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Mâcon et la maudite guerre (1417-1435). Une diplomatie habile fondée sur le renseignement

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BENOÎT LÉTHENET

Université de Strasbourg II – EA3400

MÂCONETLA« MAUDITEGUERRE »(1407-1435)

UNEDIPLOMATIEHABILE

FONDÉESURLERENSEIGNEMENT

Les premières franchises mâconnaises datent vraisemblablement de la fin du XIIe

siècle. Mais c’est en février 1347 que la cité obtient de Philippe VI le droit de s’administrer elle-même. Les bourgeois reçoivent tout d’abord la puissance de pouvoir [s’]assembler en aucun lieu convenable de la dicte ville, toutefoiz et quantefoiz qu’il leur plaira pour parler, conseiller et ordener de leurs faiz et du profit commun de la dicte ville1. Tous les ans il leur est accordé d’élire six preudommes, bourgeois de Mâcon, nés dans le royaume. Les dispositions de 1347, sans donner naissance à une commune, valorisent la parole de l’échevinat dans la sphère publique, puisque le patriciat gagne la faculté de s’assembler dans des lieux idoines pour discuter des affaires de la cité. Comment le patriciat urbain, dont la puissance repose dès l’origine sur la capacité de parler, conseiller et ordener, utilise les ambassades où la parole circule ?

La maudite guerre entre Armagnacs et Bourguignons de 1407 à 1435 est un bon observatoire de cette évolution2. En effet, la concurrence acharnée et violente que se livrent les princes les incite à rechercher ressources et alliés à tous les niveaux, notamment auprès des villes. On doit à Jean-Philippe Genet d’avoir montré dans les années 1980 et 1990, que la guerre est un processus qui politise les acteurs en provoquant une interaction entre les sujets et les princes. La concurrence des princes provoque l’extension de la participation politique et amène à la constitution d’une sphère publique élargie qui implique davantage les bourgeois. Elle oblige au dialogue avec les élites urbaines en capacité de parler et de conseiller et les appelle à mieux investir l’espace public. De ce point de vue, la guerre les aura vite formés, puisque dans sa conquête du pouvoir Jean sans Peur se saisit de la ville de Mâcon, le 5 septembre 14173. Cette cité de 670 feux environ, passée sous le contrôle de la Bourgogne en adhérant aux propositions des lettres de Hesdin (25 avril 1417), doit désormais se protéger des ambitions des Armagnacs, lesquels mènent des raids jusqu’aux portes de la ville. Le bon état de conservation des sources médiévales mâconnaises nous permet de saisir cette politisation des bourgeois dans son intimité et permet de descendre au niveau des pratiques politiques les plus simples, des interactions entre les différents acteurs.

Ce cadre posé, il convient de s’interroger sur ce que l’on pourrait appeler représenter la ville en un temps fortement concurrentiel, si l’on ne veut pas faire des bourgeois de simples marionnettes aux mains des princes. Pour essayer de cerner cette pratique de l’envoi d’ambassades, nous présenterons dans un court premier temps le contexte général du conflit, puis le profil des ambassadeurs mâconnais, avant d’envisager dans un troisième temps la négociation comme un moyen de gestion de l’espace politique pour une ville comme Mâcon.

1 AM Mâcon, AA2/1.

2 T.BASIN, Histoire du règne de Charles VII, éd. J.QUICHERAT, Paris, 1855, p. 40. J. D’AVOUT, La querelle des Armagnacs et des Bourguignons. Histoire d’une crise d’autorité, Paris, 1943. B.SCHNERB, Les Armagnacs et les

Bourguignons. La maudite guerre, Paris, 1988. 3 AD Côte d’Or, B11942, f. 38r°.

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1. Contexte

Dès la fin du XIVe siècle des tensions apparaissent entre Louis d’Orléans, frère du roi

Charles VI (1380-1422), et son oncle Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. La personne du roi, soumise à des « fièvres », est affaiblie et ballotée par les événements. Les défaillances mentales du roi deviennent évidentes après l’épisode de la forêt du Mans, en août 1392. Les ducs s’entendent alors, puis se disputent, pour le décharger du poids du gouvernement. Les ducs de Berry et de Bourgogne se montrent solidaires face à leur nouvel adversaire, Louis de Touraine devenu en 1392 duc de Touraine et d’Orléans, comte d’Angoulême, de Périgord, de Dreux, de Soissons, de Porcien et de Blois. La rivalité des princes porte essentiellement sur l’accès au trésor royal qui leur permet de financer leur vie de cour, leur politique personnelle et leur clientèle4. Les rivalités s’exacerbent après la mort du duc Philippe le Hardi le 27 avril

1404. Jean sans Peur qui lui succède ne bénéficie plus, en effet, de la même manne financière. À la fin de son principat, entre 1396 et 1404, Philippe perçoit annuellement 176 500 l. t. du gouvernement royal. À sa mort, son fils ne perçoit plus rien. Ce n’est qu’en mars 1405, date de son avènement aux comtés de Flandre, d’Artois et Bourgogne qu’il connaît un accroissement de ses revenus. Dans le même temps Louis d’Orléans, fils et frère de roi, voit ses positions se renforcer. Jean sans Peur en vient à faire assassiner son rival, le 23 novembre 1407. La discorde des princes se mue en guerre civile. On aurait ici l’origine du conflit.

Guerres, alliances et paix précaires se succèdent entre les Bourguignons et les Orléans. Le comte Bernard d’Armagnac et son gendre Charles d’Orléans sont les animateurs du parti anti-bourguignon. Charles d’Orléans peut compter sur le soutien de son grand-oncle le duc Jean de Berry, ses cousins Anjou et Bourbon, Jean duc de Bretagne et sa tante Isabeau de Bavière, reine de France. Les princes hostiles au duc de Bourgogne forment en avril 1410 la ligue de Gien alors que Jean sans Peur rallie à sa cause le roi de Navarre, Charles le Noble. « Bourguignons » et « Armagnacs » s’affrontent à travers sièges, tueries et retournements d’alliances pour la domination du gouvernement royal, pour le contrôle du dauphin et l’extension de leur espace d’influence. Les villes, au cœur des exactions et des négociations, sont régulièrement sommées de prendre parti et doivent négocier aux mieux de leurs intérêts.

La victoire anglaise d’Azincourt, le 25 octobre 1415, débarrasse le duc de Bourgogne d’un certain nombre de ses adversaires armagnacs, morts au combat (les ducs d’Alençon et de Bar, le connétable d’Albret) ou faits prisonniers (les ducs d’Orléans et de Bourbon, les comtes de Vendôme et de Richemont). Le parti bourguignon a également subi de lourdes pertes. Jean sans Peur n’est pas parvenu à détourner de l’ost royal ses vassaux d’Artois, de Flandre et de Picardie sommés de venir servir le roi contre les Anglais. Les frères du duc de Bourgogne, Antoine de Brabant et Philippe de Nevers, comptent parmi les tués. À leurs côtés sont tombés au moins vingt-deux des proches de Jean sans Peur. L’espace politique ainsi vidé permet à Jean de Berry et au dauphin Louis de jouer leur propre partition. Cependant le dauphin meurt en décembre 1415, le duc de Berry en juin 14165 et le nouveau dauphin Jean disparaît le 5 avril 1417. Par la force des choses, c’est un personnel nouveau qui entoure le roi et le nouveau dauphin. Le duc de Bourgogne reste le seul prince du sang apte à faire valoir son rang pour prendre la direction des affaires du royaume aux côtés de Charles VI. Cette situation mécontente également la reine écartée du pouvoir par les Armagnacs. Le Languedoc est gagné par les Bourguignons et de nombreuses villes font défection en leur faveur. Un manifeste, dans lequel le duc propose de réformer le royaume, est envoyé aux villes. Le 5

4 B.GUENÉE, La folie de Charles VI, Paris, 2004.

5 G. LE BOUVIER, dit Héraut Berry, Les Chroniques du roi Charles VII, éd. H.COURTEAULT et L.CELIER, Paris,

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septembre 1417, le clergé et les habitants de Mâcon prêtent serment au duc de Bourgogne. Ce dernier bénéficie alors du soutien de nombreuses villes de France dans le conflit qui l’oppose aux Armagnacs.

À partir de 1418, le dauphin Charles, prend la tête du parti armagnac qui devient le parti dauphinois. L’entrée des Bourguignons à Paris, en mai 1418, s’accompagne du massacre de leurs adversaires. Bernard d’Armagnac est victime de la répression. Charles s’installe à Bourges alors que Jean sans Peur et la reine Isabeau de Bavière forment et installent un nouveau gouvernement à Troyes. Le 10 septembre 1419, le duc de Bourgogne est lui-même assassiné sur le pont de Montereau par les hommes du dauphin. Charles VI, ballotté entre les partis et finalement passé sous l’influence bourguignonne, déshérite son fils rendu responsable de l’assassinat de Jean sans Peur. Le traité de Troyes, du 21 mai 1420, fait passer à la dynastie lancastrienne la couronne de France. Opérations militaires et traités de paix se succèdent. C’est généralement au congrès d’Arras de 1435 que les historiens arrêtent leurs récits de la guerre civile : Français et Bourguignons sont en paix face à l’Angleterre, bien que le conflit se poursuive dans un autre contexte. On le voit dans les rivalités entre Charles le Téméraire et Louis XI. Cette histoire événementielle, fait peu de place à la participation politique des cités alors que leur maîtrise reste un enjeu majeur de la guerre civile. Les pratiques politiques des villes sont restées peu étudiées.

2. « Et furent esleuz… » : le profil de l’ambassadeur mâconnais

Les ambassades font prendre conscience aux bourgeois de leur appartenance au camp armagnac ou bourguignon. En effet, l’évocation des affaires politiques et militaires donne lieu à l’envoi d’ambassades. Les sources mâconnaises permettent de sortir des grandes principautés et de s’aventurer à grande échelle au niveau de la ville. Pour la période 1380-1435 on dénombre 214 ambessades ou voyages sur un total de 506 déplacements. Parmi ces ambassades, seul un tiers peut être retenu pour l’étude. Ici, les ambassades d’audience l’emportent sans doute sur les ambassades de négociation. D’ailleurs, il est fréquemment mentionné que la délégation a pour but soit d’exposer les ravages de la guerre et les difficultés qui en résulte, soit d’obtenir une décision favorable à la cité.

La ville ne dispose pas d’ambassadeurs permanents. Le statut d’ambassadeur apparaît encore mal défini, et le choix porté sur tel ou tel individu dépend étroitement de la nécessité de représenter la ville et du statut personnel de l’envoyé. Le mode de désignation pour participer à une ambassade est l’élection comme l’indique la mention récurrente : et furent esleuz… mais les modalités du vote nous échappent largement. La composition d’une délégation varie peu. Elle est constituée de 2 à 4 individus, rarement plus, clairement identifiés auxquels s’ajoutent valets et serviteurs dont la présence est assurée. Les envoyés mâconnais sont membres de l’oligarchie urbaine : officiers et hommes de loi, éligibles à la charge d’échevin. Ceux-ci sont présents dans les deux tiers des ambassades et le plus souvent sont envoyés par paire. Les hommes de loi, juristes et notaires qui les accompagnent, comme eux, cumulent souvent les charges. Ils sont officiers, procureur du roi ou receveur au bailliage, ce qui inscrit l’ambassade comme un moyen de collecte du renseignement et de diffusion immédiate auprès des plus hautes autorités. Le clergé participe régulièrement aux voyages (dans 20 % des cas). Sa présence est attestée principalement lors des journées consacrées à la recherche de la paix entre les princes et lorsque les sentiments chrétiens restent le dernier rempart de la ville. C’est le cas lorsque le prêtre Barthélemy Joly se rend alors jusqu’à Gand en décembre 1430 pour obtenir de Philippe le Bon qu’il mette bon ordre dans une région à présent gouvernée sans justice6.

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Ce que l’on observe est un processus de spécialisation à défaut d’une professionnalisation. Ces hommes disposent des qualités juridiques et oratoires suffisantes, des savoir-être et des savoir-faire. Le profil d’Antoine Mercier est exemplaire. Antoine est dit honorable homme et sage. Ce citoyen de Mâcon est élu échevin en 1417 et 1419. Il occupe la charge de prévôt royal en 1417 et garde de la prévôté en 1418. Ses déplacements officiels font apparaître une préférence pour les voyages en France et en Bourgogne. Il est à Paris en 14177 ; à Provins et à Troyes en 14198, 1420 et 14219. Il participe également aux ambassades menées en Bourgogne. Il est à Chalon-sur-Saône en 141710, à Dijon, entre 1417 et 142011. La proximité territoriale, la maîtrise des thèmes qui intéressent la ville ainsi que les compétences linguistiques jouent dans la nomination des candidats aux ambassades. L’importance accordée aux langues n’est pas nouvelle puisqu’on trouve mentionnée chez Pierre Dubois12 († 1314) la

nécessité d’avoir dans les chancelleries des personnels fiables et polyglottes. C’est le cas pour le juriste Jean Boucher que sa maîtrise du franco-provençal désigne pour conduire les ambassades dans le duché de Savoie, à Genève et à Bourg où se pratique le savoyard (en plus du latin et du français). Ce « spécialiste » des relations avec la Savoie est envoyé dans le duché en 141813 ; il est à Genève, Bourg-en-Bresse, Salins et Montrevel-en-Bresse en 142214. Il participe aux journées de Saint-Julien-sur-Reyssouze, en 142315. La même année, il fait quatre autres déplacements en Savoie16. Ce venerable et discret homme est expérimenté. Mestre, licencié en loys, il est élu échevin à plusieurs reprises entre 1414 et 1424. Il a été mandaté par Jean sans Peur, en août 141717, pour prendre la garde du château de Solutré avant qu’il ne tombe aux mains des Armagnacs. Orateur confirmé, il lit devant la communauté des bourgeois les lettres annonçant la mort du roi Charles VI. C’est également lui, en 1423, qui explique les raisons d’un renouvellement du serment de fidélité au parti bourguignon18.

À en rester là, le profil de l’ambassadeur mâconnais reste assez classique : juriste, orateur et linguiste, au fait des affaires de la cité. Pourtant, certains présentent un intérêt notable. C’est le cas des maîtres des métiers d’habitude peu présents lors des voyages. Le maçon Philibert Martin19 a un profil spécifique. Il participe à l’ambassade menée par le bailli de Mâcon Antoine de Toulongeon à Paris, en janvier 1421, auprès du roi d’Angleterre et du duc de Bourgogne. Sa présence discrète est attestée par un versement de 100 s. t. pour avoir accompagné la délégation20 (alors que son nom ne figure pas sur le document détaillant la composition officielle de l’ambassade). Maçon, maître des métiers, on le rencontre d’abord alors qu’il participe au siège de Solutré, le 2 mai 1418, aux côtés des forces bourguignonnes. Capturé par les Armagnacs, il est libéré dans le courant de l’été. Sa captivité est un levier qui renforce peut-être sa détermination à agir pour le compte des Bourguignons. Car, une fois libéré, il est régulièrement chargé de verdoyer sur les champs. Autrement dit, Philibert Martin

7 AM Mâcon, BB12, f° 49r°. 8 Ibid., BB12, f° 125v°, f° 126r°.

9 Ibid., BB13, f° 9v°, f° 17r°, f° 47v°, f° 53v°. 10 Ibid., BB12, f° 43v°.

11 Ibid., BB12, f°°68r° ; Ibid., BB13, f° 102r°; Ibid., CC70/145.

12 P.DUBOIS, De recuperatione terre sancte, éd. CH.-V.LANGLOIS, Paris, 1891, p. 68. 13 AM Mâcon, BB12, f° 61v°. 14 Ibid., BB13, f° 70v°, f° 74r°. 15 Ibid., BB13, f° 79v°. 16 Ibid., BB13, f° 79v°, f° 81r°-v°, f° 83r°. 17 Ibid., EE43/7. 18 Ibid., BB13, f° 82v°. 19 Ibid., BB13, f° 47v°. 20 Ibid., BB13, f° 47v°.

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espionne les troupes armagnaques. Il le fait à partir d’un questionnement, un « plan de recherche », comparable à ceux que l’on rencontre dans de nombreux ouvrages de la fin du Moyen Âge, qu’ils soient arabes, byzantins ou latins21. Pour ne prendre que deux exemples latins :

▪ Le livre des États22, de Don Juan Manuel de Castille (1330), note au chapitre 72 un

plan de recherche clair : sur les forces, l’encadrement, l’armement, les montures ; ▪ L’enseignement de Louis XI roy de France pour le Dauphin son fils23, de Pierre

Choisnet, également connu sous le titre Le rosier des guerres (v. 1472 – v. 1482), indique au chapitre 6 un plan de recherche comparable avec en outre une attention portée à l’état des chairs des combattants (fermes ou molles), leur motivation et leur moral, leur formation et leur expérience, l’état de leurs vivres etc.

Comme maçon, Philibert Martin est au point de contact entre l’information qu’il recueille et son utilisation pratique, puisqu’il participe activement aux améliorations et aux modifications des fortifications mâconnaises. On le voit, Philibert Martin qui, probablement, se rend à Paris en marge de l’ambassade pour quelques actions souterraines au profit de Mâcon, a le profil de l’ambassadeur-espion24. Il est le prolongement de la cité : ses yeux, ses oreilles, sa voix. Quoi qu’il en soit, il témoigne du rapport de confiance nécessaire qui s’établit entre la ville, ses émissaires et la Bourgogne car « la victoire reste à celui qui est le premier informé du mauvais état dans lequel se trouve son ennemi » (Machiavel). La diplomatie mâconnaise joue la carte du renseignement qu’elle diffuse ou qu’elle échange. L’ambassade s’inscrit aussi dans un cycle de renseignement encore théorique mais néanmoins clair et cohérent. Le lien entre le renseignement, l’ambassade et la finalité du renseignement qui est l’action semble établi. Ainsi, un compte de l’année 1419 nous apprend qu’Antoine Mercier envoie Philibert Martin aux marches du Beaujolais et du Lyonnais à savoir novelles25. Un autre, Pierre Ydrat, va jusqu’à Lyon pour savoir novelles. Selon le plan de

21 B.LETHENET, « Selon les nouvelles que vous me ferez savoir ». Essai sur le renseignement au Moyen Âge,

dans Revue du Nord (à paraître).

22 Le livre des États de Don Juan Manuel de Castille : essai de philosophie politique vers 1330, éd. B.LEROY,

Paris, Brepols, 2005.

23 L’enseignement de Louis XI roy de France pour le Dauphin son fils, éd. M.D.BERGER, Paris, 1930.

24 H.GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix (1625), mentionne explicitement une série de mesures à

prendre contre les ambassadeurs dangereux et la nécessité d’encadrer leurs suites pour limiter l’espionnage.

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recherche de la ville, la collecte des espions est orientée au sud. Or, à la fin du mois de septembre la ville de Mâcon reçoit les ambassadeurs des duchesses de Bourgogne et de Bourbon venus traiter une prolongation des abstinences de guerre. La coïncidence des deux évènements – qui ne se télescopent pas mais se succèdent – nous autorise à penser que les informations recueillies par les uns sont utiles aux négociations des autres26. La prise de

décision est le résultat de la recherche, du traitement et de l’utilisation du renseignement. Cependant, mesurer le passage à l’action pose problème : les diplomates informés utilisent-ils tous les renseignements en leur possession ?

De la Bourgogne aux Flandres, de Genève à Paris, l’horizon politique des envoyés mâconnais est celui du royaume, des relations internationales et du jeu en eau trouble. On observe au mieux les débuts d’une professionnalisation, au pire d’une spécialisation des ambassadeurs mâconnais. La diffusion du renseignement, son échange, repose de toute évidence entre les mains d’hommes de loi confirmés. Toutefois, l’articulation entre la collecte de l’information, pour prévenir les menaces, et la mise en œuvre pratique du renseignement, lors d’ambassades répétées, au profit de la ville passe par les « petites gens »27. Une

communauté de gens des métiers utilisée à des fins de renseignement. Professionnels compétents et insérés dans la société, ces hommes appartiennent à la corporation des bouchers, des maçons et des pêcheurs. Ils forment un milieu homogène structuré par des liens professionnels et familiaux28 dont ils savent jouer lorsqu’il faut mener une enquête. Ils

assurent, en échange d’une rémunération, un service qui ne correspond pas à une occupation à plein temps mais qui peut s’avérer lucratif. Ces artisans, qui jouent un rôle particulier dans la construction de l’information, sont des leaders d’opinion qui recueillent les données et les relaient dans le groupe. Ils contribuent, autant que les membres de l’oligarchie urbaine, à l’intégration du Mâconnais à la Bourgogne ainsi qu’à l’appropriation de ce nouvel espace politique. Cette appropriation passe par un marquage matériel : une ligne de défense qui intègre la milice urbaine, mais plus souvent symbolique : des revendications portées par les ambassadeurs.

3. Un changement de polarité

Les changements politiques de l’année 1417 ont modifié la répartition géographique des ambassades et par voie de conséquence les liens des habitants avec les espaces de pouvoir. Pour observer les dynamiques spatiales, on peut s’appuyer sur les données tirées des sources, mais pour bien observer le sens général de l’évolution, il faut considérer une période suffisamment longue, d’au moins un quart de siècle, qui montre les transformations majeures et gomme les changements passagers. Le plus remarquable est évidemment que Mâcon est inséré dans un réseau urbain très largement polarisé et dominé par Paris. Un quart des 506 déplacements recensés a lieu en direction de la capitale. Mâcon est une ville du royaume où la présence royale est manifeste. Toutefois, on constate une diminution de cette représentation lors du passage de la cité sous la tutelle bourguignonne. Le nombre de voyages retrouvés en direction de Paris est de 88 avant l’année 1417. Toutefois, les sources présentent quelques

26 M.CANAT, Documents inédits…, op. cit., p. 208.

27 J.MORSEL, Les « pauvres gens » (arme Leute) en Haute-Allemagne à la fin du Moyen Âge. Ou, une histoire des « petites gens » a-t-elle un sens ?, dans Le petit peuple dans l’Occident médiéval. Terminologies, perceptions, réalités. Actes du Congrès international tenu à l’Université de Montréal (18-23 octobre 1999), éd.

P.BOGLIONI,R.DELORT et C.GAUVARD, Paris, 2002.

28 P.BENOIT et PH.LARDIN, Les élites artisanales au service de la ville. Les cas de Paris et de Rouen à la fin du Moyen Âge, dans Les élites urbaines au Moyen Âge, Actes des congrès de la Société des Historiens Médiévistes

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lacunes29. Après, ce nombre n’est plus que de 48. Les déplacements en direction de Paris accusent une baisse sensible entre les deux périodes. Cette diminution intervient au profit des centres bourguignons du pouvoir.

En effet, le réseau des relations urbaines dans lequel s’insère Mâcon est mouvant. Il évolue au gré des intérêts politiques et économiques de la cité. Cette proximité limite également les frais de représentation. La redistribution des déplacements au cours des années 1417-1418 est pour l’essentiel un fort mouvement dirigé vers Dijon (24 % de l’ensemble des voyages). L’augmentation de la fréquentation de la capitale du duché de Bourgogne est

29 La principale source d’information sur Mâcon, sous le règne de Charles VI (1380-1422) et lors de la guerre

civile (1407-1435), vient des registres BB 5 à BB 16. Ils couvrent la période 1380-1435, non sans lacunes. Les années 1395-1400 et surtout 1426-1429 ne figurent pas dans les registres. Les années 1413, 1415, 1430, 1431 ne sont pas complètes.

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vertigineuse : les mouvements ont été multipliés par 16 après l’adhésion de septembre 1417. Auparavant, des contacts officiels existaient tout en étant limités. De 1417 à 1435 l’augmentation a été considérable : on dénombre 114 mentions contre 7 les années précédentes. Il s’agit bien d’un puissant mouvement qui a été engendré par un changement dans la structure des relations politiques nouées par la ville. À cette nouvelle destination s’ajoute la fréquentation inédite de Troyes. Elle n’est pas mentionnée avant 1417. Elle l’est 49 fois par la suite. Enfin, Mâcon entretient des relations de clientélisme avec un troisième pôle de pouvoir. Les Mâconnais se rendent à Genève en ambessades au moins 58 fois durant la période 1380-1435. L’horizon obscurci du royaume de France incite les bourgeois à renforcer leurs relations avec la Savoie et à en retrouver le chemin car nombreux sont les Mâconnais originaires de la Bresse et de la Savoie.

Certaines zones sont plus attractives que d’autres. Ce renversement de polarité a des raisons politiques : la proximité du pouvoir bourguignon, sa capacité à défendre le Mâconnais s’opposent à l’éloignement et à la faiblesse du pouvoir royal. Au regard de ces inflexions, on constate que les bourgeois de Mâcon ne sont pas démunis face aux princes et restent actifs. Ils ont leurs représentations mentales, leurs intérêts, leurs objectifs et leurs stratégies. De leurs actions résultent le mode de fonctionnement d'un espace avec par exemple le renforcement de certaines liaisons, ainsi que des choix politiques comme le passage du Mâconnais sous la domination des ducs de Bourgogne et temporairement du duc de Savoie. Ce changement d’horizon politique montre-t-il que les Mâconnais sont en capacité de négocier ? Ou subissent-ils la pression ducale ?

En 1423, les magistrats conviennent de l’envoi de six ambassades30. À ne retenir que

la première, en janvier, alors que se tiennent les journées de Saint-Julien-sur-Reyssouze, on décide d’aller au devant des ambassadeurs de Philippe le Bon puisque l’on y traite de la paix du royaume. La réconciliation entre Bourguignons et Français, ainsi que la punition des meurtriers de Jean sans Peur, sont au cœur de la rencontre. Ce qui est décidé préfigure déjà le traité d’Arras31. C’est dans les conditions particulières d’une reprise des discussions que

l’ambassade mâconnaise part en direction de Bourg-en-Bresse. Elle se compose de Guy de la Roche (le doyen de Mâcon), d’Antoine Fustailler (le procureur du roi à Mâcon), de Jean de la Forêt (receveur du roi au bailliage), de Geoffroy de Laiz l’un des échevins et de maître Jean Boucher licencié en droit. Ils ont pour tâche de rejoindre Nicolas Rolin, de lui recommander la ville, d’obtenir l’autorisation d’accompagner la délégation bourguignonne jusqu’à Bourg et de placer Mâcon et le val de Saône sous le patronage du duc de Savoie32 ‒ la feuille de route est claire. Les envoyés de Mâcon assistent aux négociations33 en compagnie d’excellents connaisseurs de la région. Nicolas Rolin34, Guillaume de Vienne35, Jacques de Courtiambles36 et Jean de Toulongeon ont été reçus plusieurs fois à Mâcon depuis son adhésion et

30 AM Mâcon, BB13, f° 69r°-f° 88r°. Au mois d’avril, on apprend que Jean Boucher revient de Bourg-en-Bresse

d’une « ambassade qui lui avoit este d’aller ». En mai, afin de prolonger une trêve, il reprend le chemin de Bourg « en ambassade » pour recommander la ville à Amédée VIII. À la fin du mois de juin, un nouveau voyage est décidé. En novembre, alors qu’Amédée VIII se rend à Chalon-sur-Saône et y rencontre Philippe le Bon pour discuter une nouvelle fois de la paix, des ambassadeurs sont chargés de faire la révérence de la ville aux ducs.

31 A.-B.SPITZBARTH, Ambassades et ambassadeurs de Philippe le Bon, troisième duc Valois de Bourgogne (1419-1467), thèse de doctorat dactylographiée, sous la direction de B.SCHNERB, Lille 3, 2007, p. 215.

32 AM Mâcon, BB13, f° 79v°.

33 A.-B.SPITZBARTH, Ambassades et ambassadeurs…, op. cit., p. 74-78.

34 AM Mâcon, BB12, f° 96v°, f° 124v° (Noël 1418), f° 125r°-v° (janvier-février 1419) ; AD Côte d’Or B1602,

f° 172v° (mars 1419).

35 AM Mâcon, BB12, f° 43v°, il est tenu informé, depuis Chalon, de l’adhésion de Mâcon et reçoit son serment

(septembre 1417)

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connaissent ses difficultés. Ce n’est pas la première fois non plus qu’Amédée VIII propose sa médiation et la neutralité de ses territoires pour les pourparlers de paix37. La journée qui se

tient à Bourg-en-Bresse, le 15 janvier, a pour objectif : la payx de monseigneur de France38 dont l’idée première est de trancher la question des modalités d’une trêve dans le Charolais, le Mâconnais et le Beaujolais39. Les dispositions qui sont prises dépassent le cadre d’une trêve et

établissent un espace placé hors des rivalités des belligérants sous l’autorité du duc de Savoie. Ce changement de patronage40 est préparé depuis quelques mois par les bourgeois. Les ambassades se sont faites en amont (dès la mi-octobre 142241). Le 31 décembre 1422, le clergé, les représentants du roi, les échevins et les bourgeois prennent la décision que l’on serviroit le premier jour de l’an qui sera demain le dit monseigneur de Savoye42.

Quelle est la situation ? Depuis la fin de l’année 1417, le Mâconnais est déchiré par la maudite guerre. Les trêves se succèdent43 sans résultat. Les Armagnacs s’emparent de

plusieurs places entre 1421 et 1422. Les forces bourguignonnes sont en déroute et l’adversaire est aux portes de la ville44. Si une partie des bourgeois est opposée à Charles VII, l’autre partie est en passe de lui ouvrir les portes et renseigne les Armagnacs45. Le changement temporaire d’autorité gèle les opérations de guerre dans le Mâconnais. Le gouverneur savoyard, Amé Macet46, arrive à Mâcon le 9 février 1423. Il détient des lettres d’Amédée VIII et deux copies des parties adverses47, copies dans lesquelles Bourguignons et Armagnacs demandent que l’on obéisse au duc de Savoie pour le bien de paix. Le jour suivant, 10 février, les bourgeois font le serment de garder et observer la teneur des lettres dont le gouverneur est le porteur. Dans un contexte fortement concurrentiel, la présence d’observateurs savoyards suffit à peine à assurer un cessez-le-feu. Prudent, Amé Macet commande et coordonne la défense du bailliage. Amédée VIII enjoint la méfiance ; selon ses informations, Amaury de Séverac et sa compagnie ont quitté Villefranche et on ne savoit ce qu’il voloit fere. Le 25 mai, les bourgeois se prêtent un serment d’amitié et une promesse d’entraide. La procédure doit faire cesser les dissensions et éviter la trahison et les débordements de violence. La tutelle savoyarde prend fin en août avec la destruction des forces franco-écossaises à Cravant (juillet 1423). Le 16 août, Amé Macet remet le gouvernement du bailliage à Philibert de Saint-Léger, nouveau bailli bourguignon de Mâcon. Les bourgeois font le serment d’obéissance au roi de

37 Ibid., BB13, f° 55v° : Saint-Laurent/Saône, f° 70v° : Genève, f° 74r°-v° : Bourg-en-Bresse et

Montrevel-en-Bresse, f° 79v° : Saint-Julien/Reyssouze, f° 80v°-f° 81v° : Bourg-en-Bresse.

38 Ibid., BB13, f° 80r°.

39 A.-B.SPITZBARTH, op. cit., pièce n°9, p. 694. 40 Ibid., p. 160-189 ; p. 212-219.

41 AM Mâcon, BB13, f° 74r° (22 octobre 1422). 42 Ibid., BB13, f° 79v°.

43 Janvier 1419 (Ibid., BB12, f° 124v°-f° 125r° ; Ibid., BB13, f° 3r°-v°) ; septembre 1419 (Ibid., BB13, f° 3r°) ;

courant 1421 (Ibid., BB13, f° 55v°) ; les abstinences sont reconduites de mois en mois à partir de décembre 1421 (Ibid., BB13, f° 68v°-f° 69r°) ; janvier 1422 (Ibid.) ; février 1422 (Ibid.) ; mars 1422 (Ibid., BB13, f. 70r°) ; avril 1422 (Ibid.) ; octobre 1422 (Ibid., BB13, f° 74r°).

44 Ibid., BB13, f° 48r°, f° 68r°.

45 AM Lyon, AA78/10, lettre de Henri de Villette, dit Charcuble, du 23 mars 1418 : […] hier je aloye à Vimiez vers monseigneur de l’Ille et fut audit Vimiez à VII heures et là trouva un messaigé qui m’ay portay une lettre de aucuns de messires et amis qui avoit estée escripte X heures par avant et avoit estée escripte bien près de Mascon et n’avoit en ladite lettre point de nom de cellui qui la m’envoyt, mais le messaigé me dit de bouche ledit nom, ladite lettre disoit aussi que monseigneur d’Alguel vient à très grant puissance sur se pais et qu’il se parfforce de amener grant quantité de naville par dessuz Sones esquelles navilles ay grant quantité de bombardez et de artillerie et son entention est quelle qu’il se loigeray à Vimiez et à l’Ille.

46 S.GUICHENON, Histoire de la Bresse et du Bugey, t. 2, Lyon, 1650, p. 229-230. 47 AM Mâcon, BB13, f° 80v°-f °84r°.

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France et d’Angleterre et promettent de tenir le parti du duc de Bourgogne pour vivre et morir48. Le relais des opérations militaires dans la région est confié au comte de Salisbury.

Conclusion

Il me semble que la ville de Mâcon offre un exemple de ce qu’une ville moyenne du royaume de France, ici en Bourgogne du Sud, est capable de mettre en œuvre pour ne pas être qu’un objet de convoitise entre les princes. Mis dès l’origine en capacité de parler, conseiller et ordonner, les échevins font un usage intensif des ambassades : en moyenne 5 par an. Cette pratique, isolée parmi d’autres, n’est pas seulement tournée vers les élites de la ville mais vers un public dont le ralliement n’est pas certain. Les ambassades mâconnaises sont moins un signe de la politisation des gens des villes que le témoignage de leur volonté de maintenir leur équilibre d’un camp à l’autre en fonction du rapport des forces. La ville de Mâcon connait parfaitement la situation politique de ses voisins, profite de leurs divisions au mieux de ses intérêts et noue des alliances avec tous les ennemis de ses adversaires. La stratégie mâconnaise repose donc sur une diplomatie habile et des actions fondées sur une pratique assidue du renseignement. En définitive, ces manières de diffuser les renseignements recueillis, voire de participer aux négociations, témoignent d’une compréhension accrue des enjeux politiques au sein d’un espace public qui ne cesse de s’élargir.

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