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La poésie dissipée dans Notre-Dame de Paris, 1482 /

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Texte intégral

(1)

t

La

poésie dislipée

cIana

Notre-DIunc

de

Puis

1462

par

Andr~

Trotticr

Mémoire présenté

à

la

Faeult6 des Études np6ricurcs

ct

de

la

R.echerche

pour l'obtention du diplôme

de

maltrisc

CM.A.)

Département

de Lanauc

ct Littérature Crançaisca

UJÜYcni~

MçGill, MODtRal

septembre 1990

(2)

Je tiens

à

remercier deux de mes professeurs : monsieur

Pierre Nepveu, de l'Université de Montréal, pour m'avoir bien

aimablement autorisé

à

utiliser un extrait inédit en français

d'un de ses textes critiques, et monsieur Jean-Claude Morisot,

(3)

,

Netre-Dame de Paris 1482, de Victor Hugo, est une oeuvre

qui réunit plusieurs genres le roman à travers l 'essa~

histurique, le théâtre, la poésle. Cette poésle essent~elle­ ment populaire donne pourtant tous les signes de la maladresse

(pensons à la pièce de Gringolre ou aux «vers» de Quaslmodo), de la triv~alité (les grlvoiserles des coquins, les chansons à boire de Jehan Frollo), de l'analphabétlsme (condition d'Esmeralda et de Quasimodo, du «peuple»), du profane, voire de la profanation (l'hérésie, l'anticlérlcal1sme du roman). On peut donc noter que la poésip, dans Notre-Dame de Paris, se trouve ainsi disséminée ou dispersée (dissipée) en une série de sous-textes qui viendront perturber les normes de la «bonne» littérature. Cette désorganisation du poétique est le sujet de la présente étude.

Une première partie de ce mémoire sera consacrée à l'examen de quelques caractéristiques de l'écriture de Hugo

sa tendance à échapper aux classifications, de même que

certains de ses traits ou motifs esthétiques tels que le grotesque et la démesure. Une seconde sectlon serVlra à une anal yse de di fférents aspects de 1 a moral i t é de Gr i ngoi re, des

chansons de Jehan et d'Esmeralda, du poèml~-fragment de

Quasimodo - ces aspects étant étudiés en fonction de l'élément du lieu/non-lieu et de la thématlque du volatil.

Cette recherche tendra à mettr:e l'accent sur le texte hugolien lui-même; l'anarchie qui le caractérise, mais aussi, et peut-être surtout, la liberté de son expression.

(4)

ABSTRACT

Not re-Dame de Paris 1482, bl' Victor Ilugo, 1S a work which collects many genres : the novel as well as the hlstorical essay, theatre, poetry. Th~s poetry - which essentially 1S of. popul ar trend - however gi ves aIl signs of cl umSlness (1 et us th1nk of Gr1ngoire's play or of Quaslmodo's "verses"), of vu l garl t y (the 1 anguage used bl' the rogues, Jehan Fro l ] 0 ' 5

drinking sangs), of analphabetlsm (a cond~tion shared by

Esmeralda, Quasimodo, and "le peuple"), of the secular. even more of the profane (the heresy and anticlericalism present in the novel). It 1S therefore possibl e to notice that the poeLry of Notre-Dame de Paris is scattered (dissipated) intn a number of under-texts wh~ch appear ta perturb the rules of "good" literature. 'r'his d~sorganization of th~ poetic is the subjeet of the present st udy.

A first part of this thesis examines a few

charaeteristics of the writing of Hugo its tendeney toward a certain de.::lassiflcation, as weIl as sorne of its rnost

important aestheti cs, such as the grotesque and the

excessiveness. A second section i5 an anall'sis of different aspects of Gr ingoi re' s mora 1 ity, songs of Jehan and Esmeral da, Quasimodo' s "poem" - these aspects being studied through the elernent of locality and the theme of the volatile.

Thi s research wi Il tend to emphasi ze on Hugo' s text i tsel f; i ts anarchy, but then also - and perhaps mostly - the freedom of its expression.

(5)

1

1 NTRODLJCT 1 ON

Le mystère que présente le poète Pierre Gringolre, au tout début de Notre-Dame de Par~s 1482, et dont la fonction première est qu'l.l ouvre l'hl.stoire, devient vite le heu d'une dissipation collective. L'espace, au départ occupé par

la présentatl.on d'un texte drafllatique, se transfot'"me peu à peu

~n une autre scène où le peup 1 e pour ra en f l. n 1 al. sser I l bre cours à des pulsions profondes qUl, le plus souvent, doivent

demeurer confinées à un ghetto à la fOlS physique et

tributaire du hiérarchique, Cour des M1racles et de III cité et de l'âme humaine. Nouvell e Justice pour tous, on y va de ses

cris, de ses moquerles, de ses Imprécatl.ons et de ses

calembours dans une langue aUSS1 orgIaque et. subverSIve que le sont ces saturnales elles-mêmes. Généroslté ou excès, court-circuitage et destrurtion des valeurs, la dl.SSlpation est un des nombreux aspects mui tiforInes des thèmes, manières, et motifs de la production hugolienne.

Dans le titre de ce travail, le mot dissipé, pris en tant que participe passé, renvoie à l'idée de disperser, de «faire

disparaître», ou encore, de «faire cesser». ' 1 On peut

égal ement y voi r I e sen~ rel a t i f à tout l'aspect économIque d'«anéantlr en dépensant».2 Sur le plan synonym1que, Bénac relève l'expression «SI;: dissiper», c'est-à-dire l'idée de «disparaî tre en se dispersant ou en se consumant», ou encore, de «détruire ou faire disparaître en dispersant violemment:

(6)

-1

Amas de poussière que le vemt a emporté ou dissipé

{Bourdaloue)>>.3 Enfin, au niveau de ~'étymologie (cf. latin dis~ipare), on r-elève au XIIIe sièclti! dans la Bible le sens d J «anéanti r en

4

dlspersant» . On :5e référera donc à ces dernières descrlptions. su~ le pla~ phllologique, quant aux

différents sens et emplols du terme dissipé, pour tout

1 • aspect des rapports de l' écri ture· hugol ienne aux dimensions de brlsure, d' éc 1 atement 1 de fragmenta t i on dans la poésie

éparsp. de Notre-Dame de Paris 14H2.

La poésle «dissipée» sera égal ement trai tée au sens

généralement donné à l'adjectif, dénotant l'idée d'une

~

dispersion «par dll utl on, par éparpi Il ement», J mais aussi, de

t urbul ence ou de ce «qui n r est pas doci le». 6 En ef fet on remarquera au n1 veau des per sannages (et de leur paraI e)

quelques cléments turbulents q,li viennent troubler le

quotidlen déjà passabl ement agité de ce Paris du Moyen-Âge fl nissant : Pierre Gringolre I l e bohème faméllque et distrai t; Jehan Frollo, le Jeune frère indiscipliné et alcoolique de l'archidlacre; dom Claude Frello, aliéné, voyeur r obsédé, et alchimiste; Esmeralda, la ~so~cière~; Quasimodo, qui enfreint l'ordre et la loi publics et quj profane les symboles de ] '~glise.

Notons finalement que sur le plan des sens nouveaux que

l'on prête depuis quelques années à l'idée même de

dissipation, des chercheurs comme Prigogine et stengers, qui ont oeuvré dans le domaine de la physico-r.himie, se sont

(7)

penchés sur la question de la «structure dissIPatlve»,1 sur laquelle nous revie~1drons un peu plus loin afin d'élaborer quelques proposltions face aux aspects de complexif1cation et de dégradation du texte, dans un contexte ayant traIt à l'histoire et aux lIttératures.

Cette étude faite à partIr du corpus central Notrp-Dame

de Paris 1482 aura un double b u t : faire ressortlr l'aspect à

la fois synthétique et multldlmensionnel de l'écriture hugollenne, et faire ressortIr la complexlté de la représen-tat i on poétlque dans 1 e roman de Hugo. Ces éléments de recherche seront examlnés sous le double aspect du texte et d'une symbolique unIverselle que l'on peut relever partout dans les ~hématiques de Hugo (le corps - la matIère - l'espace

- le phantasme), soil autant sut" le plan de la forme ou du genre qu'au nI veau

d'archétypes.

t .

«FIgures»

de fIgures,

*

de rôles, de types ou

A. Selon le sens qUl nous est donné par l'étymologle latlne et qUl t-enVOle à la notlon de VISIble corporel extérIeur et à une représe11tatlon matérud le ou pl astlque.

B. Selon le !:;ens qUl est dt trlbué par la rhétorl.que tradltlonnelle, 1. e. Iln

fragment d'énoncé qUI échappe â une f oncti on codée.

C. Selon la déflIllt10Tl qUé donne la

sémlotlque récente dans ses modèles d'analyse comme ceux d'A . . J. GreImas, 1.

e. des «un] tés de con tenu qUI s erven t à

quallfler les rôles actantlpls et les fonctlor..s qu'lis rempll.ssent». (cf. Groupes d' Ent r evernps, Ana 1 yse s émi nt i que

des textes, Presse::; Unlversltal.reS de Lyon, 1985, p. 89) .

(8)

-1

Une certalne dispersion de ce qu' Hugo nonune dans le ti tre d'un poème 1 a «fonct 1\. ... n du poète» r se remarque au nl veau de

lieux textuels d'abord (le roman, les genr.es qlu s'y côtoIent, les manifestations langagières à résonnance poétique que l'on retrouve souvent dans la prose d'Hugo), de lIeux physiques, matériels ou corporal

~sés

souvent pd vll égiés par l ' auteurU

(soit la rue, la place publlque, les foules) et enfin, dans certaines personnlflcations très partlculières (le gueux-poète, l'acteur-poète). Li eux «communs», 1 e poét i que et 1 e lyrique qui sont caractérlstiques du style hugollen ont souvent inCIté la critlque â dire - et ce depuis la parution des toutes premlères oeuvres du poète - que cet te écri t ure pouvait ~tre invraisemblable, anachronique, caricaturale, que Hugo était «lndifférent à la vérité de fait», g1...l'll était «forcé), ,.. .. faux», «égoïste», «Hugolste», ou qu' il étai t même «Bossu! avec la boss~ en dedans».8 Or 11 s'aglt précisément de se pencher sur le sujet du poétIque en tant que dysfonction

dans le roman hugolien et, sans tenter de réfuter ou

d'inflrmer les nombreuses crltlques, de les utiliser en tant

que sig!1allsations d'ordre esthétique ou thématIque pour

l'étude du texte.

Li re H:lgo à 1 a 1 umière de textes cri tiques qui, depuis les vingt-cinq dernières années surtout, sont venus apporter

t Premier poème du recuei 1 Les Rayons et 1 es Ombres

(1840). (O.P., l, p. 1023).

tt Comme dans 1 a pi èce Cromwell, 1 e roman L'Homme qui ri t,

(9)

1

1

une vislon très neuve sur un sujet aUSSI controvelsé, implIque automatiquement un décuplement de données déJà fort nombreuses si l'on se réfère à tout l'engemble de l'appareIl des études hugol i ennes. Nous avons donc opté pOUl une étude de détaIl,

pour le partIculler plutôt que pour le gén~ral. Tout en

tâchant de restrelndre notre sujet à un corpus blen déllmité, l'aspect comparatlf entre certalnes données nous aura tout de même entraîné dans des développements encore là assez vastes.

Le caractère hybn de du sUJet de notre recherche pout ral t exiger des outll s méthodo 1 oglques a USSl dl versi fiés et muttes que l'orientation multlple suggérée par la problematlque elle-même, soit cette disslpation du poétlque dans Notre-Dame de

Paris. En effet, une singullère et unlque méthode (pour

utiliser de façon antlnomlque l'expreSSIon de «plurIels»

*

perspectifs si chêre au critlque Roland Barthes) ne sauraIt être, dans le cas présent, prlviléglée. AUSSl aurons -nous

recours à la Poétique, qUl se veut à la fois «art» et

«sci ence» de 1 a poési e (depu 1. sAri s t ote Jusqu'a ux concept s

plus récents proposés par les formallstes russes et la

«nouvelle» critique contemporaIne), et qUl offre par le fait même de très \Tas tes perspect 1 \Tes. Le ptésent mémOIre se

voudra essen tl e Il emen t consacré à des questlon:3

découleront des aspects artlstlque et sClentlfique de la

t L'idée de «plurIels» de sens ou d'ouvertures du texte est s.:. souvent utillsée chez Barthes que 1 ton ne sauraIt suggérer un t i t re en partI cu Il er . Que l ques ou'! rages, dont

S/Z, Le PlaIsir du texte, Crltlque et Vérlté, évoquE'nt cette

notion.

(10)

-1

poéSle di vers if iée de Notre-Dame, soit aux éléments

d'esthétique et de fonctlonnement du texte (tant sur le plan théma tique que «formel» 1 c'est -à -dl re 1 exique, rhét onque,

styl~stlque). Sur le plan synchronl.que, l'analyse de quelques éléments particullers du texte Notre-Dame de Paris

(l'avant-texte, la mor311té, les chansons, le poème-fragment)

constituera la partle centrale. Sur le plan plus spécifIque-ment dlachronlque, l'influence de facteurs intertextuels à travers dl. fférentes époques ou dl. f férents corpus (Moyen-Âge,

XIXe siècle; données comparées dans les oeuvres de Hugo ou

d'autres écrival.ns) servira de cadre pour l'étude. Tout en ayant SOln de por.ter attention aux dynamiques internes du

texte, nous voudrions toutefois préciser que nous nous

servirons des outils offerts par la Poétlque sans pour autant négliger la dimension interprétative, «l'opposition encore trop souvent maintenue ent re ana 1 yse textuell e et approche

herméneutique»9 ne faisant pas ici obstacle quant à une

méthode souhaitée.

«Toute ét ude sér:t euse des romans de Hugo doit nécessai re-ment dépasser 1 eur contexte immédiat et chercher, notamre-ment

dans l'ensemble de sa poésie, des illustrations et un

commental re

spécial~ste

lntertextuels» affirme

du

xrx

e siècle. IO

Victor Brombert,

Nous entendons par

«intertextualité» le sens généralement comprlS, c'est-à-dire des relations qu'entretiendraient des textes tant à un niveau explicite (citaUon, plagiat, pastiche, réécriture) qu'à un

- 6

(11)

1

1

niveau implicite (nécessltant un plus grand investissement

dans le travail de 1 ectt:re, comme l'interprétation,

l'élaboration de paradigmes ou de divers paralléllsmes

structuraux) . Cependant, not re démarche voudra l t aussi

s'apparenter à ce Il e proposée par Ma rc El gel di ngel qui signale que pour lui, «toute insertion d'un langage culturel

dans le texte l i t térai re peut devenl r

d'intertextualité», le projet de M. Eigeldinger étant «de ne

pas délimiter la notion d'intertextua11té à ]:1 seule

littérature»ll de même qu'à cell e du théori ci en Tz vetan Todorov, qui di t «qu' i 1 n' y a pas un abîme entre la littérature et ce qui n'est pas elle, [ ... ] les genres littél.:"aires trouv[a]nt leur origine, tout slmplement, dans le discours humain. »12

Différentes observations viendront augmenter notre projet

de recherche. Des questions relatives à l'écrlture et à

l 'architect.ure feront ainsi l'objet de certaines intelventions dans le cas de l'utilisation d'un commun dénominateur tel que le graffiti, qui apparait dès les premières lignes de

Notre-Dame de Paris.

En abordant même à t raver s i e roman 1 e damai ne de 1 a poésie hugolienne, on ne saurait ne pas ment tonner certaines

références, devenues prntiquement lncontournables, pour

l'étude de cet te part de 1 a product i on de Hugo : ains l , l a

somme que représentent les recherches de Jean-Bertrand

Barrère; les études thématlques de .Jean Gaudon, de même que

(12)

-1

l'importante bibl i ographi e qu' il a su cons ti tuer dans son

ouvrage Le Temps de la Contemplation et qui pourra être d'une aide précieuse pour quiconque désire s'initier à la critique de Victor Hugo; les trav~ux de Pierre Albouy; les analyses stylistiques-sémiotiques de Michael Riffaterre; les ouvrages sur 1 a poétique hugol ienne d' Henri Meschonnic et d'Al fred Glauser. Les travaux de Anne Ubersfeld entre autres 1 et

quoiqu' i l s ' agisse d'une spécial iste du théât re de Hugo 1

furent particulièrement instructifs sur certains aspects de la réception du texte hugolien. Bien qu'une liste exhaustive des références cri tiques pertinentes soit pratiquement irnpossibl e â dresser ici, mentionnoils, tina l ement, que nous nous référerons tout au long de cet exercice aux observations d'ordre génétique de l' édi tion de Notre-Dame de Paris 1482 établie par Jacques Seebacher pour la collection de la Pléiade.

Plusieurs observateurs ont noté à différentes reprises des aspects de poétici té dans 1 a prose de Hugo. Bernard Dupriez (dans son Gradus dictionnaire des procédés littéraires) cite Martin et apporte l 'exerni'l e de 1 v hornéotél eute en se servant d'une prose de Hugo où se

trouvent introduites des assonances

Martin (les Symétries du français littéraire, p. 67) a montré qu'on pourrai t disposer en vers certaines phrases de Hugo dans Notre-Dame de Paris.

(13)

1

«Seulement ici

/

cette tour était la flèche la plus hardie

1

la pl us ouvrée /

la plus menuisée

1

la plus déchiquetée

/

qu'ait jamais laissé voir le cief

1

à travers son cône de dentelle.» 3

Bien que nous voyions dans ce dernier exemple certains traits particul iers du texte qui, une fois dégagés et iso 1 és , viennent confirmer notre propre orientation de recherche (déceler du poétique dans une prose), nous tenons à préciser que notre travail aura une approche quelque peu différente, la notion même de «poésie» ou de «poème» ne pouvant uniquement se résumer, pour nous, à une écriture d'abord, et à une écriture rimée, de surcroît. C'est ainsi que nous nous attarderons à 1 a dimension oral e du texte de Hugo 1 a pièce en vers de Gringoi re, qui est di te par des acteurs; les chansons gauloises de Jehan de même que les baIl ades en espagnol d'Esmeralda; le poème que déclame Quasimodo, qui, comme lui, ne rime pas avec les règles généralement souhai tées d'équilibre et de symétrie; ou la narration, quelque peu ambigüe, qui pourrait passer pour celle d'un conte.

La «dissipation» n'est pas que formelle dans Notre-Dame de Paris; elle est également un thème important. Tout comme on él ève des barri cades dans le Paris de Jui Il et 1830, on assaille la Cathédrale avec un bélier et des pierres dans celui de 1482. C'est la métaphore socio-politlque bien connue. Ce sur quoi l'on s'est beaucoup moins arrêté, toutefois, c'est sur l'humour, trop souvent évacué dans les études faites sur Hugo, et heureusement soul igné par Henri

(14)

-1

1

Gui Il emin14 dans une pl aquet tt! que l'on aura certainement

moins remarquée que l' Hugol iade d'un Ionesco .15

Il nous a

donc semblé intéressant de nous pencher sur cette dimension

quelque peu négligée de la production hugolienne.

Dans Notre-Dame de Paris

1482,

Hugo entraîne son lecteur

dans une odyssée - celle de Gringoire - qui le projette dans

la vie et le tumulte du Paris de l'argot et de la Sorbonne,

bassin de langages et de textes qui se multiplieront au rythme

effervescent des presses et des révolutions, la parole du

poète rebelle (depuis Villon jusqu'à Genet) prenant de plus en

plus de place dans la culture d'expression française, -

direc-tions qui, chez Hugo,

laisseraient soupçonner autant de

matière

à

réflexion que cette écriture, bien qu'encore

insaisissable, semble contenir de possibles dans l'expression

poétique.

(15)

,

f

,

.-~f

1

J

1. Le Petit Larousse

illustré,

1990, p. 331.

2. Goelzer, H., Dictionnaire

français-latin,

Paris, Garnier-Flammarion, 1970 (1966), p. 209.

3. Bénac, H., Dictionnaire des synonymes, Paris, Hachette, 1982, p. 266.

4. Dauzat, A., Nouveau dictionnaire

étymologique

et historique, Paris, «Références» Larousse, 1971, p. 239. 5. Le Petit Larousse illustré, 1990, op. cit.

6. Le Petit Larousse illustré, 1977, p. 325.

7. Prigogine, 1., et stengers, 1., La Nouvelle Alliance, Paris, Gallimard, 1979.

8. Karst-Mataush, R., in : Heitman, K., «Actualité de Victor Hugo?», Lectures de Hugo - Colloque de Heidel berg, Paris, A.-G. Bizet, 1986, p. 149; et Milhaud, G., «De l'histoire au roman», Europe, n° 394-395 (février-mars 1962), p. 110. Les propos sont ceux d'un contemporain de Hugo, Heinrich (Henri) Heine.

9. Collot, M., et Mathieu, J. -Co [et al], Espace et poes~e, Paris, Presses de l'~cole Normale Supérieure, 1987, p. 9. 10. Brombert, V., Victor Hugo et le roman visionnaire,

Paris, PUF, 1985, p. 10.

11. Eigeldinger, M., Mythologie et

intertextualité,

Genève, ~ditions Slatkine, 1987, pp. 14-15.

12. Todorov,

T., Les

Genres du discours, Paris, Seuil, 1978 p. 60.

13. Dupriez, B. ,Gradus dictionnaire des

littéraires, Paris, Union générale d'édition, 1984, pp. 232-233.

procédés «10/18», 14. Guillemin, H., L'Humour de Victor Hugo, Neuchatel, La

Baconnière, 1951.

15. Ionesco, E., Hugoliade, Paris, Gallimard «NRF», 1982 (1935-1936) .

(16)

-1

INDICATIONS ET ABR~VIATIONS

Pour la présente recherche, l'édition du texte étudié sera: Notre-Dame de

Paris l482 / Les

Travailleurs de la mer, (1831 et 1866), textes établis, présentés et annotés par Jacques Seebacher et Yves Gohin, Paris, Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», 1975, 1750 pages.

Cette édition servira pour sa documentation génétique (détails sur 1 e manuscri t, notes, variantes) de même que sur 1 e pl an du commentaire suivi de J. Seebacher. On voudra bien se référer à cette édition chaque fois qu'il y aura la seule mention de «page» : (p. __ ). Pour 1 es notices campI ètes des autres oeuvres de Hugo citées, voir la bibliographie en fin de ce mémoire.

C. V. Choses vues, vol. 1, 1830-1846

(Gallimard, «Folio») H.Q.R., 1 (et/ou) II L'Homme qui rit, vol.t; II (Garnier-Flammarion) L.& P., 1 (et/ou) II Littérature et philosophie mêlées, vol. 1; II (Klincksiek)

His. Les Misérables, vol. 1

(Garnier-Flammarion) O.P., I (et/ou) II Oeuvres poétiques complètes, vol.I; II

(coll. de la Pléiade) T.C., 1 (et/ou) II Théâtre complet, vol.I; II (coll. de la Pléiade)

W.S. William Shakespeare

(17)

PREMIERE PARTIE

UNE POËTIQUE

(18)

HUGO E T LA DËCLASSIFICATION : ËLËMENTS D"UN AVANT-TEXTE

Notre-Dame de Paris 1482 recèle encore bien des mystires. Une atmosphère d'énigme lmprègne ce texte, pourtant des plus connus, et de tous les publics en~ore.

Bl.en que 1 es princl.paux personnages soient devf>nus des

ponci fs à la faveur, surtout, des très nombreuses

représentatl.ons qu'en ont donné la scène,l le cinéma,2 ou la télévisl.on -, il n'en reste pas moins que la question posée par Aragon (Aragon, 1952) demeure tout à fait pertinente aujourd'hul : sans doute sommes-nous trop peu familiers avec 1 es aspects de 1 a 1 ecture, donc de l ' écri t ure du cél èbre texte de 1831, qUl peuvent certainement offrir les pistes les plus sûres pour toute entreprise de décryptage. 3

Alnsi, 11 est question dans la Note ajoutée à l'édition définitive dl? 1832 des éventuels «lecteurs» qui auraient pu se

1. Le livret d'opéra La Esmeralda (1836; voir: T. C. II,

pp. 681-754); ou la comédie en un acte Gringoire (1866) de Théodore de Banville, par exemple.

2. Le cri tique Edgar Mass rel ève l'existence d'au moins hui t versi ons clnématographiques de Notre-Dame de Paris (Mass, 1986, pp. 129-138).

KI aus Hei tmann a ainsi parl é de l'accueil fait à Notre-Dame de ParlS en Allemagne: «Encore est-ce plutôt par les versions filmées que par le livre lui-même que ce roman célèbre a atteint un large public de ce côté du Rhin. Je présume que ceux qui ont vu et aimé Der G16ckener von Notre-Dame 19norent en grande pa rtie le nom de l'auteur de ce roman.» (Heitmann, 1986, p. 139).

(19)

r

1

plaire (à démêler sous le roman autre choRe que le roman». Il est aussi fait mention dans le même passage de la possibilité de trouver «une pensée d'esthétIque et de philosophie cachée dans le livre» (p. 6). On peut interpréter cet avant-propos comme une invitation au lecteur qUI aura déjà franchi, en tout premier lieu, cet obscur vestibul e que représente 1 a page initiale de Notre-Dame de Paris: «Il y a quelques années ... »

(p. 3). Jacques Seebachet·, dans ses No t es et var l an tes de

l'édition ici sélectionnée du texte étudié. souligne bien le caractère éqUIvoque de la forme de ce court segment, faisant remarquer «comment cIl e évol ue de l ' i ncert 1 t ude (je ne sais . . . ou, etc.) à l'évanoulssement~ (p, 1093) : «l'égLIse elle-même s'effacera bIentôt peut-être de la terre) (p. 4).

Les Choses vues en février 1831 (C.V., pp. 125-126) sont les mêmes que celles-cj, malS décrItes dans un st y] e encor~

pl us dévastateur et ironique - «quelque jour on délrui ra Notre-Dame pour agrandir 1 e parVIS» -. pl us apocal yptique : «quelque jour on rasera Paris pour agrandIr la plaine des Sablons». Démesure à la fOlS dans l'anéantissement et dans l'anti-cipation (dans l'étymologie prendre). dans le propos et le topos, mots (signifiants) et sens (slgnlflés) se retrouvent

autant dans les vestiges épars des (dé)constructlons de

l'Homme que dans les fIgures métaphoriques:

Alignement, nIvellement, grands mots.

grands prIncipes 1 pour lesquels on

démolit tous les édIfices, au propre el au figuré, ceux de l'ordre intellectuel comme ceux de l'ordre matérIel, dans la société comme dans la cité. (C. V .• IbId.)

(20)

-1

1

Première «stigmate» d'un livre qui ne se veut que

«fragile souvenir», l'introduction à Notre-Dame de Paris

marque 1 es prémisses d'une entreprise qui procédera «du dedans comme du dehors» (p. 3), «série d'affirmations de l'Âme» (H.Q.R. II, p. 398), d'oeuvres (de chair ou de pierre) qui feront corps avec la matière textuelle elle-même: «le verbe était enfermé dans l'édifice, mais son image était sur son enveloppe comme la figure humaine sur le cercueil d'une momie»

(p. 176).

L'avant-texte de Notre-Dame contenant atomiquementl

l'oeuvre à venir, différents éléments méritent ici un examen plus approfondi 1 a paroI e du narrateur, qui soul ève un déploiement de genres; le graffiti, ou dissipation du signe.

UNE !NONCIATION LYRIQUE

La narration, comme pour ce qui est du récit français ou du journal intime en tant que genres, s'apparente dès les

premiè~es lignes de Notre-Dame à la forme de la littérature dite personnelle: «en f~retant dans Notre-Dame, l'auteur de ce 1 ivre trouva ce mot gravé à 1 a main sur 1 e mur». On

constate immédiatement le relais narratif à la troisième

personne, qui donne lieu à une certaine distanciation du sujet par rapport à lui -même avec le dédoubl ement de l'instance

1 p.19).

Pour reprendre 1 e mot de Yves Gohin (Gahin , 1985,

(21)

-1

narratIve je/il, sImultanéité du illoi et de l'autre. Bien que parler de soi à la trOISIème personne n'aIt riE>n d'inusité, en

1830, dans un roman la tendance à une

stratification dans la narration e5t toutefois révélatrice du véritable décuplement d'énoncIations qu'offrira au fur et à mesure de ses chapitres le texte Notre-Dame de Paris,

phénomène qUI n'Ira qu'en s'amplifIant avec la multItude de figurants, d'intrigues, d'intervenants :.lU l' le plan de

l 'hlstoire, en partant de la Sachett~, délIrante dans le fond de son caveau, Jusqu'à un LOUIS XI qUI 1 ance ses ordres du haut de son pouvoIr (<<Eh bIen! mon compère, extermIne 1 e peuple» p. 452), «tour de Babel» (p. 81) d'o~ s'élèvera peu à peu une clameur, «hurlement prodIgIeux où se mêl[eront] toutes

les langues, tous les patOIS, tous les accents» (p. 423).

Dans une perspective pragmatIque et suivant la

terminologie du théoricien Gérard Genette lorsqu'li se réfère à la notion d'instance narrative, le lecteur serait ici en présence d'une espèce de croisement de narrateurs de types homo et hétérodiégétiques, polyphoniquement reUDIS pour l ' occasi on en une seul e «personne» (Genet te, 1972, pp. 251-252). Le texte, en un tel cas, n'en devient que plus ambIgu,

. _

-La tournure n'est guère nouvelle. DéJà, dans La Princesse de Clèves (1678), l'avant-texte «Le LIbraIre au Lecteur» joue sur les genres: ainSI, en plus de l'amblgulté narratologique Je/il, «l'Auteur» cache Madame de La Fayette. Pour ce qUI es t de cet te époque 1830 -1840, Ba 1 zac s'es t ha aussi servi de la formule dans ses textes, notamment au tout début de Pierrette, premier volet des CélJbatalres (cf. paragraphe de la dédicace à Anna de Hanska).

(22)

-,

puisque doublé, et ce dès la mise en place (ou mise en seine) du sujet parlant. Ce narrateur se signalera d'ailleurs tout au long de Notre-Dame à son lecteur par de fréquentes interventl0ns, de nature phatique, qui auront pour effet de malntenlr sa présence en marge de l'hlstoire. On peut donc VOlr que le travail de lecture se heurte dès les premières 1 ignes à des parti cul ari tés d'ordre amphi bol ogique dans Notre-Dame de ParlS.

Dans une préface pour un ouvrage de la théoricienne Kate Hamburger, Gérard Genet te soul ève égal ement l'aspect d'une hypothétique véraclté du discours se donnant comme point de vue subjectif, dans ce qu'il appelle le récit/narration

Le récit à la première personne ne relève donc pas pour elle (R. Hamburger) de la fiction, mais de la feintise, c'est-à-dire d'une simulation, en quelque sorte apocryphe, d'autoblographie authentique. Par l e b i ais de cet t e s i mu 1 a t ion, i 1

s'introduit en intrus dans un champ

-celui de la flction auquel il

n'appartlent pas dans son prlncipe, qui

l'apparente plutôt à l'énonciatlon

lynque. (Genette in : Hamburger, 1986, p. 12).

Intrus fâcheux ou non, le narrateur-auteur de Notre-Dame est une première occaSlon d'éclatement à travers ce «Moi révulsé en un lndiclble On», comme l'écrit J. Seebacher (p. IX). Si la matière de Notre-Dame ne sera que fragmentation, effritement, friabilité, le sujet, tout aussi morcelé, réassemblera cependant les pièces dans l'unité d'un raconter où il sera possible d'«appréhender comme un tout les modalités narratlves de discours déployées depuis le récit de fiction

(23)

1

(conte,légende,drame, roman, film) Jusqu'aux formes "empirl-ques", incluant hlstolre, bIographIe et autoblographle">, sui vant une hypothèse théorlque du phi losophe Paul Rl coeur

(Ricoeur 1n Tiffeneau, 1980, p. 49).

Feintise, donc, de la part de l'«auteur» qUI peut très bien ne JamaIS avoir vu ce lieu/grafflti du drame que dans son imaginatIon; malS aUSSl, slmulatl0n d'oralIté qUl, dans ce contexte, n'est que résldu de la parole du conteur d'antan. Pour le récepteur de cet avant-texte (ou en-deçà de texte,

l'oralité, issue de l'Intérieur du corps, ayant

chronologiquement prImé sur le geste de l'écrlt qui, par la main, est extenslon), les pistes se séparent: d"me part, un

ar'C du re-faire, de l'artificiel,: commence à peine à

s'imposer, dans la France de ]830, par une culture de la typographie; d'autre part, la référence à 1482 n'est-elle pas une allu~ion à cette aube d'une ère nouvelle où l'esprIt se VOlt assuJetti à l'lmprlmé qUl, en Europe, part de Gutenberg. Nostalgie d'une culture orale traditlonnelle et perte de lIberté créatrlce - ou fOl en un avenir progressiste par la démocratlsatlon des outlls de la connalssance. Deux moments cruciaux se trouvent aInsi en conJonctIon dan Notre-Dame, qui correspondent aux étapes de l'avènement el du trIomphe de la

W. J. Ong, qUl s'est penché sur 1 es prahl èmes de l'oralité et de l'écrit dans des études qui englohalent les deux sujets, ne voit pas dans l'artificiallté de l'écriture quelque chose de régressif, mais plutôt une occaSIon, pour

1 'homme, de transformations intérleures de la conSClence

(<<Interior transformatlons of consciousness») (Ong, 1982, p.

82) .

(24)

-culture ecrl.te.' , ! Le médiéviste Paul Zumthor brosse un

pot"tt"a~t de l'évolut~on de ces questions, qUl ont mené à

1 'hégémonIe médiatIque de l'Imprlmé au XIXe siècle Jusque vet"s le XIIe, la vacalIté s'oppose aInSI à l'écrIture comme le discours du pOUVOIr à celUI du saVOIr.

A

partir des XIIe-XIIIe, le rapport s'lnverse à

l'écrit le pouvait"; à la voix, la

transmission VIve du savoir. Mais au

tournant des XVe-XVle, SInon des

xvr

e-XVI re, aUCL1n de ces deux faisceaux de forces et de valeurs n'a encore réussi à asserVI r entl èrement l ' aut re. (Zumthor 1

1984, pp. 60-61).

Cet espace ouvert que r eprésen te l e ] 482 de Not re-Dame, à tt"avers lequ<?l l'unIté ou l'homogéné.lté physique de

l'archItecture gothique (p. 115) se trouve constamment

juxtaposée au thème du cha~gernent historique (Ward, 1975, p. 43), est d'abord celUI du roman, lui-même forme ouverte

(et

qui peut aUSSI bi en se donner 1 es aIl ures du conte 1 de

l'essai, ou même de l'histOIre), mais également celui d'une transformatIon. Cette transformation - qui pourrait s'appeler

renaissance passerait cependant par une étape de

diSSIpatIon, comparable à JUIllet 1830, et dont le synonyme serait révolution.

Jacques Seebacher procède pour sa part à une

interprétatl. on à caractère dissipatif de l'époque décri te dans

Notre-Dame :

La révolution de Juillet 1830 est marquante en ce qui concerne les revendications pour la liberté de presse. (Voir à ce sujet: Seebacher, 1986, p. 68.)

1

(25)

1

( . . . ] Notre-Dame de Paris, qui a pOUl" espèce de sous-titre 1482, met en scène non pas le plein d'une époque, malS cette sorte de tèmps creux qui sépare la fin du Moyen Âge du début de l a RenaIssance; non pas l'oeuvre de Louis XI, malS son déclIn

[ ... J;

non pas l'élan des bâtisseurs de

cathédrales, mais la rUlne de t0ut

monument, la fatallté de la destruction par le fer et par le feu, par le graffiti et les incend1es. (p. 1045)

L'introductIon de mars 1831 à Notre-Dame de ParIS, par la présence inter-médiaire du narrateur (les média oral et écrIt étant contaminés l'un à l'autre dans l'attItude de conteur mais aUSSI d'«historlen»), recrée sous les yeux du lecteul un Paris de superposi tion, allIage de réall tés et de fletl ons, offrant une sérle de perspectIves qui se mêleront aux nombreux paliers de Notre-Dame comme autant de voies aux voix et l'Histoire à l'histoire qui lui est racontée.

ANANKE LA MISE EN ABYME

Bien que le dire du narrateur de Notre-Dame soit plutôt de l'ordre de l'écrit, le fait n'en demeure pas mOIns que son

discours est marqué par un lmportant élément de la

commt;.nication l'autre. Devant le texte, le

narrataire-lecteur ressent la même impresslon d'étrangeto§ que celle éprouvée par les v1.si teurs de 1 a tour lorsqu' J l s se trouveront dans les lIeux où Frollo s'adonne à ses mystérleux travaux. Le narrateur lui-même devient cet autre-lecteur lorsqu'Il allègue avoir posé son regard sur le graffItI Anankè. Toute

(26)

-l'introduction à Notre-Dame de Paris peut ainsi être 1 ue comme un espace d'énonciation de l'altérité, que l'on retrouvera partout dans 1 e roman avec 1 es recours à 1 a prosopopée 1

1 • archi tecture se trouvant elle-même douée de la faculté de paroI e (écrite) grâce à l ' intermédiaire entre texte et 1 i eu physique que représente le graffiti.

Un chapitre comme «Ceci tuera cela» (Livre V, II)

illustre bien le va-et-vient incessant tout au long de Notre-Dame entre les figures de l'animé et celles de l'inanimé. L'écrit, suivant la double pensée de Claude Frollo et de l'auteur-narra teur (pensée «phj 1 osophi que» «du savant et de l'artiste» p. 175) tuerait l'architecture en la supplantant. Or il ne semble pas innocent que ce point de vue soit partagé par l'archidiacre. Par sa doubl e acti vi té de I et tré et de voyeur, Fr~ll 0 participe essenti ellement de l' activité du regard. «Comme i l regarde la peti te danseuse» (p. 242), il côtoie aussi l ' écri t,l qui renvoi e au domaine du savoir, de

«Ce maître cependant, penché ~nr url vaste manuscrit ... » (p. 266). Dans le chapitre intitulé «Lasciate ogni speranza» (qui se tradui t par : «Laissez toute espérance [vous qui entrez ici]»), livre VIII, chapitre IV, on voit que Frollo fait la rencontre de la Esmeralda dans un moment de dissipatl.on. Il explique à la bohémienne ce q'l'était sa vie avant le jour (fatal) où il la vi t pour la première fois : «[ ... ] je n'avais qu'à ouvrir un livre pour que toutes les impures fUI!'~es de mon cerveau s'évanouissent devant 1 a splendeur de la science. [ ... ] Un jour, j'étais appuyé à la fenêtre de ma ce11 ul e. .. - Quel livre 1 isai s- je donc? Oh! tout cela est un tourbillon dans ma tête. - Je lisais. La fenêtre donnai t SUL une pl ace. J'entends un bruit de tambour et de musique. Fâché d'être ainsi troublé dans ma rêverie, je regarde dans la place. Ce que je vis, il y en avait d'autres que moi qui le voyaient, et pourtant ce n'était pas un

(27)

la connaissance du bien comme du mal. L'effet de duplicité du regard se multiplle dans la mesure où le prêtre est lui-même épl.é par ses conci toyens, qui le soupçonnent de sorcell erie (p. 142), ou encore par son jeune frère qUl., tout comme 1 e personnage de Coicti er, décèlera 1 a fol i e de son aîné (pp. 173 et 268).

Les aIl usions concoml. tantes aux sUJets du charnel et du scriptibl e sont mani festes dans Notre-Dame de Paris, La symbiose par 1 aquell e Quasimodo est en conjonction avec Not re-Darne (<<la cathédrale semblait une créature docile et obéissante sous sa main» p. 154) n'est pas sans rappel E'r qu' il est d'abord et avant tout le bossu de Notre-Dame, personnage d'un livre, fait d'encre et de papier, et dont l'étroite re 1 ation homo logique avec 1 es gargouill es évoque e Il e-même ce leitmotiv de Notre-Dame, à savoir la filiation entre «texte» architectural et texte écri t. Anankè est accompagné à un certain moment du roman d'un second graffi t i , AyQyE, Q, qui

signifie «impureté» (p. 270). c'est dans cette union sacri lège des textes paï ens - les déi tés de pi erre et le propos anticlérical - qu'un appel fuse, s'élevant hors de la matière figée, «la chaire et le manuscrlt, la parole parlée et.

la parole écrite, s'alarmant de la parole imprimée» (p, 174),

spectacle fait pour des yeux humalns. Là, au milieu du pavé, - il étai t midi, - un grand sol ei l, - une créature dansai t, Une créature si belle que Dieu l'eut préférée à la Vlerge, et l'eût choisie pour sa mère, et eût voulu naître d'elle 51 elle

eût existé quand i l se fit homme!» (pp. 323-324),

(28)

-c'est ainsi que le projet gl oba l de l ' Anankè peut être perçu selon deux champs distincts qui seraient forme (le paraître, les surfaces) et fond (l'être, l'intériorité), qui dessineraient eux-mêmes deux sortes d'espace au ni veau de l'avant-texte de Notre-Dame de Paris : un espace physique clos (1 'enfermement thématique), et un espace scriptibl e ouvert (1 'éc 1 atement sémique / sémantique potentiel). Or ces espaces se rejoignent et s'entremêlent précisément dans l'écrit, qui est à la fois thématique et praxis dans Notre-Dame, et qui 1

tout en se faisant réf 1 exion sur son propre sujet, devient aussi manière et motif, se déployant sous le regard du lecteur, venant en quelque sorte se doubler lui-même. D'où le chevauchement, à travers le propos du roman, d'une certaine conception d'un pouvoi r inhérent à l ' écri t ,1 et d'une vision pl us fatal i ste, qui révèl e l ' impuissance de l' écri ture devant le tragique du destin.

J. Seebacher a évoqué ces «spécificités irréductibles à une analyse progressiste, optimiste, triomphante» de Notre-Dame de Paris 1482 (Seebacher, 1986, pp. 68-69). L'écrit - et c'est bien le point de vue que partage Claude Frollo -, en tant que symbole de la science et d'une hypothétique supériorité qui domine la langue parlée du peuple, ne pourra s'avérer l ' él émen t saI vateur pttisqu' il sera, comme FraI 1 0, en

P. Zumthor a commenté le thème de la fatalité dans Not re-Dame en insistant sur l ' espoi r 1 qu' il attribue à son

auteur, de ce que l' écri t puisse ressaisi r un passé disparu (Zumthor, 1967, p. ii).

(29)

,

)

1

chute libre dans Notre-Dame, progressant à une v~tesse folle vers un impact fatal dont le choc ne se mesurera qu'en termes d'entropie, d'affaiblissement de son corollaire,l l' orailté, matière qui n'est que dissipation dans le texte, où «tout s'effa[ce] dans la licence commun'!», «chaque bouche éta[nt] un cri» (p. 49). Toute 1 a science du monde est inutll e pour plaire à l ' héroïne du roman, Esmeralda à preuve, cet te parodie du discours amoureux tenu par Phoebus, et qUI, bien que stupide et «mensongère», sera victorieuse par rapport à ce que l'on appellerait en analyse sémiotique du récit «l'objet de la quête». Victolre, donc, de la parole, même grotesque, sur l'érudition, mais aussi, victrnre de la matière sur l'esprit; triomphe de la chair, qui se fera VOIX, sur l'intellect, qui se pose ici comme en conflIt avec le corps. Victoire aussi de la dérision sur la respectabilité, du trivial sur le noble.

Jacques Seebacher nous a proposé un él arglssement du sens du terme Anankè, commenté par le narrateur comme «lugubre et fata l~" (p. 3), et par le personnage de Frollo comme «FATALIT~» (p. 270), en renvoyant aux «autres sens que donne le dictionnaire, et qui sont tous pertinents au roman» (p. 1093) .

. Pour l'ensemble de cette remarque, nous renvoyons aux travaux du chimiste et philosophe Ilya PrigogIne, qUI a développé, en collaboration avec Isabelle stengers, le concept d'une «structure dissipative» en phYSlco-chlmle, «système qUl,

loin de son état d'équilibre, évolue spontanément vers un état dont l'entropie est inférIeure à celle de l ' état inItIal» (Le Petit Larousse illustré, 1990, p. 331 : V01r à «dIssipatif, ive - adj. 2»; et Prigogine et stengers, 1979).

(30)

En examinant ces nouveaux sens, il devient possibl e, à un niveau synonymique, de voir se dessiner un champ paradigmatique de l' enfermement spatial,> avec le lexique «contrainte», «besoln physique», «nécessité» (Bailly, 1963, p. 118), qui correspond en plusieurs point à cette tour dans laquelle se trouve le narrateur au tout début de

Notre-Dame,

et où Frollo connaîtra les affres de la souffrance mentale et passionnelle.

Cet enfermement, sur le plan de la construction du texte, crée une tension; d'abord à cause de l'élargissement sémantique inhérent à Anankè, ensuite à cause de l'embarras que peut connaître le lecteur face à l'objet Anankè. Pour ce qui est du narrataire, un certain contrat de lecture se trouve rompu : sur le std ct plan 1 inguistique, un terme de grec ancien est difficilement intelligible pour qui n'est pas érudit ou polyglotte, comme le fait ironiquement remarquer le jeune Jehan Frolla (p. 268). Anankè, à prime abord, se refuseral t à l a I ect ure 1

objet

se refusant au sujet dans un

contexte où un sémantisme est en dt oi t d'être attendu du lecteur (un avant-propos, une prose normalement de ton «sérieux», sinon explicite). Le signi fiant, sans signi fi é, n'est plus que résidu de signe voué à la dissipation, à l'évanouissement. Le narrateur va jusqu'à signaler que l'on aurai t «badigeonné ou grat té>.) ce mur qu' il affi rme avoi r «trouvé» (p. 3). Il paraît donc difficile de parler d'«existence» du graffiti Anankè au sens sartrien de témoin

(31)

1

de. Tout au plus peut-on ici parler de fait de langage, car Anankè-texte semble, sur le plan de sa matérialité, bien loin d'être comme l'arbre que l'on aura aperçu en forêt, ou même 1 e simple dérivé de cet arbre, soit la classique feuille-de-pupier-texte qu' il eût ét é possibl e d' iden ti fier, de répertorier, de cl assi fier. Ané\nkè, c' es t le mot qui se dl::,esse comme un mur dans l ' espri t du 1 ecteur , l' obstacl e

lexical prenant les dimensions d'une constructlon impressionnante. Dans un deuxième temps, ce mur se dissipe, tel un mirage, dans la mesure où l'on salt qu'l\nankè n'est qu'un ersatz de réel, qu'un texte qui parle sur un autre, et

encore faut-il le croire sur parole. C'est dans ce sens que le critique Roland Barthes parle du mythe, «que j'appellerai méta-langage, parce qu'il est une langue seconde dans laquelle on parle de la première» (Barthes, 1957, p. 200).

Livre sur l ' archi tecture, texte en creux, Anankè peut aussi apparaître cornme une évocation des premiers procédés d'écriture, lettres gravées dans la pierre, d'autant plus que cette pierre est celle de l'égllse. Le texte se falsant Verbe, s' install e donc 1 e jeu incontournabl e de l'in ter-textual i té 1 pUl.SqU' on ne peut manquer d!? VOl r, dans ce

contexte I l e s rapports de types homonymIque et archétypa 1 entre texte scriptural et texte scrIpturaIre.

La parole du narrateur tout comme la non-présence du mot en tant que signe conventionnell ement foncti onnel donnent libre cours à leurs fantaisies dans l'avant-texte de

Notre-- 27

(32)

·1

Dame, établissant les prolégomènes d'un dire mythique, qui n'est, finalement, qu'une hybridation de réalité historique et de légende.

On sait que la toute première édition de Notre-Dame de

Paris 1482 présentait un texte non signé. Bien que cette signa t ure n'eût pas encore représenté, pour l'époque, une valeur sûre, elle est pourtant elle-même devenue histoire et légende, cherchant à remplir l'insondable fossé qu'elle avait creusé entre l' hermétisme slngul ier de ses pal impsestes et 1 a générosi té uni versaI iste de son ent reprise. Car 1 a «pensée

d'esthétique et de philosophie cachée dans le livre»

correspond à celi e de Victor Hugo.

UNE PROBLeMATIQUE P01!:TIQUE DU SAVOIR

Si Hugo (se) joue de l 'Histoire tel l ' él ève désobéissant

qui, à travers une partition étrangement modifiée, eût

délibérément arraché des fausses notes à son instrument ,1 le rapport au Savoi r, dans Notre-Dame, est tout aussi 1 ibre, voire carrément explosif. Seebacher y verra «une critique de

l'entendement h1storique, une satire de 1 a tragédie»

(Seebacher, 1975, p. 313); Goethe avait reproché à Notre-Dame son manque de «vérité» (voir: Goethe in : Guyard, 1976, p.

1

J. Seebacher, dans l'édition de la Pléiade de Notre-Dame de Paris, rel ève systématiquement un nombre impression-nant d'anachronismes et de déviations dans les citations de Hugo.

(33)

,

t'

610); Montalembert devait en voultrir à liugo de son «abondance de pl aisan teries forcées et inutll es» (Montalembert, ibId, p. 608) .

Toujours dans la Note du 20 octobre 1832,11 est questlon du «potiel." dont parI e Horace 1 1 eque 1 médi t al t des amphores et

produisait des marmites. Currit rota, urceus exit ... » (p. 7), citation au demeurant inexacte (p. 1094) et qui montre bien la dissipation de Hugo, face aux règles de méthode, malgré l'indiscutable érudition. Il semble toutefoIS que c'est plus un certain plaisir à travers cette dlsslpatlon que recherche Hugo que «le système de l'hIstorien» (p. 6). Dans les deux seul s moments où sera évoquÉ' 1 e nom d' Horace dans 1 e roman (pp. 7 et 287) (Horatius, p. 272), c'est la dimension du grotesque qui ressort de façon signifIcative, chose assez étonr.ante pour cet exemp 1 e de vert us cl ass i ques d' équi Il bre et de mesure. Ainsi l '«amphore» se lransformera-t-elle en «cruche» (pp. 7 et 1094) et «la statue du cardinal Pierre Bertrand» subira-t-elle cet «espèce d'affront dont se plaint. si amèrement Priape dans la satire d'Horace Olim truncus eram ficulmus», ce qui signifie que la fIgure du relIgIeux eût été «outrageusement arrosé[e]» (pp. 287 el 1189). Le saVOIr est d'abord subverti au profit de «la jeunesse artIste» et au détriment des «professeurs qUI sont détestables» (p. 7), le contraste s'affadissant entre ces détenteurs pl utât flous de la connai ssance et 1 e rappe 1 fina 1 ement Ineor rect des vers d'Horace. Dans un deuxième temps 1 e trI vIal et 1 e comique

,

(34)

-l'emportent sur la représentation sérieuse, littéraire et littérale, en plus de la connotation anticléricale assez évidente. Ce n'est que beaucoup pl us tard que 1 e 1 ecteur pourra établir le lien véritable avec Horace. Dans sa longue série d'essais qu'il réunit sous le titre de William

Shakespeare (1864), Hugo expl i ci tera un peu plus sur son intérêt pour Horace en même temps qu'il (ré) insistera sur l'importance d'une certaine forme de liberté dans le poétique : «Toutes 1 es révol tes contre 1 a pédanteri e sont 1 à : prosodie disloquée, césure dédaignée, mots coupés en deux; ma1S dans cette licence que de science!» (W. S., p.397). Hugo aime donc Horace pour tout ce qui est, chez 1 ui, de caractère subversi f, pour ses défauts pl utôt que pour ses «quaI i tés».

Jean Gaudon, en distinguant deux genres de destinataires

1

chez Hugo,' suppose 1 a possibi 1 i té que 1 t écri vain «proposait

une probl éma tique romanesque du savoi r» (Gaudon, 1985 -A, p. 26). Selon le critique, «il y a toujours un arrière plan caché, un sens enfoui» chez Hugo

(ibid.,

p. 27). Plusieurs autres thèses abondent en ce sens cell e bien connue de Michael Riffaterre, qui présuppose la fameuse «sémiosis hugol i enn('» (Riffaterre, entre autres, 1985, pp. 38-55), de même que celle de Victor Srombert

Le réal i té prof onde des oeuvres de Hugo ne relève [ ... ] pas d'une [ ... ] harmonie mimétique. D'un roman à l'autre, sa rhétorique semble obéir à des impératifs

Ce qu' Hugo fai t 1 ui aussi dans son avant-texte i l est peut-être d'autres lecteurs ...

»

(p. 6)

(35)

1

,

autres que ceux de ses thèmes explicites. Le système des antithèses, le réseau compl exe des oxymorons qui lnvi tent à leur transcendance, les structures métaphoriques avec leur principe inhérent d'inversion et de conversion, un ludisme langagier qui subverti t 1 e 1 angage de toutes 1 es idéologies, 1 e caractère polysémique des descriptions de la nature, les figures d'effacement impliquant l'écriture elle-même - toutes ces caractéristiques et tous ces procédés suggèrent que les structures

sous-jacentes sont mobiles, voire instables; que les textes de Hugo éludent leur sens premier. (Brombert, 1985-A, p. 227).

Non seulement la critique récente a-t-elle été à même de vérifier le double sens émergeant de l'écriture hugolienne, mais peut-elle également contribuer à jeter un éclairage nouveau sur les commentaires fort nombreux ayant été faits sur l'oeuvre de Hugo depuis ses débuts. Spécial iste de Hugo, Anne Ubersfeld résume en ces termes la critique de Désiré Nisard face à une certaine déliquescence dans l'écriture de Hugo: «[les] grands bourgeois sont les adversaires de Hugo de façon radical e. Un homme comme Nisard écri t deux tomes sur 1 es poètes latins de la décadence pour expliquer que Hugo c'est la même chose.» (Ubersfeld in : Heitmann, 1986, p. 150). C'est ainsi que Hugo ne s'en prendrait pas tant aux «classiques» qu'il malmène un peu depuis sa préface de Cromwell - Horace, qu'il affectionne finalement, mais aussi les Aristote, Corneille, ou Vaugelas que, de manière détournée, à quelques-uns de ses contemporains et aux canons esthétiques de son époque, allant jusqu'à extrajre éclectiquement de Nicolas Bai 1 eau ce superbe «mys tère» qui entoure «1 a règl e de ne point

(36)

-1

garder quelquefois de règles» (T.C. l, p. 453). tmile Faguet,

deux ans après l' hommage l i v ré aux obsèques du grand poète français par le peuple de Paris, publie les lignes que voici:

On s'étonne qu'un homme qui pense si peu fasse penser 1 es choses, que Notre-Dame de Paris, par exemple, soit un roman très insignifiant si on y cherche une peinture vraie et forte des âmes, très vi vant comme caractère et physionomie donnés aux rues,aux places, aux tours, aux pignons et aux pavés, en telle sorte que dans ce poème pittoresque i l n'y a guère que les pierres qui vi vent. (Faguet, 1887, pp. 200-201).1

Cette opinion rejoint sensiblement la thèse sémiotique au détriment d'une mimésis sans doute quelque peu «expressionniste» chez Hugo, au sens étymologique du terme ( épreindre extraire l'essence). Marius-François Guyard soul ignera une certaine hési tation chez Hugo quand cel ui -ci doit choisir une forme définitive pour sa Notre-Dame, à sa-voir: celle du roman d'idées, du roman historique, ou, comme l'a proposé Henri Meschonnic (Meschonnic, 1977), celle du

1.

t.

Faquet, bien que visibl ement excédé de l'abondance des prosopopées de Hugo, touche néanmoins à un point important au niveau de la symbolique. Cette vie de la pierre pourrait bien être signalisatrice d'une filiation avec la légende de Prométhée. Suivant cell e-ci, la pierre aurai t conservé une odeur humaine, remlnl.SCence, donc, d' humani té et de vie. L'association est d'autant pl us tentante que dom Froll 0 serai t une espèce de Prométhée : i l s'adonne à l'alchimie, recherche du «secret» qui est 1 e domaine excl usif des dieux (<<I.e feu est l'âme du grand tout» p. 266) , «façonne» lui aussi ses créatures - son frère Jehan, dont il a la charge morale; Gringoi re, son ancien él ève; Quasimodo, qu' i 1 a adopté et qu'il garde sous son aile - pour finalement en perdre le cont rôle. Le tout se termine par une catastrophe, comme dans la 1 égende, où ne restent que ces débris de la pierre «[Frollo] alla rebondir sur le pavé [ ... ] n'ayant plus forme hurraine» (p. 497).

(37)

1

«roman poème» (Guyard, 1976, p. xx~v). Même lorsqu' i 1 do~ t simpl ement défini r son projet de manière unl voque, Hugo ne peut s'empêcher de pourSUl vre son «entreprlse de subverslon», selon le mot de Michel Collot (Collot, 1985, p.99). Hugo démantèle, sabote constamment le langage lUl-mème dans un effort infatigabl e pour surmonter le mur de 1.' Indlclbl e. D'où le sens éclaté et multiple qu'il accorde à l'hlstoire, qu'il remet toujours en questIon, et qUI ne peut se rédUIre, chez lui, à un genre.

[ ... ] je n'ai jamais fai t de drame historique ni de roman historique. Quand je peins l 'histolre, jamais je ne fais faire aux personnages hlstoriques que ce

qu'ils ont fait, ou pu faIre, leur

caractère étant donné, et je les mêle le moins possi bl e à l ' inven ti on proprement

di te. Ma manière ~st de peIndre des

choses vraIes par des personnages

d'invention.

Tous mes drames, et tous mes romans qui sont des drames 1 résul tent de cet te

façon de VOlr, bonne ou mauvaIse, malS

propre à mon esprit. (H.Q.R. II, p.

405).1

Deleatur de sa propre marque, l'écriture hugolienne refuse les cloisonnements, les genres, les «écoles». .Jean-Bertrand Barrère souligne, à ce sujet, que Hugo sembl e avoj r

même toujours répugné à se serv i r dlO! l 'ét 1quet te

«romantique» :

Hugo s'est-il d'ailleurs enfin déclaré tel? Depuis 1826, l'année des Odes et

Ballades, jusqu'à 1864, l'année de

Il s'agit ici d'un des «Extraits de lettres sur

L'Homme qui Rit», soit celle à Lacroix, datée de la première quinzaine de décembre 1868.

(38)

-Wi Il iam Shakespeare 1 Hugo n'a au fond de

1 ui -même cessé de se défendre de cet te

mobilisation un peu simpliste ... »

(Barrère, 1949, p. 154).

Hugo échapperait donc aux différentes tentatives de classi fication que l'on aura tenté d'exercer sur ses oeuvres: «Notre-Dame deties classification», comme 1 'a écr~t Patricia

A. Ward, (Ward, 1975, p. 46); «Hugo lrréductible à une

classiflcatlon» comme l'a dit. Klaus Heitmann (HeitmaI'n, 1986, p.152). Par 1 amuI tip 1 icité des propos i tians, le nombre considérabl e d'interprétations, de ni veaux de sens décel abl es dans l ' écri t ure de Hugo, le texte, perdant sa fi xi té, 9 llsse

,

et échappe à 1 a 1 ecture unique. Chaque certl tude tend à se

doubler, chaque élément à se stratifier «érosions et

carros ions», écri t Seebacher (p. XI) . Par la duplication des énonciations, le décuplement des dynamiques intra, I-ara, et méta-textuell es, l ' éclatement des structures catégoriel 1 es , .. t de l'uni voci té, l'avant - texte de Not re-Dame de Paris donne tous les signes d'une sémantique fondée sur les multiples corrélations relevant de l'implicite. C'est pourquoi, comme 1!:mile Faguet, mais aussi comme Henr~ Meschonnic ou Jean-Bertrand Barrère t proposerons-nous d'aborder le cél èbre texte

(39)

1

l

LES ËCRITURES DU GROTESQUE

Tant sur un plan individuel que collectif, il s'agirait, dans le cas de la narration proprement hugolienne, de sous-(en) tendre l'idée même de «présence», comme dans l' dpa r tÉ' au théâtre, par exemple, ou encore comme le soliloque du poète qui, malgré sa «condition» (le fameux «second» degré), à

travers les obstacles (l'incommunicabilité, la «fatalité»), espère toujours se faire entendre de «quelqu'un». Espace de «ficti on» ou de «mythe», l 'écritur~ de Hugo pourra être appréhendée selon différents points de vue, entre aut res, celui d'un «présent» dissipé, révolu, et réactualisé pour les nécessités évid~ntes de l'intrigue, et celui d'un futur, où,

comme dit Seebacher, «tout le travail reste à faire»

(Seebacher in : Heitmann, 1986, p. 144). Le critique Jacques Neefs abonde lui aussi dans ce sens.

La «pensée» de Hugo n'est peut-être pas tant dans les énoncés qu'il impose (sur 1 e progrès, 1 a clarté qui sort de l'ombre . . . ) [ ... ] que dans ce régime

fictionnel qui ouvre une relation

nouvelle entre l'intelligibilité et la réalité, entre le monde et la conscience. La force de l'oeuvre est dans !' aveni r phi losophique de ces noti ons de monde, d'horizon, d'être au monde que la fiction

hugolienne déjà pose, figuralement,

inlassablement [ ... ] (Neefs, 19B5, p. 106) .

La thèse ~e Jacques Seebacher, à l'effet que Notre-Dame

de Paris sOl t bien «roman de l ' histol re et non roman

(40)

1

1

historique, roman méthodique de l'histoire

à

lire comme texte

et non chronique d'une époque déterminée» (p. 1081), est

fidèle aux échappatoires d'un Hugo insistant sur le fait

«qu'il n'a jamais écrit de roman historique» (Seebacher, 1972,

p. 96).

Seebacher spécule pl utôt sur

1

a présence du poète

dans l'histoire qu'il écrit.

[ ... ] c'est moins le nom de l'auteur, la

torce de son écriture, son génie ou son

mythe qui fait la différence, que la

nat.ure elle-même, littéraire,

structu-rale, sociale, scripturale de la présence

de l'auteur dans l'oeuvre, de ce sujet en

instance de dérision sinon d'annulation,

dont l'évanescence ironique tient ici la

pl ace qu'occupe dans

1

e

1

yrisme épique

l'évanouissement des Mages.

(Seebacher,

1975 , p.

320).

Bien que Hugo soit lui-même légende, ou «mythe vivant» comme

disait Pierre

~lbouy

(Albouy,

1976,

p. 276),

il ne faudrait

pas pour autant

oublier de distinguer cette

importante

composante

clê

Hon écriture,

soit le constant rapport au

destinataire. Anne Ubersfeld explique sur ce point qu'il est

désormais nécessaire «d'échapper enfin

à

cette éternelle et

naïve recherche d'un moi du scripteur»

- ou d'un moi du personnage, ce qui est

tout un.

C'est que la question posée

n'est pas: qui parle, qui est ce je qui

parle? mais

que dit-il et

à

qui?

(Ubersfeld, 1985-B, p. 13).

Hugo se serait-il dépeint sous les traits du malheureux Claude

Frollo?

Phoebus et Esmeralda représenteraient-ils

Sainte-Beuve et Adèle Foucher-Hugo?

Comme Anne Ubersfeld, nous ne

(41)

1

croyons pas qu'il s'agisse là des questions essentielles qui

doivent ressortir de la lecture des oeuvres de Hugo. Hugo n'a jamais dit: Jean Val jean, c'est moi. s'il affirme une parenté, ce n'est pas celle du scripteur et du personnage, du crfateur et de sa créature, mais celle qui l'unit au récepteur-lecteur, «insensé qui croi t que je ne suis pas toi ... » (Ubersfeld, ibid., p. 117).

Au delà de ce niveau premier qui est celui de l'engagement à sauvegarder les monuments, les valeurs (<<classiques») du passé, Hugo, narrateur, attendrait également de son narrataire une participation, son but caché étant de «déposséder l 'histoire de ses fameuses "leçons" pour contraindre le lecteur à la vivre et à la faire.» (Seebacher, 1972, p. 97). C'est ainsi que malgré les différences dans les approches (thèses d'Ubersfeld, de Seebacher), on peut, conune Jean-Michel Rey, avancer le postulat suivant, mais en regard, cette fois, du fonctionnement de l'écriture hugolienne :

La lecture ne serait-elle pas la seule forme acceptabl e d' héri tage, celle qui engage effectivement un travai l, celle encore qui a chance de transformer le sujet qui hérite? (Rey, 1982, p. 79).

Pour Henri Meschonnic, la narration «personnelle» de Hugo, ce «Je» indirectement présent dans Notre-Dame et qui ponctue toute la production poétique, dépasse le niveau premier de référenciatio:, qu'on pourrai t y voir, et par là même devient publique, collective, «impersonnelle»

Le poème est ce travail de 1 angage 1 e plus subjectif, le plus individuel, qui fai t de l' homme ordinai re 1 de chaque

sujet, 1 e sujet du poème. C'est peut 37 peut

Figure

TABLE  DES  MAT 1 IRES

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