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L'attachement de Paul Valéry pour J.K. Huysmans.

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(1)

1

L IrATTACHEMENT DE PAUL VALERY POUR J. K. HUYSrllANS

/ / /

(2)

sont sons

Cécile Lambert-Raspa

L "attachement de Paul Valéry pour J .K. Huysmans

Département de Langue et Littérature françaises

M.A.

Abrégé

C'est parce que les oeuvres de Valéry et de Huysmans si différentes, que nous avons voulu connattre les rai-de l'attachement rai-de Valéry pour Huysmans. Dans une

première partie, nous constatons qu'~ Rebours est le roman

de Huysmans qui a le plus intéressé Valéry. Ce livre eut un éclat retentissant et des Esseintes devint un héros

pour la génération de

1885.

Valéry figure parmi ces jeunes

gens et ceci nous donne une première explication de son admiration pour Huysmans.

Dans une deuxième partie, nous remarquons qU'il y a

une similitude d'idées entre Valéry et le protagoniste d'~

Rebours. Valéry, poète de l'intelligence, est séduit par l'aspect cérébral de des Esseintes. De plus, l'un et l'au-tre s'intéressent aux phénomènes de la mystique religieuse.

~~is, ceci n'est pas contradictoire, pUisqu'à leur point de vue le clottre et le culte de l'esprit se concilient. Nous signalons aussi leur sens commun de l'exception.En effet, les deux esthètes ont un besoin extrême de solitude et sont également révoltés par la bêtise de l'humanité.

Evidemment, des différences majeures existent entre Valéry et Huysmans. Toutefois, Huysmans s'est mérité l'at-tachement de Valéry parce qu'il a créé une oeuvre qui re-présente un exercice de l'esprit.

(3)

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..

'~.

L'ATTACHEMENT DE PAUL VALERY POUR J.K. HUYSr.1ANS

par

Cécile Lambert-Raspa

Thèse présentée au Département de Français de l'université McGill comme complément

aux conditions d'obtention de la Maîtrise es Arts

Juillet, 1972

(4)

" ...

'~ ,

.':' .

TABLE DES IVlA TIEH.ES

INTRODUCTION ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 1 PREMIER:Œ: PAR'l'IE

CHAPITRE 1: PAUL VALERY E'l'

Il

REBOURS. •••••••••••••••• 4

1. la découverte df~ Rebours •••••••••••••••

4

2. la rencontre avec Huysmans •••••••••••••• 10

3.

les autres romans de Huysmans ••••••••••• 13

CHAPITRE II: A REBOURS:CHEF D'OEUVRE OU ABOMINATION •• 19

1. ce qu'en dit Huysmans ••••••••••••••••••• 19

2. réaction des critiques:étouffer ce

mons-tre ••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 20

3. hommage des écrivains ••••••••••••••••••• 22

CHAPITRE III: DES ESSEINTES: UN PORTRAIT ET UN PROTO-TYPE DE LA GENERATION DE

1885 ••••••••••• 28

1. des Esseintes et la génération de 1885 •• 28

2. Valéry et la génération de 1885

...

29

3.

les traits de cette génération

désir de IfSynthèseu ••••••••••••••••••••• 30

critique de l'esprit scientifique ••••••• 32 l'élan mystique remplace la méthode

ex-périmentale ••••••••••••••••••••••••••••• 35

fascination pour l'artifice ••••••••••••• 37 des Esseintes et la musique ••••••••••••• 40 leur mot d'ordre: any where out of the

world •.•..•..•••.•..••••••••••••••••.••• 41

(5)

DEUXIEME PARTIE

CHAPITRE IV: LE CULTE DE L'ESPHIT •••••••••••••••••••• 47

1. Valéry:un poète et un chercheur ••••••••• 48

2. explication de son admiration pour la

science ••••••••••••••••••••••••••••••••• 50

3.

la littérature et l'esprit •••••••••••••• 53

4.

la création artistique et· l'esprit •••••• 54

5.

science et art: des manifestations de la

connaissance •••••••••••••••••••••••••••• 55

6.

exercice de l'esprit: préoccupation

ma-jeure de des Esseintes •••••••••••••••••• 57

CHAPITRE V: LE IJlYSTICISNŒ DE VALERY ET DE DES ESSEINTES 65 1. le mysticisme de Valéry

un mystique qui voue un culte à la

beau-té ... 65

un mystique de la IIréalité puretl

2. le mysticisme de des Esseintes un mystique qui révère la beauté

...

...

68

73

un mystique qui s'intéresse a l'exotisme 75

3.

pourquoi Valéry et des Esseintes ne sont

pas des mystiques ••••••••••••••••••••••• 78

CHAPI'I1RE VI: LE RElt'US DES AUTRES ••••••••••••••••••••• 81 1. le sens de l'exception chez Valéry et

des Esseintes ••••••••••••••••••••••••••• 81

2. explication du refus de Valéry •••••••••. 84

3.

explication du refus de des Esseintes ••• 90

4.

un dilemme irrésolu:la vie implique les

autres •••••••••••••••••••••••••••••••••• 97

COI\fCLUSION ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 100

(6)

INTRODUCTION

Paul Valéry et Joris Karl Huysmans, voilà deux noms qui évoquent habituellement des pensées bien différentes. D'une part, nous nous souvenons que Valéry est appelé le poète de l'intelligence et qu'il a cherché le moyen de dé-couvrir le mécanisme de son esprit. D'autre part, l'auteur d't:.. Rebours fut d'abord un disciple de Zola et plus tard, il se réfugia dans une Trappe pour se convertir au catho- . licisme. Pourtant, nous savons que Valéry aimait beaucoup Huysmans, parce qU'il l'a si souvent répété.

r-1ais, dira-t-on, c'est surtout au temps de sa jeunes-se que Valéry a donné des signes d'attachement pour Huys-mans. Voilà qui est vrai, mais qui ne diminue pas pour autant la signification de leurs rapports, puisque les thèmes principaux de l'oeuvre de Valéry ont été ébauchés dans ses écrits de jeunesse. De plus, nous croyons que les motifs qui ont suscité l'admiration de Valéry pour Huysmans proviennent d'un accord profond entre les deux hommes. Valéry s'en rendit compte lorsqu'il fit connais-sance avec des Esseintes. L'auteur d't:.. Rebours s'est mé-rité l'attachement de Valéry parce qu'il a créé un

indi-vidu qui s'est voué entièrement

à

la fabrication d'un

monde approprié aux besoins de son esprit. Un tel dessein a touché de bien près celui qui voulait fTprendre sa

(7)

Nous proposons de diviser en deux parties l'étude qui va suivre. Dans une première partie, nous voulons

prouver que Paul Valéry était attaché

à

J.K. Huysmans

et plus particulièrement à ~ Rebours. Afin d'expliquer

l'enthousiasme de Valéry, il nous a paru nécessaire de

donner un aperçu de la réaction de ses contemporains

à

la parution d'! Rebours. De plus, nous nous sommes

rap-pelé que des Esseintes appartient

à

la génération de

1885; nous avons cherché

à

savoir, donc, si l'esthète

décadent n'avait pas quelques ressemblances avec les jeunes de ce temps. Il faut tenir compte du fait que des Esseintes n'est l'a!né de Valéry que de quelques an-nées.

Dans une deuxième partie, nous expliquons quels sont les rapports de pensée entre l'oeuvre de Valéry et A Rebours, l'ouvrage de Huysmans qui influa le plus sur lui. Premièrement, il nous semble que Valéry a aimÉ des Essein-tes parce que celui-ci est un individu qui a choisi "lie se reléguer dans la contemplation" pour mieux jouir de l'exercice de son esprit. Les bizarreries ne cachent pas

le caractère cérébral de ce décadent. Non seulement

Valé-ry et des Esseintes s'intéressent-ils aux possibilités

de l'esprit, mais aussi sont-ils sensibles

à

la beauté.

Pour l'un et l'autre, ces aspects se concilient, car Huys-mans et Valéry ne voient pas à'opposition entre ce qui est découvert par l'intellect et ce qui est dévoilé par la sensibili té.

(8)

En second lieu, nous constatons que le mysticisme de des Esseintes a séduit Valéry. L'un et l'autre ont

voué un culte

à

la beauté et

à

la connaissance, mais ce

mysticisme esthétique et intellectuel peut-il être con-fondu avec la mystique pure?

Enfin, il yale refus des autres. Valéry et des

Esseintes sont des misanthropes qui souhaitent vivre

à

l'écart de l'humanité. Mais ils se heurtent sans cesse

à

un même dilemne, car l'un et liautre ne peuvent accor-

..

der leur désir de "vivre" avec leur besoin extr~me de

(9)

(

1. PAUL VALERY ET A REBOURS

! Rebours n'est pas le premier roman de Huysmans, mais il est celui auquel Paul Valéry s'attachera le plus. Les oeuvres naturalistes ont précédé ce livre qui fut une sorte de "bible" pour les décadents, mais elles ne l'ont

certainement pas intéressé. Nous ne saurions affirmer

qu'il les ait lues. Ses carnets écrits alors et sa corres-pondance, qui habituellement nous donnent beaucoup de ren-seignements sur ses lectures, ne font pas mention de ces

premiers romans de Huysmans. Ce n'est pas le cas des

au-tres qui suivront la publication d'! Rebours, car il a

connu les oeuvres de Huysmans publiées après

1884.

Tou-tefois il ne les a pas jugées avec le même enthousiasme.

Selon ~enri Mondor, 1 c'est durant l'été de

1889

que

Valéry lut pour la première fois

!

Rebours. Il aurait

em-prunté ce livre dans une bibliothèque d'étudiants à

îvIont-pellier. Et en effet, c'est à partir de l'automne de cette .,

année-là que commencent les nombreuses remarques de Valéry 'à propos de ce livre qui lui est si cher.

Pour sa part, Octave Nadal croit que c'est plutôt en

1887

que Valéry a découvert! Rebours. 2 Le pO'ème

"Solitu-de", composé en

1887,

est à son avis une indication que

1 Henri Mondor, "Paul Valéry et ~ Rebours,'" Revue de

Pa-~, (mars

1947),

p.

6.

:2

Paul Valéry et Gustave Fourment, Correspondance, ed. Octave Nadal (Paris: Gallimard), p. 225.

(10)

V,aléry avait déjà lu ce livre. En effet, il y a dans ce poème des ressemblances entre des Esseintes et Valéry et

nous en reparlerons plus loin. Cependant, il nous semble

que si Valéry avait déjà lu

!

Rebours en

1887,

il aurait

parlé de ce livre à son ami Gustave Fourment, dans les lettres qU'ils échangeaient durant les vacances d'été.

Car en

1887

et

1888,

durant son séjour à Gênes, il donne

un compte-rendu très détaillé de ses lectures. Il cite

Le Ventre ~ Paris de Zola, ~ Sorcière de Michelet,

Bel-le Jenny de Gautier, David Copperfield de Dickens, Etudes Archéologigues et bien d'autres encore, mais il n'est pas

question de Huysmans. 1 Une autre lettre de vacances,

da-tée du Vigan, écrite à Gustave Fourment au mois d'août

1889,

nous porte à croire que Valéry n'a pas encore lu A Rebours. Cette lettre permet donc d'établir avec une cer-taine précision à quel moment il en aurait pris connais-sance. Ainsi que nous le verrons, à partir du mois de

septembre

1889

et pour les deux années qui suivirent, Valéry

ne cessa de faire l'éloge de ce livre. Il est étonnant de constater, en effet, comme il parle souvent de Huysmans ou

.'. "

d'A Rebours durant cette periode.

- lA

C'est dans une lettre envoyée

à

Karl Boès, alors

di-recteur du Courrier Libre, que l'on découvre pour la pre-mière fois le nom de Huysmans dans la correspondance de

Valéry. Ce dernier lui soumet un poème daté du 23 juillet

1 Valéry-Fourment, pp. 50, 59.

(11)

(

1889, intitulé "Elévation de la lune". Après avoir

re-..

marqué qu'il n'appartient a aucune école, il ajoute:

"Je préfère lVIallarmé

à

Verlaine et Joris Karl à tous les

autres"} D'après ces faits, il nous semble que Valéry

a donc lu ~ Rebours entre sa lettre à Gustave Fourment

et celle

à

Karl Boès. Voilà pourquoi nous sommes porté

à accepter le jugement d'Henri Mondor. De plus, dans

l'introduction biographique aux Oeuvres de Paul Valéry,

Madame Rouart-Valéry confirme que c'est en septembre 1889

que Valéry lut pour la première

foi~

!

Rebours~

Il avait

alors 18 ans.

Toutefois, la lettre que Valéry écrivit à son ami Fourwent au mois d'août, est d'autant plus intéressante

parce qu'elle contient plusieurs passages qui semblent

..

inspirés par des Esseintes. D'abord il écrit:

Je me repais ici de sensations. Les odeurs, les couleurs, les sons insolites m'entourent et je les recueille et je

les classe et je les décompose en moi et je'~leat;r.atb.ache

à

d'autres per~us ailleurs, ressuscitant ainsi des trésors

de souvenirs.

Un peu plus loin, il évoque des images de l'Italie:

En rôdant dans les vieilles rues puant l'antique et les victuailles, où les bassins de cuivre sèchent au soleil, hier, s'est réveillée dans ma cervelle la gamme des sen-sations d'Italie.3

1 Paul Valéry, Lettres

i

guelgues-uns (Paris: Gallimard,

1952), p. 9.

2 Paul Valéry, Oeuvres, ed. Jean Hytier (Paris:

Biblio-thèque de la Pléiade,

1957

et

1960),

l,

17.

3 Valéry-Fourment, pp.

67-68.

~l

(12)

(

N'est-ce pas là un souvenir évoqué dans "Les Vieilles Ruel-les"', poème en prose dédié à Huysmans à l'automne de 1889:

Au sortir des places populeuses, où,grouille la vie, où éclate l'odeur de ce qu'on mange, ou les cuivres étin-cellent des vases de cuisine, où l'eau chante dans les bassins, j'aime vos ténèbres humides, les grands murs noirs perçés de larges fenêtres plus noires, les torsions

épineuses des grilles rouillées où les araignées ten- 1

dent aux vents leurs voiles bleus, leurs voiles gris ••• Et Valéry termine sa lettre en s'exclamant: "Et puis zut-N'importe où hors du :fi.1ondel. Je 'sens que je deviens fou •••

heureusement. Je le suis déjàn •2 C'est bien là un écho

du poème en prose de Baudelaire, et nous nous rappelons que des Esseintes aimait tellement cette pièce, qu'il lui avait réservé la place centrale du triptyque dans un canon d'église placé sur sa cheminée.

Au vu des analo.gies que nous venons de souligner, il n'est pas surprenant d'apprendre que Valéry sera fasciné par le roman de Huysmans; il est clair que les deux jeunes esthètes partagent plusieurs idées. Mais ces passages ne rappellent-ils pas davantage la mémoire de Baudelaire que celle de des Esseintes. En effet, si l'on tient à dési-gner une influence particulière dans cette lettre, c'est bien celle-là qu.'il faudra relever.

Cependant, lorsqu'il s'agit de prouver l'admiration de Valéry pour! Rebours,nous ne saurions trouver un té-moignage plus convaincant que cette lettre écrite à son

1 Oeuvres, l,

1607.

2 Valéry-Fourment, p. 69.

1 _.)

(13)

(

ami Albert Dugrip vers la fin de 1889:

Huysmans est celui d'aujourd'hui dont mon âme s'accomode

le mieux. J'en suis toujours à relire A Rebours; c'est

ma bible et mon livre de chevet. Rien

n'a

été écrit de

plus fort ces derniers vingt ans. C'est un des rares

ouvrages qui créent un style, un type, presque un art

nouveau. Des Esseintes est assez dépravé dans ses sens

et assez mystique pour me séduire, et j'envie sans ces-se son long repos dans les raffinements solitaires et dans les prestiges de l ' esprit.1

Est-il possible de dire en des termes plus élogieux son admiration pour un livre qui nous est cher? Pourtant Valéry ne rêve pas de ressembler à des Esseintes, car

dé-jà il possède les traits de l'esthète de Fontenay qui lui apparaissent si admirables. C'est ce que nous verrons dans la deuxième partie de ce travail, lorsque nous trai-terons de façon plus précise des rapports entre Valéry et Huysmans.

En 1890, un an après avoir découvert! Rebours,

Valé-ry est encore plein d'enthousiasme pour !fle romancier

uni-que If •2 Ce sont là les termes qu'il utilise pour désigner

Huysmans lorsqu'il écrit à Pierre Louys, peu de temps après

leur première rencontre. Nous nous souvenons que le jeune

étudiant était venu à l\lontpellier pour assister aux fêtes du VIe centenaire de l'Université, et qu'ayant fait par hasard la connaissance de Valéry, il avait immédiatement reconnu les qualités exceptionnelles du jeune provincial.

La correspondance entre ces deux amis nous intéresse

1 Lettres

i

guelgues-uns, pp. 11··12.

(14)

(

de façon particulière parce que Louy's ne partage pas du

tout le zèle de Valéry à' l'égard de Huysmans. Il n'~ a

pas de véritable polémique, puisque Valéry ne tient pas à convertir Louys, mais il y a un échange de vues qui mérite notre attention. Les deux hommes s'écrivaient depuis le 29 mai lS90, et dans la plus grande partie de lettres de Valéry que nous avons retrouvées, il parle fréquemment de Huysmans et d'! Rebours, mais ce n'est que quatre mois plus tard que Pierre LouYs déclarera ce qu'il pense de cette "bible". Il revenait de la

Grande-Char-treuse où il était allé faire une retraite. Il avait

à

cette occasion apporté avec lui le roman de Huysmans et a

..

son retour il ne put s'empêcher de répondre a ... Valéry qui

ne cessait de louer les mérites de ce livre. Voici donc un extrait de cette très longue et très sévère critique de Louys:

Quand j'ai quitté la Grande-Chartreuse, j'en avais lu, savouré, médité les quatre-vingt-dix premières pages,et je ne sais si jamais livre m'enthousiasma comme A Re-bours ••• jusque-là. Mais les deux cents dernièreS-sont,

a mon sens, si mauvaises, que je me suis pris à me

de-mander si je n'avais pas été victime d'une illusion en lisant le début, et si je n'avait pas inventé des beautés inexistantes. Huysmans a commis la même faute

que Chateaubriand: il a regardé comme une folie

indi-vidue*le et tout~ d'exception une évolution naturelle

de l'ame moderne.

Et continuant sur ce ton, LouYs dissèque et critique tous

les aspects d'! Rebours. Que répondra Valéry

à

une

analy-se de cette sorte?

1 Mondor, "Paul Valéry et

!

Rebours", p. 13.

(15)

(

:

Je regrette de ne pas me sentir disposé pour répondre sur

Huysmans en détail. J'approuve bien des choses ••• lf~is

vous méconnaissez, je crois, l'idée générale de l'oeuvre. 1 Il relève ensuite quelques passages qui lui semblent

parti-culièrement beaux, tels le voyage fictif

à

Londres, la

des-cription des oeuvres de Gustave Moreau, de la salle

à

man-ger, et il termine ainsi: TrN'importe! Le livre est d'un

esprit!,2

Même après les commentaires défavorables de Louys, Valéry continuera de vanter! Rebours; par exemple, une

lettre du

19

septembre

1890

nous livre ce passage: "Je

viens par hasard! - de relire une Cinquième fois! Rebours

et je ne songe plus qu'à le lire encore. Ne me méprisez

pas trop, mais c'est mon livre".3 Une autre année s'écôu-le, et Valéry semble encore des plus enthousiastes à l'égard

de Huysmans. Cette fois, c'est dans une lettre

à

André

"Gide, que nous avons recueilli le témoignage de son

admira-tion: "Parlez-moi du très cher Huysmans que malgré ~

j'estime et que je veux connaîtren •4 Ce"malgré tout"

sou-ligné par Valéry est significatif, car il laisse entendre

que les motifs qui l'attachent

à

! Rebours n'ont de sens

1 Lettes

i

quelgues-uns, p. 26.

2- Ibid ., p. 26.

3

Lettres

i

quelques-uns, p.

35.

4

André Gide et Paul Valéry, Correspondance, ed. Robert

Mallet (Paris: Gallimard,

1955),

p.

103.

(16)

(

que pour lui. Même avec ses meilleurs amis, il n'a nul besoin de s'expliquer.

Il n'est pas surprenant d'apprendre que Valéry sou-haitait faire la connaissance de Huysmans; enfin, lors

,

d'un voyage a Paris, il lui demande un rendez-vous. Les deux hommes se rencontrèrent pour la première fois le 25

septembre 1891. D'après des. notes de Valéry, Octave

Na-dal a résumé les impressions de cette première rencontre: J'entre. Un homme gris à moustache de chat, barbe poin-tue, un nez crochu, l'air bataille des yeux qui courent. Froisse des papiers en parlant avec une voie rude et sarcastique, parfois une bienveillance passe là-dedans. Puis il énumère les nombreux sujets dont il fut question durant leur entretien tels que la messe noire, Verlaine,

1

Rimbaud, la mystique pure. Il n'y a donc rien, dans ces

notes qui indique que Valéry ait été enthousiasmé par cet-te entrevue. En plus de ces nocet-tes, nous avons une lettre écrite à Gustave Fourment, qui non seulement raconte ce qui s'est passé, mais qui nous donne une idée des effets de cette visite:

J'ai causé une heure et demie avec lui, prêtres et mages, - et abominations et littérature. L'homme est déjà très gris, tout hérissé, des yeux qui bougent, la parole ron-flante des Flamands, jonchée de mots de caserne - sou-dain un large éclair de bienveillance - Nous avons parlé Félibrige! Et tu l'aurais entendu! Il va se lancer dans

la mystique pure, ai-je compris.2

1 Valéry-Fourment, p. 232.

2

Ibid., p. 122.

(17)

(

Le comportement du fonctionnaire qu'était Huysmans, semble avoir étonné Valéry, mais rien de plus. Cependant,

durant cette même visite

à

Paris, il fit une autre

rencon-tre qui cette fois le bouleversa, et cela

à

notre grande

surprise. Un jour, il était à la Bibliothèque Nationale, accompagné de Pierre Louys, lorsque ce dernier lui signa-la signa-la présence du comte Robert de r;Iontesquiou: "Là-bas! regardez. C'est lVIonsieur de MontesquioU' - le prototype de des Esseintes!" Et Valéry confie à Fourment ce qU'il éprouve alors:

Je n'ai plus rien vu. Tout disparaît. Seul, ce maigre

seigneur vêtu mince, avec sur son chapeau d'extraordi-naires gants jaunes légers, sa bouche cruelle, les yeux électriques, m'intéressa. C'est lui-même qui fit paver d'or la tortue énorme et se créa ce refuge subjectif -exactement issu de son âme. Il était si nerveux que mon regard constant il le sentait et leva souvent le

sien. Je ne puis te dire l'effet, la transe,le malaise

et la volupté que je ressentais. Je ne cherche pas à

décrire - c'est encore impossible. NIais je crois q.ue j'ai vu le plus exquis, le plus perfide, le plus

deli-cat des diables ••• 1

Evidemment, nous sommes étonné par le contraste entre ces deux réactions. D'une part, la rencontre avec Huysmans fut loin de provoquer la réaction attendue-.• En revanche,

nous ne nous attendions pas à ce que Valéry réagisse

aus-si intensément à ce personnage dont la personnalité et les ~abitudes avaient suggéré

à

Huysmans des traits pour des Esseintes. Et cela, deux ans après sa découverte d'! Rebours.

1 Valéry-Fourment, p. 122.

"-~J

(18)

(

1);

Comment expliquer ces réactions si opposées? En fait Valéry s'explique lui-même dans ce passage que nous venons

de citer. En voyant Montesquiou, tous ses sentiments

à

l'égard de des Esseintes remontent

à

la surface. Il ne

réa-gi t pas au comte, mais plutôt

à

celui qui· "s ~est créé un

refuge subjectif - issu de son âmell • Sa rencontre avec

Huysmans dans un bureau du gouvernement ne lui avait

sug-géré rien de pareil.

!

Rebours représentait la création

d'un milieu qui pût satisfaire

à

un moi particulier par

un acte volontaire de l'individu. Pour un moment, Montes-quiou avait incarné un tel être, et pour Valéry ce fut là une expér~ence exaltante. Rappelons que ce même Robert,

Comte de l'v1ontesquiou-Fezensac avait suggéré

à

Proust des

traits de Charlus.

Après A Rebours, Huysmans écrivit d'autres livres, et peut-être serait-il utile d'ajouter quelques remarques sur ce que Valéry pensait des autres oeuvres. Avant même sa visite à Paris en 1891, il avait déjà lu Là-Bas qui

ve-nait de parattre. Il ne le mit pas au même rang qu'~ Re_

bours, mais il l'a estimé suffisamnlent pour le recommander à Gide:" Promettez-moi qu'à votre retour en Paris vous connattrez Docre ou Gevingey, de vagues érudits.:.: aux mains

pâles, des astrologuesll •1 Loin de partager l'opinion de

son ami, Liide répondra que c'est "le plus détestable des livres".2 Pour ce qui est de Pierre Louys, il ne peut

.1 Gide-Valéry, p. 117.

2

(19)

(

comprendre que Valéry soit capable d'aimer"ce dernier ho-quet d'impuissants, ce pénible effort d'une manoeuvre

pé-niblement retombé";. 1

14

Ensuite, il Y eut §a Route et La Cathédrale; nous

sa-vons que Valéry les a lus, mais il est certain qu'ils ne .

sont pas "ses livres". Il a bien écrit

à

Huysmans une

let-tre d'appréciation. pour En Route en 1895, mais en dépit du ton respectueux, nous sentons que Valéry se faisait un

devoir de rendre hommage

à

quelqu'un qu'il aimait bien.

Quand La Cathédrale fut publiée en 1898, Valéry voulut faire quelque chose pour Huysmans. C'est alors qu'il écrivit

son article sur "Durtal Il pour le Mercure de France .• Mais

ce travail lui causa beaucoup de difficultés. Voici ce

qu'il en dit

à

Gide dans sa lettre du 15 janvier 1898,

avant même qu'il eut commencé la rédaction de cet arti-cIe:

J'ai promis à J.K. H. un article sur La Cathédrale

qu'elle para~tra (le 31 de ce mois) ••• ~t je tiens

faire l'article qui certes ne m'amusera pas - mais dû et promis - et je veux le faire uniquement pour

tâcher de faire plaisir

à

l'auteur seul. 2

dès

..

a

c'est

En 1937.encore, comme Valéry publiait le deuxième

volume de Variété, il ajouta une introduction

à

flDurtal",

qui explique très bien sa réaction aux dernières oeuvres de Huysmans:

1 Mondor, "Paul Valéry et

!

Rebours", p. 17.

(20)

Quand parut La Cathédrale, quoique ce livre fût très inégal et un:peu trop gorgé d'érudition, l'idée me

vint d'en saisir l'occasion pour marquer à l'auteur

mes sentiments. Je me mis

à

écrire ce Durtal ••• Mais

à

peine entré dans l'ouvrage, je sentis tout le mal

que j'aurais

à

faire plaisir sans cesser d'être moi.

Je travaillais pour Huysmans lui-même et non pour le

lecteur indistinct; mais j'étais

à

l'opposite de sa

nature et de ses idées. 1

Un fait ressort de cette lettre

à

Gide et de

l'introduc-tion

à

If Durtal If : Valéry aime:Slcora 'Huysmans, mais il ne

ressent guère de sympathie pour les idées que l'~uteur a

exprimées dans ses trois derniers livres. Ici, une

ques-tion très importante se pose. Si Valéry avait lu !

Re-bours en

1$95

plutôt qu'en

1889,

aurait-il réagi de la

A

meme façon?

D'après nous, il aurait aimé ce livre, quelle que

15

soit l'époque à laquelle il l'aurait lu. Sans doute

aurait-il exprimé son admiration avec moins d'élan, s'aurait-il avait

été moins jeune, mais il se serait quand même attaché

à

la personnalité de des Esseintes. Car même en admettant qu'! Rebours contient le germe des futures oeuvres de Huysmans, nous nous rappelons que tout d'abord, des Es-seintes est pour Valéry celui qui bâtit un monde pouvant suffire aux exigences de son esprit. Nous verrons dans la deuxième partie, toute l'importance que Valéry

accor-dait

à

un idéal pareil.

Pour ce qui est des autres oeuvres de Huysmans

après La Cathédrale.,_ telles que Sainte Lyd\"iine de Schiedam,

1 Oeuvres, l, 1762.

l

;

(21)

( L'Oblat et ~ Foules de Lourdes, Valéry n'en n'a jamais

parlé. Il nous est difficile de croire qu'il ait pu s'en

éprendre. S'il les a lues, peut-être a-t-il voulu n'en

rien dire, car s'il se désintéressait de l'oeuvre, il ai-mait encore l'auteur. Les deux hommes se rencontraient

semble-t-il assez régulièrement selon le dire de Valéry:

If Au cours des années qui s'écoùlèrent entre la

publica-tion de Là-Bas et le départ pour Ligugé, j'allais assez souvent le trouver chez lui, rue de Sèvres, ou le

pren-dre vers cinq heures à son bureau de la Sureté générale,

rue des Saussaiesn•1 Il continua sans doute à le visiter

plus tard, car ils se sont vus quelques mois avant la

mort de Huysmans. Voici une note écrite par Valéry le

13

mai

1907,

qui rappelle cette dernière rencontre:

16

Huysmans est mort hier. Je ne l'ai pas revu depuis

dé-cembre ou janvier; et quand je l'ai vu, ce jour là~

c'était bien janvier, Descaves et Coppée étaient la

présents - j'ai été épouvanté, bouleversé. Il me semblait

un supplicié, la moitié des dents arrachées, la voix

devenue horrible, la tête inclinée, corr~e

à

demi

tran-chée, le col serré de qandelettes. Il vivait~ et il ~­

tait mort. Pire que mort. Aujourd'hui je célebre dans 2

ma tête une sorte de service ou d'office en son honneur. Que Valéry ait délaissé l'oeuvre de Huysmans, à

l'exception d'~ Rebours, nous ne saurions en douter,mais

il ne renonça jamais à son attachement pour l'homme. La pièce la plus convaincante nous vient des Cahiers: n'Les

1 Oeuvres,

1,753.

2

Oeuvres, l, 1765-1766.

(22)

hommes vivants et notoires que j'admire personnellement sont Messieurs H. Poincaré, Lord Kelvin, S. Mallarmé,

J.K. Huysmans, Ed. Degas et peut-être lfœ. Cecil Rhodes,

celà fait 6 nomstr •1 Cet extrait contient le plus grand

témoignage que Valéry ait rendu à Huysmans, parce qu'il le met au rang de ceux qui selon lui s'engagent à faire avancer le progrès de la connaissance. De plus, nous ne saurions douter de la sincérité de cet hommage, puisque ces notes écrites à l'aube n'avaient d'autre destinatai-re que lui-même. Enfin, la pdestinatai-reuve est assez concluante, car en 1900 encore, Valéry écrira que Huysmans est avec

2

Degas sa dernière admiration encore vivantetr •

Etant donné que les superlatifs élogieux n'abondent pas dans l'oeuvre de Valéry, cela met en relief ses

hom-mages

à

l'auteur d'! Rebours. Toutefois, il importe de

souligner que d'autres hommes ont tenu une plus grande

place dans la vie de Valéry. Il a aimé ~~~llarmé plus

que personne. Un extrait d'une lettre envoyée à Gide après la mort du poète nous en convainc:

Cela me soulagera un peu d'écrire, car il y a trois

nuits que je ne dors plus, que je pleure comme un en-fant et que j'étouffe. Enfin j'ai perdu l'homme que j'aimais le plus au monde,et de toute façon, pour mes sentiments et ma manière de penser, rien ne le rem-placera.)

1 Paul Valéry, Cahiers (C.N.R.S.

le, 1962), I,116. 2 Valéry-Fourment, p. 156.

3

Gide-Valéry, p.

331.

Imprimerie Nationa-.

-,

17

(23)

( 1

Il a aussi admiré Poe et disait qu'il était son génie

pré-féré. En effet, l'auteur de la Genèse ~ Poème était

une admiration de jeunesse qU'il continua de vanter toute

sa vie. Selon Henri Mondor, Valéry se rappela toute 5al

vie "que c'était dans Edgar Poe qu'il avait lu ce qui lui convenait et connu le délire de la lucidité.,,1

Alors, que faut-il penser du rôle de Huysmans dans la vie de Valéry? Il n'est certes pas question

d'influen-ce comme c'est le cas pour Poe. Il n'est pas non plus

"l'excitant incomparable" qJl

été IvIallarmé. Un jour qu'

Henri Nondor s'était étonné de l'importance accordée au roman de Huysmans, Valéry avait répondu:"lline faut pas beaucoup semer pour avoir un épi ••• et un seul

sperma-tozo~de ••• dit-on ••• "~ C'est donc a travers des Esseintes, ... qu'il faut expliquer-:l'attachement de Valéry pour Huysmans. Non seulement, cet esthète décadent avait-il des penchants conformes aux siens, mais il lui avait surtout donné le plaisir de s'observer.

1 Henri Mondor, Précocit~ ~ Valéry (Paris: Gallimard,

1957), p. 127.

2 Henri Mondor, Vie ~ r~llarmé (Paris: Gallimard, 1941) ,

p. 436.

(24)

II.

!

REBOURS: CHEF D'OEUVRE OU ABOMINATION

Nous connaissons les attitudes de Valéry

à

l'égard

d'! Rebours, mais quel accueil ce livre reçut-il lors de sa publication en l884? Comment la critique a-t-elle réagi? Qu'· en pensèrent les écrivains? Il nous faut

...

répondre a ces questions si nous voulons comprendre la réaction de Valéry.

D'après Huysmans, peu de gens comprirent les

im-pulsions de des Esseintes .•. En tout cas, c'est ce qU'il

écrit 20 ans plus tard, lorsqu'il rédige une préface pour la réédition d'! Rebours. Ce livre, nous dit-il "tombait ainsi qu'un aérolithe dans le champ de foire littéraire et ce fut une stupeur et une cOlère".1 Il est vrai que la critique fut parfois féroce, mais par contre, il néglige d'ajouter que son livre eut aussi sa part d'éloges. Une chose est certaine: le lecteur d'! Rebours fut rarement indifférent. Le duc de Floressas des Esseintes avait fait sa marque; il répugnait aux uns et enchantait les autres.

Quant

à

Zola, il a tout de suite vu qu'un de ses

disciples venait de briser les cadres de son école. Il ne pouvait que protester contre ce livre, qui par son style et par sa forme dénonçait le naturalisme et

1

J.K. Huysmans, ! Rebours (Paris: Fa squelle ,

1965),

(25)

il craignit les répercussions d'~ Rebours. Il n'est pas étonnant qU'il reprocha le livre à Huysmans et l'incita

rentrer dans la route frayée".1 Pourtant, Huysmans se rendait compte "des inoubliables services que les na-turalistes ont rendus à l'art". Car, dans les premières pages de Là-Bas, Durtal se souviendra que ce sont eux qui ont libéré la littérature d'un romantisme et d'un

idéalis-1 ,. °d 2

me p utot v~ e.

Que Zola soit mécontent ne nous étonne pas trop.

Mais la violente antipathie de plusieurs critiques

à

l'égard d'! Rebours ne laisse pas de nous surprendre, si ce n'est qU'ils étaient choqués par les nombreux refus de des Esseintes, y compris son refus du naturalisme. Pour plusieurs, la haine et le mépris de des Esseintes est i;;...:' nacceptable: "Il a solidement craché sur toutes les joies, se réservant la joie atroce d'abolir la j:::>ie humaine",

écrivait Emile Goudeau dans sa revue

à

L'écho de Paris du

10

juin

1884.3

Ce critique admirait le talent de

l'écri-vain mais considérait le livre "malsain".

D'autres lui reprochent sa névrose. Etonnés et cho-qués par les bizarreries de des Esseintes, ils ont recou-ru à l'épithète de "malade", pour pouvoir disposer de cet

1

Huysmans,

!

Rebours, p. 21.

2 J.K. Huysmans, Là-Bas (Paris: Plon, 1917), p.

3.

3 Cité dans I~ichael Issacharoff, ~ Huysmans devant la

Critique ~ France (Paris: Klincksieck,

1970),

p.

70.

(26)

étrange personnage. Ainsi, au prix d'une simplification qui nous étonne, Georges Pellissier fait de Huysmans un naturaliste qui digère mal et qui invoque la grâce de Dieu parce qu'il est "plus malade que jamais".1

De plus, l'aspect décadent de l'oeuvre choque la

cri-tique. Pour Lema~tre, -eo les oeuvres de ce genre sont les

symptômes d'une littérature en état de décomposition.

Des Esseintes est

à

son avis un:

type quasi fantastique du décadent qui s'applique

à

être

décadent, qui se décompose et se ~iquéfie avec une

com-plaisance vaniteuse et se con jouit d'être pareil

à

un

cadavre aux nuan~es changeantes et très fines qui se

vi-de avec lenteur.

En somme, Huysmans était condamné parce qU'il avait créé

,

un roman ou la misanthropie, la décadence et la patholo-gie étaient honorées. Ajoutons que M. Brunetière de la

Revue ~ ~ Mondes,. comparait ce roman aux vaudevilles

de vJaflard et Fulgence: Voilà donc

!i

Rebours réduit au

niveau d'une farce théâtrale.

Ce portrait d'A Rebours est plutôt repoussant, mais Valéry n'est pas le seul admirateur de Huysmans, il y eut bien des écrivains et des jeunes intellectuels qui accueil-lirent avec beaucoup de joie la sortie de ce livre.

1 Georges Pellissier, Etudes de Littérature

Contempo-raine (Paris;: Perrin et Cie, 1898), p. 21.

2 Jules Lemattre, Les Contemporains

(1)

(Paris: Lecène,

1903), p. 333.

3 Huysmans,

!

Rebours, p. 26.

(27)

Certaines revues aussi furent favorables. Valéry avait

lui-même lu un article consacré

à

Huysmans, dans ~

Plu-~,qui l'avait impressionné: "J'eus le plaisir de

l'écor-cher vif avec un de mes amis. Quelle néronienne joie!1I1

Il semble même qu'~ Rebours ait mérité

à

son auteur

beau-coup plus de louanges que de reproches.

22

Le voici ce livre unique, qui devait être fait - l'est-il bien par vous! ••• L'admirable en tout cecii et la force de votre oeuvre (qu'on criera d'imagination démente,etc.) C'est qu'il n'y a pas un atome de fantaisie: vous êtes

arrivé dans cette dégustation affinée de toute essence~

à

vous montrer plus strictement documentaire qu'aucun.

C'est en ces termes que Mallarmé a rendu hommage à

Huys-mans. Evidemment, il lui fallait remercier l'auteur pour

l'avoir distingué, comme étant un des poètes les plus

aimés de~œ::Esseintes, mais nous ne croyons pas qu'il ait

agi uniquement par complaisance. L'imagination fertile de Huysmans ne déconcerte pas Yffillarmé, comme c'est le cas pour ceux qui voient là une extravagance détestable.

Au contraire,

à

son point de vue, le jeu du langage

com-porte un intérêt majeur. C'est aussi l'opinion de Valéry.

Car plus tard au cours d'un entretien avec Frédéric

Lefè-vre, il fit quelques remarques à cet effet:

Huysmans a préparé, sans s'en douter, la transformation

~ naturalisme en SYmbolisme, ••• La rhetorique

ultra-pittoresque, l'epithete de plus en plus forte ou

loin-taine, les ima~es de plus en plus denses et de plus en

plus particulieres, tout ceci finit par transformer la

"véritétl follement poursuivie et lui substitue

1

Oeuvres, l, 1532.

2

Mondor, "Paul Valéry et

!

RebourslT

(28)

l. l'excitation poétique... Il n'y a pas lotn de ce mode d'écrire à celui qu'avait conçu Mallarmé.

Si les détracteurs d'A Rebours trouvaient insuppor-table le caractère maladif de des Esseintes, ses

admira-teurs ne reprochent pas du tout

à

Huysmans la névrose de

son personnage. Au contraire, ainsi que le disait Paul

Bourgét, ils sont portés

à

le féliciter pour avoir fait

une étude aussi pénétrante de cet état cp,i',déchire des Es-seintes. 2 De même, ses goûts insolites ne sont plus con-sidérés comme des tares, mais plutôt, on y voit de

l'élé-gance. En effet, l'étrangeté de l'oeuvre a plu beaucoup.

IV'iaupassant figure parmi ceux qui s'engouèrent de ce

ro-man à cause de son originalité. Lui dont l'oeuvre diffère

énormément de celle de Huysmans se disait: Tfséduit par son style, par sa vérité bizarre, par sa philosophie

co-casse et délicieusell

•3

La recherche de des Esseintes pour un excitant cé-rébral est un autre aspect de l'oeuvre qui fut acclamé

par les admirateurs d'! ~ebours. A cet effet, un extrait

du Journal des frères Goncourt nous révèle que selon eux,

le livre méritait d'être signalé parce qu'il arrivait

à

produire un effet excitant pour l'esprit:

On dira tout ce qu'on voudra contre le livre, c'est un

1 Cité dans Issacharoff, pp.

65-66.

2 Robert Baldick, La Vie de J.K. Huysmans, tr.

~~rcel

Thomas (Deno~l,

195àT;

p:-115.----3

Baldick, p.

115.

(29)

( livre qui apporte une petite fièvre

à

la cervelle, et

les livres

1Qui produisent cela sont des livres d'hommes

de talent.

Nous remarquons d'ailleurs que Huysmans avait lui-même beaucoup aimé La Faustin parce que "ce n'est plus le rut bestial et grossier, mais un rut de corps affiné par des excitations de cervelles".2 Ce trait lui bemblait être nouveau et vrai.

Il est un autre hommage qui est

à

notre avis très

significatif, c'est la reconnaissance des jeunes écri-vains pour avoir dégagé le roman de sa forme tradition-nelle. Rémy de Gourmont était presque un porte-parole,

lorsqu'il disait qu'avec ~ Rebours, "le roman est enfin

libre") Pour lui, le livre avait été un "bréviaire". D'autres, comme George IvIoore, y voyaient "une superbe

mosa5!quell.4 Ce n'était plus l'ensemble du livre qui

comptait, mais bien chaque page qui pouvait être savou-rée au gré du lecteur. Oscar \iJilde, pour sa part

ima-ginait un défilé. Il raconte dans ~ Picture of.:~D()~~ain

Gray, qu'en lisant ce livre, "il lui semblait voir pas-ser devant lui en muètte procession, au son délicat des

1 Edmond et Jules de Goncourt, Journal 1883-5 (I--Ionaco:

Imprimerie Nationale, 1956), XIII, 121-2.

2 J.K. Huysmans, Lettres Inédites

à

Edmond de Goncourt

(Paris: Nizet, 1956), p. 71. -

--3 Rémy de Gourmont Le Livre ~ Masgues (Paris,

Mer-cure de France, 1911),-p. 196. 4 Baldick, p. 114.

(30)

( )

flûtes, tous les péchés du monde, vêtus d'atours exquis tr •1

Nous rappelons, que pour Valéry, ~ Rebours était "une

suite de très beaux poèmes en prose très nerveuxtr. 2 La rédaction d'! Rebours a donc été considérée par plusieurs comme une étape dans l'histoire littéraire; pourtant, rares sont ceux qui reconnurent le rôle que

de-vait jouer ce livre dans la vie de Huysmans. D'ailleurs,

lui-même écrivit 20 ans plus tard qu'il n'avait été

nul-lement conscient du chemin· qui s'ouvrit

à

lui après qu'il

eut écrit ce livre. ~mis, Léon Bloy et Barbey d'Aurevilly

ne s'y sont pas trompés. Les deux ont bien identifié le

germe que contenait! Rebours. A cause de l'angoisse qui

torturait des Esseintes, il semblait à Bloy que Huysmans avait compris que tôt ou tard, l'homme devait choisir en-tre !fgoinfrer comme des bestiaux ou contempler la face de

Dieu".3 Au contraire:de

Lema~tre,

qui ne voyait dans des

Esseintes qu'un ennuyé, qu'un René à la mOderne,4 Bloy donnait une interprétation bien différente au mal de des

Esseintes. Il lui semblait qu'à "l'exception de Pascal,

personne n'avait exhalé d'aussi pénétrantes lamentations".5 Un mois plus tard, dans une autre étude critique

1 Baldick, p. 114. 2 Lettres

i

guelgues-uns, p. 26. 3 Baldick, p. 117. 4 Lemattre, p. 325. 5 Baldick, p. 117.

(31)

d'! Rebours, Barbey d'Aurevilly devait lui aussi inter-préter correctement la signification de la souffrance de des Esseintes. Selon lui, le lien était tel entre les

Fleurs du ~~l et ! Rebours, qu'il portait à Huysmans le

même défi qU'il avait lancé à Baudelaire:"Il ne vous reste plus logiquement, que la bouche d'un pistolet ou les

pieds de la croix". Et d'Aurevilly continue: "Baudelaire choisit les pieds de la croix. Mais l'auteur d'! Rebours les choisira-t-il?,,1

Pourquoi, nous demandons-nous, Bloy et Barbey ont-ils compris toute la portée de ce livre? Ont-ils vu autre chose qu'un décor dans les objets mystico-religieux que possédait des Esseintes? Sans doute que non, pas plus que Gourmont qui ne voyait là "qu'une arme de guerre

con-tre la laideur du, naturalismen •2 Plutôt, nous croyons

que leur perspicacité leur vient du fait qu'ils ont su faire une distinction entre ennui et douleur.

Valéry non plus ne s'est jamais douté qu'A Rebours mènerait Huysmans à une conversion religieuse. Le des Esseintes qui appelle au secours semble lui avoir échap-pé tout autant qu'aux autres jeunes gens de son milieu. Car, si pour George Moore, chaque page de Huysmans était

1 Barbey d'Aurevilly, Le

.!I!:.

Siècle (Paris: Mercure de

France,

1966),

II,

343.

2 Rémy de Gourmont, Promenades Littéraires,

3

e série

(Paris: Ivlercure de France, 1909),p. 9.

Î

(32)

Il une dose d'opium, un verre d'un breuvage exquis et

gri-S~!~1I1, il faut se rappeler que Valéry ne ressentait pas

moins les effets exaltants du livre:

Quand je me sens trop le fadeur de me voir, je déguste

les pages sur la Salomé de Moreau, le voyage fictif

à

~on~res, la finale ~i curieusement morne, et je me

ré-JOu~s en mon coeur.

Huysmans avait donc écrit un livre dont la renommée était assez étendue, même si le livre ne fut pas connu du grand public, n'ayant été tiré qu'à 14,000

exemplai-res.3 Pour les uns, A Rebours était un chef d'oeuvre,

pour les autres une abomination. ~~is l'opinion de la

critique, des gens de lettres et même de ses amis

impor-tait peu à Valéry. Pour sa part, il aimait ce

personna-ge qui tentait de se créer un univers au delà de la réa-lité. 1 Baldick, p. 114. 2 Lettres

i

guelgues-uns, p.

35.

3 Issacharoff, p.

68.

27

(33)

(

III. DES ESSEINTES: UN PORTI~IT ET UN PROTOTYPE DE LA

GENERATION DE

1885.

Le naturalisme, qui était une expression littéraire du positivisme, avait déjà commencé à exaspérer une gran-de partie du public, et ceux-là ont vite compris que

Huysmans dénonçait cette philosophie dans

&

Rebours. Des

Esseintes devint donc le héros d'une élite parmi la

gé-nération de

1885,

parce qu'on avait besoin de lui. Il

eut bien des pseudo-imitateurs, et en ce sens, il fut un prototype pour beaucoup de jeunes gens. Nais il le fut

aussi, de façon plus sérieuse, parce qu'il a donné d~ns

!

Rebours une forme au mécontentement et aux ambitions

des jeunes de cet époque.

Si, des Esseintes est un prototype pour la

généra-tion de

1885,

il en est tout autant le portrait, car

plu-sieurs de ses goûts et de ses mépris sont déjà à la mode. D'ailleurs, Pierre Louys l'avait remarqué, et c'est

pour-quoi il reprochait

à

Huysmans de manquer d'originalité,

d'avoir dit des banalités sur des sujets connus de tous: frEtait-ce difficile à Huysmans de peindre ce que tous

ses amis lui criaient ?1I1 Sans doute sa critique est

exa-gérée, mais, il est certainement vrai que Huysmans n'est

pas le seul

à

vouloir lise libérer d'une littérature sans

issuell •2 N'est-ce pas quelques mois plus tôt que

1 IJîondor, IIPaul Valéry et

&

Rebours, p. 14.

2

Huysmans, ~ Rebours, p. Il.

(34)

( Verlaine avait· publié "Poètes Jl:1audits Tl?

Toutefois, il se trouva un nombre important de jeunes esthètes, qui furent heureux de devenir les disciples de

des Esseintes. Dès

1887,

dans Notes ~

Journaliste,Gus-tave Geoffroy écrivait qu'~ Rebours Tlincarne une parcelle

de ce siècle qui finit Tl • 1 Un autre témoignage nous vient

de Charles Morice, qui en

1889

écrivait dans La

Littéra-~ de tout

i

l'heure: "M. Huysmans a l'intelligence, le

goût, l'amour-compliqué, mêlé, corrigé, rectifié de haine - le sens, enfin des vertus et des vices, de l'atmosphère

2

de la physionomie moderne". Nous rappelons que c'est

l'année où Valéry découvrit ~ Rebours. Encore en

1957,

Henri }Viondor porte un jugement qui ne diffère pas des deux autres, écrits depuis longtemps, lorsqu'il remarque qu'A Rebours lui apparaît comme "la synthèse d'un tas

d f esprits de ce temps". 3

Y~is rappelons-nous qu'en

1884,

Valéry est un

ado-lescent de 13 ans. Nous reconnaissons son indépendance

d'esprit, cependant nous savons que ce sont durant les années de sa jeunesse, qu'il choisit les thèmes majeurs

de sa pensée et qu'il développa ses idées

à

la lumière

de ce qui était

à

la mode. C'est pourquoi il nous

impor-t~ de définir les traits les plus marquants, qui font de

1 Baldick, p. 406.

2 Charles Morice, La Littérature de

12&i

l'heure

(Pa-ris: Perrin,

1889),

P7

230.

3 Mondor, Précocité de Valéry, p. 205.

(35)

des Esseintes un personnage de l'époque.

La jeunesse de 1885 veut un changement et elle

cher-che une nouvelle vérité. "Jamais", écrit Schuré dans la Préface des Grands Initiés, "l'âme humaine n'a eu un sen-timent plus profond de l'insuffisance, de la misère, de l'irréel de sa vie présente, jamais elle n'a aspiré plus

ardemment à l'invisible au-delà, s~ns parvenir

à

y croireu •1

Le mélancolique des Esseintes qui ne peut plus être conso-lé par la philosophie de Schopenhauer n'aspire-t-il pas lui aussi à l'avènement d'une vie spirituelle?

Les théories matérialistes des savants sont loin de suffire à ces jeunes; ils veulent encore 11loins d'une lit-térature inspirée par la méthode expérimentale de Claude

Bernard. Ils cherchent donc ailleur~, et pour un certain

temps, ils trouvent dans la littérature russe un nilhisme plus conforme à leurs bes.oins spirituels. Des Esseintes

ne connait pas cette littérature, mais à partir de 1884,

les traductions de Dosto!evsky, Gogol et Tolsto! se

mul-tiplient. Selon le vicomte de Vogtl'é, qui en 1886,

pu-bliait le Roman ru.sse, le réalisme russe avec 1Tl'esprit de vie 1T qui l'anime était capable de renouveler la lit-térature française. 2 Remarquons que dans! Rebours, Huysmans avait fait vibrer l'âme de son personnage, sans pour autant abandonner l'étude des ssnsations.

1 Cité dans Guy Ivlichaud, Nessage Poétique

QE:.

Symbolis-~ (Paris: Nizet, 1947), p. 374.

2 Ibid., p. 316.

(36)

La génération de

1885

veut bien d'une transformation dans les lettres, mais d'ùne transformation qui tienne compte de la métaphysique et de la science. Elle ne veut pas sacrifier le principe de la beauté au progrès de la connaissance, mais elle ne veut pas non plus choisir

en-tre beauté et vérité. Morice écr:Lvait qu ~.elle possédait

"cette ardeur d'unir la Vérité et la Beauté, dans cette

union d~sirée de la Foi et de la Science et de l'Art".'

De partout, on dénonce la scission 'dans; l'âme de la so-ciété qu'a apporté le positivisme et le scepticisme. "Nous portons en nous" dit Schuré, "ces deux mondes en-nemis, en apparence irréconciliables, qui naissent de deux besoins indestructibles de l'homme: le besoin scien-tifique et le besoin religieux".2

C'est de ces besoins que naissent le désir de "Syn-thèse". Schuré cherche au fond des grandes religions l'expression de la vérité, mais dans ces dernières an-nées du XIXe siècle, l'écart n'est pas tellement grand

entre mysticisme et occultisme. Dans le Traité

élémen-taire de Science Occulte, Papus affirme que la science

occulte s'occupe aussi de "synthèsell

• Elle voulait

sem-ble-t-il "concilier la profondeur des vues théoriques anciennes avec la rectitude et puissance de l'expérimen-tation mOderne".3

,

Morice, p.

59.

2 Cité dans lilichaud, p. 373.

3

Ibid., p. 372.

(37)

()

Il importe donc

à

cette génération de

1885,

que la

littérature se revête de beauté et de vérité pour expri-mer ce qU'il y a d'universel dans l'expérience de

l'hom-me. Ceci explique pourquoi on a tant admiré Poe. Morice

disait de lui, en

1889,

qu'il avait droit

à

une admiration

éternelle parce qu'il avait apporté: "le sens de l'Excep-tion, le sens spirituel (singulier) de la Beauté dans l'intensité et enfin le sens Lyrique de la SCience".1 Nous remarquons que Valéry ne fut pas sans subir

cette influence, car en

1921,

lorsqu'il écrivit une

in-troduction

à

l'Eureka de Poe, traduit par Baudelaire,il

exprima le désir qu'un avenir rapproché puisse donner

à

la littérature française Tlquelques unes de ces oeuvres de Grand style et d'une noble sévérité, qui dominent le

sensible et l'intelligiblell •2 Valéry regrettera toujours,

en effet, les distinctions entre les divers mouvements de l'esprit, et qui selon lui, empêchent la littérature française d'avoir des poètes de la connaissance.

Le désir de "synthèse" fut sans doute le trait le plus marquant de cette génération, et plusieurs effets s'ensuivirent. En premier lieu, les contempora$ns de

des Esseintes sont reconnaissants à la science moderne

parce qu'elle a affermi les bases de la connaissance, mais ils rejettent l'esprit scientifique qui avait inspiré

1

Morice, p. 203.

2

Oeuvres, l,

856.

(38)

leurs aînés. Il n'y a pas que les gens de lettres qui manifestaient leur impatience, il se trouvait des hommes de science, aussi éminents que Poincaré, qui ne voulaient

plus conférer à la science le pouvoir exclusif de juger

entre le vrai et le faux. Il proclamait l'la relativité

de toute connaissance humaine" et même la géométrie n'é-tait qu'une "construction conventionnelle qui néanmoins rejoint la réalité, puisqu'elle nous permet d'ajuster

no-.'

tre action aux forces qui nous pressent; mais elle ne

nous permet pas de les connaîtrell •1

Il ne s'agit pas d'une condamnation de la science, mais plutôt d'un jugement contre ceux qui la considéraient comme le seul garant de la vérité. D'ailleurs, les

scien-ti~iques rédéfinissaient la signification de leurs

recher-ches. Nous nous rendons compte dans l'oeuvre de Poincaré,

~ Valeur de ~ Science, qu'il propose un idéal qui

s'éloi-gne du positivisme:

Donc quand nous demandons quelle est la valeur objective de la Sciencè, cela ne veut pas dire: la science nous fait-elle connaltre la véritable nature des choses? mais cela veut dire:nous fait-elle connaître les véritables

rapports des choses? En résumé~ la seule réalité

objec-tive, ce sont les rapports d'ou résulte l'harmonie uni-verselle. 2

Ce passage nous intéresse d'une façon particulière, car il définit le nouvel esprit scientifique de l'époque, celui

1 Gustave Lanson, Bistoire

~

~

Littérature française

(Paris: iachette, 1951), p. 1112.

2 R.S. Jones, "Poincaré and Valéry: A note on the 'Symboll

in Science and Art", :r.1odern Language Review,XLII (1947),487.

'1

(39)

auquel Valéry s'attachera avec beauèoup d'enthousiasme. Nous savons par ses èahiers, qu'il admirait Poincaré, Lord Kelvin, Russell et l'école positiviste logique de Vienne, parce que ces savants avaient contribué au développement de théories visant l'ordre des rapports. Ce sont nles figures de relations entre les choses et non les chosesn,1

qui fascinent Valéry. Voilà pourquoi il veut "élucider

non pas les mots mais les phrasesn• 2

En littérature comme en science, la fausseté de l'es_ prit scientifique du naturalisme était dénoncée. Henry Céard, un autre écrivain des "Soirées de Médan n, demandait si ce n'était pas s'acharner dans une voie dépassée que de suivre une méthode qui était reniée par la science de l'ère moderne:lfEst-ce que la science n'enseigne pas

au-jourd'hui la réalité de l'inconne?,,3 Justement, ~ Hehours

répondait aux aspirations de beaucoup, parce que l'oeuvre n'avait rien "d'une littérature à prétentions

scientifi-ques". C'est bien le contr.aire qui est vrais car des

Es-seintes possède surtout le goût des cho$es de l'âme:. La vérité qu'il recherche lui sera révélée par l'exploration

A ~

des chemins inconnus de son âme plutôt que par l'étude des phénomènes observables de l'expérience humaine.

11 Cahiers, X, 413.

"2

Cahiers, IV, 376.

J Pierre Cogny, 1e

"Hu~smans

intime" de Henry Céard et

Jean de Caldain (Paris'izet, 1957); p. 53.

(40)

Ainsi que lion pouvait s'y attendre, l'esprit

scien-tifique fit place

à

des sentiments tout

à

fait opposés:

pour plusieurs, l'élan mystique remplaça la méthode

ex-p~rimentale. Cependant nous remarquons qu'il s'agit plu-tôt d'une soif de mystère que d'une expression authenti-quement religieuse. Il est vrai que l'époque fut témoin de conversions sincères, celles de Huysmans, Bloy, Claudel,

Bourget et Coppée. Par contre, nombreux étaient ceux qui

désiraient "jouer avec des instruments sacrés pour un

décor sensuel".1 L'esprit mystique donnait le ton

à

la

nouvelle littérature. Voici une strophe d'un poème de

Valéry, "Elévation de la lunell , écrit en

1889,

avant

qU'il ait lu ~ Rebours, qui illustre les propos de J,Torice:

Les Etoiles semblaient des cierges funéraires Comme dans une église allumés dans les soirs; Et semant des parfums, les lys Thuriféraires Balançaient doucement leurs frêles encensoirs. 2

Faut-il rappeler que des Esseintes, qui pare sa biblio-thèque avec un vieux pupitre de chapelle, des lutrins, des ostensoirs et un canon d'église, fait aussi partie de cet-te génération dont nous parle Morice? Nous reparlerons

35

plus loin du pseudo-mysticisme de Valéry et de des Esseintes, mais, pour le moment, il nous importe de montrer que la

mystique était alors définie sans rigueur.

Peut-être que le témoignage suivant apparaitra

Morice, p.

304.

(41)

exagéré, néanmoins,il nous montre que tout ce qui était vague et mystérieux pouvait être qualifié de mystique:

On appela mystique le préraphaélitisme grec de M. Burne Jones •••• les étoffes Liberty, l'anémie, la Vierge,

les vitraux, E.Poe • ••• M. Péladan, les robes sans

tail-le, les derniers livres de M. Huysmans. Oe capharnaüm fournit l'arsenal du mysticisme.'

Que signifie cet éveil pseudo-religieux, sinon une

réac-tion contre le "réalisme" des années précédentes. S'étant

aperçu qU'on avait diminué l'homme en ne s'attachant qu'à son mobile physique, on voulut se tourner vers ce qui ap-paraissait mystérieux et incompréhensible afin de l'enno-blir. C'est alors qu'on a souvent confondu les termes beauté, idéal, religion et mystère, quand, en fait, il importait surtout à cette génération de revaloriser ce qui était beau.

De plus, le mysticisme était un moyen de connattre la Vérité et de découvrir le monde invisible:"La gnose ou la mystique rationnelle de tous les temps est l'art de trouver Dieu en soi en développant les profondeurs

oc-cultes, les facultés latentes de la consciencell •2 Voilà

ce que Schuré écrivait en

1889,

et nous remarquons que

c'est aussi ce que pense Valéry un an plus tard, lorsqu'il

1 Camille Mauclair, "Le Snobisme et le néo-mysticismell,

Nouvelle Revue,

1

er juillet,

1895.

Cité dans Emilien

Ca-rassus, Le Snobisme et les Lettres françaises (Paris:

Co-lin,

196OT,

p.

397.

---2 Cité dans Michaud, p.

373.

(42)

écrit

à

Pierre Lou1s que Dieu n'existe pas objectivement

mais qu'il existe lien noust,);

Les jeunes gens de cette époque ont de vagues aspi-rations mystiques, mais n'oublions pas qu'ils se passion-nent tout autant pour tous les autres phénomènes qui

s'é-cartent de l'ordre du commun. C'est à se demander pourquoi

l'artifice et le bizarre les intéressent tant. Est-ce un moyen de remplir le vide qui les accable? A cet effet,

Valéry écrivait à Gide: "On sent que rien ne justifie une

continuation". 2

Cela explique la popularité de la télépathie,

l'as-trologie,la magie et des sciences occultes. Ce sont des

modes de connaissance qui se prêtent à des inventions ar-tificielles et qui donnent l'effet d'un renouvellement. Rappelons-nous que seul l'artifice pouvait exciter les sens

blasés de des Esseintes. Il n y a pas la moindre équivoque r

dans son esprit sur ce point:

La nature a fait son temps; elle a définitivement lassé, par la dégoûtante uniformité de ses paysages et de ses

ciels, l'attentive patience des raffinés ••• A n'en pas

douter, cette sempiternelle radoteuse a maintenant usé la débonnaire admiration des vrais artistes, et le mo-ment est venu où il s'agit de la

3

remplacer, autant que

faire se pourra, par l'artifice.

Avec! Rebours et plus tard avec Là-Bas, Huysmans

..

s'est plu a exploiter des tendances qui d'abord

Lettres ~ guelques-uns, p. 21.

2 Gide.-Valéry, p. 201.

3 Huysmans,

!

Rebours, p. 52.

Figure

TABLE  DES  IVlA TIEH.ES

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