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En voiture à l’époque romaine de la Gaule à Babylone

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-02968980

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Submitted on 20 Oct 2020

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Michel Molin

To cite this version:

Michel Molin. En voiture à l’époque romaine de la Gaule à Babylone. Viviane Arigne; Sarah Pech-Pelletier; Christiane Rocq-Migette; Jean-François Sablayrolles. Études lexicales. Mélanges offerts à Ariane Desporte, Université Sorbonne Paris Nord, pp.23-43, 2020. �hal-02968980�

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EN VOITURE À L’ÉPOQUE ROMAINE

DE LA GAULE À BABYLONE

Sans être tout à fait sûr qu’Ariane Desporte au cours de son long itinéraire professionnel ou de ses voyages soit jamais allée jusqu’à Babylone, hélas de plus en plus inaccessible aujourd’hui, le spécialiste d’histoire romaine que je suis tient cependant à s’associer à cet hommage rendu à notre Collègue qui a tant œuvré au sein de notre communauté universitaire en faveur de nos disciplines et de notre Faculté, par une modeste contri-bution qui se bornera à quelques considérations élémentaires sur le plan linguistique 1.

Avant d’être romaine, l’Europe a d’abord été celtique, envahie par plusieurs vagues migratoires entre la fin du vie siècle et le iie siècle av. J.-C., qui se sont répandues à partir

du centre de l’Europe jusqu’en Ukraine, en Scandinavie, aux extrémités de la péninsule puis dans les îles Britanniques : chassés de Rome, les Gaulois s’installent en Italie du Nord au début du ive siècle, tandis que dans les Balkans, repoussés de Delphes, les Galates

passent en Asie Mineure un siècle plus tard. S’il n’y eut jamais d’unité politique, en raison notamment de la diversité des rapports entre les envahisseurs et les populations installées antérieurement et du caractère tardif de la sédentarisation des Celtes qui à l’origine se déplaçaient en chariots sur de longues distances avec familles et bagages, on peut en revanche parler d’une civilisation laténienne, du nom d’un site archéologique de Suisse occidentale, à laquelle participaient les différents peuples de la Gaule. À l’époque celtique celle-ci était dotée d’une agriculture en pleine expansion, caractérisée par un réseau d’exploitations déjà dense et une production céréalière de rendement élevé dont le contrôle fut l’un des objectifs de la conquête romaine mais qui cohabitait avec une belle forêt abondante et aux essences variées, dont nous connaissons la plupart des noms gaulois (Delamarre 2003 : 424), malgré le petit nombre de textes conservés.

C’est cette forêt qui explique l’habileté des Gaulois dans le travail du bois : pour la construction des bâtiments, du fameux murus Gallicus évoqué par César, Guerre des

Gaules, 7, 23, structuré par des poutres disposées perpendiculairement aux charpentes et

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aux bardeaux, mais aussi dans les arts du menuisier, du boisselier, du tonnelier (Molin 1988, Merlière 2002), du sabotier et bien sûr, en raison de leurs traditions ancestrales, de la charronnerie, attestée tant par la richesse du vocabulaire gaulois répertorié dans ces domaines (Delamarre 2003 : 428) que par les vestiges archéologiques qui sont parvenus jusqu’à nous.

La diversité des langues celtiques s’explique par la rémanence de disparités locales, culturelles, ethnologiques et linguistiques. Le terme de gaulois désigne la langue des Gaules Cisalpine et Transalpine. Grâce aux travaux de P.-Y. Lambert et de X. Delamarre entre autres, la connaissance de la langue gauloise a fait d’énormes progrès ces dernières décennies, notamment grâce au déchiffrage d’inscriptions datant de l’époque romaine 2,

permettant de reconstituer un lexique composé de mots ou plus exactement d’étymologies restituées à partir de l’onomastique personnelle ou toponymique, sans toutefois dépasser le niveau de ce que les spécialistes appellent une Trümmersprache (Delamarre 2003 : 8-10).

Comme le montre la rapidité des déplacements des troupes de César durant la conquête, les Romains ont trouvé en Gaule un réseau routier déjà important et hié-rarchisé 3 que devaient souvent réutiliser leurs propres voies, y ajoutant notamment

des ouvrages d’art en pierre qui permettaient souvent de raccourcir les distances. « Périodiquement reconstruites plutôt que régulièrement entretenues » (Duval 1959 : 747), ces routes de la Gaule romaine étaient évidemment parcourues par des voyageurs à pied ou à cheval, mais aussi par de nombreux véhicules tirés par des équidés ou des bœufs et connus par les textes, l’iconographie ou le mobilier livré par les fouilles. L’excellence de la charronnerie gauloise se traduit par le nombre important de ces noms de véhicules qui permettent d’établir une véritable typologie.

Gaulois

Le mot *carbanton, sans doute issu de la racine indo-européenne *(s)kerbh- « tresser » (Lacroix 2005 : 136, 160), d’où dériverait également le latin corbis, désignait au départ l’assemblage de tiges d’osier ou de pièces de bois (ridelles, hayon etc.) constituant une caisse d’osier ou de bois, a été employé pour celle d’un char puis a fini par métonymie par nommer le char lui-même, de guerre 4, donc à deux roues, ou de transport. Il a survécu à l’époque

romaine dans des toponymes comme Carbantorate Meminorum, « le Fort des Chars des Meminiens », nom antique de Carpentras (Pline l’Ancien, Histoire naturelle, 3, 4, 36). Le français charpente a conservé le sens d’« ouvrage en bois » du mot gaulois dont il est dérivé.

Le mot *couinnos est formé du préfixe co(n)- « ensemble » qu’on retrouve dans Condate, toponyme désignant un confluent, et du thème *uegno, issu de la racine indo-européenne 2. Comme le calendrier de Coligny : Lambert 1995, p. 108-115.

3. Comme le prouve l’existence de plusieurs mots en gaulois : *sentu- « sentier », *cammano- d’où dérive après passage en latin notre « chemin », *mantalon, « route » (Delamarre 2003 : 425).

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*uegh-, « aller en char », « transporter en char », qui a donné le grec ὄχος, en latin uehere et ses dérivés uehiculum, uectare, etc., l’irlandais fèn, le gallois gwain, l’anglais waggon, l’allemand Wagen et a été conservé au Luxembourg à l’époque romaine dans l’épiclèse au datif de Mars Marti Uegnio « Mars qui combat en char » (CIL XIII, 4049). Il s’agissait donc d’un char de guerre à deux occupants, un cocher et un combattant.

Le mot *essedon, composé de en- = in-, « dans », « sur », et sed-, « être assis », qui désigne donc un char où l’un au moins des occupants est assis, apparaît dans les toponymes Manduessedo, « Char du petit Cheval », sur l’Itinéraire d’Antonin en Bretagne insulaire, aujourd’hui Mancetter, ou Ta<u>ruessedo, « Char du Taureau » sur l’Itinéraire d’Antonin et la Table de Peutinger en Cisalpine (Regio XI) au nord du lac de Côme, aujourd’hui localisé à Sondrio Madesimo ou Campodolcino 5.

Le terme *cission que l’on peut rapprocher de *cissa « corbeille tressée » (voir grec κίστη) et que l’on retrouve dans Cisomagos « le Marché aux Chars », sous la forme

Cisomagensi (Grégoire de Tours, Histoire des Francs, 10, 31), aujourd’hui Ciran-la-Latte

(Indre-et-Loire) 6, désignait donc un cabriolet léger à caisse d’osier en forme de panier 7.

Le terme *petruroton est composé de petru- « quatre », présent dans beaucoup de composés comme petrudecametos « quatorzième », notamment de toponymes tel

petrumantalon « les quatre routes », « carrefour » (Delamarre 2012 : 215-216), et de roto- « roue » visible dans Rotomagos, « le Marché de la Roue », aujourd’hui Rouen :

il ne fournit aucune autre information sur le véhicule en dehors du nombre de roues. Selon Pline l’Ancien, 34, 163, les Gaulois le décoraient luxueusement.

Le mot *carros désigne les grands chars à quatre roues dans lesquels les Gaulois transportaient comme leurs ancêtres autrefois leurs bagages et qui pouvaient leur servir de rempart dans la bataille, comme aux Helvètes en 58 (César, Guerre des Gaules, 1, 26) ; à partir de la même racine indo-européenne *kers- « courir » mais avec variante de la sonante voyelle, a été formé de façon parallèle le latin currus (Lambert 1995 : 42) qui était à l’origine chez les Latins le char de guerre à deux roues ouvert à l’arrière et a survécu dans la langue classique pour parler de tout char de ce type, à deux roues ouvert à l’arrière, comme les chars de course ou de triomphe ; le mot gaulois, quant à lui, a donné naissance à plusieurs composés, notamment des toponymes comme Καρρόδουνον, dont Ptolémée donne quatre exemples dans sa Géographie, de la Germanie supérieure à la Dacie.

*reda, formé sur le thème verbal *reid-, « voyager à cheval », qui apparaît dans le

toponyme gaulois de l’actuelle Ivrea, Eporedia « la Cavalière 8 », dont on rapprochera

l’allemand reiten, « chevaucher », désigne une voiture à quatre roues, utilisée pour les longs voyages, et se retrouve dans le nom du peuple des R(i)edones « les bons conducteurs de 5. Delamarre 2012, s. u. mandu-essedon signale que le mot essedon peut aussi signifier « résidence » p. 189. 6. Delamarre 2012, s. u. cisso-magos p. 114.

7. Delamarre 2003, s. u., p. 117. La même métonymie se retrouve pour le mot latin corbis : Ernout et Meillet, 1985, s. u. p. 142.

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reda », à l’origine du nom de la ville de Rennes 9. Le composé avec le préfixe uo-/ue- « sous »

*ueredos<*uoredos « cheval attelé à la reda », donc vigoureux et endurant, est gaulois. *benna remontant à *bhenda du thème verbal *bhend- « lier », « attacher » (allemand binden), désignait une corbeille tressée, puis un véhicule dont la caisse est tressée comme

une corbeille (Lambert 1995 : 187) ; le composé combennones, « ceux qui prennent place dans la même benna » semble bien gaulois, d’après la compilation par Paul Diacre au viiie siècle du lexicographe du iie siècle Sex. Pompeius Festus (éd. W. M. Lindsay,

Leipzig, 1913, p. 29) 10.

On remarquera la fréquence dans ce vocabulaire de la charronnerie des thèmes liés au tressage et à l’osier qui indiquent combien ce matériau était important pour la construction des caisses des véhicules quel que fût leur usage 11.

Latin

Si le latin possédait des noms de véhicules d’origine italique, tels arcera, currus, plaustrum,

tensa…, dont il ne sera pas question ici, il devait adopter très vite tous ces différents

termes gaulois, certains même bien avant la conquête césarienne, attestant les emprunts techniques effectués par les Romains en matière de charronnage comme dans d’autres secteurs de l’artisanat du bois, de l’osier ou du métal. Les mots sont désormais bien identifiés et les textes sont assez nombreux pour permettre d’établir une typologie. Les mots sont classés d’après ce que nous savons de leur ordre de passage dans la langue latine.

Entendu par les Romains avec une variante forte de /b/ *carbanton est passé en latin sous la forme carpentum dès le iiie siècle av. J.-C. pour désigner un char transportant

les voyageurs (Livius Andronicus, Odyssée, fgt 18 W. Morel, v. 2). Selon Tite-Live, les Gaulois l’employaient comme char de guerre (10, 30, 5 : bataille de Sentinum en 295 av. J.-C., lors de la troisième guerre samnite ; 36, 38, 6 : victoire de P. Scipion sur les Boïens en 191 av. J.-C.) ou pour transporter le butin (31, 21,17 : bataille de Crémone en 200 av. J.-C. ; 33, 23, 5 et 9 : triomphe du consul G. Cornelius Cethegus en 197 av. J.-C.), mais à Rome, il est utilisé surtout par les femmes, des origines (Tite-Live, 1, 48, 5 et 7, d’où Varron, Langue latine, 5, 159 ; Tite-Live, 5, 25, 9 ; Ovide, Fastes, 1, 619) à l’époque impériale, notamment par les impératrices Messaline (Suétone, Claude, 17, 6) et Agrippine (Tacite, Annales, 12, 42), ce qui laisse supposer qu’il s’agissait d’une voiture d’un certain confort, couverte et fermée, attelée à des mules ou à des bœufs (Histoire Auguste, Antonin Héliogabale, 4, 4).

9. Notons que la graphie Redones est à la suite de César, celle de la littérature : César, Guerre des Gaules, 2, 3,4 ; 7, 75, 1, 2 ; Pline l’Ancien, 4, 18 ; Ptolémée, Géographie, 2, 8, 9 ; Notitia Dignitatum, p. 264, éd. O. Seeck, 1876 ; Grégoire de Tours, Histoire des Francs, 5, 29 et 10, 9 avec h après r, et Riedones celle des inscriptions :

AE 1969-70, 405 a ; 405 b ; 405 c = CIL XIII, 3151.

10. Benna lingua Gallica genus uehiculi appellatur, unde uocantur combennones in eadem benna sedentes. 11. Le travail de l’osier chez les Gaulois avait été déjà noté par Poseidonios au début du ier siècle av. J.-C. (FHG

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Le mot petorritum, qui est la transcription en latin du gaulois *petruroton est bien identifié dès le milieu du ier siècle av. J.-C. comme gaulois par Varron, Antiquités

divines, l. 14, fgt 133 Funaioli = 108 Agahd, selon le témoignage d’Aulu-Gelle, 15,

30. Festus, (Lindsay, p. 226, l. 30) rappelle qu’étymologiquement il désigne un char à quatre roues. Horace, Épîtres, 2, 1, 192 nous dit que le petorritum était utilisé dans la

pompa triumphalis, Ausone, à plusieurs reprises (Épîtres, 6, 35 Jasinski ; 8, 5 Jasinski)

qu’il était attelé de mules, sans préciser leur nombre, et se montre aussi méfiant à son égard qu’à celui de la raeda (Ép., 14, 15 Jasinski).

Le gaulois *essedon passe en revanche directement en latin au plus tard au milieu du ier siècle av. J.-C. sous la forme essedum. Si, d’après Tite-Live, 10, 28, 9, lors de la

bataille de Sentinum en 295, il est comme le couinnus utilisé par les Gaulois comme char de combat contre les Romains, Cicéron, Correspondance, 139 (Fam., 7, 7), 1 et César sont les premiers à emprunter le terme latin pour désigner le char que seuls les Bretons vont opposer aux troupes de ce dernier lors des deux campagnes de 55 et de 54, César décrivant les évolutions sur les champs de bataille de ces esseda montés chacun par un équipage de deux hommes, l’un tenant les rênes et le second armé de traits 12,

et qui manœuvraient aussi bien en terrain boisé et peu praticable qu’en plaine ouverte (Guerre des Gaules, 4, 33). Cassivellaunos, le commandant en chef des Bretons disposait en 54 de quatre mille essedarii, ce qui veut dire 2 000 ou 4 000 chars, selon que César entendait par ce terme l’un des deux membres de l’équipage ou les deux (ibid., 5, 19). Ces véhicules sont bien connus grâce à certaines trouvailles comme celle du dépôt votif de Llyn Cerrig Bach (Anglesey) du ier siècle av. J.-C. qui a donné lieu à une

reconstitu-tion au Musée nareconstitu-tional gallois à Cardiff. Ces chars légers étaient surtout construits en bois, en cuir et en osier. Si les essieux n’ont jamais été retrouvés, nous connaissons en revanche quelques roues intactes qui avaient dix à quatorze rais de charme ou de frêne, travaillés au tour ; le moyeu, en bois d’orme ou de chêne, faisait nettement saillie, de 30 à 38 cm environ ; la jante était formée d’une seule pièce de frêne, cintrée au moyen de l’étuvage à la vapeur et entourée d’un bandage de fer (Fox 1946). À ce type de char de combat s’apparentait le petit char qui servait aux jeux de l’amphithéâtre, courses d’attelages divers 13 ou combats de gladiateurs comme on le verra ci-dessous.

À Rome beaucoup, comme Properce, 2, 1, 76 croyaient l’essedum d’origine bre-tonne mais d’autres avec Virgile, Géorgiques, 3, 204 l’attribuaient aux Belges ou plus généralement aux Gaulois (Servius, ad loc., éd. Thilo, 3, 1, 1887). Le terme, qui s’emploie volontiers au pluriel poétique (Properce, 2, 1, 76 ; Sidoine Apollinaire, 12. Selon Tacite, Agricola., 12, 1, c’était le cocher qui était noble, le combattant n’étant qu’un de ses clients. Or Diodore de Sicile, 5, 29, sans doute à la suite de Poseidonios, disait au contraire à propos des conducteurs de chars gaulois du ier siècle av. J.-C. qu’ils étaient choisis au sein des classes les plus pauvres. Peut-être transposaient-ils tous deux les usages du monde homérique. À moins que les choses aient évolué entre deux pays différents à deux siècles d’intervalle. En tout cas mieux vaut ici se fier à Tacite qui tenait l’information de son beau-père.

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Poèmes, 22, 23) ou sous la forme d’un doublet féminin esseda (Sénèque, Lettres à Lucilius, 56, 4) a désigné dès l’époque de Cicéron un cabriolet à la mode pour la

promenade (Cicéron, Correspondance, 245 (Att., 6, 1), 25 ; Martial, 4, 64, 19) que l’on attelait de chevaux, ce qui ajoutait encore au prestige de son propriétaire dans la Rome antique. Mécène (Properce, 2, 1, 76), Cynthie (Id., 2, 32, 5), l’empereur Cali-gula (Suétone, CaliCali-gula, 26, 2), ses courtisans (ibid., 19, 2) et, au temps de Sénèque, les snobs de Rome ou de Baïes (Sénèque, Lettres à Lucilius, 56, 4) se déplacent en

essedum, chose que Cicéron jugeait incompatible avec la dignité de tribun de la plèbe

(Philippiques, 2, 58). Comme dans le cas du phaéton moderne, il est fréquent que le voyageur conduise lui-même, tel le dieu Bacchus dont l’attelage était constitué de tigres (Sidoine Apollinaire, Poèmes, 22, 23) mais il arrive aussi qu’il se fasse conduire par un cocher. C’est même la différence que Martial, 12, 24, 6-7, mentionne entre le

couinnus qui n’a qu’une banquette et permet donc au poète et à son ami d’être seuls et

de converser librement, et l’essedum où les deux compagnons devraient subir la présence devant eux d’un rector qu’il faut donc imaginer assis sur un siège bas, à l’avant de la voiture. L’évocation de l’essedum de l’empereur Claude par Suétone (Claude, 33, 5) confirme cette disposition des sièges de l’essedum : Claude se déplaçait dans un essedum aménagé de façon à lui permettre de satisfaire en cours de route sa passion pour le jeu de dés. Ceci implique que l’empereur ne menait pas lui-même, qu’il avait à ses côtés un compagnon qui ne menait pas non plus, et que le véhicule était construit de telle sorte que les parties ne fussent pas brouillées par les cahots de la route. L’essedum était donc une petite voiture de maître à deux roues avec un siège bas à l’avant pour le cocher (prima sella : Phèdre, 50, 5) et une banquette à l’arrière où le maître prenait place quand il ne conduisait pas lui-même.

Le modèle présenté sur les clichés ci-joints (fig. 1-3) dispose du système de sus-pension à courroies de cuir fréquemment utilisé à l’époque romaine, comparable à celui de carrosses des temps modernes, avec cette différence que sur les carrosses, les courroies étaient fixées à l’avant et à l’arrière de la caisse, et non sur les côtés, comme ici. Bien entendu le luxe de la décoration de l’essedum était un signe de la richesse du propriétaire : aussi était-il souvent orné d’éléments ou de plaques sculptées dans les métaux les plus précieux (Pline l’Ancien, 34, 163) : le joug de celui de Mécène était ciselé (Properce, 2, 1, 76). Puis le terme finit par s’employer de façon plus générale pour toute petite voiture à deux roues, destinée aussi bien aux voyageurs dans tout l’empire, en Germanie (Suétone, Caligula, 51, 4 ; Galba, 6, 3), en Hispanie où il s’agit sans doute d’une voiture de louage (Martial, 10, 104, 7), qu’à l’exhibition des prisonniers lors de la pompa triumphalis (Horace, Épîtres, 2, 1, 192 ; Porphyrion, ad

loc., éd. A. Holder, 1894). Il faut enfin signaler que chez certains auteurs gallo-romains

tardifs le mot semble avoir désigné non plus une voiture de voyage mais une sorte de chariot destiné au transport des lourdes charges (Sidoine Apollinaire, Lettres, 2, 10, 4, v. 23-24 ; 4, 18, 1). Mais quel que fût le type exact de véhicule évoqué à chaque fois, cabriolet élégant pour la promenade ou voiture de charge, le terme d’essedum semble toujours désagréablement connoté par l’idée du bruit qu’il produit en roulant.

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Le mot cisium apparaît en latin au milieu du ier siècle av. J.-C. chez Cicéron.

Au ive siècle apr. J.-C. une glose de Nonius Marcellus sur un passage de Cicéron,

Philippiques, 2, 77 (éd. W. M. Lindsay, Leipzig, 1903, p. 86, l. 29) précise qu’il

avait deux roues 14. Le mot gaulois, on l’a vu, semblait impliquer à l’origine, sur ces

véhicules comme sur plusieurs autres types, la présence d’une caisse d’osier, mais en latin, il désigne aussi bien le cabriolet constitué d’une banquette à dossier plus ou moins montant fixée sur un train de roues et attesté tant dans les tombes étrusques à partir du début du viie siècle av. J.-C. que sur le répertoire figuré d’époque impériale,

parfois avec le même système de suspension que sur l’essedum, que toute espèce de petite voiture à deux roues à caisse ouverte à l’avant, qui, à l’image des charrettes à ridelles ou à claire voie de nos campagnes il y a encore quelques décennies, avaient dans la vie quotidienne de multiples usages, et servaient à leur propriétaire aussi bien à ses propres déplacements qu’au transport de telle ou telle marchandise. L’attelage est à timon, généralement à deux, très rarement à trois, avec un animal de renfort en dehors du joug (Ausone, Épîtres, 8, 6 Jasinski), ou à quatre, ou à brancards, le limonier étant seul ou accompagné à sa gauche d’un animal de renfort hors des brancards comme on peut l’observer sur des reliefs du Nord-Est de la Gaule. Il s’agissait ordinairement de chevaux ou de mulets. Cette petite voiture est manifestement associée pour les Anciens à l’idée de vitesse et utilisée par tous les voyageurs pressés, qu’il s’agisse de Marc Antoine lui-même (Cicéron, Philippiques, 2, 77) ou d’un simple tabellarius (Cicéron, Pour Sex.

Roscius d’Amérie, 7, 19), comme le montre l’emploi à proximité du mot cisium de

termes comme celeriter ou du verbe uolare et de ses composés 15. Cette impression est

renforcée par la grandeur des roues qui dépassent 1,20 m à l’échelle sur certains reliefs, puisque l’allongement du rayon diminue la force de tirage nécessaire pour ébranler le véhicule 16. Aussi dut-on déjà à l’époque recommander aux conducteurs de cisia de

réduire leur vitesse (temperare) pour éviter les accidents (Digeste, Ulpien, 19, titre 2,

Locati conducti, 13) 17. Toutefois Sénèque parvient à écrire assis à côté du meneur d’un

cisium (Lettres à Lucilius, 72, 2) 18.

14. « Vehiculi biroti genus ».

15. Cicéron, Amer., 7,19, « sex et quinquaginta passuum cisiis peruolauit » : « en changeant plusieurs fois de

cisium, il parcourut à toute allure les 82 km » ; Philippiques, 2,77, « cisio celeriter ad urbem aduectus » :

« s’étant rapidement rendu en ville en cisium » ; Virgile, Catal., 10, 3, « neque ullius uolantis impetum cisi

nequisse praeterire » : « (il prétend) qu’aucun cisium lancé à toute allure n’a réussi à le doubler ».

16. L’expérience et la théorie démontrent que le tirage est proportionnel au rapport d/D, relation dans laquelle d est le diamètre de la fusée de l’essieu et D celui de la roue. Comme on ne peut réduire considérablement l’épaisseur d de l’essieu élément porteur, il faut agir sur D.

17. Quand Ausone, Épîtres, 14 Jasinski, 13-14, semble estimer le cisium moins rapide, et donc moins dange-reux que la raeda(« Sed cisium aut pigrum cautus conscende ueraedum ; / Non tibi sit raedae, non amor acris

equi. » : « Mais prudemment, monte dans un cisium ou sur un cheval de poste à marche lente ; ne te laisse

pas séduire par une raeda ni par une monture trop vive »), il est, comme souvent, dans la dérision. 18. « Quaedam enim sunt quae possis et in cisio scribere » : « Il est en effet des choses que l’on peut écrire même

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Le mot raeda, qui s’orthographiait aussi reda ou rheda, a été très utilisé dans la latinité antique à partir du ier siècle av. J.-C. d’abord dans un contexte gaulois par Heluius

Cinna, un poète ami de Catulle (fgt 9 Morel ap. Aulu-Gelle, 19, 13, 5) en Cisalpine, et par César (Guerre des Gaules, 1, 51, 2 en parlant des Germains d’Arioviste ; 6, 30, 2 en parlant des Éburons d’Ambiorix), puis par Varron (Économie rurale, 2, 7, 15), et fréquemment par Cicéron jusqu’à l’Antiquité tardive. Quintilien en a rappelé l’origine gauloise (1, 5, 57 et 68). La raeda était la voiture de voyage à quatre roues du monde romain (Isidore de Séville, Étymologies, 20, 12, 2) 19, mentionnée dans les tarifs pour les

voyages (édit du Maximum de Dioclétien, éd. M. Giacchero, Gênes, 1974, chap. 17,

De uecterarum mercedibus) 20 et qui pouvait être louée (Sénèque, Bienfaits, 7, 5, 3 ;

Suétone, Divin Jules, 57, 2). À l’origine, il s’agissait d’un char à bancs découvert destiné au transport de plusieurs passagers et qui était assez solidement construit pour rouler sur n’importe quel terrain. Les représentations, qui couvrent l’ensemble de la période impériale, proviennent surtout de l’ancienne Europe celtique, de la Gaule à la Dacie, et montrent certes des voitures de différents formats, d’aspect plus ramassé en Italie, plus allongé en Dacie ou dans le Nord-Est de la Gaule, mais dont les caractéristiques demeurent les mêmes : légèreté et sobriété du bâti de bois dépourvu de tout élément décoratif, roues toujours de très grande taille, de dix à douze rais. Le nombre des voyageurs était sûrement variable selon les dimensions de la voiture. Lors du voyage à Brindes resté célèbre par le récit, fort intéressant pour les conditions matérielles d’un voyage en Italie du temps d’Auguste, qu’Horace nous en a laissé (Satires, 1, 5), le poète et ses compagnons étaient huit, mais il y avait au moins deux raedae : avec les deux muliones nous arrivons au total de dix c’est-à-dire cinq personnes au plus par voiture (v. 86). D’autres textes mentionnent la présence de plusieurs voyageurs dans la raeda mais toujours en petit nombre (Cicéron, Pour Milon, 10, 28 et 20, 54 ; Id.,

Philippiques, 2, 58) : ainsi Cicéron s’y trouve avec son secrétaire en plus du cocher

quand il dicte une lettre à Atticus sur une route de Cilicie durant son proconsulat de 51/50 av. J.-C. (Correspondance, 183 (Att., 5, 17), 1) 21. Il était également possible d’y

transporter paquets et provisions (Martial, 3, 47, 5).

Dès l’origine (Heluius Cinna, fgt 9 Morel ap. Aulu-Gelle, 19, 13, 5), les raedae ont été réputées chez les Romains pour leur vitesse et Ausone, qui, nous l’avons vu, les prétend même plus rapides et donc plus dangereuses que les cisia, les déconseille à son ami Paulus (Épîtres, 14, 13-14 Jasinski). Bien entendu leur vitesse dépendait de leur attelage ; or une comparaison des textes et des représentations montre que celui-ci pouvait être très variable quant au nombre et à la disposition des animaux mais 19. « raeda genus uehiculi quattor rotarum » ; au milieu du ive siècle, le Code Théodosien, 8, 5, 8, 2 l’opposait

à la birota : « Octo mulae iugantur ad raedam… birotis trinas sufficere ».

20. L’édit du Maximum de Dioclétien, daté de la fin de l’année 301, rédigé en latin et en grec, fixe près de 1400 prix de différents types de marchandises (denrées, objets et produits manufacturés) et de services, comme les transports, par terre (chap. 17) et par mer (chap. 35).

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qu’il s’agissait en général de deux équidés : deux poneys chez Heluius Cinna, chevaux sans indication de nombre chez Cicéron devant la raeda de Vedius (Correspondance, 245 (Att., 6, 1), 25) ou chez Varron (Économie rurale, 2, 7, 15), mules, toujours sans indication de nombre ailleurs chez Varron (op. cit., 3, 17, 7). Ces voitures étant des-tinées à rouler des journées entières (Suétone, Divin Jules, 57, 2), il faut les supposer, malgré la sobriété de leur apparence, pourvues d’un certain nombre d’aménagements pour assurer un minimum de confort aux voyageurs. Les raedae de Thiasus (Apulée,

Métamorphoses, 10, 18, 3) étaient dotées de carpenta c’est-à-dire ici de capotes, parfois

décorées, qui, déployées comme celles des landaus du siècle dernier, abritaient les passagers des intempéries. Martial mentionne une raeda cathedrata équipée de fauteuils (10, 14, 1). Sous les Sévères, le jurisconsulte Paul parle de sedularia « banquettes », de

tapetia uel lintea « de tentures ou de rideaux » dont on a retrouvé dans les fouilles des

crochets de supports et qu’il considère comme faisant partie du mobilier de la voiture et distingue des « couvertures », les pelles qui enveloppent les effets des voyageurs et des courroies qui les attachent, classées par lui avec leurs bagages (Digeste, Paul, 33, titre 10, De suppellectile legata, 4-5).

C’était la voiture à quatre roues pour les transports officiels qui circulaient sur les routes impériales (Isidore de Séville, Orig., 12, 1, 55) : aussi dans la seconde moitié du ive siècle, le Code Théodosien, 6, titre 29, De curiosis, 2 et 5 ; 12, titre 12, De legatis et

decretis legationum, 9 et surtout 8, titre 5, De cursu publico…, 8, 47-48,

réglemente-t-il soigneusement son utilisation pour la uehiculatio : permis spécial, attelage de huit mules l’été (d’où l’appellation de quadrigae « association de quatre jougs » unissant les animaux par paire l’une derrière l’autre (Code Théodosien, 6, titre 29, De curiosis, 5)), de dix l’hiver (8, 5, 8), charge maximale de 1 000 livres d’argent, réduite à 500 livres d’or pour le compte de l’État, 500 livres d’argent ou 300 d’or pour le compte des particuliers autorisés par l’euectio (8, 5, 48) 22 à recourir aux services du cursus publicus.

La raeda cursualis dont la capacité était supérieure à celle du carrus, de 600 livres seulement, était donc employée aussi bien pour le transport rapide des marchandises que pour celui des voyageurs.

Le terme carrus que l’on trouve aussi au neutre dès l’origine sous la forme carrum (Bell. Hisp., 6, 2) apparaît en latin au cours de la première moitié du ier siècle av. J.-C.

(L. Cornelius Sisenna, fgt 76, l. 2 Chassignet ap. Nonius Marcellus, p. 287, l. 16 Lindsay) pour désigner les chariots qui transportent les bagages et les familles des armées gauloises et germaines, souvent disposés de façon à constituer un rempart (César, Guerre des Gaules, 1, 26, 3 ; 51, 2 ; 4, 14, 4 ; Tite-Live, 10, 28, 9), mais on a fait remonter son introduction dans la langue latine à l’invasion de l’Italie par les Gaulois au début du ve siècle en face du mot indigène currus (Ernout et Meillet 1985 : x) qui

a subsisté pour désigner un char de guerre, de course ou de triomphe à deux roues pourvu d’une caisse ouverte à l’arrière. Dans une glose à Horace, Satires, 1, 6, 104, 22. Ces chiffres sont à l’origine de la théorie primitiviste de Lefebvre des Noëttes, qui refusait aux attelages

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Porphyrion, éd. A. Holder, 1894, présente le mot comme populaire et synonyme de

petorritum 23. Le terme semble avoir traversé toute la latinité impériale, de Vitruve (10,

2, 11) à la Vulgate de Jérôme (Écclésiaste, 33, 5) avec le sens générique du français « char » qui en est dérivé, si bien que l’édit du Maximum de Dioclétien, déjà évoqué, distingue au chapitre 15, le carrum quadrirotem et le carrum birotum constituant avec différents outils agricoles un titre séparé des uehicula pour les voyageurs, qui étaient de trois à neuf fois plus chers (éd. M. Giacchero, 1974, chap. 15, l. 42-44). Quels que fussent le nombre d’essieux, le type de roues, à rais ou à voile plein, et le bâti de la caisse, à coffre ou à plate-forme entourée de ridelles, observables sur des représentations figurées dans tout le monde romain, le carrus romain était une voiture de charge pour le transport des marchandises.

Le terme couinnus, peu fréquent en latin, n’est autre que l’adaptation à la flexion latine du gaulois *couinnos. Dès le milieu du ier siècle Pomponius Mela, Chorographie,

3, 52, reconnaît son origine gauloise et le présente comme un char de guerre aux essieux munis de faux, dont parle Silius Italicus, 17, 417, mais non, à propos des Belges, Lucain, 1, 426 24, et que n’atteste pas l’archéologie. C’est en tout cas un type

de char de combat dont se servent encore les Bretons à l’époque d’Agricola sous le règne de Domitien, le dérivé couinnarius désignant indifféremment le conducteur du char ou le guerrier qui s’y trouve (Tacite, Agricola, 35 et 36). À la même époque, une épigramme de Martial (Martial, 12, 24) en fait un char de voyage dont les deux occupants, assis côte à côte, ne sont pas dérangés par la présence d’un cocher comme dans le cas d’une carruca ou d’un essedum.

L’hapax colisatum, employé en compagnie de esseda et petorrita dans un passage de Pline l’Ancien, 34, 163, sur la décoration des chars par les Gaulois semble provenir d’un gaulois *kolu-, à mettre en relation avec l’irlandais cul, « char » (Lambert 1995 : 201-202).

D’autres noms de véhicules employés en latin étaient considérés par les Romains comme gaulois, comme pilentum (Porphyrion, ad Horace, Épîtres, 2, 1, 192, éd. A. Holder, 1894), mais ne seront pas pris en compte dans cette étude, car leur étymologie demeure inconnue 25.

Les apports propres au latin par rapport à ces mots se limitent à la formation de dérivés.

Le terme raeda a donné en latin trois composés : epiraedium « voiture à cheval » (Juvénal, 8, 66) qui semble formé avec le gaulois *epos « cheval », et non le grec ἐπι- malgré Quintilien, 1, 5, 68, ueredus, adaptation à la flexion latine du gaulois *ueredos a désigné comme lui dès le début du iie siècle apr. J.-C. un cheval vigoureux et endurant

23. « Petorritum genus uehiculi est, quod uulgo carrum dicitur ».

24. Ni César ni Tite-Live ne font jamais allusion à des chars équipés de faux chez les Gaulois ou les Bretons. 25. Le terme ploxenum ou ploxinum que Catulle, 97, 6, aurait trouvé dans la région du Pô, selon Quintilien,

1, 5, 8, semble plutôt à mettre en relation avec la racine indo-européenne à l’origine du grec πλέκειν οu du latin plectere « tresser ».

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(Martial, 12, 14, 1 ; 14, 86, 1) et le dérivé hybride tardif paraueredus que l’on rencontre pour la première fois dans une constitution de février 326 (Code Théodosien, 8, titre 5, De cursu publico, angariis et parangariis, 3 = Code Justinien, 12, titre 50, De cursu

publico, angariis et parangariis, 2), composé avec le préfixe grec παρα-, qui a donné le

français « palefroi » et l’allemand « Pferd » et désigne l’équidé de renfort visible sur les représentations figurées à côté des animaux placés sous le joug ou entre les brancards.

Les dérivés de carrus sont au moins trois : carrulus (Digeste, Ulpien, 17, titre 2,

Pro socio, 52, 15) a été formé à partir de carrus avec le suffixe -ulus sans que celui-ci

semble conférer ici une valeur diminutive ; carralis apparaît une fois dans l’édit du Maximum de Dioclétien, 15, 34 Giacchero, mais le plus connu est carruca, qui est à l’origine de l’ancien français charrue « instrument aratoire muni de roues ». La première occurrence se trouve seulement chez Pline l’Ancien, 33, 140. La naissance du mot à l’époque impériale peut suggérer l’apparition d’un nouveau type de véhicules réalisé en faisant la synthèse de divers progrès techniques provenant des différentes parties de l’empire et des améliorations apportées par les Romains eux-mêmes notamment à la qualité du réseau routier, densifié, structuré, hiérarchisé, entretenu et désormais pourvu d’ouvrages d’art en pierre qui raccourcissaient considérablement les distances.

Il en existait deux modèles : les carrucae découvertes et les carrucae protégées par un toit non amovible. La forme ramassée des carrucae découvertes et la grandeur de leurs quatre roues sur les représentations figurées leur confèrent un aspect général très proche de celui des raedae qui a parfois suffi pour les confondre, même dans l’Antiquité (Martial, 3, 47 : la même voiture est appelée raeda au v. 5 et carruca au v. 13), mais la taille inférieure des carrucae et surtout la richesse de leur décoration et les aménagements dont elles étaient équipées permettent de les reconnaître : en effet, dès le début, le mot est associé à l’idée d’un véhicule de prix, orné des matériaux les plus rares : or, argent, ivoire : Martial, 3, 62, 5 parle d’une carruca aurea qui a la valeur d’une propriété à la campagne 26 et dans l’édit du Maximum de Dioclétien, 15, 41, la carruca est le type

de véhicule dont le prix est de loin le plus élevé après le dormitorium, la voiture à couchettes. Néron avait la réputation de ne jamais partir en voyage sans un train de mille ou de cinq cents carrucae, le chiffre variant selon les historiens 27. La possession

d’une carruca était donc une preuve de richesse et la faire sculpter sur sa stèle funéraire ou un sarcophage un signe d’appartenance à une classe sociale aisée. C’était aussi la voiture de fonction dans laquelle se déplaçaient les fonctionnaires civils ou militaires dont le rang élevé était souligné par la présence d’une escorte. La carruca est également le véhicule figuré sur les scènes officielles d’aduentus par exemple à Rome sur l’arc de Constantin ou de profectio à Istanbul sur la colonne d’Héraclius. D’après l’Histoire

Auguste, l’empereur Sévère Alexandre autorise les sénateurs à l’utiliser à l’intérieur

même de l’enceinte de Rome (Alexandre Sévère, 43, 1), autorisation que, toujours 26. « aurea quod fundi pretio carruca paratur ».

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d’après l’Histoire Auguste, Aurélien étend par la suite à tous les particuliers (Divin

Aurélien, 46, 3). À la fin du ive siècle l’usage de la carruca est même devenu obligatoire

pour tous les honorati (Code Théodosien, 14, titre 12, De honoratorum uehiculis, 1). La banquette des voyageurs peut être protégée par une capote que l’on déploie, faisant ainsi de la carruca romaine l’ancêtre de la victoria ou du cabriolet milord. La caisse peut être suspendue par le dispositif habituel à courroies, dont les gaines à anneaux sont visibles au-dessus des roues. Sauf dans le cas de véhicules transportant des enfants où l’on a alors affaire à des biges de chèvres ou de moutons, l’attelage de la

carruca est toujours constitué d’équidés et l’examen du répertoire figuré nous permet

de reconnaître dans plus de quatre cas sur cinq le bige de chevaux dont la noblesse et le prix correspondent normalement au luxe de la décoration de ce type de voiture. On trouve aussi les (mulae) carrucariae évoquées par le Digeste, Ulpien, 21, titre 1,

De aedilicio edicto…, 38.

La seconde catégorie était les carrucae fermées, couvertes d’un toit non amovible, destinées aux longs voyages et aménagées pour cette raison aussi confortablement que possible. L’emploi de l’adjectif dormitorius au iie siècle chez le jurisconsulte Scaevola

(Digeste, 34, titre 2, De auro, argento, mundo…, 13) 28 pour les qualifier et qu’on

retrouve sous forme de substantif neutre dormitorium/δορμιτώριον dans l’édit de Dio-clétien, 15, 34-35, révèle que certaines de ces voitures fermées étaient aménagées de façon à pouvoir y dormir. Désignant alors des véhicules confortables à pavillon fermé inamovible, il correspond aux prix les plus élevés du tarif des voitures de voyage.

Le répertoire figuré totalise une quinzaine de représentations de toutes les régions de l’empire y compris de l’Italie, la Pannonie en fournissant cependant à elle seule la moitié, très différentes les unes des autres, de la petite calèche pour la promenade ou de courts trajets de jour au modèle plus rustique constitué d’une caisse de bois fermée sur les côtés par une ridelle haute, et couverte d’une bâche soutenue par des arceaux et fixée au bord supérieur de la ridelle par d’épaisses sangles. Provenant de l’antique

Virunum, un bas-relief inséré dans un mur extérieur de l’église de Maria-Saal am

Zollfeld, en Carinthie, à 7 km au nord de Klagenfurt (fig. 4) montre une voiture plus luxueuse : les passe-courroie du dispositif de suspension sont visibles au-dessus des roues ; le panneau droit du pavillon est percé d’une portière par laquelle on distingue, tournant le dos au sens de la marche, un petit personnage tenant un tambourin ; la bâche est maintenue en place sur les côtés par une armature de deux éléments rigides disposés en diagonale ; la caisse est décorée de figures géométriques sculptées ou rap-portées ; le toit est doublé d’un matériau imperméable tel le cuir ; un élément oblique visible sous la caisse entre les deux trains pourrait être la chaîne d’un sabot de frein.

Avec la mise au point de ces nouveaux modèles de voitures à toit inamovible de plus en plus confortables, la paix romaine se présente comme une période de diffusion, de perfectionnement ou de vulgarisation d’un type de véhicule que le monde méditerranéen 28. « carruca dormitoria cum mulis ».

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n’utilisait jusqu’alors que pour le transport, sur de petites distances, des femmes, des vieillards ou des malades, et qui étaient en même temps très différents des chariots dans lesquels les barbares vivaient et se déplaçaient : à côté de l’art de la charronnerie apparaît donc à l’époque impériale celui de la carrosserie, promis à un bel avenir.

Ce développement des transports routiers est confirmé par les textes juridiques ou littéraires et les inscriptions qui mettent en valeur l’émergence dans le monde romain de métiers de la voiture totalement inconnus des Grecs. Ce vocabulaire regroupe des dérivés des noms de voitures formés avec le suffixe -arius désignant les spécialistes des techniques et les métiers, mots qui peuvent être substantifs ou adjectifs et n’avaient pas de rapport sémantique plus étroit avec le type de véhicule d’où ils étaient tirés que leurs équivalents français postérieurs, charron, charretier ou cocher, mais hésitaient entre trois fonctions différentes aujourd’hui bien individualisées : le constructeur (charron, fabricant de roues…), l’utilisateur (cocher, conducteur, meneur, charretier), le propriétaire (entrepreneur de transports, loueur de voitures) 29, le même personnage

pouvant du reste, dans certains cas, être les trois à la fois.

La répartition variait toutefois selon les termes, les époques et les régions : le premier à apparaître et à se répandre fut essed-ārius, employé par César lui-même (Guerre des Gaules, 4, 24, 1 ; 5, 15, 1 ; 19, 1 et 2) et ses contemporains, comme Cicéron, Correspondance, 135 (Fam., 7, 6), 2 ou 148 (Fam., 7, 10), 2, pour nommer les équipages bretons de ces esseda qui furent opposés à l’armée romaine. La glose de Servius ad Virgile, G., 3, 204, éd. Thilo, 3, 1, 1887 déjà citée explique pourquoi à l’époque impériale le mot ne désignait plus que les gladiateurs, déjà connus de Cicéron,

Correspondance, 148 (Fam., 7, 10), 2, (ou même gladiatrices : Pétrone, 45, 7) qui dans

l’arène combattaient sur un char du même type, dans les textes (Sénèque, Lettres à

Lucilius, 29, 6 ; Pline l’Ancien, 37, 140 ; Suétone, Caligula, 35, 7 ; Claude, 21, 10),

mais surtout dans les inscriptions, à Rome (CIL VI, 631, 33952, CIL VI 4335 = ILS 7627a évoquant peut-être plutôt un artisan), en Italie, à Venouse (CIL IX, 466), à Naples (CIL IV, 2508), à Pompéi (CIL IV, 4334) et dans les provinces, à Nîmes (CIL XII, 3323 et 3324) ou, sous la forme assidarius, à Lyon (CIL XIII, 1997 = ILS 5097).

Le mot carrarius semble ne se rencontrer qu’en contexte militaire, pour le charron chargé d’entretenir et de réparer les véhicules du train (Corpus papyrorum latinarum, 106) ; carpentarius, quelquefois adjectif (Pline l’Ancien, 16, 34, 8, Histoire Auguste,

Alexandre Sévère, 52, 1 ; Trente tyrans, 30, 17), évoque généralement le charron et

son art, chez Pline, loc. cit. supra, sous le règne de Marc Aurèle (Digeste, Tarruntenus Paternus, 50, titre 6, De iure immunitatis, 7) jusqu’au dernier quart du ive siècle (Code

Théodosien, 8, titre 5, De cursu publico, angariis et parangariis, 31), très rarement le conducteur (Histoire Auguste, Divin Claude, 14, 11) 30 alors que car(r)uc(h)arius,

29. Ces véhicules sont alors désignés en latin par l’adjectif meritorius : Suétone, Divin Jules, 57, 2 ; Cal., 39, 1. 30. Les inscriptions de Milan (CIL V, 5922) ou de Padoue (NSA, 1926, p. 352-353, no 2) ne donnent aucune

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accompagné de cisiarius (Digeste, Ulpien, 19, titre 2, Locati conducti, 13), ou de mulio (Histoire Auguste, Deux Maximins, 30, 6) désignait le meneur.

On pouvait employer raedarius pour parler soit du cocher (Cicéron, Pour Milon, 29, 4), soit bien évidemment du charron, quand il qualifie le substantif fabricator dans l’Histoire Auguste, Maxime et Balbin, 5, 1. Seul cisiarius a pu posséder les trois acceptions, désignant des entrepreneurs de transports dès le ier siècle av. J.-C. à Préneste (CIL I2,

1449 = XIV, 2874) ou au iie siècle apr. J.-C. à Rome, associés au collège des iumentarii

(CIL VI, 9485 = ILS 7296), un charron à Sena Gallica (CIL XI, 6215), des cochers à l’époque impériale à Ostie (CIL XIV, 409 : il s’agit de iuuenes cisiani) ou dans l’édit d’Ulpien évoqué supra. Sur le plan social, la plupart du temps ces artisans, qui étaient des travailleurs indépendants, se regroupaient en collèges dès la République à Préneste (loc. cit. supra) ; en sodalités à Padoue (NSA, 1926, p. 352-353 no 2), et s’installaient

aux portes des villes, comme en Campanie, à Calès, près de la porte Stellatina (CIL X, 4660) ou à Pompéi, près de la porte de Stabies (CIL X, 1064).

Formé de la même façon à partir de ueredus, le dérivé uer(a)edarius apparaît pour la première fois dans des inscriptions de Dacie du début du règne d’Antonin le Pieux, pour parler d’une milice chargée de la protection des villages et des routes (CIL III, 13795 = ILS 8909 ; CIL III, 13796 = ILS 9180) ; à la même époque, chez le Pseudo-Hygin, Des fortifications du camp, 24, 2 ; 30, 6, il s’agit d’une cavalerie légère constituée de Pannoniens chargés de protéger les soldats de la marine qui construisent les routes ; puis, à partir du ive siècle, il désigne les courriers privés, comme chez Sidoine

Apolli-naire, Épîtres, 5, 7, 3, ou publics comme dans les constitutions des Codes Théodosien et Justinien, tous ayant cependant en commun de monter des chevaux vigoureux et endurants.

Grec

La troisième étape est le passage de ces mots d’origine gauloise en grec. Depuis la conquête des territoires des différents royaumes hellénistiques, les Romains ont adopté leur usage de faire du grec la langue administrative de ces territoires polyglottes. Les autorités s’adressent en grec aux cités ou aux communautés dans la partie orientale du bassin méditerranéen, ou, au moins, leur fournissent une traduction grecque du document latin d’origine. Inversement les communautés locales ne sont pas contraintes de recourir au latin et leurs ambassades pouvaient s’exprimer en grec devant le Sénat ou l’empereur. Ce bilinguisme officiel 31, qui faisait que l’Occident romain était administré

en latin, et l’Orient en grec, fut confirmé par Auguste au moment de l’établissement du principat, explique la formule historique de l’empereur Claude uterque sermo noster (Suétone, Claude, 42, 2) reconnaissant la coexistence de deux langues dominantes et justifie le titre de l’ouvrage de Paul Veyne, L’empire gréco-romain, paru en 2005, 31. Brélaz (2008 : 172), préfère parler de « bipolarité linguistique ».

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même si certaines des conclusions ont pu être contestées. Bien que le recours au latin dans les documents officiels dans la partie hellénophone fût très restreint, tant de la part des élites locales que des autorités romaines, les situations de bilinguisme sinon de multilinguisme dans la vie quotidienne étaient nombreuses dans des contextes historiques et sociaux très divers entraînant en particulier une nécessaire adaptation de la langue grecque tant aux institutions qu’aux realia romains. On sait que le grec intégra les mots latins de trois façons différentes : par traduction : euocatus, le soldat vétéran, qui, au terme de ses années de service « rempile » ou est maintenu sous les drapeaux se dit ἀνάκλητος ; par glose : consul, le magistrat supérieur, se traduit par ὕπατος, littéralement « le plus haut » ; enfin par translittération, quand on ne peut trouver d’équivalent grec : δικτάτωρ (Polybe, Plutarque), parfois avec l’hellénisation de la flexion : κυιρῖται (Cassius Dion). Naturellement, les noms propres relèvent de cette dernière catégorie, mais c’est aussi le cas du vocabulaire technique de formes d’artisanats peu ou moins développés chez les Grecs comme la charronnerie.

Ainsi le mot κάρρος se retrouve dès le début du règne de Tibère dans l’édit bilingue grec et latin de Sagalassos en Pisidie du légat propréteur de Galatie Sex. Sotidius Strabo Libuscidianus, dont dépendait également la Pisidie (AE 1976, 653). Ce texte fixe les fournitures en voitures (κάρροι), mules ou ânes que les habitants doivent fournir aux voyageurs officiels, civils ou militaires, au titre de la uehiculatio mais aussi impose à ceux-ci de rémunérer toute réquisition supplémentaire. Il est intéressant d’observer que la version latine comprend le neutre carra alors que le texte grec transcrit le gaulois

carros : tout se passe comme si celui-ci avait été translittéré directement en grec sans

passer par le latin, peut-être à cause du galate qui subsista comme langue parlée dans la région jusqu’à la fin du ive siècle d’après le témoignage de Jérôme, Comm. sur l’Épître

aux Galates, 2, 3 (PL, vol. 26, col. 357), qui estime qu’il ressemble au dialecte des

Trévires de la Gaule Belgique (Sartre 1995 : 316). Le neutre κάρρον apparaît dès le iie siècle (Pap. Goodsp. Cair. 30, XXIX, 21) et rivalise avec la forme masculine dans

l’édit du Maximum de Dioclétien, 15, 38-39. Les deux adjectifs dérivés καρρικός et καρραρικός se rencontrent respectivement avec γόμος « charge » sur le Tarif de Palmyre daté du 18/4/137, pour désigner une unité de compte des marchandises franchissant la barrière d’octroi du territoire de la cité (Teixidor 1984) et τροχός dans l’édit du Maximum de Dioclétien, 15, 34 Giacchero, dans le catalogue des pièces en bois de charronnerie.

Le latin r(h)(a)eda apparaît en grec dès les dernières décennies du ier siècle apr. J.-C.

sous la forme ῥεδῶν génitif pluriel de ῥέδη dans l’Apocalypse, 18, 13. En 301 dans l’édit de Dioclétien 15, 37 Giacchero, nous avons la translittération exacte ῥαῖδα, la forme neutre ῥέδιον se trouvant employée au ive siècle dans l’Histoire des moines d’Égypte,

23, Macarios Alexandrinos, 11 Festugière. La translittération βέρεδος du dérivé latin

ueredus se rencontre dès le iie siècle apr. J.-C., chez Secundus, Sent., 18, éd. Mullach.

C’est le passage du néologisme latin carruca en grec sous la forme καροῦχα (avec un seul -ρ-) qui est le plus attesté, ce qui renforce l’idée de la création à l’époque impériale de ce nouveau modèle de voiture, du récit du Martyre de Polycarpe, 8, 2 et 3 Camelot,

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ןיכןרק

au début de la seconde moitié du iie siècle, jusqu’au traité de l’empereur byzantin

Constantin VII Porphyrogénète Des cérémonies de la cour de Constantinople, les formes neutres καρούχιον se rencontrant dès le iiie siècle (P. Flor., 335, 8) et καροῦχον en 301

dans l’édit du Maximum de Dioclétien, 15, 41 Giacchero.

Les corps de métiers liés à la charronnerie et à la carrosserie se répandent avec les véhicules pour leur construction et leur entretien à l’époque impériale dans tout le monde romain, y compris en Orient, d’où leur transcription en grec : ainsi à Tyr, on relève dans la nécropole paléochrétienne l’épitaphe grecque d’un καρουχάριος datée de 586/587 de notre ère 32 alors que les translittérations d’essedarius : ἀσσεδάριος à Rome

même (IGUR, II 770), ἀσσιδάριος chez Artémidore de Daldis (Lydie) dans la seconde moitié du iie siècle (2, 32, éd. Hercher), acéphale sur une inscription de Smyrne (IK,

I. Smyrna 403) mais plus fréquemment ἐσσεδάριος sur des stèles funéraires de Carie,

à Iasos (IK, I. Iasos 413 et 414D), à Mylasa (IK, I. Mylasa 532) ou à Aphrodisias (IK

I.Aph. 2007, 8, 701), renvoient toujours aux gladiateurs combattant en char dans

les munera et que celle de uer(a)edarius βερεδάριος, dans l’état actuel du corpus, n’est attestée qu’au vie siècle chez Procope de Césarée, Pers., 2, 20.

Hébreu et araméen

La dernière étape est l’emprunt de certains de ces mots passés du gaulois au latin puis translittérés en grec par le Talmud de Babylone rédigé à la fin du ve siècle pour partie

en hébreu, pour partie en araméen, tout en accueillant nombre de mots latins et surtout grecs. Au § 95b de la Guemara du quatrième traité intitulé « Sanhédrin » du quatrième ordre intitulé « Neziqin » (« Dommages ») concernant les questions de droit civil ou pénal, on lit : Rab Yehouda a dit au nom de Rab « Sennachérib l’impie les a attaqués avec 45 000 hommes, fils de rois, assis sur des chariots d’or accompagnés de leurs épouses et de prostituées » (traduction de la Guemara du Talmud de Babylone du rabbinat français, Paris, 1974), le mot employé est qui, en rétablissant la lecture de gauche à droite, se prononce « qaroukhin » ou « qeroukhin » et semble bien l’emprunt du latin carruca par l’intermédiaire du grec καροῦχον ou καρούχιον au vu de la structure consonantique QR qui seule importe puisque, en hébreu comme en araméen, les voyelles ne sont pas essentielles au mot, pouvant changer pour de mul-tiples raisons 33. La terminaison -khin suggère qu’il s’agit plutôt d’un mot araméen 34.

Un certain nombre de termes gaulois désignant des voitures à l’époque de l’indé-pendance : carros et reda, par exemple, ont été empruntés par le latin dès l’époque de 32. Rey-Coquais 1977, no 205, p. 111-112 ; 1979, p. 281-292.

33. Krauss 1911, t. 2, p. 337 et no 185, p. 678.

34. Dans la Bible, le char est désigné par les mots hébreu « rekeb » et « merkabah », distingués dans 2 Chroniques 35, 24, le premier désignant dans ce passage le véhicule de transport du corps de Josias, le second son char de guerre.

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César puis translittérés en grec et le dérivé latin carruca du gaulois *carros passe en grec à l’époque impériale, puis par l’intermédiaire de la forme neutre καροῦχον dans la langue de la Guemara du Talmud de Babylone, hébreu ou plus vraisemblablement araméen au plus tard au ve siècle.

En conclusion l’histoire de ces mots est évidemment intéressante pour l’historien, puisqu’elle montre que la pax Romana a permis, avec la libre circulation des technologies et des savoir-faire, des hommes, des marchandises, des idées ou des dévotions, celle des langues et des mots, de la Gaule indépendante à la Mésopotamie où vivait une partie importante de la diaspora juive. Elle montre aussi plus précisément à quel point l’empire romain a été une période de diffusion des techniques celtiques et de progrès en matière de charronnerie, d’attelage et de transport routier, ce qui est attesté par ailleurs par la construction et l’entretien régulier d’un réseau routier dense, structuré et pourvu de nombreux ouvrages d’art en pierre.

Michel Molin

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Figure 1. Essedum gallo-romain Reconstitution M. Molin, cliché J. Valentin.

Figure 2. Essedum gallo-romain Reconstitution M. Molin, cliché J. Valentin.

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Figure 3. Essedum gallo-romain Reconstitution M. Molin, cliché J. Valentin.

Figure 4. Carruca dormitoria :

relief de l’église de Maria-Saal am Zollfeld, iie/iiie siècle

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Bibliographie

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Abréviations

CIL : Corpus Inscriptionum Latinarum IGUR : Inscriptiones Graecae Urbis Romae

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IK : Inschriften griechischer Städte aus Kleinasien ILS : Inscriptiones Latinae selectae

PL : Patrologie latine

Figure

Figure 1. Essedum gallo-romain Reconstitution M. Molin, cliché J. Valentin.
Figure 3. Essedum gallo-romain Reconstitution M. Molin, cliché J. Valentin.

Références

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