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Thématique et poétique des quatre éléments dans Alcools d'Apollinaire.

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Academic year: 2021

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~ , , 6f#

THEMATIQUE ET POETIQUE DES QUATRE ELEMENTS DANS ~ECOOLS D'APOLLINAIRE

BY

Paola CANTE RA

A thesis submitted to

the Facu1ty of Graduate Studies and Research McGi11 University,

in partial fu1fi1ment of the requirements for the degree of

Master of Arts

Cc) Paola Cantera 1969

(2)

cet ouvrage se propose d'étudier les quatre éléments surtout ~ar rapport aux grands thèmes d'Alcools, ceux de l'amour et de l'~r,t.

Le premier chapitre est cependant dédié à l'espace et à la nature •. 'D. comporte deux parties, La mer, qui traite le pittoresque

l'évasion et levouloir-vivrej et Rhénanie:.une nature symbolique, où le feu, l'eau et le vent servent à exprimer le folklore allemand.

Le chapitre d'eux développe le thème de l'amour. Cinq subdi-visions forment la première partie qui traite le thème du "Mal-Aimé" dans son expression métaphorique. La deuxième partie consacre l'étude des éléments aux poèmes élégiaques.

Le dernier chapitre intitulé Le renouveau spirituel dédie sa première subdivision aux éléments de la terre et de l'air comme symboles du néant et de l'être. La vocation spirituelle et La vocation poétique

étudient l'élément du feu par rapport à l'art. Le feu et l'intellect, le feu et l'épuration, le feu et l'inspiration: la flamme donne à l'ar-tiste la renaissance, le travail, la vie.

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1

TABLE DE MATIERES

Introduction . . . 1 . ' . . . • 1-111 Chapitre l

LES ELEMENTS ET L'ESPACE~ UNE NATURE QUI FACONNE LE POETE

La mer

Pittoresque et poésie ... 1 La mer et le sens de l'infini .•.••..•..•..•.••...•.•••..•• 4 La mer: cette eau qui fait renaître •••...•...•...•••• 6 Rhénanie: une nature symbolique

Le vent ... ' .... '.' ... ' ... 8 Le feu et l'air ... 11 Le feu et l'eau ... 12

Le Rhin: ambiguité et correspondances des éléments ..•....• 13 Chapj.tre II

LES ELEMENTS ET L'AMOUR

Le mythe du Mal-Aimé et son expression métaphorique Le rêve d'un impossible amour:

L'eau comme expression de la

femme première et idéale ...•...•..•... 15 Les paradoxes de Ifamour, ardeur et maléfique:

l'eau et le feu, symboles à la fois

positifs et négatifs ....•...•.•.•...•...•. 21 L'amour mauvais: le feu et l'amour faux.

Le feu, l'eau et la souffrance de l'amour ... 25 La mort du poète amoureux ... 36 L'amour qui f ai t renaît re ...••... 39 Lyrisme et souvenir de l'amour: les éléments comme

expression de l'élégie

L r eau . . . 43

(4)

de la terre au ciel, dialectique de la terre

et de l'air ... 55

La nouveauté spirituelle: l'obsession de

l'altitude ... /) ... 61

La vocation spirituelle

Le feu et la pens ée ~bsolue ••.•...•..••...•••.•.•..••.•.••••.•• 65 Pureté et impureté, le feu instrument du rachat

spiri tue 1 ... ' ... ' ... " ... " ... ' . . 68 La vocation poétique

Tradition et poésie, le feu instrument de la

nouvelle inspiration ... 73

Le métier du poète: le feu et la magie des vers ... , 76

Situation du poète: souffrance et joie que tout

se resoud dans la flamme ... ' ... .. 79

Conclusion ...•...•... 84 Bibliographie. " . " ... . 87

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INTRODUCTION

L'oeuvre naît souvent de l'homme. Un recueil poétique aussi mince qu'Alcools, permet au lecteur de. parcourir une grande partie de l'itinéraire d'une vie. Apollinaire lui-même, dans une lettre adressée à Henri Martineau, considère chaque poème d'Alcools. la commémoration d'un événement de sa vie. Et cette oeuvre ne dévoile-t-elle pas également toutes les dimensions affe~­

tives d'Apollinaire? L'objet de ce travail sera alors d'étudier les expé-riences les plus grandes d'une existence humaine: l'amour et la poésie. Nous aborderons ces grands thèmes à travers les quatre éléments.

Mais quel sens a-t-elle la vie pour une personnalité aussi'complexe que celle d'Apollinaire? L'imprévu, un appétit de la nouveauté, la pour-suite de l'aventure, une curiosité inlassable: ce sont quelques-uns des penchants du poète. La vasteté de la mer est une ouverture aux échappatoires de l'imagination. L'homme, traversé par les forces de son immensité, est

conduit dans un monde lointain et intérieur. Apollinaire consacre à cet ail1eur marin deux poèmes: La Porte et Chantre.

La mer sans limites et sans bornes symbolise l'appétit et l'amour de la vie: d'où l'image de l'homme-paquebot.

L'ancre se jette en 1901 en Rhénanie. Les éléments de l'air, de l'eau et, du feu, tout en se rattachant à la géographie spécifique du

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le monde de l' imaginaire s'opère. Le vent~ nocture , Nuit rhénane ,Rhénane d'automne, La Loreley nous plonge dans l'univers incantatoire du folklore et de la légende d'un pays. Dans le thème de la vie et de la Rhénanie vus à travers les éléments forment la matière du premier chapitre.

Le chapitre deux consacre son étude au thème de l'amour étudié dans le mythe du mal-aimé et dans l'élégie.

Dans La Chanson du Mal-Aimé, l'eau, le feu et l'air jettent les germes d'une histoire sentimentale, tissent ensemble sa trame et la dénuent. Se crée pa~ la métaphore et par le symbole la mythologie personnelle d'une douloureuse expérience d'amour. D'autres poèmes qui par leur signification se rattachent aux thèmes traités s'incorporent à La Chanson du Mal-Aimé.

Les éléments de l'eau et de l'air présentent la beauté idéale dans un temps éloigné et dans un espace aux dimensions cosmiques infinies. Le bonheur est hors d'atteinte.

Eau et feu: deux valorisations contraires du mal et du bien; l'un abrite la beauté maléfique, l'autre est activité, fécondation, ardeur érotique.

Un manque d'intensité, une chaleur faible, la durée brève de la flamme animale, cosmique et urbaine sert à traduire la fausseté de l'amour. Le feu existe indépendemment où se confond avec l'élément de l'eau pour évoquer la torture amoureuse. Nous étudierons surtout deux images:

(7)

'l'image de l'enfer et l'image de la boisson.

L'élément aquatique donne une couleur tragique à l'amour: il apporte à la fois la mort de l'amoureux et la s.térilité poétique. Mais dans ce monde plein de désolation et de douleur, se distingue l'exaltation amoureuse du mal-aime. Une alliance bienheureuse du feu et de l'eau se compose dans

l'idéalisation de la passion.

La deuxième partie de ce chapitre traite l'élégie apollinarienne. Les éléments créent une unité de thème et de ton qui ·caractérise Le Pont MirabeauJ Marie, Clotilde, La blanche neige, Rosemonde, Mai, Automne malade. Dans ces poèmes, la neige, l'air, le fleuve chantent le souvenir, la mort, la fugacité de l'amour et du temps, la permanence du sentiment.

La première partie du chapitre trois oppose deux éléments: la terre et l'air. Nous les discuterons en les rattachant aux dialectiques de la chute et de l'ascension, de l'ombre et de la lumière. L'élément de l'ai~ sera traité avec plus de profondeur: lié à la foi' artistique apollinarienne, il détermine "l'esprit nouveau" dont le poète est l'aile marchante.

La deuxième et la troisième partie du chapitre développent davantage le thème de l'art, toutes deux seront dédiées à l'élément du feu. Cet

élément symbolise toutes les activités mentales, et plus spécifiquement l'activité poétique. A la fois destructeur et créateur, le brasier donne le confort moral et intellectuel. S'opère·dans sa flamme une triple puri-fication: Apollinaire y atteint le salut et le devenir moral et spirituel.

(8)

CHAPITRE I

LES ELEMENTS ET L'ESPACE:

UNE

NATURE QUI FACONNE LE POETE

La mer - pittoresque et poésie

'~e n'est pas la bizarrerie qui me plaît, c'est la vie •.. Je suis comme ces marins qui, dans les ports, passent leur temps au bord de la mer qui amène tant de choses imprévues où les spectacles sont toujours neufs et ne lassent point". 1

C'est ainsi qu'Apollinaire se défend des critiques qui définissent Alcools "bizarrerie, mystification, brocante". Mais le marin ne reste pas dans le port; la mer l'invite aux voyages imaginaires, spirituels, réels. L'~lément de l'eau dans l'image de la mer, de l'océan, dévoile une facette de la personnalité d'Apollinaire, et son attitude face à la vie.

Apollinaire entre en contact avec la mer dès l'âge tendre. Dans Zone, La Méditerrannée renferme ses expériences

.,

-,--

/

d'enfance et de jeunesse; elle forme le microcosme autour

(9)

duquel s'organise toute une vie: elle se lie aux délices des jours heureux et paisibles, dans un climat luxuriant:

'~aintenant tu .es au bord de la Méditerrannée

Sous les citronniers qui sont en fleur toute l'année Avec tes amis tu te promènes en barque", 2

elle évoque. les jours de piété et renferme le monde de la foi -.te ligieuse :

"Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur", 2

elle ouvre déjà les portes à l'infini, à la poésie: "Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs". 3

La Méditerrannée reste bien imprimée dans le souvenir: "Pour Apollinaire, qui avait passé son

enfance et sa jeunesse .aux bords de la Méditerrannée, l'eau, les grandes

étendues d'eau, le ciel et ses loin-taines perspectives devaient rester

permanents dans le théâtre de sa mémoire, de son imagination, de sa pensée", 4

~ais elle se rattache à un lieu géographique spécifique, qui limite l'être; ce cadre précis disparaît et la mer devient impersonnelle pour symboliser les expériences :de

l'homme mûr.

"'Issu de l'écume des mers comme Aphrodite Sois docile puisque tu es beau Naufragé". 5

2 Alcools, ed. Gallimard, p. Il. 3 Alcools, Apollinaire, p.

4 A. Rouveyre, Amour et Poésie d'Apollinaire, p. 83 5 Alcools, p. 69

(10)

e

ta mer apporte l'imprévu, donne naissance à la beauté féminine et poétique, tout en l'enveloppant de mystère: elle voile le détail in-time d'une vie, une provenance inconnue et mixte, celle d'Apollinaire.

L'eau marine la plus çlaire, l'eau des profondeurs donne la vie, sert de boisson au poète-voyant dans Cortège, où s'étanche la soif de connaissance:

"Et cette mer avec les clartés des profondeurs .

Coulait sang de mes veines et fait battre mon coeur". 6

L~ mer est le regard qui ouvre des horizons à une baie ouverte sur un infini panoramique qui cache une terre promise et donne l'espoir

à l'être; Moise et son peuple la découvrent:

"Un homme bègue ayant au front deux jets de flammes

Passa menant un peuple infime pour l'orgueil . .. d'avoir vu la mer ouverte comme un oei l". 7 Elle renferme des trésors poétiques; l'artiste y travaille:

"Votre jardin marin où j'ai laissé mes rames";8

elle stimule l'imagination; le poète y perçoit des attractions invi-sibles à l'homme ordinaire, le monde du macrocasme:

6

7 8 9

"Les géants couverts d'algues passaient dans leur ville Sous-marines où les tours seules étaient des îles"; 9

~Alcools, Gallimard, p. 50

Ibid. , p. 71

Ibid <, p. 70

(11)

, . = r e "

~lle'peut renfermer l'expérience féconde d'une nuit; les eaux terrestres

y convergent et la nourrissent: "Une nuit c'était la mer'

Et les fleurs s'y répandaient"! 10

Sa flore aquatique qui se fond avec des poissons crée la nature insai-sissable et indéterminable d'un monde exotique:

"Vagues poissons arqués fleurs surmarinesu . 10

La mer et le sens de l'infini

La mer permet ainsi à l'homme de traverser des horizons infran-chissables, où le réel devient imaginaire •. C'est son étendue vaste qui transporte dans cet ailleurs, en offrant des soulagements occasionnels:

" la contemplation de la grandeur détermine une attitude si spéciale; un état d'âme si particulier que la rêverie met le rêveur en dehors du monde prochain devant un monde qui porte le signe de l'infin (! .. ) Dès que nous sommes immobiles, nous sommes ailleurs; nous rêvons dans un monde immense. L'im-mensité est un des caractères dynamiques de

la rêverie tranquille". 11

Le voyage marin dans La Porte et dans Chantre se fait sur place. "La porte de l'hôtel sourit terriblement

Qu'est-ce que cela peut faire 0 ma maman

D'être cet employé pour qui seul rien n'existe Pi-mus couples allant dans la profonde eau triste Anges frais débarqués à Marseille hier matin

J'entends mourir et remourir un chant lointain": 12

10 Alcools, Gallimard, p. 52

Il G. Bachelard, La Poétique de l'Espace, p. 169-170. 12 Alcools, Gallimard., p. 64

(12)

poète de la banalite de la vie quotidienne; il est transporte dans un univers marin mi-exotique, celui des pi-mus,etranges poissons qui peuplent les mers de la Chine, et mi-réel, celui de· Marseille de tous les jours. Cet univers marin est riche en suggestions: il evoque une innocence et une fraîcheur paradisiaques."~ges frais", une mort prolongee suggeree par le chant venant de l'au-delà; il

révèle en même temps un paysage intérieur: la tristesse des profon-de.urs "dans la profonde eau triste", s'accorde à l'etat d'âme du poète. L'incantation apportee par la mer cesse par surprise avec le retour à la realite:

"Enfant je t'ai donne ce que j'avais travaillé". 13

Dans Chantre, le lecteur doit faire appel à sa faculte d'ima-gination pour suivre le voyage spirituel; et c'est l'élement de l'eau qui semble creer l'envoûtement de ce vers unique:

"Et l'unique cordeau des trompettes marines". 14

Il suscite un concert marin à la fois vocal et instrumental, où s'éveille le poète-matelot à une nouvelle journee d'aventure sur le vaisseau

entoure de l'immense etendue liquide qui semble penetrer la trompette même d'ou sort le son, "cor d'eau".

13 Alcools, Gallimard, p. 64 14 Ibid., p. 36

(13)

Mme Durry tire de ces vers des images marines plus concrètes: "Je vois une ligne de vaisseaux 'à l'ancre

dans le port tandis que retentissent les

sirènes. Ou bien un. bord de Iner" une côte,

tirée comme au cordeau J et tout au long de laquelle mugit la"vague ••• ,EnfinJ sur une limite extrême entre terre et merJ entre terre et ciel retentit le son unique de 1 !univers ". 15

Pour des détails plus précis sur ce poème J je renvoie à ses recherches sur l'origine et l'histoire de cet instrument" l5 J et à l'excellent article de Rouveyre dans Amour et Poésie d'Apollinaire"'16 J où les sens multiples de ce vers sont étudiés.

La mer: cette eau qui fait renaître

L'élément de l'eau a des qualités purifiantes et stimulantes: elle renouvelle l'homme physiquement et moralement J le réveille à la vie énergique:

"L'eau nous aide à noussentir énergiques. Elle a une composante centrale. Elle réveille

les centres nerveux. Elle a une composante morale. Elle réveille l'être à la vie éner-gique. L'hygiène alors est un poème". 17

Dans Alcools J cVest l'élément de la mer qui remplit cette fonction dans Le brasier:

"Voici ma vie renouvelée

De grands vaisseaux passent et repassent

Je trempe une fois encore mes mains dans l'Océan y

"Voici le paquebot et ma vie renouvelée Ses flammes sont immenses" J '18

15 M.-J. DurrYJ G. Apollinaire J Alcools J Tome IIJ p. 108 16 Alcools J Gallimarù, p. 67-68

17 G. Bachelard, L'eau et les rêves J p. 200 18 Alcools J Gallimard, p. 91

(14)

et dans Le voyageur:

"Tu regardais un banc de nuages descendre

Avec le paquebot orphelin vers les fièvres futures". 19 L'eau de l'océan s'unit à la flamme du brasier dans l'acte purificateur et hygiénique; elle procure ~e énergie nouvelle à l'homme nouveau, elle génère l'avenir, puisqu'elle renferme les flammes de l'i-vresse, elle satisfait au besoin constant de renouveau et de l'épanche-ment. de l'être. De telles expressions comme "fièvres futures" décrivent une vie sans bornes, une activ'ité intense et brOlante. Le paquebot connaît la plénitude de la vie dans une mer infinie, ouverte, mobile, qui lui confère une liberté absolue, lui offre l'évasion vers un espace inconnu, vers des terres vierges à conquérir. Ce paquebot qui voyage sur les mers figure Apollinaire dans le voyage de sa vie; dans une lettre à Madeleine, il définit ainsi son sens de la vie:

"car la vie même est mon bonheur( ••• ). Non, il ne faut point voir de tristesse dans mon oeuvre, mais la vie même, avec une constante et consciente volupté de vivre, de connaître, de voir, de savoir et d'exprimer:'

Et Roger Navarri, dans l'article intitulé Le Poète du déracinement, voit Apollinaire comme I~ne énergie, une volonté de vivre intensemment

(15)

de tout saisir, de tout connaître, allégresse, joie de vivre .•• ,,20 tel que nous l'avons connu à travers le thème de la mer. Cependant nous verrons. que cet élément comme symbole de la vie ne forme qu'une' partie secondaire dans l'oeuvre Alcools.

Rhénanie: une nature Symbolique

, Une des étapes du voyage marin, du voyage de la vie, se fait en Rhénanie. C'est en 1901 qu'Apo~linaire s'y rend comme pré-cepteur chez Mme de Mi1hau. Le poète pénètre dans la sensibilité du peuple Rhénan, s'adapte bien "au lieu où il se trouve; et dans lés

8

poèmes "rhénanes", souvent le "moi" personnel s'efface pour s'intégrer y

au peuple. Les éléments nous montrent un aspect de la vie, du paysage, de la légende rhénanes. Mais ils servent principalement à l'évocation du monde nocturne de la nature envoûtée.

Le vent

C'est surtout l'élément de l'air dans l'image du vent qui se prête à cette vocation. En effet, Apollinaire voulait intituler ses poèmes d'Allemagne Le Vent du Rhin.

(16)

D~ns Cors de chasse, le vent absorbe le bruit-souvenir du cor, l'entraîne et le dissoud,:

"Les souvenirs sont cors de chasse Dont meurt le bruit, parmi le vent"; 21

il traduit le désordre intérieur de la Loreley et de Morgane: "Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés", 22 et

"A petits coups le vent défripait ses atours"; .

dans Merlin et la Vieille Femme, il se mêle à une nature sinistre pour susciter des présages funestes:

"Les voies qui viennent de l'ouest étaient couvertes D'ossements d'herbes drues de destins et de fleurs Des monuments tremblants près des charognes vertes Quand les vents apportaient des poils et des .mal-heurs"; 23

son bruit effrayant s'étend dans le cosmos et éveille un univers fantômique:

"Ah!. qu'il fait doux danser quand pour vous se déclare

Un mirage oû tout change et que les vents d'horreur Feignent d'être le rire de la lune:hilare

Et d'effrayer les fontômes avant-coureurs"; 23

dans Mai, son frisson et sa voix se mêlent au paysage et remplacent la vie emportée par le fleuve:

"Le vent du Rhin secoue sur le bord les oJ.sJ.ers

Et les oiseaux jaseurs ~t les fleurs nues des vignes". 24

21 Alcools, Gallimard, p. 135 22 Ibid., p. 100

23 Ibid., p. 66 24 Ibid., p. 95

(17)

1

.. Dans Les femmes, le vent hivernal envahit la nature en l'animant de sons amplifiants de musique d'église et de persop.nages légendaires:

" ••• La forêt là-bas

Grâce au vent chantait à voix grave de gravè orgue

Le Songe Henn Traum survint avec sa soeur FranSorge", 25 ou la remoue et la fouette:

"Le vent faisait danser en rond tous les sapins"; 26 sa voix qui prie éveille un pressentiment funèbre:

"On dirait que le vent dit des phrases latines". 27

Dans Le vent nocturne, cet élément crée une suite d'images auditives et visuelles pour ouvrir la porte à l'insolite et à la lé-gende. Sa plainte et son bruit se mêlent pour éveiller l'univers étrange peuplé de sons disparates et de ':créatures irréelles:

"Oh! les cîmes des pins grincent en se heurtant Et l'on entend aussi se lamenter l'autan

Et du fleuve. prochain à grand'voix trimphales Les elfes rire au vent au corner aux rafales Attis Attis Attis charmant et débraillé

C'es:!; ton nom qu'en la nuit les e'lfes ont raillé";28 il agite et abat la forêt en la transformant en armée guerrière fu-yante:

"Parce qu'un de tes pins s'abat au vent gothique La forêt fuit au loin comme une armée antique Dont les lances 0 pins s'agitent au tournant" 28

25 Alcools, Gallimard, p. 109 26 Ibid., p. 110

27 Ibid.) p. 109 28 Ibid.) p. 75

(18)

.Cette nature extérieure~ bruyarite et vitale~ forme un contrasté frap-pant avec l'activité spirituelle des villages qu'elle entoure:

"Les villages éteints méditent maintenant· Comme les vierges· les vieillards et les poètes et ne s' éveilleront ~u ·:pas de nul venant·

Ni'ql,la.nd sur leurs pigeons fondront les gypaètes". 28

Le feu et l'air

Rhénane d'automne traite le thème de la vie et de la mort, annoncé dans l'ouverture:

. "Les enfants morts vont jouer Dans le cimetière,"; 29

,les éléments du feu et de l'air n'apparaissent que dans quelque vers de ce long poème, ceux. qui ont une puissance évocatrice la plus grande. La flamme solaire, prometteuse du devenir, s~bole de la vie matérielle, est absente dans le cimetière plein de. flammes des cierges:

"Sous le ciel sans soleil

Au cimetière plein de flammes" 29 ces flammes que les vivants allument:

"Les enfants et les vieilles femmes Allument des bougies et des cierges Sur chaque tombe catholique", 29

rappellent une autre présence, celle des âmes des morts: "L'air tremble de flammes et de prières": 29 le concret et l'abstrait, lueurs et prière vacillantes

28 Alcools, Gallimard. p. 75 29 Ibid., p. 104

(19)

~e fondent dans l'air et promettent le devenir spirituel des âmes des morts.

"Le vent du Rhin ulule avec tous ses hiboux Il.. éteint les cierges que touj ours les enfants rallument ..

Et les feuilles mortes

Viennent couvrir les morts": 30

urie nature vaste naît du souffle dynamique de l'air; le vent peuple l'univers de cris sinistres, envahit le cimetière où les flammes meu-rent et renaissent, où les feuilles mortes s'agitent; il absorbe enfin toute chose et tout être:

"Puis dans le vent nous.nous en retournâmes A nos pieds ·roulaient des châtaignes"~ 31·

Le feu et l'eau

Le vin rhénan possede des pouvoirs magiques: "Ce vin clair, qui réchauffe le coeur et embellit la vie .... ce vin est quelque peu sorcier". Il procure l'ivresse, "cet

état privilégié où l'esprit, surexcité par la vertu quelque peu diabolique du vin de la Moselle, atteint une sorte de ferveur exceptionnelle, d'extase, qui lui livre les clés de la magie et de l'incantation" .. 32

Dans Nuit rhénane, les éléments de l'eau et du feu s'identifient et se fondent:

"Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme",

30 Europe, Gallima.rd~ p. 105 31 Ibid., p. 106

32 P. Orecchioni, Le Thème du Rhin dans l'inspiration de G. Apollinaire, p. 99-100

(20)

~t l'ivresse poétique qu'ils procurent ouvre un monde peuplé de chants surnaturels et de femmes irréelles:

"Ecoutez la chanson lente d'uil batelier

Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes

Tordre leurs ·cheveux verts et longs jusqu'à leurs· pieds"; 33 cette vision se précise, à mesure que l'ivresse s'élargit jusqu'à

se répandre dans le Rhin; le tremblement de·la flamme du vin s'unit au tremblement du feu des étoiles; miroitement et voix s'unissent dans cette image qui meurt.tout à coup avec l'éclat du verre:

"Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter

La voix .chante toujours à en rêle-.mourir

Les fées aux cheveux verts qui encantent l'été Mon verre s'est brisé comlile un éclat.de rire". 34

Le Rhin: ambiguité et correspondances des éléments

Ce fleuve se rattache à tous les thèmes rhénans. Il. crée la couleur locale du pays et forme le centre autour duquel .la vie du peuple se déroule. Dans Mai, dans La synagogue et dans Les sapins,

le fleuve donne la petite touch~ descriptive et pittoresque; où , .. i l

s'intègre à l'univers magique.de Nuit rhénane. Dans La Loreley, il appartient à la légende germanique qui traite le thème de la malédiction

33 Alcools, Gallimard, p. 94 34 Ibid., p. 94

(21)

~

amoureuse.

L'élément du feu aussi se rattache à ce thème; la flamme évoque le tourment d'amour; elle tue tout être:

"Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits Ceux qui m'ont regardée évêque en ont péri

Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries":; 35 deux éléments s'appellent; le fleuve crée l'allusion et attire les yeux en flammes de la sorcière:

"Tout là-bas sur .le Rhin s'en vient une nacelle Et mon amant s'y tient il m'a vue i l m'appelle

Mon coeur d~vient si doux c'est mon amant. qui vient", 36 un élément détruit l'autre: le feu de l'amour s'éteint dans l'eau:

"Elle se penche alors et tombe dans le Rhin Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley

Ses yeux. couleur du Rhin ses cheveux de soleil";37 Cette malédiction légendaire exprimée par deux éléments sert aussi d'allégorie: elle cache une malédiction intime qui se rattache à la vie sentimentale d'Apollinaire. Nous abordons un des grands thèmes d'Alcools.

37 Alcools, Gallimard, p. 99 36 Ibid., p. 100

37 Ibid., p. 101

(22)

6)

Le mythe du Mal-Aimé et ~on expression métaphorique.

Le rêve,d'un impossible amour: l'eau comme expression de la femme premi~re et idéale.

Roger Navarri, dans l'article déjà cité, remarque aussi

q~~bpollinaire, dans Alcools.

"traîne .•. sa nostalgie d'un bonheur paisible et stable, un désir de retrou-ver un point fixe". 37

Ce bonheur est celui que l'amour lui offrirait. Ce sont surtout les éléments de l'eau et de l'air qui créent le monde du bonheur amoureux. Prédomine l'élément de l'eau sous des formes différentes, teinté de nuances subtiles; dans l'image du fleuve:

"Voie lactée, 0 soeur lumineuse

De~ blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses ... "; 38 et "la quatrième Marou1ène

"Est un fleuve vert et doré

Ctest le soir quand les riveraines y baigneht leurs corps adorés

Et des chants des rameurs s'y traînent"; 39

37 Europe, oct-déc. (1966) p. 139 38 Alcools, Gallimard, p. 19 39 Ibid., p. 28

(23)

'dans· l'image du lac: .

''Vers unciel.plein de lacs de lumière";. 40 dans l'image de la neige:

et

et encore

"Ah! tombe neige Tombe et que n'ai-je

Ma bien-aimée entre mes bras"; 41

"En admirant la neige semblable aux femmes nues", 42

... C'est Pâline

Sa lame ün ciel d'hiver neigeant"; 43

dans l'image de la mer qui à la fois éloigne la beauté et se fond avec l'élément de la terre pour la désigner:

''Mon île au loin ma D~sirable", 43 . et

"Quand bleuira sur l'horizon ma Désirable". 44

L'air ~st la patrie de la femme aimée: de la colombe, oiseau de l'amour et de l'~sprit, de la neige, de l'arc-en-ciel:

" ... Noubousse

Le bel arc-en-ciel joyeux", 45

40 Alcoôls, Gallimard, p. 85 41 Ibid. , p. 57 42 Ibid. , p. 59 43 Ibid. , p . 25 44 Ibid. , p. 92 45 Ibid. , p. 28 16

(24)

.... les éléments parfois se fondent pour donner une image concrète et syn-thétique de la femme d'élection:

"Je ne veux jamais l'oublier Ma colombe la blanche rade

o

marguerite exfoliée

Mon île au loin ma Désirable", 46

où l'évoquent des images suggesti~es •. Cette femme se veut pure,imma-culée; l'eau, l'élément domi~ant, possède cette qualité:

" ••• L'imagination matérielle trouve dans l'eau la matière pure par' excellence, la matière' naturellement pure. L'eau

stoffr~ donc comme symbole naturel pour la pureté". 47

Cet amour pur s.ou}1aité a besoin de la lumière et de.: la blancheur. La couleur imprègne la beauté aquatique et aérien~e; nous avons des "blancs ruisseaux"·, une"blanche rade" , des "lacs blancs de lumière"; la neige, la colombe' sont blanches, comme la teinte de la voie lactée. Parfois cette blancheur émane une luminosité pâle: la large traînée laiteuse est une "soeur lumineuse."; Maroulène dégage des lueurs riveraines claires et heureuses, mais sans éclat, puisque c'est "un fleuve vert et doré" du soir; des rayons solaires matinaux ou crépusculaires fi1trentJ à travers

les nuages qui peuplent le ciel "des lacs blan~s de lumières"; Noubousse est ltarc-en-ciel aux couleurs douces et joyeuses, et se dessine dans la

46 Alcools, Gallimard, p. 25

(25)

lumière peu éclatante après la pluie.

Les éléments ont pour fonction'sexuelle celle d'évoquer la nudité féminine:

et

et

et

"

• •• . en admirant la neige semblable aux nues'feïDitres", '48

.

"Ah!tombe neige Tombe et que n'ai-je

Ma bien-aimée entre mes bras", 49

"Voie lactée 0 soeur lumineuse Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses", 50

"Est un fleuve vert et doré·.

C'est le soir quand les riveraines. y baignent leurs corps adorés". 51

La vision de la femme qui se dégage des éléments n'est pas celle de . Pêtre féérique, celle d'une naiade. où d'une nymphe" ~e qui

implique-rait une sexualisation artificielle·, mais celle d'une femme . vivante, réelle: elle est une'baigneuse, où: une soeur, l'àmoureu~e, la bien-aimée. La voie lactée éveille l'image ,de la mère; elle dévoile un dé-sir caché ou inconscient de la part de l'amant qui semble être à la recherche de l'abri premier qui donne un sens de sécurité; le lait apporte le bonheur du retour candide à l'enfance; il est:

48 Alcools, Gallimard, p. 59 49 Ibid. , p. 57 f "

50 Ibid. , p, 19 51 Ibid. , p. 28

(26)

"le premier des c"almants •.•

le premier bonheur positif et prec1s ( ••• ) Toute boisson heureuse est-un lait maternel, "car

il donne "un bonheur si physique et si

sûr qu'il.rappelle le plus ancien bien-être, la plus douce des nourritures" Mais l'image du lait symbolise surtout "le terrain de . la sexuàlité permise". 52

D'aùtres images issues des éléments suggèrent ce bonheur primitif. La femme nue, 'blanche, vit encore dans la fraîcheur et dans l'inno-cence première; la Désirable est ·une terre viergè qui ne connaît pas encore .1 'amour; .la colombe permet J. 'évasion dans un monde pur et spi-ritue.l; Chanaan, _ le nom biblique pour la Palestine, promet des ruisseaux de lait et de mie 1. Mais c'est surtout le. cosmos qui idéalise l'amour:

"L'axe normal de la rêverie cosmique est celui le long duquel l'univers sensible est transformé en beauté; par la cosmicite d'une image nous

rec~vons donc une expérience du monde, la rêverie cosmique nous fait habiter un monde. Elle donneeau rêveur

l'impression d'un chez soi dans l'univers imaginé •.• En rêvant à l'univers, toujours on part, on habite dans l'ailleurs •.. dans un ailleurs plus confortable ••.

l'ima-ge cosmique nous donne un repos concret, spécifi é: ce repos

correspond à un besoin, à un appé-tit". 53

52 G. Bache lard, L'eau et ~ Les 'Rêves, p. 164

(27)

En effet, l'image cosmique:

'~oie lactée 0 soeur lumineuse Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des· amoureuses", 54

semble tenter l'amant en quête, puisqu'elle revient comme un flux et un reflux. Mais la cosmicité de cette image voue l'amour au néant; dans le refrain de La chanson.du Mal-Aimé:

"les étoiles lui donnèrit'sès' dimensions cosmiques; cette dimension d'infini d r avance voue à l'échec tout amour". 55

Les élém:entstout en idéalisant le monde dé l'amour, ne lui donnent pas de structure veritable. Des visions vagues et insaisissa-bles.dégagent la beauté; les éléments suggèrent un bonheur sensuel qui

es~ impalpable; l'amour reste irréalisable et stérile pqrce qu'il ne se .conc'retise pas. Ou bien nous avons des mondes statiques, figés, qui se caractérisent par un manque de vitalité: le lac, la Reige, l'arc-en-ciel sont inertes, passifs; la femme incite, mais en même temps elle prend une attitude indifférente et enfermée. La,lumière émanant du iait, du

lac ou du ruisseau n'est pas la lumière br6lante et virile du feu, mais une lumière douce et tiède, qui inspire un amour tendre plutô~ qu'un amour voluptueux et charnel. Dans le ~ours de sa vie, le mal-aimé réclame en vain la beauté paradisiaque: elle se refuse toujours.

54 Alcools, Gallimard, p. 19

(28)

••

.Les paradoxes de l'amour, ardeur et maléfique: l'eau et·le feu, symboles

à

la: fois ·positifs et négatifs.

C'est alors que les éléments opèrent la transformation du monde de l'amour. La femme aimée devient la sirène, ce monstre fa-buleux moitié femme et moitié poisson,·qui peuple les détroits péril-leux pour attirer les marins et les dévorer. Elle possède une voix et des yeux fascinants: ces attraits symbolisent la beauté dangereuse qui assujettit et désarme l'homme. Son regard amène les matelots à leur perte, dans Vendémiaire:

'~ais où est le regard lumineux des sirènes Il trompa les marins", 56

dans l'Emigrant de Landor Road, elle incarne l'épouse porteuse de mal-heur" et dè souffrance:

"Il se maria comme un doge

Aux cris d'une sirèn~ sans époux"; 57

dans La Chanson du Mal-Aimé, elle nage dans les yeux de la putain: "Regret des yeux de la putain •••

..• Dans ses yeux nageaient les s~rènes"; 58

56 Alcools, Gallimard, p. 139 57 Ibid., p. 87

(29)

-•

t'amant s'y noie,.et en résoud l'acte d'amour laid: "Et nos baisers mordus sanglants

Faisaient pleurer nos fées marraines".58

Elle est idéalisée, et avec les reines et les murènes elle devient Pobjet de culte, la femme inaccessible et fatale des lais médiévaux:

'~oi qui sais des lais pour·les reines Les complaintes de mes années

Des hymnes d'esclave au murènes La romance du mal-aimé

Et des chansons pour les sirènes". 59

Dans LuI de Faltenin, la sirène symbolise le pouvoir maléfique char-gé de prodüire l'envoûtement. Le soleil quitte l'univers stellaire poétique p~ur d~scendre dans la demeure marine des sirènes qui semblent

l'inviter au plaisir de l'amour:

. "Sirènes. j'ai rampé vers vos. Grottes tiriez aux mers la langue Et dansant dev8.ut leurs cheveux Puis de vos ailes M;anges"; 60

il reste soumis à la puissance enchanteresse de ces créatures, de leurs yeux sorciers: 58 59 60 61 62

'~irènes enfin je descends Dans une grotte avide j'aime vos yeux". 61

Objet de culte dans Vendémiaire:

"Le feu qu'il faut aimer comme on s'aime soi-même", 62

Alcools, Gallimard, p. 24 Ibid. , p. 21 Ibid. , p. 76 Ibid. , p. 77 Ibid. , p. 141 22

(30)

GD

)'élément du feu apparaît dans des images heureuses, comme symbole de la fécondité matérie lleet de l'amour.

Le soleil stimule la vie in4ustrielle dans Zone:

"J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon

Les directeurs l~s ouvrièrs et les belles sténo-dactylographes

Du lundi matin au samedi- soir: quatre fois y pas'sent", 63 et dans Le voyageu~:

"Nous traversâmes des villes qui tout le j our tournaient Et vomissaient la nuit le .soleil des journées". 64

L'amour, flamme solaire à la fois extérieure et intérieure, donne .la vie au monde, à l'homme. Le feu de l'amour s'identifie à la clarté du jour, lumière empliss~te:

"L'amour qui emplit'· ainsi que la lumière

Tout le solide espace eritre les étoiles et les planètes". 65 Il'est générateur dans Vendémiair~:

"Ces grappes de nos sens qu'enfanta le soleil", 66 comme dans Merlin et La.Vieille Femme:

"Le soleil ce jour-là s'étalait comme un ventre Maternel qui saignait lentement sur le ciel

La lumiÈ}re est ma mère 0 lumière sanglante". 67 Ou nous le voyons comme symbole de l'amour sexuel:

"L'inceste solaire et nocturne dans les nues", 68

63 Alcools, Gallimard, p. 8 64 Ibid. , p. 53 65 Ibid. , p. 60 66 Ibid. , P 137 67 Ibid. , p. '65 68 Ibid. , p. 72

(31)

<1

mais·c'est surtout le soleil de LuI de Faltenin qui foue-le rôle du héros de l'amoul:' sensuel; dans' les vers suivants:

"Je descends

et

le firmament s'est changé t·rès vi te en méduse Puisque je flambe atrocement

Que mes bras seüls 'sont 'des excuses Et les torches de mon tourment", 69

flammes et tourments traduisent toute la volupté de l'acte sexuel dans son point culminant. Mais l'image du soleil n'est pas une image unique dans le symbole de l'érotisme. Le désir physique se manifeste parfois· par un feu tout intime: il se cache dans le mot"ardeur". Celui du serpent le montre le mieux:

j'Cette furtive ardeur des serpents qui s'entr'aiment", 70 et

"Des Tyndarides aux vipères ardentes de mon bonheur Et les serpents ne sont-ils que le's cous des cygnes"; 71 cette arde~r arrive parfois à être presque surhumaine:

Je voudrais éprouver une ardeur infinie". 72

L'amour que l'amant réclame est un feu solaire printanier; il chauffe la nature et le coeur, les pénètre, les réveille à la vie:

"Revienne le soleil de Pâques

Pour chauffer un coeur plus glacé •... " .73

6~ Alcools, Gallimard, p. 77 70 Ibid. , p. 77 71 Ibid. , p. 72 72 Ibid. , p. 119 73 Ibid. , p. 19 24

(32)

JI rend l'être à l'ombre:

'Tu mesures combien d'empans J'ai droit que la terre me donne

o

mon ombre 0 mon vieux serpent Au soleil parce que tu m'aimes". 74

Cet amour braIe d'une chaleur ardente estivale, qui active la création poétique:

"Juin ton soleil ardente lYf~

BrOIe mes doigts endoloris Triste et mélodieux délire". 75

L'amour mauvais: le feu et l'amour faux; Le feu, l'eau et la souffrance. de l'amour

Un feu bien différent que celui solàire cosmique symbo-lise l'amour de la femme . . Sa passion dépourvue de tout sentiment est une flamme à peine rougeoyante, presqu'éteinte. Elle ternit dans les yeux de Marizibill e~ de des semblables:

"Leurs yeux sont des feux mal éteints", 76 ou ressemble à la clarté faible de la chandelle:

"à la lueur de la chande 11e"; 77

elle slidentifie à la lumière froide des étoiles qui grelottent dans le lit:

"et ces grelottantes étoiles

De fausses femmes dans vo~ lits", 78

74 Alcools, Ga11imard, p. 26 . 75 Ibid. , p • 31

76 Ibid. , p. 51 77 Ibid. , p. 22 78 Ibid. , p. 30

(33)

1

et à la traînée lumineuse stéllaire qui se dégage des yeux de la fille de joie et tremble dans le soir:

"Ses regards laissent une traîne

D'étoiles dans les soirs tremblants". 79

Parfois la passion momentanée de la fe'mme est analogue au feu léger et fugitif des insectes lumineux nocturnes, éclairs aussi rapides que

les feux d'artifices, ,flamme aussi pauvre que celle qui' se dégage des , marécages:

"Les egypans et les feux follets"; 80 et

, ,

"Quand vacillent les lucioles

Mouches dorées de la Saint-Jean". 81

Mais pour suggérer la fausseté de cet amour, le poète s'inspire surtout des paysages no'cturnes urbains. Dans Souvenirs d' Auteui 1, Apollinaire nous parle longuement de cet éclairage qui semble l'avoir particulièrement frappé:

79 80 81 82

"et avant la gUerre palpitaient encore à cette heure les pâles flainIlles de quel-ques lampes à p~troles qui éclairaient ici les réverbères et qu'on n'a pas remplacé ( •.. ) Il n'y a plus que très peu de lanternes anciennes. On les a

vendues aux communes suburbaines mais en revanche, quelle forêt sans nombre, de fûts en fonte, de lyres des reverb~res à gaz et à l'électricité

C

••• )

La nuit six cheminées gigantesques de l'usine à gaz flambent merveilleuse-ment: couleur de lune, couleur de sang, flammes vertes ou flammes bleues". 82

Alcools, Gallimard, p . 24 Ibid. , p. 25

Ibid. , p. 30

Decaudin, G. Apollinaire, Oeuvres ComElètes, Torne II, p. 19·-et 22

(34)

Cet éclairage dans A1coo1s'réapparaît d'un point de vue subjectif de la part du poète •

. Dans Un soir.Jl devient un paysage intérieur où se réf1écnit le monde des amants:

"La ville est métallique et c'est la seule étoile Noyée dans ·tes yeux bleus

Quand les tramways roulaient jaillissaient des feux pâles";

la pâleur des feux des tramways est comparable à la scintillation de l'étoile-ville: pâleur et scintillation réfléchissent les sentiments grelottants de la femme~ puisqu'elles se dégagent de ses yeux:

"Sous les yeux de gaz roux comme la fausse orÔllge

o

vêtue ton bras. se levait";

le gaz d'éclairage devient le témoin de cet amour faux. et le trahit.

aussi~ car il est aussi faux que le champignon vénéneux ou le monde des prostitués:

"Vois 1 'histrion tire la langue aux attentiv~s"~

ou sa fausseté est celle d'un Judas: "Un "fantôme s'est suicidé'.' ~

Et l'image des lampes qui tremblent traduit l'inquiétude amoqreuse de l'amant~ conscient de cette trahison:

"Laisserez-vous trembler longtemps toutes ces lampes

Priez~ priez pour moi"~ 83

(35)

,puisqu'il la savoure:

"Et tout ce qui tremblait dans -tes yeux de mes spnges Qu'un s.eul homme buvait •.••• ". 83

Dans Fiançailles, le feu urbain et cosmique nocturne donne une vision particulièrement laide de l'amour impur et perverti des filles de joie, réduites en ombres:

"Les becs de gaz pissaient leur flamme au' -èiair de lune Des croque.-morts avec des bocks tintaient des glas ,A la clarté des bougies tombaient vaille que vaille

Des faux cols sur des flots de jupes mal brossées Les ombres qui passaient n'étaient jamais -jolies". 84 Sur ce poème, Henri Meschonnic remarque:

"A mesure que la clarté se dégrade, s'af-firme la fausseté, la laideur des êtres, et les gestes de leur amour sont perdus , drune trivialité écoeurante ••• et le mensonge de l'amour dans "vêtue" qui correspond

à "des faux cols" sur des flots de jupes

mal brossées: habits, apparences, masques". 85

Mais la tristesse et le me~songe se lient surto~t à l'image de la lune. Dans la mythologie, cet astre est Hécate, divinité à la fois infernale et céleste, figurée un flambeau à la main; ce flambeau est une des sept épées qui blessent le mal-aime de sa trahison:

fiLa cinquième Sainte-Fabeau

C'est la plus belle des quenouilles crest un cyprès sur un tombeau

Où les quatre vents s'agenouillent Et chaque nuit c'est un flambeau". 86

83 Alcools, Gallimard, p. 112 84 Ibid., p. 115

85 Europe, oct-déc. (1966) p. 152 86 Alcools, Gallimard, p. 112

(36)

Clair de lune reprend le même thème °dans des termes du langage précieux:

"Lune me llifluente aux lèvres des déments

Les vergers et les bourgs cette nuit sont gourmands Les astres assez bien figurent les abeilles

De ce miel lumineux qui 0 dégoutte des treilles

Car voici ° que tout doux et leur tombant du ciel Chaque rayon de lune est un rayon de miel

Or caché je conçois la très douce aventure

J'ai peur du dard de feu de cettè abeille Arcture Qui posa dans mes mains des rayons décevants Et prit son miel lunaire à la rose des vents". 87

Se développe dans ces vers 'une analogie entre la lune et la femme. La lune devient l'abeille~ l'amante~et distille des rayons lumineux, nour-riture douce de miel otombant du ciel pour annoncer l'aventure à venir. A mesure que l'on progresse dans l'analogie~ le mensonge déjà caché dans

le verovers "I·èvres de déments", se précise. L'astre nocturne n'est plus une abeille quelconque, mais Arcture~ et les rayons doux se changent

en "dard de feu"~ flamme pénétrante qui bruIe et qui consume, dards dé-cevanOts, puisqu'ils émanent d'une rose illusoire, "la rose des vents".

A l'exception de ce dernier poème, le type de feu étudioé par rapport au monde de l'âme féminine ose caractérise par une clarté pâle et instable et de brève durée; elle tremble ou vacille, ou encore fris-sonne. Il ne s'agit pas d'un feu pur, authentique, mais d'un feu

(37)

~rtificiel et imp~r comme l'écla~rage urbain, les mouches dorées de la

. ' 1 .. •

Saint-Jean ou le.s feux follets •. Et ce feu se veut ·nocturne. La luciole est visible de nuit, comme les étoiles ou les·feux ~fartifice; c'est

la lumière du sqir, de la nuit qui imprègne la ville; cette nui.~ à demi- ... lumineuse, sa lumière matérielle sert à évoquer un appétit des sens,· la faiblesse chancelante et l'inconstance. de la femme, ainsi que l'insécuri-té de ses sentiments dans un· monde baigné de tristesse et de laideur infinis.

L'amour est donc ulcère et souffrance: les éléments font gonter au poète~ .1'amertùme de la réalité. Les reg;rets de l'expérience senti-mentale se fondent sur' les flammes infernales:

"Regrets sur quoi l'enfer se fonde". 88

Dans Zone, l'amant prend conscience.de lui-même et de sa condition: un emprisonnement total, une douleur morale sont la source de l'amertume

et du mépris qui déclanchent l'image de l'enfer:

"Tu te moques de toi, et comme le feu.de l'Enfer ton rire petille

88 Alcools, Gallimard,p. 18

(38)

"Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie".: ~9

angoisse de la passion) étinc.elles rougeoyantes du rire ènfernal; elles prennent possession de la vie et la conditionnent. Dans La Loreley, les yeux bril1 .. mt de flamme,s sorcières:.

'~es yeux ce sont des flammes et non des pierreries Jetez jetez aux flammes cette sorcel1erie",. 90 ' et de flammes enfernales:

"Je flambe dans ces flammes'O belle Loreley Qu'un autre te condanme tu m'as ensorcelé"

Elles vouent l'être qui s'y consume, un évêque même, à la danmation éternelle de l'Enfer.

feu:

La .douleur physique de la passion se dégage de ce paysage en

"Au tournant d'une rue brillant De tous les feux de ses façades plàies du brouillard sanguignolent

Où se lamentalènt les façades"; 91

le rougeoiement du feu qui ,se dessine dans le brouillard londpnien, les façades des maisons en feu, la rue embrasée, tout sert pour évoquer un paysage intérieur imprégné de douleur: le feu est celui de l'amour~

et l'éclairement de la rue, avec la lumière qui sort des fenêtres,se transforme "en plaies" qui "sanguignolentft et se lamentent.

89 Alcools, Gallimard, p. 10 90 Ibid. J p. 99

(39)

La couleur rouge predomine dans ces vers; cette c9uleur, .dans Alcools, caracterise tantôt le feu, tantôt l'eau et se rattache à

l'an-goisse amoureuse. Rouges sont les flammes de l'enfer, rouge est aussi la mer où sianeantit le Pharaon:

"Nous semblions entre les maisons Onde ouverte de la' Mer Rouge"; 92

et rouge est surtout le sang. Dans LuI de Faltenin, le sol~il blesse et souffrant est ensanglante:

"Et les otelles nous ensanglantent".93

Ltimage du soleil-miroir brise dans Palais est suivie de l'image du stigmate et du vin amer que le poète avale:

'~t le soleil miroir des roses s'est brise

Le stigmate. sanglant des mains contre les vitres Quel archer mal blesse du couchant le trou~

La reSlne qui rend amer le vin de Chypre

Ma bouche aux agapes d'agneau blanc l'eprouva". 94

32

Toute boisson dans Alcools est une boisson malheureuse, sauf celle de Vendemiaire. Dans Fiançailles, le poète boit les mensonges de la

femme:

"Je buvais à pleins verres les etoiles", 95

92 Alcools, Gallimard, p. 17 93 Ibid., p. 76

94 Ibid., p. 34 95 Ibid., p. 115

(40)

ct

èet acte se répète, dans Un soir:

"La vi,lle ,est inétallique et c'est la seule étoile Noyée dans tes yeux bléus. ','

Et tout ce qui tremblait dans tes yeux de mes songes Qu'un seul homme buvait". 95

L'homme en quête d'amour est le navire qui sort en voyage ~ur

la mer, plein d'espoirs, mais en retourne misérable; il y découvre ~a

, saveur amère de l'amour:

'~on bon navire 0 ma mémoire Avons-nous assez navigué

Dans une onde mauvaise à boire Avons-nous assez divagué

De la belle aube au triste soir". 97

Cette même idée nous la .retrouvons dans Zone, poème à la fois de l'inquié-tude amoureuse et spirit~elle. L'image de la mer est substituée par l'i-mage de l'alcool, boisson brûlante et pénétrante; elle s'identifie avec

la vie; le poète la boit pour go1lter l'amertume de sa propre existence:' "Et tu bois cet alc~ol brûlant comme ta vie

Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie". 97 .

L'alcool est aussi chargé de produire l'ivresse urbaine dans La Chan-son du Mal-Aimé:

95 96 97 98

"Soirs de Paris ivres de gin Flambant de l'électricité

Les tramways feux verts sur l'échine Musiquent au long des portées

Des rails leur folie de machines", 98

Alcools, Gallimard, p.1l2 Ibid. , p. 19

Ibid. , p. 14 Ibid. , p. 31

(41)

'et dans Le voyageur:

'''0 vous' chers compagnons

Sonneries'électriques des gares chant des moissonneuses

Tra~neau d'un boucher régiment de rues sans nombre Cavalerie des ponts nuits livides de l'alcool

Les villes que j'ai' ·vues vivaient conune des foll~stl~ 99

la ville s'adonne au liqueur, 'l'alcool donne la vie aux nuits, aux soirs; c'est une ville moderne qui s'anime: tout flambe» on entend les sonneries électriques, la musique des moissonneuses et des rails, les cavaleries et

,

les régiments peuplent la ville; l'alcool stimule la vie nocturne; pro-duit la folie et l'ivresse de l'amour:

"Les cafés gonflés. de fumée

Crient toutl'amour'de leurs· tziganes De tous leurs 'siphons embr.umés

De leurs garçons v~tus d' un:q;,Îagne Vers toi toi:" que j'ai tanta::l.mé", 100

et l'amant s'identifie à cette ivresse urbaine, qui constitue une étape de' l'errant b1éssé par l'amour.

Les éléments du feu et de l'eau, ,dans la boisson alcoolique, se fondent pour créer une forme d'arr.Dur spécifique; ces deux éléments peu-vent aussi exister indépendamment comme expression de la torture

amou-reuse.

99 Alcools, Gallimard, p. 53 100 Ibid., p. 31

(42)

Dans l'Emigrant de Landor'Road:

"intercalées dans l'an c'étaient les journées veuves Les vendredis sanglants et lents &'.enterrements

Des blancs et de tout noirs vaincus des cieux qui pleuvent Quand la femme du diable a battu son amant"; 101

la pluie apporte l'insatisfaction amoureuse et la mort de l'amour, des journées "veuves" et "sanglantes" et une femme enfernale qui bat son amant.

Plus frappante en'èore est l'image mythologique des Danaides, comme symbole de 1! am·our- qui p~se sur le poète. Les Danaides étaient les cinquante filles du roid'Egypte, Danaos, qui la nuit de leurs noces tuèrent ,toutes leur époux, àl'exception de l'une d'entre elles. Par conséquence, elles furent condamnées, dans le Tarta~e, à remplir d'eau un tonneau sans fond:

'~on coeur et ma tête se vident Tout le ciel s'écoule par eux Comment faire pour être heureux Comme un petit enfant candide". 102

L'amant devenu Danaides remplit ses tonneaux d'une pluie à la fois cosmique et intérieure; c'est donc en vain qu'il vide son coeur; le inalheur dont i l souffre est un lourd fardeau, "tout un ciel", qui ne donne aucun espoir de délivrance, mais la condamnation perpétue lIe dans

le coin le plus profond de l'enfer, le Tartare.

101 Alcools, Gallimard, p. 85 102 Ibid., p. 25

(43)

ft

~ mort du poète amoureux'

Le thème de l'amour dans Alcools se lie alors au thème de la mort; et ce sont de nouveau les" éléments qui donnent cette couleur tragique à l'amour.

Dans les vers:

"Sa lame un ciel d'hiver neigeant Son destin sanglant gibeline", 103

un élément détruit l'autre; la neige, la femme traîtresse, tue Vulcain, le "dieu du feu. La quête de l'amour vouée à l'échec devient une errance à la fois cosmique et marine; l'élément de l'eau sert de tombeau au mal:-aimé et à ses semblables:

"Nageurs morts suivons nous d'ahan

Ton cours vers d'autres nébuleuses". 104

L'amour voue l'homme' à la folie et est une sorte de naiàde: "Un jour le roi dans l'eau d'argent

se noya". 105

La défaite de l'amour ressemble à l'englloutissement biblique de la Mer Rouge dans le décor londonien:

103 104 105 106

"Nous semblions entre les maisons Onde ouverte de la M~r Rouge Lui les Hébreux moi Pharaon

Que tombent ces vagues de briques Si tu n'est pas bien aimé". 106

Alcools, Gallimard, p. 28 Ibid. , p. 24

Ibid. , p. 31 Ibid. , p. 17

(44)

"

J.a soumission à l'amour même;.:,le c~lte aveugle de la femme va jusqu'au sacrifice suprême mais tragique dans ces vers:

"Moi qui sais des lois pour les reines Les complaintes de mes années

Des hymnes d'e![claves aux murènes La romance du mal-aimé

Et des chansons pour les sirènes"; 107

les sirènes et les murènes symbolisent la femme inaccessible; mais la murène e.st aussi un poisson carnassier, comme la sirène, la femme-poisson

1

dévoratrice de marins. Ces vers cachent un destin sombre et funèbre qui atteint le troubadour ~'une mort marine violente, la même qui, attend

le mal-aimé de l'Emigrant de Landor Road:

"Gonfle-toi vers la nuit 0 mer les yeux des squales Jusqu'à 1.!a.ube ont guetté de loin avidement

Des cadavres de jours rongés par les étoiles

Parmi le bruit des flots et les derniers serments". 108

Cette mer est toute autre que celle désirée par le poète, celle de l' é-.. panchement du sentl.ment, de l' immen'se floraison qui aurait da donner naissance à une vie digne d'être contée dans une tapisserie:

"Un tout petit bouquet flottant à l'aventure Couvrit l'Océan d'une immense floraison

..

".

Il aurait voulu ce bouquet comme la gloire

louer dans d'autres mers parmi tous les dauphins Et l'on tissait dans sa mémoire

Une tapisserie sans fin

Qui figurait son histoire", 109

107 Alcools, Gallimard, p. 21 108 Ibid., p. 86

109 Ibid., p. 85-86

(45)

~ais la floraison ne donne pas ses fruits; elle disparaît aussitôt "dans la mer avide et agitée.

L'insatisfaction amoureuse apporte la stérilité du trava:i1 poé-tique. ApoUinaire choisit l'image" du cygne mourant qui erre dans un

lac pour faire aUlllsion à l'agonie du poèi"e":: "Près d'un château sans châte laine La barque aux barëarols chantants" Sur un lac et sous l'haleine

Des vents qui tremblent au printemps Voguait~ cygne mourant" sirène"; UO

Pair et l'eau forment ce décor de toute beauté: le chant des barcarols, une forme de poesie, accompagne l'errance du cygne, tandis que le trem-blement des vents rappellent la peine amoureuse; la femme est à la fois

absente et présente; le château est vide "sans châtelaine", mais la si-rène na"ge auprès du poète. L'eau sera-t-eUe le tombeau du cygne? Non; l'image de l'oiseau mourant suggère plutôt un assoupissement poé-tique: en effet on n'entend pas le dernier chant d~ cygne, qui, quittera ce lac pour retrouver son existence véritable dans le feu ardent de la lyre; deux éléments s'opposent comme l'agonie et la santé:

110 Alcools, Gallimard, p. 31

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IJUn jour le roi dans l'eau d'argent Se noya puis la bouche ouverte Il s'en revint en s11rnageant

Sur la rive dormir inerte Face tournée au ciel changeant Juin ton soleil ardente lyre Brûle mes doigts endoloris". 111

L'amour qui fait renaître

Les éléments de l'eau et du feu permettent au mal-aimé de. st idoéaliSer. Le ·feu comme symbole de la permanence et de la puissance de l'amour apparaît dans l'image du phénix, l'oiseau fabuleux

mytho-logique de Zone:

"Le phénix ce bacher qui soi-même s'engendre Un instant voile tout ·de son ardente cendre". 112

Cet oiseau dans la dédicace de La Chanson du Mal-Aimé devient le phénix de Mamour:

'!Et je chantais cette romance En 1903 sans savoir

Que mon amour à la semblance Du beau phénix s'il"meurt un soir

Le matin voit sa renaissance". 113

Le phénix vit dans une ardente éternité; son ardeur s'oppose ;a la fai-blesse des lncioles, des étoiles, et des feux follets; si le "flambeau"

lunaire naît le soir pour mourir le jour, le phénix se braIe le soir

111 Alcools, .GaUimard., p. 31 112 Ibid., p. 9

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,pour renaître le jour à un amour plus beau. La lune emprunte sa lumière du feu solaire; le feu du phénix est authentique; sa flamme est immortelle. Elle maintient le passé dans un éternei présent, tandis que la flamme

de'la luciole, du feu follet est passagère et mourante: la mort-néant s'oppose à la môrt~vie, au jour- renaîssance. Le bOcher du phénix marque le triomphe de l'amour sur le temps et sur la mort, et proclame l'incor-ruptibilité de la passion. L'amour impérissable du mal-aimé di~fère

40

_ .. __ . __ . ______ -- _ de la I>assi~n _ éph~mère _~.e_ ~a_ f~~e_ •.... ______ . ___ ._. ________ . ______ . _______ ... ___ . ____________________________ _ "J'ai hiverné dans mon passé

Revienne le soleil de Pâques Pour chauffer un coeur plus glacé Que les quarante de Sébaste

Moins que ma vie martyrisés": 114

ces vers font allusion aux quarante soldats chrétiens martyrisés

par exposition sur un étang gla~é; c'est la froideur et l'insensibilité féminine qui inspirent cette image biblique où l'élément de l'eau de-vient l'instrument qui martyrise.

Cette image décrit un état extérieur et un état intime, elle transmet à la fois la froideur aux corps et au coeur qui est un genre de supplice: elle conduit à la mort idéalisée.

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Le feu du bficher idéalise également la torture amoureuse; dans les vers suivants apparaît le bficher funèbre de l'amour:

"Et les destins damnés ou faustes La corde au cou comme à·Calais Sur ma douleur quel holocauste Te fuient 0 bficher divin qu'ornent Des astres des· fleurs du matin"; 115

de nouveau le poète se voit victime d'une immolation suprême; l'holocauste

... --_ ... _ .. -..

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.... ~_ .. _ ..

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...

_-_._---_.

__

._._-et le bûcher l'élèvement à un monde supérieur, celui des martyrs: leur flamme est divine. Et l'image du cygne-roi idéalise également la mort du poète.

Mais l'amour, cette foi à laquelle l'amant se voue est fausse; la flamme du bûcher et du phénix, l'étang glacé ainsi que le lac nient au martyr la survivance dans le monde des choses éternelles: il n'abou-tit jamais à une survie. D'après l'étude des images qui se rapportent aux éléments, on peut déduire une philosophie pessimiste de l'amour.

Les éléments placent le sentiment dans un univers idéal où tout bonheur est inac~essible, où dans un univers réel sombre, peuplé de malheureux et de femmes fausse,s; tout y est bref, rien ne subsiste de l'amour sauf des souvenirs tristes.

Par leur forme et leur signification, l'eau et le feu inspirent

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un. maudit amour, et deviennent tantôt une source inéluctable de la

.

souffrance et du désarroi,tantôt le reflet de cette souffrance et de ce désarroi. Ou ils traduisent les mouvements intérieurs qui varient du désespoir à la colère,del'exaltation à la résignation.

Le héros se laisse diriger et commander par les éléments: il prend une attitude soumise devant les beautés aquatique et aérien-nes2 devant les feux traîtres et les eaux dangereuses.

L'·espace et le temps s'annulent: les éléments transposent ltêtre partout où il veut être dans un temps discontinu, des mondes différents se croisent et nous placent tantôt dans la bible, tantôt dans la mythologie.

La recurrence des mêmes symboles, la grande variété des images se référant aux mêmes thèmes où les éléments apparaissent sous formes diverses haussent l'histoire d'un homme "mal-aimé" sur le plan d'un héros mythique.

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.

1YRISME ET SOUVENIR DE L'AMOUR:

LES ELEMENTS COMME EXPRESSION DE L'ELEGIE

" ..• il ne faut point voir de tristesse dans mon oeuvre", déclare Apollinaire dans une lettre adressée à Madeleine;.cette tris-tesse le poète la nie en vain. Tristris-tesse, douleur, nostalgie: elles ~bsorbent une très grande partie d'Alcools, en formant l'essence des ,poèmes élégià'qq..es. ;;de la fin d'amour.

Le poète rattache les éléments de l'eau et de l'air au ly-risme sentimental et personnel: sensibilisés, ces ·éléments réfléchis-sent les émotions intérieures d'un coeur bléssé, ils chantent la fuga-cité de l'amour et du temps, la permanence du sentiment et du souvenir. Alors, bien que les éléments se. rattachent à une géographie spécifique, à la ville de Paris ou à la Rhénanie, ils sacrifient le pittoresque et le local pour s'intégrer à une nature vaste et indéterminée qui s'ac-corde aux vibrations int~mes de l'âme.

L'eau

Figure

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