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Web social en univers gouverné : comment piloter un nuage ?

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Academic year: 2021

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 Résumé

Au-delà des quatre points de vue sur le « 2.0 » traités dans la littérature - la plateforme, le many to many, le communautaire, l’émergent - nous montrons comment les « univers gouvernés », s’ils adoptent les pratiques du 2.0, doivent intégrer une « fabrique » différente de l’intelligence collective. Cette « fabrique » associe one-to-one et many-to-many, mobilise le collectif, valorise une organisation « méta-dimensionnelle » et valorise et protège l’individu. Pour « piloter le nuage », le système d’information est central et nous faisons l’hypothèse que l’enjeu pour les DSI est de pouvoir progresser dans la maîtrise de quatre leviers : le pilotage multi-dimensionnel et les référentiels enrichis, la gestion des communautés, la gestion de l’organisation, des droits et de la gouvernance de l’information, le pilotage des capacités organisationnelles.

Mots clefs :

web 2.0, communautés, univers gouvernés, théorie des organisations, DSI.

 Abstract

Beyond the four traditional images of the « 2.0 » pointed out in the literature – 2.0 as platform, many-to-many, community and emergent – we suggest that « rule-governed universes, when adopting 2.0 practices, have to incorporate a new « factory » of collective intelligence. This « factory » associates one-to-one to many-to-many, calls up for collective implication, gives value to a « meta-dimensional organization » and gives value and protection to the individual. In order to « steer the cloud », information systems are key. We propose to consider that a critical stake for IS Managers is to be able to master four levers: steering on a multi-dimensional basis with enriched reference models, managing communities, managing the organization, the access rights and the governance of information, and managing the organizational capabilities. Key-words:

Web 2.0, communities, governed universes, organization theory, IS Managers

Web social en univers

gouverné : comment

piloter un nuage

1

?

L’objectif de cet article est de proposer une vision du 2.0 en entreprise, qui permette de mieux articuler le « communautaire émergent », qui caractérise centralement le modèle du web 2.0, avec les ressorts des univers organisationnels plus gouvernés. L’introduction de pratiques « 2.0 » en entreprise repose sur des évolutions des systèmes d’information qui peuvent sembler minimes au départ – il suffirait d’introduire une « couche collaborative » dans le SI existant. En réalité, elles entrainent des transformations importantes dans la représentation de l’organisation et les paradigmes du pilotage de gestion : ontologie de la gouvernance et des structures, modélisation et gestion de « groupes complexes », principes et modalités d’actualisation de l’émergent en planifié, de l’informel en formalisé.

Si le mandat d’une organisation gouvernée est avant tout de gérer des processus de déploiement de la stratégie et d’optimiser l’engagement des moyens au service des objectifs stratégiques qui l’animent, nous tenterons donc d’éclairer ce qui pourrait lui permettre, de « piloter le nuage », de stimuler sa création de valeur, de mobiliser ses équipes à l’aide du 2.0 et d’en maîtriser l’utilisation.

L’entreprise en réseau (Castells, 1998) est un modèle organisationnel qui précède la généralisation des outils et procédures qui permettent de rendre ce modèle effectif à grande échelle. Le réseau est d’abord une configuration organisationnelle. C’est ce qui explique la rapidité des interactions avec les systèmes techniques (web, puis web 2.0) qui apparaissent de manière concomitante et viennent concrétiser

1 Cet article est écrit dans le cadre d’une recherche menée pour la Fondation CIGREF sur l’impact du web 2.0 sur les organisations.

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encore les dispositifs de gestion et l’imaginaire du réseau2. La dualité des technologies, dans la lignée notamment des travaux de Giddens sur la structuration, a été il y a une quinzaine d’années étudiée sur le domaine des systèmes d’information (Orlikowski, 1992). De même le débat outil-structure s’est-il nourri d’un certain nombre de travaux sur les outils de gestion et leur interaction avec les organisations (Hatchuel et Molet, 1986, Moisdon, 1997, David, 1998, de Vaujany et al., 2006, Aggeri et Labatut, 2010).

Dans ce contexte de double évolution organisationnelle et technologique, une littérature abondante est consacrée au web 2.0 (Musser et O’Reilly, 20063), dont l’entreprise 2.0 (McAfee, 2009.) est la traduction en organisation. De multiples exemples sont donnés d’adoption d’outils web 2.0 dans des organisations de divers types, de l’entreprise (McAfee, 2009 ; Roulleau Dugage, 2008) au gouvernement (Meijer et Thaens, 2010) ou à la science4. Dans la plupart des cas, les auteurs listent les outils du web 2.0 et élaborent, le plus souvent en prenant appui sur ce que font des entreprises pionnières, sur les avantages du passage au 2.0. Mais, mis à part les cas des entreprises pionnières citées, ces travaux prennent rarement comme point de départ un univers gouverné réel. Ils ont tendance à faire un diagnostic de l’existant qui met a priori l’accent sur les limites des structures classiques. Ils négligent le fait que beaucoup d’informel et de communautaire existe dans les organisations. Les organisations hiérarchiques sont ainsi stylisées comme nécessairement dépassées, et c’est à l’aune de cette simplification que sont avancés les arguments en faveur du passage au 2.0. Des auteurs aujourd’hui classiques (Parker Follet, 1924 ; Barnard, 1938 ; Blau et Scott, 1962) l’ont depuis longtemps relevé : rares sont les organisations qui seraient « entièrement 1.0 », c’est-à-dire purement mécanistes au sens de Burns et Stalker (1961). Cela reviendrait à prétendre que les plateformes sociales émergentes (emergent social platforms) n’existent que depuis que des architectures logicielles (emergent social software platforms) existent pour les « supporter », ce qui est

2 Sur les rapports généraux entre histoire et imaginaire, voir par exemple Legoff (1986). Sur la concrétisation des objets techniques, voir Simondon (1958).

3 Pour la petite histoire, on attribue généralement le terme web 2.0 à Dale Dougherty de la société O’Reilly. Certaines sources indiquent un article de DiNucci intitulé Fragmented Future, publié en 1999..

4 L’expression « science 2.0 » devient populaire (à titre indicatif, le mot-clé donne 400000 entrées sur google (9/2/2011). En revanches, les bases académiques ne contiennent que 8 (Business Source Elite + Econlit) et 39 (Science Direct) articles contenant l’expression, et aucun si l’on considère seulement les titres des articles.

historiquement et généalogiquement contestable. Le web 2.0 – également communément appelé aujourd’hui web social - qui a envahi la sphère privée au travers des réseaux sociaux et des applications comme YouTube, Flickr, Skype, Google apps, Twitter, Facebook ou Wikis de divers types, a beaucoup modifié la relation de l’individu à son environnement social. Introduit en entreprise, il peut donner à chaque collaborateur la possibilité de contribuer, créer, échanger, amender, savoir, dire, évaluer … mais aussi d’exister davantage qu’auparavant au-delà de sa place dans l’organigramme. Quels rôles nouveaux pour les managers, quelle nouvelle définition de mission pour la gestion de collaborateurs connectés au « nuage » ? De quels moyens se dote l’organisation pour orienter les choix de ses managers quant aux pratiques collaboratives de leurs équipes et à la gestion de la valeur émergente qu’ils contribuent à créer ? Nous allons, dans un premier temps, faire la synthèse des différents points de vues possibles sur le 2.0, à partir de la littérature académique et des principaux lieux de discussion du 2.0 sur le web5. Dans une seconde partie, nous poserons la question du 2.0 en univers gouverné et en aborderons les principaux apports. Dans une troisième partie, nous reviendrons sur trois idées reçues et fausses évidences liées au 2.0 et nous analyserons en quoi le 2.0 réinterroge quelques fondamentaux du management. Nous verrons enfin, dans un quatrième temps, comment « piloter le nuage » et quels sont les enjeux pour les SI.

1. Le 2.0 dans la littérature :

quatre points de vue

complémentaires

1.1. Le 2.0 comme l’introduction en

entreprise du web 2.0 : l’image de la

plateforme

Une grande proportion des travaux se situe dans cette perspective : l’entreprise 2.0 est celle qui utilise les outils du web 2.0. C’est l’approche de McAfee : “I coined the term Enterprise 2.0 to describe how these same technologies [web 2.0 technologies] could be used on organizations’ intranets and extranets, and to convey the impact they would have on business” (2009, p. 1).Ce point de vue part donc des technologies et outils du web 2.0 et analyse les possibilités et les conséquences de leur

5 En langue française, voir en particulier

http://www.fredcavazza.net/. En langue anglaise, voir par exemple http://andrewmcafee.org/blog/

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utilisation en entreprise : web services, blogs, flux RSS, wikis, podcasts, social networking, peer-to-peer, mashups6, sont les principaux, mais la liste n’est pas exhaustive.

Le web 2.0 étant présenté comme “web as a platform”, il est naturel que l’image de la plateforme soit l’une des images de base pour faire comprendre le concept d’entreprise 2.0. Si l’on suit Musser et O’Reilly (2006), « internet comme plateforme » est un modèle dans lequel il est central de proposer des applications qui maximisent les effets de réseau, c’est-à-dire qui fonctionnent d’autant mieux que le nombre d’utilisateurs est important. Mais, dans la plupart des travaux, l’image de la plateforme n’est pas explicitement transposée à l’entreprise : il n’est pourtant pas équivalent de dire que l’entreprise 2.0 est celle qui utilise les outils du web 2.0 et de dire que l’entreprise 2.0 est une organisation qui fonctionne sur un mode « plateforme ». Appliqué à l’entreprise, ce modèle est néanmoins séduisant et renouvelle l’idéal-type de l’espace de travail : les organisations seraient constituées d’un ensemble de plateformes sur lesquelles se concrétiseraient une partie importante des échanges, elles seraient supports et vecteurs des différents processus et projets, offrant la possibilité de multiplier les transactions de tous ordres tout en minimisant leur coût. La plateforme est une image puissante : démultiplication du nombre de participants, variété des contributions et des modes d’échange et de mutualisation, crowdsourcing généralisé : l’entreprise moderne est un ensemble de plateformes internes ou partagées avec d’autres organisations. La plateforme peut être un lieu de conception : des agencements spécifiques, les plateaux techniques, existent par exemple depuis de nombreuses années dans certaines industries comme l’automobile (Midler, 1993 ; Weil, 1999). La plateforme est aussi une stratégie : Cusumano et Gawer (2002) en ont fait la démonstration sur le cas d’lntel, Apple a montré la puissance du couplage entre un objet nomade et une plateforme de distribution d’applications conçues par des développeurs de tous horizons.

Un autre aspect de la puissance du concept de plateforme est dans l’harmonisation des langages que son utilisation suppose. Il a été montré que cette harmonisation constituait l’un des effets ou des présupposés classiques des projets de SI (David et Pallez, 2001). L’étude des

6 Cette liste est celle retenue par McKinsey dans une étude de 2008 (McKinsey Quaterly, juin 2008). On peut, avec McAfee (2009) augmenter cette liste : twitter, Facebook et autres Delicious relèvent de fonctionnalités de communication, de mutualisation, de « taggage » qui signent également le web 2.0.

points communs et des différences entre ce que suppose le web 2.0 et ce qui correspond à une logique 1.0 sort du périmètre du présent article, mais il serait erroné de penser que, sous prétexte d’une liberté des contenus et des modes d’échange, il n’existe pas d’harmonisation des protocoles et des pratiques : la plateforme impose nécessairement une grammaire des échanges, même si une partie des usages et des règles se créée au fur et à mesure que la variété des utilisations et le nombre d’utilisateurs s’accroît.

1.2. Le 2.0 comme la possibilité d’un

réseau complet de communication :

l’image du « many to many »

Le 2.0 est souvent associé au « many to many » : c’est précisément ce que le web 2.0, d’un point de vue purement technique, permet de faire. Grâce à une architecture logicielle adaptée, de multiples interactions peuvent avoir lieu au sein d’un ensemble potentiellement très important et très dispersé d’acteurs. En pratique, sauf à ce que le nombre de participants soit relativement faible, il est difficile d’imaginer que chacun reste en liaison avec tous sur une période de temps importante. Si, par exemple, une organisation utilise Yammer7, il est difficile de gérer des groupes de plus de quelques dizaines de participants, sauf à imaginer une grammaire plus sophistiquée, avec différents groupes et sous-groupes constitués selon un certain nombre de règles8. La logique du « many to many » est très cohérente avec l’idée de plateforme. Mais qui dit plateforme web ne dit pas nécessairement plateforme dans ou pour l’entreprise : en ce sens, définir l’entreprise 2.0 à partir du « many to many » est moins spécifique, moins d’hypothèses sont faites a priori sur la structure des collectifs concernés. Au-delà de la simplicité apparente de la formule, il est aisé de repérer toute une variété de schémas possibles : 1 to many, many to 1, 1 to 1 to 1 to…. (n fois), many to many (d’autres), many to many (les mêmes), etc. Le « many to many », transposé de possibilités techniques qui témoignent de la sophistication de l’informatique moderne, risque au contraire de paraître, une fois transposé au fonctionnement des organisations, extrêmement

7 Fil de discussion analogue à Twitter, où chacun, à la base, dit sur quoi il est entrain de travailler, et qui suppose que les inscrits au fil partagent une même extension dans leur adresse de courrier électronique. Notons que la version payante de plateformes comme Yammer inclut une gestion des groupes et des accès plus sophistiquée que la version gratuite de base 8 Nous reviendrons sur ce point dans la troisième partie, à propos de la modélisation des groupes complexes.

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simpliste : non seulement les formes effectives des réseaux concrètement observables ne se réduisent pas à la simple mise en relation de « beaucoup à beaucoup », mais la relation entre deux ou plusieurs points du réseau ne se réduit pas au fait qu’elle existe ou non. Les relations, au sein d’une organisation sociale sophistiquée, peuvent par exemple être déclinées en mandat (je demande à quelqu’un de faire quelque chose pour moi), entremise9 (je suis un tiers de confiance entre deux personnes), orchestration (j’organise un événement collectif) et wiki (nous construisons ensemble et progressivement un objet commun)10.

1.3. Le 2.0 comme généralisation du

collaboratif : l’image du communautaire

L’image de la plateforme, dans les travaux sur le 2.0, va revenir par le principe de généralisation du collaboratif : McAfee intitule la première partie de son ouvrage “Enterprise 2.0: the power of technology-enabled collaboration”. La technologie permet des accès directs et instantanés à toute personne dont la collaboration pourrait s’avérer pertinente. Dans l’idéal-type du 2.0, toute personne de l’entreprise est susceptible de participer. L’infrastructure réticulaire ainsi conçue peut accueillir la structure formelle, officielle, comme un sous-ensemble particulier de liens, mais la signature organisationnelle du 2.0, en tant que porteur d’une collaboration généralisée –est davantage la communauté que la hiérarchie : communautés de pratique, communautés épistémiques, mais aussi tout type de communauté provisoire – les flash mobs pourraient en être une concrétisation extrême - se trouvent remises au premier plan et relégitimées par la logique du 2.0. Certains ouvrages récents comme Organisation 2.0 (Roulleaux Dugage, 2008) structurent leur argumentation autour des communautés : ils présentent tout d’abord la collaboration comme « la voie de la confiance » (p. 61), puis les outils de collaboration comme la technologie de cette confiance (p. 73), pour ensuite décrire les réseaux et les communautés comme « les structures sociales de la confiance » (p. 91) et aborder la façon de faire vivre au quotidien ces réseaux et communautés (p. 131 et suiv.). Plus

9 Dans le domaine des SI on parlera de broker ou d’infomédiaire. Voir notamment Sawhney M., Prandelli E. and Verona G. (2003)

10 Cette déclinaison est tirée de travaux menés par la RATP, en collaboration avec le Centre de Gestion Scientifique de Mines Paristech, lors d’ateliers de conception innovante sur « le métro du 21ème siècle », en décembre 2006. Voir Amar, G. (2007), Le métro du 21ème siècle, Département du Développement et de l’Action Territoriale, RATP, avril.

fondamentalement, Benkeltoum (2009) a montré que les communautés open source relevaient d’une double généalogie : les économies de la solidarité et les systèmes de production distribuée. Ce qui est vrai pour les communautés open source pourrait, par hypothèse, s’appliquer au communautaire du 2.0, mais de tels fonctionnements ne se décrètent pas, pas plus que les communautés de pratiques telles qu’analysées par Orr (1987) L’hypothèse selon laquelle les pratiques communautaires ne se décrètent pas est cohérente avec l’importance que les travaux académiques accordent à l’émergent dans la logique du 2.0.

1.4. Le 2.0 comme réintroduction de

l’émergent au cœur des processus :

l’image de la structure informelle,

auto-reconfigurable et évolutive

Les travaux sur le web 2.0 ou l’entreprise 2.0 mettent fortement l’accent sur la possibilité qu’offrent les outils du web 2.0 de faire émerger « naturellement » les structures pertinentes : les vertus de la libre participation et les capacités des outils à tracer, guider, répertorier, mémoriser les échanges constitueraient ensemble une « fabrique » d’agencements organisationnels d’un nouveau genre. Cette structure émergente serait informelle, auto-reconfigurable, évolutive. L’image est un condensé de mythes rationnels (Hatchuel, 2001) : la structure apprenante, agile, flexible, lean (en ce que l’agencement relationnel à un instant t serait « juste ce qu’il faut »), la structure émergeant et se développant à l’exacte mesure des besoins de création de sens (Weick, 1995) et de gestion des processus. Les exemples de structures qui émergent par pure succession d’ajustements mutuels sont rares : un certain nombre de travaux fondamentaux sur le rôle des institutions (Douglas, 1989), sur les processus de structuration (Giddens, 1986) et sur les cadres de l’action quotidienne (Goffman, 1974) ont montré que si l’on considère le rôle de la culture et des institutions dans le cadrage des échanges, le modèle d’un processus purement inductif de fabrication des structures devient impossible. A l’intérieur de ce cadre culturel et institutionnel, en revanche, il y a quasi isomorphisme entre la structure relationnelle d’un groupe social et le mode d’élaboration, d’échange et de validation des connaissances au sein du groupe11.

11 On peut considérer que cette correspondance entre système de relations et dynamique des connaissances est infrastructurelle : c’est le sens de l’axiomatique S/R (savoirs-relations) proposée par Hatchuel (2000).

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L’encadré ci-dessous développe deux exemples de structuration des groupes par les échanges informels.

Deux exemples de structuration des groupes par les échanges informels

L’un des meilleurs exemples de ce phénomène est celui décrit par Labov dans son ouvrage sur Le parler ordinaire (1977) à propos des insultes rituelles au sein des groupes de jeunes de certains quartiers : il y a une correspondance étroite entre la place de chacun dans le groupe et sa capacité à « vanner ». Plus le niveau des « vannes » est élevé, plus haute est la place au sein de groupe, le leader du groupe étant le meilleur vanneur.

On retrouve ces phénomènes de structuration émergente d’un groupe dans les forums de discussion de certains sites communautaires : les positions respectives au sein du « groupe » sont construites progressivement en fonction des contributions et commentaires des uns et des autres. On trouvera de tels échanges sur des sites comme www.audiofanzine.fr : batailles d’experts, contestations de légitimité, connaissance scientifique contre intuition musicale, contestations de la conformité des contributions au thème du fil de discussion, mais aussi transmission d’expérience, plaisir de se retrouver autour de tel ou tel instrument « mythique », expression de sentiments de divers ordres, dont le sentiment communautaire. A titre d’exemple, un fil de discussion à propose de la réédition possible, 20 ans après, d’un ouvrage sur un clavier électronique légendaire des années 80 a comptabilisé plus de mille contributions. Si les échanges sont riches en connaissances et expertises, le fil de discussion une fois clos peut être considéré comme un processus d’exploration et de résolution de problèmes en même temps qu’un processus de constitution de la structure relationnelle en rapport.

2. Le 2.0 en univers gouverné.

Comme nous l’avons évoqué dans les paragraphes précédents, le 2.0 fait une large place aux structures émergentes. Or la plupart des organisations professionnelles, celles au sein desquelles on voudrait mettre en place des pratiques « 2.0 », sont des organisations gouvernées. Par « organisation gouvernée », nous entendons, bien que les deux termes

« organisation » et « gouverné » puissent sembler redondants, une organisation dotée d’une structure formelle, c’est-à-dire non entièrement émergente, et visant à atteindre un objectif prédéterminé. Nous considérerons donc des structures au sens classique du terme plutôt qu’au sens interactionniste (Desreumaux, 1998)12. Nous nous focaliserons, de surcroît, sur des situations de gestion au sens de Girin : « nous dirons que nous sommes en présence d'une situation de gestion chaque fois qu’à un ensemble d'activités en interactions est associée l'idée d'activité collective et de résultat faisant l'objet d'un jugement ; [nous dirons que] des agents sont engagés dans la situation de gestion lorsqu'ils se reconnaissent comme participant à des degrés divers à la production du résultat » (1983). Dans une organisation gouvernée, les managers doivent organiser les ressources qui leur sont confiées pour atteindre les objectifs fixés. Or le web 2.0 peut modifier profondément toutes les dimensions de ce management : l’organisation, les ressources, les modes de conception, la nature et les modes de détermination des objectifs, la gestion des espaces et des temporalités.

Nous allons tenter dans cette partie d’identifier quelques impacts critiques, avant, dans une troisième partie, de proposer des moyens de « garder la main sur le nuage » (le cloud), et de voir quel « méta-management » il serait nécessaire de mettre en place pour en assurer le pilotage vers des objectifs attendus.

2.1. Une « fabrique » différente de

l’intelligence collective au travers de

groupes émergents.

En démultipliant les échanges d’informations, en transversalisant les processus, en autorisant des émergences entretenues à grande échelle, mais aussi en gommant les frontières entre les sphères privées, personnelles, professionnelles, sociétales, le 2.0 fait naître une nouvelle culture et de nouvelles pratiques, où l’intelligence collective le dispute à la consigne individuelle, où la légitimité des acteurs est plus complexe et davantage discutée. Sur un plan général, tout

12 Définition classique : « la structure est une

configuration formelle de rôles et de procédures, officiellement consacrée, et destinée à orienter les comportements des membres de l’organisation en spécifiant ce qu’ils doivent faire et ce qui sera récompensé ». Définition interactionniste : « la structure est l’ensemble des régularités dans les comportements des acteurs, tels qu’ils sont observables au cours du temps » (1998, p. 37).

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mouvement de décloisonnement va dans ce sens : par exemple, lorsque Christian Blanc modernise la structure de la RATP (David, 1994), au début des années 90, il impose une structure plus décentralisée, mais avec une intégration plus forte (« je suis ici pour permettre les émergences », déclare-t-il à son arrivée dans l’entreprise). Mais les technologies du web 2.0 permettent, en principe, d’envisager une « gestion des émergences » sur un périmètre beaucoup plus large, et d’une manière plus intensive.

Le premier défi pour le management est de canaliser cette énergie nouvelle et d’en tirer le meilleur parti, sans que cela signifie nécessairement que ce qui est produit par des pratiques « 2.0 » soit purement et simplement réintégré dans du « 1.0 ». Le mode projet, par exemple, avait revisité les structures des organisations autour d’une nouvelle gouvernance, centrée, pour chaque projet, sur l’atteinte d’un objectif collectif légitimé par la Direction (Clarke et Fujimoto, 1991 ; Wheelright et Clarke, 1992 ; Midler, 1993 ; Garel, 2003). C’était un premier niveau de révision des pratiques de management, qui n’avait pas besoin des outils du 2.0 pour exister, mais dont on peut souligner plusieurs caractéristiques que le 2.0 amplifie : la multiplication de communautés « uniques » (par l’objet dont elles s’occupent), l’émergence de pratiques transverses, la difficulté, pour les managers, de gérer « l’évasion » des ressources qu’ils ont en responsabilité sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas en totalité, l’individualisation des parcours et des profils, la nécessité de travailler sur des objets intermédiaires de conception et grâce à des plateformes organisationnelles (dans certaines industries : des maquettes et des plateaux techniques, par exemple). Avec la généralisation des pratiques 2.0, il ne s’agit plus seulement de commander une structure aux contours bien définis, mais de superviser un ensemble de risques, de conduire la progression vers un objectif stratégique global. On trouvait déjà, avec l’invention et la mise en œuvre du management par objectifs et auto-contrôle dans les organisations multidivisionnelles, (Drucker, 1944 ; Chandler, 1962) ce type de problématique de pilotage des grandes organisations : chaque grand mouvement d’évolution des structures réinterroge, en effet, l’articulation entre différenciation et intégration déjà théorisée par Lawrence et Lorsch (1967).

2.2. S’adapter à la coopétition et à

l’interopérabilité

Les révisions fréquentes des chaînes de valeur, les standards Internet, la dématérialisation des échanges, la mondialisation ont contribué à créer les conditions

favorables à une plus grande interopérabilité des ressources, des systèmes et des informations. Depuis plus de 10 ans, n’importe quelle entreprise peut connecter son système de supply chain avec un client ou un fournisseur à l’autre bout du monde, et les applications et pratiques de conception interagissent sur toute une filière. Le web 2.0 autorise désormais l’émergence de réseaux informels et de coopérations innovantes au-delà de l’organisation, créant de nouveaux actifs dont la propriété et le statut au regard du droit commercial sont parfois difficile à déterminer (ce qui n’est pas forcément un obstacle, mais peut comporter des risques). Comme toujours lorsque de nouveaux agencements organisationnels deviennent possibles, les organisations performantes sont celles qui sauront le mieux utiliser cet écosystème plus ouvert, plus « coopétitif », où la frontière entre symbiose et parasitisme dans les relations entre partenaires doit être régulièrement analysée. Pour étendre à des communautés émergentes ce qui s’applique habituellement à des divisions au sein de structures multidivisionnelles aujourd’hui classiques, il faut évidemment revisiter les pratiques de pilotage et de collaboration

2.3. Maîtriser le langage de la

collaboration étendue 

Pour assurer cette collaboration étendue et la gestion d’une quantité sans cesse croissante d’informations, le web 2.0 impose de simplifier l’accès et la compréhension des objets manipulés.
C’est à ce titre que la maîtrise des problématiques de recherche (moteurs de recherche, de règles et d’orchestration, outils d’indexation, annuaires), de méta-données (tags, chorégraphies, registres du Dublin Core13 (2001)) et de référentiels (privés ou normés, taxonomies ou folksonomies14) sont un enjeu clé.
 Maîtriser un espace sémantique, définir la manière de décrire un champ d’informations ou les attributs descriptifs d’un objet revient en définitive à amener le « Many » à adopter un langage, une forme d’esprit, une vision structurante.


Telle organisation gouvernée qui souhaite dominer un domaine ou influencer son évolution aura sans doute intérêt à connaître et maîtriser les acteurs qui en définissent la taxonomie.
 Observer les tags et la folksonomie retenue par des communautés de pratique,

13 « The Dublin Core Metadata Initiative, or "DCMI", is an open organization engaged in the development of interoperable metadata standards that support a broad range of purposes and business models » (source : http://www.dublincore.org) 14 « Folksonomy: A user-created bottom-up categorical structure development with an emergent thesaurus (Vanderwal, 2004)

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enrichir son contenu et aider à sa structuration peut s’avérer très riche pour analyser « en avance de phase » un champ d’innovation.
 On voit d’ailleurs émerger des firmes spécialisées qui proposent une structuration d’un secteur d’activité et en deviennent les pourvoyeurs d’information de référence15.






2.4. Cultiver des champs de création de

valeur pour demain

Les actions quotidiennes des managers visent à rendre aussi efficaces que possible les processus de création des objets produits par les organisations gouvernées, qu’il s’agisse de biens de consommation ou de production immatérielle ou de service. Cette optimisation garantit un bon rendement, une bonne création de valeur pour l’organisation gouvernée. C’est en tout cas à cet aune qu’est généralement évaluée la production de valeur d’aujourd’hui.
 Certaines organisations vont également mettre en place des processus d’optimisation de leurs fonctions de développement et d’innovation (Lemasson, Hatchuel et Weil, 2006), optimisant ainsi la création de valeur innovante.

Si l’on observe maintenant les échanges utilisant les supports du web 2.0, on peut y trouver des recherches d’optimisation « classiques » (productivité et pertinence du media) sur des objets dont on peut supposer qu’ils sont déjà décrits dans le référentiel de l’organisation (ou qu’ils pourraient l’être). On trouvera aussi de la perte de temps (au vu des objectifs de l’organisation gouvernée), du slack (part acceptable de relâchement, améliorant au final la productivité, mais sans objet propre), mais on observera aussi de l’activité créatrice, de la co-conception sur des objets non encore identifiés, soit parce que l’organisation ne les connait pas encore, soit parce que ceux qui travaillent dessus n’ont pas su trouver leur description dans les référentiels existants. Une partie au moins de ces objets peut être considérée comme la première expression de la création de valeur pour demain. 


En résumé, si la maîtrise des processus fournit la valeur actuelle, les processus 2.0 permettent l’émergence d’une partie de la valeur future. C’est donc un enjeu pour les managers de l’organisation gouverné que de les capter, les suivre et les intégrer à la chaine de valeur lorsque c’est pertinent. Cela était déjà vrai avant les outils du web 2.0, mais les possibilités du 2.0, le phénomène de mode autour de ces outils, et les impératifs d’une gestion efficace des connaissances, légitiment ce retour sur la

15 Par exemple : JDPower pour les biens de

consommations ou Hackett pour les benchmarks.


question de l’intégration des connaissances, y compris celles qui sont produites en excès16

.


3. Perspectives pour un

management en 2.0

3.1. La hiérarchie, la communauté,

l’émergent : trois fausses évidences

revisitées

L’analyse que nous avons proposée dans les deux parties précédentes permet de dépasser quelques idées reçues et fausses évidences.

Tout d’abord, hiérarchie et communauté ne s’opposent pas : tout groupe social soucieux d’action se dote, de manière émergente ou planifiée, d’une structure. Les systèmes communautaires sont apparemment moins hiérarchisés, mais cela ne signifie pas qu’ils soient moins structurés : les mécanismes de coordination à l’œuvre sont seulement différents, et les structures en question sont plus souples et davantage susceptibles d’évolution et d’adaptation. Là encore, il serait hasardeux de considérer que ces capacités d’adaptation seraient vertueuses en elles-mêmes : il a été depuis longtemps démontré que l’environnement des organisations n’est pas un contexte extérieur auquel les structures devraient s’adapter mais un ensemble d’institutions, d’organisations, de systèmes de normes et de règles en interaction. Weick est allé plus loin en proposant de considérer que les organisations « promulguent » (enact) leurs environnements. Si dans la littérature sur le 2.0 les communautés sont organiques et les hiérarchies plus mécanistes, c’est parce que les secondes sont présentées comme officielles, rigides et dysfonctionnelles et les premières comme officieuses, souples, et subversives par rapport aux règles établies. Mais il existe des communautés extrêmement rigides et contraignantes, ainsi que des hiérarchies ouvertes et qui savent favoriser les initiatives.

Il s’ensuit logiquement que les communautés ne sauraient être l’alpha et l’oméga de l’organisation 2.0. L’identité communautaire a été depuis longtemps répertoriée par Sainsaulieu (1977, 1995) dans ses études sur l’identité au travail. Orr (1987) a, nous l’avons dit, étudié la formation et la dynamique des communautés de réparateurs de photocopieuses chez Rank Xerox, communautés qui se sont formées relativement spontanément, en opposition ou, tout au moins, en complément de ce que prévoyaient

16 Sur cette question de la réutilisation des connaissances produites en excès, notamment dans les processus d’innovation, voir Lemasson, Hatchuel et Weil, 2006, et Lemasson (2001).

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les procédures en vigueur. L’accent mis aujourd’hui sur les communautés s’explique par une dynamique à la fois dialectique (contraste par rapport à un existant – les structures hiérarchiques - dont on pointe les limites), mimétique (on applique aux organisations un certain nombre d’évolutions de la société, on suit les entreprises pionnières dont on promeut les exploits) et métaphysique (on réduit l’action collective et sa performance à un acteur unique ou un principe totalisant – ici la communauté et le collaboratif)17. Une rhétorique classique - et simpliste - apparaît alors : « (1) les technologies du web 2.0 permettent de faire un certain nombre de choses nouvelles et d’appliquer certains schémas d’organisation d’essence communautaire à grande échelle, (2) donc il faut passer à l’entreprise 2.0, et (3) mais le 2.0 n’est pas une question de technologie, c’est une question d’état d’esprit »18.

Une troisième fausse évidence est liée à la place accordée à l’émergent : nous l’avons dit, la mise en réseau permet à des groupes de se structurer progressivement, les folksonomies remplacent les taxonomies et, plus généralement, les relations et les contenus sont en co-évolution permanente d’une manière et à une échelle sans précédent. Or l’émergent n’a pas que de bonnes propriétés. Les animateurs de débats, en ligne ou dans des espaces physiques, savent depuis longtemps que les discussions doivent être structurées et que les échanges ont besoin de modération. Revenons, à nouveau, aux fondamentaux : émergent, informel, participatif, «bottom up » ne sont pas synonymes. Si l’émergent est managé, alors il s’insère dans un système de gouvernement au même titre que d’autres sources ou leviers de connaissance et d’action. Il faut donc poser la question de l’émergent au second niveau. On peut, en effet, accepter l’idée que des communautés « émergent », d’abord avec une structure basique. Cette structure de base correspondrait à une grammaire relationnelle minimale, faite d’ajustements mutuels encadrés par les normes sociales en vigueur et par les normes d’échanges imposées par la plateforme en support19. Mais ensuite, des structures plus sophistiquées peuvent être nécessaires : à nouveau, on peut les penser comme une poursuite des processus émergents qui ont matérialisé la première structure, mais on peut également supposer

17 Sur les métaphysiques de l’action, voir Hatchuel, 2001. 18 Sur la rhétorique et le management, voir notamment Laufer, 2001.

19 Des grammaires relationnelles peuvent sembler non contraignantes parce que très proches des formes usuelles de l’échange social au quotidien. Or une liste, un tableau, un espace sur un écran pour écrire une phrase, des possibilités d’attacher un document constituent des formes d’organisation de la pensée. A ce sujet voir par exemple Goody (1977).

qu’en univers gouverné, c’est-à-dire, rappelons-le, dans un espace non entièrement fait de communautés auto-organisées, une certaine forme de régulation devra être conçue et mise en œuvre. On retrouve alors le débat classique sur les rapports entre formel et informel : d’un côté, pour Barnard (1938), le formel a pour terreau l’informel et de l’autre, pour Blau et Scott (1962), l’informel n’existe que grâce au formel, en tant que sous-produit normal du fonctionnement des organisations formelles. Nous retiendrons ici que l’émergent doit être dans un premier temps considéré comme ce qui est produit par les organisations lorsqu’elles fonctionnent en plus et à côté des systèmes formels qui sont leur structure officielle. Si, par ailleurs, on se rend compte qu’il est indispensable de capter beaucoup plus systématiquement la valeur de l’émergent, alors l’émergent devient objet de gestion et donc cible de rationalisation.

3.2. Associer one-to-many ET

many-to-many

Sauf à imaginer des systèmes à la fois consciemment coordonnés et capables d’évoluer sans pilotage identifié20, les actes de management se font et continueront de se faire en un « lieu de management » à partir d'informations issues de l’organisation, souvent dans une logique « remontante » dans les systèmes hiérarchiques traditionnels. La relation classique est une relation One (le manager) to Many (les acteurs et autres sources d'information). Les progrès des systèmes de reporting et de feed-back ont permis d’améliorer la dimension « Many to One » du management. Mais, empruntant la plupart du temps les mêmes canaux que le « One to Many », ils n’ont eu que peu d’impacts structurants sur les pratiques de management : au mieux représentent-ils une boucle de rétroaction de type adaptatif – la « simple boucle » d’Argyris et Schön (1978) – et à condition que ces systèmes soient effectivement utilisés, ce qui n’est pas nécessairement le cas. Les premiers travaux de Orr (1984), mentionnés plus haut, sur les communautés de pratiques ont, par exemple, montré que les systèmes officiels pouvaient ne pas être les plus efficaces ni les plus pertinents – en tout cas pas les plus utilisés - pour transmettre et faire évoluer des savoirs.

Les acteurs de l'entreprise, quant à eux, sont de plus en plus « connectés » à leur univers professionnel. Les

20 Ceci est à rapprocher de la définition que donne Barnard de l’organisation : « L’organisation est un système consciemment coordonné des énergies et activités de deux ou plusieurs personnes » (1938).

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formes de ces interactions sont multiples, mais leur présence est quotidienne : communications interpersonnelles, groupes projets et de pratique, benchmarks et évaluations croisées, réseaux sociaux internes, communautés de pratiques ou groupe d'innovation ouverte... Les résultats produits sont tout aussi variés : mutualisation de ressources rares, détections d'opportunités, accélération des pratiques de résolution de problème, intelligence collective et capitalisation des pratiques, reconnaissance non financière, développement de la polyvalence, etc. Les processus issus des nouvelles pratiques, transversaux, nombreux, et créant une valeur importante et diffuse, sont l’objet de dynamiques et de tensions que l'organisation traditionnelle a du mal à canaliser. Parce qu’ils lient des groupes d’acteurs, ou des groupes d’acteurs à d’autres groupes d’acteurs, on les qualifie de « many to many ». Bien utilisés, ils forment un vecteur puissant de motivation et de progrès, qui repositionne toutefois l'individu au sein d'organisations de plus en plus complexes. Maitriser et stimuler ces formes nouvelles d'énergie organisationnelle, gérer leur émergence, valoriser leurs acteurs et utiliser leurs productions pour le bien de l'organisation est l’impératif central du « management 2.0 ».

3.3. Mobiliser le « collectif »

Dans les nouvelles organisations, irriguées par le mode projet et les pratiques 2.0, il ne s’agit plus seulement pour les managers de mobiliser la structure qu’ils dirigent, mais de contribuer à la mobilisation d’une communauté d’individus engagés dans une multiplicité de groupes. L’efficacité de l’ensemble dépend de l’efficacité de chaque groupe, mais aussi de la cohérence, de la convergence et de l’enrichissement des efforts des groupes. Le management 2.0 repose sur une capacité gestionnaire de coordination et de focalisation, plus que d’injonction au sens classique du terme.

Nous pouvons faire l’hypothèse que la performance d’un tel management repose

(1) sur sa capacité à mettre chaque acteur en aptitude de pouvoir déterminer seul si l’action à laquelle il contribue est conforme à la stratégie collective,

(2) sur sa capacité à veiller à ce que les groupes variables qui interagissent ainsi se dotent de capacités d’autorégulation, toujours en conformité avec la stratégie collective et (3) sur sa capacité à tirer profit des connaissances

émergentes ainsi produites pour faire évoluer, en retour, la stratégie.

On voit que se renouvelle ici le débat stratégie/structure déjà instruit par Chandler (1962) : stratégie et structure s’engendrent toujours mutuellement, mais selon des modalités – systèmes de relations et dynamique de la connaissance – différentes. De même la question de la vision stratégique et de la façon dont cette vision est conçue et partagée se trouve-t-elle réinterrogée. De proche en proche c’est l’ensemble du contrat psychologique entre l’organisation et ses membres qui est ici en jeu, tant la nature et la dynamique des collaborations sont au cœur de ce qui justifie et motive un collectif.

L’une des hypothèses que l’on peut émettre est qu’une piste de solution se trouve dans le domaine des capacités organisationnelles (Penrose, 1959, Ulrich, 1991). En effet, définies comme le « savoir-agir » des organisations, les capacités organisationnelles transcendent les structures, pour qualifier l’aptitude d’un ensemble de ressources – y compris celles que représentent des communautés complexes - à se mettre au service d’un objectif.
 Si on accepte cette hypothèse, il devient stratégiquement intéressant pour une organisation gouvernée de mettre en place un système de pilotage des capacités organisationnelles (Fall, 2008 ; Blanc et Monomakhoff, 2008, Monomakhoff et Blanc, 2010) pour éclairer, pour chaque acteur, l’efficacité de l’opérationnalisation quotidienne de la stratégie, qu’elle soit le résultat d’action de communautés transverses ou de divisions organisées.


3.4. Maîtriser une organisation «

meta-dimensionnelle »

Dans le modèle idéal du 2.0, les organisations ne sont plus hiérarchiques, ni fonctionnelles, ni matricielles, ni territoriales, ni process, ni projet … elles sont tout à la fois et s’enrichissent de connexion avec leurs partenaires. Chaque responsable, dans son activité régulière, doit exercer des tâches de nature différente. Il peut être à la fois technicien, financier, informaticien, juriste, etc…Pour que l’efficacité d’ensemble s’améliore, des structures « métier » transverses ont été créées et font progresser les autres fonctions, s’enrichissant elles-mêmes grâce aux autres fonctions. Cette transversalité s’exerce également au-delà des limites des organisations qui créent des structures collaboratives diverses avec leurs partenaires, leurs clients et leurs fournisseurs. Pour assurer un bon management et un échange d’information efficace au sein de cet ensemble au contour incertain, il faut assurer une représentation puissante et adaptable de l'organisation et de ses parties prenantes.

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Cette capacité à modéliser l'entreprise étendue ou ce que l’on pourrait appeler « l’organisation méta-dimension-nelle » est critique.

3.5. Valoriser l’individu et le protéger

Après le monde de la promotion individuelle par la promotion hiérarchique, les nouveaux modèles de management des ressources humaines mettent en évidence les promotions horizontales, porteuses de valeur ajoutée pour l’individu, et pour son environnement. Le Web 2.0 étend à l’ensemble de l’organisation ce qui se faisait naturellement au sein de petits groupes organisés (Shaw, 1971), rendant ainsi plus visibles des rôles – facilitateurs, communicateurs, experts, etc. – des mécanismes de reconnaissance - par les pairs – et d’intermédiation. Les communautés 2.0 induisent de nouveaux modes d’appartenance et de reconnais-sance. Facilitateurs, communicateurs, experts, voire gourous : autant de façons de reconnaître et de valoriser les individus qui retrouveront dans l’entreprise une assise pour mieux exprimer certains de leurs talents. Ces outils fournissent aussi de quoi établir des critères permettant d’évaluer ces talents de formation, de synthèse, de communication, de rassemblement. L’identification de ces ressources parfois méconnues permet enfin de les protéger et éviter qu’elles ne quittent l’entreprise avec leur savoir.

4. Comment « piloter un nuage » ?

Quelles priorités pour les systèmes

d’information et leurs managers ?

L’entreprise 2.0 ne se réduit pas à une organisation à laquelle on aurait ajouté un « nuage », et nous ne voudrions pas ici ajouter une métaphore de plus à l’analyse : le cloud computing est une expression à la mode dans l’univers des systèmes d’information, mais nous reprenons ici l’expression, parce qu’elle permet, au moins temporairement, d’imager « l’entreprise augmentée » qui résulte de cette activité 2.0, et de faire comprendre la difficulté qu’il y a à « harnacher » ce nuage21. Rappelons également que le pilotage de la performance des processus, et les indicateurs financiers et physiques de réalisation sont des outils indispensables à la prospérité des organisations gouvernées. C’est en tout

21 L’expression est courante en langue anglaise : à titre indicatif, les mots-clés « harnessing » et « enterprise 2.0 » donnent un peu moins de 300000 entrées sur google, tandis que « harnessing cloud » et « 2.0 » pris ensemble en donnent 12700. En français, « maîtriser » et « nuage » ne donne rien qui ait trait à l’informatique, mais « maîtriser » et « cloud » donne 62800 résultats.

cas, majoritairement, la culture dominante en termes de management.

Ceci posé, les nouvelles pratiques, plus communicantes, plus ouvertes, plus interopérables, plus globales … seront plus efficaces si les organisations qui les mettent en place savent maîtriser leur « cloud » et amener la valeur qui y est produite à enrichir leur propre proposition de valeur. Mais « harnacher un nuage » et le mettre à l’ouvrage est une tâche difficile ! Les managers doivent mettre en place pour cela des démarches à la fois structurantes et adaptables qui permettent de conduire les opérations et de préparer les décisions à partir d’une gestion de l’information solide et utile. En raison de la masse et de la nature des informations échangées, les systèmes d'information jouent naturellement un rôle essentiel pour la performance de ces processus de décision et d'échanges.

Vu du spécialiste SI, - nous allons dans cette partie adopter une approche et un vocabulaire plus spécifiquement « Systèmes d’information » - les systèmes d’information permettent la captation, le traitement et la circulation de l'information, sa préservation et sa mise à disposition. Intégrés et interopérables, les SI assurent la connexion des acteurs et des organisations et leurs échanges d'information. Le point commun de toutes les innovations 2.0 est leur base technologique. Le SI est le système nerveux du « nuage ». Le système d'information est donc un facteur stratégique critique – encore davantage que dans le modèle « 1.0 » - et ce quel que soit le secteur d'activité ou la filière (de la finance à l’industrie, des collectivités territoriales aux laboratoires de recherche). Quels sont les défis lancés aux systèmes d’information, issus des constats faits dans les parties précédentes de cet article ? Quels sont les leviers qui peuvent aider à piloter le nuage ? Nous allons ici en aborder quatre : le pilotage multi-dimensionnel et les référentiels enrichis, la gestion des communautés, la gestion de l’organisation, des droits et de la gouvernance de l’information, le pilotage des capacités organisationnelles

4.1. Le pilotage multi-dimensionnel et les

référentiels enrichis

La modélisation des organisations repose actuellement majoritairement sur des représentations de deux types. D’une part, des modélisations à vocation managériale : ces modèles de haut niveau permettent d’expliciter différentes logiques de management (organisation hiérarchique, organisation matricielle, mode projet,

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réseaux, etc.) [Ferrary et al, 2004]. Si elles prennent bien en compte les règles de pouvoir (« qui a autorité sur qui et dans quel contexte »), elles ne permettent pas une structuration convenable des mesures, ni des consolidations multi-niveaux effectives à l’échelle d’un groupe. En effet, ces représentations ne garantissent ni la complétude (les mesures couvrent-elles toute l’entreprise ou seulement quelques zones ?), ni la non redondance des mesures (n’a-t-on pas pris en compte deux fois la même mesure ? Par exemple une dépense peut apparaître dans le cadre d’un projet et d’un service. Les traitements font encore beaucoup appel à des opérations manuelles (par exemple relevés de dépenses sur un projet) et non homogènes (les regroupements peuvent être différents d’un projet à un autre).

D’autre part, des modèles multidimensionnels (Gouarné, 1998) : ces modèles sont destinés à gérer des quantités d’informations (mesures) très importantes avec des consolidations multi-niveaux automatisées et rapides car très optimisées22.

Des travaux récents privilégient des modèles hybrides (associant des représentations hiérarchiques issues du monde décisionnel et représentations relationnelles pour ajouter du sens) (Labrousse, 2007). Ces modèles sont qualifiés de « modèles en paillettes ». Chaque facette peut être vue comme un axe d’analyse, permettant de prendre en compte les différents modes de management (hiérarchique, fonctionnel, etc.). Ils ouvrent une piste qui permet de réconcilier les approches managériales et décisionnelles et de représenter des réalités plus complexes et plus variables dans leur structure.

La collaboration à grande échelle nécessite de se mettre d’accord sur le vocabulaire et sur les références techniques. Il faut partager et rendre disponible des taxinomies pour les objets de gestion et d’information (les partenaires, les clients, les produits, les ressources …). Il faut aussi définir des meta-data et des mots clés pour classer et retrouver les informations. D’abord réalisée à l’échelle d’une partie de l’organisation, puis étendue à l’organisation, elle gagne le secteur d’activité,

22 Des tentatives visant à réconcilier ces différentes

approches existent. On peut citer par exemple la très intéressante démarche ECOGRAI (Bitton, 1990), qui s’appuie sur des outils de pilotage (grilles et réseaux GRAI) et met en exergue l’importance de la mesure et des indicateurs de décision. Mais la méthode ne structure pas suffisamment la consolidation et l’analyse multi-niveaux des mesures et indicateurs à l’échelle d’un groupe, ce qui tend à en limiter l’usage à des périmètres plus restreints (par exemple un site donné).

jusqu’à devenir universelle, au fil du développement d’approches transverses. A chaque extension, il y a des risques de remises en cause, des nécessités de redéfinitions, d’arbitrages et de résolutions de quiproquo. Comme on l’a vu plus haut, les coopérations 2.0 ont la capacité de faire émerger des taxinomies innovantes pour caractériser les nouveaux objets, mais aussi de créer de la confusion en ne sachant pas correctement appliquer les taxonomies existantes. Dans un cas comme dans l’autre, l’organisation gouvernée se doit de travailler à optimiser l’engagement des ressources qui lui sont confiées. Elle cherchera donc a améliorer sa maîtrise de ces référentiels émergeants, et à es « institutionnaliser » régulièrement, pour enrichir son référentiel corporate de nouveaux acquis conceptuels et formels.

On mesure bien l’enjeu de cette modélisation complexe, à l’aide de référentiel enrichis, sans laquelle il y a beaucoup de déperdition de création de valeur (si on ne sait pas dire, par exemple : quel part de marché sur tel nouveau segment, tel taux de satisfaction sur tel territoire, combien d’utilisateurs de ce nouveau mot sur telle communautés ?). Intégrée aux outils de gestion intégrée (ERP) et de reporting (BI), elle garantit une couverture homogène et conforme des actes de gestion ou de production (Combien ?). A plus grande échelle, elle doit pouvoir représenter l'organisation et sa gouvernance (Qui ? et Où ?). De manière plus récente et originale, elle doit intégrer la vision et les éléments clés de l'excellence opérationnelle (Comment ? et Pourquoi ?).

Mais on mesure également la difficulté de cette gestion extrêmement dynamique (beaucoup de sources et d’occasions de changement) d’éléments par définition structurants, et les contraintes qu’elle impose aux systèmes d’information à venir.

4.2. La gestion des communautés

La façon dont les groupes se constituent et fonctionnent a fait l’objet de très nombreuses recherches. Parallèlement, les chercheurs se sont intéressés aux structures organisationnelles, à leur fonctionnement et à leurs évolutions : structures simples, fonctionnelles, « staff and line », multidivisionnelles, matricielles, de projet, en réseau, « orientées conception », ont marqué l’évolution de l’organisation des entreprises. Les systèmes de pilotage et de contrôle, dont les systèmes d’information, ont évolué en conséquence. On remarquera néanmoins une séparation entre, d’une part, les travaux sur les groupes, leur dynamique, l’intérêt comparé des démarches autoritaires et participatives et, d’autre part,

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les travaux portant sur les grands outils de pilotage et de contrôle comme le management par objectifs, les démarches qualité, les méthodes et modèles du management de projet : dans ces derniers, la notion de groupe est quasiment absente des représentations du collectif concerné.

Les problématiques actuelles de dynamique des organisations, tout en se situant dans le prolongement de ces lignées de recherche, apportent un certain nombre de renouvellements fondamentaux :

- le « temps réel » et les possibilités de communication instantanée et de polychronie, accroissent la performance de certains processus mais comportent des risques de rupture qualitative dans les logiques de coordination ;

- la question des équipes virtuelles se pose depuis une quinzaine d’années, les technologies de communication permettant, dans une certaine mesure, de pallier les limites de la distance physique ; pour autant, les modes de constitution et de fonctionnement des groupes restent largement à analyser ;

- les entreprises étendues, les structures en réseau, les organisations orientées conception posent des problèmes de coordination et de contrôle inédits, tant pour ce qui concerne les processus opérationnels de déploiement des stratégies et d’acquisition des capacités que pour le pilotage et le contrôle des processus d’innovation ;

- les pratiques de coopétition, les partenariats d’exploration, les consortia d’entreprise et de laboratoires autour de projets de recherche publics, les groupements d’entreprises qui mutualisent les ressources et les compétences, sont autant de situations qui supposent des outils de pilotage et de contrôle originaux, renouvelant la question ancienne de l’équilibre entre procédures bureaucratiques et pratiques corporatives, entre formel et informel, entre centralisation et décentralisation du pilotage.

L’intelligence collective s’ajoute à l’intelligence individuelle et les communautés sont l’organe fédérateur de l’intelligence collective. A ce titre les organisations gouvernées se doivent d’en assurer un fonctionnement correspondant à leur éthique et leurs objectifs. Le premier enjeu est en premier lieu d'en assurer le peuplement et la contribution spontanée. Il faut donc trouver et entretenir les moteurs de la motivation individuelle (recon-naissance non financière, confort des pratiques habituelles, dynamique exis-tentielle ...). Une fois cet objectif atteint, la gouvernance des groupes de travail est doit s’adapter à leur nature (groupe projet, group

d’experts, groupe fonctionnel, etc.), et adopter des règles d’organisation différentes, pour que le groupe soit efficace. Il faut, enfin, faire en sorte que les contributions produites concourent à la construction d'un "meilleur", cohérent avec les objectifs stratégiques de l'organisation, en donnant aux contributeurs les repères nécessaires. On le voit, la façon dont les groupes devraient, en fonction des besoins, se constituer, évoluer, se défaire, interagir les uns avec les autres dans des situations stratégiques et managériales complexes doit faire l’objet d’analyses et d’inventions scientifiques qui concilient les deux versants de la recherche : celle sur la dynamique des groupes et celle sur les modèles et outils de pilotage et de contrôle.

4.3. La gestion de l’organisation et des

droits et la gouvernance de l’information

L’information se multiplie, se dissémine, se parcellise. La désinformation aussi. La protection de l’information devient un enjeu plus difficile à maîtriser. L’information est à la fois un capital à protéger et à communiquer. Ce dilemme ne peut se résoudre qu’avec une bonne gestion des flux d’information entre les organisations et les personnes. Garantir la propriété intellectuelle, la confidentialité et la diffusion correcte de l’information, repose sur des règles de gestion et des outils techniques précis, ainsi que sur une discipline collective. Chaque organisation doit formuler sa propre charte et former les collaborateurs à son emploi. A l’intérieur de ces groupes, les règles de gestion de l’information, ainsi que celles de publication doivent aussi être adaptées, comprises et respectées.

Il faut piloter l’information que les communautés diffusent vers les personnes, et celle que les personnes capitalisent dans les communautés. Au cœur de ce pilotage se trouvent les outils de gestion des droits sur lesquels reposent à la fois la sécurité et l’efficacité. Pour que ces règles fonctionnent, l’organisation gouvernée doit être capable de décrire complètement sa gouvernance avec pertinence et précision dans un annuaire fonctionnel étendu, ce qui demande de combiner les référentiels enrichis pour décrire les objets de gestion de l’organisation, de gérer la délégation successive des domaines de responsabilité et d’affecter les individus participants à cette gouvernance (qu’ils soient ou non dans l’organisation).

Dans une gestion avancée des droits, il faut également être capable, pour tout accès à une transaction ou information, de cumuler les droits d’un utilisateur issus

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de données de contexte local, de droits issus de ses responsabilités décrites dans la gouvernance de l’organisation et des droits issus de ses affectations à des groupes ou communautés.

On le voit, la gestion des autorisations, des profils et des communautés va demander de nouveaux outils et de nouvelles approches d’architecture des S.I. La représentation de la gouvernance, la mutualisation interapplicative de la gestion des droits, la gestion de règles complexes d’autorisation et de contrôle d’accès aux données sont des chantiers complexes et ingrats qui vont se développer en même temps que les outils et pratiques 2.0. On imagine aisément les difficultés qui accompagnent la mise en œuvre de telles solutions entre plusieurs organisations, voire à l’échelle d’une méta-organisation, comme des communautés d’experts travaillant en co-conception confidentielle sur les plateformes de leurs organisations dans une gestion mutualisée des droits.

4.4.

La

gestion

des

capacités

organisationnelles

Dans un programme de recherche récent sur le « pilotage 2.0 » (ANR 07 TLOG 016-01), ce pilotage est défini comme « le moyen pour les dirigeants des organisations complexes en mouvement permanent, dont les composantes sont animées par de nombreux vecteurs (hiérarchies, réseaux fonctionnels, programmes, plans d'action), de mesurer en permanence l'état et l'alignement stratégique des entités et le progrès de la performance ». L’expérience d’organisations pionnières en la matière, mais très « gouvernées » (Fall, 2008 ; Monomakhoff et Blanc, 2010), montre que la structuration et la maîtrise des connaissances métiers, traduites en actions de tous les jours et confiées aux acteurs de l’organisation, permettent l’amélioration des performances de cette organisation, quelque soit la ressource qui a réalisé l’action et les modalités pratiques (ou processus) retenues en l’occurrence. Mais la qualité et la persistance de cette mesure repose sur une condition forte : une pleine adhésion des acteurs de terrain, elle-même conditionnée par l’évidence de la pertinence des mesures demandées et le service rendu à l'utilisateur et aux communautés de pratiques…

Il s’agit donc de définir, au service des communautés concernées, une méthodologie de mise sous contrôle de l’organisation (description, évaluation, communication), au travers d’un système de tableaux de bords capable de traiter les horizons stratégique, tactique et opérationnel.

Le résultat doit être un outil collectif de motivation individuelle, permettant à chacun d’apporter à la communauté et de recevoir. Il en découle un pilotage qui rend facilement compte de la pertinence stratégique des modifications survenues sur le terrain et qui génère une profonde appropriation dans la culture locale des différentes communautés par le lien qu’il produit entre des réalisations quotidiennes et cette pertinence. Lié aux résultats concrets et non aux structures et processus, ce mode de pilotage des capacités organisationnelles redonne du sens à l’exigence qui doit orienter l’action des communautés de l’organisation gouvernée. Il complète le SI de pilotage de l’organisation, qui se dote ainsi d’un ECP (Entreprise Capacity Planning – Fall, 2008) pour piloter son évolution organisationnelle au même titre que son ERP (Entreprise Resource Planning) gère la performance de sa chaîne de production de valeur.

Conclusion

Nous avons tenté, dans cet article, de poser la question du « 2.0 » de façon à intégrer dans une même conception les dimensions communautaire et de réseaux sociaux émergents, les ressorts et enjeux de gouvernance des organisations et la dimension pilotage et systèmes d’information. Le « 2.0 » a été présenté selon quatre points de vue complémentaires – la plateforme, le many to many, le communautaire, l’émergent. Nous avons ensuite montré comment les « univers gouvernés », s’ils adoptaient les pratiques du 2.0 au service des objectifs qu’ils visent, devaient intégrer une « fabrique » différente de l’intelligence collective au travers de groupes émergents, comment ils devaient s’adapter à la coopétition et à l’interopérabilité et maîtriser le langage de la collaboration étendue, et comment le 2.0 pouvait permettre de cultiver des champs de création de valeur pour demain. Des idées reçues et de fausses évidences autour de la hiérarchie, du communautaire et de l’émergent ont été revisitées, et quelques enjeux critiques pour le « passage au 2.0 » identifiés : associer one-to-one et many-to-many, mobiliser le collectif, valoriser une organisation « méta-dimensionnelle » et valoriser et protéger l’individu. Enfin, nous avons vu que pour « piloter le nuage », le système d’information était central et fait l’hypothèse que l’enjeu pour les DSI était de pouvoir progresser dans la maîtrise de quatre leviers : le pilotage multi-dimensionnel et les référentiels enrichis, la gestion des communautés, la gestion de l’organisation, des droits et de la gouvernance de l’information, le pilotage des capacités organisationnelles.

De nombreuses pistes de recherche s’ouvrent à la suite de notre proposition de formulation du problème.

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