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L'Islam et le discours de la folie : terre d'origine et pays d'accueil

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Academic year: 2021

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.-.

A

L'Islam et le Discours de la Folie Terre d'Origine et Pays d'Accueil

Présenté Par . Antoine Béchara

ID 9447051

School of Social Work Université Mc Gill

Montreal June 1997

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfilment of the requirements of the degree of MSW .

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In the Islamo-arabic world, as i t is proven in this text, the expression of Insanity was tolerated, free, and was attributed traits of sainthood. We found these three caracteristics, in the speech of three muslim

immigrants, users of psychiatrie services in Montrea~. The major themes of their speech were listed. Two therapeutic propositions were given as a conclusion to the text.

Résumé

Le discours de la Folie dans le monde arabo-musulman, apparait dans cette étude comme étant to~éré, libre de s'exprimer, e~ porteur dans certains aspects, de carac~ère de sainteté. On retrouve ces trois

aspects dans le discours de trois personnes iIDmÛgrantes, musulmanes, en traitement dans des services psychiatriques à Montréal.

Les thèmes les plus importants de leur discours ont été identifiés. En conclusion, deux pistes de traitements thérapeutiques ont été proposés.

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L'auteur tient à remercier Professeure Barbara NichaIs pour sa patiente supervision de cette thèse et son objectivité dans un sujet aussi sensible. Il tient aussi à remercier Mr Ivan Drouin pour sa disponibilité pendant la période de la recherche .

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P1.an de

la Recherche.

I- Introduction. La Folie.

Les Arcanes de L'Islam. 1- Al Chahada. 2- Al Salat. 3- Al Sawm. 4- Al Zakat. 5- Al Hajj. Termes à définir. 1- L'Oumma. 2- Al Chariat. 3- Al Hadith. 4- Sourats et Ayats. Hypothèses de cette étude.

II-La litterature de la Folie dans l'Histoire Islamique. Différentes significations de la Folie en Islam.

1- Al Jounoun. 2- Al Bolh. 3- Al Homk. 4- Al Jazb. Discussion. Tolérance populaire.

III - La Folie telle que conçue par deux femmes et un homme. Entrevues individuelles et analyse de contenu. Thèmes dominants.

Thème 1. La Folie comme voix de la révolte.

Thème II. La somatisation. Rôle religieux brimé. Thème III. Ghirbé, Hégire et exil.

Thème IV. Iblis ou l'errance en terre d'exil. Thème V. Le Trauma de l'image hybride.

Thème VI. La mère musulmane.

Thème VII. Le contrôle de la Folie. Thème VIII. Açala et authenticité.

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I.

Introduction.

La face de Montreal a changé dans les vingt dernières années. De plus en plus de Montréalais affichent l'Islam comme religion. En face de la détresse de la religion chrétienne catholique, majoritaire dans la population québecoise, à trouver un message adapté aux changements du XXI ième siècle, l'Islam donne un message plus simple à déchiffrer, basé plus sur la Foi que sur la Raison dans son sens aristotalicien. L'Islam gagne du terrain, et est de plus en plus présent dans le paysage culturel et ethnique de Montreal, pour deux raisons traditionelles:

musulman(e) ne pourrait se marier à un non musulman. La conversion du conjoint (e) hypothétique est une condition sine qua non à

l'accomplissement du mariage.

2- L'accroissement de la population immigrée provenant des pays arabes et du centre de l'Asie. Pays qui ont connu des difficultés politiques, ethniques ou religieuses dans les dernières années. Ce mouvement migratoire est parallèle à la resurgence des activités intégristes musulmanes dont les méthodes violentes font légion. L'imagerie véhiculée par les mass-média est liée à la recherche de la sensation médiatique. Elle projette l'image d'un intégrisme violent et sanguinaire et confond l'Islam et l'Expression de l'intégrisme musulman. Ceci contredit les fondements même du texte Coranique, qui se veut spiritualiste, originel et tolérant.

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Etant d'origine chrétienne libanaise, ayant vécu toute ma jeunesse à l'intérieur d'une communauté musulmane, j'ai hérité, tout en dévéloppant, des stratégies de compréhension, de compromis, de survivance à traiter avec les musulmans en se basant sur l'Islam.

Pour moi, un leitmotiv continue à surgir: Un intérêt assidu et croissant à comprendre comment, sans générer la violence, les conflits peuvent créer le compromis. La compréhension de la signification vraie des mots, du discours, est centrale dans cette approche.

Ce texte comprendra une partie théorique où certains concepts seront définis et une partie pratique tirée de ma pratique personnelle dans le domaine de la Santé Mentale.

Je tiens à préciser que ce texte fait référence à l'Islam, dans ses formes d'origine, dans son milieu d'origine, 1e monde Arabo-islamique. Ses exemples sont tirés de ce monde. La Folie y est vue dans ce contexte. Il se pourrait que d'autres perceptions de la Folie, soient plus familières dans d'autres pays tels les pays indo-islamiques. D'autres recherches pourraient s'atteler à cette tâche.

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La Folie:

Dans ce texte l'emploi du terme Folie plus fréquemment que le terme Maladie mentale ou Santé mentale est voulu pour plusieurs raisons.

Son équivalent arabe (Al Jounoun) n'a pas la signification péjorative qu'a le mot en français ou en anglais (Insanity). La terminologie scientifique moderne qui s'est dévéloppée dans les deux derniers siècles en occident a extirpé le sens populaire du terme Folie pour le mettre d~~s un contexte de langage scientifique émotivement neutre d'où vient l'emploi des termes Maladie et Santé. Le terme de Folie, bien antérieur à l'institution du langage scientifique moderne, n'a pas pu être assimilé par le terme de Maladie mentale. L'idée de rendre la Folie une maladie, qu'elle soit semblable aux autres maladies n'a pas pu vraiment s'imposer. Même à l'époque actuelle, la classification de tous les phénomènes marginaux en tant que Désordres de la personnalité devient un symptôme de cet occident en perte de contrôle de l'individualisme

quTi l a érigé. En effet, en Occident, légataire de l' héri tage Judéo- Chrétien, suivant les époques, la Folie a connu diverses variations dans le sens: Elle était l'autre de la Raison, la face opaque du miroir de l'être, qui lui réflétait son animalité, ses désirs inhibés qui échappent aux règles de la raison commune. Celle ci essaiera de les vaincre sans pouvoir le faire complètement.

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monde musulman arabe, une minorité de fous était considérée comme relevant d'un traitement thérapeutique. Déjà dès le IX siècle de l'ère chrétienne, dans le Bimaristan de Baghdad, une aile était consacrée à ceux qui sont considérés comme Majanin (fous). Des personnes étaient mandatées à leur services. On a la preuve en outre de l'existence d' hôpi taux psychiatriques au Caire dès le Xrllième siècle. En Europe, les premières institutions du genre apparaissent en Espagne au XVième siècle, ce qui confirme leur origine arabe léguée à l'Espagne après la Reconquista. C'est en fait à cette catégorie minime de fous que s'applique le terme de Maladie mentale. C'est pour cette raison aussi que la Folie signifie et englobe un champ plus large que celui de la Maladie mentale.

C'est plus précisément dans la définition que lui donne Foucault, qu'apparait cet élargissement du sens de sa signification. Le terme de Folie n'a jamais eu pour lui de portée en dehors de cette réalité sociale qui est l'existence des fous. Le processus de compréhension de ce phénomène ne se fait qu'en relation, en comparaison au comportement des rrnormaux " dans la société. Ce n'est

en face de ce qui est considéré unormal" que sont considérés les Fous et la Folie. C'est à ce sens que je me réfère lorsque la préférence va à l'emploi du terme Folie plutôt que Maladie mentale parceque les variables culturelles ont une place importante dans la définition de la "normalité" .

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Sur un autre niveau et dans un souci d'intégrité aux textes de références islamiques qui sous-tendent cette recherche et qui datent pour la plupart des trois derniers siècles du premier

millénaire, j ' a i opté pour l'emploi du terme Folie dans cette recherche. Ce terme retrouve à mon avis, dans son sens populaire, la signification primordiale intouchée par la médecine scientifique.

Dans un premier temps nous nous évertuerons à délimiter quelques notions coraniques qui nous serons utiles tout au long de ce texte.

Les Arcanes de l'Islam:

Ce sont les cinq piliers, obligations que chaque musulman est tenu d'observer durant son séjour sur terre.

1- Al Chahada. Le témoignage de la croyance en Un Dieu unique dont Mohammed est le Prophète. C'est une profession de Foi, un renoncement au profit de l'invisible des attachements visibles de l ' Homme à la matière et aux tentations de ce monde. C'est une phrase que chaque musulman est tenu de prononcer devant des témoins: "La Ilaha Illa Al.lah Wa Mohammad Rassoul Alla.h". Il n'ya de Dieu que Allah et Mohammed est son Messager.

2- Al Salat. Les cinq prières quotidiennes que le musulman pratique à différents moments de la journée et qui doivent ètre précédées par des ablutions à l'eau de toutes les extrémités et

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ouvertures du corps. Rituélie qui interromp le passage linéaire du temps et oblige le croyant à professer un renoncement à la possession de son temps en faveur d'un contact avec l'invisible et Dieu.

3- Al Zakat. Aumône annuelle que l'usage fixe au dixième du revenu du croyant par laquelle il renonce à une partie de son gain et lui montre l'intemporalité des gains matérielles par rapport à

la continuité de la quête du Paradis.

4- Al Sawm. Qui est l'observance du jeûne pendant tout le mois de Ramadâne depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher. Pratique que l'on retrouve avec des variantes dans la plupart des religions par laquelle on renonce à la nourriture dans un effet de purification du corps et de l'âme qui lui est rattachée.

5- Al Hajj. Pélerinage à la Mecque haut lieu de l'Islam, par lequel on renonce à l'appartenance à une terre déterminée et marque l'Universalité de l'Islam et sa permanence en dehors des frontières et des restrictions établies par les hommes.

On remarque que ces Arcanes sont une suite de renoncements pour avancer dans la voie de Dieu. En observant ces renoncements suivant le message prophétique intégral, le musulman restera en quête de son Acala, de son intégrité morale dans n'importe quel pays ou situation où i l se trouve. Par le sens de ces observances rituéliques, les attitudes du musulman, s'opposent en terre d'Occident, à la rigide division entre le religieux et le temporel,

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à l'observation stricte des heures du travail, royaume du temps compartimenté.

Dans la complémentarité des termes, il serait opportun de donner des explications concernant les termes Oumma, Chariat, Hadi th, Sourat et Ayat que nous rencontrons dans ce texte.

1- Al Oumma est l'ensemble des musulmans. C'est une conjugaison du lien indéfectible entre la Terre d'Islam et les humains qui l'occupent. C'est la communauté des musulmans de par le monde.

2- Al Chariar ou la loi musulmane; ensemble de codes religieux dont le domaine de jurisprudence est plus large que les systèmes juridiques de type occidental. D'une part, elle règle non seulement les rapports des fidèles avec la communauté et la Oumma, mais aussi avec Dieu et la conscience de soi. Al Chariat représente l'expression de la volonté d'Allah, telle qu'elle a été révélée à

Mohammed. En fait la Loi et la Théologie sont un seul ensemble. Leur source est le Coran ( Le Livre) .

3- Al Hadith est l'ensemble des enseignements basés sur l'activité et les paroles du Prophète, des témoignages de ses compagnons et de leurs proches. Il complète mais ne supplante pas le Coran .

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divin et révélé. Elles marquent des messages clés de la révélation divine coranique.Des subdivisions rythmées des Sourats sont appelées Ayats. Leurs récitations chantées ou psalmodiées baignent les musulmans dans une atmosphère de recueillement et de quiétude. On verra leur importance dans l'historique de traitement de certaines formes de la Folie.

Ces définitions avaient un objectif: donner au lecteur de ce texte une vision d'une religion qui se veut aussi Etat. En tout moment, en tout temps, le musulman est relié au divin, relié par une rituélie symbolique ( Al Chahada) , quotidienne ( Al Salat) , alimentaire( Al Sawm), économique( Al Zakat), géographique( Al Hajj

à la Mecque) même dans ses périodes d'égarement, d'autant plus que la Folie n'est pas toujours égale à égarement en terre d'Islam.

Parmi les soignés, les bénéficiaires des services, des structures de traitement de la Maladie mentale au Québec, i l existe une certaine proportion d'origine immigrée qui ont la particularité d'être musulmans. Or l'Islam et son Livre saint, Le Coran, ne constituent pas une" religion" dans le strictu sensu occidental du terme; ils constituent une façon de vivre, un ensemble indivisible de règles, qui installent un genre de vie, méconnu par la plupart des thérapeutes qui s'occupent des patients musulmans. Le Coran dirige les musulmans dans des domaines aussi privées que leurs relations sexuelles, et aussi larges et publiques que les

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fondements économiques de l'Etat islamique. Il prêche une voie spirituelle qui englobe tous les sujets abordés actuellement parmi lesquels la marginalisation par la Folie.

Sans vouloir remettre en question les fondements de la société occidentale basés sur l'Individu, nous tenons à faire remarquer que l'approche par le biais du diagnostique, donc des représentations axiales du DSM IV, livre de référence des psychiâtres met les personnes dans une situation déja défavorisée culturellement. C'est un cadre pathologique installé et exclusivement individuel. La marge du droit à la différence est déja préétablie dans un manuel. Toute transgression à ces limites est pathologique etU anormale".

Le patient musulman objet de ce texte, est mis en face de sa différence, de son destin d'être différent. Rilke disait:

Ce qui s'appelle le destin, c'est cela: Etre en face Rien d'autre que cela et toujours être en face

Car être en face c'est aussi faire face.

Dans ses trois lignes, Rilke condense toute l'anxiété tenace, étalée dans le temps et source majeure de troubles, pour tous ceux que leurs différences a rendu marginaux. Cette anxiété leur fait porter le fardeau de ceux que le destin marque de leurs différences.

Dans la partie suivante, les hypothèses qui sous-tendent ce texte seront mis en évidence ainsi que leurs justifications théoriques. • Une attention particulière sera donnée à leurs applications.

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Hypothèses

de

cette étude.

Deux hypothèses sous-tendent ce texte:

1- Ceux qui sont soignés dans les institutions et structures psychiatriques, sont souvent, à leur insu," envoyés", par ceux qui sont restés dehors, pour vivre là les déréglements sociaux, familiaux, culturels que l'interaction sociale produit.

La folie, dans la population immigrée devient l'expression de cette destinée de celui ou celle qui n'accepterait pas les pressions coercitives de la société d'accueil, le ou la poussant à

l'Acculturation. Ce phénomène on le retrouve dans ce qu'on appelle • communément dans la littérature Le patient identifié. La plupart des attitudes de marginalisation peuvent mener à la Folie et se retrouvent dans ce contexte culturel.

2- La Maladie mentale est dans ll...Tle posi tion privilégiée pour clarifier cette situation.

Certains considèrent qu'un schizophrène est un schizophrène nonobstant son origine culturelle ou sa religion. Il n'est pas question chez eux de questionner la validité des diagnostiques d'un système de références universelles, il leur suffit d'en reconnaître les signes, les symptômes et d'agir en conséquence. Ce schéma séculaire de la médecine scientifique traditionelle est basé sur des fondements rationels que nous ne tendons pas à remettre en

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cause dans les limites de cette recherche. Nous nous bornerons seulement, comme Platon l'a déja démontré dans Phèdre, à statuer que le médicament produit ses effets en fonction entre autres à la relation thérapeutique. Une même substance avalée pourrait être soit un médicament, soit un poison selon la parole du soignant qui accompagne son ingestion. D'où l'importance du" Signifié" dans la relation d'aide. C'est ici qu'apparaît la compléxité du problème. Quelle parole va être échangé entre deux personnes qui même si elles vivent dans une même société n'ont pas les mêmes repères culturels? Est-ce que le soigné a la même définition de sa condition que le soignant? Est- ce que le soigné musulman a la même conception de la Folie que le soignant le plus empathique mais occidental?

C'est en dénouant cette compléxité qu'on s'attèlera dans un premier temps à donner les significations et les différentes nuances de la Folie dans les références musulmanes. Ceci nous permettrait de délimiter le champ de la recherche, en définissant le contenu du terme Folie, vue à travers l'histoire islamique, comme un miroir d'une réalité sociale et historique, véhiculé par des personnes de la société arabo-musulmane. Leur Khitab (Verbe, discours) avait des caractéristiques particulières, adopté par l ' intelligentzia musulmane et par les courants politiques populaires .

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II. La ~itterature

de

~a FQ~ie

dans

~'histQire Is~amjque.

Les différentes

si~nifiçatiQns

de

la folie en Islam.

1- Al Jounoun. Dans sa multiplicité, le verbe" Jounna" rejoint la traduction litterale en français de "Devenir fou" et non point "Naître fou". L'etat passif de celui qui est fou, est transformé en etat futur où l'action est prédominante. Cette action peut être imposée comme dans la forme: ~lah le rendit fou. Elle peut être volontaire et choisie comme dans la forme du Tassattor ou la discrétion la personne choisit de se réfugier dans la Folie et de rester dans le monde irréel. Ce qui nous importe de soulever dans cette signification de la Folie est que la Folie n'est point vue comme un état intégral biologique mais un état acquis, qui apparait

à un moment de la vie. Elle est imposée par la volonté divine ou voulue, de laquelle la réclusion pourrait découler.

2-

Al

Bolh. Ce terme fait référence à un état du langage d'une personne musulmane qui ne respecterait pas certaines formes de la communication et du statut religieux ou social qui y sont reliées. On naît Bahloul. Le terme français qui se rapproche le plus de cette définition est le terme "Bouffon". Son langage serait, d'après Mîchel Foucault, porteur de capacités étranges en complète

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contradiction avec tous les autres langages. Il serai t capable d'exprimer des vérités cachées, de prévoir l'avenir, et de pourvoir le verbe élaboré de l'élite, d'une vision simple et non simpliste, mais néanmoins réelle d'une situation actuelle donnée. Il était étrange , suivant le même auteur, que ce langage soit resté pendant des siècles, occulté en occident, non écouté, et non messager d'une vérité, plus véritable que le langage de la Raison.

Ibn Khaldoun, philosophe musulman du XIVième siècle, ère chrétienne, dans son livre Al Mukkaddima , fait la différence

entre les" Majnouns" et les" Bahloulsrt

• Pour lui on naît Bahloul

en ayant conservé l'âme qui verbalise, mais on devient Majnoun pendant le cours de la vie, et on perd l'âme qui verbalise qui est notre lien avec la vérité:

L'imaginaire s'installe et l'âme en douleur pour la perte de la réalité, se recroqueville en s'attachant à des âmes sataniques et perd ainsi la réalité des sens.

3-

Al

Homk, Le caractère durt Bolh", se fait complémentaire avec

l'attitude intellectuelle du Ahmak qui même si son verbal n'est point étrange, il n'en reste pas moins dénué de sens compréhensible. La traduction la plus proche de ce terme est l'Idiotie. Cette forme de la folie a été la moins inventoriée dans la litterature arabo-islamique. D'autres appellations plus expressives dénommaient cette catégorie de Fous, Daîf ou Kharnel deux termes à connotation de faiblesse et de manque d'esprit. • Toutefois dans le Hadith, recueil explicatif de la vie du prophète

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Mohammad et de ses compagnons de la première ère ainsi que de leurs discussions contient un chapitre où la conscience de l'existence de l'affecté par la maladie est tolérée et supportée. La Ayat coranique

Et vous ne hairiez aucune chose, Dieu vous en donnera

beauco~ de Bien

est la base de la tolérance islamique envers le malade et la maladie. Par cette Ayat, le musulman accepte ce qui se passe dans cette vie, ayant la certitude que c'est une marque de l'invisible, une recommandation porteuse de bénéfices dans le paradis. Par cette Ayat, Allah donne l'indication à la personne croyante, que dans l'au delà elle sera récompensée proportionnell~entaux épreuves de ce monde.

Ces trois catégories de personnes ci haut mentionnées, sont des éprouvés patients, qui acceptent leurs épreuves tant que ces épreuves revêtent pour eux une signification religieuse. Ce caractère devient prédominant lors du traitement thérapeutique de ces personnes. En déniant à ces personnes leur propension religieuse, le caractère religieux de l.eur affliction qui fait partie de leur caractère divin et de leur devoir de l.a supporter, on risque d'invalider leur protection religieuse contre la maladie, et du fait même handicaper leur cheminement thérapeutique.

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Bonté". C'est cette appelation Majazib(Les Attirés) qui a marqué ceux qui, par la vision du coeur se faisaient appeler, Les Fous de Dieu. Le Prophète Mohammad n'échappe pas à cette nécessi té de témoigner de sa vision. En attirant l'attention de ceux qui l'entourent aux signes de l'invisible, de la vérité qu'il tend à imprimer pour convaincre de sa mission, i l fait acte de

prosélytisme qui va au delà du sensoriel. La Sourat LIII, celle de l'Etoile, dévéloppe cette Révélation qui lui a été donnée:

Par l'étoile quand elle décline

va tre compagnon ne s'égare ni n'es t fo~

ni ne tient langage de passion.

Ceci n'est que révélation à lui révélée

dont l'instruisit un pouvoir intense et profond . Il planait à l'horizon s~rême

Parmi les signes de son seigneur, i l a vu les plus grandioses.

Muhammed est si conscient de la dimension fantastique de la scène, qu'il s'empresse de dissiper l'accusation d'hallucination. Il n'est ni égaré, ni fou, ni passionné. Il serait en recherche de contact avec lfinvisible, de l'Unité avec Dieu.

Cet état de Jazb a été élevé au degré dfune pratique initiatrice par un théologien du Xième siécle, Hassan el Sabbah. Ses adeptes se nommèrent SOufis qui veut direlf

porteurs de laineff en relation avec

la bure de laine grossière qui formait leur habit.

L'histoire de Tohfah qui vécut au XIIIième siècle, illustre à la perfection l'état de "Jazb". Tohfah était une esclave troubadour .

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Ses comportements devinrent de plus en plus étranges dès qu'elle atteignit l'âge de la maturité. Elle ne connaissait ni sommeil, ni nourriture. Son coeur brûlait d'un feu que rien n'apaisait. Devenue une esclave plutôt encombrante, son propriétaire la confia au Bimaristan de Hezqel, qui était spécialisé dans la traitement des fous de Baghdad, capitale du Califat Abbasside. ( Empire musulman de l'époque). Écoutons ce que raconte un chroniqueur de Baghdad sur elle.

Ce matin, dans l'asile des fous, j'ai rencontré une femme fort belle, élégamment vêtue et parfumée, assise dans un coin, avec les pieds et les mains entravés. On m'informa. qu'il s'agissait d'une esclave devenue folle.

En écoutant le compte rendu de l'asile concernant son état, la jeune fille pleurait en silence puis elle se mit à réciter:

Je ne suis pas folle mais ivre. Mon coeur baigne dans une clarté entière .

Je ne quitterai jamais le seuil de la porte du Bien Aimé, car votre idée de la vertu n'est pour moi que dépravation et ce que vous appelez Folie est pour moi vertu.

Quiconque aime Allah et le choisit exclusivement restera blanc.

Alors j'ai demandé au directeur de l'asile de la laisser partir. Sa Folie était douce aux oreilles d'Allah. Quand elle appri t la nouvelle, elle

ch~~gea ses beaux vêtements contre une robe faite en tissu grossier, nous

salua et disparut.

Nous pouvons conclure cette partie en affirmant que nonobstant la variété de Folie dont le croyant est affligé, la Main d'Allah est toujours présente. En Lui s'inscrit toute action passée et future, raison pour laquelle rien n'est que déterminisme divin. Le croyant est en recherche d'unité avec le divin. Il n'a de recours qu'à déceler les signes de ce divin dans ce qui l'entoure et dans la fatalité de ce qui lui arrive.

Mais si Allah, par sa permanence et son unicité, absolvait en son • sein les croyants uFous", en intégrant la source de leur affliction

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ainsi que son dénouement post-mortem, qu'en est-il des autres membres de la Oumma islammique? Comment percevaient -ils les Fous et la Folie? Quelle était la réaction concernant le uDiscours" des Fous dans leur totalité et non point contre certains Fous?

Discussion.

Le pouvoir Islamo-Arabe après le décés du Messager, connut les vissicitudes de tout pouvoir qui cherche une raison d'être maintenant que l'influx idéologique et le charisme du fondateur ont cessé d'exister. Ce pouvoir prit la forme hégémoniaque que certains régimes islamiques continuent à perpétuer jusqu'à la période actuelle. L' atti tude du pouvoir étai t non tolérante envers les cri tiques, les discussions idéologiques et religieuses et les expressions populaires du mécontentement social. Il n'en était pas de même contre les Fous et leur discours. Cette dichotomie avait deux raisons:

-Raisons idéologiques et religieuses: Le pouvoir, se considérant comme étant la continuation divine sur terre de l'Autorité divine paternelle, ne pouvait qu'avoir une attitude paternelle, envers ceux que le Messager Mohamed qualifiait "ceux qui voient les signes du Seigneur" (Sourat de L'Étoile). Cette attitude tolérante exprimait en fait le lien indéfectible entre l'autorité politique et la religion dont elle tire sa raison d'être. Ne pouvant pas faire de concessions politiques ou idéologiques envers l'ensemble

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de la Oumma, elle retrouvait dans sa tolérance envers les Fous, l'expression de son attachement à la tradition islamique originelle de Tolérance.

-Raison Politique. Mais ce n'est pas seulement par attitude morale que le Calife, les Sultans et autres gouverneurs toléraient le discours et attitudes des Fous qui parfois récelaient des critiques acerbes et dirigées contre le pouvoir. Le pouvoir avait la possibilité d'invalider le discours des Fous, en le vidant de son contenu comme n'étant que discours imaginaire, vide de contenu révolutionnaire réel, et inoffensif pour pouvoir créer des changements dans le corps social de la Oumma. De ce fait, le discours a été employé comme échappatoire aux frustrations des masses et de leur avidité pour les histoires du ridicule.

Tolérance des gouverneurs, mais aussi tolérance populaire. La tolérance populaire envers la Folie qui était présente d'une façon générale dans toutes les couches de la population musulmane, a son origine dans des révélations coraniques ou bien des textes du Hadith, ex: Sahih Muslim.

Dans ces textes, des conséquences punitives attendaient ceux qui s'attaquaient ou bien faisaient du mal aux autres. Ces textes devinrent un code moral et religieux d'inhibitions qui servaient à

protéger les segments de la Oumma, les plus faibles et les plus démunis. Ce code imprimait à la population pas seulement une

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attitude de tolérance mais aussi de soin et de prise en charge. Malgré cette attitude générale de tolérance, plusieurs cas de persécutions ont eu lieu et ont été relatés par les chroniques et continuent à être présents à l'époque actuelle. Le film de Ammar Idrissi, La Citadelle, relate les persécutions que subit un jeune homme marocain, considéré comme fou, dans un village de l'Atlas marocain.

Toutefois, l'attitude générale répandue dans la population est de compréhension, de tolérance et de soin.

Se juxtaposant à cette attitude de tolérance, une vision de la sainteté des Fous, vient leur donner une dimension d'intercession avec l'au delà. Le discours de la Folie s'en trouva renforcé à

l'intérieur de la société arabo-islamique. Mohamed dans un Hadith n'a-t-il pas proclamé que:

Quand le croyant atteint l'essence de sa croyance, ~es gens croiront qu'il est devenu fou

De ce même fait, la sanctification de la voix de la Folie a fait des Fous des intermédiaires entre la réalité matérielle et les voies de l'Invisible. Jusqu'à l'époque actuelle, le Fou est considéré comme un homme d'Allah, dont la béatitude lui a été octroyée. Si en plus, son comportement est pieux et non diffamatoire, i l devient dans les communautés source de grâce divine, la Baraka. Il est rare qu'un village du Sud libanais n'ait son Mabrouk, son Fou qui apporte la grâce à toute sa communauté. • Viendrait-il à disparaître qu'un autre le supplanterait dans

(27)

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ce statut. Cette aura de Sainteté apparaît pleinement lorsque la Folie devient égale au ~. Cette relation entre la Folie, la Piêté et la Sainteté, dans leur signification populaire, nous permet d'entrevoir la relation entre les Soufis et la Folie, d'où leur appelation de Fous de Dieu. Ceci aussi nous permet de comprendre la survivance du Soufisme jusqu'à l'ère actuelle et son expansion de plus en plus effrénée dans les communautés musulmanes.

Ces deux qualités: tolérance envers, et sainteté, ont donné à la Folie une plus grande liberté d'expression de telle sorte qu'elle est devenue avec le temps, la voix de ceux qui n'ont pas de voix, La Liberté d'expression quasi impunie des Fous, les a rendu porteur d'un rôle social et religieux en face de l'obscurantisme et de la dictature. La voix de la Folie par l'interaction de sa trinité, recouvre un rôle social et religieux qu'au moins plusieurs Fous ont

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pu jouer tout au long de l'histoire musuLmane et jusqu'à nos jours. On n'est plus à une vision de marginalisation et d'exclusion des Fous mais à une vision d'acceptation et de confirma tian socio-religieuse. Nous pouvons affirmer dans le sillage de Mohammed El Samman, dans le livre Khitab el Jounoun, que:

Le verbe de la Folie, constitue une partie importante de la culture des

persécutés, et e~rime les faces occultes de la Sagesse populaire qui réprimée, e1.1e s'identifia avec la Folie. Le Fou apparut dans la conscience populaire comme

un sage, qui verbalise les espoirs de la masse et ses souffrances.

Comme nous pouvons le constater de ce qui précède, les différentes perceptions de la Folie en Islam retrouvent dans la plupart de leur • substances une signification liée au religieux et à l'invisible et de son incidence sur la pratique des croyants. C'est dans ses moments privilégiés de l'apparition de l'invisible dans le monde du visible que la personne retrouve la clarté divine. C'est un état tolérée et même recherché chez les Soufis et autres adeptes de la transcendance, de l'extase, du Jazb.

Si la recherche de l'invisible perdu est tant présente en Islam, on ne pourrait l'ignorer dans le traitement des patients d'origine musulmane. Nous allons relater quelques épisodes de leur vécu migratoire en terrain d'occident, non pour les considérer comme des patients à exclure et à traiter différemment mais pour prendre en • compte certaines caractéristiques culturels de leurs troubles.

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Elles doivent être connues et adressées considérant leurs retentissements sur ces patients.

III-. La Fo~ie te~~e que

conçue par

deux

femmes et:

nn

homme

d'origine

musu

7m

ane.

Dans la prochaine partie, nous allons regarder de près le discours de trois personnes immigrantes musulmanes, diagnostiquées dans des etablissements de la santé de Montréal comme souffrant de différentes maladies mentales. Nous essayerons de retrouver leur posi tion éloignement ou rapprochement par rapport aux significations de la Folie ci haut mentionnées: bref comment elles voient leurs conditions mentales et comment elles jugent leurs relations avec la société d'accueil et ses structures. L'intention de ces entrevues était d'explorer comment elles concevaient leurs états dans le cadre des services qui leurs sont offerts par les différents intervenants des systèmes de Santé de Montréal. En examinant ce sujet avec elles, notre objectif est de questionner l'efficacité du processus d'évaluation psychiatrique de ces clients et du même souffle le traitement qui leur est administré. Ce questionnement s'inscrit dans un plus grand cadre théorique qui remet en question les écrans culturels des différents évaluateurs des services en santé mentale.

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Toutefois, nous nous bornerons dans le cadre de cette recherche à

proposer des pistes de traitement que des recherches ultérieures pourraient employer. Nous donnerons ci aprés un bref aperçu de leur histoire pré-migratoire ainsi que des thèmes dominants de leurs discours. Les noms employés sont fictifs.

Thème I. La Folie comme Voix de la Révolte.

Kebir, un homme de haute stature, la quarantaine entamée, était arrivé de L'Iran i l y a cinq ans. Après des démélés avec la justice et le Département de la Protection de la Jeunesse, i l fut interné

à l ' Insti tut Pinel et diagnostiqué schizophrène paranoide. Il vivait actuellement en liberté provisoire conditionnée par sa prise de médicaments et des visites fréquentes à son psychiatre traitant. Il pouvait visiter sa famille son ex conjointe et ses trois enfants adolescents en la présence de la travailleuse sociale du Département de la Protection de la Jeunesse.

Le trajet migratoire de Kébir diffère de celui de sa famille. Sa conjointe et ses trois enfants ont quitté l'Iran quatre ans avant lui, au commencement des années quatre vingt, suite à son emprisonnement par le nouveau régime islamique. Sa conjointe ayant reçu le statut de réfugiée au Canada, elle vint s'installer avec les enfants à Montréal. Son acculturation suivit un cheminement

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logique ainsi que celui des enfants qui fréquentèrent les écoles de la société d'accueil et du fait même devinrent des jeunes adolescents canadiens. A sa libération, Kébir les rejoignit dans le programme de réunion familial du Ministère de l'Immigration.

Dès son contact avec eux, voulant retrouver son rôle paternel qu'il croyait acquis, i l se heurta à une attitude de révolte de la part de ses enfants, son premier choc culturel. Ses références culturelles se trouvèrent ébranlées. Six mois après son arrivée, i l souffrit d'une dépression profonde qui se transforma en épisode psychotique. Dans ces moments, ses hallucinations tournaient en délire où i l se croyait être

un Émir d'Orient, à cheval, entrain d'attaquer des armées occidentales pour reprendre le pouvoir qui m'a été volé.

Sa conjointe a été identifiée comme l'agente de ces forces occultes occidentales qui se servaient d'elle pour le démunir de ses enfants et de son pouvoir. Des faits de la vie de chaque j our le confirmèrent dans sa vision: ses garçons adolescents ne se pliaient pas à ses exigences de rentrer à des heures déterminées de la soirée, à ne pas vouloir assister avec lui aux offices du vendredi

à la Mosquée, et de péricliter aux études dont le plus agé de ses enfants (15 ans) séchait les cours fréquemment. Lors d'une argumentation excessivement violente i l frappa ses deux ainés, la mère voulant s'interposer fut bousculée et jetée à terre. La Police et le Département de la Protection de la jeunesse intervinrent d'où l'interdiction de contact avec la famille.

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Suite à cet incident la situation mentale de Kébir périclita et ses périodes hallucinatoires devinrent plus fréquentes. A ses médecins traitants, il commença à se plaindre de douleurs intolérables à

l'aine et d'une inflammation au niveau de ses organes génitaux. Les tests physiques qui lui ont été administrés ne furent pas conclusives. Cette somatisation de son malaise mental devint un élément important de son délire.

Lors de notre rencontre i l vivait dans une chambre du centre ville, pouvait voir sa famille en la présence d'une travailleuse sociale de la DPJ. Sa visite était conditionnée par une prise régulière de médicaments.

Depuis une semaine, le jeûne du mois de Ramadhan a conunencé et Kébir l'observe scrupuleusement bien qu'il soit dispensé à cause de la prise de médicaments. Le plus étonnant, est qu'en Iran, il n'était pas pratiquant du tout. Si ce n'était le jeûne imposé en prison, il n'aurait jamais jeûné auparavant. Ses prises de médicaments à jeûne pouvaient aggraver les effets secondaires qui en découlaient. Kébir refusait les conseils de son infirmière:

Ce qui me rest.e, c'est l'observat.ion de mes devoirs envers Dieu lorsque je n'ai plus de droits.

Cette phrase trahit une révolte sourde. Il aurait refusé tout pendant cette période. Pendant des années, l'unique trajet de Kébir en Iran, comme au Canada a été d'emprisonnement, de tribunaux, d'éxil, de désirs brîmés et de rôles religieux incomplétés. Tout dans son trajet migratoire crie contre la persécution dont il a

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fait l'objet. Dans son pays d'origine, il a été emprisonné parce qu'il n'était pas un "véritable croyant". En pays d'accueil, voulant retrouver son rôle de père avec ses jeunes adolescents, i l subit les poursuites des systèmes du gouvernement.

Ce dilemne incontournable avai t besoin de s'exprimer sans que violence s'ensuive: il a déjà payé le prix de son geste violent à

son arrivée. La Folie lui donne la possibilité de cette exPression. En se transformant en Émir, chevauchant un étalon, attaquant les armées de l'Occident, il retrouve sa tradition ancestrale enfouie dans sa Folie: son verbe traduit par le délire, sa menace envers le système social, policier et judiciaire du pays d'accueil. Sans la Folie, cette expression ne serait pas possible: Ainsi i l ne subira pas les conséquences pénales de ses paroles. Inconsciemment, Kébir, trahi t par son langage de fou, la pensée secrète de tous les nouveaux venus en butte avec des valeurs de la société d'accueil, en complète contradiction avec leurs propres valeurs.

Thème II. La Somatisation, RÔle Reliaieux Brimé.

Kébir aura toujours honte d'avoir été tributaire dès sa sortie de prison du bon vouloir de sa conjointe pour sortir de l'Iran et la rejoindre au Canada. A son arrivée au Canada en 1990, la crise économique battait son plein et i l ne put trouver du travail. Il dut se joindre à la famille pour recevoir de l'assistance

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financière que le gouvernement octroyait. Son délire en fut aggravé:

Ma femme était payé par le gouvernement pour me surveiller. Lorsque le gouvernement sentait qu'il était en difficulté à cause

de mes actions, il la faisait bouger et lui offrait plus d'argent.

Par conséquence, elle se retournait contre moi et voulait que je ne m'occupe plus des deux garçons. Elle voulait arrêter la main d'lùlah.

Il ne comprenait pas comment, elle pourrait l'empêcher de jouer son rôle paternel. L'interdit de représenter la division des rôles entre la mère et le père musulman le rend perplexe. Le reflet de la Mère en Islam est ce qui lie le garçon/enfant à la communauté des croyants, l'Oumma. Rendu à l'âge pubère, commence le rôle paternel

à le baigner dans l'Écriture Coranique et à

religieuses,

àl'accompagnerqui incombeà la Mosquée.la responsabilitéPour lui, le rôle de la mère s'arrêted'initier aux pratiques lorsque les enfants mâles retrouvent l'âge du passage à l'âge adul te qui est l'âge pubère. En ce moment là commence le rôle paternel qui est lié à une division dans l'Islam des rôles familiaux. Par l'image que renvoie le père, lien avec l'initiation islamique première, la circoncision, la religion pénètre l'enfant et le transforme en musulman pratiquant. Si l'image maternelle continue à être prédominante, le cycle d'initiation ne se boucle pas et l'enfant continue à errer en dehors de la religion. Son rôle brimé, Kébir anticipe la déchéance de ses garçons adolescents et suspecte Iraîné de commencer à boire. Le plus lancinant et • douloureux dans sa situation est l'impuissance à changer le cours

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de l'inéluctable. A chaque tentative pour reprendre son rôle, i l était confronté aux intervenants du milieu des services sociaux. Son incarcération à Pinel était le résultat d'une de ces interventions.

Sur un autre plan, la vision du monde pour un musulman est double parce que le monde est double: Monde des Sens (Al Bisra) et Monde Voilé (Al Bacira). Son corps est double: Matière et Esprit. Les corps sont purifiés, façonnés tout au long de la vie, par des rituels islamiques quotidiens, saisonniers et annuels. Ils font partie de l'organisation symbolique musulmane. Lorsque le corps d'un musulman se plaint, vit des douleurs et des souffrances, quel message est-il entrain de donner? Kébir, lorsqu'il se plaint dans les services de psychiâtrie de douleurs à l'aine et d'une inflammation des organes génitaux, a spontanément localisé dans son corps sa souffrance psychique. Effectivement, son corps apparaît comme \\ la surface d'enregistrement de sa douleur. Le corps est traité comme une page où s'inscrit l'enregistrement du mal." (Hirt. p. 89). Kébir ne somatise pas plus que les autres patients non musulmans. Ce qui le différencie c'est que le symbolisme de son rôle religieux incomplet, se fixe sur certaines parties de son corps qui représentent sa continuité physique intergénérationnelle. En fait, son observance du jeûne, devrait provoquer une réaction au niveau de l'estomac des effets secondaires des médicaments. Son rôle religieux, en décide tout autrement: l'invisible souillé chez

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lui, qui est l'incapacité d'introduire ses garçons aux préceptes et rituels de l'Islam, son impuissance à compléter son rôle, se traduisent par une somatisation, par des douleurs au niveau des organes génitaux. Ni les ablutions, ni les prières, ni le jeûne, rituels de purification personnels, ne peuvent plus purifier la fonction religieuse souillée. Ceci retrouve le caractère essentiel de l'Islam où le Religieux et le Temporel font lln. Toute atteinte

à l'un a des répercussions sur l'autre. Chaque souillure qui entache le corps, est perçue dans la dimension psychique du croyant et vice versa. L'assimilation de la maladie physique au Mal, imprime sa marque dans le corps sélectivement et non dans ses points fragiles comme dans ct'autres cas de somatisation. Ceci justifie aussi qu'elles résistent aux rites de purification: leur origine, marque de souillure est métaphysique et avant que cette marque ne soit purifiée, la maladie physique restera.

Aprés quelques minutes de silence, Kébir que je ne connaissais pas si érudit dans le Hadith, n'étant pas de langue Arabe mais persane, récita cette parabole:

Abou Horeira dit: "Un homme vint rencontrer le messager de Dieu, et dit: "0 Messager de Dieu, qui a le plus de droits quant aux bonnes relations à entretenir avec

quelqu'un? Ta Mère, répondit-il. Et ensuite qui? Ensuite ta Mère, répéta-t-il. Et ensuite qui? Ensuite ta Mère, encore. Ensui t:.e qui? Ensui te ton père."

c'est ce droit lié au symbolisme de l'introduction à la pratique • religieuse, quatriéme période après les phases orale, anale et

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phallique, que Kébir réclame par sa Folie et ses "fausses maladies".

Thème III, Ghirbéc Hégire et Exil.,

Afifa est une femme d'une trentaine d'années. Elle a été diagnostiquée désordre de personnalité schizo- affectif deux ans après son arrivée au Canada du Moyen Orient, dans le cadre d'une réunion familiale avec son mari. Durant la première partie de l'entrevue, Afifa décrit avec des symboles allégoriques son processus migratoire. Un thème dominant émerge de cette partie: Elle n'a pas choisi de venir au Canada. Elle y a été obligée par le fait que son mari qui est aussi son cousin a émigré avant elle, et comme elle lui a été promise avant son départ elle devait le rejoindre.

Avec les années comme Imad (futur mari) ne revenait pas au Liban, la famille a cru qu'il s'était lié à une canadienne et qu'il ne voulait plus m'épouser, J'avais 18 ans lorsque ma tante est venu pour me dire qu'il revient pour me prendre. J'étais flattée, mais en mème temps j'avais peur de lui. J'étais un enfant, 12 ans lorsque je lui ai été promise par mon père. Il m'étai t étranger bien qu'il soi t mon cousin. Ma famille ne pouvai t pas reculer; i l venait exprès pour moi.

Par une ironie du destin, elle devait savoir plus tard qu'Imad ne venait pas pour elle précisèment, mais comme le lui a dit sa belle soeur pour se marier à une fille du village.

Il voulait une fille qui n'a pas été embrassé que de sa mère, i l avait peur du SIDA, voilà pourquoi il s'est rappelé de moi. Mon père lui a donné raison de penser ainsi mais moi je me suis senti comme de la marchandise.

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Cette ambivalence concernant son mariage l'a marqué profondément. Elle le dit â plusieures reprises en justifiant sa "Folie":

"Lorsque j'ai vo ulu ne pa s venir a u Canada, mon père m' a trai tée de folle. Ma mère était de mon côté, mais elle ne pouvait rien faire: c'était entre les mains de mon père et de mon oncle, Imad étant mon cousin paternel. Toute la famille s'est mise contre moi et je suis sûre que si aujourd'hui je suis malade c'est à cause de cette période où j'ai été très seule et je continue à l'être . . . . Je suis toujours en GHIRBÉ.h

Cette notion de Ghirbé je l'avais déjà entendu auparavant de la bouche d'un immigrant egyptien qui avait des problèmes de santé mentale. Traduite elle veut dire en même temps "Étrange " et "Terre étrangère". Si on regarde les dernières années de la vie de Afifa, on remarque que ses choix ont été restreints. Lorsqu'elle se rebelle contre l'autorité patriarcale elle est traitée de "Folle", d'étrange. Les premiers mois de sa vie au Canada sont marqués par un isolement social traumatisant. Enceinte, loin de ses supports naturels et familiaux, ne connaissant que quelques mots de français, elle vécut au fond ct'elle-même cet état de Ghirbé, étrangère dans une terre étrangère. Elle considère cet état comme le plus désespérant pour elle; sa maladie devient plus forte et elle ne sait pas comment la définir. La littérature concernant ce désespoir lié au processus migratoire abonde en exemples mais je ne l'ai jamais senti aussi poignant comme dans cette partie de l'entrevue.

Essayons de comprendre que veut dire Ghirbé, et son importance dans • la vie des

L~igrants

musulmans.

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Ghirbé est un terme arabe féminin qui recèle en son sein deux significations importantes:

1- La terra incognita des mythes, étrangère en dehors des sentiers de la civilisation et de la connaissance physique des lieux.

2- La mort symbolique des familiarités de la loi religieuse et du même coup de la loi sociale. L'Islam est en même temps Religion et Etat. Elle signifie l'exil du croyant en dehors des terres de L'Islam.

Une parole de l'Imam chiite Jaafar du VIllième siècle, répércute une révélation coranique et sanctifie le ....H....é...:;g;L.:l=·...r ...e'----'---"E=x:.=.=i.=l'----'- de

Mohammad et la fuite des enfants de Ali, son cousin et supposé successeur.

L'Is~am a commencé expatrié et redeviendra expatrié comme i~

a été au commencement. Bienheureux ceux qui s'expatrient.

L'Hégire le départ en exil du Messager, de la Mecque à la Médine, marque le commencement de l'ère musulmane dont i l constitue

historiquement l'an l. Les Sourats de l'Hégire montrent cet arrachement qui a marqué tout un courant de pensée, nostalgique des lieux d'origine. Comme le dit Jean Michel Hirt si judicieusement:

Le monothéisme musulman n'est -il pas le rejeton d'Agar, ~a

servante arabe d'Abraham, éxilée avec son fi~s Ismaè~, son aîné? Marie, mère de Jésus, n'est-e~le pas isolée des siens, lorsqu'elle conçoit et met au monde son fils? Elle fuira avec lui le monde romain pour se réfugier en Egypte.

Tant que l'exil est porteur de signes de futur prometteur, analogue • au retour de Mohammed triomphant à la Mecque, le musulman y voit

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une épreuve qui sert à renforcer sa religion. S'il ne voit dans sa migration qùe souffrance, solitude et perte des signes familiers à ses sens, il se retrouvera dans ~le trou du lézard", sombre et exigü. Nous faisons allusion au trou du lézard, qui dans le Coran symbolise la perte de la lumière divine par la déchéance. Or l'exil que vivent les musulmans expatriés, comme Kébir, Afifa et tant d'autres patients, est souffrance à cause de l'étrangeté d'eux mêmes qu'ils sentent dans les pays d'accueil. La rencontre avec l'intervenant(e) en thérapie n'est que la conclusion logique de ce comportement étrange qui découle de cette étrangeté intérieure en pays d'Occident .

Au niveau symbolique l'Occident n'est-il pas l'endroit où se couche le soleil, où se perd la lumière? Par l'étalement de son matérialisme et le marketing visuel de la consommation éffrénée de tous les produits, sexuels et autres, i l cache sous un masque visuel épais, cette partie qui structure tout chez les musulmans: les signes de l'Invisible, dont les rituels dans la vie quotidienne ne servent qu'à son rappel. L'Occident considère l'invisible comme ce qui ne se voit pas, en négation de la réalité matérielle qui elle, est stucturée dans le temps et l'espace. Même on lui donne des sens péjoratifs, comme ne faisant pas partie de l'Existence et faisant partie du monde occulte, du mystérieux à combattre en l'obligeant à se dévoiler pour le convertir en visible donc contrôlé.

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Ceci contredit complètement ce à quoi le musulman croit. Pour lui le visible n'a de raison d'être que par rapport à l'invisible. C'est ce dernier qui détermine la vie et non le contraire. Tout les renoncements du croyant par les Arcanes, sont les limitations qu'impose l'invisible au monde matérielle et non le contraire. Mis sous pression par les messages visuels du visible, le croyant musulman est confronté à cet amenuisement de l'invisible dans la vie de chaque jour, sa dimension intérieure en conçoit du Hirmane,

perte et sevrage des familiaritées des pratiques religieuses, qui baignaient son univers pré-migratoire. Idéalisée cette perte est confondue avec l'origine abandonnée. L'Invisible devient terre d'origine et le visible devient terre d'accueil. La Oumma qui constituait pour le musulman le miroir sur lequel il s'évaluait, où il retrouvait ses guides spirituels, n'est plus présente en terre d'accueil. Elle est supplantée par un autre miroir identitaire qui est celui de la société occidentale avec ses propres valeurs liées au visible. Il entre en ce moment dans une période de fragilisation de son identité. Son critère d'appartenance est menacé, le visible chez lui risque de résorber l'invisible.

A la question, qu'est-ce qui a le plus marqué Kébir à son arrivée

à Montréal, i l me répondit:

"Le Silence des Muezzins. "

En arrivant d'Istambul par avion, capitale de la Turquie où chaque coin de rue est fier de son Minaret et de son Muezzin qui chante

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les Salats cinq fois par jour, du haut de sa tour, succède le silence quasi total d'une ville comme Montréal où le bruit n'importe lequel est synonyme de non respect de la quiétude des autres. L'air ambiant des villes musulmanes rappelle dès l'aube le croyant de la rituélie des purifications et des prières. Cette ambiance est quotidienne, trouve son paroxysme lors des vendredis et des fêtes musulmanes. Le privé est estompé au profit de la communauté. Il n'en est pas de ~ême dans les villes occidentales où chaque extériorisation des croyances est régie par un code civil où le respect du calme, du silence est très important. Même les carillons des églises se font discrètes et parfois muettes, pour annoncer les messes matinales.

Le conditionnement du musulman à se conformer à une rituélie clamée

à haute voix dès l'aube, cherche à se concrétiser, par des pratiques individuelles qui semblent parfois agressives. Combien de fois Kébir ne s'est pas fait marteler contre son mur lorsqu'il faisait jouer sa cassette de prière à l'aube, chaque matin dans son appartement? Il était conscient de son geste, mais il voulait faire tinter dans l'univers de son appartement exigû son combat et sa fierté bafouée.

Ce manque intolérable des pratiques de la Loi religieuse pourrait s ' i l était comblé, être thérapeutique COmITLe nous allons le voir. Le déchirement du sujet entre ces deux pôles, est source de souffrances. La folie guette étant une transposition de cette

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souffrance intolérable. La terre d'origine devient idéalement la pureté de l'invisible de plus en plus difficile à atteindre. Les tentations du visible, deviennent la réalité des sens comblés. La terre d'accueil devient la terre impure, la terre d'Iblis, thème que nous avons déjà entendu chez Afifa et Mira, notre troisième patiente rencontrée.

Thème IV. Iblis ou l'Errance en terre d'Exil.

Mïra est une jeune femme de vingt cinq ans, éducatrice dans une garderie publique. Elle vit encore avec sa famille, entre sa mère canadienne et son père égyptien musulman, mariés à la fin des années soixante lorsqu'un vent de libertanisme survolait le monde. Elle a un frère de deux ans plus jeune qu'elle et une soeur adolescente. Lorsque je l'ai rencontrée, elle suivait une

psychothérapie suite à une dépressi0n situationelle qui a obligé sa famille à l'hospitaliser, après la plainte de sa directrice. Son trouble psychique apparut quand elle a commencé à laver d'une façon compulsive, les langes souillées des enfants en bas âge de la garderie. Elle justifiait ses actes par sa possession par un autre être qu'elle identifiait comme Iblis, Satan, le demon.

Je ne peux pas me retenir de les laver; je suis comme possédée par Iblis. Il faudrait qu'ils soient purifiées. Ma grande mère ( paéernelle) ne supportait pas que je ~e fasse sous moi lorsque j'étais petite. Ma mère elle s'en fichait: elle me changeait trois fois par jour. c'est peut-être pour cela que j'ai continué à faire pipi sous moi jusqu'à six ans .

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En fait ce qui a déclenché entre autre cette crise, c'est l'arrivée à la garderie d'une petite fille, de parents nouvellement immigrés du Soudan. Ce fut le coup de foudre entre Mira et cette petite fille musulmane de dix huit mois. En changeant ses langes, Mira remarqua l'excision de la petite fille. C'était la première fois qu'elle voyait cette mutilation sexuelle des petites filles, si commune dans certaines régions du monde. Elle en tira une tristesse profonde et passa toute la soirée à pleurer dans son l i t sans pouvoir se retenir. Le lendemain, elle lava la fille à plusieurs reprises pendant la journée.

Si Afifa ou Mira ne peuvent qu'accuser Iblis de leur geste c'est précisément dans l'espoir inconscient de ne pas supporter la responsabilité de ce qui se passe et de ce qui s'est passé. Afifa, en réaction à sa situation insupportable de jeune fernrrLe cloîtrée dans un appartement dans une ville étrangère, avec un enfant, après une vie de liberté dans les champs, se réfugie dans une terre qu'elle a déjà côtoyé avec sa mère, celle de la folie. Tout au long de cet intermède on va l'écouter raconter sa possession ainsi que celle de sa mère. La définition que Afifa donne de sa maladie est loin du jargon médico-scientifique. Elle qualifie plus sa maladie comme:

une période où e~~e vit un état pendant laquelle je recherche la compagnie des hommesr et je serai prête à fuir avec l'un d'eux s'il le

propose. C'est plus fort que moi; j'attire et je suis attirée.

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mêmes fftentations" au moins une fois, malgré le secret qui a enveloppé cette séquence. Sa mère est la Dayé (accoucheuse) du village. Ceci lui conférait un prestige qu'elle partageait avec un Moghrabi (guerisseur herboriste) itinérant. Une nuit pendant une tempête de janvier, sa mère sortit pieds nus et disparut toute la nuit. On la retrouva le lendemain à côté de la maison du Moghrabi, assise dans la neige, et tenta de fuir lorsque son mari s'approcha d'elle. On ne vi t j arnais plus le Moghrabi dans le village. Un Sheikh (vénérable) connu pour ses pouvoirs magiques l'exorcisa et elle retourna à la normale. Afifa y vit le signe d'un envoûtement fait par le Moghrabi et non point les signes d'un maladie mentale:

Bien que ma mère a continué à faire des fugues les hivers, on ne s'alazmait pas outre mesure et tu sais si mon père voulait que rien ne se sache personne n'oserait dire un mot. Il avait peur que si ça se sache on ne trouverait plus personne pour nous épouser moi et mes deux soeurs.

Cette responsabilité collective à cacher le comportement de la mère a joué un rôle determinant dans le déclenchement de la maladie chez Afifa: elle était la confidente, celle à qui la mère parlait lorsqu'elle souffrait de ses crises:

L'automne la déprimait, elle avait de la difficulté à se réveiller le mat:in pour préparer le déjeuner pour mon père. Ell me réveillait pour le faire. Arrivé le mois de janvier, elle changeait complètement et elle me prenait parfois dans de longues marches sous la pluie et la grêle pour acheter de l'encens du village voisin. Elle était possédée par IBLIS et si

ce n'étaient les efforts du Sheikh, elle l'aurait rejoint. Pendant ma dernière année dans la maison de mes parents, je la connaissais si bien, qu'elle demandait quoi faire pendant ces périodes.

Cette "connaissance" était à double tranchant. En prenant soin de • sa mère Afifa connaissait le secret familial et y voyait le

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bénéfice inconscient de pouvoir toujours y avoir recours lorsque sa situation conjugale devenait très oppressante pour elle. Il y avait quelque part une porte de sortie. Celle qu'elle connait le mieux lui a été donnée par sa mère. Afifa eut sa première crise huit mois après son arrivée au pays, par une journée de décembre. Elle était enceinte. Son medecin traitant ne lui administra pas de médication mais la mit sous surveillance au pavillon des femmes de l'hôpital. Elle eut droit à un mois de "vacances" avant son accouchement. Sa deuxième crise lui a valu l'administration d'un médicament antipsychotique, et a mis en danger se possibilité de conserver la garde de son enfant qui a été laissé seul dans l'appartement une journée entière avant 1 ' arrivée de son mari du travail. Elle n'avait pas cru que c'était aussi dangereux:

Lorsque j'ai senti les murs s'approcher si près de moi, j'ai pris la fuite le plus rapidement possible. Je savais que j'avais oublié quelque chose mais je ne me rappelais pas ce que c'était. Lorsque les policiers m'ont trouvé, je ne savais plus où j'étais ni comment je suis arrivé là.

Je me rappelais de mon Lam mais pas de mon adresse. J'ai su tout de suite que j'avais fait une crise comme ma mère. Je sentais 1 'homme comme elle.

J'étais possédée par Iblis.

Iblis, démon et crée par Allah, était là pour justifier son égarement.

Mira de même et pour une autre raison, cherche à purifier toutes les filles des atteintes qu'elles auraient pu subir dans leurs enfances, à cause des coutumes et des traditions contre lesquelles elle ne sait quelle attitude adopter. Peut-être y voit-elle, le danger qu'elle a encourue étant petite? Sa loyauté envers la

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religion et les coutumes véhiculées par son père était-elle ébranlée par cette révélation? Iblis vient s'interposer aussi comme mouvance de cette période fragilisée de son identité.

Mais d'où vient ce concept d' Iblis en terre d'Exil?

En fait, le Coran revient à plusieures reprises sur ce thème d' Iblis mais ne le traite jamais séparément; dans les Sourats, on ne parle que de "l'Exil d' Iblis", le Satan, le démon.

La Sourat VII:

Iblis dit: Ajourne-moi au Jour de la Resurrection" AJlah dit: Ajourné sois-tu"

Il (Iblis) dit: "De ce même égarement dont Tu m'as affligé, je veux hanter pour eux, Ta voie de réctitude. Que dis-je? Fondre sur eux, de devant, de derriè.re, de droite et de qauche: Tu n'en trouveras pas beaucoup pour T'être reconnaissants."

Allah dit: "Sors d'ici dans la déchéance et l'exil. Quiconque parmi eux te suivra . . . que de vous tous ensemble j'emplisse l'Enfer.

Pour ceux et celles qui s'identifient comme "suivant d' Iblis", se sentir possédé par lui, n'est que l'expression magique d'un désarroi d'une souffrance. D'où vient cette souffrance? De la perte de l'invisible. L'Exil fait perdre par Iblis, à la personne son rapport avec l'invisible, avec la permission d'Allah. C'est Allah qui a donné la permission à Iblis de tenter les égarés, pour un secre~ de rédemption pour eux en lui. Ceci tend à déculpabiliser tous ceux et celles qui sont tentés par Iblis. Iblis devient égale

à Maktoub (le destin, la fatalité), pour les croyants en terre d'Exil qui seront toujours confrontés à leur destin, leurs différences des autres. Allah leur donne la possibilité, par • l'entremise d'Iblis, de justifier leur comportement. Mais ce lien

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ne doit pas durer, le croyant doit retrouver le chemin de l'invisible. S'il ne le fait pas, i l restera en errance, en Folie toute sa vie. C'est cette guérison par le retour à l'invisible que l'approche holistique propose au musulman. La même Sourat de l'Exil d'Iblis donne la solution:

"Récite-leur l'histoire de celui que nous avons gratifié de

Nos signes, mais qui s'en àébarrassa; Iblis se fit de lui un

un adepte et entre tous i l erra."

La lecture du Coran, gardera pour l'errant, l'exilé, son lien avec l'Invisible pour le protéger contre l'errance éternelle. L'exil ne pourrait qu'être provisoire, toute possesion par Iblis temporaire. Ce danger qui est celui de sombrer dans l'errance éternelle dans le • sillage d'Iblis est très présent chez les personnes d' crigine immigrante suivant leur degré d'acculturation à la société d'accueil.

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