• Aucun résultat trouvé

Montaigne et l'herméneutique des guerres de religion

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Montaigne et l'herméneutique des guerres de religion"

Copied!
108
0
0

Texte intégral

(1)

INFORMAnON TO USERS

This manuscript has been reproduced

trom

the microfilm master. UMI films the taxt directly tram the original or copy submitted. Thus, sorne thesis and dissertation copies are in typewriterface. while others may be from any type of computer printer.

The qualityofthis NprOduction is dependent upon theq. .11ty ofthe copy submitted. Broken or indistinct print. coIored or poor quality illusbations and photographs, print bIeedthrough. substandard margins, and improper alignment can adverselyaffectreproduction.

ln the unlikely eventthat theaIthor did notsencI UMI a complete manuscript and there are missing pages. these will be noted. AllO. f unauthorized copyright material had to beremoved, a note willindicate the deIetïon.

Oversize materials (e.g.• maps, drawings, c:harts) are reproduced by sectioning the original. begiming al the upperIeft-hand

corn.-

and continuing from 18ftta right in equal sectionswithsmall overlaps.

Photographs induded in tIïe original manuscript have been reproducecl xerographically in this copy. Higher quality 6- x 9" black and Y41hite photographie prints are available for any photographs or illustrations appearingin this copyfor an additional charge. Contact UMIdirectlyto arder.

Bell&Howell Information and Leaming

300 Nor1hZ8ebRaad, Ann Arbor. MI 48106-1346 USA

UMI

800-521-0600 e

(2)
(3)

Mgotajpc

et

l'hcnnéncutjQUe des

&Urnes

de

rclilÏ

QO

par

François-Emmanuel Boucher

Mémoire de maitrise soumisàla

faculté des études supérieures et delarecherche enwe de l'obtention du diplôme de

MaîtriseèsLettres

Département de langue et littératurefrançaises UniversitéMcGill

Montréal, Québec

Août 1997

(4)

1+1

National Ubrary of Canada Acquisitions and Bibliographie Services 395 Wellington Street QnawaON K1AON4

canada Bibliothèque nationale du Canada Acquisitionset services bibliographiques 395.rueWellington onawaON K1A 0N4 canada

The author bas granted a

000-exclusive licence allowing the

N

ationaI Library of Canada to

reproduce, lom, distribute or sen

copies of this thesis

in

microfonn,

paper or electronic fonnats.

The author retains ownership of the

copyright

in

this thesis. Neither the

thesis nor substantiaI extracts from it

may be printed or otherwise

reproduced without the author's

pemnSSIon.

L'auteur a accordé une licence non

exclusive permettant

à

la

Bibliothèque nationale du Canada de

reproduire, prêter, distribuer ou

vendre des copies de cette thèse sous

la forme de

microficbe/~

de

reproduction sur papier ou sur format

électronique.

L'auteur conserve la propriété du

droit d'auteur qui protège cette thèse.

Ni la thèse ni des extraits substantiels

de celle-ci ne doivent être imprimés

ou autrement reproduits sans son

autorisation.

0-612-43837~

(5)

Abstract

The purpose ofthereseareh paperisto study and analyze the criticism expressed by Montaigne ondifFerentdoxic themesthatpervade thesocial discourse ofhis time. To do sa, we consider two problemsconnectedand coextensive to the second part of the XVIcentury.

Thefirstone that extends over thefirst two chapters analyzes the way by whicb the religious wars ofthe era bavefoundtheirjustificationinGod.Inthefirst chapter, we

tryta analyze the discursive vector ofthe divine ire whereasinthe second chapter, we investigate the relationship betweenthetide ofa battle and the elect sign that is supposed to give to the winner.

Thesecond problem, that deals with various attempts of pacification, forms the third chapter of this paper. It focuses on the efforts undertaken by sorne «weU intentioned» jurists to end -ftatricidal» wars by royal by-Iaws (édits) whose unfortunate results are to stir up hatred among ditrerent ideological factions.

The fourth chapter is a ret1ection on sorne criticism stated by XVI centwy

thinkerswho perceivedaetuaIwarsaslackingreligiousfoundation, and evenas acarnage where nobody really knew why the figthing was going on.

Finally, we put forward some hypotheses on the specificity oftheEssaisinthe sociodiscursive context ofthis age.

(6)

Résumé

Le but de ce mémoire est d'étudier la critique qu'opère Montaigne sur différents objets doxiques qui imprègnent le discours social desonépoque. Pour ce faire, nous aborderons deux problèmes connexes coextensifsà la seconde moitié duXVIesiècle.

Le premier, qui couvre les deux premiers chapitres, analyse la façon dont les guerres de cette période ont trouvé leur justification en Dieu. Nous tenterons, dans le premier chapitre, d'analyser le vecteur discursif de la colère divine, tandis que dans le deuxième, nous étudierons la relation entre l'issue d'une guerreetle signe d'élection qu'elle est censée accorder au vainqueur.

Le second problème, qui traite des différentes tentatives de pacification, forme le troisième chapitre de ce mémoire.

n

se focalise sur les efforts déployés par certains juristes «bien intentionnés-pourmettrefinaux guerres -fratricides» grâceàdes éditsq~ malheure&,lsement, ne font qu'attiser les haines idéologiques entre les différents partis.

Le quatrième chapitre développe une réflexion à partir de certaines critiques émises par des penseurs de l'époque qui ont considéré les guerres comme dépourvues de tout fondement religieux, voire comme un immense carnage où personne ne savait vraiment pourquoiilse battait.

Enfin, nous émettons certaines hypothèses sur la spécificité desEssaisdans le contexte sociodiscursifde cette époque.

(7)

Table des matières

Montaigne et l'herméneutique

des guerres de religion

Introduction. 1

L'ire deDieLI 6

L'élection divine '" 26

Laguerre au risque de la damnationéternelle 44

Diell barbare 61

Conclusion. , 77

(8)

Toute crainte de Dieu dessous les pieds fouler, Partout authorizer un devot brigandage: Leprofaneet le saint,la raisonet la rage

L'humainetledivin, dessus dessous mesler [...) Anonyme,Sonnet sur l'estat et gouvernementdece temps (décembre 1575)

(9)

Introduction

Le but de notre mémoire est d'étudier la critique qu'opère Montaigne sur

différents objets doxiques qui imprègnent le discourssocialde son époque. Pour ce faire, nous aborderons deux problèmes connexes coextensifs à la seconde moitié du

xvr

siècle. Le premier, qui couvre les deux premiers chapitres, analyse la façon dont les

guerres de cette période ont trouvé leur justification en Dieu, dans une «transcendance»

qui légitime les carnagesetinsuftle un sens à la vie des différents sujets qui les exécutent. Nous nous sommes efforcé de cerner ce qui, dans un certain nombre de textes

contemporains aux massacres, s'apparente à cette manière de raisonner pour ainsi en

comprendre les mécanismes. Autrement dit, nous avons essayé d'aller au-delà des

propriétés sensibles des différents textes pour rendre compte de la gnoséologie à partir

de laqueUe de tels raisonnements fonctionnent et acquièrent la crédibilité nécessaireàla

visée performative de leurs messages. Nous tenterons, dans le premier chapitre,

d'analyser le vecteurdiscursif de la colère de Dieu qui traverse toute l'Europe depuis

(10)

2

avec les «apologistes chrétiens de l'extermination» (D. Crouzet). Dans le deuxième chapitre,ilsera question delarelation entre l'issue d'une guerre et la consécration qu'eUe estcensée accorder aux vainqueurs en devenant la preuve ultime de la véracité de leur doctrine.

Lesecond problème,intrinsèquementlié au premier, forme le troisième chapitre de ce mémoire.

n

se focalise sur les efforts déployés par des juristes -bien intentionnés» pour mettrefinàces guerres cftatricides-grâceàdes éditsq~ malheureusemen~ne font qu'attiser les haines idéologiques entre les différents partis. Nous étudierons à la fois l'échec de ces tentatives de pacification etles nombreux textes qui, publiés au même moment, tentent de justifierlarésistance au pouvoir monarchique lorsque celui-ci semble empiéter sur la juridiction divine. Enfin, le quatrième chapitre dévelopPe une réflexion àpartir de certaines critiques émises par des penseurs de l'époque qui ont considéré les guerres comme dépourvues de tout fondement religieux, voire comme un immense carnage où personne nesaitvraiment pourquoiilse bat. Nous illustrerons cette réflexion par une thématique centrale qui est ceDe de la ccbarbarie», soit d'une guerre devenue un simple exutoire par où s'épanchent les pulsions animales.

Montaigne et Je discQurs social deson épOQue

Afin de cerner et de comprendre le travail de Montaigne sur le -déjà-là» idéologique de son époque, nous avons été obligé de rompre avec le cloisonnement canonique qui est imposé habituellement dans les études littéraires. Notre analyse se préoccupe aussi bien de sermons, de pamphlets, de poésies, de mémoires, de lettres politiqu~etc., publiésàlamême époque,que desEssais. Nous posonsàla fois comme premier axiomeet comme procédé heuristique que la comparaison systématique d'un

(11)

3

texte avec l'immense rumeur sociale concomitanteà sa rédactionestindispensableà sa

compréhension.

AinsL

toutes les explications qui ne s'en tiendraient qu'aux textes des

&sais, à ce supposétravaild'asepsie que l'auteur aurait pratiqué sur le discourssocial de son époque en devenant lui-même la matière de son texte, deviendraient

insatisfaisantes. Aussi érudite qu'elle soit, l'analyse desEssaisbasée sur l'émergence de

la subjectivité en cette époque qui se voudrait, pour les uns, charnière entre la critique

et le commentaire (A. Compagnon en reprenant une distinction deM.Foucault), pour les autres, un moment uniqueentrel'histoire we

sur

l'axe paradigmatiqueetl'histoire we sur l'axe syntagmatique(K.Stierle)l, ne font finalement que resémantiser le projetinitial de Montaigne.

Nous avons cru qu'il fallait changer d'approche, explorer de nouveaux territoires

avant d'émettre une hypothèse sur cette spécificité possible desEssais. D'abord, nous

nous sommes penché non sur les écrits de Montaigne, mais sur une partie de l'imprimé,

rarement analysée, de la seconde moitié du XVIe siècle. Nous avons ensuite étudié

différents vecteurs discursifs qui forment la doxa d'alors en nous interrogeant toujours

sur la relation entre ce qu'ils disentetla position de ceux qui les émettent (protégé du roi, juriste, prêtre, etc.! catholique, protestant 1ville, campagne 1etc.) dans le champ sociodiscursifde l'époqueafinde comprendre, par exemple, ce qui pousse Montaigneà traiter ces mêmes objets, parfoisà en dire les mêmes choses, mais en réitérant sans cesse

qu'il est lui-même son sujet d'étude.

lVoir Antoine Compagnon,LaSeconde main ou le travail de la citation, p. 296et

passim;Michel Foucault,Les Mots et les choses, p. 92-95 ; Karlheinz Stierle,.L'Histoire comme exemple, l'exemple comme histoire-,Poétique, 10 : 1972, p. 194-198.

(12)

4

Lamatière desEssaisnepouvaitabsolument pas se ramenerà l'expression d'une pure subjectivité, d'une singularité douée d'un système cognitif immunitaire parfait, étanche àtous les autres discours, produits d'un -créateur incréé- (p. Bourdieu). Les &saisse modulentàla fois sur des schèmes de pensée, des catégories imposées par la sociétédanslaquelle l'auteur a vécuet

sur

des objets qui sont dotés en cette période d'un capital symbolique assez important pour qu'on puisse y exercer son jugement en toute quiétude, en dehors de tous les dangers queproduiraitl'aDodoxie. Car~ilfaut le rappeler, on ne parle pas de n'importe quoi dans cette seconde moitié du siècle etMontaigne semble, aussi bien que lesautr~ peut~tre autremen~nous le verrons, incapable de se démarquer radicalement de l'hégémonie discursive dans laquelle les gens de latinde la Renaissance sont tous enfermés. Nous postulons, dès le premier chapitre, certaines hypothèsessur la nature de la gnoséologie propreàcette période et qui nous serviron~ par la suite, de principe heuristique pour tout le mémoire.

Notre analyse partainsides théories du discours social et de la sociocritique qui postulent que tout texte ne vient jamais seul, qu'il répond toujours à d'autres textes (Bakhtine)etqu'une connaissance que l'on souhaite exhaustive du discours social duquel ilémergeestabsolument nécessaire pour en connaître les enjeux, la dynamique interne et les interactions avec le tissu discursifambiant.

Corpus

et

limites de notre recherche

Il va sans dire qu'il est impossible, dans les limites de ce mémoire, de lire la totalité de ce qui s'est imprimé au cours de la seconde moitié du

xvr

siècle et encore moins tout ce que les chercheurs en scienceshumainesont pu écrire sur Montaigne et les guerres de religion. Cependan~ notre corpus primaire compte environ trente volumes,

(13)

5

la plupart publiés entre 1562 et 1592 (date de la bataille de Vassy et de la mort de Montaigne),àpartirdesquels nous avons tenté de reconstruirecertainsobjets doxiques surlesquels l'auteur desEssDisexerceson jugement.Un telcorpus, quoiquelimitépar rapport à la totalité de l'imprimé, nous a semblé suffisant pour faire apparaître une thématique récurrenteetcertainsenjeux dominants de cette période. Finalement, notre analyse,en cequiatraitauxEssaisde Montaigne, couvre l'ensemble des trois livres de l'édition de P. Villey, mais porte plus précisément sur des passages particuliers relatifs

(14)

Chapitre l

L'ire de Dieu

Helas: pauvres meschans, belas, " ne voyez vous que par vostre malheureuse derrision tout est detruit&, perd~ne voyez vous que manifestement l'ire de Dieu estrespandue sur notre diet Royaume?

AnusDesiré,LaSingerie des huguenots, marmots et guenonsdela nouvelle de"ision Theodobeszienne, p. 2SyO

(15)

Le premiergrandprocès contre l'hérésie en France est intentéà Jean Vallière par le Parlement de Paris en 1523.

n

sera brûlévifle 8 août de la même année. À Troyes, Nicolas Boivinest pendu haut et court en 1528 pour avoir déclaré que «l'eaue de la

rivière estoist aussibonneetaussi digneque l'eaue beniste»z. Le traducteur d'Érasme, Louis de Berquin,estbrûlé avecses livres le 17 avril 1529, Place de la Grève,àcôté de l'Hôtel de ville de Paris. Cesvictimes propitiatoires inaugurent une ère de répression du

crime d'hérésie qui s'étend sur toute la France jusqu'à labataillede Vassy (1562) :

IJenvisbrûler deux...Si tu avaisassistéàleur supplice, tu aurais souhaité pour ces malheureux un châtiment moins cruel. Le premier, d'une extrême jeunesse, tout à fait imberbe, était le fils d'un cordonnier. Ce jeune homme aurait tenu je ne sais quels propos imprudents sur les images miraculeuses (qu'on révère ou plutôt qu'on adore ici dans de grands rassemblements). [...]3

Ces exemples montrent l'étendue et la diversité de ce que le XVIe siècle regroupe sous

le nom de «crime d'hérésie».Même si une définition précise demeure malaisée à formuler,

nous essaierons quand même d'en tracer les balises.

n

constitue une transgression de l'orthodoxie religieuse au même titre que les crimes de sorcellerie, de bestialité et de

sodomie4•

n

englobe toute atteinte à l'ordre sacré, du simple juron (<<lubricité de la

2Christin, 1992, p. 338.

3Lettre de Knobelsdorf(jeune clerc polonais]à Dautiscus, Paris 23 novembre 1541, in Barycz et Jobert, 1982, p. 100.

(16)

8

langu~,dit-on au

xvr

siècle) à l'iconoclasme en passant par la critique de l'ordre établi surtout lorsqu'eUe porte sur la personne du roi, incarnation de Dieu sur terre.

L'ordonnance de 1510 contre l'hérésie prévoyait que, jusqu'à la quatrième récidive, les

blasphémateurs étaient p8SSlbies d'amende seulement. Les sévices corporels

s'appüquaient rarement avant la cinquième fois'. Mais la propagation de la Réforme en

France dès 1520 en bouleverse la perception et érige l'hérésie comme crime absolu bien

loin au-dessus de tous lesautres.Désormais, eUe n'est plus un simplepéchévéniel mais, on s'en doute, un véritable danger qui risque à tout moment de détruire la société et de

saper ses fondements'. Les châtiments s'aggravent: on coupe la langue des coupables au

fer rouge, on les brûle vifs. On va jusqu'à incendier leur maisonafinde faire disparaître la moindre trace de ces êtres immondes'. Tout vestige pourrait être fatal.

Mêmesi nous possédonspeud'évaluations chiffi'ées de la part des gens de cette

époqu~ildemeure possible d'avancer quelques statistiques sur le nombre de personnes

exécutées pour crime d'hérésie avant la première guerre de religionl. Cette répression

n'est pas continue mais plutôt sismique avec quelques sommets. En 1546 par exemple,

sous François 1er, sur quatre-vingts inculpés d'hérésie jugés par le Parlement de Paris,

trente sont condamnésà mort.De 1547 à 1549, en raison de la création de la Chambre

ardente par Henrifi, section spéciale du Parlement de Paris qui juge uniquement des cas

d'hérésie, quatre-vingt-treize personnes sont immolées Place de la Grève. Avant 1560,

le nombre d'hérétiques exécutés en France tourne aux environs de cinq cents dont la

'Christin, 1992, p. 338.

'Garnot

1989,p. 78.

'K~ 1995, p. 40.

(17)

9

moitiéàParis. Bordeaux comptepourla même période vingt-quatre condamnésà mort

dont dix-huit pour la période de 1541 à 1549 qui couvre notamment la révolte de la

gabelle9•

Malgré le sévère édit de Châteaubriant du26juin 1551, celui de Compiègne en

1557 et celui d'Écouen en 1559 qui promettent chacunàleur manière la mortà tout

hérétique10, le roi n'a pas réussi à réprimer la Réforme de façon adéquate dans son

royaume. Le pardon d'Amboise de Catherine de Médicis le II mars 1560, le conoque

de Poissyen octobre 1561etfinalementlapaix d'Amboise en 1563 qui décriminalise le protestantisme en France et adopte certaines mesures pour permettre la coexistence

confessionnelle, apparaissent pour ungrand nombre de catholiques comme autant de

trahisons. Avant d'analyser les discours apocalyptiques qu'engendre cette «ignominie»,

nous avancerons quelques hypothèses sur la gnoséologie propre à cette période. Ce

détour nous apparaît nécessaire pour comprendre la logique des différents types

d'argumentation.

H}:pQthèses beuristiqpes sur la vision du monde

Lorsqu'en février 1575, le roi Henri

m

arriveà Reims pour se faire sacrer roi: onvinst à lui mettre la couronne sur la teste,ildit assée haut qu'elle le blessait, et lui coula pardeux fois, commesielle eust voulu tomber, ce qui fust remarquéet interprétéà mauvais presage.Il

~enz, 1995, p. 66. lOIbid., p. 37.

(18)

10 La description du couronnement du dernier Valois qui se retrouvedansle journal de Pierre de L'Estoilerenseignesur untraitdominant delaContre...Réforme: la superstition.

Cette croyance dans le «toutfaitsigne-, dans le «tout signifie autre chose-, mêmesile plus souvent cette signification échappeà l'entendement humain, nous apparaît comme

la logique propre de la gnoséologie de cette période. Une herméneutique religieuse,

anagogique pourrions...nous dire, estparticulièrement manifeste au

xvr

siècle, surtout lors de sa seconde moitié. Cette herméneutique ... c'est notre hyPothèse - serait non

seulementpourles catholiques orthodoxes, mais aussi bien pour lesjuristes, lespoètes, les médecins, les chroniqueurs, bref pour toute personne qui produit du discours, le

processus à partir duquel s'élabore toute interprétation. Dans «ce grand monde [qui

devient] le livre de mon escholiep (1, XXVI, p. 157)11 comme le dit Montaigne, l'exégèse traditionnelle biblique s'est déplacée, sans nuance, sans se réajuster, pour

devenir la clé de voûte de la compréhension de tous les phénomènes physiques et

humains. Du lapsus à l'acte manqué en passant par les guerres, les famines et les

phénomènes atmosphériques, Dieu manifeste sa volonté. Tous les signes indiquent ses

désirs et c'est à l'homme de savoir les déchiffier.

Les faits de la vie quotidienne

Lepeu de textes que nous possédons sur lesdiscoursqui se rapportentàdes faits

quotidiens, sur la façon dont les gens comprennent en général les événements banals qui

forment le canevas de leur existence, nous invite à la prudence pour l'analyse de ce

domaine. Lesexemples que nous tirons des mémoires de Claude Ratonetdu journal de

(19)

Il

Pierre de L'Estoile, parexemple, nepeuventêtre généralisés étant donné qu'ils sont rédigés par des genslettréspossédant une vasteculturegénérale, ce qui n'est absolument pas lecasde la plus grande partie delapopulation de la seconde moitié du

xvr

siècle.

Néanmo~ ils fournissent plusieurs exemples qui peuvent servir à éclairer certains aspects de la mentalité de cette période.

Après la mort du cardinal de Lorraine le 26 décembre 1574, la reine mère, Catherine de Médicis, commenceà avoir des visions:

[...l

s'estantmisà dïsner,liantdemandéàboire, commeon luieust baillé son verre, eUecommençateUementàtrembler, qu'il luicuidatumberdes mains ets'escria, Jesus, voilà Monsieur le Cardinal de Lorraine que je voy.Il

L'Estoile exagère peut-être la réaction de la reine mèrefaceà la mort du Cardinal en recyclant et confirmant certaines idées haineuses qui circulent dans le discours social de cette époque. Catherine de Médicis devient, comme nous le savons, la victime d'une campagne de salissage idéologique de la part de certains publicistes après la Saïnt-Barthélemy. Dans leDiscours merveilleux, qui en fixe la thématique et la phraséologie, cette "Brunehaut Florentine-14 sevoit attribuer les pires actions jamais commises en France :

Voilà comme il n'y a moyens tout execrables qu'on voudra, qui ne luy semblenthonnestes, pourveu qu'ils luyserventàexterminerceuxqu'eUe hait. EUe se parjure, eUe tye, eUe empoisonne.15

13L'Estoile, t.1, p. 102.

14Discours merveilleux, p. 273 . lSIbid, p. 185.

(20)

12

Ayant parfaitement «retenu son machiavel»us, cette -Italienne- ne peut faire

autrementque dese saouler constamment«de chairetdesang-17. Cette femmeest vouée aux gémonies d'une telle façon que, même après sa mort, son cadavre continuera à

susciter la plus grande aversion :

Les chiens mangent Iezabel Par une vengeance divine: LacruuognedeCa~am~ Sera differente en ce poinct :

Les chiens Mesmes olen voudront point.II

Néanmoins, ces ver~ le Discours merveilleux et certaines remarques de Pierre de l'Estoile, montrentàquel point les idées de vision maléfique, dlapparition spontanée de

morts et de vampires repus de sang sont imprégnées dans la conscience des hommes à

cette époque.

Dans la soirée du 28 septembre 1575, le ciel de Paris s'illumine

en

créant différentes fonnes mystérieuses. Nous possédons trois descriptions de ce même

phénomène. Claude Haton le rapporte comme suit:

[des gens] récitèrent que au cielilzveirent deux: troupes d'hommes en assez grand nombre, fierset orgueilleux, une troupe contre l'aultre, de chacune desquelles sortit ung homme qui baillèrent le combat l'ung à l'aultre, les autres les regardant.19

Pierre de L'Estoile, moins précissurla fonne de l'apparition, ajoute l'idée de présage:

16Ibid, p. 213. 17Ibid, p. 119.

IIIbid, p. 295 .

(21)

13

(...] sur la ville de Paris et aux environs, sont veuscertainsfeux en l'air, fàisans grandelumiereetfumée,etrepresentans lancesethommes armés, dont toute la CourduRoyetla ville de Paris fust estonnée, tirant chacun de là quelque presage sinistre dumalquiauroitàsouftiir Paris.20

FinalementArtusDésirél'insèredansun poème sur lafindu monde: Dans le ciel nous

vismes [...]

Gros dards ou javelots passer se ftacassans

Aux coups qu'entre-donner les lances paraissaient, Dont les esclats ardans par la vagueairvoloient.21

TI est vraisemblable que ces trois descriptions se rabattent sur un texte tuteur,tractou pamphlet distn"buéàcette époque, qui ne nousestpas parvenu, àmoins que le discours socialait exercé une teUe hégémonie sur les esprits des gens qu'il ait réussi àimposerà trois personnes différentes une phraséologie semblable pour décrire un même phénomène atmosphérique fCependant les trois auteurs ne disent pas la même choseetlete/osde leurs récits diff"ere. Claude Raton utilise lediscoursindirect libre pour se dissocier de son proposafin,peut-être, d'en montrer l'absurdité. Pierre de L'Estoile renvoie dans l'ombre la division entre catholiquesetprotestants chèreàRaton et insiste plutôt sur les présages que fontàtout momentetsur n'importe quoi les gens de Paris. Pour Artus Désiré, cette vision - ou plutôt le récit qu'on en fait - confirme aussitôt sa pensée.

n

s'en sert comme un autre intersigne qui l'assure une fois encore que Dieu -est fort faché contre noup22.

cependant,lalecture quetàitPierre de L'Estoile, par exemple, ne comporte pas toujours une teUe distance critique. Sur l'épidémie de peste qui, enmai IS7S, empêche

~'Estoile, t. 1, p. 203.

21Désiré,Les Quinze Signes, p. 46.

(22)

14

Amora~ empereur des Turcs, d'envahir l'ile de Malte, il argue que Dieu a bien voulu punir ces athées en protégeant la cbrétientéD• Au sujet du capitaine Gast qui avait

répandu beaucoup de sang «innocent- à la Saint-Barthélemy et qui fut par la suite assassiné danssonlit,L'Estoile déduit que «ce sont tous effets de cette divine Providence admirableetadorable-24• La tranquiUité avec laqueUe l'évêque de La Vaurs meurt en

avril 1577estattnbuée surie champàla volonté de Dieu puisqu'il «avoit bien vescu, de bien mourir en lui, etfist une fort beUeetcbrestiennefin,.2S. Fmafement, àpropos d'un homme qui tue son frère parce qu'il a couché avec sa femme, l'Estoile conclut:

-Ainsi voions-nous que Dieu enfin juge tousjours les adultères».26

fine faut pas croire que Pierre de L'Estoileestun fanatique ligueur ou quelque autre zélateur de ce genre.

n

partage les mêmes idées que les modérésetles «Politiques»; gens les plus instruits de l'époque dont la figure représentative demeure Michel de L'Hospital. Profondément hostile au duc de Guise, il refusa aussi tous les avantages que pouvait apporter la fréquentation de la cour, préférant la retraite studieuse en compagnie des&saisde Montaigne. Malade àlafinde sa vie, obligé de vendre sa bibliothèque pour subvenir àses besoins, il continua jusqu'à sa mort la rédaction de son journal. Cette petite «biographie romanesque» insiste sur lefàitque, malgré une hiérarchie de croyances dansla puissance de Dieuetson ubiquité, même les personnes les plus éclairées au

xvr

siècle présupposent toujours l'existence d'un pouvoir divin qui régule l'ordre du monde

DL'Estoile, t.

L

p. 164. 24L'Estoile, t. 1, p. 206.

~'Estoile, t. fi, p. 111. 26/bid, p. 204.

(23)

IS

en punissant ou en récompensant les actions des hommes. C'est cette gnoséologie qui

rend vraisemblables les discours eschatologiques qui pullulent notamment en cette

seconde moitié du

xvr

siècle.

Les

intersianes QUi annooccnt

la colère de Dieu

Lorsqu'enjuillet 1574 Geoffioi Vall~ fanatique illuminé, est condamné au bûcher après un long procès qui a captivé Paris PeDdant plus d'un mois, il se met à

apostropher les juges en criant:

(...] qu'ils s'en repentiroient et qu'ils gardassent hardiment leurs vignes ceste annee.21

Sa fonnule connaîtra une grande fortune. L'année suivante, la France subit un durhiver; on s'imagine très bien ce qui se produisit. L'Estoile note dans sonjouma1à la fin d'avril

que «les vignes furent gelées en plusieurs endroits aux environs de Paris, qui fut cause

de faire rencherir levinet le vendre trois ou quatre soles la pinte [...]»21. Artus Désiré, grand scrutateur des pensées divines a su, lui, qu'il ne s'agissait pas seulement d'un

phénomène climatique, car

Dieu voyant que nul ne voulloit S'amender dehors ne dedans,

n

feit un froid qui nous gelait Lepain de bouche entre les dens. Vignes et noyers mesmement Feurent gelées de telle sorte Que la racine secheet morte Ne produit raisin ne sarment.29

L'homme a dépassé les limites prescrites par Dieu: ilattire désormais sa colère par ses péchés; il tardeà se repentir ce qui nuit à sa rédemption.Leprix des aliments augmente,

27L'Estoile, t.

L

p. 70. 21Ibid, p. 162.

(24)

16

les images de la Vierge ruissellent de sanglO et il Ya même une éclipse: signe ultime de

l'horreur de Dieu devant sa création:

Carla terre qui est poUue ne lespeut plus porter, etle soleil quien a honteest contrainet se cacher et éclipser ne les pouvant plus regarder.]1

En 1577 apparaît une comète dans le ciel de Paris dont la queue atteint une

longueur incommensurable.n EUe sera we pendant quarante jours :

Et audiet an 1577, environ la Ceste Saint-Michel, fust veue au ciel une estoiUe traynant grand queue, comme si e'estoit une branche d'arbre ou ung&gol,tellementquelemondelIIU171tUFoit que c'esloit quelquegrand

signe que Dieu nous envoyoit, parce que nous avyons la peste continuellement, la famine, nefaisantaulcungtraficqde marchandise ne

uI . . []33

a tres mOlens pour VIVre ... .

Lesenfantsdifformesquinaissenten cette période trouvent aussi leur explication dans la colère de Dieu. L'Estoile raconte l'histoire d'un capitaine du roi d'Espagne qui

«n'aiant aucune crainte de Dieu»34 vitsa femme accoucher

d'un fils qui depuis les hanches en bas estait assez bien formé. Mais le haut estoit tout couvert de taches rouges noirastres, avait les yeuxau front, la bouche ronde, fort noir et hideuse, les oreilles longues comme un chien de chasse, avec deux cornichons recroquillés au hault de la teste qui devenoient rouges comme sang aussitôt qu'on en touchoit. ]5

:SOVoir Christin, 1991, p.242-243.

31Boistuau, Histoire des persécutions, in Crouzet, 1994, p. 515.

32Voir L'Estoile, t. fi, p. 147.

33Burel,Journal, p. 48; c'est nous qui soulignons. 34L'Estoile, t. 1, p. 226.

(25)

17

Cette relation de causeàeffet se trouve aussi bien dans leJournalde Burel où ilrelate qu'une étoile filante signifie-guerre,peste [...] naissance d'enfansdifformes ayant deuxvisages»36que chez legrandchirurgien AmbroiseParéqui, danssonlivresur les

Monstres et prodiges, indique que la principale cause decephénomèneestsans aucun doute «l'ire de Dieu»lT. Dans sonessai sur l'enfant monstrueux, Montaigne aura alors beaujeu~ après avoir décrit uncouple siamois, d'écrire qu'il est sans aucundoute un intersigne qui ordonne la réconciliation entrelesditrérentes factions !

Ce double corpsetces membresdivers,se rapportansàune seule teste, pourraient bien fournir de favorable prognostiqueauRoy de maintenir sousl'union desesloixcesparset pieces diverses de nostre estat [...] (fi,

xxx,

p. 713).

Toutefois, tous ces signes qui~ en princiPe, doivent susciter des sentiments de crainte et d'angoisse ne semblent pas produire le même effet chezlesgensde la cour.

Car~ àla même période, nous dit Pierre de L'Estoile:

Nonobstant toutes ces misères~on ne

se

laisse de s'esgaier[...] d'y rire, danser a bon escient.31

Henri

m

multiplie les bals,cequi,en autresraisons, le pousse constammentàaugmenter les taxes pour renflouer ses caisses. Le festin royal du 1S mai 1577aattein~ dit-o~ -à près de cent milfrancs-39•

n

continueà se déguiser en femme et paie une fortune pour

que ses mignons, Maugiro~Riberac, Livarrot, AntraguetetQuelus, «ce bel Adonip,

36Burel,Journal, p. 10-11. 37VoirParé,Monstres. p. 4-8. 3'L'Estoile, t. Il, p. 17.

(26)

18

soient «fraisés et fiizés aveq les crestes levés [...] diaprés et pulverizés de pouldres

violettes et senteurs odoriferantes qui aromatizoient les rues, placesetmaisons où ils

frequentoient»40. Mais, pour certains, la corruption de la cour n'est pas la faute du roi. Dans l'un des nombreux tracts recueillis par L'Estoile4l et qui figuredanssonjoumal, ce point de we esttrèsbien explicité:

Toutainsi, les trop hDres loix De nostre pauvre esclave France Permettent de prendre accroissance Autour de nosPrinceset Rois,

Par une vengeance Divine,

Aune petite vermine

De Mignons, venus en trois nuits Qui, comme la cheville, paissent Nos Fleurs, aussitost qu'eUes naissent, Et mangent en herbe nos fruits.42

Cette gnoséologie qui renvoie toutàla volonté divinefaitdes mignons non de simples débauchés mais les messagers d'un Dieu en colère qui infectent plaisamment les moeurs

de la cour et corrodent les principes de la monarchie pour inciter ainsi la Franceàse repentir etGCsecorriger d'une infinité de pechez»43. Le mal par le mal: c'est vraiment le Dieu de l'Ancien Testament 1

4OIbid, p. 145.

41Ces tracts que L'Estoile nomme ramas (écrits ramas-sés) sont habitueUement de courts pamphlets, des poèmes ou des chansons qui attaquent principalement le roi et la cour.Des courageux les distnbuaient clandestinementàParis ou les affichaient sur un mur. L'Estoile en a ramassé plus de quinze cents dans quatre gros volumes malheureusement disparus au

xvnc

siècle. Seules une centaine de ces pièces sont retranscritesdans son journal.

42Les Vertus et propriétés des Mignons, 25 juillet 1576,inL'Estoile, t.fi, p. 44; c'est nous qui soulignons.

(27)

19

Mais une question demeure et c~est celle, on s~en doute~ que la plupart des apologistes deI~extermination,despamphlétaireshaineuxet des clercs de second ordre se sont posée tout au long de cette période:

Donc, ne faut s~esbahirsinous sentonssurnous Duciel, incessamment, le très juste couroux. Mais qui fait provoquer sa divine vengeance

1'"

Les Çi"'sesetlesmoyensd~apaiser la colère de Djeu

QudIcscauses n9

inw:ntoos nousdesmalheursquinous acMeunent ?

Aquoyne nousprmoasnous • tort ou • droit. pour avoiroùnous

escrimer?

Mootaip(1.IV. p. 23) Pourcertains~il ne fait pas de doute que la coexistence confessionnelleest la cause de la colère de Dieu et de tout ce qu'elle entraîne. D'ailleurs, nous dit Artus

Désiré,Denys l'Aréopagite l'avait déjà prédit:

[Lui] fut revelé par l'Ange, que tant que justice regneroit en iceluy [le foyaume de France] que l'Eglise prosPereroit en la dicte foy, mais que sitost qu'eUe deftàudroit, qu'eUe s'en irait hors le pais.4

'

Lesjuges qui ont émis des édits tolérant les protestants s'avèrent les véritables suppôts de Satan. En effet, il semble impossible de faire régner la paix dans un foyaume où coexistent deux loiset deux fois.

n

s'agit·et la pensée volontariste fonctionne icià plein - de changer de gouvernement:

Et si vous n~ymettez Autre gouvernement

44Le Sonnet sur la difformité de la France etsurlaperte de foi de son peuple, avril 1578,

in L'Estoile, t. II, p. 186.

(28)

20

Tousjours de la guerre aurez Pardivinjugement.46

afin qu'il réforme les lois. Car de toute évidence, les magistrats sont les seuls agents de

«notre ma1heup. C'est la tolérance qui

a

maudit le royaume de France: Lapunition qu'il nous donne

Provient de [n]ostre faulte ettort, Caril ne veult point qu'on pardonne A éeulx qui sont dignes de mort.41

Dès lors les nouveaux ministres auront la solutionà portée demain; ils n'ont plus -sans remission [qu'à les] brûler tousvifsà petit feu,.4'.

n

ne fiwt pas s'en raconter, nous dit-on, les protestants n'apportent que du trouble, rien qui vaille. Auger, Mouchy, Vigor,

Pelletier, de Hans, ainsi que Désiré dans ses soixante et onze éditions de pamphlets venimeuximprimésautournant delaseconde moitié du

xvr

siècle, ne sont pas les seuls à le dire, puisque:

L'air demande à les estouffer Laterre à les reduire en cendre Le feu à les ardre en enfer Justiceàles faire tous pendre; Leurs pechezà la mort les rendre Et les grands ondes de la mer A les noyer&. abismer [...].49

Denis Crouzet a parfaitement raison lorsqu'il affirme que tuer auXVIesiècle n'est pas

un crimeniunpéché,loindelà,-c'est aimer Dieu, allerau devant d'un désir de Dieu_50•

46/bid, p.

XII-xm.

.nDésiré, Secret Conseil, p. 167. 4'Désiré, Singerie, p.37.

49lbid, p. 33.

(29)

21 L'extermination des agents maléfiques demeure leseulmoyen d'apaiser sa colère. La

paixs'obtiendra uniquementparle

massacre. Ce

n'est pas seulement une nécessité, c'est un devoir:

Sile glaiveconcédé au Roy, c'estpour&ire justice [...]. ParquoyunRoy faiettresmals'ilne &ietpas laguerre aux mescbans, aux rebelles, ets'il ne les extermine: et n'estpasen sa puissance de leur pardonner. Que s'il lefaict, ilestàcraindreque Dieu nelui ostesonroyaume.

'1

Lafin du monde

L'aubedumiDeniumesthabituellementprécédée d'une ère de vols, demassacres etde famines où les liens traditionnels disparaissentetoù le fossé entre les richesetles pauvres s'élargit'2. Ces conditions sociales correspondent parfaitementà celles qu'on retrouve danslaseconde moitiédu

xvr

siècle en France. En plus des guerres intestines qui débutent dès 1562 et des conduites courtisanes déréglées, trois famines et deux épidémies de peste s'ensuiventdansles années 1570et1580. On n'a encore rienvu, nous assure Artus Désiré:

(...] ceque nous avonsyeucesteanneepresenteestreaccomply envers vous & nous, pour un presage& commencement de lieu plus grandes douleursà advenir [...].53

Leraisonnement asymptotiqueculmineencetteseconde partie du siècle, car tout porte àle confirmer. De plus, affirme encore Désiré, saint Jean avait déjà tout préw:

5lVigor,Sermon catholique sur les dimanches [...

l,

in Bourgeon, 1993, p.479. s2Voir COM, 1962,p. 42.

(30)

22

[...] en sa premiereepistre,dOU2iesme chapitre, là oùildit que au dernier temps, plusieursAntec::bristsserait produits de nous,

&

ne serait point des nostres."

Comme le remarque N. Cobn, les coryphéesdumiDeniumseiéf"erenttoujours aux grands écrits apocalyptiques que ce soit les oracles sibyllins du Moyen Âge ou le grand texte canonique en cette matière, l'Apocalypse de saintJean. Cette référence obligée devient le gage de l'infaillibilité du présages,. Désiré ne déroge pasà la tradition:

Prouver je veux par les lettres divines Aux gens remplis de folastre argument, Que ee jourd'uy nous voyons tous les signes, Qui sont predits du signal jugement.

Pouree Chrestiens de bon entendement,

Qui

cognoissez que Dieu est unité [...] Amendés vous, car pour la vérité

Lafin du mondeest plus pres qu'on nepense."

QuantàNostradamus, ilne fait rien d'autre que recycler tout ce qui traverse le discours socialde son époque sur l'imminence de la fin du monde. Mais sa position prestigieuse de méde~d'astrologue et de conseiller du roi l'oblige à se distinguer de ce qui se dit ailleurs. Son procédé connaîtra une grande fortune auprès de certains esthètes. Grâceà une combinaison de mots provenant de la cabale, de l'astrologieetd'archaïsmes grecs et latins, il rend son propos complètement abstrus mais en serinant toujours la même rengaine. En voici deux exemples:

Selon les signes celestes, le regne de Saturneserade retour, que le tout calculé, le monde s'approche d'une anaragonique revolution.57

~lbid., p. 20.

sSVoirCo~ 1962, p. 27-30etpassim.

"Désiré, Quinze Signes, p. 50. s~ostradamus, p. 360.

(31)

23 Et encore:

Le grand Empire de

r

Antechrist commencera dans

r

Atila " Zerses descendre en nombre grand " innumerable, teUemen que la venue du Sainet Esprit procedant du 48 degré, fera transmigration, decbassant à l'abomination de l'Antechrist, faisant guerre contre le Royalquisera le grand Vicaire de Jesus Christ, &, contre son Eglise, " son regnepeT lempus., etinoccasionetemporiseSI

Montaigne, dans son chapitre des Prognostications, avait déjà sa petite idée sur ce

procédé d'opacification:

Maissurtout leur prestebeaujeu le parler obscur, ambigu etfantastique du jargon prophetique, auquel leursautheursne donnent aucun sens ciair, afin que la posterité y en puisse appliquer de tel qu'i1luy plaira. (1,

XL

p.44)

ce qui le rend plus prophète que le prophète 1On remarque finalement que, malgré leurs

positions respectives dans le champ sociodiscursif de l'époque et les procédés

rhétoriques qui sont propres à ces positions, l'un, grand protégé du roi qui travaille dans

le discours sibyllin et sophistiqué, l'autre, petit clerc de second ordre qui s'épuise dans

le pathos anxiogène, Nostradamus etDésiré ne font pas mention des jours meilleurs

promis par la tradition millénariste.Lepays de cocagne a disparu !Leurs exhortations

au massacre au nom d'un cataclysme imminent sont purement réactionnaires et servent

uniquementàassurerla stabilité de l'ordre établi (Artus Désiré publie avec .privilège du roi») contrairementau discours miUénariste du Moyen Âge, analysé jadis par N. Cabn qui, partant «d'en-bas», des excommuniés habituellement, promettait toujours à un

moment donné, un monde régénéré.

(32)

24

Montaipeet

les discours

apocaIxgtjques -«Del'institution

des

enfanp

Onapprend dans leJournalde Voyage, que Montaigne a coutume,danstoutes les villes oùil s'arrêt~de parleràun -docteur théologien», de visiter chaque église de quelque confession qu'elle soit et surtout d'assister aux sermons". fi avait aussi vraisemblablement le privilège d'écouter Emond Auger qui prêchait, pendant lesannées 1570-1580,àl'égliseSaint-André de Bordeaux. C'est ce dernier qui, impatient de voir les Bordelaisimiterleurs concitoyensfrançaisdanslescarnagesquisuivirent celui de la Saint-Barthélemy unpeupartout en France, aurait prononcé ces mots:

Qui a exécuté le jugement de Dieu à Paris? L'Ange de Dieu. Qui ('a exécuté à Orléans? L'Ange de Dieu.

Qui

l'a exécuté en plusieurs autres villes du royaume? Qui l'exécutera en la ville de Bordeaux? Ce sera l'Ange de Dieu.60

Ce discours, en fin de compte, ne diffère en rien de ce que nous avons écrit jusqu'à

maintenant. Le massacre des protestants à Bordeaux eut enfin lieules 3 et 4 octobre 1572faisant environ deux cent cinquante morts61.

Montaignefaitune seule fois mention delacolère deDieuetdu Jugement dernier dans touslesEssais. Lepassage mérite d'être cité en entier:

n

se tire une merveilleuse clarté, pour le jugement humain, de la frequentation du monde. Nous sommes tous contraints et amoncellez en nous, et avons la veuë racourcie à la longueur de nostre nez. On demandoitàSocratesd'oùilestait.

n

nerespondit pas: D'Athenes; mais: Dumonde. Luy, qui avoit son imagination plus plaine et plus estanduë, embrassoit l'univers comme sa ville, jettoitsesconnaissances, sasociété et ses affections àtout le genre humain, non pas comme nous qui ne

S9yoirJournalde Voyage, p. 1144-1148etpossim.

60Cité in Hauser, 1911, p. 291.

(33)

25

regardons que sous nous. Quand les vignes gelent en mon village, mon prebstreenargumente('ire de Dieusurlarace humaine, etjuge que la pepieentienne des-jà les Cannibales. A voir nos guerres civiles,qui ne crie que cette machine se bouleverseet que le jour du jugement nous prent au coUet, sans s'aviser que plusieurs pires choses sesontveub, et que les dix mille parts du monde ne laissent pas de galler le bon temps cependant? Moy, selon leur licence et impunité, admire de les voir si douces et moUes. A quiilgresle surla teste, tout l'hemisphere semble estreentempesteetorage. ~XXVI, p. 157)

La société dans laqueUe on vit devient un endroit de prédilection pour exercer son

jugemen~selon Montaigne. L'Estoile mentionnait quelquefois le -bonheur» de la cour mais jamaisil ne juxtaposait ce thème aux discours apocalyptiques pour les discréditer, ce que fait ici l'auteur des Essais. Cependan~ Montaigne change complètement de registre en excluant de son propos toute référence à son pays, excepté le phénomène

étudié. Le monde en son immense synchronie et les Anciens deviennent les seules

mesures sur lesquelles il s'appuie. Son analyse ne montre pas seulement l'absurdité d'un

raisonnement qui repose sur une causalité linéaire, mais constitue aussi une dénonciation

de ce qui en découle et qui demeure sous-entendu, latent tout au long du passage:

l'imposture des discours qui justifient les massacres par la volonté divine. Ce procédé

ccsynecdotique» qui consiste à critiquer un phénomène d'apparence bénin mais qui possède néanmoins de lourdes conséquences dans le réel (les vignes qui gèlent sont la

pars pro totode l'ignominie d'une guerre faite au nom de Dieu danscetétat du discours) devient l'unique moyen de critiquer sa société sans

r

aborder de front. Finalement., etlà Montaigne se situe vraimentà l'opposé du discours dominant et de l'axiologie qui le

supporte: loin d'annoncer lafindu monde, les guerresetles catastrophes de son siècle sont plutôt «doucesetmolles» comparées à tout ce que l'humanité a déjà supporté.

(34)

Cbapitrell

L'élection divine

Toutefoys la victoire nous en demeuroit, car aussi nous tenons Jepartyde Dieu&. de la sainete religion catholicque, appostolique &. romaine, &. le dict de Chatte soubtient la religion herectique " dampnable.

Burel, Journal d'un BourgeoisdePuy, p. 126

Mon cousin, nous avons à louer Dieu,ilnous a donné une bene victoire.

Lettre de Henri IV au duc de Longueville,Lettres, tome

m,

p. 169

J'avoy presentement en la pensée d'où nous venoit cett' erreur de recourir à Dieu en tous nos desseins et entreprinses, et l'appeUer à toute sorte de boisoing et en quelque lieu que nostre foiblesse veut de l'aide, sans considerersi l'occasionestjuste ou injuste; et de escrier son nom et sa puissance, en quelque estat et action que nous soyons, pour vitieuse qu'eUe soit.

(35)

Les catholiques aussi bien que les protestants ont cherché lors des guerres de

religion divers signes qui pourraient confirmer le bien-fondé et la véracité de leurs

croyances respectives. Cette démarche découleprincipalementd'un type de raisonnement

qui consiste à métamorphoser les faits contingents en ordonnances de Dieu, à insuftler

du divin dans du hasard.

n

va sansdireque ce paralogisme n'est pas nouveau en soiet

qu'ilfutsûrement utilisébien avant le

xvr

siècle dans différentesguerr~par exemple contre les Turcs, les Cathares, les Vaudois, maisil trouve en cette seconde moitié du siècle un terrain de prédilection où sa logique se dévoile sous ses moindres coutures.

L'émergence d'une nouvelle confession aussi puissante que le protestantisme

déséquilibre le champ religieux traditionnel européen, et par le fait même de sa présence,

pousseles différentes factionsàune surenchère de preuves divines. Par un étrange retour du refoulé, ce raisonnement, sans doute latent auparavant et ne réapparaissant que

sporadiquementàtravers le Moyen Âge, devient en cette période la pierre de touche à

partir de laquelle s'interprètent les moindres faits d'arme. Tout croyant consciencieux

doit désormais découvrir les desseins de Dieu qui se cachent sous une rixe dans un

village, la signification supranatureUe de l'issue d'un siège et bien entendu les

recommandations divines qu'expriment les résultats d'une bataille.

Une catéi0rie de Ja

pensée

collective

Cetype de raisonnement est un fait de civilisation qui exige pourmaintenirsa crédibilité d'être

sans

cesse en interaction avec d'autres usages et en premier lieu avec les cérémonies religieuses. Avec quatre cents ans de recul par exemple, le charme et

(36)

28

l'enthousiasmeque devaitprocureren principe cette rhétorique nous sont complètement inconnus. Non seulement l'argumentation ne nous convainc plu~ mais eUe demande même uncertaineffort de notre part pour comprendre vraiment comment eUe a bien pu

y parveniJ62. FaUacieux ou non, retors ou pas,il reste quand même que ce raisonnement quifait intervenirDieuàtoutinstaDtetà tout propos ne fiat pas moins une véritable force historique qui a pu sublimer différents combatset encourager les guerriers à menerà terme de nombreux carnages encours.Roborative, certes cette rhétorique l'est, car elle donnejustementl'impression qu'on ne sebatpaspourn'importe quoi, mais spécialement pour Dieu. Celui-ci apparaît dès lors comme le motifet le trophée de toutes les mêlées.

En une périodeoùles guerres se succèdent à un rythme effarant et où la plupart

des croyants ne saisissent pas tout à fait les enjeux proprement théologiques des

querelles, la Providence devient l'unique balance à partir de laquelle les faits etgestes

peuvent s'interpréter;paroùinévitablement la vérité doit un jour se révéler.Leprincipal axiome qui sous-tend cette logique est que l'issue d'un événement se confond toujours

avec un décret divin. En d'autres mots, peu importe ce que les humains entreprennent,

le Bien saura toujours triompher. Nous posons comme hypothèse que cette quête

frénétique de verdictsdivins,lors des nombreuses batailles qui s'étendent sur toute cette moitié du siècle,estunsubstitutpourde nombreuses personnesàl'incompréhension des subtilités théologiques et qu'eUe répond principalement à l'incapacité cognitive de

dégager la vérité des querelles théoriques sans nécessairementy renoncer pour autant.

62"fi

estindéniable qu'aujourd'hui encore certaines personnes utilisent cette grille

herméneutique pour décrypter les guerres contemporaines.Mai~en ce qui a traitàla Franceet aux autres pays «désanchantéP, ce type de raisonnement est plutôt périphérique et ne fait absolument plus parti, comme lors de la seconde moitié duXVIesiècle, de la doxa dominante.

(37)

29

Onvoit maintenant le problème. Ce raisonnement n'est jamaisaposteriorimais presque totalementapriori.L'éclairagesurles faits estsans cessevanableetsemodifie en fonction de la position idéologique des différents agents qui les énoncent, dtoù rabsencecomplète d'un consensusinterprétatit: Une pluie devientà la fois une punition,

un signe d'élection ou tout simplement un phénomène atmosphérique. En théorie, l'interprétation du fait neserviraitqu'àconfirmer ce qu'un agent croit déjà, jamaisàle convertir à une autre confession.

n

ne s'agitpasdu tout pourlui de revoirsesschèmes mentaux lorsqu'ils sont contreditsparcertains déboires queluioffi'e la réalité empirique, maisde fairecoïncider le monde aporétiqueetcontradictoire avec desa prioridûment certifiés. Cette croyance individuelle àune élection divine que nous retrouvons dans notre analyse se trouve ainsi dominée par les croyances collectives de l'époque et indissociable d'un réseau de pratiques qui alimentent constamment cette crédulité publique.

Processsjoos et rituels

Leshommages rendusàDieu sont légion en cette période. On L'ovationneàtout moment, onLerassure par d'immenses rassemblements.Défilésdans les rues, bannières qui s'éploient en claquant au vent sont des événements usuels dans les villages et les villesàmajorité catholique, tandis que pourles protestants, prières et lectures bibliques en groupe remplissent sensiblement le même rôle. Un trait distinctif de la psychologie sociale de l'époqueestcesentimentqu'absolument rien ne peut parveniràbien sans une intervention divine immédiate. Un Protestantaussipeufanatique que Sébastien Castellion exprime clairement cette particularité lorsque, avant de réprimander la France, il se recommande premièrementàDieu :

(38)

30

Quoy qu'il en soi~je me veux mettre en debvoir de te donner conseil. Dieufàceque ce soitàsa louange,et à tonprofit,car je sçay bien que s'il n'ymetla~c'estàmoyetàtout homme peine perdue.63

La croyance coUective en l'efficacité decertainsgesteset même en la nécessité de les

accomplir entraînelapratique de nombreux rituels. Une typologie reste encoreà faire en cequiconcerne les circonstances précises qui ont suscité un tel déploiement d'actes dépourvus de tout trait véritablement fonctionnel Faute de mi~quelques exemples serviront àillustrer notre propos. Dès le 9 septembre 1587, la villede Paris prépare la cérémonie en we du départprochaind'Henri

m

poursonfuturcombat contre les reîtres àla solde des huguenots:

On appreste à dimanche de faire une procession générale de toutes les paroisses de Pariset les prières pour le bon voyage de Roy. On portera toutes les sainctes reliques avec touttes les cérémonies dont on a coustume d'user encessuplications [...l".

Dansle village dePuy, Jean Burel raconte que pour s'immuniser contre toute entreprise

belliqueuse de la part du Seigneur de Chatte:

Lepeuple esmeu de devoction vennyoità joner deux foix la sepmayne&, le dimanche recepvoir checun son Créateur, affinqu'il plaiseàDieu de nous acister& nous garder des entreprinzes de ces traistres [...

]'5.

Découragéde la tournure des événements lors du siège de Paris en 1590, Monseigneur de Légat demande finalement:

63Castellion, Conseil, p. 19.

"Lucinge, Lettres, p. 282.

(39)

31

QueParis doncquesrentranten soy mesme se retourne auSeigneur avec profondehumilitéde

coeur

et componction de larmes, etluidemand[ent] pardon de ses fauttes passées [...

t

6•

Cette propension socialeàefIèctuerdes rituels fait en sorte qu'on-dresse des devotions particulières etgeneralles pour la paix»67, pour apaiser -l'ire de Dieu»-, pourextirper

.l'hérési~69,pourcdestoumer lesDJisèrep1O, pour éloigner -lapeste-71 etpour préserver la ville de Paris -en sa première constance et resolution»n, c'est-à-dire afin qu'eUe demeure catholique. Cette brève énumération n'englobe qu'un nombretrès restreint de

circonstancesquinepeuventexister sansprocession générale.Lacollectivitésepourvoie ainsi d'une identité mystique chaque fois qu'eUe allume des cierges, qu'eUe défiledans

la rue derrière un saint ou la sainte Vierge. Pour les catholiques, une pleine réalisation

dans ledivin semble indissociable de toute cette panoplie de gestes, àla fois un mélange de foi, de coutume et de servitude volontaire, qui parviennent finalement à recouvrir d'uneaurasacralelesfàits de la vie quotidienne. Quantauxprotestantsqui s'acharnent principalement en cette Périodeà redéfinir en profondeur -les limites symboliques qui

66Anonyme,Siège, p. 322.

67Lucing~Lettres, p. 243.

"Idem.

69yoirAnonyme, Siège, p. 324.

7~ucinge,Lettres, p. 294.

71Bure~Journal, p. 50.

(40)

32

séparentlesacréduprofàne»'73,ils ne pourront faire autrement que de voir dans tous ces actes la manifestation indubitable de pauvres gens -ensorcelés de supertitiODP74•

Néanmoins, malgréles différentesapproches préconiséespour seréconcilier avec l'au-delà, ilne reste pas moins que les deux factions onttenté, lors de la seconde moitié du

xvr

siècle, deseprésenter comme étant les seulsetvéritables élus deDieu. Les sianes d'éJection dansJa yie Quotidienne

Après la publication en 1568 d'édits qui permettaient l'exercice de certaines pratiques protestantes, les huguenots du village de Puy prirent l'habitude de se rassembler quotidiennement dans la maison de Cordac puis dans celle de Larconce pour

y pratiquer diverses dévotions. Maisà peine quelques jours après, raconte Jean Burel,

Dieu s'irrita,étantdès lors incapable de supporter davantage cette ignominie païenne, ce culte rendu par des -larronsetmeurtriers-75•

n

fit alors :

ung grand miracle, car lors desdietes prières la maison de Larconce tumba enterre,& les audicteursl'ungsur l'aultre,& les enfens coroient après eulx comme chiens enragés.76

Ceraisonnementquitire duhasardun fait contingent pour le rapporter à un décret divin ne possède aucun fondement empirique en soi. C'est le consentement de la majorité des

concitoyensquicrée cetteréalité, quidonneà ce phénomène son caractère vraisemblable, qui rend l'interprétation crédible et recevable. Même processus, dirons-nous, pour

7JChristin, 1991, p. 171. 74Calvin,Institution, 1, p. 68.

75Bure~Journal, p. 22.

(41)

33 I~apparitionprécoce du blé dans les champsauprintemps 1590 lors du siège de Paris: -Ce futparunesingulière.faveurdu cielque les bledz vindrent enmaturitébien plustost que de COUstume»17. Dans cette logique, il va de so~ après un hiver de famine et de

misère aiguesoù4Ilanéœssitéestoistsiexbesme qu'unchien ne parroissoit si tostenrue, que l'on ne courust après avec lassetzetcordages pour le prendre, le faire cuireet le mangeP7Ietoùévidemment les processionsetles prières scandaient cette longue attente de vivres~que le moindre événement favorable futsur-le-champ considéré comme un bienfàit deDieuetipso jactocomme un signe d'élection deceuxqui l'avaient reçu. Au cours du même siège, un mois plustard~Monseigneur le Légat annonce une livraison prochaine de nounitureetne manque surtout pas de répéteràses concitoyens qu'il faut continuer

tousjours les prières et processions accoustumées qui, dès la même

matinée~se virent renforcées parI~assistanceettrès grande devotion du peuple, tant en l'église cathédrale qu~èsautres paroisses de la vilIe'79

s'ils veulent vraiment que l'entreprisesoil menéeàbien. Une semaine plus tard, le convoi est bel et bien arrivé. On devine àqui les gens de la ville de Paris ont attnoué cette faveur!

Cependant,le moindrepéchérisque aussitôt d'entraîner l'effet contraire. Lucioge nous rapporte que le roi Henri

m

étaitbourrelé de remords pour avoir spolié son peuple etcroyait fermement que les maux qui accablaient son royaume n'avaient d'autre cause qu'une punition divine due à ses dépenses excessives.

n

alla jusqu'à s'en confesser piteusement aux filles de la reine :

77AnonYme,Siège, p. 173 ; c'est nous qui soulignons.

71Ibid.~p. 181.

(42)

34

n

commença à leur dire qu'anciennement il

y

avoit eu un grand Roy comblé de toute fortuneetprosperité, mais Dieu l'avoit oblié pour deux occasions (...)

n

s'adonnaàtoutevanitéetlascivité;ilemploya le revenu de son royaume en toutes superfluitéset despensesinutiles. "Je veuxà cetexemplequittertoutes lesvanitez, les

foDes despenses

etcomme

bon

père de famille distribuer mes finances (...) etsurtout avoyr soucy des pauvres".10

Lorsque les bateauxdes roisde Castille revinrent chargés d'or du Nouveau Monde après que les soldatseussentravagé ces lointaines contrées, ilscoulèrentdansla mer puisque, sans aucun doute, ilétait impossible, nous dit Montaigne, que Dieu eût pu tolérer une aussi grande injustice :

Dieu a meritoirement permis que ces grands pillagessesoientabsorbez par la mer en les transportant, ou par les guerres intestines dequoy ils se sont enbemaDgez entre euxetlaplusparts'enterrerent sur leslieux, sans aucunfrujetde leur victoire.(IlL

VL

p. 913)

Malgré le souci de penser par lui-même afin de réfléchir de façon critique àtous les

autresdiscours, Montaigne semble incapable, ici du moins, d'appréhender l'immanence du monde en dehors de toute intervention divine. Cependant, il demeure que plus souvent qu'autrement il a pu éviter ce type de raisonnement. Nous oserons même affinnerque l'une descritiquesémises parle Saint Siège .. c'est-à-dire l'utilisation du mot fortune .. I l ne fait quliexprimer un

malaise

que nombre de lecteurs de

son

époque et

même de la suivante(pensonsàPascal, par exemple) ont pu éprouver relativementà la fonction centrale qu'occupe ce nom dans lesEssais.

~ucinge,Lettres, p. 196.

11Pourla critique, voir

Joumal,

p. 1229 : «Je le suppliai, au rebours, qu'ilsuivit('opinion de celui qui l'avoitjugé, avouant, en aucunes choses, come d'avoir usé du mot de fortune [...]».

(43)

35

Fortune ou Pieu? LacritiQJlC

du

Saint Sièae

Dieuestpartoutencette seconde moitié du siècle. Nous l'avonsdit.Toutefois, dans le livre de Montaigne, ilD'estmentionné que rarement comme celui qui manipule tous les «leviers» et, si celaadvient, alorsill'estdansdes circonstances bien précises. À l'exception dupassageque nous venons de citer,oùDieu estcensé châtier les Espagnols etles spoliations d'outre-mer, nous le retrouvons par exempledansun rôle similaire lors de l'épisode de Cleomenes. C'est cedernier, raconte Montaigne, qui, n'ayant pas su

respecter une trève contre les Argiens sous prétexte qu'eUe était inefficacependantla nuit, termine sa vie puni par les dieux pour avoir osé se voiler sous -cette perfide subtilité»(1, VI, p. 28). Et même là, ce n'est pas le Dieu chrétien qui est évoqué, mais bien lesdieuxpaïens.Mais, habituellement, Montaigneseborneà n'employer que le nom de fortune, c'est-à-direàattn'buer au hasard ce qu'on serait tenté d'imputeràDieu.

Cette parcimonie dans l'utilisation du nom de Dieu répond sans aucun douteà la surenchère que les gens de son siècle font du même nom. Dans le Discours

merveilleux par exemple, l'auteur relate que la tentative d'assassinat du Maréchal Damville a avorté uniquement grâceà l'intercession divine, qui, bien entendu, a pu ainsi déjouer les plans de la reine mère!

Sur ces entrefaites donc arrive un courrier de Languedoc qui rapporte que le piege est si bien dressé que Damville n'en peut eschapper

nullement.[Mais] Dieu voulut toutesfois qu'estant sur le chemin pour se jetter au dangerilenfutadvertiettourna bride.1Z

Isabelle,reine d'Angleterrea,eUe aussi, évité une mort atroce. Mais pour Montaigne,

ce

n'est pas Dieu qui est intervenu :

Isabel,Royned'Angleterre, ayantàrepasserde Zelande en son Royaune, avec une armée en faveur de son fils contre son mary, estait Perdue, si

(44)

36

elle fut arrivéeau port qu'eUe avoit projeté, y estant attendue par ses ennemis ;maisla fortune la jetta contresonvouloirailleurs, où elle print terre en toute seurté.(1, XXXIV, p.221-222)

Par l'utilisation systématique du nom de «fortune- dans des circonstance où généralement, en ce siècle, seretrouve le nom de Dieu, Montaigne rompt avec cette rhétorique quiest constammentàl'aftüt d'une preuve d'élection que pourraientàtout

moment offrir les aléas d'une vie humaine. Et plus encore, ce recours s'avère une

tentative assidue dene justifier auam raisonnementetauamagissement en ce nom. Dieu

possèdeun senstellementextensifen cette moitié du siècle, que plus souvent qu:tàson

tour, l'on réclame sa caution pour légitimer les pires atrocités.

Des

ordonnances

divines

Après la Saint-Barthélemy, certains pamphlétaires théorisent la possibilité d'assassiner le roi au nom de Dieuet vont même en proclamer la nécessité. Quoique

moins radicalement que le feront certains autres à lafinde ce siècle,

Iunius

Brutus dans

sesVindiciae, accrédite une teUe éventualité:

Qu'est-ce qui empesche donc, direz-vous, que le Mesme Dieu qui nous chastie en nostre aage par les tyrans, ne puisse aussi envoyer extraordinairement quelques chastieurs detyrans~

Ains~pour la majorité des catholiques du village de Puy, ilne fait pas de doute que le meurtre de Henri

m

survenu le 2août 1589 est l'oeuvre de Dieu et que le moine Iacques Clément n'est enfinde compte que son simple exécuteur:

le roy Henry tiers du nom, en recompence " retribution de sa grande cruatué " tiranie qu'il avoit exéquté [fut assassiné] par un jacopin de Paris, delapartdeDieuenvoyé [qui] frappa le roy d'ung cop de cotteau

(45)

37

au ventre, duquel cop le roy vesquiet seuIIement quatorze heures, que aprèsiltrespassa.If

Nous pouvons en déduire que cette logique qui justifie l'assassinat sous prétextedivin

a précédé un tel acte. EUe semble tellement répanduedansle discours social de l'époque que c'est sans aucun doute eUe qui fournit les assises idéologiques nécessaires à l'exécution du roi." Nous retrouvons même un raisonnement similaire dans un texte

d'Etienne Pasquier. Ce Politique en princiPe modéré semble incapable d'expliquer le

meurtre des Guise en dehors d'une intervention de Dieu :

Puisque donc Dieu preside au conseil des Roys, tient leur coeur en sa main, et qu'ils exercent lajustice divine, que PeDSez-vous que soit autre chose, ce qu'a ordonné notre Roy du duc du Guise et du Cardinal son frere que vraye et equitable Justice ? [...] Ce neantmoins le secret jugement de la divinité, caché en telle ordonnance ou execution, nous le doit faire recevoir comme de la main de Dieu."

Tout ceci, finalement, en dit long sur la prégnance de certainsa priorid'une époque.

Seul Théodore de Bèze, il nous semble, s'oppose catégoriquement au régicide. Le meurtre de Jacques Clément lui apparaît comme l'un des «plus horribles et inexcusables

assassins qui furent jamais commis, je ne dis pas en France, mais en tout le monde.17•

Malheureusement pour nous, Montaigne ne fait aucunement mention de ces homicides

dans tous sesEssais. Ainsi, à l'exception de quelques-uns, non seulement, comme le

14Burel,Journal, p. 154.

15Crouzet émet une hyPOthèse semblable. Le régicide, selon lui, ne serait absolument pas réductibleà l'acte de Clément;ilprendrait plutôt une dimension coUective. Cepandant,ilenracine les motifs de cet actiondansles cérémonies de deuil qui suivirentlamort desfrèresGuise. Pour notre part, nous croyons que ce conditionnement remonte beaucoup plus loin (dès la pub6cation desécrits monachomaques)etqu'il est avant tout discursifVoir Crouzet, 1989, p. 524.

l6pasquier,Remontrance, in Écrits politiques, p. 140.

(46)

38

remarqueàjuste titre J.-L.Bourgeon. la haine religieuseautorise absolumenttoutU~mais elle parvient aussi à imprégner l'illusion dans les consciences de chacun que Dieu favorisera toujoursceuxqui ontsu lui rendre hommageetquesapreuve d'électionse révélera incontestablement lorsque, exténué, il exterminera enfin tous ses ennemis. Encore une fois, ArtusDésirénousremetàl'ordre de son siècle:

À l'assaut, à l~assaut fidèles. Pourladéfence de la Coy,

Contre tous les Singesrebelles [...] Tout peuple deFrancearme toy, Tost, Tost, àl'assaut, àl'assaut Tu auras ayde de la haut.19

Quoique dans un style unpeuplus melliflue, Jean Calvin le fait tout aussi bien: Or puisqu'il nous arme et munit desa puissance, qu'il nous pare de sa beautéetmagnificience, qu'ilnousenrichitdesesbiens : de là nous avons très ample matière de nous glorifier, même nous sommes fortifiés en

fiance, pourguerroyersanscrainte contre le diable, le péché et la mort.90

La

victoire d'une iYerre commepreuveultime de l'élection divine

L'issue d'une bataille ne dépend ni de la bravoure des combattants, ni de la puissancede l'artillerie de chacun des partis, mais uniquement, nous ditRonsar~d'une décision divine :

Lavictoire des campsne dépend de nosannes, Du nombre des pietons, du nombre des gendarmes, Ellegistenta grace, et delàhautaux cieux,

Tu fais ceux qu'ilte plaisticyvictorieux."

"VoirJ.-L. Bourg~n,Assassinat, 1993,p. 97~note 19.

~ésiré,Singerie, p. 26yO. 9OCalvin,Institution,

n,

p.251.

Références

Documents relatifs

Les confréries du Rosaire possèdent ainsi des bannières blanches sur lesquelles sont figurées la Donation du Rosaire, ce qui leur permet de jouer un rôle pédagogique qui

Les représentations les plus hiératiques renvoient à un ordre tripartite immuable, en mettant en scène des types désincarnés dans un théâtre abstrait ; mais paradoxalement,

La qualité de « royaliste » ou de « ligueur » devient, au sein d’une ville qui « tient le parti », une ressource politique essentielle pour accéder au pouvoir ou, plus

Explication : L'Edit de Nantes met fin aux guerres de religion entre protestants et catholiques. Il met en place une tolérance en matière de religions. Les protestants peuvent

Condamné par le pape pour avoir brûler ses décrétales, il fonde une nouvelle église appelée « église réformée » ou « église protestante ».. Le protestantisme se

Pour réconcilier les français, il légalise l’église (catholique) (protestante) en promulguant l’édit de Nantes.. Henri IV est assassiné parce qu’il a (interdit)

[r]

Comme les hommes et les femmes sont très croyants, certains font des dons à l’église pour se faire pardonner, d’autres achètent les lettres d’indulgence vendues par les