deux tableaux conservés au Louvre en portent témoignage.

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musée : une tentative de collection de toutes les collections que Borges lui-même n'eût pas reniée.

Le spectateur fait face en effet à une représentation de représentations emboîtées les unes dans les autres avec une extrême ingéniosité. Ecrasé par l'abondance des signes disséminés dans un savant désordre, son regard pénètre dans l'espace du tableau, aussitôt confondu par ce pêle-mêle inattendu d'objets juxtaposées : peintures de monuments et de ruines antiques couvrant les murs jusqu'aux cimaises, exécutées avec une rigueur presque photographique dans le rendu des proportions et des détails, Hercules au repos, matrones placides, nymphes et vasques alternées, gladiateurs, Apollon du Belvédère, Antinoüs, Laocoön, sarcophages béants, chapiteaux de colonnes renversées, anges-atlantes, livres, tentures, tapis et broccarts, procurent à l'oeil cette sensation de richesse foisonnante, de profusion désordonnée qui tiennent autant du bric-à-brac que du musée édifiant.

Saturé de lignes et de couleurs, l'oeil aperçoit dans le tiers gauche du tableau, une perspective de colonnes culminant dans une envolée de voûtes en berceau, encadrant un ciel frais posé sur la mer. Soulagé par cette respiration dans le paysage, le regard peut maintenant retraverser l'espace du tableau en sens inverse, précisément celui que deux visiteurs s'apprêtent à emprunter. En leur compagnie, le spectateur descend les quelques marches qui séparent les Galeries de leur environnement naturel. Comme eux encore, il fait une première station et embrasse du regard celles-ci depuis le point opposé à sa vision initiale. Virtualisée par la technique performante de l'artiste, la réalité du "regardant" - il riguardanto comme l'appellera Poussin - a changé : s'il s'est d'abord contenté de balayer la toile du regard, la ligne de fuite de la perspective installée par Pannini l'a happé à l'intérieur de la scène, l'obligeant à s'y déplacer tout entier, dans un mouvement où la représentation du corps parcourant le tableau, domine toutes les autres. La vraie visite, la visite virtuelle prend sa source dans cette déambulation imaginaire : le titre générique "Galeries de vues" vient opportunément rappeler le double souci de voir et de se mouvoir dans la vision.

Aux pieds de trois statues marmoréennes, le visiteur virtuel se surprend à se retourner à la recherche de leurs trois pendants cachés - visibles pour lui seul - que l'ordonnance salutaire de cette première galerie suggère. Puis il débouche sur une nouvelle galerie, grande pièce encombrée dont les murs tapissés de toiles et le sol jonché d'objets lui feraient presque oublier les chassés-croisés savamment orchestrés sous ses yeux. Onze personnages plus ou moins chargés de signification, composent ensemble et séparément un micro-récit. Mais pour bien les saisir, le spectateur virtuel doit retraverser le champ

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de la représentation, s'extraire du tableau et reprendre sa place face à lui. Familiarisé avec la géométrie des lieux par son voyage dans la toile, il en redécouvre le centre, dévolu à un grand personnage - le commanditaire de l'oeuvre en l'occurrence abbé de Canillac, ambassadeur de France auprès du pape Benoît XIV - attentif à poser pour la postérité. Dans l'axe du modèle, au premier plan du tableau, trois jeunes architectes, clairement reconnaissables à leurs règles, compas et pantographes, s'affairent à leurs copies dans une circularité sans fin.

Derrière le modèle en majesté, le buste d'un homme tourné de trois-quarts apparaît. La ligne que trace son regard inquisiteur, associée à celle de l'oeil satisfait du modèle, sort du champ de la représentation et vient interroger l'observateur, qui se trouve situé de facto à la place même de Pannini, faisant ainsi du peintre un témoin de sa propre création et du spectateur un acteur privilégié de la scène qui se déroule sous ses yeux. L'insistance de ces deux regards croisés manifeste le mouvement par lequel le visible sonde l'invisible sur lequel il s'adosse : l'arrière-monde, le non-dit de la représentation sur quoi toute représentation fait fond.

A genoux, un amateur examine les détails des Noces Aldobrandines, une liasse de croquis ouverte devant lui. Un valet s'affaire, un lourd volume dans les bras, jetant un oeil pressé sur ce qui se trame, grand ordonnateur de ce chaos hétéroclite.

De l'ensemble émane l'impression d'une vivacité affairée, d'une animation soutenue qui est la marque de fabrique des védutistes1 au XVIII° siècle. Pannini y porte à la perfection ses talents d'architecte scénographe et de peintre mêlés.

Cette première approche nous laisse cependant au seuil des implications essentielles du travail de Pannini. Pour aller plus loin, il faut analyser avec soin les deux axes, l'un spatial, l'autre temporel qui constituent ce tableau en carrefour de la modernité.

D'un côté en effet, il fonctionne comme une représentation de représentations de l'espace urbain (vues des principaux sites et monuments de l'ancienne Rome). De l'autre, il exprime une nouvelle conscience de la durée qui prend sa forme moderne à l'époque des Lumières. Une mouvement dirait Gilles Deleuze, adossée à une image-temps2.

1 Peintres spécialisés dans la représentation des vues de villes et de sites : vedutisti en italien.

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Comment une convention esthétique telle que celle des vedute pût elle à ce point influencer la sensibilité moderne, en favorisant l'émergence de catégories tendant vers l'universalité : le goût du passé comme trace, le patrimoine et la conservation, la nostalgie romantique, l'Histoire comme récit et méthode ? C'est ce que l'étude qui suit s'attachera à démontrer.

UN SAVOIR OPTIQUE

Il nous faut revenir au préalable sur les conventions esthétiques de la vue et de la galerie. La notion de vue, désignant l'ensemble de ce qui est visible d'un lieu, appartient au vocabulaire descriptif : la veduta partage apparemment avec la photographie le souci de rendre compte du réel sans l'interpréter. Mais si la vue flamande1 est délibérément descriptive, la veduta italienne penche du côté de la narration, offrant un curieux alliage d'imaginaire et de documentaire.

Dans le redoublement de leur objet (une vue de vues), les "Galeries" vont beaucoup plus loin et composent un méta-tableau qui s'interroge sur les modalités de sa propre représentation.

Le mot galerie désigne au XIV° siècle un lieu de passage ou de promenade couvert, puis par extension au XVII° une salle où l'on réunit des collections. L'intérêt de cette extension réside dans le lien qui s'établit par là entre circulation et conservation, ambulation et collection, comme si le déplacement du corps dans l'espace de la galerie tissait les trajectoires de sens à partir desquelles l'accumulation devient raison.

On ne peut pas ne pas penser ici à l'analyse que donne Walter Benjamin des galeries parisiennes modernes comme lieu de "passage"2. Or le passage, qui synchronise la circulation économique et la circulation libidinale3, est un héritage urbanistique de la Révolution.

La galerie est un énorme progrès par rapport à l'échoppe médiévale : elle est mise en scène, spectacle, arrangement destiné à flatter l'oeil, à satisfaire le plaisir de voir. Remarquons combien la jouissance violente suscitée par la vue d'ensemble est liée au plaisir de l'intelligence qui embrasse le monde : l'aïsthésis des Lumières est tout entière dans le mouvement simultané de la Raison qui saisit et de l'oeil qui com-prend. Elle déploie dans le champ de l'expérience individuelle et collective une "érotique du

1 Voir la célèbre "Vue de Delft" de Jan VERMEER mais aussi "La rue de Delft" (1658-1660 environ). 2 in Charles Baudelaire, Paris, Payot, 1982.

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savoir"1 mariant pulsion scopique et pulsion sapiente. La Raison critique naît de l'oeil qui objective et distancie, puis extrait le regardant d'une nature à laquelle il n'appartient plus.

La veduta est le produit de l'arrachement au dédale des venelles médiévales, le fruit de la volonté de survoler et de dépasser la ville réelle, initiée à la Renaissance. En tant que telle, la veduta matérialise cette butte mentale à partir de laquelle s'opère la totalisation seconde de l'esprit par rapport à la totalisation première du regard, double mouvement que restitue sans faillir l'étymologie du grec théoria.

La veduta mobilise un savoir optique2 qui est un humanisme : arraisonné par la perspective, l'espace s'offre à la mission civilisatrice du regard. Aussi la naissance de la perspective est-elle contemporaine de la matérialisation de l'Urbs, Cité-concept3 ancré dans l'imaginaire de la Renaissance, fiction de ville dont émergent la ville moderne et son espace public.

IMAGES DE LA VILLE : VEDUTE ET REPRESENTATION DE L'ESPACE URBAIN

Le rôle de l'Italie est essentiel dans le processus de mise en image de l'espace public moderne tel qu'il se constitue au XVIII° siècle. Même si les peintres flamands furent les premiers, un siècle plus tôt, à restituer fidèlement certains aspects de leurs villes, ce sont les artistes italiens qui donneront à ce genre réputé mineur ses lettres de noblesse.

Cette prééminence de l'Italie dans l'imagerie urbaine s'explique de deux façons : la première concerne l'héritage Romain : c'est l'Antiquité qui érige l'urbanité en source unique de civilisation. L'Urbs devient ainsi le symbole de la puissance et de l'étendue de la pax romana. Jusque dans ses provinces et ses colonies les plus reculées, rayonne le prestige de Rome, la ville-qui-est-un-monde-en-soi, mais aussi celle qui incarne le monde comme Cité, le monde-Ville. Celui-ci s'organise désormais selon des catégories urbaines où architecture et politique se légitiment l'une l'autre4.

1 cf. Michel de CERTEAU, L'invention du quotidien, tome I, Paris, 1990, p. 140. 2 Ibid., p. 142.

3 cf. supra p.6.

4 Au centre de l'Urbs Roma, le Forum de Trajan reliait le Forum de César à celui d'Auguste. La statue équestre de l'empereur alternait avec les bibliothèques à l'architecture orgueilleuse et les colonnes de gloire. Les constructions monumentales de la colline du Quirinal répondaient à celle du Capitole.

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La deuxième raison découle de la première : l'héritage politique et culturel de l'Antiquité entraîne au XIV° siècle l'éclatement de l'Italie en territoires autonomes, ordonnés autour d'une Ville-phare : ainsi Florence, Venise, Milan, Gênes, Mantoue, Bologne, Naples... La poussée de ces Etats-villes, si elle interdit l'homogénéisation de l'Italie, continue d'organiser le tissu politique et culturel autour de la Cité : "...le Milanais c'est encore Milan, la Toscane, même au-delà de 1434, c'est encore Florence. Donc villes et déjà Etats, elles tirent de ce caractère hybride leur force (leur dynamisme économique) et leur faiblesse, maintenant que s'annonce le règne menaçant des Etats épais, aux armées nombreuses..."1.

Auprès des princes-mécènes et des dignitaires de l'Eglise, se pressent les artistes immortalisant la munificence de leurs fêtes et de leurs cérémonies, célébrant avec éclat l'étendue de leur pouvoir. Le peintre devient ainsi le chroniqueur de son temps, et ses tableaux successifs reconstituent en détail les épisodes marquants d'une époque choisie. L'évocation de ces fastes a pour cadre l'espace ouvert de la ville, plus précisément son coeur symbolique. La ville figurera longtemps en toile de fond de ces représentations lourdement codifiées, où la majesté et la monumentalité des édifices urbains rythment la lecture des tableaux, et rehaussent le prestige de leur commanditaire.

Cette fonction décorative de la perspective urbaine lui confère une théâtralité qui relègue la ville au second plan des préoccupations de l'artiste et du spectateur, comme au théâtre le décor est secondaire par rapport à l'intrigue.

Ainsi l'espace urbain est-il le prétexte au déploiement de l'espace tout court, structuré en grandes lignes horizontales et verticales qui commandent la composition du tableau2. L'artiste vient y choisir une perspective et y emprunter les éléments de sa composition. Il ne prend donc de la ville que ce qui lui convient.

Par un curieux effet de l'histoire de l'art, il existe cependant dès la Renaissance, des exemples de villes représentées en elles-mêmes et pour elles-mêmes, des villes

1 Fernand BRAUDEL, Le modèle italien, Paris, Flammarion, 1994, pp. 35-36.

2 Voir les neuf toiles de la "Légende de Sainte Ursule", peintes en 1490 par CARPACCIO à Venise et qui toutes

- excepté "Le rêve de Sainte Ursule" - représentent des scènes de fêtes vénitiennes se détachant sur le décor de l'architecture citadine. L'économie symbolique de l'oeuvre est ici mise tout entière au service du registre religieux. Académie de Venise.

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abstraites, vidées de toute présence visible appelées Cités idéales1. Ces villes imaginaires, voire ces plans de villes, furent inspirés pour la plupart par les dessins de Vitruve2. Souvent représentées par des places désertes - symboles de cet espace-mouvement emblématique de la civilisation urbaine - elles sont pavées de marbre polychrome et bordées de palais et de maisons à colonnades. Appuyée sur une perspective rigoureuse, cette géométrisation de la ville s'inscrit dans un effort de rationalisation de l'espace urbain qui se prolonge étrangement en une sorte de métaphysique de la ville. Ces variations insolites auxquelles se livrera avec bonheur un Piero Della Francesca, auteur de traités de géométrie et de perspective, traduisent une quête de la ville idéale, de la ville-Idée3 modèle de tous ses possibles.

On retrouve ici les aspirations augustiniennes à la Cité Céleste, comme si l'algèbre des formes et celle des valeurs morales et spirituelles4 se superposaient l'une sur l'autre. Ces utopies en image que furent les Cités idéales se transformèrent parfois en réalité : ce fut le cas de Sabbioneta près de Mantoue, création de Vespasiano Gonzaga, ou encore Charleville, près d'Orléans, créée par Charles de Gonzague, gouverneur de Champagne au XVII° siècle.

Au XVIII° en revanche, le souci du réalisme va prédominer chez les peintres. Cette préoccupation s'allie à un mouvement essentiel qui déplace la représentation urbaine du second au premier plan. Une promotion de la ville qui se traduit par son passage d'un statut ornemental à un statut central par lequel la perspective urbaine devient le sujet du tableau, circonstances et personnages paraissant à leur tour plus ou moins accessoires. L'émergence de cette première iconographie urbaine est précisément due au talent de peintres d'un genre nouveau, les vedute, ces représentations de la ville saisies depuis un point précis situé généralement sur une hauteur. C'est donc à la période des Lumières que le genre des vedute prend véritablement son essor, même si l'on s'accorde à en voir

1 Voir "La Citta ideale", panneau dit d'Urbino, Galerie nationale des Marches, Urbino, attribué à Luciano

LAURANA. Voir aussi "Perspective architecturale", panneau dit de Baltimore, Walters Art Gallery, Baltimore, attribué à Luciano LAURANA.

2 Architecte romain (Ier siècle avant J-C) connu surtout pour son "De Architectura", traité de codification des

principes de l'architecture hellénistique. Il s'agit ici de l'unique approche théorique de l'architecture antique, qui sera abondamment utilisée par les architectes et les peintres de la Renaissance à partir de sa date d'impression, en 1486.

3 HUSSERL qualifiera l'idéalité de "mathématisation galiléenne de la nature".

4 cf. SAINT-AUGUSTIN, La Cité de Dieu, de 413 à 427. On peut aussi consulter La Cité du soleil, du

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quelques signes annonciateurs au XVII° siècle1, et même avant. Ainsi favorisent-elles le développement des vues panoramiques, dont l'exigence supérieure à celle de la seule perspective provient du goût de l'époque pour les vues dégagées2, mais aussi de la mode des jardins, emblèmes d'une nature maîtrisée, illustrant par leur ordonnancement savant, la victoire de l'Urbs civilisatrice sur la ruralité en friche ou platement utilitaire3.

L'ILLUSION, PARADIGME DE LA PERCEPTION

Apologistes de l'esthétique ordonnée de la civilisation urbaine, mais aussi habiles metteurs en scène de la vie citadine, les védutistes présentent pour la plupart un profil commun et négligé: leur virtuosité technique puise à la source même de la scénographie et du théâtre dont ils furent de précieux artisans, concevant et dessinant des décors rivalisant de complexité et d'ingéniosité.

Ainsi Giovanni Paolo Pannini fit-il ses débuts prometteurs auprès des frères Bibiena à Bologne. Architectes de théâtre et scénographes, ceux-ci donnèrent de nombreux témoignages de leur inventivité aux plus grandes cours d'Europe. Leur influence du XVII° au XVIII° siècle fut telle, qu'on y voit l'une des sources du mouvement baroque et que de nombreux peintres importèrent dans leurs toiles cette science des effets et de l'illusion décorative dont firent si bien preuve Ferdinando et Francesco Bibiena4.

Cette imbrication de la série décorative théâtrale et de la série picturale se manifeste clairement dans le langage : le vocabulaire de la première est aussi pour une bonne part celui de la seconde. Ainsi le mot représentation : s'il désigne d'abord l'action de rendre sensible quelque chose à l'esprit au moyen d'une image ou d'un signe, il exprime à partir

1 Voir les "Vue de Rome" peintes à partir de 1675 par VAN WITTEL et conservées au Palais des Conservateurs

à Rome.

2 Les vues panoramiques de Canaletto s'inspirent des grands espaces des parcs anglais : cf. "Vue du parc depuis

Badminton House" vers 1748.

3 L'esthétique des jardins, dominée par l'exemple grandiose de Versailles au XVII°, sera profondément modifiée

par l'adoption, sous la pression des anglais, de la ligne sinueuse dite "serpentine". Les mêmes y répandront la mode des fabriques, des caprices, des temples néo-classiques, des pyramides, des kiosques et autres édicules néogothiques. On trouve ici l'un des ressorts dynamiques essentiels des Lumières : rendre naturel le produit de l'artifice le plus savant. Ce paradoxe donne naissance à la catégorie esthétique du "pittoresco" pur produit de l'urbanisation de la nature par le moyen d'aménagements nombreux et vairiés qui plient le naturel aux conventions de l'art.

4 De même Giovanni Antonio CANALETTO, autre célèbre védutiste, fût-il dans sa jeunesse, avec son père et

son frère, un peintre de décors, utilisant le procédé de la "scena all'angolo" mis au point par les BIBIENA : il s'agissait de construire tout le décor de la scène à l'un de ses angles, donnant au spectateur une perspective vivante et attrayante à travers les piliers et les balustrades qui, dans la plupart des pièces, figuraient l'intérieur d'un palais ou des portiques de jardins. Ces décors donnaient l'impression d'un panorama grandiose sur fond duquel, à la manière des personnages des vedute, les acteurs semblaient minuscules.

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du XVI° siècle l'action de donner un spectacle en public, puis par métonymie, ce spectacle lui-même.

Dès ce moment, quelque chose se noue étroitement entre le spéculaire et le spectaculaire, ressort caché de futures connivences. Bien d'autres mots, tel celui de scène (espace matériel de la représentation théâtrale, mais aussi composition picturale fondée sur les interactions des personnages représentés), ou de tableau (support rigide et autonome de la représentation picturale, ou bien subdivision d'une représentation théâtrale correspondant à un changement de décor), ou encore de personnage...mettent suffisamment en lumière, la consanguinité de ces deux modalités de représentation du monde1. Dans cet incessant voyage du peintre au scénographe2 et retour, s'inventent les conditions de possibilité d'une philosophie de l'image durable. L'aménagement savant du trajet de l'oeil à la toile et de l'oeil à la scène - autrement dit la technique - structure l'espace comme représentation, et octroie à l'imaginaire un magistère qui culmine dans la médiation du réel par l'art.

Paradigme de la perception, l'illusion du vrai ordonne autour d'elles les formes de la sensibilité, marquées par un assujettissement de la réalité empirique aux catégories de l'imaginaire et de l'artifice. Le vrai est bien comme l'écrit Hegel un moment du faux. En aménageant des dispositifs destinés à tromper l'oeil, la technique commande l'accès à un réel biaisé a priori, qui transforme l'artefact en fenêtre ouverte sur le naturel.

Si l'on songe à l'architecture comme à une scénographie urbaine, on s'aperçoit que les implications profondes de la mise en scène touchent à la définition même de l'espace public.

L'agora athénienne, le forum romain, puis la piazza au Moyen-Age et à la Renaissance, sont les opérateurs matériels de l'espace public; ainsi la piazza médiévale regroupe sur l'emplacement de l'antique forum romain les principaux édifices de la vie sociale : église, baptistère, palais princier ou communal, hôpital, palais de justice, fontaines...tout un décor urbain pensé et dessiné par une même corporation : architectes, perspectivistes, peintres, scénographes mettent en scène, dramatisent, les lieux où se négocient les

1 CARPACCIO réalise le fameux cycle de Sainte-Ursule déjà cité, en utilisant les procédés des représentations

théâtrales en vigueur à la même époque à Venise. Le peintre réussit cependant une synthèse originale du théâtre et de la peinture en s'inspirant des possibilités scéniques et symboliques de Venise, ville-décor en soi.

2 ARISTOTE le premier désignera par scénographie "les peintures de scène" que Sophocle aurait contribué à

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affaires, se prennent les décisions politiques, se rendent les arbitrages, se célèbrent les cultes. L'espace public c'est aussi (d'abord ?) ce tribut payé par l'esprit à l'illusion, par le réel au mensonge de l'art.

Cette primauté de l'imaginaire entraîne d'importantes conséquences. L'espace de la représentation scénique ou picturale se règle sur une distribution des points de vue, de fuite et de distance qui aménagent des proximités dans l'espace et le temps : des ici, des là-bas, des naguère et des à présent. "O divine perspective ! s'écriait Paolo Uccello , celle qui se prolonge dans le temps comme dans l'espace et qui rejoint l'immédiat à l'éventuel, le présent au futur et la réalité au rêve par l'aiguisement du désir"1. Le champ de la représentation se creuse en libérant un espace-temps inédit, produit de l'alchimie subtile de l'ailleurs et de l'autrefois, source des idéalités régulatrices qui installent l'utopique et l'exemplaire au centre de l'économie symbolique.

UNE LECTURE SENSORIELLE DU MONDE

La réalisation des "Galeries de vues" en 1758, correspond à un mouvement initié quelques années plus tôt. Le XVIII° siècle tout entier vibre au rythme du fameux Voyage d'Italie promu par les anglais qui, de Rome à Naples, en passant par Florence et Venise, y voient le point d'orgue d'une éducation achevée. La veduta fait alors l'objet d'un engouement qui la place au premier plan de ce dispositif culturel instituant la naissance simultanée du tourisme et d'un nouveau mode d'éducation, couronné par une circulation codifiée. Les védutistes scénarisent ce monde dont on fait le "tour" pour la première fois2. Signe perceptible de décadence, la touristification frappe plus particulièrement la République de Venise qui décroît alors doucement. Les processions et les parades, vidées de leur sens, sont organisées à l'intention des visiteurs, comme aujourd'hui les danses folkloriques dans les villages d'Afrique ou d'Asie. C'est en Italie que naît cet exotisme moderne qui s'exprime dans la sur-représentation d'une Venise réduite à l'état de décor : ainsi copiée à des milliers d'exemplaires Venise peut-elle disparaître du monde réel en 1797, date du renversement de la vieille République par Bonaparte. Que sont alors les vedute, ces petits tableaux boudés par les vénitiens qui n'y reconnaissent pas leur ville déchue, déclinée en marchandise destinée à l'exportation ?

1 cf. Paul CLAUDEL, L'oeil écoute, Paris, Gallimard, 1946, p. 140.

2 L'Angleterre lance la mode du "Grand Tour", voyage initiatique dont le roman d'apprentissage est le pendant

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Il faudra bien du talent à Carlevaris, à Canaletto, à Francesco Guardi ou à Bernardo Bellotto pour hisser les vedute au rang d'un genre sinon majeur, du moins plus noble qu'il n'y paraît au premier abord.

Le pragmatisme des védutistes "en série" ne s'accompagne d'aucun état d'âme : d'abord parce qu'au XVIII° la fonction utilitaire des Beaux-Arts est largement plébiscitée1. Ensuite parce que c'est encore en Italie, "laboratoire esthétique de l'Europe"2, que se forme le souci du pittoresco, catégorie esthétique exaltée par la littérature et la peinture. Pittoresque est ce qui est digne d'être peint, peignable : l'adjectif résonne dans l'air de ce temps comme photo- génique et télégénique aujourd'hui.

Ce qui devient perceptible ici, c'est que le mouvement de globalisation du monde repose moins sur la libre circulation des capitaux que sur la libre circulation des images du monde : l'image est l'essence manifestée d'un monde vécu comme représentation. Organisé par et pour la vision, le monde vaut ce que valent ses images. La force de la veduta est liée à l'humilité de certains artistes qui consentent à peindre jusque sur des éventails, en tout cas sur de petits formats choisis pour leur encombrement minimum en voyage. Or le rôle de ces souvenirs de voyage dans l'imaginaire collectif est inversement proportionnel à leur dimension matérielle : une Italie fictionnelle en émerge, instituant ce "Désir d'Italie", d'une Italie idéale dont le voyageur cherche les secrètes correspondances avec le pays réel, et à laquelle on est initié comme autrefois aux mystères d'Eleusis. Jane Austen nous montre dans son roman Emma, M. Woodhouse qui cherche à se distraire de sa maladie, et auquel M. Knigtley présente des gravures représentant des vues de la place Saint-Marc à Venise. Les touristes s'arrachent cette Italie védutée par Pannini et ses pairs. Ces tableaux font sensation à tous les sens du terme, et d'abord au sens du philosophe Hume qui fait de la sensation le point de départ de la connaissance3.

La veduta fonctionne sur le registre de l'émotion, partagée entre la surprise et le ravissement, piquée par l'anecdotique et le pittoresque : vision et sensibilité s'articulent étroitement l'une à l'autre, en une unité esthétique accomplie, légitimant une lecture sensorielle du monde que les philosophes empiristes de Condillac à Maine de Biran, et les romantiques, s'emploieront à développer tout au long du XVIII° et après.

1 Par les encyclopédistes en particulier.

2 Cf. Pierre CHAUNU, La civilisation de l'Europe des Lumières, Paris, Flammarion, 1982, p.320. 3 Cf. Essais philosophiques sur l'entendement humain, 1748.

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Ailleurs, à Rome surtout, la veduta va revêtir des caractéristiques bien particulières qui vont en faire un moment inaugural des valeurs fondatrices de la modernité.

L'INVENTION DU PASSE

Omniprésente dans les "Galeries de vues", la référence à l'Antiquité, romaine surtout, sature le champ culturel du XVIII°. La redécouverte de l'Antiquité ou plutôt sa recréation, constitue l'un des thèmes majeurs du répertoire des Lumières. Capitale mondiale de la Renaissance, Rome inspire les peintres et les sculpteurs, mais aussi les poètes comme du Bellay qui, de retour de pèlerinage dans la ville qui n'est pas encore éternelle, célèbrera le spectacle de ces ruines grandioses1. Le mouvement s'amorce avec la publication et l'étude des livres de l'architecte romain Vitruve, et les fouilles systématiques des sites antiques ordonnées par Jules II. Deux siècles plus tard, en 1719, les fouilles d'Herculanum et de Pompéi mettent à jour quantité d'objets aussitôt pillés pour venir étoffer les collections privées. Winckelmann jouera un rôle essentiel dans la résurgence de cette Antiquité réinterprétée selon les canons de la Renaissance italienne, et dans laquelle il voit un idéal de beauté harmonieuse et équilibrée2.

Peu à peu s'impose dans les esprits la représentation codifiée d'une Italie alma mater, source d'un passé glorieux et commun. Au-delà des contingences historiques et des particularismes culturels, Rome redevient ce centre civilisateur où se forgent les conditions d'une nouvelle unité.

Les "Galeries de vues" témoignent de ce moment précis où s'opère le principal legs des Lumières à la modernité. Le déploiement de la Raison critique accompagne le recul des religions et des dogmes, mais il se heurte à l'exigence de transcendance de sa propre idéalité régulatrice : l'Antiquité, exemplarisée par l'art, vient remplir de ses vertus archétypiques le vide créé par les ébranlements du sacré. De sorte que les Lumières ne se contentent pas d'inventer le passé : elles le hissent à un niveau transcendantal d'où il continue depuis d'organiser l'économie culturelle des sociétés modernes. Plus que par un hypothétique effet de seuil, ou par une crainte excessive de l'avenir, l'obsession commémorative de notre fin de XX° siècle est commandée par cette sacralisation d'un passé dont la verticalité contraignante a pour fonction ultime de se substituer à l'imperium déchu de l'Eglise et de la monarchie. L'esthétique des Lumières répond ainsi en écho à l'esthétique platonicienne : celle d'un idéal intelligible, dérobé aux atteintes du

1 Cf. Les Antiquités de Rome, recueil de sonnets publiés avec Regrets, 1558.

2 Cf. Histoire de l'art de l'Antiquité, 1764. Citons également les travaux du comte de CAYLUS, Recueil

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sensible, fondant en droit un monde "ontologiquement supérieur"1. L'Antiquité devient le substrat d'un ordre imaginaire sur fond duquel se détache la double pédagogie du modèle et du témoignage.

UNE METAPHYSIQUE DES RUINES

Les "Galeries de vues" participent activement à l'émergence de cette "hétérochronie"2 engendrée par le besoin irrépressible de vivre plusieurs époques à la fois. Le passé sert de refuge aux rêves d'un ailleurs virginal, auréolé des vertus qui font cruellement défaut au présent. Le surgissement du passé dans l'espace de la représentation débouche sur l'avènement de nouvelles formes de la sensibilité articulées autour de la nostalgie et du regret. L'individu moderne découvre au creux de lui-même "des couches silencieuses qui sont, pour ainsi dire, spontanément complice des époques révolues. L'examen du passé se double ainsi de la découverte d'une intimité enfouie"3. La lecture de l'image s'apparente à un exercice spirituel par le truchement duquel la conscience du sujet se saisit du même coup du temps général et de son tempus particulier.

Ce mouvement est amplifié par les choix qui s'opèrent alors dans les modalités de représentation de l'Antiquité. C'est sous la forme de la ruine4, de la trace et du vestige que le passé se donne à voir. Le tableau de Pannini fonctionne comme une tentative de restauration et de totalisation d'un passé fragmentaire, qui érige la perte et le manque en emblèmes d'une plénitude disparue. La peinture des ruines désigne en creux une réalité enfuie, un avoir-été qui n'existe que sous les auspices de son absence même : pure béance, elle nous signifie que "l'absent est aussi la forme présente de l'origine"5. La figure de la ruine concentre le paradoxe de cette présence-absence : elle est une allégorie de la distance et de la proximité, de la transcendance et de l'immanence. L'espace symbolique de la ruine devient plus important que son espace concret, dans la mesure où il constitue un point de passage entre le passé et le présent. La récurrence des ruines dans l'imaginaire des Lumières commande la double relation qui s'instaure entre un ailleurs/jadis surévalué et un ici/maintenant privé de la dignité symbolique du précédent. L'esthétique de la ruine capte le rayonnement du passé non pas dans toute sa gloire, mais dans sa durée fragile, dans une pérennité amoindrie qui témoigne de sa

1 Cf. Thomas PAVEL, L'art de l'éloignement, Paris, Gallimard, 1996, p. 371. 2 Ibid. p. 21.

3 Ibid.

4 En Italie, la ruine est un genre spécifique entre peinture d'architecture et paysage. 5 Michel de CERTEAU, L'écriture de l'Histoire, Paris, Gallimard, p. 60.

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capacité de résistance. En sorte que son évocation active ce sentiment contradictoire de contingence et de permanence qui est le propre de la condition humaine.

La rhétorique du discours des Lumières se double d'une rhétorique de l'image dont le tableau de Pannini nous offre un morceau de bravoure. Au centre d'un processus auto-référentiel, l'image nous tient ici un triple discours sur ses propres modalités de représentation, sur la façon dont elle nous donne à voir le temps, et sur la manière dont elle stimule le sentiment de la durée. Deux temporalités primordiales se croisent et se répondent dans ce tableau qui passe du quotidien à l'éternel comme d'un plan à un autre. Prise en exemple et à témoin, l'Antiquité définit un horizon d'idéalité qui intrônise le passé en modèle de l'action et en référence esthétique. La véritable correspondance s'établit moins ici entre le passé et le présent qu'entre le passé et l'avenir sommé de restaurer la grandeur antique, foyer de la civilisation et du progrès. L'image nous invite à nous régler sur le passé au moyen de l'art (c'est le style all'antico) et de la morale en redécouvrant la virtu antique louangée hier au théâtre par Corneille et Racine. En ce sens, l'art devient lui-même une morale érigée sur le mémorable et la continuité. Pour Diderot d'ailleurs, l'art est affaire de transmission des valeurs morales indexées sur la tradition du Beau. Le souvenir du passé est actualisé par l'image d'une romanité vertueuse qui projette une unité imaginaire dans laquelle chacun est appelé à communier avec les autres. Dans son De Icona, Nicolas de Cuse expliquait déjà combien le sens d'une image repose sur un contrat communautaire qui s'éprouve dans son déchiffrement. Regarder une image au fond, revient toujours à la regarder à plusieurs, même si l'on est seul : le regard cristallise l'espace social originaire.

L'image se fait pré-texte à l'évocation de la cité perdue, et cette Rome amoindrie est plus grande encore que la Rome réelle : "Rome n'est plus dans Rome, elle est toute entière où je suis" disait César. Retrouvant les accents de l'Ecclésiaste, le XVIII° siècle peint la ruine comme une allégorie de la vanité foncière de toute chose, soumise par le temps à la dégradation et à la fragmentation. Aussi Diderot, sensible à la peinture ruiniste d'Hubert Robert, élève de Pannini, propose-t-il de concevoir une "poétique des ruines" sur le refrain de rien ne dure jamais1. Les artistes et leurs publics2 hissent les ruines au rang de modèles ordonnant un cadre d'interprétation général mais contradictoire : ainsi la ruine exprime-t-elle à la fois l'empire souverain du temps, mais aussi son abolition dans le

1 Cf. Salon de 1767, à propos de la "Vue du port de Rome" peinte par Hubert ROBERT. Les Salons, Paris,

Garnier.

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modèle, cet invariant universel qui triomphe du temps, exhibant les stigmates de son passage pour mieux le réfuter.

Loin du sec relevé topographique et du souci de l'exactitude scientifique, les ruinistes mettent en scène un passé exemplaire mais décoratif, agencé selon des conventions arrêtées par les exigences de l'édification et du divertissement. Les effets de lumières et de perspectives font la part belle à une dramaturgie plus proche de la fable que du récit, propre à tisonner une nostalgie arcadienne nourrie de Virgile et des Bucoliques, de Rousseau et de la Nouvelle-Héloïse.

Les artistes se piquent de livrer une image élégante et souvent fantaisiste du passé1. L'image ne reçoit pas pour seule mission d'instruire comme le voudrait la peinture littéraire, elle doit aussi captiver et séduire : "Parce que la séduction ne s'arrête jamais à la vérité, mais au leurre et au secret, elle inaugure un mode de circulation lui-même secret et rituel, une sorte d'initiation immédiate qui n'obéit qu'à sa propre règle du jeu"2. Séduire mais aussi émouvoir : la scénarisation des ruines favorise une lecture émotionnelle du passé3 dont la conséquence sur le devenir des monuments concrets est loin d'être négligeable. En ouvrant la voie à un romantisme mobilisé par les impératifs de la conservation, elle participe directement à la sauvegarde des monuments en péril. Le tableau de Pannini contribue à l'avènement d'un modus essendi préromantique, caractérisé par un désir d'héroïsation de l'individu exhorté à s'élever au-dessus de lui-même.

La mélancolie romantique s'emparera de l'esthétique des ruines dans lesquelles elle verra l'illustration de la difficulté de persévérer dans son être et la métaphore d'une vacuité originaire.

CONSCIENCE HISTORIQUE ET CONSCIENCE OPTIQUE

C'est cette Italie matricielle, ce creuset d'un monde idéal, ce matrimoine, que la Révolution métamorphose en patrimoine d'une humanité rassemblée pour les besoins de la cause dans un même lignage revendiqué. L'idéologie du patrimoine - entendu comme espace de références commun, unité originaire mythique - naît du vandalisme

à présent les marchands et les galeries, les critiques d'art qui apparaissent en même temps que les premiers Salons, les amateurs au sens large, et les simples badauds.

1 Cf. La convention esthétique des capriccii appelé vedute ideale par opposition aux vedute dal vero : vues

célèbres (de Rome surtout) associant des ruines réelles et imaginaires qui servent de cadres à des scènes historiques ou pittoresques. Art de mélanger la fiction et la réalité, l'érudition et la fantaisie, le présent et le passé dont Marco RICCI fut l'un des maîtres.

2 Cf. BAUDRILLARD, De la séduction, Paris, Gallilée, 1979, p. 112.

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révolutionnaire qui dans un même mouvement détruit et conserve. Ainsi la structure muséale est-elle chargée de matérialiser la réconciliation entre les français et la fiction d'un passé réinventé pour la circonstance. Il est le produit d'une réappropriation symbolique par laquelle les ennemis d'hier, leurs valeurs, leurs biens, leurs monuments, leurs rituels deviennent héritage d'une histoire commune, "inestimable objet de la transmission"1. Raison critique et conservation sont issues du même soubresaut de l'Histoire, comme le montre l'aufhebung de la phénoménologie hégelienne : le conservé est d'abord le dépassé, ce qui n'a plus lieu d'être, et auquel est attribué un lieu universel, coupé de son oikos originel, de son biotope2.

L'image rend perceptible l'idée d'universalité qui est le bien suprême de la Révolution. Cette conception est la fille d'un passé décontextualisé par l'exemplarisation. C'est en contemplant les signes de l'entropie et de la déliquescence que la Raison moderne appréhende les catégories de l'intemporel et de l'universel. Le spectacle des ruines acclimate l'esprit à l'idée de ce qui ne passe pas dans ce qui passe, à l'idée d'un toujours-présent du passé. Dégagée des contingences de l'espace et du temps, de l'alternance des grandeurs et des décadences, et au-delà, de la simple chronique des événements, la philosophie des Lumières cherche les lois générales du devenir, les invariants structuraux qui aménagent le passage de l'historicité vers l'Histoire3. L'oeil, "organe historique"4, joue un rôle essentiel dans la naissance de la conscience historique conçue comme tension vers l'universel à travers l'accident, et vers l'intemporel à travers les outrages du temps. Le temps n'est pas saisissable en soi : il est renvoyé à la conscience qu'il y a du temps écrit Heidegger5. Le tableau de Pannini est une allégorie de l'Histoire dont il partage la même structure en panneaux articulés par une trajectoire. Michel de Certeau parle en ce sens de l'historiographie comme d'une "galerie" qui organise le rapport entre un espace et un parcours6. Il existe de secrètes affinités entre les lois de la perspective et l'Histoire conçue comme mise en perspective. La perspective est bien cette forme

1 Cf. Pierre LEGENDRE, L'inestimable objet de la transmission, Paris, Fayard, 1985.

2 Le siècle des Lumières est celui de la promotion des musées dans les capitales européennes. En France c'est la

Convention qui rassemblera les collections royales en trois institutions majeures : Le musée des arts au Louvre (1793) le muséum d'histoire naturelle (1794) et le musée des sciences et des techniques (1795). La Révolution nationalise l'Antiquité classique et ce faisant transfigure la patrie française en Rome moderne, phare des civilisations nouvelles.

3 L'allemand marque ce passage à l'époque moderne en remplaçant le mot "Historie" qui désignait jusque là le

récit des événements, par le singulier collectif "Die Geschichte" qui désigne à la fois les événements et l'opération par laquelle on en rend compte.

4 Cf. Francis HASKELL, L'historien et les images, Paris, Gallimard, 1995. 5 Cf. "Qu'est ce que la métaphysique ?" in Questions I, Paris, Gallimard, 1968. 6 L'écriture de l'Histoire, op.cit. p. 118.

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symbolique majeure dont Cassirer nous dit qu'elle permet à l'esprit d'appréhender le monde et de l'interpréter1.

Ce tableau comme celui qui le regarde "n'est pas seulement dans l'Histoire, mais il porte en lui l'Histoire qu'il explore"2. C'est au XVIII° précisément que l'Histoire se constitue en secteur autonome des sciences humaines. Voltaire avec son essai sur l'Histoire générale ("Essai sur les moeurs" 1756), et son "Siècle de Louis XIV" (1739-1740) ouvre la marche. Le multiplicateur historique de la durée est bien l'une des explications de la pensée des Lumières et "la plus importante mutation esthétique du XVIII° siècle, celle des années 1750, [est] indissociable d'un nouveau regard sur l'antique, d'une promotion de la conscience historique"3.

En ce sens l'Histoire apparaît en premier lieu comme une catégorie esthétique : elle émerge des conditions de représentation d'un passé dramatisé par la perspective et les contraintes stylistiques de l'image. La conscience historique est d'abord une conscience optique. En cela l'Histoire tient moins de la science que de l'art : elle est un construit, un artefact adossé à l'illusion et au trompe-l'oeil. C'est cette Histoire aménagée par et pour le regard que le XIX° siècle, par la voix de Michelet et d'Augustin Thierry, parachève en oeuvre d'art : imagée, lyrique, dramatique, l'Histoire se fait roman. L'écriture de l'Histoire chez Michelet proclame le primat de l'image sur le signe : sa prose surchargée de métaphores saisissantes, syncopée, haletante, jonchée de points d'exclamation et d'interrogation, restitue cette lecture émotionnelle du monde engendrée par l'image. CODA

"Un cabinet d'amateur n'est pas seulement la représentation anecdotique d'un musée particulier par le jeu de ces reflets successifs, par le charme magique qu'opèrent ces répétitions de plus en plus minuscules, c'est une oeuvre qui bascule dans un univers proprement onirique où son pouvoir de séduction s'amplifie jusqu'à l'infini, et où la précision exacerbée de la matière picturale, loin d'être sa propre fin, débouche tout à coup sur la Spiritualité vertigineuse de l'Eternel Retour"4.

1 Cf. Philosophie des formes symboliques, 1923-1929. Erwin PANOFSKY dans ses Essais d'iconologie,

reprendra cette idée de "perspective comme forme symbolique", 1939.

2 Cf. Raymond ARON, Introduction à la philosophie de l'Histoire, Paris, Gallimard, 1938, p. 59. 3 Pierre CHAUNU, La civilisation de l'Europe des Lumières, Paris, Flammarion, 1982, p. 311. 4 Georges PEREC, Un cabinet d'amateur. Histoire d'un tableau, Paris, le Seuil, 1994.

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Le vertige sensible qui saisit le spectateur à la contemplation des "Galeries de vues de la Rome antique" est lié à la nature très particulière de ce tableau. Vertige virtuose de l'énumération , de l'autocitation, de la scansion des perspectives alternées, chargées d'exprimer que le destin de l'art n'est pas de dire le réel mais de l'exalter, de l'exténuer dans l'opulence des signes. Vertiges technique et symbolique issus de la lecture d'une image qui constitue un dispositif complexe, où la représentation est sommée de se réfléchir dans son opération, en même temps que dans sa référence constructive aux signes et aux valeurs essentielles d'un siècle, dont Starobinsky nous dit qu'il inaugure les problématiques de notre temps présent1. Support précieux d'une archéologie de la sensibilité moderne, cette toile est infiniment plus proche de nous que la date de sa facture ne le laisse soupçonner.

Entre monstration (le tableau comme espace global de la représentation) et démonstration (le schème de la représentation de représentations), elle réalise une performance picturale, au sens pragmatique du terme : elle accomplit ce qu'elle montre au moment même où elle le montre.

Il est intéressant de constater qu'un tel dispositif fonctionne sur un mode comparable à la vision méta du multifenêtrage informatique qui constelle l'image de petites incrustations parallèles, signes de la coexistence de plusieurs dimensions spatiales et temporelles. Il y a quelque chose du réseau de réseaux dans cette juxtaposition d'images qui se répondent sans se voir, et dont la combinaison dans l'espace du regard, libère une nouvelle

Weltanschauung, une autre perception du monde.

Tout cela nous ramène vers le profond mystère que recèle toute image, son point aveugle, à partir duquel elle nous interroge plus que nous ne l'interrogeons. Dans sa radicale étrangeté, l'image dit la différence et nous conduit vers l'irréductible expérience de l'altérité.

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