• Aucun résultat trouvé

«Un royaume vous attend» : la matérialisation d'un paysage colonialiste de peuplement et le front pionnier abitibien dans la sous-région du lac Duparquet

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "«Un royaume vous attend» : la matérialisation d'un paysage colonialiste de peuplement et le front pionnier abitibien dans la sous-région du lac Duparquet"

Copied!
244
0
0

Texte intégral

(1)

UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL

« UN ROYAUME VOUS ATTEND»: LA MATÉRIALISATION D'UN PAYSAGE COLONIALISTE DE PEUPLEMENT ET LE FRONT PIONNIER

ABITIBIEN DANS LA SOUS-RÉGION DU LAC DUP ARQUET

MÉMOIRE PRÉSENTÉ

COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA MAÎTRISE EN GÉÔGRAPHIE

PAR

GUILLAUME PROULX

(2)

UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL Service des bibliothèques

Avertissement

La diffusion de ce mémoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 – Rév.10-2015). Cette autorisation stipule que «conformément à l’article 11 du Règlement no 8 des études de cycles supérieurs, [l’auteur] concède à l’Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d’utilisation et de publication de la totalité ou d’une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. Plus précisément, [l’auteur] autorise l’Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche à des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l’Internet. Cette licence et cette autorisation n’entraînent pas une renonciation de [la] part [de l’auteur] à [ses] droits moraux ni à [ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, [l’auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»

(3)

REMERCIEMENTS

Ce mémoire de maîtrise constitue l'aboutissement de 2 ans de réflexions et de travail continuel à la maîtrise, de 5 années de scolarité effectuées en géographie, de 8 années d'études postsecondaires en sciences humaines, de 20 ans passés à temps plein sur les bancs d'école et de 25 ans à côtoyer le milieu de l'éducation. Il serait difficile de rendre hommage avec justesse à toutes les personnes ayant contribué de près ou de loin à tout ce cheminement intellectuel et pratique. Quelques personnes méritent une mention particulière à tout le moins.

D'abord, ce mémoire de maîtrise n'aurait jamais vu le jour sans le soutien et l'encadrement de mes directeurs Stéphane Bernard et Étienne Boucher. Je vous remercie d'avoir cru en moi et au potentiel de ce projet de recherche non conventionnel qui, je l'espère, saura inspirer nos prochaines recherches. Stéphane, je te remercie particulièrement pour les discussions et débats que nous avons eus dans tes cours et ton bureau. Ceux-ci ont fortement contribué à mon cheminement intellectuel. Étienne, merci de m'avoir pris sous ton aile en tant qu'assistant de terrain lorsque j'étais au premier cycle et de m'avoir fait parcourir le territoire. Tes projets ont contribué à mes réflexions et m'ont donné beaucoup d'outils pratiques dans un domaine d'avenir.

Ce projet de recherche n'aurait pas vu le jour sans l'appui financier du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, de la Faculté des sciences humaines de l'UQAM et du Département de géographie du l'UQAM, avec lequel j'ai pu me concentrer à temps plein à mon mémoire. Il a également été rendu possible grâce au travail effectué par Mathilde Marchais et Julie Arteau dans leur projet de maîtrise

(4)

respectif. Merci de m'avoir fourni toutes ces données et les connaissances nécessaires pour les comprendre et les comparer à d'autres.

J'aimerais également remercier la contribution de Mario Bédard dans mon cheminement. Les 315 heures de cours auxquelles j'ai assisté avec toi et nos discussions hors cours m'ont particulièrement aidé à apprivoiser notre discipline en profondeur et à la mettre en pratique. Mon cheminement en géographie n'aurait pas non plus été aussi complet sans l'apport de mon professeur et collaborateur Nicholas Jon Crane. Nick, I thank you for all the meaningful knowledge I had the privilege to acquire from your work as a scholar, from our collaborations and from our discussions.

Mon cheminement scolaire n'aurait pas été aussi significatif sans l'apport de mes ami-e-set de mes camarades de lutte. Je vous remercie tous et toutes de m'avoir donné le goût à la réflexion, au développement de l'esprit critique, à l'émerveillement, à l'imagination, à la création et à la solidarité. Je vous remercie d'avoir mis des mots sur ce que j'ai perçu et vécu toute ma vie et d'avoir partagé avec moi les outils nécessaires pour construire notre avenir en commun.

J'aimerais finalement souligner l'apport gigantesque de Valérie Plante Lévesque dans la réussite de mes études et de ce projet en particulier. À partir du moment où tu m'as incité à m'inscrire en géographie et dès nos premiers projets communs, ton appui affectif et pratique m'a fortement aidé à passer à travers toutes les épreuves que j'ai rencontrées. Ta présence à mes côtés au quotidien a été le repère principal dans mon cheminement à la maîtrise et m'a donné la confiance nécessaire pour mener ce projet et tous les autres à bout. En plus de m'avoir aidé dans la réflexion de ce projet, la cueillette de données et la révision de ce mémoire, tu m'as permis de rester cohérent et intègre dans ma démarche de recherche. Sur ces bases, les projets inspirants que nous voulons mener dans les prochaines années ne peuvent qu'être une réussite.

(5)

DÉDICACE

(6)

Ce mémoire de maîtrise a d'abord été imaginé durant un soir de juin 2016 sur le bord du lac L22, près du réservoir Caniapiscau, en Eeyou Istchee Baie-James. Il se fonde sur un ensemble de réflexions débutées autour de l' Anthropocène, du progrès, du nationalisme et du colonialisme dans le contexte d'un intérêt croissant envers l 'Abitibi. Il a bénéficié de l'apport de différentes expériences acquises au premier cycle lors de campagnes de recherche sur le terrain, de lectures, de séminaires, d'ateliers, de voyages, de discussions et d'expérience de travail dans le laboratoire de dendroécologie de l'UQAM. Il est notamment redevable à un stage de recherche en écologie forestière effectué à la Forêt d'enseignement et de recherche du lac Duparquet et à Val-Paradis durant l'été 2017 grâce au programme de bourses de recherche de premier cycle du Conseil de recherche en sciences naturelles et génie du Canada qui m'a permis d'entrer en contact avec le territoire. Il a également bénéficié au point de vue théorique d'un séjour d'études effectué à l'hiver 2017 à la Ùniverity of Wyoming aux États-Unis grâce à l'appui du Service des relations internationales de l'UQAM et du programme de bourses à la mobilité internationale du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche du Québec.

Ce projet de recherche a finalement pris forme grâce à quelques séjours d'observation effectués en Abitibi en 2018. Ils ont mené à la rencontre de l'historien local Stéphane Mongrain de Duparquet et des employé-e-s de la Société d'histoire et du patrimoine de la région de La Sarre et de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Rouyn-Noranda.

(7)

TABLE DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS ... i

DÉDICACE ... iii

AVANT-PROPOS ... iv

LISTE DES FIGURES ... viii

LISTE DES TABLEAUX ... xi

RÉSUMÉ ... xii

ABSTRACT ... xiii

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE! CADRES THÉORIQUE ET CONCEPTUEL ... : ... 8

1.1 Approche théorique ... 9

1.1.1 Géographies matérialistes ... 10

1.1.2 Géographies postcolonialistes ... 11

1.2 Cadre conceptuel - Définitions ... 12

1.2.1 Colonialisme de peuplement ... 12

1.2.2 Paysage ... 14

1.2.3 Frontière de ressources ... 15

1.3 L'origine des fronts pionniers ... 20

1.3.1 L'expansion d'une société dominante ... 20

1.3.2 L'expansion de l'économie de marché ... 22

1.3.3 La construction de l'État.. ... 24

(8)

1.4.1 Fonctions ... 28

1.4.2 Conséquences ... 30

1.4.3 Un paysage émergent ... 33

1.5 L'étude des frontières de ressources ... 35

1.5.1 La frontière de ressources abitibienne ... 35

1.5.2 Notre approche ... 38

CHAPITRE Il PROBLÉMATIQUE, CADRE OPÉRATOIRE ET MÉTHODOLOGIE ... .40

2.1 Problématique ... 40

2.1.1 Question et hypothèse principales ... .42

2.1.2 Questions et hypothèses secondaires ... 43

2.2 Cadre conceptuel ... 43 2.2.1 Représentation de l'espace ... 44 2.2.2 Territorialisation ... 45 2.3 Cadre spatio-temporel ... ... 47 2.3.1 Site d'étude ... 47 2.3.2 Cadre temporel ... 53

2.4 Analyse de représentation cartographique ... 53

2.4.1 Cadre opératoire de la première question secondaire ... 54

2.4.2 Sources .. , ... : ... 55

2.4.3 Traitement et analyse des données ... 58

2.5 Analyse diachronique de traceurs géographiques ... 59

2.5.1 Cadre opératoire de la deuxième question secondaire ... 59

2.5.2 Sources ... 61

2.5.3 Traitement et analyse des données ... 67

CHAPITRE III RÉSULTATS ... 69 3.1 Représentations de l'espace ... 70 3 .1.1 Appropriation du territoire ... 70 3.2 Territorialisation ... 94 3.2.1 Occupation du territoire ... 94 3.2.2 Utilisation du sol ... 99 3 .2.3 Couverture du sol ... 107

(9)

Vll

CHAPITRE IV

ANALYSE DES RÉSULTATS ... 115

4.1 Une représentation de l'espace évoluant au rythme des cycles économiques.115 4.1.1 La création cartographique d'une région-ressource québécoise ... 117

4.2 La territorialisation d'un régime d'exploitation de la nature ... 124

4.2.1 Une population venue d'ailleurs pour rentabiliser le sol et le sous-sol.125 4.2.2 La valorisation d'une «nature» aux perturbations écologiques permanentes ... 128

4.3 Une frontière qui émerge et se territorialise en territoire non cédé ... 135

4.3.1 Une ou deux frontières de ressources? ... 136

4.3.2 Un paysage colonialiste de peuplement ... 139

4 .4 Limites et nouveaux développements possibles ... 14 3 CONCLUSION ... 148

ANNEXE A CARTES RETENUES POUR L'ANALYSE DE REPRÉSENTATION CARTOGRAPHIQUE ... 151

APPENDICE A FICHES D'INTERPRÉTATION DES CARTES DE L'ÉTAT QUÉBÉCOIS ... 166

(10)

Figure 0.1 : Panneau indicateur du rang du Coin-Saint-Pierre à Rapide-Danseur, novembre 2018 ... 4 Figure 2.1 : Localisation de la sous-région du lac Duparquet selon ses principaux plans d'eau et ses limites municipales ... .47 Figure 2.2 : Localisation de la sous-région du lac Duparquet en Abitibi ... .49 Figure 2.3 : Duparquet vue depuis le lac Duparquet, juillet 2017 ... 52 Figure 2.4: Lignes de l'arpentage primitif (1909-1937) et placettes d'échantillonnage temporaire (1980-2008) dans le nord-ouest del' Abitibi ... 64 Figure 2.5 : Localisation des quatre arbres échantillonnés en 2017 sur les îles du lac Duparquet (en vert), de la zone de déchets miniers (en gris) et de l'ancienne fonderie de Duparquet ... 66 Figure 2.6 : Spécimen de Thuya occidentalis L. sur une île du lac Du parquet, août 2017.

···67 Figure 3.1 : Ratio arrondi à l'entier près(%) de l'ensemble des toponymes utilisés (A),

des toponymes utilisés pour désigner des entités physiques (B) et des toponymes utilisés pour désigner des entités administratives (C) dans les cartes illustrant l 'Abitibi entre 1898 et 2018, par période ... 72 Figure 3.2: Extrait de la carte Pontiac Nord de 1907 (Al), centré sur le lac Duparquet

et les environs ... 73 Figure 3.3: Extrait de la carte Comtés d'Abitibi et de Témiscamingue de 1929 (B2),

centré sur le lac Duparquet et les environs ... 75 Figure 3.4: Extrait de la carte Abitibi de 1950 (C4), centré sur le lac Duparquet et les

environs ... 7 6 Figure 3.5 : Extrait de la carte Abitibi-Témiscamingue de 1983 (D2), centrée sur le

(11)

lX

Figure 3.6: Extrait de la carte Abitibi-Témiscamingue: Région administrative 08 de 1992 (El), montrant une partie du territoire non organisé de Rivière-Kipawa ... : ... 78 Figure 3.7: Extrait de la carte Pontiac Nord de 1907 (Al), centrée sur les cantons de Royal-Roussillon et Languedoc ... 79 Figure 3.8: Extrait de la carte Cantons d'Abitibi et de Témiscamingue de 1929 (B2), centrée sur le lac Duparquet et les environs ... 80 Figure 3.9: Extrait de la carte Témiscamingue et Abitibi de 1946 (C3), centrée sur Rouyn-Noranda et les environs ... 81 Figure 3.10 : Extrait de la carte Abitibi-Témiscamingue, carte touristique et routière de

1983 (D3), centrée sur l 'Abitibi. ... 82 Figure 3.11 : Extrait de la carte Plan 1: Grandes affectations du territoire de 2016 (E3), centrée sur le lac Duparquet et les environs ... 83 Figure 3.12 : Extrait de la carte Pontiac Nord de 1907 (Al), centrée sur I' Abitibi .... 85 Figure 3.13: Extrait de la carte Témiscamingue et Abitibi de 1932 (Cl), centrée sur

l'ouest de I 'Abitibi ... 86 Figure 3.14: Extrait de la carteAbitibi-Témiscamingue, carte touristique et routière de 1983 (D3) ... 88 Figure 3.15 : Légende de la carte Plan 2: Territoires et sites d'intérêt et zones de

contraintes de 2016 (E4) ... 90

Figure 3.16: Extrait de la carte Pontiac Nord de 1907 (Al) ... 91 Figure 3.17: Extrait de la carte Comtés d'Abitibi et de Témiscamingue de 1935 (C2). ... 92 Figure 3.18: Extrait de la carte Plan I: Vue générale de la région du Nord-Ouest de 1971 (D 1 ), centrée sur l 'Abitibi ... 93 Figure 3.19: Population de la sous-région du lac Duparquet comparée à la population

totale de I' Abitibi-Témiscamingue entre 1901 et 2016 ... 96 Figure 3:20: Population de la sous-région du lac Duparquet comparée à la population totale ( en millions) du Québec entre 1901 et 2016 ... 97

(12)

Figure 3.21 : Densité de la population sédentaire de la sous-région du lac Duparquet entre 1936 et 2016 selon le nombre d'habitant-e-s par kilomètre carré ... 98 Figure 3.22: Couverture et utilisation du sol de la sous-région du lac Duparquet en 1926 ... 100 Figure 3.23 : Couverture et utilisation du sol de la sous-région du lac Duparquet en 1950 ... 101 Figure 3.24: Couverture et utilisation du sol de la sous-région du lac Duparquet en

1984 ... 102 Figure 3.25 : Couverture et utilisation du sol de la sous-région du lac Duparquet en 2016 ... 103 Figure 3.26: Fréquence de chaque taxon(%) dans les observations effectuées dans le nord-ouest del' Abitibi entre 1909 et 1937 (selon Marchais, 2017) ... 109 Figure 3.27: Dominance de chaque taxon dans les observations effectuées dans le nord-ouest del' Abitibi entre 1909 et 1937 (selon Marchais, 2017) ... 109 Figure 3.28: Fréquence de chaque taxon(%) dans les observations effectuées dans le nord-ouest de l' Abitibi entre 1980 et 2008 (selon Marchais, 2017) ... 110 Figure 3.29: Dominance de chaque taxon dans les observations effectuées dans le nord-ouest del' Abitibi entre 1980 et 2008 (selon Marchais, 2017) ... 111 Figure 3.30: Concentration des particules de plomb contenues dans chaque arbre

échantillonné (A) et rapports isotopiques 206Pb!2°7Pb de ces échantillons (B)

(Arteau, 2019: 61) ... 112 Figure 4.1 : Fonderie de la mine Beattie, mai 2018 ... 127 Figure 4.2: Église de Rapide-Danseur, novembre 2018 ... 130 · Figure 4.3 : Lac Hébécourt et lac Monsabrais vus depuis les collines d'Hébécourt, mai 2018 ... 132

(13)

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 2.1 : Cadre opératoire de la première question secondaire ... 55

Tableau 2.2 : Inventaire des cartes retenues par la cueillette de données ... 57

Tableau 2.3 : Cadre opératoire de la deuxième question secondaire ... 60

(14)

Les frontières de ressources sont l'expression territoriale d'une manière de concevoir la biosphère en tant que ressource naturelle. En Amérique du Nord comme ailleurs, la construction de l'État moderne se fonde sur la dépossession des territoires autochtones et de leur valorisation pour construire la société coloniale. La sous-région du lac Duparquet (Agotawekami) en Abitibi a été annexée par la province de Québec à la fin du XIXe siècle avant de connaître des bouleversements profonds avec l'arrivée d'un mouvement de colonisation à partir des années 1930. Ce mémoire s'intéresse à l'origine et au fonctionnement des transformations écologiques et socioéconomiques qu'a connus ce milieu du tournant du

xxe

siècle à aujourd'hui. Il suggère qu'une frontière de ressources a émergé par la matérialisation continuelle d'un paysage colonialiste de peuplement selon un discours valorisant l'exploitation des ressources naturelles pour justifier l'appropriation du territoire et la territorialisation d'un régime d'exploitation de la nature. Pour vérifier cette affirmation, une analyse de représentations cartographiques a été menée par l'étude de 14 cartes produites par l'État québécois représentant l' Abitibi entre 1898 et 2018. Elle a été accompagnée d'une analyse diachronique de traceurs géographiques représentatifs de l'évolution démographique, écologique et d'utilisation du sol de la sous-région du lac Duparquet provenant de sources diverses ayant servi à la construction de séries temporelles et de quatre cartes. L'analyse des résultats révèle que l'État représente d'abord l' Abitibi comme vierge, riche de ses matières premières et marquée de nombreux signes et symboles de la société domin~te et ensuite pour ses attributs naturels et culturels commercialisables. Un tel discours trouve écho dans l'établissement d'une population et d'infrastructures venues d'abord exploiter les ressources minières, agricoles et forestières pour ensuite se renouveler dans les activités touristiques et résidentielles aux conséquences écologiques permanentes dans le milieu. La construction et l'évolution de ce paysage illustrent les mécanismes utilisés pour déposséder les Anicinabek de cette portion de leur territoire ancestral et le transformer en « région-ressource » québécoise.

Mots-clés : Frontière de ressources, colonialisme de peuplement, paysage, représentation de l'espace, territorialisation, Abitibi

(15)

ABSTRACT

Resource frontiers are the spatial articulation of ways of representing the biosphere as a natural resource. Modem North American nation-states, as elsewhere, are built upon the exclusion of lndigenous peoples from their territories and the enhancement of the dispossessed land base to facilitate the construction of the colonial society. Lake Duparquet (Agotawekami) area, as of all Abitibi, have been integrated to Quebec by the end of the 19th century and experienced massive change beginning in the 1930s

with a state-sanctioned settlement movement. This Master's thesis interrogates the nature and extent of ecological and socioeconomic change in the Lake Duparquet area from the turn of the 20th century until now. lt suggests that a resource frontier emerged

by the contingent materialization of a settler colonial landscape, based on ways of representing the area by its natural resources and as belonging to Quebec, and the territorialization of a resource exploitation regime. A cartographie representation analysis has been conducted using 14 maps showing Abitibi between 1898 and 2018 and produced by agents of the provincial state. A multi-proxy diachronie analysis has been performed in complement using Lake Duparquet area represen~ative demographic, ecological and land use datasets organized in multiple-time series and four maps. The provincial state's early representations of Abitibi show the area as pristine, valuable for its raw materials and marked by symbols from the settler society, while late representations show a unique market-valuable area for its natural and cultural attributes. This discourse first materialized by the establishment of numerous settlers and infrastructure in the purpose of mining, logging and agriculture work, and revive later with residential and tourism-related activities with an ongoing and increasing ecological pressure. The construction and evolution of such a landscape show the settler colonial process of dispossession-reconstruction in the making as this part of Anishinaabe ancestral territory is reordered as one of Quebec's natural resource-based peripheries.

Keywords: Resource frontier, settler colonialism, landscape, representation, territorialization, Abitibi

(16)

Selon de nombreuses recherches, la Terre serait entrée dans une nouvelle ère géologique, suivant !'Holocène, marquée par l'influence dominante de l'être humain sur les variations naturelles du climat (Crutzen, 2002; Maslin et Lewis, 2015; Steffen

et al., 2005; Steffen et al. 2015; Zalasiewicz et al., 2015). L'arrivée du concept

d' Anthropocène dans la recherche scientifique a ravivé l'intérêt pour l'étude des activités anthropiques comme élément central dans la compréhension du système Terre (Maslin et Lewis, 2015). Toutefois, nombreuses sont les études qui homogénéisent l'empreinte géoécologique de l'ensemble de l'espèce humaine sans prendre en considération les inégalités intraespèce, l'impact localisé de certains régimes d'exploitation de la biosphère sur l'ensemble du système Terre ainsi que le lien politique qui relie ces deux phénomènes (Haraway, 2016).

La« grande accélération» de l'empreinte géoécologique est stimulée par le contexte contemporain de mondialisation par lequel certaines classes d'individus détenant l'essentiel du pouvoir politique et économique de leur société mobilisent un ensemble de ressources pour en accumuler davantage (Steffen et al., 2015; Moore, 2015). Ce faisant, ces classes ont cherché à transformer la nature, l'humanité comprise, au service de leurs intérêts particuliers. Cet accaparement de ressources se justifie selon leur discours par la recherche du bien commun de l'ensemble del' espèce humaine (François, 2003).

Les changements sociaux et environnementaux du monde contemporain sont fortement imbriqués les uns dans les autres. D'une part, l'augmentation de l'intensité et de la

(17)

2 fréquence des événements extrêmes est directement reliée au mode de vie porté par cette mondialisation, et affecte majoritairement les populations les plus vulnérables par leur rang social, leur genre ou leur race (IPCC, 2014). D'autre part, les solutions mises de l'avant par les États et les organisations internationales pour répondre à ces crises ne permettent pas de les solutionner. Elles s'attaquent ·plutôt aux quelques conséquences les plus dommageables afin d'assurer la survie du modèle dominant de l'économie (Bonneuil et Fressoz, 2016). La tertiarisation de l'économie et le développement durable sont ainsi souvent valorisés pour assurer une transition vers un modèle économique durable à grande échelle. Ils se fondent toutefois sur la croissance des projets de développement de grande envergure dans les périphéries du monde où des populations déjà vulnérables vivent d'abord les conséquences écologiques directes et où les profits convergent vers les métropoles (Dalby, 2019).

Le caractère fortement situé des causes et des conséquences des changements globaux amène la nécessité de déconstruire les modes de conception et d'organisation de la nature et de l'humanité afin de nuancer l'idée d'un anthropos homogène dans la responsabilité des changements environnementaux. L'étude de l'impact de l'espèce humaine sur la biosphère passe en effet selon nous par une compréhension des relations de nature politique ayant modulé les relations intraespèce et le rapport à la nature. En particulier, les changements globaux se fondent sur l'addition d'une multitude de transformations socioécologiques ayant lieu à l'échelle locale et régionale. Ils se situent à l'intersection d'un environnement biophysique et de relations de pouvoirs en évolution constante à de multiples échelles (Massey, 2005).

Les frontières de ressources, soit les formations territoriales fondées sur la mise en valeur et l'exploitation des ressources naturelles, bouleversent les structures géoécologiques et socioéconomiques locales afin d'intégrer de nouveaux territoires sous le contrôle de l'économie capitaliste mondialisée (Dollfus, 1981; Rasmussen et Lund, 2018). Actives dans le monde hier comme aujourd'hui, les frontières de

(18)

ressources ont ceci en commun qu'elles se fondent sur la mise en valeur de la biosphère en tant que ressource naturelle et qu'elles marquent un moment de transition dans les milieux locaux (Bataillon, 1981). Elles marquent le bouleversement d'un ordre territorial initial par la mise en place de mécanismes de contrôle et d'exploitation de la nature, individus compris (Rasmussen et Lund, 2018). Ils sont l'expression spatiale de la matérialisation d'un pouvoir hégémonique porté par des acteurs motivés par un ensemble d'idées et d'intérêts particuliers, dont l'État moderne est souvent à l'avant-plan.

L' Abitibi est une région québécoise dont l'appropriation s'est effectuée à l'aide d'un front pionnier afin d'étendre le contrôle territorial de l'État québécois (Asselin, 1982). Annexé en 1898 par la province de Québec, le Nord-Ouest québécois s'est peuplé rapidement d'une population originaire de la vallée du Saint-Laurent et d'ailleurs à partir de 1912 (Vincent, 1995). Ce mouvement s'est basé sur un discours faisant la promotion de l'exploitation des ressources naturelles et de la conquête du territoire « national » présenté comme vierge et sauvage pour justifier son existence (Morissonneau, 1978). Ce processus d'annexion a profondément transformé l'environnement régional jusqu'à aujourd'hui. Par le fait même, il aurait participé à l'acculturation du peuple anicinape et à son expulsion du territoire qu'il occupait depuis plusieurs milliers d'années (Couture, 1983). La sous-région du lac Duparquet, composée de la ville de Duparquet, de la municipalité de Rapide-Danseur et du territoire non organisé de Lac-Duparquet, située dans la Municipalité régionale de comté (MRC) d'Abitibi-Ouest, a du nombre été colonisée à partir des années 1930 (Gauthier et SPAT, 2009). Elle a connu des transformations géoécologiques (Bescond, 2002) et socioéconomiques (Vincent, 1995) profondes selon les attributs propres à l'environnement local, les politiques publiques à différentes époques et le sens des transformations observables sur place. Bien que différentes études ont proposé d'étudier la frontière de ressources abitibienne (par exemple, Innes, 1960; McDermott, 1961; Asselin, 1982; Tremblay, 1984), ou les transformations écologiques locales et

(19)

4 régionales (par exemple, Bescond, 2002; Danneyrolles, 2016; Marchais, 2017), aucune ne s'est spécifiquement employée à mettre en relation ces deux champs d'études.

Figure 0.1 : Panneau indicateur du rang du Coin-Saint-Pien-e à Rapide-Danseur, novembre 2018.

Ce projet de recherche s'intéresse particulièrement à l'origine et au fonctionnement des transformations socioécologiques qu'a connues la sous-région du lac Duparquet depuis 1898. En nous inspirant des approches matérialistes et postcolonialistes en géographie, nous formulons l'hypothèse qu'une frontière de ressources s'est inscrite dans le paysage par la matérialisation de représentations colonialistes de peuplement pour expliquer la nature des transfonnations qu' a connues ce milieu. Afin d'éprouver cette hypothèse, nous comparerons la nature des représentations caitographiques effectuées par l'État québécois avec les transformations démographiques, écologiques et d'utilisation du sol da11s la sous-région du lac Duparquet à partir de la combinaison d'une analyse de ces représentations cartographiques et d'une analyse diachronique de

(20)

différents traceurs géographiques. Cette démarche de recherche veut comprendre la nature et l'ampleur des changements sociaux et environnementaux à petite échelle à partir d'une lecture intégrant l'étude de discours, des écosystèmes forestiers et des formations socioéconomiques.

La pertinence scientifique de notre démarche se fonde sur la nécessité de comprendre l'origine et le fonctionnement des changements globaux dans une lecture intégrant certaines données et méthodes choisies des sciences sociales et naturelles. Il semble que le fractionnement et la surspécialisation des recherches scientifiques, héritage d'une tradition vieille de plusieurs siècles, soient déphasés avec les changements rapides et fortement imbriqués que connaît la planète à ce jour. Bien qu'elle soit pertinente à bien des égards pour trouver des solutions à des problèmes précis, la méthode scientifique pourrait être bonifiée par des approches intégratrices s'intéressant aux relations qui unissent les phénomènes plutôt qu'à les comprendre séparément. Or, bien que le champ de l'écologie politique en géographie soit sensible à la nécessité de cette démarche, personne, à notre connaissance, ne s'est encore intéressé à ce type de démarche méthodologique binomiale dans le cadre de l'étude des frontières de ressources québécoises. Sans vouloir explorer l'ensemble des façons d'aborder les frontières de ressources, ce projet de recherche propose un assemblage conceptuel singulier afin de comprendre l'évolution socioécologique de la sous-région du lac Duparquet depuis 1898. Plus spécifiquement, la frontière de ressources est ici entendue en tant que paysage émergent où se matérialise une représentation particulière de l'espace, qui se renouvelle lors de la valorisation de nouvelles ressources par un pouvoir hégémonique. En proposant une telle lecture à l'échelle locale, notre démarche veut mettre en lumière l'interaction de différents phénomènes agissant à de multiples échelles dans leur expression territoriale locale. Dans un contexte marqué par l'impuissance face aux changements globaux dont les conséquences sont vécues de différentes manières partout dans le monde, il est nécessaire de déconstruire les manières de représenter et de transformer son environnement dans les milieux habités

(21)

6 afin de mieux en saisir les modalités et les finalités. Une augmentation de l'aptitude de la population à comprendre son environnement et l'impact de ses actions sur celui-ci peut inciter à une réappropriation de son milieu de vie immédiat et concourir, à plus grande échelle, à des pratiques territoriales plus résilientes. En ce sens, notre démarche cherche à proposer une lecture intégratrice et relationnelle dans la compréhension de notre environnement afin d'être collectivement mieux outillé pour le transformer.

Ce mémoire se divise en quatre chapitres. Le premier comporte une revue de la littérature traitant du colonialisme de peuplement, du paysage et des frontières de ressources. L'articulation de ces concepts est effectuée selon une approche matérialiste et postcolonialiste, dont leurs fondements et leur utilité sont détaillés dans ce chapitre. Elle permet d'établir une discussion plus étoffée autour de l'origine et le fonctionnement des territoires-frontières afin de décrire notre contribution particulière dans l'étude de la frontière abitibienne. En particulier, nous définissons la frontière de ressources comme un paysage émergent où se matérialisent des représentations du territoire.

Le deuxième chapitre présente la problématique de ce mémoire qui vise à intégrer les données et les méthodes des sciences naturelles et sociales pour comprendre l'évolution de la sous-région du lac Duparquet depuis 1898. Elle est accompagnée du cadre conceptuel et de la démarche méthodologique de ce projet s'articulant tout particulièrement autour des concepts de représentation de l'espace et de territorialisation. Une analyse de la représentation cartographique faite du milieu à l'étude est décrite à partir de 14 cartes del' Abitibi produites par l'État québécois entre 1898 et 2018 et de leur traitement à l'aide de fiches d'interprétation permettant d'identifier les principales caractéristiques du discours de l'État. L'analyse diachronique de traceurs géographiques est également présentée, notamment son mode de cueillette de données démographiques, écologiques et d'utilisation du sol de la sous-région du lac Duparquet, celles-ci provenant de sources diverses, et son mode de

(22)

traitement et d'analyse faits à partir de la mise en forme de ces données par la création de cartes et de séries temporelles et d'une description simple de leur contenu.

Le troisième chapitre présente les résultats de nos réflexions quant aux deux hypothèses secondaires. D'abord, les résultats de l'analyse des représentations cartographiques sont présentés à l'aide de la description des cartes à l'étude selon la toponymie, les découpages administratifs, la mise en valeur économique et les composantes principales des cartes. Elles permettent de mettre en lumière les mécanismes de représentation de la région par l'État. Ensuite, les résultats de l'analyse diachronique de nos traceurs géographiques sont présentés à partir des cartes montrant la sous-région du lac Duparquet en 1926, 1950, 1984 et 2016 et des séries dendrogéochimiques, démographiques et d'écologie forestière afin d'établir les modalités du processus de territorialisation d'un régime d'exploitation des ressources naturelles.

Le dernier chapitre porte sur l'interprétation des résultats du chapitre trois afin d'éprouver les hypothèses secondaires et ensuite l'hypothèse principale de ce mémoire. À ce titre, elle révèle que l'État québécois représente d'abord l' Abitibi en fonction de son appartenance à la société québécoise, de la disponibilité des ressources naturelles à extraire et des modes d'accès à ces ressources. Il représente ensuite la région selon ses attributs naturels et culturels commercialisables dans une logique de consolidation régionale. Ce discours inspire l'établissement soudain d'un régime d'exploitation des ressources naturelles orienté autour de l'agriculture, la foresterie et l'exploitation minière. Celui-ci se transforme progressivement pour favoriser les activités économiques liées à la conservation. L'émergence d'une région-ressource périphérique et les conséquences écologiques que cela engendre sont un mécanisme par lequel se matérialise un paysage colonialiste de peuplement dans la sous-région du lac Duparquet.

(23)

CHAPITRE!

CADRES THÉORIQUE ET CONCEPTUEL

Les mouvements de colonisation engendrent continuellement de nouveaux agencements territoriaux dans l'environnement humanisé. Encore très actifs dans le Sud global contemporain, ils sont à l'origine de la modification de vastes étendues de territoire à travers l'histoire, et ce, partout dans le monde (Bataillon, 1981; Manshard et Morgan, 1988; Roberts, 1996). Ce que l'on appelle dans le cadre de cette maîtrise les frontières de ressources, aussi appelées fronts pionniers oufrontier, ont une origine et un fonctionnement uniques selon le lieu et l'époque, ce qui rend leurs comparaisons assez difficiles. À la grande diversité de formes que peuvent prendre les frontières de ressources s'ajoutent les multiples façons dont le phénomène est expliqué selon l'approche théorique choisie.

Dans ce chapitre, les approches théoriques desquelles ce projet de recherche s'inspire sont d'abord explorées, soit les géographies matérialistes et les géographies postcolonialistes dans leurs études particulières des relations humain-environnement et territoire-culture. Ensuite, les concepts de colonialisme de peuplement et de paysage sont présentés, avant de poursuivre vers une revue des définitions de la frontière de ressources à travers différentes déclinaisons des concepts de frontière et de ressource. Quelques interprétations sur l'origine des frontières de ressources sont également explorées pour en arriver à décrire l'État comme acteur central des fronts pionniers, participant dans leur construction à l'expansion d'un groupe dominant et de l'économie

(24)

capitaliste sur un territoire. Les frontières sont abordées selon les différentes fonctions qu'ils remplissent et leurs conséquences. Les caractéristiques des mouvements pionniers sont ensuite rassemblées dans une lecture de ce phénomène de peuplement en tant que paysage émergent. Finalement, l'étude des frontières de ressources est présentée en tant que méthode de lecture géohistorique à travers son utilisation dans l'écriture de l'histoire abitibienne pour décrire le cadre qui guide notre interprétation de cette histoire.

1.1 Approche théorique

La recherche sur les changements environnementaux est devenue un domaine d'étude majeur dans les dernières années (Dedeurwaerdere, 2014). Un nouveau champ scientifique nommé sciences du système Terre s'intéresse de plus depuis quelques années à faire le lien entre les cycles naturels de l'environnement et les processus structurant l'humanité dans une perspective holistique (Pitman, 2005). La géographie est toutefois elle aussi déjà passablement bien outillée pour étudier la relation entre l'humanité et son environnement. Son regard. particulier s'intéresse en effet à la construction des espaces en tant que produit de relations à toutes les échelles, et ce, par une compréhension intégrée des processus sociaux historicisés et des processus biophysiques dans une logique d'intégration (Massey, 2005; Gomez et Jones, 2010; Sneddon, 2009). En particulier, l'écologie politique (politica/ ecology) est une école de pensée en géographie qui s'intéresse à la dialogique nature-société (Neumann, 2009). Les recherches menées dans ce champ cherchent à démontrer que le politique et l'environnement évoluent dans une relation d'interdépendance, à jeter un regard sur l'origine et le fonctionnement des changements globaux, ainsi qu'à réfléchir sur les problèmes d'inégalités et de durabilité (Robbins, 2011). Elle propose ainsi une lecture critique des rapports de pouvoir et des cycles de la biosphère qui coconstruisent les paysages sociobiophysiques (Lave et al., 2014). Notre projet de recherche s'inscrit dans ce champ d'études en s'inspirant des concepts et méthodes des approches

(25)

10 matérialistes et postcolonialistes en géographie pour explorer et déconstruire les rapports humanité-nature et territoire-culture. Ces approches étant issues de différentes manières d'étudier les phénomènes géographiques, quelques grandes tendances qui leur sont propres sont dégagées afin d'y inscrire notre projet de recherche.

1.1.1 Géographies matérialistes

Le matérialisme se fonde sur la primauté de la réalité matérielle sur le monde des idées et de l'esprit. En particulier, le matérialisme historique tel que défini à partir des travaux de Karl Marx au XIXe siècle et développés par la suite. notamment par des auteurs marxistes et anarchistes, postule que les conflits entre différentes classes de la société, fondée selon leur positionnement dans l'appareil de production économique et leurs conditions matérielles d'existence, expliquent les bouleversements majeurs de l'histoire de l'humanité (Jackson, 2003). Cette dialectique offre une lecture permettant de comprendre et d'analyser la réalité matérielle· du monde à partir de différents déterminants. Selon les matérialistes, le monde social est structuré en fonction de rapports de force entre différents groupes de la société (Lacoste, 1982).

Les géographies matérialistes sont particulièrement sensibles aux relations politiques entre les acteurs du monde social, et à leur influence dans la construction des territoires à toutes les échelles (Jackson, 2003). Elles s'intéressent aux formations économiques et politiques pour comprendre comment le territoire est soumis à un processus de production et de re-production (Taylor, 2003). Cette approche considère que le monde biophysique est traversé par les rapports de force de la société, et l'inscrit dans son étude des interactions entre l'environnement naturel et humanisé (Moore, 2015). Plus que de proposer une manière d'expliquer la réalité, les géographies matérialistes sont une approche engagée (De Koninck, 1978; Raffestin, 1980) qui cherche à comprendre le monde pour le transformer dans une perspective d'émancipation.

(26)

Parmi les écoles de pensées de la géographie culturelle, on retrouve le matérialisme culturel qui s'intéresse aux rapports de forces s'inscrivant dans le territoire par différentes manifestations culturelles (Jackson, 2003). Cette école tire en partie son origine des travaux d' Antonio Gramsci. S'inspirant des écrits marxistes, cet auteur a raffiné le matérialisme historique en proposant que les classes dominantes de la société utilisent différentes manifestations culturelles afin d'asseoir l'hégémonie de leur manière de conceyoir le monde (Jackson, 2003). Il a ainsi ouvert la dialectique matérialiste à l'étude des signes et symboles par lesquels s'exprime l'idéologie, cet ensemble cohérent d'idées par lequel s'expriment les intérêts de différentes classes sociales, afin de comprendre la réalité (Glassman, 2009). Le matérialisme culturel en géographie s'intéresse donc particulièrement aux manifestations territoriales d'un discours en tant qu'outil de pouvoir. Le concept de paysage culturel y est utilisé dans une lecture dialectique pour décrire l'expression matérielle d'un discours hégémonique et de sa contestation (Mitchell, 2002). Le présent travail s'inspire de cette démarche, car il est particulièrement sensible aux représentations de différents acteurs politiques et comment ceux-ci transforment les espaces géographiques.

1.1.2 Géographies postcolonialistes

Les géographies postcolonialistes cherchent à déconstruire les structures de pouvoir en mettant en lumière les idéologies guidant les décisions de diverses institutions de la modernité (recherche scientifique, capitalisme et État) et comment elles participent, entre autres, à la construction d'une société empreinte de racisme (Sundberg, 2003). Ces courants géographiques utilisent la notion de colonialité du pouvoir pour révéler comment elle influence la production du savoir et le fonctionnement des espaces (Sharp, 2003). La colonialité du pouvoir réfère dans ces études à une matrice de pouvoir fondée sur l'exploitation de la force de travail, la domination ethnoraciale, le patriarcat et l'imposition d'une orientation culturelle eurocentriste (Quijano, 2007). Afin de déconstruire ces relations de pouvoir inégales, les recherches postcolonialistes mettent

(27)

12 le rapport au territoire des oubliés du pouvoir (l'Autre invisibilisé) au centre de leur analyse (Radcliffe, 2017). Elles appellent donc à une décolonisation du savoir et de la société en général en favorisant la réappropriation de la connaissance par les populations marginalisées par des siècles de domination occidentale (Denzin et al., 2008). Ce courant géographique porte une attention toute particulière aux images et symboles utilisés dans le langage afin de représenter l'Autre dans une logique d'exclusion (Sharp, 2003).

Ce projet de recherche n'a toutefois pas la prétention de s'inscrire dans une perspective décoloniale. Mené par un chercheur appartenant à la société dominante eurodescendante, ce projet utilise une approche méthodologique qui n'est pas fondée sur l'étude de l'expérience des populations autochtones et qui n'est pas contrôlée par des individus des Premières Nations, des Métis ou des Inuits. Cependant, il s'inspire de cette approche en s'inscrivant dans une logique anticoloniale pour mettre en lumière les mécanismes de domination et d'exclusion des populations autochtones à partir des représentations colonialistes du territoire et de son occupation.

1.2 Cadre conceptuel - Définitions

Ce projet de recherche se fonde sur l'articulation des concepts de colonialisme de peuplement, de paysage et de frontière de ressources. Une définition particulière de ces concepts est donc proposée conformément à notre approche théorique afin de formuler les bases de notre problématique de recherche.

1.2.1 Colonialisme de peuplement

Le premier concept qui guide cette recherche est le colonialisme de peuplement (sett/er

co/onialism). Ce concept est apparu vers la fin des années 1990 dans la littérature sciehtifique et est principalement d'usage dans la littérature anglo-saxonne (Veracini, 201 1 ). Les recherches qui l'utilisent le distinguent du colonialisme, qui désigne lui une

(28)

structure de pouvoir principalement fondée sur l'exploitation de la force de travail d'une population autochtone marginalisée sur la base de la« race» (Wolfe, 2006). Le colonialisme de peuplement provient spécifiquement du processus de colonisation dans les contextes où les pouvoirs coloniaux ont cherché à fonder une société ethniquement distincte basée sur le peuplement massif d'un territoire représenté comme vierge au moyen d'une population d'origine européenne (Bonds et Inwood, 2016; Veracini, 2011; Wolfe, 2006). Le colonialisme de peuplement se définit donc comme une structure de pouvoir fondée sur l'occupation permanente d'un territoire dans le but de former une

société nouvelle à partir de la suppression des ·populations autochtones (Bonds et

Inwood, 2016). Ce concept trouve sa source dans ce que Wolfe (2006) identifie comme

une logique de suppression (logic of elimination), fonctionnant selon une dynamique

négative et positive. L'aspect négatif désigne la dissolution des sociétés autochtones, tandis que l'aspect positif comprend l'érection d'une société nouvelle sur les territoires expropriés à partir d'une mise en valeur économique du territoire et des ressources qu'il contient. La colonisation de peuplement n'est ainsi pas un événement passé, mais une structure héritée du passé en constante reproduction dans les sociétés coloniales contemporaines, notamment au Canada, aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande (Veracini, 2011).

Selon Jafri (2017), concevoir le colonialisme de peuplement comme une structure totalisante montre la violence_ coloniale comme étant inévitable et indépendante du pouvoir des agents de sa reproduction, dans le temps et l'espace. En ce sens, ce projet de recherche considère le colonialisme de peuplement comme le résultat d'un

assemblage de formes de pouvoir à différents lieux et à différentes époques, formé

selon l'hégémonie d'une manière de représenter les territoires ancestraux des peuples

autochtones. Cette façon de concevoir le colonialisme s'opérationnalise à partir d'une

(29)

14 1.2.2 Paysage

Le concept de paysage est assez commun en géographie, particulièrement en géographie culturelle (Dubow, 2009), car il se situe à l'interface des représentations du territoire et de l'espace géographique. Un ensemble de définitions très divers lui est attribué, notamment selon le cadre théorique, la tradition linguistique et l'époque (Meinig, 1979). Dans le cadre de ce mémoire, la définition du paysage s'inspire du matérialisme culturel en ceci qu'il nous apparaît issu d'un rapport de force dialectique entre les groupes dominants et subordonnés de la société (Mitchell, 2002). Étant l'expression matérielle d'un discours porteur des intérêts de certains groupes de la société, le paysage à la fois le processus et le médium par lequel des acteurs transforment un territoire conformément à un ensemble spécifique de représentations. '"[T]he cultural landscape' at once captures the intent and ideology of the discourse as a whole and is a constitutive part of its ongoing development and reinforcement" (Schein, 1997 : 663). Défini de cette manière, le paysage peut à la fois participer à la mécanique normative de la société lorsqu'il s'inscrit dans le discours hégémonique, mais également dans sa contestation lorsqu'il est mobilisé par des groupes subordonnés de la société à des fins émancipatrices. Le paysage est en effet le produit de l'interaction continuelle et évolutive d'un ensemble d'idées, d'individus, d'institutions, d'éléments physiques (Mitchell, 2002), résultant de la co-construction d'une infinité de pratiques quotidiennes individuelles et de l'évolution des cycles naturels de la Terre (Massey, 2006).

Ce projet cherche donc à dégager et à comprendre les représentations d'acteurs dominants de la société et la manière dont ils sont impliqués dans les transformations d'une aire désignée. L'utilisation du concept de frontière de ressources permettra de donner un sens aux transformations que l'on peut observer dans la sous-région du lac Duparquet depuis 1898, des transformations sensibles dans le paysage et qui sont issues des représentations colonialistes de peuplement.

(30)

1.2.3 Frontière de ressources

Selon Retaillé, un front pionnier désigne un « espace mobile marquant la limite provisoire de l'expansion d'une société, au sein d'un espace plus vaste, en cours de mise en valeur» (2003 : 412). Il s'agit d'un espace en cours d'incorporation à l'écoumène, soit la portion de la planète qui est habitée par l'être humain (Kristof, 1959). Or, cette définition s'avère problématique puisque, à l'exception de quelques déserts, l'ensemble de la Terre est habité de différentes manières. La frontière de ressources est donc nécessairement un théâtre d'affrontement entre de multiples cultures et modes d'habiter l'espace géographique (Dollfus, 1981). Elle marque la perturbation d'un ordre initial et son remplacement par un autre mode d'occupation du territoire en intégrant ou en expulsant les personnes qui peuplent un territoire (Rasmussen et Lund, 2018). La frontière de ressources est également considérée comme une région périphérique en cours d'incorporation au contrôle d'une région centrale qui revendique ce territoire comme le sien (Tran, 2002). Ce faisant, elle l'intègre à un nouveau système économique et politique à différentes échelles (Cleary, 1993) selon une reconfiguration produite par de nouvelles pratiques, trajectoires et interrelations locales (Barney, 2009). Dans le cadre de ce projet de recherche, la frontière de ressources est abordée en tant que paysage émergent où se matérialise une représentation du territoire, constamment transformé lorsqu'une nouvelle ressource est mise en valeur. Bien que front pionnier et frontière de ressources signifient la même chose, nous retiendrons la nomenclature de « frontière de ressources » dans le cadre de ce travail, car les mots qu'elle contient reflètent mieux notre définition du phénomène. Afin de raffiner cette définition, deux concepts opératoires fondamentaux desquels la frontière de ressources se définit sont présentés, soit la frontière et la ressource.

1.2.3.1 Frontière

En géographie, la frontière désigne plusieurs phénomènes selon la définition qu'on lui accole. Grossièrement, elle fait référence à une« limite à métrique topologique» (Lévy,

(31)

16 2003b : 384) qui joue à la fois le rôle de barrière, d'interface et de territoire en soi. La frontière peut être un obstacle lorsqu'elle représente la limite extérieure d'un État à l'époque contemporaine. En tant que barrière imaginée pour délimiter un domaine territorial, l'État utilise différentes stratégies afin d'affirmer sa souveraineté jusqu'à cette limite, dont la surveillance, les contrôles et parfois même l'établissement d'obstacles physiques (Raffestin, 1980). Les frontières naturelles, telles une rivière ou une chaine de montagnes, sont des barrières issues de l'environnement physique qui sont parfois également utilisées comme frontières politiques (Paasi, 2009). La frontière est en outre une interface, puisqu'elle« ne fait que filtrer et canaliser des relations entre espaces qui existeraient de manière plus diffuse sans elle» (Lévy, 2003b : 384). Par exemple, une frontière désigne la limite entre des aires culturelles distinctes qui coexistent sur un territoire plus vaste. Ici, la frontière agit plus comme division des entités et comme discours normalisant des différences territorialisées (Paasi, 2009). Finalement, la frontière comme territoire désigne un espace de transition entre des territoires différents dotés de caractéristiques propres. Le territoire frontalier, des deux côtés de la limite, est un espace périphérique aux contours flous doté d'une identité propre (Wastl-Walter, 2009). Ce territoire est un lieu d'hybridation d'identités, où différents modes d'appropriation et de signification du territoire coexistent dans un même lieu.

Dans la littérature anglo-saxonne, la frontière comme limite imaginaire et la frontière comme espace de transition sont deux concepts distincts, soit boundary (ou border) et frontier. Pour Kristof (1959), boundary désigne la limite politique et légale d'un État.

Elle est un objet qui sépare, orienté vers l'intérieur, et qui démontre l'action de forces centripètes d'une autorité politique. De son côté, frontier est une aire désignée en

mouvement, faisant partie d'un territoire plus grand. Elle est une construction sociopolitique qui atteste du pouvoir extérieur d'une société ou d'un État, qui démontre l'action de forces centrifuges. Même s'ils expriment des phénomènes distincts, ces deux conceptions ont en commun qu'elles décrivent une limite dont l'existence est le

(32)

produit de relations de pouvoir territorialisées. Bien que l'étude du processus de création et de légitimation des limites territoriales d'un État soit intéressante, notre recherche portera plutôt sur la seconde utilisation de la frontière,.frontier, soit comme espace de transition.

Kristof (1959) définit cette frontière. comme la manifestation de la croissance de l'écoumène habitant les marges du monde. Il s'agit d'un front, d'une limite en mouvement dont les marges "were areas of dawn; they were frontiers in the sense of Turner's agricultural frontier: pioneer settlements of a forward-moving culture bent on occupying the whole area" (Kristof, 1959 : 270). Cette interprétation de la frontière fait référence à la théorie de la Great Frontier de Turner (1894), couramment réutilisée et critiquée afin de donner un sens à l'apparition et au fonctionnement des frontières (Cronon, 1987). Cette théorie est discutée plus bas, mais il convient de souligner ici qu'elle définit la frontière à partir des mouvements de colonisation agricole. Cela met en lumière l'utilisation des ressources naturelles en tant que caractéristique centrale à l'origine de ce mouvement dans l'espace.

1.2.3 .2 Ressource

La frontière de ressources mobilise également le concept opératoire de ressource. En effet, les ressources, en particulier naturelles, sont centrales à l'apparition des fronts pionniers puisqu'ils sont le résultat d'une valorisation de la biosphère. La ressource peut être définie comme une « [r]éalité entrant dans un processus de production et incorporé dàns le résultat final de cette production» (Lévy, 2003c: 798). Dans le système capitaliste, la production est partie intégrante de l'accumulation du capital (Glassman, 2006). Une ressource est donc ici un objet ayant une valeur d'usage. Avec le travail, elle détient une valeur ajoutée, ou une valeur d'échange, qui engendre un profit pour la personne ou le' groupe à qui cet objet appartient. Or, la force de travail est une ressource en soi, et les portions de la population appartenant à cette classe doivent la vendre pour survivre.

(33)

18 Selon Moore (2016), l'extraction théorique de l'humanité de la nature suit une logique d'opposition binaire fortement utilisée depuis la modernité pour justifier, entre autres, l'expansion du capitalisme sur l'ensemble de la planète. Les individus et les groupes en position de définir le soi (l'humanité) et l'autre (la nature), ont légitimé l'exploitation ·du travail gratuit, ou à très faible coût, nécessaire au maintien et à l'expansion de ce système, dans le temps et l'espace. Cette lecture a permis la soumission de la biosphère et de la majorité de l'humanité comme objet de ce processus de production.

For the story of Humanity and Nature conceals a dirty secret of modem world history. That secret is how capitalism was built on excluding most humans from Humanity-indigenous peoples, enslaved Africans, nearly all women, and even many white-skinned men (Slavs, Jews, the Irish) (Moore, 2016: 79).

Il est donc nécessaire de préciser que bien que l'être humain fasse partie de la nature et que cette opposition est une construction théorique ayant été mobilisée par de multiples systèmes de pouvoir pour permettre notamment l'accumulation du capital, une ressource naturelle concerne la nature non humaine en particulier. Un phénomène naturel n'est ainsi considéré comme une ressource qu'en vertu d'une façon particulière d'observer et d'ordonner la nature pour en tirer profit.

Une réalité issue du monde physique ou biologique ne peut être une ressource que s'il existe un processus de production identifié dans lequel il peut être inséré et qui, par définition, provient de la société. Si l'on appelle naturel le monde biophysique en tant qu'il concerne [l'être humain] et est traité par lui, alors une ressource naturelle est justement le résultat du traitement particulier qui consiste à lui trouver une place dans un ensemble d'actions finalisées (Lévy, 2003c : 798).

Une réalité du monde physique devient donc une ressource parce qu'on lui donne une valeur selon un système de production issu de la société. Cette idée est nuancée par Parenti, lorsqu'à propos de la Critique du programme de Gotha (Marx, 2008), il

(34)

souligne que : "Marx was clear - more than many Marxists - that nonhuman nature provides use values to capital, which through the labor process are converted into exchange values" (Parenti, 2016 : 167). Selon lui, le processus de production de richesses n'est pas indépendant de la nature non humaine. Pour générer un profit, des objets ayant des attributs utiles à la transformation, tels que l'énergie du soleil ou d'une chute d'eau, la dureté du bois, la richesse de l'argile, doivent exister avant que la société la transforme pour en tirer de la valeur. L'insertion de la portion non humaine dans un système productif n'est pas ainsi tributaire de la nature, mais d'une relation, parmi d'autres, à celle-ci. C'est ce qui fait dire à certains, dont Moore (2015, 2016), que le capitalisme est non seulement une façon d'organiser et de transformer la nature (humanité comprise), mais une relation foncière à la nature : "Human organizations are

environment-making processes and projects; in turn the web of life shapes human organization" (Moore, 2016 : 79).

Aujourd'hui, il existe des frontières de ressources principalement en Asie du Sud-Est (Bissonnette et al., 2011; Eilenberg, 2012; Hall et al., 2011), en Afrique (Bluwstein et Lund, 2018; Côte et Korf, 2018; Lund, 2010) et dans le bassin amazonien (Campbell, 2015; Larsen, 2015; Walker et al., 2009). La grande diversité de formes que celles-ci peuvent revêtir rend difficile l'analyse de caractéristiques récurrentes à toutes les frontières. « Les fronts pionniers, en effet, remplissent toujours simultanément plusieurs fonctions, mais jamais dans les mêmes proportions, ce qui rend chaque front pionnier tout à fait unique» (Tran, 2002 : 3). En ce sens, il convient de retourner aux différentes interprétations données à ces phénomènes pour expliquer l'origine et le fonctionnement des fronts pionniers dans différents contextes spatio-temporels. De cette manière, il nous sera possible de présenter un portrait général des différentes caractéristiques nécessaires à retenir dans notre étude de la frontière de ressources abitibienne.

(35)

20 1.3 L'origine des fronts pionniers

Les frontières de ressources sont des phénomènes qui ont fait l'objet de différentes

interprétations depuis le XIXe siècle. Barney (2009), à propos de sa manifestation au

Laos, soutient qu'une lecture relationnelle de la frontière permet d'intégrer une lecture critique des configurations de pouvoirs à différentes échelles à l'intérieur de l'économie politique capitaliste mondialisée où la frontière est le produit de pratiques,

de trajectoires et d'interrelations dans l'espace. Pour ce faire, il fait un bilan de

différentes interprétations de la frontière, soulignant leurs contributions et leurs contradictions, pour justifier sa lecture critique du phénomène. Puisque l'interprétation de la frontière de ressources qui est effectuée dans ce travail de recherche s'inspire fortement de cette approche, un bilan similaire doit être effectué afin de justifier notre lecture particulière. En partant des premières lectures du phénomène qui ont souligné qu'il s'agit d'un mouvement d'expansion d'un groupe dominant, les contributions marxistes de la frontière sont tout d'abord présentées puisqu'elles décrivent cette caractéristique à travers le fonctionnement du capitalisme dans l'espace. Le rôle spécifique de l'État dans ce phénomène est ensuite présenté comme acteur central par lequel les relations centre-périphérie et humanité-nature sont à la fois produites et filtrées.

1.3.1 L'expansion d'une société dominante

Une des premières et des plus populaires interprétations des frontières de ressources

est sans doute la Great Frontier de Turner (1894). Cette théorie a été développée afin

d'expliquer l'expansion des États-Unis vers l'ouest. Sa thèse se résume à ceci : "The existence of an area of free land, its continuous recession, and the ad van ce of American settlement westward, explain American development" (Turner, 1894 : 199). Turner

postule ici plusieurs choses afin de donner un sens à la colonisation de l'Ouest

(36)

son expansion sur de nouveaux territoires. Il inscrit l'évolution de· la société, de ses institutions et des idéaux qu'elle représente conjointement dans le temps et l'espace. Il avance qu'elle suit une trajectoire où bouge un «front» sur un territoire plus vaste. Celui-ci est appelé à disparaître au fur et à mesure que l'ensemble du territoire convoité a atteint un certain stade de développement. Turner propose donc de périodiser les étapes de ce développement afin d'expliquer l'évolution de la société d'un état «primitif» à un état «civilisé».

Il postule également que l'Ouest américain, avant d'être colonisé, était un espace «libre» d'être annexé par les États-Unis, car« inutilisé» proprement par les personnes habitant l'endroit. Pour lui, "the frontier is the outer edge of the wave - the meeting point between savagery and civilization" (Turner, 1894: 200), où l'expansion spatiale incite les pratiques visant à individualiser, masculiniser et démocratiser le territoire selon les normes de la société blanche (Cronon, 1987). Ici, Turner utilise une représentation raciste et paternaliste des peuples autochtones vivant sur ces territoires, soit une conception sous-entendue dans toute l'entreprise de colonisation des Amériques, et justifiant l'annexion de ces territoires. Cette théorie a d'ailleurs été grandement réutilisée par d'autres, dans d'autres contextes. Par exemple, Webb (1954) y recourt pour expliquer l'expansion de la« civilisation européenne» dans le monde. Il décrit les étapes de l'expansion de ce groupe à travers différents fronts de colonisation dans les Amériques, en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Afrique du Sud. Le choix de ces territoires correspond aux endroits où les peuples européens ou de descendance européenne ont cherché à fonder une société fondée sm la suprématie blanche.

Cette théorie a notamment été très critiquée pour son eurocentrisme et sa tendance à normaliser les rapports de pouvoir colonialistes (Cronon, 1987). Malgré cette limite, elle a été reprise surtout parce qu'elle souligne l'importance d'histoires locales s'inscrivant dans des processus globaux. Selon cette lecture, les milieux locaux sont le

(37)

22 produit, et produisent eux-mêmes, d'interconnexions économiques, politiques et culturelles à différentes échelles. En outre, utiliser ainsi la notion de frontière donne un sens à la lecture de l'histoire qui, en excluant une interprétation du« progrès» co~e entendu par Turner, avance surtout que les transformations que l'on observe avec les frontières de ressources concernent particulièrement l'expansion de groupes politiquement et technologiquement dominants selon des motivations idéologiques identifiables.

1.3.2 L'expansion de l'économie de marché

Les lectures marxistes de la frontière de ressources ont tenté d'apporter une explication plus précise sur l'origine de ce phénomène. Selon cette lecture, les mouvements pionniers découlent de l'expansion de l'économie capitaliste sur de nouveaux territoires non soumis à son mode de production. À propos des recherches qui se sont intéressées à la frontière brésilienne en économie politique, Cleary affirme ce qui suit :

the frontier, now restricted to Amazonia, is the absorption of peripheral regions by an expanding capitalism. This perspective, fundamental to numerous studies of Amazonia, sees a tendency towards homogeneity in economic structure and social relations in the cycle of frontier development, with capitalism ending up as the dominant force. It regards the key subjects in the dynamic of the frontier as the peasantry, who are acted upon by the bourgeoisie and the state, and argues that the dynamic of events within the frontier is determined outside it, in the forms of capital accumulation in the national economy and the way regional economies are articulated to it (1993: 331).

La frontière de ressources apparaît ainsi être en marge des espaces soumis au processus d'accumulation du capital. Elle semble également suivre une trajectoire linéaire, mais au lieu d'être liée seulement à l'expansion de la société européenne, elle est plutôt le résultat du développement de son modèle économique. Pour De Angelis, la frontière de ressources découle du processus d'accumulation primitive, d'abord décrit par Marx comme:

(38)

the historical process that gave birth to the preconditions of a capitalist mode of production. These preconditions refer mainly to the creation of a section of the population with no other means oflivelihood but their labour-power, to be sold in a nascent labour market, and to the accumulation of capital that may be used for nascent industries (2004 : 62).

Ce processus décrit la séparation entre les producteurs et le·s moyens de production à l'origine de l'apparition du prolétariat, et donc de l'accumulation capitaliste. L'adjectif « primitif» fait référence au moment où une société passe d'un mode d'organisation non capitaliste au mode d'organisation capitaliste. La dimension spatiale de ce processus est l'apparition des enclosures, ces enclaves étant le résultat différentes stratégies de privatisation des terres appartenant auparavant à une ou des collectivités (De Angelis, 2004). Elle s'opère de différentes façons selon les contextes historiques, géographiques, culturels et sociaux. Cette privatisation est accompagnée de l'apparition de rapports sociaux de classe, soit des rapports de pouvoirs qui définissent le positionnement des individus dans l'appareil productif.

Les interprétations classiques de l'accumulation primitive ont expliqué l'origine et le déploiement des différents mouvements de frontière dans le temps et l'espace. Par exemple, Polanyi (2009), situant l'origine du mouvement des enclosures dans l'Angleterre du XIIIe siècle, périodise l'apparition de l'économie capitaliste et de ses institutions à travers le monde selon la diffusion de ce modèle par les empires européens. D'autres lectures de la frontière de ressources rejettent la linéarité de cette approche puisqu'elle reproduit des rapports de pouvoirs colonialistes en négligeant des histoires locales qui dérogent à ce modèle. Par exemple, pour la frontière amazonienne, Cleary (1993) observe que le processus d'accumulation primitive n'est pas linéaire. Il constate à cet effet l'importance de l'économie informelle, ainsi que la décomposition et recomposition simultanée de l'État dans la région alors qu'une lecture traditionnelle de la frontière comme lieu d'expansion du capitalisme aurait plutôt prédit une trajectoire homogène.

Figure

Figure  0.1  :  Panneau  indicateur  du  rang  du  Coin-Saint-Pien-e  à  Rapide-Danseur,  novembre 2018
Figure  2.1  :  Localisation de la sous-région du lac Duparquet selon ses principaux plans
Tableau 2.2 : Inventaire des cartes retenues par la cueillette de données  Période Durée Numéro Titre de la carte Année de Organisme représenté  de la carte Eublication  A : Exploration 1898-Al Pontiac Nord 1907 Département de la Colonisation, des  1912 Mi
Figure 2.4: Lignes de l'arpentage primitif (1909-1937) et placettes d'échantillonnage  temporaire (1980-2008) dans le nord-ouest de l' Abitibi
+7

Références

Documents relatifs

Tout d'abord, parce que les raisons mêmes de l'établissement de Hong Kong en tant que colonie britannique ainsi que les guerres de l'opium qui ont permis cet établissement,

Nous vivons en nous réjouissant dans une sphère provisoire se transformant par étapes ; Lorsque nous retournons pour nous unir à notre Âme Véritable,. nous créons notre

3- Ne cessant d’améliorer notre commande, nous avons constaté qu’un phénomène d’oscillation de l’eau autour d’un niveau provoque de nombreux démarrage et arrêt

On décompose le volume du liquide en rotation en couronnes cylindriques de rayon r, d’épaisseur dr et de hauteur z(r). Exprimer le volume dV d’une telle couronne. En supposant que

Apollinaire, Cendrars et Maïakovski utilisent ainsi la métaphore comme une réalisation de l’écriture poétique et la création d’un univers propre qui

Un fait incontestable et qui domine tous les autres, c’est qu’ils ont le cerveau plus rétréci, plus léger et moins volumineux que l’espèce blanche, et

Ce dont il s’agit justement dans l’entreprise de A.Djbar , non seulement de réhabiliter le personnage féminin autochtone, de nous montrer d’autres horizons

Exercice 4 : La combustion complète de 0.35 g d’un composé A de formule brute C x H y a donné 0,45 g d’eau. Déduire celui du carbone.. 2/ a- Sachant que la masse molaire de A est