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La genèse du Partenariat oriental : les élites polonaises et la politique étrangère européenne

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La genèse du Partenariat oriental : les élites polonaises

et la politique étrangère européenne

Marie Campain

To cite this version:

Marie Campain. La genèse du Partenariat oriental : les élites polonaises et la politique étrangère européenne. Science politique. Université Montesquieu - Bordeaux IV; Institut d’études politiques de Bordeaux, 2010. Français. �tel-00541221�

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Université Montesquieu – Bordeaux IV

Institut d’Études Politiques de Bordeaux

ECOLE DOCTORALE DE SCIENCE POLITIQUE DE BORDEAUX

ED208

SPIRIT - Science politique, Relations Internationales, Territoire (UMR 5116 du CNRS)

LA GENÈSE DU PARTENARIAT ORIENTAL :

LES ÉLITES POLONAISES

ET LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE EUROPÉENNE

Thèse pour le Doctorat en Science politique

Sous la direction de M. Andy SMITH

présentée et soutenue publiquement par

Marie CAMPAIN

le 26 novembre 2010

Membres du jury (par ordre alphabétique) :

Mme Laure DELCOUR, conseillère à la Direction des Affaires européennes de l’ENA, chercheur à l’IRIS

M. Patrick HASSENTEUFEL, professeur de science politique, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, rapporteur

M. Franck PETITEVILLE, professeur de science politique, Université Paris XIII, rapporteur

M. Antoine ROGER, professeur de science politique, Sciences Po Bordeaux

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RÉSUMÉ / SUMMARY

Cette recherche a pour objet d’étude la genèse d’une politique publique européenne dans le domaine de la politique étrangère, le Partenariat oriental. Cette politique communautaire qui a vu le jour officiellement en 2008 se donne comme objectif la gestion des relations entre, d’une part, l’Union européenne et ses États membres et, de l’autre, les États du voisinage oriental appelés « near abroad » car n’ayant pas vocation à entrer à court terme dans ce bloc régional. L’étude de cette genèse soulève un ensemble de questions relatives à la construction d’une telle politique et plus généralement au fonctionnement du processus décisionnel européen en politique étrangère. En effet, étant donné les particularités de ce dernier, l’adoption d’une politique publique ne se fait pas sans l’émergence d’un leadership : le rôle primordial que tiennent certains États membres dans la mobilisation des autres afin de parvenir au compromis et à une décision. Ce leadership conditionne le comment et le pourquoi de la genèse de cette politique, en influençant à la fois la manière de faire et son contenu. À l’issue d’une enquête de terrain fondée sur des entretiens et une analyse documentaire et historique, il apparaît que la genèse du Partenariat oriental s’est chronologiquement d’abord déroulée en Pologne, dont les décideurs ont eu l’initiative en premier. Leur travail a permis non seulement de mettre sur agenda le voisinage oriental comme « problème public » via un projet de solution intitulé « Partenariat oriental », mais également de parvenir à une acceptation relativement consensuelle de ce dernier. Notre attention se tourne ainsi vers la configuration d’acteurs polonais ayant permis la naissance de ce projet de gestion du voisinage oriental, en partant du constat que ce niveau domestique de l’action publique européenne est souvent méconnu des études sur le processus décisionnel européen.

The objective of this research was to study the genesis of the Eastern Partnership as a European public policy dealing with foreign policy. Officially launched in 2008, this European policy has aimed to provide a new framework for relationships between, on the one hand, the EU and its member states and, on the other hand, some states belonging to the EU’s Eastern neighbourhood which are said to be its « near abroad » -neighbours becoming closer to the EU without any prospect for membership in the short term. The study of this genesis raises significant questions about the making of such a policy, and more particularly over the way European policy-making is actually made as far as the field of European foreign policy is concerned. Given the peculiarities of this policy-making, in order to reach a compromise within the EU on a subject and to reach a clear decision, leadership is crucial. This leadership conditions how and why this genesis occurs, meaning it influences both the way this policy is shaped and its political content. Based on interviews and documentary analysis relating to the whole of this process, it became abundantly clear for the author that the first step of Eastern Partnership’ genesis occurred within Poland whose leaders took the initiative. Their efforts allowed this project to reach the EU agenda and to achieve a general consensus on it : this « neighbourhood » was successfully defined as a « public problem » for the EU and the Eastern partnership proposed as a solution. This study thus focuses on the configuration of Polish actors whose first efforts gave birth to the Eastern partnership, underlying then the paramount importance of the often under-studied national level in European policy-making and public action.

Mots-clés : consensus, genèse, leadership, Partenariat oriental, politique étrangère européenne, Pologne, processus décisionnel, système de représentations, voisinage

Key words : belief system, consensus, decision-making, Eastern partnership, European foreign policy, genesis, leadership, neighbourhood, Poland

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REMERCIEMENTS

Ce travail n’aurait pas été possible sans l’aide et le soutien de nombreuses personnes, qui, chacune à leur manière et à des degrès divers, l’ont soutenu, ont contribué à sa maturation et à son aboutissement. Je tiens ici à leur exprimer ma profonde gratitude et à les remercier. Merci donc à…

*

M. Andy Smith, mon directeur de thèse, pour sa confiance, son ouverture d’esprit, ses corrections et commentaires toujours pertinents et ses chaleureux encouragements ;

M. Dominique Darbon pour son soutien si précieux dans les moments difficiles ; Mme Maryse Ducournau pour son aide matérielle indispensable dans le quotidien de ce travail, sa bonne humeur et sa gentilesse ;

M. Dario Battistella pour avoir relu ce travail dans ses premiers moments ;

L’ensemble du personnel des services de documentation, des bibliothèques et de la reprographie de l’IEP de Bordeaux qui ont permis à cette thèse de doctorat de lentement voir le jour ;

Mme Anne Gaudin, M. Jean-Patrice Lacam, M. Gilles Bertrand, qui m’ont offert l’opportunité d’enseigner à Sciences Po Bordeaux pendant cinq belles années dans un environnement apaisant et stimulant ;

L’ensemble des mes étudiants qui, par leur soif de connaissances et leur esprit critique, ont su développer chez moi la volonté de faire preuve de clarté et de pédagogie ;

*

M. Daniel Bach, et avec lui l’ensemble de l’équipe Garnet, qui m’ont donné l’occasion de participer à deux « PhD School » à Bruges et à Wrocław où les échanges furent fructueux, et qui m’ont permis d’obtenir une bourse de mobilité en tant que junior researcher pendant trois mois à l’Institut de Relations Internationales de l’Université de Wrocław durant l’hiver 2009 ;

Mme ElŜbieta Stadtmuller, ma tutrice en Pologne, qui m’a chaleureusement accueillie au sein de son université, a relu mon travail alors qu’il n’était alors qu’à l’état de projet, a apaisé mes craintes quant à ma compréhension des enjeux de la politique étrangère polonaise et m’a fourni une précieuse lettre de recommandation -m’offrant ainsi de forcer les portes les plus récalcitrantes du microcosme varsovien ;

(7)

M. Klaus Bachmann, qui m’a ouvert son précieux carnet d’adresses et recommandé à nombre de ses amis appartenant au milieu de la politique étrangère à Varsovie ;

L’ensemble des personnes à Varsovie qui m’ont chaleureusement reçue sur leur lieu de travail, parfois même à leur domicile, accordé un temps non négligeable, toujours dans la bonne humeur et avec enthousiasme quant à l’objet de mes recherches ;

*

Mes camarades et amis doctorants, et surtout parmi eux, Élise, Flora, Gaël, Jean-Baptiste, Mélanie, mais également Pierre et Emmanuel… ce travail s’est déroulé dans de bonnes conditions grâce à leurs conseils, à leurs critiques et à leurs expériences précédentes qui m’ont servi de guides ;

Mariya Nedelcheva, qui par sa connaissance intime et profonde des rouages de l’Union européenne, m’a encouragée et éclairée sur certains points obscurs de son fonctionnement qui résistaient encore à ma compréhension ;

Karolina Bieniek, qui m’a chaleureusement accueillie à Wrocław, fait découvrir les charmes de cette ville, m’éclairant patiemment sur les mystères de certains aspects pratiques de la vie en Pologne et apportant un soutien moral dans mon exil hivernal ;

Mon amie Ewelina, son frère Marcin et l’ensemble de la famille Gasiorowska, qui, les premiers, m’ont fait découvrir la Pologne et ses nombreuses facettes… mon amour pour ce pays tient beaucoup à cette « seconde famille » polonaise ;

Et bien sûr, ma famille et mes amis proches, qui ont constamment soutenu et encouragé ce projet et son auteur, et ce même pendant les moments difficiles : mon parrain et sa famille, Françoise, Christian et Véronique, les nombreux amis parisiens et bordelais, mes grands-parents… et surtout, surtout, mes parents, Patrick et Dominique –relectrice attentive et persévérante-, ma sœur Lauriane et mon frère Timothée, qui m’ont permis de ne pas perdre pied et de garder un recul bien nécessaire ;

Enfin, Rodolphe… sans sa patience, sa bienveillance et la chaleur de son affection, rien de tout cela n’aurait été possible.

*

Il va sans dire que les erreurs, les imperfections et les oublis de ce travail ne sont imputables qu’à leur auteur.

(8)

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ / SUMMARY ... 3

REMERCIEMENTS... 5

LISTE DES ACRONYMES UTILISÉS... 11

Introduction – Questions de recherche et objet d’étude... 15

Le défi de la gestion du voisinage oriental de l’Union européenne ... 18

La genèse du Partenariat oriental comme objet d’étude... 26

Controverses scientifiques, questions de recherches et problématisation... 37

Première partie – La genèse du Partenariat oriental : déconstruction d’un processus

décisionnel européen... 45

Chapitre I – La genèse d’une politique étrangère européenne comme objet de recherche ... 47

A – Un objet à la croisée de trois sous-champs de la science politique ... 47

B – Le Partenariat oriental : une politique publique (pas) comme les autres ?... 53

C – L’étude d’un processus décisionnel européen ... 73

Chapitre II – Étudier la genèse du Partenariat oriental : cadrage théorique et formulation de l’hypothèse de recherche ... 105

A – Outil conceptuel n°1 – La mise sur agenda ... 111

B – Outil conceptuel n°2 – La genèse d’une politique européenne comme « construction collective d’acteurs en interactions » ... 116

C – Outil conceptuel n°3 – Les comportements décisionnels comme stratégies socialement situées ... 124

D – Formulation précise de l’hypothèse centrale de recherche... 142

Chapitre III – Une méthodologie appropriée : une sociologie des acteurs de la décision ... 149

A – Faire une sociologie des acteurs de la décision ... 151

B – Une méthode qui implique de nombreux défis... 162

C – Le protocole d’enquête retenu : entretien semi-directif et technique d’associations verbales... 178

Conclusion de la première partie ... 199

Deuxième partie – Le comment du Partenariat oriental : un historique de la

construction du leadership polonais ... 201

Chapitre IV – Les tentatives de la Pologne pour influencer la politique orientale de l’UE avant et au début de son adhésion ... 205

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A – Les origines de la promotion d’une « politique orientale » de l’Union européenne par les dirigeants polonais ... 206 B – 2003, première initiative et échec polonais ... 223 C – 2006 et la nouvelle mise en avant de l’« Eastern Dimension » par le gouvernement des frères Kaczyński... 245 Chapitre V – La construction d’une proposition polonaise : la formalisation du

Partenariat oriental... 267 A – Des changements de contexte décisifs au niveau européen et domestique ... 268 B – La construction, au sein de la Pologne, d’un nouveau projet de politique orientale pour l’Union européenne... 322 Chapitre VI – Le ralliement au Partenariat oriental : la construction communautaire du consensus autour de la proposition polonaise ... 351

A – L’invitation de la Suède à se joindre au processus... 354 B – Des initiatives diplomatiques soignées pour s’assurer le soutien des autres États membres ... 383 C – Varsovie mène le bal : vers l’acceptation du Partenariat oriental ... 415 Conclusion de la deuxième partie ... 441

Troisième partie – Le pourquoi du Partenariat oriental : expliquer le leadership

polonais... 447

Chapitre VII – Espace intermédiaire polonais et identification de deux variables explicatives internes ... 453

A – Des variables explicatives internes... 453 B – L’identification d’un espace intermédiaire polonais de l’action publique : les apports d’une sociologie des acteurs de la décision... 468 Chapitre VIII – Cadrage du problème public « voisinage oriental » et transmission du schème cognitif fondamental ... 505

A – Le cadrage de la question du voisinage oriental comme problème public... 507 B – Les fondements cognitifs du problème public « voisinage oriental » : une

constellation mythique sous-jacente... 559 C – Lien de causalité entre cadrage du problème public et schème cognitif sous-jacent

... 591 Chapitre IX – Savoir-faire européen et européanisation de la politique étrangère polonaise... 605

A – Un changement indéniable dans les manières de faire : l’acquisition d’un savoir-faire européen ... 606 B – Une européanisation progressive et structurelle de la politique étrangère polonaise

... 639 Conclusion de la troisième partie... 707

(10)

Conclusion générale ... 713

Le leadership polonais dans la genèse du Partenariat oriental ... 716

La genèse du Partenariat oriental : quels enseignements ? ... 719

Montée en généralité et apports pour la science politique ... 723

Annexes ... 727

ANNEXE 1 – Liste des entretiens réalisés par l’auteur... 729

ANNEXE 2 – Grille d’entretien du premier terrain (2008) ... 730

ANNEXE 3 – Grille d’entretien du second terrain (2009) ... 732

ANNEXE 4 – Projets polonais pour une politique orientale de l’Union européenne (2003, 2008) ... 736

ANNEXE 5 – Tableaux des résultats associations verbales ... 744

ANNEXE 6 – Cartes de la Pologne depuis 1569 ... 749

ANNEXE 7 – Chronologie ... 752

Bibliographie ... 759

SOURCES PRIMAIRES ... 761

Textes officiels de l’Union européenne relatifs à la politique européenne de voisinage761 Textes officiels de l’Union européenne relatifs au Partenariat oriental ... 761

Textes officiels de l’Union européenne relatifs à l’Union pour la Méditerranée... 763

Groupe de Visegrád... 763

Ministère polonais des Affaires étrangères ... 763

Articles de presse... 764

SOURCES SECONDAIRES ... 769

Travaux généraux en sciences sociales ... 769

Analyse des politiques publiques et sociologie politique de l’action publique... 773

Politique étrangère... 783

Voisinage de l’Union européenne ... 786

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Marie Campain – « La genèse du Partenariat oriental » - Thèse IEP de Bordeaux – 2010 10

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Tableau 1 – Caractéristiques des différents « think-tanks » polonais étudiés... 479

Tableau 2 – Structure de la représentation liée au terme « East » ... 528

Tableau 3 - Structure de la représentation liée au terme « geopolitics » ... 539

Tableau 4 - Structure de la représentation liée au terme « Russia »... 541

Tableau 5 – Distinction entre cadrage du problème public et schème cognitif fondamental ... 603

Tableau 6 - Structure de la représentation liée au terme « Brussels » ... 622

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Marie Campain – « La genèse du Partenariat oriental » - Thèse IEP de Bordeaux – 2010 11

LISTE DES ACRONYMES UTILISÉS

APC : Accords de Partenariat et de coopération EaP : Eastern Partnership, Partenariat oriental ENP : European Neighbourhood Policy

GAERC : Formation du Conseil de l’UE intitulée « Conseil Affaires générales et relations extérieures de l’Union européenne »

KIE : Komitetu Integracji Europejskiej, Comité pour l’intégration européenne

KPRM : Kanceleria Prezesa Rady Ministrów, Chancellerie du premier ministre polonais LPR : Liga Polskich Rodzin, parti nationaliste polonais, la Ligue des familles

OSW : Ośrodek Studiów Wschodnich, Centre for Eastern Studies OTAN : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord

PCA : Partnership and Cooperation Agreement. PESC : Politique étrangère et de sécurité commune PESD : Politique européenne de sécurité et de défense PEV : Politique européenne de voisinage

PiS : Prawo i Sprawiedliwosc, parti conservateur polonais Droit et Justice

PISM : Polski Instytut Spraw Międzynarodowych, Polish Institute of International Affairs PO : Platforma Obywatelska, parti libéral polonais, la Plateforme civique

POUP : Parti ouvrier unifié polonais, parti communiste au pouvoir à l’époque soviétique PPP : Partenariat pour la paix

PSL : Polskie Stronnictwo Ludowe, Parti populaire polonais ou Parti des paysans polonais UE : Union européenne

UKIE : Urzad Komitetu Integracji Europejskiej, littéralement « Office du Comité à l’intégration européenne », équivalent polonais du ministère ou secrétariat aux Affaires européennes

UPM : Union pour la Méditerranée V4 : Groupe de Visegrád

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Marie Campain – « La genèse du Partenariat oriental » - Thèse IEP de Bordeaux – 2010 13 À Mr.R.

« Même quand la vérité politique comporte des documents, il est rare que ceux-ci aient plus que la valeur d’un cliché radioscopique, où le vulgaire croit que la maladie du patient s’inscrit en toutes lettres, tandis qu’en fait, ce cliché fournit un simple élément d’appréciation qui se joindra à beaucoup d’autres sur lesquels s’appliquera le raisonnement du médecin et d’où il tirera son diagnostic. Aussi la vérité politique, quand on se rapproche des hommes renseignés et que l’on croit l’atteindre, se dérobe ». Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Le Côté de Guermantes, I, 1921-1922.

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Marie Campain – « La genèse du Partenariat oriental » - Thèse IEP de Bordeaux – 2010 15

Introduction – Questions de recherche et objet

d’étude

(17)
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Marie Campain – « La genèse du Partenariat oriental » - Thèse IEP de Bordeaux – 2010 17 « Plus les frontières qui ont jadis découpé un paysage sont nombreuses, plus sa vocation est riche, et plus les ruptures, les transformations et les "divorces" de son présent sont abondants. La disparition engendre fréquemment un étrange état intermédiaire, une atmosphère d’attente. Quelque chose de neuf semble se constituer, sans qu’on sache encore l’identifier ». Katharina Raabe, Monika Sznajderman, Last & Lost. Atlas d’une Europe fantôme, Éditions Noir sur Blanc, 2007.

Ce travail a pour objectif l’étude de la genèse d’une politique publique de l’Union européenne1 en matière de politique étrangère –le Partenariat oriental– au sein de l’État membre qui a formalisé le projet (la Pologne) et du processus décisionnel menant à son adoption2. La création de cette politique à été enterinée à la fin de l’année 2008 et vise à un approfondissement des relations entre l’UE et ses voisins orientaux3 : Arménie, Azerbaïdjan, Belarus, Géorgie, République de Moldavie et Ukraine. Elle a pour but d’assurer stabilité, bonne gouvernance et développement économique à la frontière orientale de l’UE, et ce afin de minimiser les risques de déstabilisation pouvant survenir dans cette zone géopolitique troublée, qui pourraient éventuellement menacer l’Union.

La gestion du voisinage oriental de l’Union européenne est une question d’une évidente actualité politique. Elle soulève également des controverses scientifiques relatives entre autres à la nature de l’Union européenne sur la scène internationale, aux spécificités de la gestion du voisinage comme outil de politique étrangère, ainsi qu’au processus de décision collective au sein de l’Union. Comprendre les fondements historiques et sociaux sous-jacents à cette question s’impose donc afin d’y apporter un éclairage nouveau à ces controverses. Une démarche de déconstruction, propre à la perspective constructiviste en sciences sociales,

1

Nous désignerons parfois l’Union européenne par son abréviation « UE ».

2

Une chronologie récapitulative est accesible en Annexe 7.

3

Commission des Communautés Européennes, Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, « Partenariat oriental », Bruxelles, le 03/12/2008, COM(2008)823 final. Voir aussi : Commission des Communautés Européennes, Commission Staff Working Document, accompanying the Communication from the Commission to the European Parliament and the Council, « Eastern Partnership », Bruxelles, le 03/12/2008, SEC (2008)2974/3 ; « Le Partenariat oriental – nouveau chapitre ambitieux des relations entre l’Union européenne et ses voisins orientaux », Bruxelles, le 03/12/2008, IP/08/1858. Tous ces documents sont disponibles sur le site suivant : http://ec.europa.eu/external_relations/eastern/index_en.htm.

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Marie Campain – « La genèse du Partenariat oriental » - Thèse IEP de Bordeaux – 2010 18

semble nécessaire. Dans ce but, on se propose d’étudier la genèse du Partenariat oriental, bien qu’il s’agisse d’un objet d’étude relativement atypique pour la science politique.

Le défi de la gestion du voisinage oriental de l’Union européenne

La naissance du Partenariat oriental à la fin de l’année 2008 s’insère dans un contexte particulier de débats politiques au sein de l’Union européenne et de ses États membres, sur la question des relations à établir avec les États du voisinage oriental situés à l’extérieur des frontières de l’UE. Ceci renvoie directement à la question l’existence de l’Union européenne en tant qu’acteur international unifié et sur le rôle des États membres dans la construction de sa politique étrangère.

Les relations entre l’UE et ses voisins orientaux

Les relations entre l’Union européenne et les États du voisinage oriental, désignés sous l’appelation « near abroad » –littéralement « étranger proche »– sont d’une actualité évidente la scène politique européenne. Les termes de « voisins » ou de « near abroad » se sont répandus ces dernières années pour désigner les États de l’Europe de l’Est géographiquement proches de l’Union européenne, qui lui sont liés par des politiques, des liens transfrontaliers ou une « proximité culturelle », mais qui ne font pas partie de ses États membres et n’ont aucune perspective d’adhésion à court terme –en partie à cause de leur différence de développement et de modernisation politique, mais également à cause de leur forte instabilité politique. Or, le processus d’adhésion à l’Union européenne avait pendant longtemps été considéré comme le meilleur instrument pour stabiliser les marges de l’Europe politique. Il représentait de fait pour l’UE un outil exemplaire de politique étrangère, satisfaisant pour la gestion de ses relations extérieures en général et de son voisinage en particulier. L’élargissement aux anciens pays du bloc communiste en était l’exemple le plus avancé, et à bien des égards « les diplomates européens le présentent comme leur politique extérieure la plus réussie, ayant stabilisé et arrimé les régimes d’Europe de l’Est à l’environnement européen de sécurité »1. Or, justement après cet élargissement de 2004 qui a ouvert la porte de

1

René SCHWOK, Frédéric MERAND, « Introduction », in SCHWOK René, MERAND Frédéric (dir.), L’Union européenne et la sécurité internationale – Théories et pratiques, Publications de l’Institut européen de l’Université de Genève n°4, Genève, Éditions Academia-Bruylant, 2008, pp.5-24, p.21. Sur cette question, voir plus particulièrement l’étude suivante : Dorota DAKOWSKA,

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Marie Campain – « La genèse du Partenariat oriental » - Thèse IEP de Bordeaux – 2010 19

l’Union à dix nouveaux pays membres1, la crainte des conséquences de nouveaux élargissements a conduit les dirigeants européens à inventer dès 2003 une autre politique, la politique européenne de voisinage, basée sur l’expérience de l’élargissement2. Dès 2002, Chris Patten et Javier Solana –respectivement Commissaire aux relations extérieures et Haut représentant pour la PESC– avaient évoqué, en prévision de l’élargissement de 2004, la nécessité de mettre en place une nouvelle politique de gestion des marges de l’Europe3. Celle-ci s’est trouvée concrétisée en 2003 par une communication de la Commission européenne, donnant formellement naissance à la « politique européenne de voisinage », la PEV4. Avant l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Politique de voisinage reposait sur un ensemble d'accords conclus entre la Communauté européenne et ses États membres d'une part, et les pays voisins d'autre part, en vertu de décisions du Conseil des ministres (Conseil de l’UE) adoptées à l'unanimité sur proposition de la Commission européenne et après avis conforme du Parlement européen5. Cette politique relève de la politique étrangère de l’Union européenne au titre de son cadre juridique de gestion des relations extérieures avec les États voisins de l’UE, les décisions la concernant sont prises par des votes à l’unanimité lors de sessions du Conseil de l’UE réuni en formation « Affaires Étrangères », i.e. rassemblant les ministres des Affaires étrangères des États membres. Cette politique fait également partie de la politique étrangère de l’UE en tant qu’elle se propose explicitement de façonner le

Laure NEUMAYER, « Entre stabilisation et incorporation de l’étranger proche : les élargissements de l’UE », in SCHWOK René, MERAND Frédéric (dir.), L’Union européenne et la sécurité internationale – Théories et pratiques, op.cit., pp.147-158.

1

Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Malte, Chypre.

2

Cette remarque ne s’applique pas pour la Roumanie et la Bulgarie dont le processus d’adhésion était en cours et s’est concrétisé par leur entrée dans l’UE au 1er janvier 2007.

3

Chris PATTEN et Javier SOLANA, Wider Europe, Lettre adressée par le Commissaire aux relations extérieures Chris Patten et le Haut Représentant pour la PESC Javier Solana au Conseil de l’UE, le 07 août 2002. Disponible en ligne sur le site suivant :http://ec.europa.eu/world/enp/documents_fr.htm.

4

Commission des Communautés Européennes, Communication de la Commission au Conseil et au Parlement Européen, « L’Europe élargie – Voisinage : un nouveau cadre pour les relations avec nos voisins de l’Est et du Sud », 11/03/2003, Bruxelles, COM(2003) 104 final. Disponible en ligne sur le site suivant :http://ec.europa.eu/world/enp/documents_fr.htm. L’abréviation « PEV » sera parfois employée ici pour désigner la politique européenne de voisinage.

5

Le fonctionnement institutionnel de cette politique et le mode de décision qui s’y applique sont très mal connus, peu d’articles scientifiques et de sources officielles les mentionnent.

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Marie Campain – « La genèse du Partenariat oriental » - Thèse IEP de Bordeaux – 2010 20

voisinage de l’Union1. C’est la seule politique extérieure de l’Union mise en exergue dans le projet de Traité constitutionnel européen (TCE) au sein de la première partie définissant l’Union et ses objectifs2. Selon Laure Delcour, il faut souligner cette volonté de constitutionnaliser une politique relativement récente, car formalisée progressivement à partir de 20033. En effet, « le fait que le Traité constitutionnel européen -quel que soit son avenir– ait consacré un titre à l’Union et son environnement proche témoigne du rôle clé du voisinage pour l’Union élargie »4. D’ailleurs depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, cette politique a été renforcée, passant du domaine de la coopération entre États membres à une certaine communautarisation. En effet l'article 212 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) établit que la procédure de codécision, appelée dorénavant « procédure législative ordinaire », est appliquée à tous les aspects de la coopération économique, financière et technique avec des pays tiers, i.e à la PEV5. Il n'existe ainsi plus de véritable distinction entre les actions menées par les États et celles menées par l'Union et la procédure de consultation du Parlement européen est élargie.

Le but affiché de la PEV est de trouver une manière efficace et alternative de gérer les frontières extérieures de l’UE en stabilisant le voisinage. Le moyen est simple : il faut participer au développement des pays voisins de l’Union, renforcer la démocratie, la prospérité économique, afin de créer un environnement stable aux portes de l’UE, afin que la frontière extérieure (orientale et méridionale) de celle-ci ne soit pas assaillie par des flux de

1

Pour une présentation approfondie des origines, logiques et principes à l’œuvre dans la politique européenne de voisinage se reporter à l’étude suivante : Dieter MAHNCKE, « The Logic of EU Neighbourhood Policy », in MAHNCKE Dieter, GSTOHL Sieglinde, Europe’s near abroad : promises and prospects of the EU’s neighbourhood policy, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2008, pp.19-46. Voir également (entre autres) les articles suivants : Alexandra GOUJON, « L’Europe élargie en quête d’identité : légitimation et politisation de la politique européenne de voisinage », Politique européenne, n°15, Hiver 2005, pp.137-163 ; Gilles LEPESANT, « L’Union européenne et son voisinage : vers un nouveau contrat », Politique étrangère, 2004, n°4, pp.767-780.

2

Traité établissant une Constitution pour l’Europe, Titre VIII, « L’Union et son environnement proche ». Disponible sur le site suivant : http://europa.eu.int/constitution/index_fr.htm

3

Laure DELCOUR, « La politique de voisinage et les relations russo-européennes : partenariat stratégique ou lutte d’influence ? », Études Européennes, paru le 30 mars 2006, pp.1-18, p.1. Disponible sur : http://www.etudes-europeennes.fr

4

Idem.

5

Se reporter au TFUE, Cinquième partie, titre III, chapitre 2 relatif à la coopération économique, financière et technique avec les pays tiers. Le texte est disponible sur le site de la Commission : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2008:115:0001:01:FR:HTML

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contrebande, des trafics de drogues et d’armes, de migrations clandestines qui risqueraient de fragiliser la sécurité interne de l’Union. Les principes de la PEV sont résumés en ces termes dans le document d’orientation de la Commission Européenne, daté du 12 mai 2004 : « il appartient à l’UE d’apporter une contribution spécifique à la stabilité et à la bonne gouvernance dans notre voisinage immédiat et à promouvoir un cercle de pays bien gouvernés à l’Est de l’Union Européenne […] »1. Ainsi, « l’Union [est] déterminée à éviter la formation de nouvelles lignes de démarcation en Europe et à promouvoir la stabilité et la prospérité à l’intérieur et au-delà de ses nouvelles frontières. […] Une interdépendance accrue –à la fois politique et économique– peut être un moteur de stabilité, de sécurité et de développement durable tant à l’intérieur des frontières de l’Union qu’au-delà. […] L’Union s’emploie à créer un espace de prospérité et de bon voisinage –un "cercle d’amis"– caractérisé par des relations étroites et pacifiques fondées sur la coopération »2. Une telle présentation des principes de la PEV fait écho au discours prononcé par Romano Prodi, alors Président de la Commission Européenne, les 5 et 6 décembre 2002 à Bruxelles, où il se posait déjà la question de savoir « quel serait le projet politique le plus susceptible d’étendre la zone de stabilité sans élargissement immédiat pour l’Union. Cette situation serait bénéfique pour nos voisins ainsi que pour l’Union elle-même, que ce soit du point de vue de la stabilité, de la sécurité ou de la prospérité »3. L’objectif de la PEV serait au final de permettre à la région voisine « de tout partager avec l’Union, excepté les institutions »4, et de mettre en place un marché commun avec l’UE, pour former « une zone de libre-échange, un régime d’investissement ouvert, le rapprochement des législations, une interconnexion des réseaux et l’utilisation de l’euro en tant que monnaie »5. Les buts affichés de la PEV et les modalités d’instauration d’un nouveau

1

Commission des Communautés Européennes, Communication de la Commission, « Politique européenne de voisinage – Document d’orientation », 12/05/2004, Bruxelles, COM(2004) 373 final, p.6. Disponible en ligne sur le site http://ec.europa.eu/world/enp/documents_fr.htm.

2

Commission des Communautés Européennes, Communication de la Commission au Conseil et au Parlement Européen, « L’Europe élargie – Voisinage : un nouveau cadre pour les relations avec nos voisins de l’Est et du Sud », op.cit., p.2.

3

Romano PRODI, L’Europe élargie – Une politique de proximité comme clé de la stabilité, (discours du Président de la Commission Européenne lors de la sixième conférence mondiale du réseau ECSA, Projet Jean Monnet), 05 et 06 décembre 2002, Bruxelles, SPEECH/02/619, p.5. Disponible en ligne sur le site suivant : http://ec.europa.eu/world/enp/documents_fr.htm.

4

Ibid., p.6.

5

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cadre de relations entre l’Union, ses États membres et les voisins orientaux en font donc un instrument de la politique étrangère de l’UE –renvoyant ainsi à la question récurrente de la place de cette dernière sur la scène internationale.

La gestion du voisinage, nouvel outil de la politique étrangère européenne

En effet, si la politique européenne de voisinage fait partie de ce qu’on peut appeler au sens large la politique étrangère de l’UE, il s’agit pourtant plus d’une « politique étrangère de proximité »1 : « plutôt que de s’assimiler à de la "grande diplomatie" intergouvernementale, [elle] est marquée par un profil bas et consiste à financer des réalisations concrètes dans certaines régions données, destinées à améliorer la situation des populations sur le terrain »2. Cette politique, faisant partie de la politique étrangère de l’Union européenne, est souvent analysée sur la base d’une réification sous-jacente de l’Union, dont l’ensemble ajouté des réseaux de relations extérieures faciliterait la projection internationale. Le fait que celle-ci soit posée comme acteur international cohérent et rationnel, mettant en application une volonté définie d’influence du voisinage, peut pourtant sembler à bien des égards problématique. Une telle réification de l’UE renvoie aux nombreux débats théoriques qui ont encore lieu quant à sa nature et à son identité au niveau international. Ces débats opposent les notions de « puissance civile » (François Duchêne)3, de « soft power » (Joseph Nye)4, et de « puissance normative » (Ian Manners)5 afin de décrire la capacité internationale de l’UE en tant qu’acteur à part entière6. S’il existe bien évidemment des différences entre ces trois notions, leur point

1

Frédéric CHARILLON, « Vers la régionalisation de la politique étrangère ? », in CHARILLON Frédéric (dir.), Politique Étrangère – Nouveaux regards, Paris, Presses de Sciences-Po, 2002, pp.391-422, p.414.

2

Idem.

3

François DUCHENE, « A new European Defence Community », Foreign Affairs, vol.50, n°1, Octobre 1971.

4

Joseph NYE, Soft Power: The Means to Success in World Politics, Oxford, Oxford Publicity Partnership, Public Affairs, 2004.

5

Ian MANNERS, « Normative Power Europe : A Contradiction in Terms ? », Journal of Common Market Studies, 40 (2), 2002, pp.235-258.

6

Pour une présentation approfondie de ces trois notions, se reporter au chapitre « L’Europe dans les relations internationales » de l’ouvrage de Franck PETITEVILLE, La politique internationale de l’Union européenne, Paris, Presses de Sciences-Po, 2006, et plus particulièrement au point intitulé « Civilian power, soft power, normative power », pp.209-216.

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commun est pourtant de considérer l’UE comme un acteur international en soi, qui existe en tant qu’entité cohérente et qui peut faire le choix de se positionner sur la scène internationale en se proposant comme un modèle à suivre, comptant plus sur sa capacité d’attraction que sur la coercition, sur l’exportation de normes et de valeurs, et in fine sur sa capacité à s’ériger en modèle pour le reste du monde. Selon les termes de Franck Petiteville, cela « peut être considéré comme une tentative pour exporter des "valeurs" à travers le monde, par le biais de l’émergence d’une "soft diplomacy" combinant ressources économiques et ambitions politiques »1. De nombreux auteurs voient comme lui dans l’UE un nouvel acteur diplomatique sur la scène internationale, promoteur de cette nouvelle « soft diplomacy »2. Ce terme, inspiré de ceux de « puissance civile », de « soft power » et de « puissance normative », met en évidence la primauté des liens économiques et de la coopération institutionnelle sur les moyens militaires traditionnels. On parie alors sur l’existence d’une influence à long terme plus efficace que les pressions diplomatiques et militaires classiques à court terme pour promouvoir une action politique internationale de l’Union. Selon Dorothée Schmid3, c’est la question palestinienne qui aurait servi de laboratoire, dans les années 1990, à la mise en place d’une diplomatie européenne fondée sur les moyens du « soft power ». L’UE serait depuis lors une « puissance normative » parce qu’elle promeut, par exemple, les droits de l’homme grâce à la Charte des droits fondamentaux. Il existerait ainsi une identité européenne dans le monde, façonnée et délimitée par des principes et valeurs dont l’UE se réclame dans tous les domaines : une conception des droits de l’homme excluant la peine de mort et incluant les droits sociaux avancés, le respect du multilatéralisme et du droit international, le principe de précaution en matière environnementale, l’exception culturelle dans les relations commerciales, etc. Envisager une telle puissance de l’UE, même à

1

Franck PETITEVILLE, « Exporting "values" ? – EU external co-operation as a "soft diplomacy", in KNODT Michèle, PRINCEN Sebastiaan (dir.), Understanding the European Union’s External Relations, Routledge/ECPR Studies in European Political Science, Londres, 2005, p.128.

2

Idem. Le terme de « soft diplomacy » est également employé par Sieglinde GSTÖHL : Sieglinde GSTÖHL, « The EU as a Norm Exporter ? », in MAHNCKE Dieter, GSTOHL Sieglinde, Europe’s near abroad : promises and prospects of the EU’s neighbourhood policy, op.cit., pp.279-293, pp.292-293.

3

Dorothée SCHMID, « La politique palestinienne de l’UE : entre limites du "soft power" et impasses du réalisme », in SCHWOK René, MERAND Frédéric (dir.), L’Union européenne et la sécurité internationale – Théories et pratiques, op.cit., pp.207-220.

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dire qu’il s’agit d’une puissance d’un genre nouveau, revient à postuler que celle-ci est un acteur unifié, parlant d’une seule voix.

Or, la politique étrangère de l’UE, et a fortiori la PEV qui en fait partie au titre de sa gestion d’une partie des relations extérieures, est basée sur la conciliation des différentes politiques étrangères des États membres, entraînant de facto « le développement d’une rivalité entre diplomaties nationales »1, qui est une conséquence inéluctable du processus de régionalisation de politiques étrangères au sein de l’Union. Et il en va de même dans le cas précis de la politique européenne de voisinage qui a pour objet la gestion des « near abroad » de l’Europe. Cette politique est un objet constant de préoccupation pour ses États membres et, tout particulièrement, en ce qui concerne son volet « Est », pour les douze nouveaux États membres d’Europe centrale et orientale2. Il s’agit là d’une des conséquences des élargissements de 2004 et de 2007 sur la politique étrangère de l’UE. En effet, ces douze États sont entrés dans l’UE avec leurs spécificités en matière de politique étrangère, leurs priorités, leurs intérêts. Pour reprendre les termes d’Elsa Tulmets et de Petr Kratochvil, « dans le contexte de leur adhésion à l’UE, les nouveaux pays membres de l’Europe centrale et orientale ont dû se préparer non seulement à bénéficier de la politique extérieure de l’UE mais encore de participer au choix de ses orientations et à sa mise en œuvre »3. Ces États nouvellement membres entendent depuis lors peser, en toute légitimité, sur la définition d’une politique étrangère commune. « Certains ont commencé à donner très tôt, avant même l’adhésion, une nouvelle orientation à leur politique étrangère en direction de l’Est et ont cherché à influencer la politique extérieure de l’UE. Ils ont activement participé à l’élaboration de la politique européenne de voisinage (PEV) lancée en 2003 pour redéfinir les relations de l’UE élargie avec ses "nouveaux" voisins de l’Est et du Sud »4. L’engagement de ces nouveaux pays membres dans une politique européenne à l’Est est chose entendue, même s’ils n’ont pas tous le même poids pour agir dans la définition d’une telle politique.

1

Frédéric CHARILLON, « Vers la régionalisation de la politique étrangère ? », op.cit., p.410.

2

Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Malte, Chypre en 2004, puis Bulgarie et Roumanie en 2007.

3

Petr KRATOCHVIL, Elsa TULMETS, « La politique orientale de la République tchèque et la Politique européenne de voisinage », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol 40, n°1, 2009, pp.71-98, p.72.

4

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Elsa Tulmets et Petr Kratochvil soulignent par exemple que la République tchèque n’a pas été aussi impliquée que d’autres pays d’Europe centrale et orientale dans la gestation et l’évolution de la politique européenne de voisinage. La République tchèque n’ayant pas de frontière devenue « frontière extérieure » de l’UE au moment de son adhésion de par sa situation géographique, son engagement dans la PEV est peu comparable à celui de certains de ses voisins, surtout la Pologne où la question de l’instauration d’une dimension orientale à la PEV a pendant longtemps occupé une place centrale au sein des débats de politique étrangère, tant dans les milieux politiques et journalistiques que pour l’opinion publique. Ainsi il faut remarquer que « tous les élargissements de l’UE ont, à un moment ou à un autre, été considérés comme créant de nouveaux ponts entre l’UE et le monde extérieur »1. Les derniers élargissements ont eux amené de nouveaux liens avec le voisinage proche de l’Union, et plus particulièrement le voisinage oriental. La Pologne, du fait de son histoire, et de sa géographie et des liens économiques et politiques qu’elle entretient avec les pays qui bordent sa frontière orientale, a tenu à influencer le cours de la politique européenne de voisinage, en la renforçant sur son flan Est. C’est chose faite depuis 2008, date à laquelle cet État a réussi, conjointement avec la Suède, à promouvoir et faire accepter une nouvelle politique au sein de la PEV, le Partenariat oriental.

La gestion du voisinage oriental est une question d’une actualité vive pour l’Union européenne, un défi à mettre en relation avec la question des modalités de sa politique étrangère et de son rôle sur la scène internationale. Pour reprendre les termes de Frédéric Mérand, il est vrai que « l’enchevêtrement des politiques étrangères nationales, la complexité institutionnelle de l’appareil décisionnel, et les terrains mouvants qu’elle contribue elle-même à construire font de la diplomatie collective européenne un objet d’étude fascinant »2. Or, afin de dépasser tout a priori et parvenir à une connaissance approfondie de cette question, une démarche de déconstruction des logiques sous-jacentes à la politique européenne de gestion

1

David ALLEN, « Wider but Weaker or the More the Merrier ? Enlargement and Foreign Policy Cooperation in the EC/EU », in REDMOND John et ROSENTHAL Glenda (dir.), The Expanding European Union : Past, Present and Future, Boulder, Lynne Rienner Publishers, 1998, pp.107-124, p.119, cité par Franck PETITEVILLE, La politique internationale de l’Union Européenne, op.cit., p174.

2

Frédéric MERAND, « La politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne : histoire, fonctionnement, enjeux », in SCHWOK René, MERAND Frédéric (dir.), L’Union européenne et la sécurité internationale – Théories et pratiques, op.cit., pp.25-41, p.40.

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des relations de l’Union européenne et de ses near abroad s’impose. Il s’agirait d’analyser les motifs poussant les dirigeants européens à vouloir intervenir sur ce sujet, mais également de comprendre comment se construit cette politique étrangère européenne et notamment quel rôle y est tenu par les États membres.

La genèse du Partenariat oriental comme objet d’étude

La politique étrangère de l’Union est en soi un objet d’interrogations sans cesse renouvelées. Le choix a été ici fait de restreindre le regard porté sur ce sujet en s’intéressant plus spécifiquement au Partenariat oriental, dernier né des programmes de l’Union concernant sa politique de voisinage, –et donc, faisant partie de la politique étrangère européenne, entendue dans le sens élargi qui inclut la gestion des relations extérieures à la PESC et son volet défensif la PESD1. Une restriction supplémentaire de notre objet d’étude était nécessaire : nous nous intéressons plus spécifiquement encore à la genèse de cette politique publique de l’UE, i.e. en se centrant sur la manière dont s’orchestre le processus de décision guidant la naissance de cette politique.

Le Partenariat oriental : présentation du cas d’étude

Le Partenariat oriental2, qui a vu le jour en 2008, est la dernière des politiques publiques européennes créées au sein de la PEV, et concerne la gestion du voisinage oriental de l’Union. Cette politique, consacrée au renforcement de la dimension orientale de la PEV, est née à la fin de l’année 2008, suite à une proposition conjointe de la Pologne et de la Suède présentée lors du Conseil de l’UE du 26 mai 20083. Elle a été ensuite mise en place par une

1

Les acronymes PESC et PESD signifient respectivement « politique étrangère et de sécurité commune » et « politique européenne de sécurité et de défense ».

2

« Eastern Partnership » en anglais, abrégé « EaP ».

3

Le texte de cette proposition est disponible sur le site du ministère polonais des Affaires étrangères à l’adresse suivante : http://www.msz.gov.pl/Materials,and,Documents,2081.html. Voir Annexe 4. On peut également trouver un résumé des propositions contenues dans ce texte dans un document de travail d’un think-tank gouvernemental polonais, le Polish Institute of International Affairs, rédigé sous la direction de Leszek Jesień : Leszek JESIEŃ (dir.), PISM Strategic Files n°3, « Eastern Partnership – Strengthened ENP Cooperation with Willing Neighbours », Juin 2008. Disponible en ligne sur le site suivant: http://www.pism.pl/pokaz.php/id/203.

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communication de la Commission européenne du 3 décembre 20081 et lancée officiellement le 7 mai 2009 lors du Sommet du Partenariat oriental à Prague2. Il s’agit d’une politique associant l’UE à six pays du voisinage de l’Europe de l’Est et du Caucase : Arménie, Azerbaïdjan, Belarus, Géorgie, République de Moldavie et Ukraine3. Le Partenariat oriental a été créé pour répondre à deux impératifs. En premier lieu, il est conçu par les Polonais et les Suédois, qui en ont eu l’initiative, comme une réponse au projet d’Union pour la Méditerranée du président de la République française, Nicolas Sarkozy, projet ayant pour objectif la réactivation des liens entre l’UE et son voisinage méridional, quelque peu à l’abandon depuis l’échec du Processus de Barcelone4. L’initiative d’Union pour la Méditerranée remonte à la campagne pour les élections présidentielles de Nicolas Sarkozy en 2007, puis à son discours de Tanger du 23 octobre 2007 dans lequel il conviait, pour une conférence se tenant à Paris en juillet 2008, tous les dirigeants des pays riverains de la Méditerranée, et ce afin de donner formellement naissance au projet. Bien des débats ont agité l’Union européenne sur cette initiative, et notamment en ce qui concerne la manière de faire de la France, très en marge des codes et usages entre partenaires européens. Sans refaire ici la chronique des débats concernant l’Union pour la Méditerranée, rappelons simplement que l’existence même de cette proposition a enclenché la réaction des Polonais et des Suédois : si l’Union mettait en place une politique de voisinage approfondie vers le Sud, pourquoi ne pas faire la même chose vers l’Est5 ? Mais au-delà de la volonté de rééquilibrage entre les volets

1

Commission des Communautés Européennes, Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, « Partenariat oriental », op.cit.

2

Conseil de l’Union européenne, Déclaration commune adoptée lors du somment du Partenariat oriental, Prague, 7 mai 2009, Bruxelles, 12/05/2009, 8435/09 (Presse 78) (OR.en). Disponible en ligne sur le site suivant : http://ec.europa.eu/external_relations/eastern/index_en.htm.

3

Pour une présentation approfondie du contenu de la politique de Partenariat oriental, se reporter au rapport suivant : Agata HINC, Maria SADOWSKA, Paweł ŚWIEBODA, The European Union and its neighbourhood in a changing world. Defining a New Strategic Relationship with the Eastern and Southern neighbours, publication du think-tank demosEuropa, Varsovie, 2008, pp. 16-20. Disponible sur : http://www.demoseuropa.eu. Voir aussi l’article de Florent PARMENTIER et Didier CADIER, L’Europe centrale, premier violon du concert européen, publication de l’agence intellectuelle Telos, 15 mai 2009. Disponible sur le site suivant : www.telos-eu.com

4

Ce point sera abordé en détail dans le chapitre V.

5

« La concrétisation du Partenariat oriental s’explique […] par une volonté explicite d’équilibrer la PEV après le lancement du projet d’Union pour la Méditerranée. Le ministre tchèque délégué aux Affaires européennes, Alexandr Vondra déclarait d’ailleurs : "en 2008 nous avons eu un printemps

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Sud et Est de la PEV, une autre considération prime lors de la création du Partenariat oriental : celle de la nécessité d’apporter une réponse aux défis posés par le voisinage oriental de l’Union, zone de tensions géopolitiques latentes –par exemple, la guerre du gaz entre l’Ukraine et la Russie ou les échauffourées récurrentes entre Moscou et ses anciens satellites dorénavant membres de l’Union1. La guerre en Géorgie durant l’été 20082 précipite la création d’une telle politique de voisinage renforcée à l’Est. C’est ce « contexte en évolution »3 qui est mis en avant dans le premier paragraphe du document de la Commission européenne du 3 décembre 2008 : « Les quinze dernières années ont vu des changements radicaux survenir à la frontière orientale de l'Union européenne. Depuis la conclusion des accords de partenariat et de coopération entre l'Union et ses partenaires orientaux, les élargissements successifs ont renforcé la proximité géographique tandis que les réformes soutenues par la PEV ont permis à ces pays de se rapprocher de l'UE d'un point de vue politique et économique »4. C’est pourquoi, « l'UE assume une responsabilité toujours plus grande vis-à-vis de ces partenaires : elle se doit de les aider à relever les défis politiques et économiques auxquels ils sont confrontés et de répondre aux aspirations qui sont les leurs en termes de rapprochement. Le temps est donc venu de franchir une nouvelle étape dans les relations avec ces partenaires, sans préjudice des aspirations exprimées par les différents pays en ce qui concerne leur future relation avec l'UE »5. La communication de la Commission du 3 décembre 2008 est donc très claire quant aux buts de ce Partenariat oriental : « Il est d'un intérêt vital, pour l'Union européenne, que soient assurés la stabilité, la bonne gouvernance et le développement économique à ses frontières orientales. Parallèlement, tous nos partenaires d'Europe orientale et du Caucase du Sud souhaitent intensifier leurs relations avec l'Union européenne. La politique de l'Union à leur égard doit être proactive et sans équivoque : elle

Méditerranéen, en 2009 il pourrait être oriental" ». Florent PARMENTIER, Didier CADIER, L’Europe centrale, premier violon du concert européen, op.cit.

1

Pour plus de détail sur les tensions dans le voisinage oriental de l’Union européenne, se reporter au chapitre V.

2

Voir l’encadré sur ce point présenté dans le chapitre VI.

3

Expression employée dans le document de la Commission européenne : Commission des Communautés Européennes, Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, « Partenariat oriental », op.cit., p.2.

4

Ibid., p.2.

5

(30)

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soutiendra fermement ces partenaires dans les efforts qu'ils mènent pour se rapprocher de l'Union et leur fournira toute l'aide nécessaire pour les réformes qu'il leur faudra engager à cet égard, dans le cadre d'une dimension orientale spécifique relevant de la politique européenne de voisinage (PEV) »1. Il est également souligné que le Partenariat oriental « devrait être porteur d'un message politique durable de solidarité de l'Union européenne, tout en apportant un soutien supplémentaire et tangible aux réformes axées sur la démocratie et l'économie de marché des partenaires et au renforcement de leur statut d'État et de leur intégrité territoriale. Cette stratégie sert la stabilité, la sécurité et la prospérité de l'Union européenne, de ses partenaires et même du continent tout entier. »2.

Pourtant, si la mise en œuvre de ces principes dans le Partenariat oriental a été accueillie avec bienveillance par les near abroad de l’UE3, sa réception fut tiède à Moscou. Bien que la Russie ne soit pas concernée directement par celui-ci, les réactions de rejet ont été nombreuses, tant dans la presse que dans des commentaires de divers politiciens russes4. Aleksandr Barbakov, vice-président de la Douma, chambre basse du Parlement russe, a ainsi mis en garde en juin 2008 les États membres de l’Union : il faut consulter Moscou sur des initiatives qui ont pour objet la sphère d’intérêt russe5. Dans un article publié en mai 2009 dans le journal russe Nezavissimaïa Gazeta intitulé « Bruxelles lance un défi à Moscou »,

1

Commission des Communautés Européennes, Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, « Partenariat oriental », op.cit., p.2.

2

Ibid., pp.2-3.

3

Un rapport très fourni fait le point sur les positions et les attentes relatives au Partenariat oriental des vingt-sept pays membres de l’UE et des six pays partenaires : Beata WOJNA, Mateusz GNIAZDOWSKI (dir.), Eastern Partnership – The Opening Report, avril 2009, The Polish Institute of International Affairs, Varsovie. Disponible en ligne sur le site suivant : http://www.pism.pl/pokaz.php/id/172. Plus globalement, il est intéressant de se pencher sur les réactions des États concernés par l’action extérieure de l’Union afin d’essayer en mesure l’efficacité et la pertinence. Pourtant, les débats théoriques sur l’action internationale de l’UE ne les prennent généralement pas en considération : peu d’articles scientifiques traitent par exemple de la réception de la PEV dans les États du voisinage méridional ou oriental. La seule exception étant, à notre connaissance, l’article suivant : Laure DELCOUR, « Does the European Neighbourhood Policy Make a Difference ? Policy Patterns and Reception in Ukraine and Russia », European Political Economy Review, n°7 (Été 2007), pp.118-155.

4

Voir les explications données par George Bovt à de tels commentaires : George BOVT, Russia and the Eastern Partnership, 17 mai 2009, Publication du EU-Russia Centre. Disponible en ligne : htttp://www.eu-russiacentre.org/our-publications/column/russia-eastern-partnership.html

5

« Poland pushes for New "Eastern Partnership" », The Warsaw voice, 11Juin 2008, journal polonais publié en anglais, disponible à l’adresse suivante: http://www.warsawvoice.pl/

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Sergeï Jiltsov, directeur d’un think-tank moscovite, critique « la vision trompeuse » qui présente le Partenariat oriental comme « un inoffensif projet à teneur politico-humanitaire ». Il s’insurge contre « l’élaboration du Partenariat oriental [qui] reflète la volonté des Européens d’accroître leur influence dans ces pays qui, il y a encore vingt ans, se trouvaient sous le contrôle absolu de la Russie, et, il y a quinze ans seulement, étaient considérés comme une zone d’intérêt exclusive de Moscou », tout cela « […] dans l’unique but d’arracher les pays de la CEI à l’orbite de Moscou ». L’auteur regrette la fragmentation de l’espace ex-soviétique qu’exploite et accentue l’UE et rejette ce Partenariat oriental, qui « […] met la Russie devant une réalité selon laquelle on lui suggère de dire adieu à ses ambitions géopolitiques et à ne plus considérer l’espace postsoviétique comme sa zone d’intérêt réservée »1. Au-delà de la violence de ces propos2, un tel raisonnement est également sous-jacent dans de nombreux commentaires et publications parus au sein de l’UE, qu’ils soient le fruit de journalistes ou d’experts. « Union européenne – Russie : la lutte d’influence »3, « Prudence requise »4 , « Le Partenariat oriental défie la Russie »5, « Il s’agit bien de zones d’influences »6… a-t-on pu lire par exemple dans la presse française et européenne. C’est que de nombreux observateurs pensent avoir noté un raidissement de la position russe sur cette question. Sur le fond, la chose est connue : si la Russie est à la fois destinataire des aides de l’UE et un partenaire d’importance stratégique, elle considère pourtant bien souvent l’UE comme un rival. « Moscou envisage l’UE comme un acteur international concurrent quand

1

Extraits de l’article « Bruxelles lance un défi à Moscou », Nezavissimaïa Gazeta, 07.05.09, publié par Courrier International, n°966, 12 mai 2009.

2

Les médias russes ne se sont pas tous engouffrés dans une telle rhétorique. Des commentaires plus mesurés sur le Partenariat oriental ont aussi été publiés : Andreï FEDIACHINE « Le Partenariat oriental », RIA Novosti [Russian News and Informations Agency], 08.12.2008. Disponible en français à l’adresse suivante : http://fr.rian.ru/analysis/20081208/118754798-print.html

3

Nathalie NOUGAYREDE, « Union européene – Russie : la lutte d’influence », Le Monde, jeudi 07 mai 2009.

4

Tony BARBER, « Prudence requise », Financial Times, 07.05.09, publié par Courrier International, n°966, 12 mai 2009.

5

« Le Partenariat oriental défie la Russie », Politiken [journal danois], 07.05.09, extraits publiés dans la revue de presse du 08 mai 2009 du site d’informations Eurotopics. Disponible en ligne sur le site suivant : www.eurotopics.net

6

« Et il s’agit bien de zones d’influence », Financial Times Deutschland [journal allemand], 06.05.09, extraits publiés dans la revue de presse du 06 mai 2009 du site d’informations Eurotopics. Disponible en ligne sur le site suivant : www.eurotopics.net

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elle s’aventure dans une zone où s’appliquerait la doctrine "Monroeski" (pré carré proclamé par la Russie, essentiellement dans la CEI, notamment en Ukraine, Moldavie et Géorgie) »1. C’est pourquoi « la première réaction de Moscou au nouveau programme de Partenariat oriental ne peut être faite que de profonde méfiance et de ressentiment. On ne manquera pas de considérer que l’Union européenne est en train d’essayer de bâtir une coalition d’adversaires agissant au détriment des intérêts de la Russie »2. Ces analyses embrayent bien souvent sur la rhétorique du retour des luttes d’influence historiques entre la Russie et l’Europe. Il apparaîtrait ainsi de plus en plus clairement que « la question du voisinage commun [entre l’Europe et la Russie] est graduellement devenue l’épreuve ultime [litmus test] des relations entre l’Occident et la Russie. L’épreuve s’est ainsi transformée en clash en août 2008 avec la réponse armée de la Géorgie aux incidents qui s’étaient déroulés en Ossétie du Sud et l’écrasante réaction de la Russie qui en découla. Au moyen de ses tanks, troupes et aviation traversant la frontière russe, les dirigeants russes ont clairement montré que leur tolérance vis-à-vis du réalignement géopolitique mis en œuvre par leurs voisins avait des limites. L’UE et la Russie seraient dès lors des « competing soft powers », et le voisinage oriental le champ d’expérimentation de leurs intérêts et de leur force coercitive3. Il n’est dès lors pas étonnant que le projet de Partenariat ait été très critiqué par le Kremlin. « Le ministre des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, condamna récemment cette tentative bruxelloise "d’étendre sa sphère d’influence". Depuis les révolutions de couleurs en Ukraine et en Géorgie4, Moscou se méfie du "pouvoir normatif" européen […]. En un mot, l’UE et la Russie risquent fort de faire du voisinage oriental un objet de rivalité latent en l’absence d’une

1

Tanguy de WILDE d’ESTMAEL, « Le partenariat entre l’UE et la Russie », in SCHWOK René, MERAND Frédéric (dir.), L’Union européenne et la sécurité internationale – Théories et pratiques, op.cit., pp.159-173, p.160.

2

Elena PROKHOROVA, Eastern Partnership – A new divide ?, 11 décembre 2008, Publication du EU-Russia Centre. Disponible en ligne à l’adresse suivante : htttp://www.eu-russiacentre.org/our-publications/column/russia-eastern-partnership.html

3

Nicu POPESCU, Andrew WILSON, The Limits of Enlargement-Lite : European and Russian Power in the Troubled Neighbourhood, Rapport du European Council on Foreign Relations, juin 2009, p.27, disponible sur le site suivant : www.ecfr.eu. Voir aussi : Nicu POPESCU, Andrew WILSON, Creating good neighbours in Russia’s backyard, publication du European Council on Foreign Relations, 7 mai 2009 [texte publié également dans les journaux The Moscow Times (Russie) et Dnevnik (Bulgarie)], disponible sur le site suivant : www.ecfr.eu.

4

(33)

Marie Campain – « La genèse du Partenariat oriental » - Thèse IEP de Bordeaux – 2010 32

partition commune dans le concert européen »1. Ces analyses ne poussent pas plus loin leur raisonnement : elles ne vont pas jusqu’à conclure à un inévitable retour de la Guerre froide. Selon elles, les réactions négatives et de rejet des politiques perçues comme intrusives par Moscou ne sauraient nous laisser croire à un retour de la Guerre froide. Comme le rappelle Tanguy de Wilde d’Estmael, « Vladimir Poutine aura beau évoquer à l’envi l’effondrement de l’URSS comme une grande catastrophe géopolitique, le retour à la confrontation avec l’UE pour une question de voisinage commun est improbable. Même le spectre de la résurgence de la Guerre froide, brandi à la suite de la reconnaissance de l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud [provinces de Géorgie ayant fait sécession] par le président Medvedev, s’accompagne d’un bémol dans les déclarations de la Russie et la réaction de l’UE : il n’y a pas de fatalité ; personne ne souhaite revenir à l’ère glacée des relations »2.

À première vue de telles réactions négatives du côté russe peuvent sembler cohérentes d’un point de vue historique et géopolitique : après tout, le Partenariat oriental a pour objet une région traditionnellement envisagée par les Russes comme relevant de son influence, voire de son autorité. Ce genre de réactions, sans être prévisibles, étaient pour le moins attendues. On peut pourtant s’interroger sur le bien-fondé de ce rejet : il conviendrait de se demander si, comme les commentaires des observateurs russes et de certains de leurs homologues européens tendraient à le faire croire, le Partenariat oriental, en tant que politique européenne de gestion du voisinage, a réellement et explicitement été conçu comme un moyen de contrer l’influence russe dans la région ? La « menace russe » est-elle sous-jacente dans la construction d’une telle politique ? Est-ce vraiment une politique au contenu aussi ambigu, dicté par des préférences en termes de sphères d’influence de l’Union européenne, acteur international omnipotent ? En un mot, quel est le système de représentations sous-jacent au Partenariat oriental ? Passer par le prisme des réactions face au Partenariat oriental nous incite à nous pencher sur la difficile question du problème public auquel est censé répondre une politique et de son contenu normatif.

1

Florent PARMENTIER, Didier CADIER, L’Europe centrale, premier violon du concert européen, art.cit.

2

Tanguy de WILDE d’ESTMAEL, « Le partenariat entre l’UE et la Russie », op.cit., p.166. L’auteur démontre ainsi que ce sont la complémentarité et la coopération qui marquent les relations entre l’UE et la Russie, bien plus que la confrontation ; voir plus particulièrement pp.166-170.

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