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L'intégration des habitants des quartiers informels dans la ville légale : l'expérience du land sharing à Phnom Penh (Cambodge)

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Academic year: 2021

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(1)

UNIVERSITÉ DU QUÉBEC

À

MONTRÉAL

L'INTÉGRATION DES HABITANTS DES QUARTIERS INFORMELS

DANS LA VILLE LÉGALE: L'EXPÉRIENCE DU

LAND SHARING

À

PHNOM PENH (CAMBODGE)

MÉMOIRE

PRÉSENTÉ

COMME EXIGENCE PARTIELLE

DE LA MAÎTRISE EN DROIT INTERNATIONAL

PAR

SABRINA OUELLET

(2)

Service des bibliothèques

Avertissement

La diffusion de ce mémoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travaif de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 - Rév.01-2006). Cette autorisation stipule que «conformément à l'article 11 du Règlement n08 des études de cycles supérieurs, [l'auteur] concède à l'Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalité ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. Plus précisément, [l'auteur] autorise l'Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche à des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l'Internet. Cette licence et cette autorisation n'entrainent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] à [ses] droits moraux ni à (ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, (l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»

(3)

REMERCIEMENTS

Je désire en premier lieu adresser mes remerciements à ma directrice de mémoire, Madame Hélène Piquet, professeure au département des sciences juridiques de l'UQAM. Ses conseils judicieux, sa rigueur intellectuelle, sa générosité et la confiance qu'elle m'a accordée m'ont permis de mener à bien ce travail. Je remercie également Madame Adeline Carrier, chercheure à l'Institut Français d'Urbanisme (lFU) à Paris, pour les précieux documents qu'elle m'a fait parvenir et pour l'apport de ses recherches. Je tiens en outre manifester ma reconnaissance envers Monsieur Pierre- Yves Guay, professeur au département des études urbaines et touristiques de l'UQAM. Son enthousiasme pour mon projet de mémoire et son soutien m'ont aidée à croire en mes capacités. Finalement, j'aimerais témoigner de ma gratitude envers ma famiJJe et mes ami(e)s (spécialement Julien Thiriet), pour leur indéfectible écoute et leurs encouragements.

(4)

RÉSUMÉ v

INTRODUCTION 1

CHAPITRE 1

LE CONTEXTE DU

LAND SHARING

AU CAMBODGE .5

1.1 L'évolution des modes d'acquisition du sol et de la notion de propriété privée 5

1.1.1 De l'époque traditionnelle à l'ère de la RPK 6

1.1.2 De 1989 à aujourd'hui 16

1.2 Le passé mouvementé de la capitale cambodgienne 19

1.1.1 Phnom Penh depuis l'ère royale jusqu'en 1979 21

1.2.2 Des Khmers rouges au XXle siècle: mutations violentes 25

CHAPITRE II

UNE RÉCEPTION MITIGÉE DU

LAND SHARING

AU CAMBODGE 35

2.1 Le land sharing : fondements juridiques et mise en œuvre 35

2.1.1 Des précédents en Thaïlande, en Indonésie et en Inde .41

2.1.2 Des projets pilotes de land sharing à Phnom Penh 52

2.2 L'inadéquation du land sharing eu égard aux logiques juridiques endogènes 58 2.2.1 La prégnance des logiques traditionnelles face au droit imposé 66

CHAPITRE III

UN MODÈLE JURIDIQUE GÉNÉRATEUR D'EXCLUSION ET DE PRÉCARITÉ 75

3.1 Le land sharing en question 75

3.1.1 Un véhicule de privatisation du sol 76

A. La marchandisation du foncier 77

(5)

IV

C. L'insertion des populations pauvres des quartiers infonnels dans le tissu

urbain 85

D. De droits infonnels à droits réels: Les répercussions de la régularisation

foncière sur les ménages pauvres 88

3.1.2 Un accès au sol inégal et incertain 99

3.1.3 Un contexte de spéculation foncière défavorable au logement social l 05

3.2 Une évolution fragilisée: limites du droit 109

3.2.1 La faiblesse du droit dans un contexte répressif.. ll0

3.2.2 Des sources d'inspiration pour une meilleure sécurité de tenure 122

CONCLUSION

134

(6)

RÉSUMÉ

Le présent travail vise à mesurer l'impact du land sharing sur les populations bénéficiaires à Phnom Penh, au Cambodge. Le land sharing constitue un outil de développement urbain, expérimenté en Thaïlande, en Indonésie et en Inde, permettant le relogement in situ de citadins qui résident sur un terrain de manière informelle. Dans le cadre d'une opération de land sharing, le propriétaire conserve la partie la plus avantageuse du site et la plus petite portion sert à reloger les occupants informels. Grâce à ce mécanisme, ceux-ci peuvent jouir d'une tenure foncière en conformité avec le cadre juridique en vigueur. En vertu du peu de données disponibles relatives aux conséquences des projets de land sharing sur les personnes concernées, notre recherche traite des répercussions des programmes de régularisation foncière sur les populations pauvres. Nous nous intéressons aux garanties offertes à ces dernières, suite à la normalisation de leurs droits sur le sol. Parmi les sujets abordés à l'intérieur de notre recherche, nous retrouvons: les transformations successi ves du régime foncier cambodgien à travers l'histoire, l'évolution de la capitale de Phnom Penh depuis l'ère royale, les conséquences de la privatisation du patrimoine foncier du pays, les évictions liées aux forces du marché, le contexte de spéculation foncière, etc.

Nous posons comme hypothèse de travail que le land sharing ne garantit pas systématiquement aux populations ciblées une meilleure sécurité de tenure. Dans le but de vérifier cette dernière, nous nous penchons sur les effets provoqués par le transfert de droits fonciers réels à des citadins en situation irrégulière.

Les principaux résultats observés nous démontrent que maints nouveaux détenteurs de titres de propriété vendent ces derniers et se retrouvent en situation de précarité et d'exclusion.

Le land sharing, analysé dans le contexte cambodgien, s'avère en somme inadapté pour répondre aux besoins des populations vulnérables en matière d'accès au sol et au logement. Il se révèle également inefficace pour les prémunir contre les nombreux risques d'évictions, justifiées au nom du développement.

MOTS CLÉS: CAMBODGE- PHNOM PENH- LAND SHARING- QUARTIERS

INFORMELS- SÉCURITÉ DE TENURE- PAUVRETÉ URBAINE­

PRIV ATISATION FONCIÈRE-RÉGULARISATION FONCIÈRE- ÉVICTIONS­ DÉVELOPPEMENT URBAIN

(7)

Introduction

L'urbanisation croissante des pays en développement constitue un enjeu contemporain majeur. Les conséquences de ce phénomène sont nombreuses et nécessitent des efforts gouvernementaux soutenus et coordonnés en matière de gestion urbaine. Au début du 20e siècle, 150 millions de personnes vi vaient dans les villes, c'est-à-dire, moins de 10% de la population mondiale. En 1970, ce pourcentage s'élevait à 35% et, en 2000, à 50%, soit 3 milliards d'habitants 1. Dans les pays du Tiers monde, la population citadine a doublé entre 1989 et 2000, passant de 1 à 2 milliards d'habitanls2. Cet essor démographique en zone urbaine s'intensifie rapidement. Selon les estimations du Programme des Nations Unies pour les établissements humains, la population urbaine devrait représenter 50% de l'ensemble de la population des pays en développement en 2020. On prévoit que d'ici 2030, l'Asie sera l'un des continents rassemblant les populations urbaines les plus larges au monde3.

Le phénomène de croIssance urbaine affecte le Cambodge, pays d'environ 14

millions d'habitants, majoritairement concentrés en zone rurale (84% de la popuJationt En 2002, on estimait à 1.2 millions le nombre d'habitants à Phnom Penh, la capitale du pays5. Le Cambodge détient l'un des taux de pauvreté les

Günter W. DilI, « Gérer les mégapoles des pays en développement », (2002) 5 D+C Développement et Coopération, à la p.ll.

2 Ibid.

Eduardo Lopez Moreno et Rasna Warah, « Tendances urbaines el bidonvilles au XX le siècle: Le Rapport 2006/2007 sur l'état des villes dans le monde », Chronique de l'ONU: édition en ligne, en ligne: <http://www.un.org/>.

4 Pierre Fallavier, The case of Phnom Penh, Cambodia, Understanding Siums: Case studies for the Global Report on Human Settlements, UN-Habitat, 2003 à la p.l [Fallavier, The case of Phnom Penh]

(8)

plus élevés en Asie6. L'espérance de vie est de 54.4 ans et le taux de mortalité

infantile est de 80 pour 10007. Si la performance économique remarquable du

pays a généré d'importants bénéfices (inégaux) dans les villes, elle a toutefois pri vé les campagnes de ses retombées 8. En raison de l'exode rural et de son augmentation démographique annuelle de 3,2%, la ville de Phnom Penh devrait voir sa superficie doubler d'ici 2010 9 et sa population atteindre 2,5 millions d'habitants en 2015 1

°.

Une part substantielle de cette dernière habite dans les

. . f 1Il

quartiers In orme s .

L' habitat informel au Cambodge reflète une réalité complexe. Ces quartiers précaires abondent à l'intérieur de la capitale et ses habitants sont très vulnérables face aux évictions forcées. Les stratégies traditionnelles de résorption de l' habitat informel, dont celle de la relocalisation des populations pauvres sur des parcelles de terre en lisière de la ville, ont. fait beaucou p de tort à ces dernières. L'éloignement de leur lieu de travail a contribué à perturber de manière

6 Selon les estimations de la Banque mondiale, 35% de la population cambodgienne vivait sous le seuil de la pauvreté en 2004. Le seuil de pauvreté calculé par l'organisation est de $ 0.45 par fersonne par jour.

Procheasas, Cambodge: Population et société d'aujourd'hui, Paris, L'Harmattan, 2005 à la f·24.

David T. Coe, Il Houng Lee, Wafa F. Abdelati et al, Cambodia: Rebuilding for a Challenging Future, International Monetary Fund (IMF), 2006 à la p.16.

Dans son rapport de 2007 sur le Cambodge, la Banque mondiale évaluait que le taux de croissance économique du pays pour l'année 2006 était de 10,6%.

9 Adeline Carrier, «Normaliser les droits du sol: questions autour de la conversion des usages du foncier en droit de propriété à Phnom Penh dans un contexte de privatisation du régime d'occupation », Conférence: Living Capital: Sustaining Diversity in Southeast Asian Cities, Panel

III : Contested Ownership, Phnom Penh, Centre for Khmer Studies in collaboration wilh the New School Uni versi ty, New York, 10-11 January 2007 à la p.l [Carrier, «Normaliser les droits du sol »]

10 Vann Molyvann, Modern Khmer Cities, Phnom Penh, Reyum Publishing, 2003 à la p.168. Il L'auteur Alain Durand-Lasserve identifie trois types de quartiers informels, cités dans les écrits sur le sujet: (1) les quartiers de squatters sur les terrains publics ou parapublics de l'État; (2) les subdivisions commerciales illégales dans les zones suburbaines sur les terrains privés; (3) l'occupation d'immeubles dans le centre-ville ou dans les zones densément peuplées.

Voir Alain Durand-Lasserve, « Dealing with market eviction processes in the context of developing cities », Third World Bank Urban Research Symposium, Land Development, poverty reduction and urban pol icy, Brasi lia, April 2005 aux pp.I-2 [Durand-Lasserve, « Dealing with market eviction processes»]

(9)

3 significative leurs activités génératrices de revenus et a conduit à leur

appauvrissement. C'est pourquoi de nouvelles stratégies de développement urbain leur permettant de rester en ville (sans engendrer de coûts trop grands pour les gouvernements) devaient être élaborées. C'est ici qu'entre en jeu le concept de land sharing, qui constitue l'objet d'étude de notre mémoire.

Le land sharing est une stratégie de développement urbain qui consiste en la partition d'un terrain entre les propriétaires de ce dernier et ses occupants (qu'ils soient locataires ou squatteurs). Présentée par plusieurs auteurs 12 en tant que

compromis entre les intérêts des propriétaires et ceux des pauvres urbains, elle résuJte d'un partenariat public-privé en matière de planification urbaine. En 2003, quatre projets pilotes de land sharing furent initiés à Phnom Penh par le gouvernement royal cambodgien. Notre question de recherche est la suivante: Quel est l'impact potentiel des projets de land sharing sur les populations pauvres de Phnom Penh? Nous sommes dans une situation d'emprunt d'un modèle, le land sharing, transposé dans un contexte précis, celui du Cambodge du XXle siècle. Nous cherchons plus précisément à confronter le discours officiel, celui du gouvernement et des promoteurs privés, à la réalité: Ces projets apportent-ils véritablement des solutions adaptées aux besoins des populations des quartiers informels de Phnom Penh?

Afin de répondre à cette question, nous devons examiner, dans premier temps, le contexte du land sharing au Cambodge. li importe en effet, pour les fins de notre analyse, de bien retracer, d'une part, l'évolution des modes d'acquisition du sol au Cambodge depuis l'époque du protectorat français et, d'autre part, les mutations traversées par la capitale, Phnom Penh. Cette toile de fond étant dressée, les mécanismes juridiques du land sharing, sa mise en œuvre et sa réception au Cambodge feront l'objet du chapitre deuxième. La question de la réception sera

Paul E. Rabé, Adeline Carrier, Prachumporn Panroj Islam el Yap Kioe Sheng Haryo, Winarso, Mark Povey et Tony Lloyd-Jones et Uma Adusumilli.

(10)

abordée tant du point de vue du gouvernement que du point de vue des populations pauvres urbaines. Il s'agit ici de mettre en perspective la rencontre de la logique du land sharing avec celle qui sous-tend le rapport à la terre dans la culture cambodgienne.

Enfin, le chapitre troisième traitera, à la lumière de la documentation existante, des effets de l'introduction du land sharing à Phnom Penh. li s'agit d'une analyse critique, souvent axée sur une approche comparative. Cette dernière dimension est rendue nécessaire en raison du peu de données sur les projets de land sharing en cours au Cambodge et parce que les expériences d'ailleurs en la matière éclairent les enjeux affectant les populations impliquées dans ce processus de développement urbain.

Une attention particulière sera ·portée à l'accès au sol de divers groupes urbains de même qu'à la place du droit comme instrument de régulation des rapports sociaux dans le contexte du land sharing. Cet axe de réflexion implique de s'intéresser, entre autres, au développement du système judiciaire cambodgien. Ce faisant, il

nous permet de mieux saisir le soutien juridique disponible pour les communautés ciblées par les projets de land sharing ainsi que leur rapport de force avec les divers acteurs sur le terrain.

(11)

Chapitre Premier:

Le contexte du

land sharing au Cambodge

1. 1

L'évolution des modes d'acquisition du sol et de la notion de

propriété privée

Le régime foncier cambodgien a subi divers changements suite à la colonisation française au milieu du 1ge siècle. Dès les premiers temps, les Français manifestent Jeur volonté de modifier les logiques d'acquisition du sol du peuple khmer et ce, avec plus ou moins de succès, comme nous le verrons dans la présente section. S'ils peinent à transmettre aux Khmers leur conception romaine de la propriété privée (c'est-à-dire, son caractère absolu et définitif) et rencontrent des difficultés à procéder à l'enregistrement systématique des terres, ces derniers parviennent néanmoins à introduire le principe de J'aliénabilité des terres de même que les notions de domaines· public et privé de l'ÉtatI3 .

Le développement de l'organisation foncière cambodgienne se trouve perturbé par l'arrivée au pouvoir des Khmers rouges, dans les années 70. Cette période marque une rupture radicale avec le système foncier mis en place par les autorités protectrices françaises depuis le début du 20e siècle. La collectivisation des terres, l'abolition de la propriété privée et le déplacement des populations, tant en zones urbaines que rurales, entraînent maints bouleversements. Dès lors, la propriété des biens fonciers ou immobiliers antérieure à 1979 n'est plus reconnue et tout est à recommencer: les livres fonciers, le cadastre, l'immatriculation des terres, etc.

Philippe Billot et Thierry Lemoine, «Gérer la propriété: loi foncière et fabrication du cadastre », dans Atelier parisien d'urbanisme, Phnom Penh (Cambodge) Bureau des affaires urbaines, Venise (Italie) Direzione centrale sviluppo deI territorio e mobilità, Phnom Penh à l'aube du XXle siècle, Paris: Atelier parisien d'urbanisme, 2003 à la p.119.

(12)

La privatisation du régime foncier cambodgien, entamée depuis le début de la décennie 90 et inspirée du modèle occidental néo libéral , amène de nouveaux bouleversements car, avec la consécration de droits nouveaux, se trouvent désormais des gens sans droits. La multiplication des litiges fonciers et les nombreuses violations perpétrées à l'encontre des défenseurs du droit à la terre prouvent à quel point le problème foncier demeure un enjeu d'actualité au pays. Pour mieux comprendre l'ampleur de ce dernier, la partie qu i su it retrace l'évolution des divers régimes fonciers au Cambodge.

1. 1. 1 De

l'époque traditionnelle à l'ère de la RPK

L'acquisition de la terre en droit traditionnel khmer se trouve étroitement liée à sa valorisation. C'est le principe de « l'acquisition par la charrue» décrit par Ad.hémard Leclère, soutenu par « le corpus des codes cambodgiens qui fait état de réglementation au cas par cas sans donner une véritable cohérence au statut de la possession »14. Si, à l'instar du droit français, les droits fonciers traditionnels se transmettent par voie d'héritage, ils peuvent être révoqués en cas de non-culture de la terre. Comme l'indique René Morizon, qui a étudié la question foncière au Cambodge durant les années 30, «c'est le résultat de la conception collectiviste des vieux législateurs khmers qui veulent que la terre appartienne à celui qui la travaille» 15. On considère en effet que le paysan qui délaisse sa terre pendant trois

années consécutives a définitivement abandonné celle-ci. Dans ce cas, une personne qui désire l'occuper peut le faire en toute légitimité, sans appréhender le retour de l'ancien propriétaire l6.

14

Adeline Carrier, « Contexte juridique de la propriété privée et perspectives urbaine, Modes de constitution, principes d'appropriation foncière, évolution de la législation », Ambassade de France au Cambodge, FSP Assistance à la maîtrise d'ouvrage en gestion et développement urbain au Cambodge, Bureau des Affaires Urbaines, Municipalité de Phnom Penh, juillet 2005 à la p.16 [Carrier, « Contexte juridique de la propriété privée

»J

15 René Morizon, L'immatriculation foncière de la propriété individuelle au Cambodge, Thèse

de doctorat, Université de Paris-Faculté de droit, 1934 à la p.20 [Morizon, L'immatriculation foncière de la propriété individuelleJ

(13)

7 En ce qui concerne la notion de propriété privée, tous n'admettent pas son

existence en droit traditionnel cambodgien. Dans le camp de ceux qui nient son existence, on retrouve Jean Moura, ancien Représentant du gouvernement français au Cambodge. En 1883, il écrit: «La propriété territoriale n'existe pas au Cambodge ( ... ), l'État est propriétaire absolu du sol. Néanmoins, on laisse la jouissance des terrains à ceux qui les défrichent et les approprient à un genre quelconque de culture, surtout le riz »17. Abondant dans le même sens, l'auteur

Henri Bruel affirme, quarante ans plus tard, que la propriété telle que conçue par les Européens n'existait pas avant 1884, année où l'administration française élaborait le premier essai de livre foncier 18. Bruel considère les habitants cambodgiens comme de simples usagers des terres qu'ils occupent. Se référant au caractère absolu et définitif de la définition romaine de la propriété individuelle, Bruel déclare: «Un droit de propriété qui meurt par la non possession n'est pas un droit de propriété au sens véritable du mot: c'est un droit d'occupation »19.

Le courant de pensée affirmant l'existence de la propriété individuelle en droit ancien khmer est principalement représenté par Boudillon, ancien inspecteur de l'enregistrement et des domaines au Cambodge et par l'auteur René Morizon. Le premier, qui met en doute le caractère de propriété exclusive de la Couronne sur les terres du Royaume, évoque les droits fonciers étendus conférés par les textes

11 Jean Moura, Le Royaume du Cambodge, Paris, Éditions Ernest Leroux, Tome l, 1883 à ta p.347.

18 Système d'enregistrement et de conservation des actes concernant la propriété foncière. Le point de départ du livre foncier est la réalisation d'un cadastre qui, par l'effet d'une enquête judiciaire contradictoire, enregistre l'ensemble des droits de propriété existant sur le territoire traité. Le registre ainsi constitué devient une preuve de propriété et toute mutation nouvelle yest obligatoirement enregistrée.

Joseph Comby, « Les mots du foncier », (2008) 136 Études foncières, à la p.33 (Comby, « Lest mots du foncier »]

19 Voir Henri Bruel, De la condition juridique des terres au Cambodge (Protectorat français),

(14)

ancIens aux habitants pour appuyer sa thèse2o. Ne reconnaissant pas, dans les textes anciens, le droit suprême du roi à la propriété du sol du royaume, il ajoute:

II est même à remarquer que l'on ne rencontre dans les textes cambodgiens aucune des expressions d'une portée générale, si fréquemment usitées dans des actes des souverains et chefs d'autres pays, dont l'objet est de proclamer la puissance absolue de ces derniers sur les sujets et les bien de ces sujets. Le roi du Cambodge, au contraire, ne revendique que le titre, d'ailleurs suffisamment emphatique, de Maître de toutes les existences humaines 21 .

À l'instar de Boudillon, Morizon ne croit pas non plus que le roi agissait en tant que propriétaire absolu du sol du Royaume. Selon lui, ce dernier se comportait en véritable propriétaire pour des portions spécifiques de territoires (les forêts, les chamcars 22, par exemple) mais, en ce qui concerne les rizières, «les droits régaliens étaient réduits et mal définis »23. Morizon croit donc fermement en l'existence de la propriété privée, dont les modes de constitution sont d'après lui la concession royale (donation ou apanage) et l'occupation. .

D'un point de vue plus contemporain, Adeline Carrier partage une vision similaire à celles de Boudillon et Morizon concernant la propriété individuelle au Cambodge, avant l'arrivée des Français. Elle souligne: «Si en apparence, la propriété pouvait se définir par une donation officiant un legs contre rétributions, les codes des lois rurales et les codes des peines de Brahma faisaient état de l'existence de la propriété individuelle fondée sur le principe de la tenure foncière» 24.

20

Roger Kleinpeter, Le Problème Foncier au Cambodge, Thèse de doctorat, Université de Paris-Faculté de droit, 1937 à la p.113 [Kleinpeter, Le Problème Foncier au Cambodge]

21 A. Boudillon, Le régime de la propriété foncière en Indochine, Le régime de la propriété foncière en Indochine, Rapport au Ministère des Colonies, Paris, 1915 à la p.ll7.

22 Terrains de berges alluvionnaires et très fertiles.

23 Morizon, L'immatriculation foncière de la propriété individuelle, supra note 15 aux pp.l7­

J8. 24

(15)

9 Les interprétations diverses des anciennes législations khmères en matière de droit

foncier révèlent que cette tranche d'histoire est faiblement documentée et témoignent d'une certaine incompréhension de la part des Européens face à la conception cambodgienne de la terre. Lorsque les Français s'établissent au Cambodge en 1863, ils se retrouvent, selon eux, devant une organisation foncière « indigène» archaïque. Ils s'engagent alors à la remanier de façon à instaurer un système foncier rentable.

Sous l'ère du protectorat français, la priorité est accordée à la réforme de la propriété au Cambodge dans le but de mettre la terre en valeur. Morizon explique la conception française de l'organisation foncière khmère: «Se trouvant au royaume khmer face au néant, les premiers chefs de l'administration locale ont senti qu'il leur fallait créer le plus tôt possible une organisation foncière . rudimentaire, sous peine de voir stagner la vie économique du pays »25. Le remaniement du système "foncier vise ainsi à créer de la richesse et à faciliter le fonctionnement du crédit agricole populaire «en permettant aux directeurs de banque d'obtenir des renseignements certains sur les parcelles nanties et les charges qui les grevaient d'une façon plus complète les prêts qu'ils

. 26

consentaient» . Les Français déplorent en outre l'état du système fiscal cambodgien: si l'imposition sur les terrains de cultures fonctionne relativement bien, il en est autrement pour l'impôt sur les paddys27. En dépit des nombreux efforts déployés par l'administration française pour améliorer le système foncier au pays, le peuple khmer accueille avec une certaine méfiance leurs institutions. Comme l'indique Morizon : « De 1884 à 1926, les autorités franco-cambodgiennes n'ont pas expérimenté moins de quatre livres fonciers qui ont tous échoué et qui faisaient douter les indigènes de la pérennité de nos institutions immobilières, ont amené dans leurs esprits un certain scepticisme à leur égard »28.

25

Morizon, L 'immatriculation foncière de la propriété individuelle, supra note 15 à la p.7

26

Ibid. à la p.196.

27

Riz non décortiqué.

28

(16)

Le premier acte de constitution de la propriété au Cambodge est promulgué le 28 octobre 1884. Ratifiée la même année, la Convention du 17 juin décrète que le sol «jusqu'à ce jour propriété exclusive de la Couronne, cessera d'être inaliénable et qu'il sera procédé à la constitution de la propriété au Cambodge»29. L'administration française démontre alors la volonté d'organiser une vaste campagne d'enregistrement des terres et de mettre en place un cadastre. Pour la population rurale cambodgienne, ces mesures semblent très abstraites et «l'immatriculation foncière est ressentie comme une tracasserie administrative supplémentaire »30. Cette dernière considère que la mesure des terrains, entreprise par les employés du Cadastre, constitue en fait une stratégie pour lever un nouvel impôt31 .

32

Les législateurs français établissent par la suite un premier livre foncier , visant au recensement général de toutes les terres cultivées. Le but est d'ouvrir, à l'intérieur d'un délai de six mois, un registre de la propriété pour chaque entité territoriale 33. En vertu de cette nouvelle mesure, les Cambodgiens doivent acquérir des titres de propriété sur leur terre dans un délai de six mois, à partir du 28 octobre 1884: s'ils omettent de le faire, ils sont déchus de leurs droits. Suite à cette mesure, nombre de paysans cambodgiens se retrouvent en situation irrégulière car, en dépit des efforts fournis par l'administration pour les inciter à enregistrer leurs possessions, ceux-ci « continuent, comme par le passé, à conclure verbalement leurs contrats et quand, exceptionnellement, ils les passent par écrit, à omettre volontairement de les faire transcrire sur le registre prévu »34.

29

Décision relative à la constitution de la propriété au Cambodge, 1884, art. 9.

JO

Alain Forest, Le Cambodge et la colonisation française: Histoire d'une colonisation sans heurts (1897-1920), Paris, L'Harmattan, 1980 à la p.247 [Forest, Le Cambodge et la colonisation française)

31 1bid.

32

Le principe essentiel du livre foncier est « n'existe ce qui est inscrit ».

Voir Morizon, L'immatriculation foncière de la propriété individuelle, supra note 15 à la p.72. 3J Décision relative à la constitution de la propriété au Cambodge, 1884, art.3l.

(17)

11 Durant cette même période, l'influence de l'administration coloniale en matière de

gestion foncière s'observe plus aisément en zone urbaine. La ville de Phnom Penh, qui jouit à l'époque d'une organisation autonome, « voit ses terrains entourés de plus grandes garanties par l'administration française en raison de leur valeur vénale plus importante »35. L'accès au foncier à l'intérieur de cette dernière est

plus réglementé: contrairement à la campagne où l'acte de possession d'une terre est reconnu par le simple acte d'occupation, l'acquisition d'un terrain urbain s'effectue par le biais de demande de concession, à titre onéreux 36. Nous constaterons dans le prochain chapitre l'impact de cette différence entre le mode d'accession à la propriété en zone urbaine et en zone rurale.

Le Code civil cambodgien, promulgué par Ordonnance royale le 25 février 1920, s'inspire largement du droit français et donne des définitions et des principes qui manquaient jusqu'alors à la législation cambodgienne. Conformément au droit français, le Code définit la propriété à l'article 644 comme étant le « droit de jouir et de disposer d'un bien de la manière la plus absolue possible et à titre exclusif, sous la seule réserve de n'en point faire un usage prohibé par la loi.» Cette nouvelle définition, qui s'inspire directement de la conception romaine de la propriété privée, établit la volonté du législateur français de donner une plus grande stabilité à la propriété, de manière à dissiper le caractère mobile de cette dernière37. La même année est finalement mis en place le cadastre dont « l'idée est d'offrir un caractère juridique de base à l'institution d'un système de publicité »38.

La popularité de ce dernier se révèle assez faible. Comme l'explique Adeline Carrier:

35

Morizon, L'immatriculation foncière de la propriété individuelle, supra note 15 à la p.88.

36

Carrier, « Contexte juridique de la propriété privée », supra note 14 à la p.3l. 37

Kleinpeter, Le Problème Foncier au Cambodge, supra note 20 aux pp.195-196.

38

(18)

La création du cadastre rendant obligatoire l'immatriculaLion des terres ne paraissait pas être une démarche administrative indispensable aux regards des prérogatives engagées au sein de l'unité villageoise, prérogatives donnant l'agrément à l'occupation spontanée. Le poids du réseau local dans le mécanisme d'appropriation des terres a, en grande partie, causé l'échec des réformes entamées par le Protectorat39

Les résistances de la population khmère à l'égard de leurs réformes n'empêchent toutefois pas les autorités protectrices de poursuivre leurs entreprises. Dès 1921, l'administration française modifie le système fiscal du pays en taxant désormais les terres des cultivateurs au lieu de leurs récoltes. Cette nouvelle mesure s'inscrit dans la volonté des Français de parvenir à la fixité et la stabilité de la propriété foncière4o. Même si l'implantation d'un système de propriété foncière progresse plus rapidement à la ville qu'à la campagne et que J'on remarque la lenteur du processus d'immatriculation foncière, celui-ci produit tou tefois des résul tats probants: en janvier 1937, plus de 216 000 certificats d'immatriculations ont été délivrés, générant un revenu de 73 257 piastres41 .

Suite à la proclamation de l'indépendance en 1953 et à la création de l'État du Cambodge, les nouveaux dirigeants khmers n'entreprennent aucune initiative importante concernant la propriété et l'accès aux terrains. Entre 1945 et 1953, l'administration française n'a en fait pris aucune mesure juridique, préférant laisser à l'administration khmère le soin de légiférer en matière de droit foncier. La politique du Sangkum42 consiste donc à maintenir les réformes mises en place sous la période du protectorat sans apporter de réels changements 43. Le contexte

d'urbanisation croissante de l'époque nécessite cependant l'élaboration de politiques nouvelles pour remplacer une législation devenue périmée. En raison de leur valeur marchande supérieure, les terrains urbains sont plus soigneusement

39 Carrier, « Contexte juridique de la propriété privée », supra note t4 à la p.3ü. 40 Kleinpeter, Le Problème Foncier au Cambodge, supra note 20 à la p.99.

41 Ibid. à la p.259.

42

Le Sangkum Reaslr Niyum (Conununauté socialiste populaire) est un parti politique cambodgien, fondé dans les années 50 par Norodom Sihanouk.

Voir Encyclopaedia Britannica, en ligne: <http://britannica.com>.

(19)

13

cadastrés que les terrains ruraux, qUI font l'objet d'une régulation moms ngoureuse.

Le clivage entre les terrains urbains et les terrains ruraux s'accentue jusqu'en 1970, année où les conflits sévissant partout au pays viennent affecter la capitale de Phnom Penh, qui doit gérer le flot continu de réfugiés de la campagne. Cette époque correspond à l'appropriation spontanée des espaces urbains par les nouveaux arrivants. Comme Je décrit Carrier à l'égard de cette période tumultueuse:

Sans réel statut foncier et par manque de prise en charge de la pari de l'administration, une forme d'habitat spontané émerge aux portes de la ville mais aussi dans les moindres espaces vacants du centre-ville, donnant àla capitale J'allure d'un vaste camp de réfugié44 •

Les occupations illégales se multiplient à mesure que s'aggravent les hostilités et posent la question du statut des occupations temporaires. En raison du contexte d'instabilité politique régnant à l'intérieur de la capitale, le pennis d'occupation temporaire (POT) ne peut être remis en cause. Sur le mode similaire d'appropriation coutumière, ce dernier vaut possession. Comme le souligne Carrier, «du point de vue strictement foncier, les années de trouble qui précédèrent la chute de Phnom Penh le 17 avril 1975, mirent en lumière la grave crise liée aux problèmes d'accès à la propriété »45.

La période du Kampuchéa démocratique (1975-1979) se traduit par un collecti visme poussé à l'extrême. Cet état d'esprit se manifeste à l'article 2 de la Constitution du Kampuchéa démocratique46, qui définit que « tous les moyens de

production importants sont la propriété collective de l'État populaire et la propriété collective du Peuple communautaire. Quant aux biens d'usages courants, ils 44

Carrier,« Contexte juridique de la propriété privée », supra note 14 à la p.34.

45

Ibid. à la p.36. 46

(20)

demeurent la propriété des particuliers ». Comme l'évoque Carrier à propos de l'ère ultra-collectiviste des Khmers rouges:

Le caractère individuel et matériel de toutes formes de possesSIOn est ainSI prohibé: la lerre, l'habitation, la production sonl collectivisées. En inhibant la propriété privée dans son expression collectiviste, la symbolique même de la possession individuelle familiale, villageoise d'un bien, au sens large du thème, est orientée vers une restructuration sociale en groupe de travail47

En annihilant toutes formes de propriété privée et en détruisant les vestiges des institutions françaises en matière de droit foncier, les Khmers rouges viennent bouleverser les points de repère du peuple cambodgien. Au niveau social, ces derniers s'attaquent à l'institution la plus chère au cœur des Khmers: la famille. Cette réorganisation en profondeur de la société, marquée par la peur, la violence, la dénonciation et la trahison, affectera lourdement le peuple cambodgien. À

l'image de la révolution chinoise, le travail de la terre devient la préoccupation centrale du régime de Pol Pot, dans le but de parvenir à l'autarcie.

Sous la République populaire du Kampuchéa (1979-1989), le collectivisme revêt un caractère moins radical que sous le régime des Khmers rouges. Les orientations de la politique collectiviste de la RPK se fondent sur l'attribution des terres et des logements d'État, sans octroyer la possession définitive48. La priorité

est accordée à l' hébergement des fonctionnaires et les cadres du Parti. Le lien entre l'investissement d'un espace et les directives d'une institution est à l'époque tellement étroit, « qu'habiter en ville relève de la prouesse si l'on ne travaille pas

"' 49

pour l'Etat» .

47 •

Camer, «Contexte juridique de la propriété privée ", supra note 14 à la p.38.

48 .

Adeline Carrier, «Les marqueurs de propriété et leurs interactions dans la relation espace urbain/habitat à Phnom Penh », Laboratoire et mutation urbaine, Institut Français d'Urbanisme (lFU), 1er Congrès du Réseau Asie, Paris, 24-25 septembre 2003 à la p.2 [Carrier, « Les marqueurs de la propriété»]

(21)

15

Plus strictes dans les premIers temps, les possibilités d'acquisition des espaces vacants à l'intérieur de la capitale augmentent graduellement au fil des ans. Des mesures décentralisatrices sont prises afin de donner plus de pouvoir aux sangkat50, établissant ainsi le fragrant échec de la restructuration collectiviste de l'espace urbainsl .

À la fin des années 80, l'occupation des logements s'officialise sur la décision du Comité Populaire Municipal de Phnom Penh, qui établit des certificats de propriété immobilière. Cette mesure, qui vise à clarifier le statut incertain de plusieurs occupations, a aussi pour but de limiter le déplacement des citadins à l'intérieur de la capitale. Peu à peu, dans une orientation socialiste, la propriété privée se réintroduit en marge du corpus juridique52 . En dépit de la volonté des autorités de

contrôler les mouvements aléatoires des citadins, la pénurie de logements favorise l'occupation .spontanée des parcelles vacantes. Dans le but de remédier au statut équivoque des espaces publics, le Conseil Populaire Révolutionnaire établit des terres de populations (dey pracheachon), autorisant ainsi les occupations

/ , . . . 53

spontanees a tItre provlsolfe .

En 1989, «le rétablissement du livre foncier vient souligner le caractère informel des tenes de populations en ne reconnaissant ni les constructions ni le découpage aléatoire des parcelles »54. Face à l'occupation sporadique de terrains appartenant

au domaine de l'État, il devient impératif de procéder à la formalisation des «limites entre le public et le privé, l'individuel et le collectif »55. Ce sont les

difficultés au niveau de la fonnulation des principes d'acquisition de l'espace et du

50

Communes.

51

Carrier, « Les marqueurs de propriété », supra note 48 à la p.6.

52

Ibid. à la p.8.

53

Ibid.

54

Carrier, « Les marqueurs de propriété », supra note 48 à la p. 12.

55

(22)

logement urbains sous la RPK qui expliquent les difficultés actuelles de certaines occupations d'espaces publics.56

1. 1.2 Oe 1989

à

aujourd'hui

Lorsque la période socialiste d'occupation vietnamienne prend fin en 1989, la privatisation du régime foncier s'effectue par phases législatives successives. Comme l'indique Carrier à l'égard de ce tournant important dans l'histoire foncière du Cambodge, « ce mécanisme de refonte du régime d'occupation entraîne une redéfinition de l'ensemble des droits du sol »57. Le premier sous­

décret, promulgué le 22 avril 1989, met un terme au principe de propriété exclusive de l'État en reconnaissant le droit de propriété privée58 . Ce dernier demeure toutefois lirn..ité, la propriété collective devant rester sous le domaine de l'État. Comme l'explique Carrier en ce qui concerne la privatisation progressive du foncier et de l'immobilier au Cambodge:

Cette avancée progressive vers le libéralisme est l'amorce d'une mutation décisive, du moins au niveau de la législation, pour que soient reconnus les droits individuels des particuliers: droit d'investir, droit de posséder. .. Si l'État se place comme propriétaire des biens nationaux, les initiatives semi-privées sont encouragées59.

Cette réforme, opérée dans un contexte de transition vers une économie de marché, vise à convertir les droits d'usage détenus sur les biens fonciers et immobiliers de la capitale depuis janvier 1979 en droits réels60 et entraîne l'émergence de divers

56

Carrier, «Les marqueurs de propriété », supra note 48 à la p.12. 5?

Carrier, « Normaliser les droits du sol », supra note 9 à la p.3.

58

Carrier, « Contexte juridique de la propriété privée », supra note 14 à la p.39. 59 [bid . à la pA3.

60

L'adjectif "réel" qualifie un droit s'appliquant à un bien mobilier ou irrunobilier. On dit "un droit réel" (droit de propriété, droit d'usufruit, droit de nue-propriété).

Définition du dictionnaire du droit privé de Serge Braudo, en ligne: <http://www.dictionnaire­ juridique.com>.

(23)

17

niveaux de tenure, le plus précaire étant les empnses individuelles du domaine

61

pu bl IC' .

La première loi foncièré2, promulguée en 1992, consacre le droit individuel à la

propriété de même que le principe de non-rétroactivité des possessions foncières et immobilières antérieures à janvier 1979. Le droit à la propriété individuelle ne s'applique toutefois qu'aux biens immobiliers. Comme le spécifie Carrier: «La propriété du sol est maintenue sous le monopole de l'État et administrée en propriété publique »63. Elle ajoute plus loin que:

Le droil de propriété est subordonné à l'acte de registration cadastrale: la propriété n'est validée que si elle est au préalable immatriculée. Le titre foncier est, par conséquent, placé au centre du dispositif de la réforme en devenant de fait, l'achèvement du processus de normalisationM

Durant la période transitoire précédant et succédant à la promulgation de la première loi foncière (1989-1993), les habitants peuvent régulariser leur foncier résidentiel à travers le principe de la « préemption» de la possession: l'occupation paisible d'un logement ou d'un terrain, sur une période d'au moins cinq années consécutives, peut alors être transformée en propriété privée65 .

La Loi foncière de 2001 66 vient mettre un terme à la période transitoire en réduisant les possibilités pour les citadins khmers d'acquérir un titre de propriété selon le principe de la prescription acquisitive. Originaire du droit romalO, ce dernier sous-tend que:

61

Beng Hong Socheat Khemro and Geoffrey Payne, « Improving tenure security for the urban poor in Phnom Penh, Cambodia: an analytical case sludy", (2004) 28 Habitat International, à la p.184 [Socheal Khermo and Payne, « 1mprovi ng lenure securily »]

62 Land Law, 1992, Kret-Chhbab/lOO

63 Carrier, « Normaliser les droits du sol », supra note 9 à la p.3. 64 Ibid. à la pA.

65 Carrier, «Normaliser les droits du sol )', supra note 9 à la p.3. 66 Land Law, 2001, NS/RKM/OSOl1l4

(24)

L'occupation d'un terrain, son utilisation, sa mise en culture, est constitutive de droit dès lors qu'elle est «paisible", c'est-à-dire, exercée publiquement de manière continue, sans que personne ne proteste, pendant un certain délai. Passé ce délai de prescription, il devient impossible à quiconque d'engager un

67 recours .

Le système de prescription acquIsItIve permet alors la création d'une propriété « par le bas », en transformant une situation de fait en une situation de droit68.

Comme l'indique Carrier: «Avant d'être abrogé par la loi foncière de 2001 pour les appropriations effectives après sa promulgation, le principe de prescription acquisitive constituait, dans les faits, une réelle opportunité de régularisation »69.

Après 2001, la prescription acquisitive demeure en réalité possible mais il devient plus difficile de s'en prévaloir. Dès lors, un citadin qui souhaite se saisir de cette opportunité doit avoir occupé une parcelle sur une période d'au moins cinq ans avant la promulgation de la loi7ü. En vertu de la

Loifon~ière

de 2001, l'octroi de

titres fonciers sur les terrains appartenant au domaine public de l'État est illégal: les titres fonciers peuvent être uniquement octroyés sur des terrains appartenant au domaine privé de l'État71. Si la confusion entourant cette distinction s'avérait

problématique avant la promulgation de la loi de 2001, elle ne semble pas s'être dissipée à l' heure actuelle. Nous verrons plus loin les conséquences de l'ambiguïté persistante par rapport à la délimitation des terres appartenant aux domaines public et privé de l'État.

67 Joseph Comby, « Sécuriser la propriété sans cadastre ", (2007) Études foncières, à la p.11.

68 Joseph Comby, « Afrique: Reconnaître et sécuriser la propriété coutumière moderne", (2007) 128 Études foncières, à la p.38 [Comby, « Afrique: Reconnaître et sécuriser la propriété ») 69 Carrier, « Normaliser les droits du sol », supra note 9 à la p.3.

70 Article 30 de la Loi foncière de 2001 :

Les personnes qui ont joui d'une possession paisible et non contestée depuis cinq ans au moins à la date de la promulgation de la présente loi, sur des biens immobiliers légalement susceptibles d'être possédés de manière privative, ont droit de demander la délivrance d'un titre de propriété définitif. Une personne devra apporter la preuve qu'elle remplit elle-même celle condition de possession paisible et non contestée depuis cinq ans sur le bien immobilier en litige ou apporter la preuve qu'elle a acheté ce bien immobilier à son possesseur ou à ses ayants droit réguliers, à celui qui aurait acquis la possession par transfert ou à leur héritiers.

(25)

19 Dans le but de saisir la globalité des enjeux entourant notre objet de recherche, il

apparaît fondamental de dresser le portrait historique du Cambodge. La partie qui suit retrace les événements déterminants ayant ponctué l'histoire du pays depuis l'établissement du protectorat français et évoque, de manière détaillée, l'évolution de la capitale Phnom Penh.

1.2 Le passé mouvementé de la capitale cambodgienne

La ville de Phnom Penh porte les traces d'un passé récent douloureux. Marquée par trois décennies de guerre civile, elle tente aujourd'hui de se relever et de retrouver sa place au rang des grandes capitales asiatiques. La compréhension de l'état des lieux actuels de cette ville, autrefois surnommée la « perle de l'Asie»

pour la cohérence de ses infrastructures, ses somptueuses promenades et ses jardins 72, nécessite la présentation d'une brève rétrospective de l'histoire

contemporaine du pays.

Les Français établissent un protectorat sur le Cambodge de 1863 à 1953. La ville de Phnom Penh subit à l'époque l'influence tangible de l'administration européenne tandis qu'en zone rurale, l'empreinte de cette dernière se révèle moins prononcée. Au niveau politique, l'ère du protectorat français se traduit par une période sans heurts.

Le Cambodge proclame son indépendance en 1953. Les années qui succèdent à

cette dernière sont marquées par la consolidation de la résistance communiste à l'intérieur du pays, avec l'appui des forces communistes vietnamiennes. Cette époque correspond au règne du roi Norodom Sihanouk, qui occupe le trône depuis

Atelier parisien d'urbanisme, Phnom Penh (Cambodge) Bureau des affaires urbaines, Venise (Italie) Direzione centrale sviluppo dei territorio e mobi!ilà, Phnom Penh à "aube du XXle siècle,

Paris: Atelier parisien d'urbanisme, 2003 à la p.S. 72

(26)

1941. En 1955, il abdique de ce dernier et crée un mouvement politique national, le Sangkum, qui remporte les élections législatives avec 82% des voix. Il devient alors Premier ministre du Cambodge et domine l'arène politique jusqu'en 196273 .

Au milieu des années 60, Sihanouk subit une importante pression de la part des forces communistes et anti-communistes. Il organise des élections ouvertes en 1966 et perd ces dernières au profit des conservateurs. Le commandant de l'armée, Lon Nol, devient alors le nouveau Premier ministre et Sihanouk retrouve son titre de souverain. En 1970, Lon Nol orchestre un coup d'État alors que Sihanouk se trouve à l'extérieur du pays. La République khmère est alors proclamée. À cette époque, les forces communistes prennent de l'ampleur au pays. Les États-Unis bombardent massivement le Cambodge en 1973, dans une tentative ultime de les repousser. Le 17 avril 1975, les Communistes, appelés Khmers Krohom (Khmers rouges), dirigés par le leader Pol Pot, prennent d'assaut la capitale. La République khmère devient alors le Kampuchéa démocratique74 .

Le règne des Khmers rouges (1975-1979), au cours duquel près de deux millions· de Cambodgiens et Cambodgiennes perdent la vie, constitue une tragédie dont l'horreur continue de hanter le pays. En 1979, l'armée révolutionnaire vietnamienne renverse les Khmers rouges, prend le pOUVOIr et proclame la République populaire du Kampuchéa. La période socialiste d'occupation vietnamienne prend fin en 1989 et l'État du Cambodge succède à la RPK.

Les Accords de Paix de Paris, signés en 1991, scellent la réconciliation nationale du Cambodge. La même année, une mission onusienne, l' APRONUC (Autorité provisoire des Nations unies pour le Cambodge), arrive au pays et prépare les élections qui ont lieu en 1993. Cette même année correspond au retour de la royauté au Cambodge75. La paix ne revient toutefois pas immédiatement après la signature

des Accords de Paris. Des attaques khmères rouges ont lieu en 1994 et 1995 dans

7J Dav id P. Chandler, The Tragedy of Cambodian History: Politics, War, and Revolution since 1945, New Haven, Yale University Press, 1991 à la p.8. [Chandler, The Tragedy ofCambodian History J

74 Ibid. à la p.1 O.

75 Dominique Luken-Roze. Cambodge: vers de nouvel/es tragédies? Actualité du génocide, L' Harmattan, Paris, 2005 aux pp. 182-183 (Luken-Roze. Cambodge: vers de nouvel/es tragédies ?]

(27)
(28)

Les officiels et les habitants de l'époque construisent leurs maisons à l'intérieur de l'enceinte de la ville et désignent quelques zones spécifiques pour la cuJture du riz. Le sanctuaire construit par la vieille dame Penh est reconstruit en un large chedi (aujourd'hui le stupa 79 du Wat Phnom) et le Roi Ponhea Yat ordonne la

construction de plusieurs temples bouddhistes (wats) SO. Forcés peu après de

trouver refuge à l'est du Mékong, les Rois khmers construisent alors une capitale à

Srey Santhor, sur la rivière Tauch. Au début du 16 siècle, prenant avantage de la pression militaire exercée par les Birmans sur Siam, ils s'établissent sur le site de Lovek, à l'est du Tonie Sap. Autour de l'année 1550, les souverains khmers retournent sur le site d'Angkor et occupent les anciennes provinces de Korat et Surin (l'actuelle Thaïlande). À la fin du siècle le site est repris par les Siamois et les Rois khmers se replient dans la ville d'Oudong, qui devient la nouvelle capitale de l'empire khmersi .

Les Français proclament un protectorat sur le Cambodge en 1863. Deux ans plus tard, le site de Phnom Penh est à nouveau choisi comme capitale et centre de pouvoir royal. La ville devient rapidement un point de transit commercial important. Plusieurs marchands chinois viennent s'y établir et la capitale se développe graduellement en centre urbain. Phnom Penh rompt ainsi avec sa réputation de ville royale pour devenir un univers cosmopolite, ouvert sur le mondes2.

Les Français s'établissent sur les terrains exondés et utilisent plusieurs techniques pour se protéger des inondations. Us fabriquent des digues et remblaient des terrains à l'intérieur pour atteindre le niveau de la digues3. La ville, qui compte

79 Le stupa est un monument funéraire en forme de dôme contenant les restes d'un défunt.

80 Molyvann, Modern Khmer Cilies, supra note 78 à la p.ISI.

81 1 id. b à la p. J34.

82 Molyvann, Modern Khmer Cilies, supra note 78 aux pp.ISI el 154.

83 Christiane Blancot et Aline Hetreau-Pottier, « 1863-1953, une ville neuve dans un site d'occupation ancienne », dans Atelier parisien d'urbanisme, Phnom Penh: développement urbain et patrimoine, Ministère de la Culture, département des affaires internationales, Paris, 1997 à la p.3 J [Blancot et Hetreau-Pottier, « 1863-1963 »]

(29)

23 une population de 30 000 habitants en 1875 et dont la superficie s'étend sur trois

kilomètres, prend de plus en plus d'envergure. La nouvelle administration connaît toutefois des difficultés à gérer les conséquences de cette expansion et doit faire face à plusieurs problèmes de salubrité en raison des rues fangeuses et des nombreux trous qui, parcourant ces dernières, forment des mares insalubres. L'absence d'eau potable, d'éclairage public et d'hôpital démontre la désuétude de la ville à l'époque. En 1890, sur l'initiative du nouveau Résident français Huyn de Veméville, de grands travaux d'aménagement, d'assainissement et d'embellissement de la capitale sont entrepris84 .

La ville de Phnom Penh est divisée en trois quartiers différents: au nord, le quartier européen; au centre, le quartier chinois; au sud, le quartier cambodgien, près du Palais royal. S' y ajoutent par la suite un quartier annamité5 et un quartier catholique ancien (principalement occupé par des Vietnamiens et des Malais), au nord du quartier européen. Ce zonage ethnique, qui ne résulte pas d'une initiative de l'administration française, relève plutôt de la volonté cambodgienne de maîtriser tant le territoire que les populations86.

Suite à la Première guerre mondiale, d'ambitieux projets d'extension et d'embellissement sont initiés à Phnom Penh, suite à la promulgation de la loi Cornudet de 1919, laquelle impose l'amélioration de chaque ville, qu'elle soit de la Métropole ou des colonies87 . Parmi les réalisations importantes citées dans un

bilan dressé en 1945, figurent les suivantes:

84

Blancot et Hetreau-Pollier, « 1863-1963 », supra note 83 aux pp.30-32.

~ e

Habitant de l'Annam, l'actuel Vietnam. Lors de la France conquiert le Vietnam au J9 siècle, elle divise ce dernier en trois partie: Je Tonkin au nord, l'Annam au centre et la Cochinchine au sud.

86

Blancot et Helreau-Pollier, « 1863-1963 », supra note 83 à la p.33. 87

(30)

La création d'un chemin de fer de Phnom Penh à la frontière du Siam; le développement intensif de la circulation aUlOmobile (tourisme, transport) grâce à la construction de nombreux ouvrages d'art importants et à la route nouvelle du Mékong vers le Laos ouverte en 193988

Durant la même période, un nouveau quartier commercial, pivotant autour d'un marché couvert réputé comme étant le plus beau d'Extrême-Orient, est créé. La ville se trouve également embellie par le comblement des canaux89 .

En 1953, le Cambodge obtient son indépendance de la France. Phnom Penh devient alors la capitale de l'État indépendant du Cambodge. Chef du nouvel État, le roi Norodom Sihanouk lance une politique permettant l'élaboration de grands travaux sur l'ensemble du territoire et à l'intérieur de la capitale. La superficie de Phnom Penh double en moins de quinze ans et sa population, évaluée à 360 000 habitants en 1956, atteint les 400 000 habitants en 1962. L'administrateur de la ville, Tep Phan, s'associe à un jeune architecte khmer, Vann Molyvann, formé à l'École des Beaux-arts de Paris. Influencé par le style de Le Corbusier et par le Mouvement moderne, ce dernier contribue à donner un nouveau visage à la capitale cambodgienne9o.

L'année 1960 correspond à la naissance d'un nouveau Phnom Penh: le Phnom Penh Thmei. Il s'agit d'un vaste plan d'extension de la ville vers le nord-ouest. À

la fin des années 60, tout est déployé afin que Phnom Penh devienne la grande capitale d'un pays en développement. À l'époque, la population croît rapidement, passant de 400 000 habitants en 1962 à un million d'habitants en 1970. De 1970 à

1975, seules de grandes digues sont construites à distance de la ville dans un but essentiellement militaire alors que les hostilités sévissent en zone rurale. Durant

88 Blancot et Hetreau-Potlier, « 1863-1963 », supra note 83 à la p.36.

89 Léo Craste, « Urbanisme et architecture en Indochine », (1945) 3 Architecture d'Aujourd'hui, à la p. 100.

90 Guy Lemarchands, «Phnom Penh, capitale de l'État indépendant du Cambodge », dans Atelier parisien d'urbanisme, Phnom Penh: développement urbain et patrimoine, Ministère de la Culture, département des affaires internationales, Paris, 1997 à la p.44 [Lemarchands, «Phnom Penh, capitale de l'État indépendant »]

(31)

25 cette période, des milliers de réfugiés chassés des campagnes se réfugient dans la

capitale, ayant pour effet de faire doubler sa population91 .

1.2.2 Oes Khmers rouges au XX/e siècle: mutations via/entes

Les Khmers rouges prennent le pouvoir à Phnom Penh le 17 avril 1975. Ils vident alors la capitale de la presque totalité de ses habitants. Au total, 2.5 millions de personnes quittent la ville et se mettent en route vers les campagnes avoisinantes, où ils devront effectuer des travaux forcés92 . Sous la direction de Pol

Pot, les Khmers rouges entreprennent une vaste réforme de collectivisation foncière d'inspiration chinoise. La propriété privée est alors abolie et les cadastres détruits93. Les Khmers rouges suppriment également toutes les formes de marchés

et la monnaie94 . lis ordonnent aussi la fermeture des pagodes, défroquent les

bonzes et élimine les récalcitrants95. Tous les

~pposants

au régime (ou soupçonnés

de l'être) se voient traités' de contre-révolutionnaires et sont exécutés. L'ère du Kampuchéa démocratique est née.

Pour les Khmers rouges, la ville représente le symbole de l'exploitation, de la décadence et du vice. Ils attribuent en fait à cette dernière tous les maux de la

91 Lemarchands, « Phnom Penh, capitale de l'État indépendant », supra note 90 à la p.48.

92 Luken-Roze, « Cambodge: vers de nouvelles tragédies? », supra note 75 à la p.1 05.

93 Le cadastre est un ensemble de documentation permettant de décrire l'occupation humain des sols et ses limites. Il comporte d'une part une documentation «littérale» (écrite) sous forme de tableaux (matrices cadastrales) qui indique les conditions d'occupation, de propriété, d'imposition, d'utilisation, etc. (selon le type de cadastre) de chaque terrain. Un numéro d'identification de chaque terrain permet de relier ces des documentations.

Le cadastre est dit « fiscal» s'il a pour objet la perception d'un impôt. La base d'imposition de chaque terrain y est alors définie.

Le cadastre est dit «juridique" s'il a pour objet la définition des droits du sol et en particulier la délimitation des propriétés et l'identification des propriétaires.

Le cadastre est dit « technique» ou «domanial" s'il a pour objet la gestion de l'espace. C'est le cas des cadastres «agricoles", «urbains", «forestiers» qui existent dans les pays à régime « socialiste ».

Définition dans Comby, « Les mots du foncier, supra note 18 à la p.24.

94 Ben Kiernan, The Pol Pot Regime: Race, Power, and Genocide in Cambodia under the Khmer Rouge, 1975-79, Yale University Press, New Haven and London, 1996 à la p.55.

(32)

société. C'est sous ce prétexte que les citadins de toutes les villes sont expédiés en zone rurale, contraints de vivre dans d'épouvantables conditions. Durant cette période, la capitale ressemble à une ville fantôme. Même les hauts dirigeants Khmers rouges n'ont pas l'autorisation d'y demeurer longtemps. Ceux qui y travaillent doivent rester dans le périmètre précis qui leur a été assigné. Les nombreux bâtiments inhabités servent à l'entreposage des « butins de guerre» ou « biens collectifs» : tissus, céréales, appareils divers, voitures, motos, etc.96

Durant cette période, la ville de Phnom Penh est transformée en énorme champ: « Les fleurs, les jardins, considérés comme capitalistes et superflus, sont détruits et remplacés par des plantes « utiles» comme les cocotiers, les bananiers et les légumes »97. La capitale cambodgienne, sous ses allures de ville fantôme, reflète la tragédie d'un pays qui perdra, en moins de quatre ans, près du quart de sa population.

Le 7 janvier 1979, les troupes du « Front» et de l'armée vietnamienne entrent dans la capitale et renversent le régime des Khmers rouges. Les leaders de ce dernier prennent la fuite vers la frontière thaïlandaise avec leurs troupes et des milliers de civils98. Les troupes vietnamiennes mettent alors en place un nouveau pouvoir, celui du « Front national d'union », qui sera appelé Parti révolutionnaire du Kampuchéa à partir de 1981. La République populaire du Kampuchéa (RPK) est alors proclamée, avec à sa tête le président Hen Sarnrin (ancien cadre khmer rouge) et le Premier ministre Pen Sovann (un Khmer vietminh réfugié à Hanoï en

96 Kieu Kanharith, « 1979, les premiers jours du nouveau Phnom Penh », dans Atelier parisien d'urbanisme, Phnom Penh: développement urbain et patrimoine, Ministère de la Culture, département des affaires internationales, Paris, 1997 à la p.SO. [Kanharith, « 1979, les premiers

jours du nouveau Phnom Penh

»J

97 Ibid. à la p.SO.

(33)

27

1954)99. Celle-ci reçoit l'appui du gouvernement vietnamien et des pays du bloc soviétique100.

Le repeuplement de la capitale ne s'effectue pas immédiatement après l'arrivée des Vietnamiens. La population se trouve refoulée à l'entrée de la ville et doit attendre la mise en place de la nouvelle administration. Des barrages sont érigés afin de les empêcher de pénétrer dans la capitale. Les gens se regroupent et s'installent le long des routes nationales. L'attente dure plusieurs mois 101.

Dès lors, les membres du Front demandent aux cadres et aux anciens fonctionnaires de se manifester dans le but de former une nouvelle administration. Ces derniers procèdent ainsi à leur recensement et à leur sélection pour organiser cette dernière. Jusqu'en mars 2008, une centaine de personnes suit des cours politiques,02.

Sous la période socialiste d'occupation vietnamienne, la capitale est scindée en deux. La première partie, à l'est du boulevard Monivong, est attribuée au comité central du Parti tandis que la seconde, à l'ouest, appartient à la municipalité. « Ainsi se répartiront les affectations de logements aux fonctionnaires: l'État à l'est et la municipalité à l'ouest »103.

En mai 1979, les nouveaux fonctionnaires reviennent en ville mais obtiennent la permission d'y résider seulement à partir de juin. On les encourage à élire domicile près de leur lieu de travail. Quant aux militaires, ils obtiennent le droit de

99 L uken-Roze, « Cambodge: vers de nouvelles tragédies? ", supra note 75 à la p.17I.

IDO TY Yao, « 1979-1990, le retour et la réorganisation de la vie urbaine», dans Atelier parisien d'urbanisme, Phnom Penh: développement urbain et patrimoine, Ministère de la Culture,

département des affaires internationales, Paris, 1997 à la p.54 [Yao, « J979-1990 »]

101 Ibid.

102 Yao, « 1979-1990 », supra note 100 à la p.54. 103 Ibid.

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