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u FACULTE DES SCIENCES D'EDUCATION
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™ESE
PRESENTEE
A L'ECOLE DES GRADUES
DE L'UNIVERSITE LAVAL
COMME EXIGENCE PARTIELLE
POUR L'OBTENTION
DU GRADE DE MAITRISE EN SCIENCES DE L'EDUCATION (M.A.)
(ADMINISTRATION SCOLAIRE)
PAR
ANDRE PHILIPPE
LES REDOUBLEMENTS DANS LES ECOLES PRIMAIRES RURALES PUBLIQUES
D 'HAÏTI
ET LEURS INCIDENCES SOCIO-ECONOMIQUES
g o u f d ' a l l e r t o u j o u r s pl u s l o i n ; A mon co u ra ge u x p è re , A u g u s t e , qui d e p u i s d éjà 50 a n s s 'a d o n n e i n la s s a b l e m e n t à la d i f f i c i l e tâ ch e de montrer aux j e u n e s g é n é r a t i o n s h a ï t i e n n e s comment " s u r v i v r e " ; Je la d éd ie a u s s i à mon épouse b ie n -a im é e , B e t t y , qui a accepte de p a r t a g e r avec mot l e s s a c r i f i c e s im p o sé s par c e t t e re c h e rc h e ; A ma f i l l e M a r i e - C a s s a n d r e , p o i r q u 'e l le découvre le p l a i s i r " d 'a p p r e n d r e à a p p re n d re " e t q u ' e l l e vie n n e à comprendre que l 'é d u c a t i o n e s t un voyage a u s s i long que la v i e .
AVANT-PROPOS
Dans le foisonnement des réformes, expériences et bouleversements
qui, depuis le début des années 70, ne cesse de caractériser le système
éducatif haïtien, il nous apparaît nécessaire, sinon urgent, de porter
notre réflexion sur un des problèmes les plus cuisants de ce système, à
savoir, la déperdition scolaire au premier cycle rural public. Ce problè
me, nous voulons l'aborder sous son aspect quantitatif, c'est-à-dire, en
essayant de mesurer les incidences socio-économiques des redoublements sur
le fonctionnement interne du système.
Si cette recherche contribue à mettre en évidence le gaspillage énor
me de ressources humaines et financières que représentent les taux élevés
de redoublement dans l'enseignement primaire rural haïtien, si elle aide
les responsables de la politique éducative dans une éventuelle lutte contre
la déperdition scolaire en Haïti, nous aurons sans doute atteint notre ob
jectif principal.
Qu'il nous soit permis d'exprimer notre profonde gratitude à notre
directeur de thèse, Monsieur Oean Moisset, professeur au Département
d 'Administration et Politique scolaires de l'Université Laval. Sa
compétence, son dévouement et son sens critique nous ont été d'un atout
de recherche ont largement contribué à la réalisation de cette thèse.
D'autres amis et collaborateurs se sont prêtés de bonne grâce à la
concrétisation de cette recherche. Il s'agit de Maître Roger Lamour, Ins
pecteur Départemental du Sud (Haïti), qui, dans des circonstances souvent
difficiles, nous a apporté une collaboration soutenue dans la cueillette
des informations nécessaires auprès du Département de l'Education Nationale
(D.E.N.); MM. Antoine Ambroise du Département de Science Politique, Roland
Ouellet, du Département d 'Administration et Politique scolaires de l'Uni
versité Laval, pour leurs suggestions et assistances fort appréciées. Nous
leur disons toute notre reconnaissance.
Nous exprimons enfin nos hommages et notre gratitude à notre épouse
bien-aimée Betty L. pour sa patience et sa compréhension. Elle a non seu
lement aidé à la dactylographie de cette thèse, mais elle a su admirable
ment s'adapter aux conditions mouvantes imposées par la réalisation de
— i i i —
AVANT-PROPOS... i
LISTE DES TABLEAUX... vi
LISTE DES DIAGRAMMES ET GRAPHIQUES... vii
INTRODUCTION... 1
PREMIERE PARTIE; 1. LA POSITION DU PROBLEME 1.1 Situation socio-économique d'Haiti... 4
1.2 Situation actuelle de l'enseignement en Haïti... 7
1.3 La déperdition dans l'enseignement primaire en Haïti.... 11
1.3.1 Quelques généralités et faits saillants... 11
1.3.2 Aspects quantitatifs et financiers... 12
1.3.3 Définition et circonscription du problème... 18
1.3.4 Objectifs de l'étude... 19
1.4 Pertinence de la question... 20
1.4.1 Pertinence théorique: les limites des études an- 20 térieures... 1.4.2 Pertinence sociale: les incidences socio-écono- 22 miques de l'étude des coûts des redoublements.... 1.4.3 Pertinence politique: contribution à une nouvel- 23 le orientation de l'Ecole Haïtienne... DEUXIEME PARTIE: 2. REVUE DE LA LITTERATURE ET CADRE DE REFERENCE 2.1 Introduction... 25
2.2 Différentes approches du problème du redoublement... 25
2.2.1 Le redoublement vu dans une perspective pédagogi- 26 g u e ... 2.2.2 Le redoublement vu dans une perspective économi- 31 q u e ... 2.2.3 Le redoublement et les études statistiques de 33 l'UNESCO... 2.3 Cadre de référence... 34
2.3.1 Les limites de l'étude... 35
2.3.2 Les concepts-clé de l'étude... 37
2.3.2.1 Le concept de redoublement... 38
2.3.2.2 Le concept de rendement de l'enseignement 38 2.3.2.3 Le concept de coût de l'enseignement.... 40
TABLE DES MATIERES
TROISIEME PARTIE: 3. ASPECTS METHODOLOGIQUES DE LA RECHERCHE
3.1 Introduction... 48
3.2 Stratégie de cueillette des données... 49
3.2.1 Documents statistiques utilisés... 49
3.2.2 Lacunes et faiblesses de ces documents... 50
3.2.3 Avantages offerts par ces documents... 51
3.3 Instruments de mesure utilisés dans cette recherche... 54
3.3.1 Population visée par l'étude... 54
3.3.2 Définition des termes et outils statistiques uti- 55 s é s ... 3.3.3 Méthodes de calcul impliquées pour la description 56 et la mesure du phénomène du redoublement... 3.3.3.1 La méthode des cohortes reconstituées... 57
3.3.3.2 Méthode d'évaluation du rendement réel 64 de la cohorte considérée... 3.3.3.3 Méthode d'évaluation des coûts impliqués 66 dans notre étude... 3.4 Rappel des objectifs visés par l'étude... 67
QUATRIEME PARTIE: 4. ANALYSE ET INTERPRETATION DES DONNEES 4.1 Introduction... 69
4.2 Plan d'analyse 70
4.3 Présentation des données statistiques relatives à l'en- 72
semble des écoles primaires rurales publiques d'Haïti entre 1975/76 et 1981/82...
4.4 Niveau global de redoublement dans l'enseignement pri- 77
maire rural public entre 1975/76 et 1981/82...
4.5 Flux réel des effectifs scolaires au premier cycle rural 80
entre 1975/76 et 1981/82...
4.6 Evolution d'une cohorte de 1,000 élèves inscrits au pre- 87
mier cycle rural entre 1975/76...
4.7 Profil de redoublement dans l'enseignement primaire rural 95
public haïtien de 1975/76 à 1981/82...
V
-Page
4.8 Analyse combinée de rendement et de coût de l'enseignement 99
primaire rural public haïtien entre 1975/76 et 1981/82..
4.9 Diagnostic sommaire de la situation actuelle de l'ensei- 111
gnement primaire rural public d'Haïti...
CINQUIEME PARTIE - 5. CONCLUSION
5.1 Rappel des points saillants de l'étude... 116
5.2 Quelques pistes de solutions pour l'avenir... 121
LISTE DES TABLEAUX
1.1 REPARTITION, PAR GROUPE D'AGE, DES TAUX D 'ALPHABETISME, 1971
1.2 EFFECTIFS D'ELEVES ET PROPORTION DE REDOUBLANTS PAR NIVEAU.
OCTOBRE 1976. ENSEIGNEMENT PRIMAIRE RURAL PUBLIC.
1.3 POURCENTAGE DE REDOUBLANTS DE L'ENS. PRIMAIRE RURAL HAÏTIEN
QUI REDOUBLENT LA MEME ANNEE POUR LA 2EME ET 3EME FOIS, PAR ANNEE D'ETUDES ET AU COURS DE L'ENSEMBLE DU CYCLE.
1.4 POURCENTAGE DE REDOUBLANTS DANS L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE EN
HAÏTI. GARÇONS ET FILLES.
1.5 POURCENTAGE DE REDOUBLANTS DANS L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE.
GARÇONS ET FILLES.
4.1 EFFECTIFS PAR ANNEE D'ETUDES DANS L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
RURAL PUBLIC (FILLES ET GARÇONS).
4.2 REPARTITION EN POURCENTAGE DES EFFECTIFS SCOLARISES DES
ECOLES PUBLIQUES PAR ANNEE D'ETUDES EN MILIEU RURAL, DE 1975/76 A 1981/82.
4.3 POURCENTAGE DES REDOUBLANTS DANS CHAQUE ANNEE D'ETUDES DE
1975/76 A 1981/82.
4.4 EVOLUTION DU NIVEAU DE REDOUBLEMENT DANS LES EPRP POUR LA PERIODE ALLANT DE 1975/76 A 1981/82.
4.5 EFFECTIFS, REDOUBLEMENTS, PROMOTIONS ET ABANDONS DANS L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE RURAL PUBLIC. PERIODE 1975/76 A 1981/82 (FILLES ET GARÇONS).
4.6 TAUX DE REDOUBLEMENT, DE PROMOTION ET D'ABANDON OBSERVES DANS L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE RURAL PUBLIC. PERIODE 1975/76 A 1980/81.
4.7 PROFIL DES ELEVES REDOUBLANT LA MEME CLASSE D'UNE COHORTE DE 1,000 ELEVES. ENS. PRIMAIRE RURAL PUBLIC. DE 1975/76 A 1981/82.
4.8 PROGRESSION DES EFFECTIFS DE LA PREMIERE (75/76) JUSQU'A LA DERNIERE ANNEE D'ETUDES (81-82) DANS L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
RURAL PUBLIC D 'HAÏTI, EN PRENANT POUR BASE 62,430 = 1,000.
4.9 DEPENSES DE L'ETAT HAÏTIEN POUR L'EDUCATION PAR TYPE D'ENSEI
GNEMENT. BUDGET DE FONCTIONNEMENT, 1976/77. EN MILLIERS DE GOURDES.
4.10 REPARTITION DE L'AIDE ETRANGERE CONSACREE A L'ENSEIGNEMENT RURAL EN HAÏTI. 1976. 7 13 14 15 15 73 74 77 79 82 85 96 102 105 Page 107
— v i i — DIAGRAMME 3.1 DIAGRAMME 3.2 GRAPHIQUE 4.1 DIAGRAMME 4.1 DIAGRAMME 4.2 DIAGRAMME 4.3 DIAGRAMME 4.4 GRAPHIQUE 4.2 DIAGRAMME 4.5
LISTE DES DIAGRAMMES ET GRAPHIQUES
FLUX D'ELEVES ENTRE LES ANNEES D'ETUDES 1 ET 2 POUR LES DEUX ANNEES SCOLAIRES T ET T + 1.
RECONSTITUTION DE L'HISTOIRE D'UNE COHORTE PAR ANNEE SCOLAIRE ET PAR ANNEE D'ETUDES.
POURCENTAGE D'ELEVES PAR ANNEE D'ETUDES DANS LES ECOLES PRIMAIRES PUBLIQUES EN MILIEU RURAL.
1975/76, 1978/79, 1981/82.
MOUVEMENT DES ELEVES INSCRITS EN ANNEE D'ETUDES 1 DANS LES EPRP D'HAITI DE 1975/76 A 1976/77.
CONVERSION DES DONNEES REELLES EN POURCENTAGE EN PRENANT POUR BASE 64,230 = 100.
FLUX REEL DES EFFECTIFS DANS L'ENS. DU PREMIER CYCLE. PERIODE 1975/76 A 1981/82 (ZONES RURALES, FILLES ET GARÇONS).
EVOLUTION D'UNE COHORTE DE 1,000 ELEVES DANS L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE RURAL PUBLIC SELON LES TAUX DE REDOUBLEMENT, DE PROMOTION ET D'ABANDON OBSERVES AU TABLEAU 4.6.
PROFIL DE REDOUBLEMENT PAR ANNEE D'ETUDES DANS LE PREMIER CYCLE RURAL HAÏTIEN. DE 1975/76 A 1980/81.
DIVERS INDICATEURS QUI PERMETTENT D'EVALUER LE RENDEMENT DE L'ENSEIGNEMENT AU PREMIER CYCLE RURAL EN HAÏTI, TEL QU'IL RESSORT DU DIAGRAMME 4.4.
58 62 75 81 84 89 91 97 Page 100
5IGLES
ACDI : AGENCE CANADIENNE DE DEVELOPPEMENT INTERNATIONAL
BID : BANQUE INTERAMERICAINE DE DEVELOPPEMENT
BIE : BUREAU INTERNATIONAL DE L'EDUCATION
CEP : CERTIFICAT D ’ETUDES PRIMAIRES
CONADEP : COMITE NATIONAL DE DEVELOPPEMENT ET DE PLANIFICATION
DARNDR : DEPARTEMENT DE L ’AGRICULTURE, DES RESSOURCES NATURELLES ET DU
DEVELOPPEMENT RURAL
DEN : DEPARTEMENT DE L ’EDUCATION NATIONALE
DRIPP : DEVELOPPEMENT REGIONAL INTEGRE DE PETIT-GOAVE ET
PETIT-TROU DE NIPPES
EPRP : ECOLES PRIMAIRES RURALES PUBLIQUES
PNUD : PROGRAMME DES NATIONS-UNIES POUR LE DEVELOPPEMENT
TNS : TAUX NET DE SCOLARISATION
UARD : UNITE D ’ANALYSE ET DE RECHERCHE DEMOGRAPHIQUES
INTRODUCTION
De prime abord, le problème des échecs scolaires - à l'intérieur du
quel s'inscrit le phénomène du redoublement - semble relever uniquement du
domaine de la psycho-pédagogie. Parents et maîtres se sont vite accoutumés
à associer succès scolaire et quotient intellectuel des enfants, et se con
tentent la plupart du temps de constater que ceux qui sont intelligents
réussissent à l'école tandis que les autres sont voués soit à l'abandon
précoce des études, soit au redoublement.
Mais, devant le nombre croissant d'élèves qui échouent chaque année,
devant l'augmentation significative des dépenses d'éducation, les adminis
trateurs et les responsables de l'enseignement ont peu à peu pris conscien
ce que le phénomène des échecs et des retards scolaires ne peut être envi
sagé uniquement sous un angle psycho-pédagogique, il doit être également
confronté sous un angle socio-économique.
En effet, les échecs scolaires allongent la durée normale de la sco
larité, obligeant les élèves à "doubler" une ou plusieurs classes, quand
ils ne les contraignent pas à l'abandon pur et simple en cours de route.
Un certain nombre d'années/élève se trouve ainsi dépensé en plus du minimum
une disparité criante entre, d'une part, leur effort financier en faveur de
l'éducation (inputs) et d'autre part, les résultats de cet effort mesuré
par la quantité d'élèves qui complètent leurs études et par le niveau
d'instruction de la population (outputs). Ce sont toutes ces constatations
qui placent le problème du rendement de l'enseignement et de la déperdition
d'effectifs au coeur des recherches actuelles en Pédagogie.
Le présent rapport se veut une contribution dans une éventuelle lutte
contre la déperdition scolaire en Haïti. Il constitue une étude quantita
tive de l'ampleur, de l'évolution et du profil du redoublement dans l'en
seignement primaire rural haïtien. Et il sera articulé en cinq étapes.
Dans une première partie, nous situerons le pays de l'étude dans son
contexte véritable de sous-développement socio-économique, pour ensuite
présenter la problématique de notre recherche et établir la pertinence du
sujet abordé.
Suivra au chapitre II une revue de la littérature pertinente où nous
ferons l'inventaire, d'une part, des différentes approches du problème du
redoublement dans le monde, et d'autre part, des concepts et éléments rete
nus pour asseoir notre analyse (cadre de référence).
Le chaptire III portera sur la discussion des aspects méthodologiques
de la recherche et la définition des "outils" statistiques utilisés dans
notre démarche; tandis que le chapitre IV sera consacré à l'analyse et
l'interprétation des données statistiques recueillies, pour ensuite débou
cher sur un diagnostic sommaire de la situation actuelle de l'enseignement
Enfin, dans une dernière partie (chap.V), en guise de conclusion,
nous dégagerons les points saillants de l'étude et proposerons certaines
avenues susceptibles de colmater ce gaspillage de ressources humaines et
financières que représente le redoublement dans les écoles rurales publi
LA POSITION DU PROBLEME
Pour mieux circonscrire le problème des redoublements dans les EPRP
d'Haïti, il nous apparaît non seulement utile, mais nécessaire de situer
l'ensemble du système scolaire haïtien dans son contexte économique et so
cial .
1.1 Situation économique d'Haïti
"De tous les pays de l'Amérique Latine, Haïti est le plus sous-déve-
loppé". Ce jugement peut paraître extrêmement sévère, certes - il vient de
la Bangue Inter-Américaine de Développement (BID) - mais il n'est pas sans
justesse. Un rapide coup d'oeil sur le relevé signalétique qui suit nous
Population Superficie Industries Agriculture---Population rurale----Population urbaine---Densité démographique Taux d 'accroissement-Espérance de
vie---Mortalité infantile (1 à 4 ans)
Nombre
d'hôpitaux---Nombre d'habitants pour un médecin
Taux
d'analphabétisme---Taux de scolarisation (6 à 24 ans)
Revenu per capita
5.700.000 habitants
28,750 km2
rhum, mélasse, tourisme, transformation/assemblage
café, riz, coton, cacao, sucre
75% 25% 195 hab./km^ 2.89 47 ans/hommes - 50 ans/femmes 170/1,000 habitants 44 15.000 78% 22% 200 $ US
Comme toutes les moyennes statistiques, les données socio-économiques
qui composent ce relevé signalétique ne sont que des indicateurs de sous-
développement. Elles laissent à peine entrevoir les multiples disparités
et contradictions qui séparent et opposent entre elles, d'une part, les ré-
qions urbaines et rurales du pays, et d'autre part, les différentes classes
sociales haïtiennes. S'il est vrai, en effet, que le revenu annuel par ha
bitant ($200) est un des plus bas du monde, il n'en demeure pas moins
qu'environ 1% de la population se partage plus de 44% du revenu total tan
dis que 61% de la population vit avec $60 par année. On se trouve ainsi
face à un grave problème de "distribution extrêmement inéquitable" de la
richesse du pays, problème qui, au-delà des considérations sociales, a des
répercussions négatives sur le développement économique du pays aussi bien
que sur son éducation. En effet, comme l'indique une étude de l'UNESCO
(1957, p . 186).
"Le développement de l'instruction dans un pays est peut-être encore plus étroitement lié à la répartition du revenu dans ce pays qu'au montant du revenu par
habitant. Lorsque le revenu est concentré entre les
mains d'une petite partie de la population, l'instruc tion tend à être le privilège de quelques-uns, et une grande partie de la population demeure analphabète. D'autre part, lorsqu'un plus grand nombre de personnes savent lire et écrire et que l'instruction en général est plus répandue, l'écart diminue, entre les ressour ces du groupe d'habitants ayant un revenu élevé et celles de personnes à faible revenu, et l'on tend vers une répartition plus égale de l'ensemble du revenu na tional" .
Bien qu'elle date déjà de quelques années, cette constatation, faite
par l'UNESCO à propos de l'analphabétisme dans le monde, nous apparaît per
tinente et fondamentale pour bien comprendre la situation actuelle de l'en
seignement en Haïti. En effet, malgré le fait que toutes les constitutions
du pays ont, depuis 1805 jusqu'à nos jours, consacré et réitéré les princi
-7-spectacle d'un peuple à majorité illettré et opprimé, victime d'une distri
bution extrêmement inéquitable des revenus, vivant en dessous du seuil de
la pauvreté absolue, et en proie à des problèmes de malnutrition chroni
que. Et dans la mesure où un pays sous-développé est un pays sous-ensei-
gné, il nous semble tout à fait logique que son sous-développement se ré
percute dans son système scolaire.
1.2 Situation actuelle de l'enseignement en Haïti
Si nous nous référons au recensement général de la population en 1971,
on sait que le taux d'alphabétisme, c'est-à-dire le pourcentage de person
nes de 10 ans et plus sachant lire et écrire, en Haïti est de 22%. Malgré
les progrès réalisés par rapport aux années 1950 - où le taux d'alphabétis
me atteignait seulement les 10% - la situation de l'enseignement en Haïti
révèle des carences importantes comme le montre le tableau suivant:
Tableau 1.1: Répartition, par groupes d'âge, des taux d 'alphabétisme. 1971.
Haiti total Pop. urbaine Pop. rurale
Age Les deux Les deux Les deux
sexes m a s c . fém. sexes m a s c . fém. sexes m a s c . fém.
(1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) (8) (9) (10) 10-14 27 28 26 61 68 55 17 19 15 15-19 33 36 31 66 78 59 22 26 19 20-24 30 36 24 61 76 51 19 26 13 25-29 24 31 17 55 70 45 15 22 8 30-34 20 28 14 52 67 42 12 19 6 35-39 16 22 11 48 61 38 9 15 4 40-44 15 20 11 48 59 39 8 12 4 45-49 14 18 10 47 58 39 7 11 3 50-54 14 17 10 49 59 40 6 10 2 55-59 13 17 9 48 60 38 6 9 2 60-64 11 14 8 44 57 36 4 7 1 65-69 10 13 7 42 55 34 3 6 1 70-74 9 12 8 40 52 34 4 6 1 75et+ 9 11 8 40 52 35 3 5 1 10et+ 22 27 18 56 68 48 13 18 9
Ce tableau permet quelques constatations intéressantes sur les taux
d 'alphabétisme par groupe d'âge, en même temps qu'il met en évidence des
différences très sensibles entre régions urbaines et régions rurales. Plus
que la moitié des gens, en milieu urbain, sont recensés comme alphabétisés,
tandis qu'ils représentent 13% seulement en milieu rural.
Mais on ne saurait parler de taux d 'alphabétisme sans parler aussi de
fréquentation scolaire, laquelle se mesure par le taux de scolarisation.
Sur la base des données nationales de 1978/79, ce taux de scolarisation,
c'est-à-dire le rapport population scolaire / population scolarisable de 6
à 24 ans est de 48% dans les villes et de 13% dans les campagnes. Le total
des élèves de l'enseignement primaire est de 8% par rapport à la population
totale du pays, alors qu'en République Dominicaine, notre plus proche voi
sin, il est, selon Wiesler (1978, p.14), de 20% et au Mexique, 18%. Par
ailleurs, selon les résultats de l'enquête de 1980/81 menée par le D.E.N.
(1981, p.34) sur un total de 887,400 enfants de 6 à 12 ans seulement
378,100 du même groupe d'âge seraient inscrits dans les écoles primaires,
ce qui représente un taux net de scolarisation (TNS) de 42,6%. Autrement
dit, il y aurait 509,300 enfants de 6 à 12 ans qui ne fréquentent aucune
école primaire. Comparant ensuite l'enseignement primaire urbain et l'en
seignement primaire rural, la même enquête révèle un TNS de 72% en milieu
urbain contre un TNS de 30,2% en milieu rural.
Les données ci-dessus suggèrent trois (3) remarques importantes, à
savoir :
1 - qu'il existe un déséquilibre inquiétant entre population
-9-2 - qu'en dépit du fait que la fréquentation scolaire reste obliga
toire jusqu'à 14 ans de par la constitution de 1971, cela reste
théorique faute d'établissements suffisants et d'une politique
cohérente de scolarisation.
3 - que les régions à prédominance rurale sont défavorisées par rap
port aux régions urbaines sous la plupart des aspects du dévelop
pement de l'éducation en Haïti.''
Un simple coup d'oeil rapide sur le fonctionnement interne des écoles
primaires à travers le pays nous révèle, par ailleurs, plusieurs autres
faits à prendre en considération au début d'une recherche comme celle-ci.
1 - un très faible rendement du système scolaire en place (cf.
D.E.N. 1982 pp. 12-13): à peine 38% des élèves scolarisés de mi
lieu rural atteignent la 4ème année qui est considéré comme le
seuil minimal d'une alphabétisation durable; et 1% seulement de
ces mêmes élèves obtiennent le certificat d'études primaires
(CEP). Pour le milieu urbain, ces pourcentages sont plus élevés,
soit 70% et 48%. Cependant, il faut tenir compte du fait que 80%
de la population vit en milieu rural.
2 - une trop grande rigidité de la structure actuelle du système pri
maire: elle n'offre qu'une seule possibilité: le CEP après un
cycle de 6 ou 7 ans. Seule une infime proportion d'élèves y
accède.
1. De façon générale, les villes sont toujours plus scolarisées que les
campagnes, ne serait-ce qu'en raison de la forte concentration des établissements scolaires dans les villes. Précisons aussi que la pro portion d'élèves qui fréquentent les écoles rurales est de beaucoup plus faible que celle des écoles urbaines.
3 - un système de promotion scolaire trop rigoureux et trop sélectif,
surtout pour chacune des premières années de l'enseignement pri
maire, d'où:
a) rejet hors du système d'une proportion considérable d'enfants
qui ne peuvent s'adapter et se découragent.
b) régression rapide à l'analphabétisme lorsque l'abandon inter
vient au tout début du cycle, parce que les mécanismes de la lec
ture et de l'écriture ne sont pas encore fixés.
c) taux inquiétants de redoublement et d'abandon scolaires d'un
bout à l'autre du cycle: ce sur quoi nous allons nous pencher de
façon plus minutieuse dans notre problématique.
k - des programmes scolaires inadaptés, sans objectifs précis, sans
une orientation pédagogique qui permettrait aux maîtres de les
appliquer d'une manière cohérente et rationnelle.
5 - une méthodologie pédagogique basée sur des attitudes tradition
nelles négatives comme l'autoritarisme du maître, la passivité de
l'élève, la mémorisation à outrance de connaissances purement li
vresques .
6 - des difficultés linguistiques au niveau de la communication péda
gogique pour une grande majorité d'enfants qui entrent à l'école
sans aucune connaissance théorique ou pratique de la langue fran
çaise.
7 - carence flagrante de personnel enseignant gualifié dont la pro
portion demeure extrêmement faible, si on se base sur des critè
res tels: diplôme de l'école normale primaire, certificat d'ap
titudes pédagogiques. Cette proportion est, selon Wiesler (1978,
p.27), de 36% dans l'enseignement primaire urbain et de 29% dans
-11-8 - carence aussi de matériel didactique adapté au contexte haïtien,
de locaux scolaires appropriés et fonctionnels.
Autant de problèmes qui ne vont pas sans entraîner des conséquences
extrêmement lourdes en termes de ressources humaines et financières gaspil
lées; conséquences encore plus lourdes en termes de limitation des capaci
tés d'accueil dans un pays où de toute évidence la précarité des ressources
financières de l'Etat ne lui permet pas de garantir une instruction élémen
taire à tous les enfants soumis à l'obligation scolaire."'
1.3 La déperdition dans l'enseignement primaire en Haïti
1.3.1 Quelques généralités et faits saillants
Parmi tous les problèmes soulevés plus haut, celui du très faible ren
dement interne de l'enseignement primaire rural caractérisé par des taux
élevés de déperdition scolaire nous apparaît le plus grave, pour ne pas
dire le plus préoccupant.
Sans doute, l'abandon précoce des études (drop-out) et le redoublement
de classe (grade répétition) n'épargnent aucun système scolaire dans le
monde. Une enquête réalisée et présentée à la 32ème Conférence Internatio
nale de l'Education en 1970 par le BIE considère la déperdition comme un
problème mondial. Mais un tel problème s'avère plus inquiétant lorsqu'il
affecte un pays pauvre comme Haïti où, non seulement une proportion impor
tante d'enfants (57,4%) ne fréquente aucune école primaire, mais encore où
la majorité de ceux qui sont engagés dans les études y redouble plusieurs
fois et abandonne sans en avoir atteint les objectifs, engouffrant ainsi
inutilement des ressources déjà insuffisantes.
1. L'article 22 de la Constitution de 1955 déclare: "La liberté de l'en
seignement s'exerce.... sous le contrôle et la surveillance de l'Etat, qui doit s'intéresser à la formation morale et civique de la jeunes
se. L'instruction primaire est obligatoire. L'instruction publique
II devient alors pertinent de connaître l'ampleur et les incidences
d'une telle déperdition en attendant que des études explicatives soient me
nées sur le terrain. C'est ce que nous nous proposons de faire dans les
pages qui suivent.
1.3.2 Aspects quantitatifs et financiers
S'il faut en croire H. Wiesler (1978, p.43) plus qu'un tiers des élè
ves abandonnent déjà l'école après la première année d'études. Et c'est
aussi un tiers des places environ qui se trouve occupé chaque année, au
premier cycle rural public, par des redoublants. Autrement dit, 30% des
élèves dont se composent les effectifs scolaires seraient des redoublants
qui occupent ainsi des places dont d'autres enfants ne peuvent pas profi
ter. Force nous est alors de reconnaître sans ambages que le nombre d'en
fants d'âge scolaire admis au premier cycle rural pourrait augmenter de 30
à 35% chaque année - sans augmenter les coûts - s'il n'y avait pas de re
doublement. Ce n'est malheureusement pas le cas, comme en témoigne une en
-13-Tableau 1 . 2 ; Effectifs d'élèves et proportion de redoublants par niveau. Octobre 1976. Enseignement primaire rural public.
Effectifs d 'élèves
Année d'étude
Enfantine P r é p .1 Prép.2 E l é . 1 Elé .2 Moy.1 Moy .2 T O T A L
Effectif total dont 31,265 19,609 13,575 9,912 6, 527 4,094 2,694 107,676 Redoublants 1 fois 13,800 4,335 2,550 1,737 1, 192 702 257 24,573 2 fois 3,210 700 311 167 82 27 6 4,503 3 fois 929 83 24 33 16 — — 1,085 Nombre de redoublants 17,939 5,118 2,885 1,937 1, 290 729 263 30,161
Source: La scolarisation en Haïti. Etude statistique réalisée dans
l'"U-nité d'Analyse et de Recherche démographiques" par H. Wiesler. P-au-P. 1978 p. 42.
L'impression d'ensemble qui ressort de ce tableau est, d'une part,
l'importance énorme des déperditions en termes de redoublements: plus d'un
tiers des effectifs de première année seraient des redoublants. Par ail
leurs, on remarque que les taux de redoublement sont en général les plus
élevés au début du cycle, baissant ensuite plus ou moins régulièrement pour
atteindre leur valeur minimale en dernière année du cycle.
Pour mieux saisir l'importance du problème posé; transposons ces chif
Tableau 1.3: Pourcentage de redoublants de l'ens. primaire rural haïtien qui redoublent la même année pour la 2ème et 3ème fois, par année d'études et au cours de l'ensemble du cycle.
Année
1ère 2ème 3ème 4ème 5ème 6ème 7ème
Année Année Année Année Année Année Année
1976 23,1 15,3 11,6 10,3 7,6 3,5 2,3
Source: Pourcentages calculés à partir des données fournies dans le tableau 1.2
Signalons, en passant, que jusqu'en 1982, le redoublement était permis
pour toutes les années d'études du cycle primaire haïtien, sans limitations
réglementaires. Ce qui explique qu'en 1976, 19% des redoublants des écoles
primaires rurales redoublaient deux fois et plus. De plus, le lecteur no
tera que la tendance des élèves à redoubler plus d'une fois est plus mar
quée en première année d'études, diminuant régulièrement au cours du cy
cle. Il serait intéressant de chercher, dans une étude ultérieure, les
facteurs explicatifs d'une telle situation. Qu'il suffise de mentionner
qu'en zones rurales, les enfants n'ont la plupart du temps aucune connais
sance de la langue d'enseignement quand ils arrivent à l'école. Dans ces
conditions, le redoublement de la première année d'études s'avère un mal
nécessaire --- certains parlent de mesure curative --- pour permettre à
l'élève de se familiariser un tant soit peu avec la dite langue d'enseigne
ment.
Mal nécessaire, au dire des uns, remède pédagogique, au dire des au
tres: cela ne doit pas nous empêcher de mesurer l'ampleur du phénomène des
redoublements et d'en apprécier les conséquences financières et socio-éco-
-15-Tableau 1.4: Pourcentage de redoublants dans l'enseignement primaire en Haïti. Garçons et filles.
Année 1975 1976 1977 1978
16,9 11,4 17,2 17,3
Source: Tableau établi à partir des sources nationales et des données statistiques de l'UNESCO: op. cité, 1982, p.145.
Pris isolément, ces pourcentages peuvent paraître insignifiants. Mais
risquons une simple comparaison avec d'autres pays voisins de l'Amérique
centrale.
Tableau 1.5: Pourcentage de redoublants dans l'enseignement primaire. Garçons et filles. Pays 1975 1976 1977 1978 Cuba 8,1 2,8 ---- ----El Salvador 7,3 7,5 7,5 7,8 Guatemala 14,8 14,1 15,2 15,2 Haïti 16,9 11 ,4 17,2 17,3 Jamaïque 3,6 4,4 ---- ----Mexique 11,7 11,1 9,8 ----Nicaragua 13,6 13,4 13,3 13,9 Panama 12,4 10,8 10,9 11,0
Un simple coup d'oeil sur le tableau précédent nous permet de consta
ter qu'entre 1975 et 1978, Haïti tenait les pourcentages de redoublement
les plus élevés parmi les huit (8) pays considérés. En 1975 par exemple,
ces pourcentages étaient 5 fois plus élevés qu'en Jamaïque et 2 fois plus
qu'à Cuba. Si on établit à 12.3% le pourcentage moyen pour l'ensemble des
pays concernés en 1977, Haïti accuse un écart de pourcentage de 4 sur les
autres.
Aussi, voit-on ce paradoxe que dans certaines régions rurales où à
peine 14% des enfants d'âge scolaire peuvent accéder à l'école, la moitié
de ce nombre ne peut s'y adapter et se décourage dans le cours même du pre
mier cycle. Qu'il nous soit permis de signaler ici quelques faits et chif
fres décrits de façon tragique dans le Rapport Annuel 1976/77 du Service de
l'Enseignement Rural:
"Les écoles que contrôle le Service de l'Enseignement Rural disposent de 19,648 bancs de 3 places pour un effectif de 136,381 élèves. Le nombre de places assi ses dont disposent les écoles se chiffre à 58,944. Il s'en suit que 57% des élèves n'ont pas de place pour s'asseoir. Pour suppléer à cela, certains d'entre eux apportent leur chaise, d'autres utilisent des roches, sur lesquelles ils disposent un bout de planche et en fin ils se mettent à six sur un banc de trois places ou restent debout au cours".
La situation devient encore plus paradoxale quand elle est mise en
rapport avec l'effort financier de l'Etat Haïtien pour la même époque à peu
près. En effet, en 1976/77 — année-type^ utilisée pour les besoins de no
tre recherche — les dépenses globales pour l'éducation en Haïti s'éle
vaient approximativement à $23,854,000 dont:
1. C'est l'année pour laquelle nous avons pu recueillir les données sta
-17-$ 7,438,000 en budget de fonctionnement: traitements, fourni
tures scolaires, transports, santé, etc... soit
12% du budget global de fonctionnement pour la même
année fiscale.
$ 5,756,000 en budget de développement ou d'immobilisation:
constructions, équipements, projets, etc... soit 4%
du budget global d'investissement pour la même an
née fiscale.
De plus, on estime à:
$ 4,660,000 la part d'assistance étrangère multilatérale et bi
latérale consacrée à l'éducation, et à:
$ 6,000,000 le montant d'aide privée extérieure provenant d'or
ganisations catholiques et protestantes, organisa
tions laïques internationales, montant à répartir
entre les deux natures de dépenses mentionnées plus
haut.
Un tel effort financier, consacré à l'éducation, représentait 5% du
PNB et 20% de toutes les dépenses publiques pour l'année fiscale 1976/77
(H. Wiesler, 1978, p.68).
Dans le contexte d'un pays sous-développé comme Haïti, et compte tenu
de la situation désastreuse de son système scolaire dont nous avons esquis
sé quelques traits au tout début du chapitre, de telles dépenses représen
tent un gaspillage effarant de ressources humaines et financières, gaspil
1.3.3 Définition et circonscription du problème
Emprunté au langage des économistes, le vocable "déperdition" est uti
lisé en éducation pour décrire les divers obstacles gui empêchent un systè
me éducatif d'atteindre ses objectifs. Plus particulièrement, les planifi
cateurs et les statisticiens de l'éducation emploient ce terme pour décrire
les effets combinés du redoublement et de l'abandon sur la progression d'un
groupe d'élèves au cours d'un cycle d'enseignement. Dès lors, on admet que
le but des élèves entrant dans un cycle déterminé est d'arriver au bout de
ce cycle dans les délais prescrits. On admet également que dans l'ensei
gnement primaire rural haïtien - qui constitue le cadre de notre étude -
chacun des 7 niveaux d'études comporte des objectifs à atteindre chaque an
née par les élèves; et qu'à l'issue de chaque année, des examens sanction
nent les études réalisées, fixant ainsi le nombre des élèves admis à pour
suivre leur scolarité. Dans ces conditions, les admis au cours n en fin
d'année t constituent l'ensemble des promus au cours n + 1 l'année suivante
t + 1. Les non-admis, eux, forment l'effectif des redoublants du cours n
l'année t + 1. Lorsqu'à l'intérieur d'un cycle d'études et au cours d'une
année scolaire donnée, un élève inscrit l'année précédente ne figure ni
comme redoublant ni comme promu, on dit qu'il a abandonné. Ainsi, sont
considérés comme entraînant une déperdition aussi bien les abandons préma
turés ou les désertions avant la fin des études correspondant à un degré
que le redoublement ou le fait pour un élève de rester dans la même classe
2, 3, parfois 4 ans de suite.
Si nous avons ainsi décomposé le phénomène de la déperdition scolaire
pour mieux mettre en relief ses deux dimensions ou manifestations - qui
sont le redoublement et l'abandon - c'est pour arriver à délimiter ce qui
fera l'objet précis de notre étude: à savoir, les redoublements dans les
-19-pour la population (coûts sociaux), c'est-à-dire les dépenses absorbées par
les contribuables en général. Pour des raisons de validité, nous n'entre
rons pas dans le calcul des coûts privés de l'enseignement rural en Haïti,
c'est-à-dire les dépenses supportées directement par ceux qui en bénéfi
cient. Non seulement parce que des données fiables font défaut, dans une
économie de subsistance comme en Haïti, mais aussi parce que des mesures
correctes s'avèrent difficiles à établir quand il s'agit d'évaluer les taux
des écolages, les contributions en nature, les constructions d'écoles fai
tes par des particuliers, etc...
1.3.4 Objectifs de l'étude
A cette étape de l'étude, il convient de formuler clairement les ques
tions auxquelles nous aimerions répondre dans le processus de notre analyse
et de préciser les objectifs visés par notre recherche.
L'analyse de la situation du système scolaire haïtien nous a amené à
nous poser les questions suivantes:
1 - Combien les redoublements coûtent-ils en moyenne par an à l'Etat
Haïtien au niveau de l'enseignement primaire rural public?
2 - Quel est le coût effectif moyen de formation d'un diplômé du pre
mier cycle rural public, compte tenu des multiples redoublements
observés en cours de route?
3 - Quel est le rendement interne réel du système scolaire rural haï
tien, compte tenu des années/élèves dépensées en excédent et im
putables aux redoublants?
Compte tenu des questions ainsi soulevées, l'objectif général de notre
recherche sera de montrer les incidences des redoublements sur le rendement
interne de l'école primaire rurale publique en Haïti et sur les coûts
De manière spécifique, cette recherche nous amènera à :
1 - établir le flux réel des effectifs scolaires de 1975/76 à
1981/82, ainsi que les taux de redoublement, de promotion et
d'abandon y afférents.
2 - reconstituer l'histoire d'une cohorte de 1,000 élèves en fonction
des taux pertinents, pour ensuite,
3 - examiner le profil des redoublements à l'intérieur du cycle con
sidéré.
4 - procéder, à partir de tableaux statistiques significatifs, à une
analyse combinée de rendement et de coût du système, compte tenu
des multiples redoublements observés en cours de route.
5 - établir un diagnostic sommaire de la situation scolaire en milieu
rural en vue de proposer certaines stratégies ou perspectives de
solutions face au gaspillage de ressources humaines et financiè
res que représentent les redoublements en Haïti.
Postulat de base: Nous postulons que les redoublements au premier cy
cle rural entraînent des coûts supplémentaires considérables pour la popu
lation en même temps qu'ils diminuent sensiblement le niveau de rendement
interne de l'enseignement primaire rural public.
1.4 Pertinence de la question
Trois catégories de raisons ont présidé au choix du problème des re
doublements dans le système scolaire rural haïtien.
1.4.1 Pertinence théorique
Jusqu'ici, la plupart des études menées sur le phénomène de la déper
dition scolaire, notamment dans les pays industrialisés, ont négligé pres
-21-abandons (drop-outs). Omission qui s'explique, d'une part, par le caractè
re quasi automatique de la promotion d'une classe a l'autre: certaines ré
glementations scolaires limitant systématiquement les possibilités de re
doublement. D'autre part, par les progrès de l'enseignement individualisé,
de la pédagogie fonctionnelle et de l'école sur mesure. En effet, dans les
systèmes à promotion automatique, c'est-à-dire, où les élèves sont promus
automatiquement d'une année d'étude à une autre, l'année suivante et par
âge, les élèves en difficultés d'apprentissage sont ordinairement placés
dans des structures particulières où ils bénéficient d'un programme spécial
et de mesures compensatoires prévues à leur intention (encadrement, tuto-
r a t , récupération, etc...). Le problème du redoublement ne se pose donc
pas.
Par contre, dans la plupart des pays sous-développés comme Haïti,
étant donné la rareté (voire même l'inexistence) des moyens propices pour
dépister les élèves en difficulté d'apprentissage, tous les élèves se
voient soumis à la même compétition, partant pas de classification selon
les aptitudes. Dans ces conditions, le redoublement permet de respecter le
rythme de progression de chaque enfant dans l'atteinte des objectifs d'ap
prentissage requis. Et c'est ainsi que dans le système scolaire haïtien,
les redoublements prennent une importance telle que chaque année environ un
tiers des élèves du primaire est constitué de redoublants.
Que de tels redoublements soient perçus par les uns comme un investis
sement propre à favoriser la récupération des redoublants et déterminisme
social par les autres - dont Pierre Bourdieu (1970) - ils ne constituent
pas moins une remise en question de l'efficacité de l'école et de sa capa
cité de réduire les inégalités en donnant plus de stimulation aux plus dé
rieures sur la déperdition scolaire, de cette manifestation que nous appe
lons redoublement, devient un argument percutant en faveur d'une étude des
redoublements pour le milieu haïtien. En outre, des enquêtes statistiques
englobant des continents, comme celles menées par 1'UNESCO, ne peuvent pas
toujours être appliquées à une localité précise ayant des caractéristiques
propres. D'où la nécessité de recueillir des données le plus près possible
du milieu haïtien, le plus près possible des élèves concernés.
1.4.2 Pertinence socio-économique
Même si les effets socio-économiques de l'éducation ne sont pas encore
définitivement établis, nombreux sont les pays du tiers-monde qui voient
dans l'éducation un levier puissant,pour déclencher un processus de déve
loppement socio-économique. "Un pays sous-développé est un pays sous-en-
seigné", écrivait à propos Jean Fourastié (1963), un économiste expert de
l'O.C.D.E. Dans une telle optique, l'enseignement primaire constitue, se
lon nous, le minimum vital dont chaque citoyen devrait bénéficier pour pou
voir participer efficacement au développement de son pays. Il intéresse la
grande majorité de la population et fait actuellement l'objet de grandes
préoccupations en matière de réforme de la part des pouvoirs publics.
Or justement, les taux élevés de redoublement dans le cycle primaire
de l'enseignement haïtien signifient qu'une grande proportion d'enfants
n'atteignent pas les objectifs de formation fixés par les responsables de
l'éducation. De plus, dans la mesure où les redoublants occupent des pla
ces dont d'autres enfants ne peuvent pas profiter, il faut croire que les
redoublements contribuent fortement à l'augmentation du coût de l'enseigne
ment, compromettant les objectifs sociaux du pays. Lorsqu'à cause des
seuls redoublements un diplôme du premier cycle rural doit revenir environ
-23-raison plus que valable de chercher à faire la lumière sur ce gaspillage
faramineux d'énergies. Car, les charges financières devenant trop lourdes,
elles risquent de freiner le développement économique lui-même. Bref, non
seulement les redoublements représentent un gaspillage considérable de res
sources financières, mais encore ils traduisent un traitement inadéquat des
ressources humaines que la présente étude se propose de mettre en lumière.
1.4.3 Pertinence politique
La présente étude veut se situer dans le cadre de la réforme de l'Eco
le Haïtienne, réforme entreprise depuis bientôt une dizaine d'années dans
le but d'adapter l'éducation aux besoins nationaux. Cette réforme visait,
entre autres choses, à "offrir des chances égales à l'immense majorité des
défavorisés qui devront comme tous les fils d'une même Patrie, accéder à
une éducation fondamentale intégrale gui permette à tous de participer va
lablement à l'enrichissement du Patrimoine Commun". (D.E.N. 1982, p. 9).
Nous osons croire qu'une connaissance des aspects socio-économiques
des redoublements scolaires mettra éventuellement à la disposition des res
ponsables de l'éducation des éléments-clé pour concevoir et planifier des
stratégies rationnelles de lutte contre les déperditions scolaires. Bien
sûr, il faudra, dans l'élaboration de telles stratégies, connaître les
moyens propres à réduire les redoublements et les abandons; il faudra aussi
prévoir les incidences de ces "réductions" sur les dépenses unitaires, les
coûts effectifs de formation par diplômé. Cette recherche constitue un
premier pas dans cette direction. Elle sera centrée sur les incidences, en
termes de rendement et de coût, des redoublements dans l'enseignement pri
Concernant la portée politique des déperditions scolaires, Pauli et
Brimer (1971) l'ont bien fait ressortir quand ils écrivaient:
"... en définitive, il s'agit de savoir si, face à la crise mondiale de l'éducation, on va continuer à sacri fier la majorité des enfants de chaque génération: plus qu'un problème pédagogique, c'est là une question poli tique" .
Il nous semble dès lors pertinent non seulement de connaître l'ampleur
du phénomène des redoublements en Haïti, mais d'en évaluer les coûts: ce,
dans l'espoir de contribuer lucidement à une réforme réaliste de l'éduca
DEUXIEME PARTIE
REVUE DE LA LITTERATURE ET CADRE DE REFERENCE
2.1 Introduction
Maintenant que nous avons circonscrit notre problème de recherche, à
savoir, les incidences financières des redoublements dans l'enseignement
primaire rural public en Haïti, et que nous en avons indiqué certaines li
mites ainsi que la pertinence socio-économique et politique, notre atten
tion veut se porter sur les études ou recherches antérieures portant sur la
question, dans le but d'en dégager les éléments ou concepts qui serviront à
asseoir notre analyse. Bien entendu, il ne suffit pas de localiser et de
résumer les conclusions des études antérieures relatives à notre préoccupa
tion, il faut aussi en faire une analyse critique. Tel sera notre propos
dans les pages qui suivent.
2.2 Différentes approches du problème du redoublement
Qu'ils soient statisticiens, sociologues, éducateurs, économistes ou
décideurs politiques, nombreux sont ceux qui, depuis une trentaine d'an
nées, se sont penchés sur le problème complexe de la déperdition scolaire.
Et même à travers des approches différentes - tantôt descriptive, tantôt
évaluative, tantôt expérimentale -, ils s'accordent tous, en général, à dé
demeurer le temps prescrit par les règlements ou sans parcourir le cycle
complet d'études dans les délais prévus par ces mêmes règlements. Ce fai
sant, ils ont été amenés à envisager le problème des échecs et des retards
scolaires, tantôt dans une perspective pédagogique, tantôt sous l'angle de
l'économie de l'éducation et tantôt sous l'angle statistique, d'où trois
aspects à prendre en considération dans une revue pertinente de la littéra
ture sur le problème des redoublements.
2.2.1 Le redoublement vu dans une perspective pédagogique
D'un point de vue pédagogique, le redoublement a d'abord été considéré
comme un événement consécutif à un échec: échec de l'élève qui n'a pas su
atteindre le niveau de performance acceptable pour être admis à la classe
supérieure.
Cependant les avis des éducateurs sont partagés quant aux avantages
que l'élève peut tirer du redoublement d'une classe, par opposition au pas
sage à la classe supérieure. Cette étude étant limitée à l'évaluation
quantitative du redoublement, il n'entre pas dans notre propos d'examiner
les faits sur lesquels sont fondées ces opinions divergentes. Nous pensons
qu'il serait légitime néanmoins de résumer ici les arguments avancés en gé
néral pour ou contre le redoublement.
Dans la plupart des pays, le programme d'études du premier cycle est
fragmenté en tranches successives attribuées chacune à une classe durant
une année d'études. Une telle fragmentation et l'obligation faite à cer
tains élèves de redoubler telle ou telle de ces tranches impliquent plu
sieurs hypothèses pédagogigues, lesquelles ont été résumées par Pauli et
-27-Tout d'abord, on suppose que la grande majorité des élèves sont capa
bles d'apprendre le programme assigné à chague année d'études dans le temps
prescrit. Deuxièmement, on suppose que les facteurs déterminant le succès
scolaire sont fondamentalement liés à l'école elle-même et que, le meilleur
remède pour les élèves n'ayant pas réussi à atteindre le niveau de perfor
mance minimale fixé pour une année d'études donnée est de reprendre la
classe en question. La raison invoquée est que les élèves qui n'ont pas
suffisamment maîtrisé les matières inscrites au programme de l'année d'étu
des qu'ils viennent d'accomplir ne sont pas en mesure de maîtriser celles
que comporte le programme de la classe suivante. Troisièmement, on suppose
qu'il est possible, en se fondant sur les résultats obtenus par les élèves
aux épreuves qui leur sont imposées et sur les jugements portés par les en
seignants, de déterminer à la fin de chaque année scolaire quels sont les
élèves qui ont acquis le savoir minimal jugé indispensable pour passer à la
classe suivante.
Les partisans du redoublement font valoir en général que celui-ci sert
fondamentalement à deux fins:
1 - remédier à l'insuffisance des résultats scolaires,
2 - et aider les élèves qui sont jugés ne pas être assez mûrs du
point de vue émotif.
Inversement, le passage automatique des élèves à la classe supérieure
aboutirait, selon eux, à abaisser les normes de l'enseignement, à découra
ger les élèves d'apprendre et les maîtres à enseigner; à créer des problè
mes pédagogiques en accroissant les écarts d'aptitudes entre les élèves
d'une même classe.
Les partisans du passage automatique rejettent les hypothèses pédago
q u e , s'appuyant sur un certain nombre d'études qui concluent que l'ensei
gnement donné en classe a peu d'effet indépendant sur la réussite scolaire,
ils soutiennent que les variables extérieures à l'école, telles que le
"background" familial et les caractéristiques personnelles, sont des fac
teurs qui déterminent autant, voire davantage les progrès des élèves à
l'école (cf. Tsafak, 1978, pp.157 à 160). Au dire des éducateurs, permet
tre à un élève qui apprend lentement de passer une année de plus sur le mê
me programme n'est pas nécessairement le meilleur moyen d'améliorer ses ré
sultats. D'ailleurs, les partisans du passage automatique contestent la
validité des épreuves dont on se sert généralement pour évaluer les progrès
des éléves.
Et c'est dans cette même optique que l'efficacité des redoublements
comme "remède pédagogigue" a été remise en question par Isabelle Deblé
(1964, p.13 ss.) qui écrivait:
"... il semble que l'apport des redoublants dans les classes n'augmente guère l'efficacité de l'enseigne ment, contrairement à ce qu'en pensent certains maî tres africains qui pratiquent le redoublement systéma tique en vue d'améliorer le niveau de leur classe".
Plus près de nous, dans l'espace et dans le temps, il y a Schiefelbein
(1981) qui, suite à une étude comparative menée dans plusieurs pays d'Amé
rique Latine, établissait un lien étroit entre redoublement et abandon.
Les enfants qui ont redoublé une ou plusieurs classes sont aussi ceux qui
ont le plus tendance à "déserter" en cours de route, soit parce que leurs
parents jugent trop coûteux de leur faire poursuivre leur scolarité, soit
qu'ils sont trop âgés pour la classe où ils se trouvent. Le redoublement
apparaît ainsi comme une cause principale (root cause) d'abandon. Nous
croyons que l'auteur soulève ici un problème viscéral qui pourrait à lui
seul faire l'objet d'une recherche spécifique pour Haïti. Nous y revien
-29-Les observations de Schiefelbein viennent par ailleurs corroborer cel
les d'autres chercheurs tels Van Vliet (1963) et Levy (1971), qui, eux
aussi, se sont penchés sur le problème des redoublements dans le monde. Ce
dernier, par exemple, dans une analyse remarquable des facteurs d'abandon
scolaire effectuée dans 42 pays sous-développés de l'Afrique, l'Asie,
l'Amérique Latine et le Moyen Orient, arriva à la conclusion que la façon
la plus efficace de réduire, à court terme, les taux de désertion serait
l'élimination ou la réduction des redoublements. Et je cite "... un
accroissement de un pour cent du taux moyen de redoublement est lié à pres
que un pour cent d'accroissement du taux cumulé d'abandon".
Une telle conclusion nous apparaît d'autant plus intéressante que les
taux d'abandon furent calculés indépendamment des redoublants de manière à
ce que les deux variables ne mesurent pas le même phénomène.
Bref, s'il faut en croire de tels chercheurs, le fait de reprendre un
niveau ou une classe donnée, ne semble pas aider à maîtriser les habiletés
académiques du niveau redoublé. Au contraire, l'anxiété des parents au su
jet de l'échec scolaire de leurs enfants, vient par-dessus le marché créer
des problèmes d'adaptation ou d'ajustement personnel et social. L'enfant
retenu cherche éventuellement à se valoriser dans des domaines qui ne re
quièrent guère de performance académique ou investit ses énergies dans des
champs différents et, inconciliables avec les intérêts scolaires.
Une autre recherche, cette fois menée au Cameroun à partir d'un échan
tillon constitué au hasard et stratifié de 32 classes de 4ème année du ni
veau primaire, dont 13 urbaines, 8 semi-urbaines et 11 entièrement rurales,
arrivait, elle aussi, à la conclusion que "les redoublants ont tendance à
redoubler davantage puis à abandonner le système". L'auteur, G. Tsafak
sens que ses auteurs prétendent lui donner et les redoublements deviennent
eux-mêmes une cause fondamentale de l'inefficacité de l'enseignement".
Ce lien entre redoublement et abandon - qui semble être une constante
dans les ouvrages recensés jusqu'ici - constitue, selon nous, une plaidoi
rie sévère contre le rôle de "remède pédagogique" attribué au redouble
ment. Malheureusement, dans le cas précis d'Haïti, qui nous concerne, le
manque de données statistiques relatives aux abandons ne nous aura pas per
mis d'établir l'existence ou l'absence d'un tel lien. L'étude menée sur la
scolarisation en Haïti par H. Wiesler (1978) est d'ailleurs très réticente
sur ce sujet. N'empêche qu'elle mérite une attention particulière dans
cette revue de littérature.
Se basant sur le recensement général de la population et de l'habitat,
mené en Haïti en août 1971, Wiesler, un expert en statistiques de l'UNESCO,
a voulu mettre à jour les statistiques dites "scolaires" et faire le point
sur la situation du système scolaire haïtien dans son ensemble. Nous lui
reconnaissons, entre autres, le mérite d'avoir pour la première fois évoqué
l'importance dramatique et la complexité de la déperdition scolaire en
Haïti: déperdition de l'ordre de 90% pour l'enseignement primaire rural
public en 1976. Concernant plus précisément le problème des redoublements,
l'auteur reprend à son compte certaines constatations préalablement faites
par son collègue D'ENGHIEN (1977), sur la situation de l'enseignement rural
haïtien, à savoir qu'une pénurie de maîtres et de bâtiments scolaires dimi
nuent fortement la qualité de l'enseignement: ce qui cause de nombreux re
doublements, qui, à leur tour, font justement surcharger maîtres et lo
caux. Il signale, en outre, parmi les nombreux facteurs explicatifs de dé
perdition, le rôle exagéré des examens, le rôle plutôt néfaste que joue le
français dans l'enseignement primaire, une langue étrangère pour la quasi totalité des enfants.
-31-Compte tenu de son approche statistique et de son souci d'objectivité,
cette étude constitue, selon nous, un outil précieux dans la lutte contre
la déperdition scolaire en Haïti.
2.2.2 Le redoublement vu dans une perspective économique
Il n'y a pas que le point de vue pédagogique dans le problème des re
doublements, il y a aussi l'angle économique à envisager. En effet, toute
activité éducative, qu'elle soit formelle ou informelle, passe par un em
ploi délibéré de ressources rares susceptibles d'un résultat économiquement
significatif, même si le résultat obtenu n'est pas celui qu'on avait prévu
ou se trouve avoir des effets indirects qui n'étaient pas recherchés. Dès
lors, "pour l'économiste, l'éducation est avant tout un mode d'utilisation
de ressources rares susceptibles d'emplois alternatifs" (cf. André Page,
1971, p.10) et son étude repose essentiellement sur les notions d'input et
d'output. Les inputs se ramènent dans la plupart des cas à des moyens ma
tériels, à des ressources humaines et à du temps qui pourraient être consa
crés à d'autres activités, tandis que les outputs correspondent aux
"effets" directs ou indirects sur la capacité productive des hommes.
Notons sans tarder que la relation entre ces deux concepts (input/
output ) est fondamentale à notre analyse économique du rendement de l'en
seignement primaire rural public d'Haïti. Nous y reviendrons d'ailleurs
plus loin dans la partie méthodologique de notre recherche. Quant aux au
tres concepts et outils statistiques dans notre analyse, nous les avons
puisés à même l'ouvrage remarquable de LE THANK KH0I, intitulé "L'INDUSTRIE
En effet, cet ouvrage a le mérite de susciter une prise de conscience
profonde de l'optique économique dans l'aménagement de l'éducation:
celle-ci, insiste l'auteur, ne peut se borner à poursuivre des objectifs
socio-politiques ou moraux, elle doit être également envisagée sous un
angle économique comme une industrie qui par une combinaison de facteurs de
production doit maximiser sa contribution au développement économique d'un
pays.
Après avoir expliqué le rôle stratégique de l'éducation dans le monde,
l'auteur définit les besoins que l'enseignement doit satisfaire: besoins
individuels, économiques, et socio-politiques, puis étudie le rapport entre
la production de l'industrie et les facteurs de production. La production
de l'industrie peut être évaluée par le rendement quantitatif, qualitatif
et socio-économique. Dans une perspective économique, l'élève est considé
ré comme le produit de l'industrie de l'enseignement; le maître, les pro
grammes et les bâtiments comme les facteurs de production. La meilleure
combinaison de ces facteurs doit se faire au coût minimum pour un rendement
maximal. Enfin, l'auteur se penche sur les aspects financiers de l'éduca
tion pour ensuite montrer le lien entre éducation et développement dans les
sociétés contemporaines.
Tout en lui reprochant d'avoir passé sous silence les limites de l'a
nalyse économique face à la complexité et l'hétérogénéité des systèmes
d'enseignement, nous nous devons de signaler la remarquable rigueur scien
tifique qui caractérise cet ouvrage sur l'économie de l'éducation, où nous
avons puisé des outils intéressants pour notre évaluation du rendement du
-33-2.2.3 Le redoublement et les études statistiques de 1'UNESCO
Par ailleurs, notre revue de la littérature pertinente au problème des
redoublements nous a permis de découvrir des études méthodologiques entre
prises par l'UNESCO afin de mettre au point des techniques statistiques
permettant de comprendre et de mesurer la déperdition scolaire à travers le
monde. Parmi toutes ces études, nous en retenons une en particulier:
celle de Pauli et Brimer (1972) intitulée "Etude statistique sur les déper
ditions scolaires".
L'intérêt de cette étude pour notre recherche vient de ce qu'elle pro
pose une série de tehniques statistiques pour saisir, localiser et évaluer
les différentes manifestations de la déperdition scolaire. Ces techniques
convergent généralement autour de deux méthodes.
a) la méthode des cohortes apparentes qui consiste à comparer le nombre
des élèves inscrits dans une classe donnée à celui des élèves inscrits
l'année suivante dans la classe immédiatement supérieure, en supposant que
la réduction des effectifs de chaque année d'études correspond aux aban
dons. Elle repose sur l'hypothèse que deux solutions seulement s'offrent à
l'élève: accéder à la classe supérieure ou renoncer à poursuivre ses étu
des.
Nous reprochons à cette méthode une vision simpliste de l'évolution
des effectifs qui ne permet pas de découvrir les divers cheminements que
peut suivre une clientèle scolaire, tel par exemple le fait que tous les
élèves qui entrent dans la première année d'un cycle d'enseignement ne com
plètent pas tous ce cycle dans le même laps de temps.
b) la méthode des cohortes reconstituées qui consiste à suivre - a partir
de données sur les taux moyens de promotion, de redoublement et d'abandon
aux différents niveaux - l'évolution d'une cohorte hypothétique de 1,000