A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXV, 2003
QUELLES REPRESENTATIONS LES ENFANTS
SE CONSTRUISENT-ILS DU SIDA ?
CONTRIBUTION D’UNE RECHERCHE-ACTION EN
EDUCATION POUR LA SANTE A L’ECOLE PRIMAIRE
D. BERGER, Maître de conférences à l’IUFM de Lyon R. COLLET, Médecin, Saint-Étienne
A. LAQUET-RIFFAUD, Médecin à l’Ecole nationale de Santé publique, Rennes D. JOURDAN, Maître de conférences à IUFM d’Auvergne, Clermont-Ferrand C. MERINI,Maître de conférences à l’IUFM de Versailles
RESUME : Cet article fait état de la contribution d'une recherche action sur la prévention des
risques VIH auprès des élèves de cycle 3 (9 à 11 ans). L’analyse met en évidence une incidence variable de la prévention en fonction des catégories socioprofessionnelles des familles, de leur maîtrise de la langue orale et de leur âge. Elle souligne qu’une action de prévention est possible et présente un intérêt dépassant celui de l’information lorsque la démarche pédagogique se centre sur les enfants et leur questionnement dans une perspective de promotion de la santé et de développement de compétences psychosociales.
1. INTRODUCTION
La nécessité de la mise en œuvre d’une prévention du SIDA, particulièrement en milieu scolaire, continue à être largement soulignée dans la bibliographie 1. Dépasser une approche prescriptive pour se placer résolument dans une perspective éducative nécessite une centration sur l’apprenant, ses spécificités, ses attentes, ses besoins mais aussi ses propres représentations. L’intérêt de la prise en compte de ces représentations dans le cadre d’une éducation pour la santé relative au SIDA auprès d’enfants de moins de douze ans a été montré par plusieurs auteurs 2 qui concluent en faveur de recherches-actions 3 sur les contenus et les outils les plus adaptés.
L'école élémentaire a un rôle majeur d'éducation à la santé 4 en faveur de tous les élèves et particulièrement des enfants en grandes difficultés sociales plus vulnérables ultérieurement au VIH. Nous avons opté pour une méthodologie centrée sur le groupe-classe et abordant le thème du SIDA sans détour. L’objectif principal était d’étudier l'impact d'une action de prévention précoce adaptée (mise en place en début d'année) sur les représentations du SIDA d'une population d'enfants (élèves de Cycle 3, classes de CM1 et CM2 de la Haute-Loire et de la Loire) leur permettant de construire, reconstruire ou affiner des représentations du SIDA adaptées à la réalité de la pandémie. Pour cela, il a fallu : -A- Elaborer des outils méthodologiques (action et évaluation de cette action) et pédagogiques ; -B - Sensibiliser les Maîtres des classes et les équipes pédagogiques des écoles ; -C- Mettre en place une action d’information adaptée et des situations de communication sur le thème du SIDA entre les différents partenaires du système éducatif : enfants, parents, institution scolaire…
2. METHODE
2.1 Population d’étude
Les résultats globaux5 portent sur 353 enfants répartis sur 10 écoles et 18 classes : 54 % de filles, 46 % de garçons, 31 % d’élèves de Cours Moyen 1re année, (CM1, enfants âgés de 9 ans), 69 % d’élèves de Cours Moyen 2e année. Ils se répartissent en 4 sous-populations en fonction de l’environnement social de l’école : une population très défavorisée (14 %) (population des écoles
1 Bellamy, 1992 ; San Marco, 1994 ; Pommereau, 2002
2 Chiva & Rigal, 1989 ; Fassler & al, 1989 ; Ferron & al, 1989 ; Montauk & al, 1989 ; Thomas, 1991 ; Sly & al, 1992 ; Shonfeld &
al, 1993 ; Lage, 1996.
3 Darroch J. & Silverman J. 1989 ; Heymans, 1993
4 Rôle réaffirmé par la circulaire ministérielle n°: 98-237, BOEN: n°45 du 03-12-1998, Orientations pour l'éducation à la santé à
l'école et au collège, Paris, CNDP, p. 2574
5 L’analyse comparative ne prend en compte ni les perdus de vue (n = 30), ni les enfants n'ayant participé qu'à la deuxième
classées en Zone d'Education Prioritaire) ; plutôt défavorisée (31 %) ; plutôt favorisée (30 %), très favorisée (25 %). Les critères d’inclusion reposent sur le volontariat des maîtres et des écoles.
2.2 Conception de l'étude
Processus de la recherche
Comité de pilotage •• Fixer un cadre éthiqueValider la méthode et le protocole • Évaluer l’action
• Élaborer le projet • Conduire les actions
• Communiquer l’action et ses résultats • Vérifier la pertinence du projet, sa
faisabilité et sa cohérence • Composer le thésaurus
Objectifs
• Diffuser les résultats • Modéliser l’action Équipe de recherche
Pré-test
Mise en œuvre du projet de recherche Évaluation par :
• Les enfants • Les maîtres
• Les partenaires (SPSFE) Analyse des données et des processus
2.3 Programme d’intervention
Le programme d’intervention a été développé sur la base d’études précédentes 6 le plus souvent effectuées avec un public adolescent. Les phases étaient les suivantes : -1- une préparation poussée du contexte d’intervention associant familles, maîtres et services de santé scolaire dans une perspective globale de promotion de la santé, -2- de petits groupes d’enfants (inférieurs à 15), -3- le choix de regrouper les enfants par genre (filles et garçons séparés), -4- un protocole pédagogique et didactique original, des outils et jeux spécialement élaborés pour l’action et une démarche participative forte, -5- une intervention regroupée dans le temps sur une demi-journée de classe, - 6- la prise en charge de l’ensemble des classes du même niveau de l’école. Le programme a été développé par l’association AIDES Loire-Haute-Loire, la Faculté de Médecine de l’Université de Saint-Etienne, l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres d’Auvergne (Centre local de Haute-Loire) et par l’Institut National de Recherche Pédagogique (INRP) en partenariat avec le Service de Promotion de la Santé en Faveur des Elèves de l’Académie de Clermont-Ferrand et du département de la Loire.
2.4 Protocole de la recherche-action a. Pré-enquête
La démarche a d’abord été expérimentée auprès d’une école.
b. Questionnaire
Le questionnaire original servant à recueillir les représentations des enfants comporte 21 questions et aborde sept thèmes : -1- le recueil des représentations initiales concernant la pandémie à VIH, -2- l’évaluation de la communication à propos du SIDA, -3- celle des connaissances, -4- l’évaluation des modes de contamination et de protection, -5- la mesure de la proximité de l'épidémie pour le sujet, -6- l’évaluation des représentations des possibilités de vie avec une personne touchée, -7- l’évaluation des représentations sociales et individuelles de la solidarité envers les personnes touchées.
c. Le protocole finalisé : déroulement des interventions et dispositif pédagogique
Le protocole se décompose en deux interventions durant l’année scolaire 1995/1996 : une en début d’année scolaire, une en fin d’année scolaire. Les deux construites sur le même schéma.
Déroulement d’une séance
1. Exposé introductif 2. Questionnaire 3. Exposé didactique 4. Atelier questions:réponses 5. Jeu 6. Production d’écrit
• Fixer le cadre de l’intervention • Recueillir les représentations
initiales
• Apporter des informations • Préciser les informations • Remédiation
• Fixation des représentations Objectifs
3. RESULTATS
A l’analyse, les élèves d’origine "très défavorisée" disposent globalement d’un champ lexical beaucoup plus réduit que le reste de la population étudiée. Ce constat est flagrant dans le questionnaire et se ressent également nettement pendant les temps de discussion et de travail en sous-groupes. La carence lexicale paraît gêner l’élaboration de représentations complexes et les condamne à une simplicité réductrice. Ceci ne représente pas forcément une difficulté majeure en ce qui concerne la compréhension des connaissances “ indispensables ” en matière de prévention : le nombre de messages est faible et ces messages sont simples. Par contre cette difficulté dans la
maîtrise de la langue orale inquiète quant à un éventuel retour réflexif notamment en matière de comportements 7. Le recours à l’agir, la fuite dans des comportements de prestance, la dénégation
sont systématiques dès que l’intensité affective devient trop importante ou
anxiogène particulièrement chez les garçons issus des milieux les plus défavorisés. L’altération des compétences linguistiques énonciatives signe la carence d’un espace transitionnel permettant d’élaborer une pensée de la maladie et ainsi d’en élaborer une représentation suffisamment complexe pour pouvoir prendre du pouvoir sur soi et gérer les risques de manière efficace. La clé des dispositifs de prévention notamment en faveurs des enfants les plus en difficulté sur le plan social et sur le plan cognitif paraît résider dans des approches très ciblées fondées sur la capacité à formuler et expliciter ses représentations, à les confronter à celles des autres et ainsi développer un espace transitionnel ou peuvent s’élaborer et se travailler des conceptions plus complexes et directement liées au vécu 8.
Par ailleurs, l’action de prévention modifie les représentations des modes de contamination et laisse augurer d’une modification des modes de protection. Les enfants prennent conscience qu’ils peuvent prendre du pouvoir sur leurs actes et ainsi lutter contre le “ destin, la fatalité ” de la contamination. Cependant, cette évolution est moins probante pour les catégories sociales les plus défavorisées.
Les connaissances scientifiques initiales des enfants à propos du SIDA sont parcellaires peu ancrées dans la réalité scientifique. L’enquête montre une évolution globale de la pertinence de ces connaissances. Les représentations des enfants se rapprochent très fortement de celles des adolescents et des adultes. Peu sont en relation directe avec des personnes contaminées. Majoritairement, les représentations des enfants, comme celles des adultes, ne sont pas ébauchées à partir d'une réalité objective et vécue, mais à partir de la “ réalité ” donnée à voir par les médias ce qui pose crûment la question de la qualité des conceptions ébauchées depuis un poste de télévision. Cet aspect d’extériorité de la connaissance paraît important dans la construction des messages de prévention et indique la nécessité d’un échange permettant aux enfants de reformuler et affiner les informations. D'autant plus qu'être exposé à des messages audiovisuels ne modifient pas la perception personnelle de ses propres risques de contamination 9 et que les connaissances des enfants ne sont globalement pas liées aux connaissances véhiculées par l’école 10 ou la famille mais à l'exposition aux messages de prévention audiovisuels 11.
7 Apostolidis, 1994 8 Card, 1999.
9 Prohaska & al., 1990
10 Darroch J.& Silverman J. 1989 11 De Loye, 1993
Les résultats soulignent la difficulté d’inciter les familles à communiquer sur le thème du SIDA. Nous remarquons que c’est particulièrement difficile dans les populations "très défavorisées". Ceci amène à poser la question de la communication familiale dans le champ de l’éducation aux risques et de l’éducation pour la santé. Pourtant les interventions ont mobilisé la parole dans les familles… où cette parole était mobilisable. Parler de SIDA en famille remet en cause trop de codes culturels centraux. C’est l’observance de ces codes, de ces prescriptions qui permet de conserver un équilibre intra-familial. Il y paraît difficile de parler en famille de ce type de sujets évoquant l’intime. On ne peut donc proposer de modèle d’intervention standard. La dimension culturelle de la prévention est une variable conséquente des actions et de leur impact.
4. CONCLUSION
Cette recherche montre qu'en proposant une prévention sur le thème du SIDA, il est possible de promouvoir une approche globale de la santé dans de bonnes conditions de communication sont réunies, si la démarche de prévention est suffisamment ouverte et ne vise pas à prescrire un comportement et si le cadre éthique est clairement indiqué. Les enfants se sont sentis à l’aise et autorisés à parler de problèmes délicats sans craindre l’incompréhension. Ils s’expriment, et décrivent la rue, le chômage, la cour de récréation, le quartier, les grands qui traînent… leurs difficultés à être. Apparemment une telle intervention a laissé une trace, sinon dans la modification des comportements du moins dans la prise de conscience que chacun est capable de penser et de s’exprimer sur un tel sujet, que chacun peut agir.
C’est dans cette reconnaissance du sujet chez l’enfant que se situe la clé de la prévention. Lui conférer une place authentique qui ne soit pas simplement celle d’objet, assignée par le désir parental ou sociétal, le considérer comme une personne capable de réfléchir, c’est certainement lui ouvrir des possibilités d’action sur sa vie.