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Perspectives secrètes

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-03185390

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Submitted on 30 Mar 2021

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Perspectives secrètes

Pauline Desiderio

To cite this version:

Pauline Desiderio. Perspectives secrètes : illusion et paradoxe en image. Les Yeux brouillés, 2016, 1, pp.74-81. �hal-03185390�

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DESIDERIO Pauline,

CRISES (E.A. 4424), Université Paul-Valéry Montpellier Rue du Professeur Henri Serre

34090 MONTPELLIER

pauline.desiderio@etu.univ-montp3.fr PERSPECTIVES

SECRÈTES

ILLUSION ET PARADOXE EN IMAGES

L’anamorphose ouvre l’image, la morcelle, la défigure, la détruit pour la faire surgir en un seul point de vue. Évoluant à la frontière entre réel et virtuel, elle se joue des illusions et des paradoxes pour offrir au spectateur une expérience imprévisible.

L'anamorphose est un terme utilisé dès le XVIIe siècle, pour définir la projection monstrueuse déformée d'une image qui, à un certain point de vue, prend une forme reconnaissable. La pratique de l'anamorphose est connue avant cette date sous le terme de « perspective secrète ». Jurgis Baltrušaitis la définit ainsi:

« Au lieu d'une réduction progressive à leurs limites visibles, c'est une dilatation, une projection des formes hors d'elles- mêmes, conduites en sorte qu'elles se redressent d'un point de vue déterminé : une destruction pour un rétablissement, une évasion mais qui implique un retour.1 »

Retour qui, dès l'étymologie du terme implique la notion de mouvement, voire de retournement. En effet, l'anamorphose ne peut s'envisager sans cette idée de passage, c'est dans le déplacement qu'elle prend son sens et le perd étant directement lié au point de vue. L'anamorphose implique le déplacement de l'artiste lors de la création puis du spectateur pour faire surgir et disparaître des éléments. Or ce chemin se vit comme une véritable expérience singulière, en effet l'image, sa forme, n'est jamais donné à celui qui l'observe. Il doit chercher. Ce processus artistique peut se voir comme un paradoxe visuel, tentons alors de penser comment l'anamorphose permet une expérience phénoménologique de la perception.

Pourtant, en même temps que cette expérimentation sensorielle, l'anamorphose se donne comme une énigme visuelle que l'auteur comme le spectateur tentent de résoudre. Or, comme le pose déjà la définition, cette énigme se fait toujours par le biais du retour, du retrait. L'image s'arrache tout en s'affichant, conservant toujours une ombre, un point impossible, une faille. Elle est comme le rêve qui, lorsqu'on tente de l'attraper au réveil, s'est déjà retiré dans l'ombre, ne nous laissant que quelques images comme signe de l'oubli. Selon Freud, l'analyse permettrait de déjouer ce retrait en tentant d'en comprendre les déformations pour que le rêve s'affiche enfin comme une image unifiée et formée. Une telle approche pourrait-elle nous en 1 J. Baltrušaitis, Anamorphoses ou Thaumaturgus opticus, Les Perspectives dépravées, 1955, Flammarion, Paris, Édition 1996, p. 7.

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dévoiler un peu plus sur ce phénomène optique curieux qui consiste à cacher des images pour mieux les faire resurgir au moment impromptu, comme le rêve ?

Une expérience singulière de la perception

L'anamorphose peut se définir comme une œuvre reposant sur la formation, la déformation, et la transformation d'une image en fonction du point de vue du spectateur. En effet, l’anamorphose nécessite non pas un œil fixe comme la peinture classique, mais un regard mouvant. C'est dans cette vue mobile, et uniquement dans ce mouvement, que peut se voir l'anamorphose. En effet, sans transformation en fonction du point de vue, elle perd son caractère atypique pour ne plus être qu'image ou trompe-l’œil. Autrement dit l'anamorphose ne peut exister qu'en proposant différents points de vue sur l'image. Ces points de vue peuvent être physique ou mentaux, il peut s'agir d'un déplacement réel dans l'espace (dans le cas des anamorphoses directes, quand la forme ne dépend que du point de vue du spectateur), ou d'un changement de manière de regarder, d'analyser, de structurer l'image (dans le cas des images doubles, les images qui en cachent d’autres).

L'autre point important d'une telle définition est la notion de déplacement, une œuvre ne peut alors se saisir que par un cheminement, l’œuvre n'est jamais déjà là, mais toujours à réactualiser. Le principe d'œuvre ouverte n'implique alors plus uniquement une recherche théorique (poétique, philosophique, historique, analytique, sociologique…) mais une exploration de notre système perceptif. Comment se forme l'image ? Qu'est-ce-qui fait

forme ? Comment l'anamorphose, qui se présente à l'origine comme des sensations éparses, peut tout à coup se révéler comme forme. Ce processus peut, peut-être, se rapprocher de sensations primitives, comme le nouveau né voit avant de savoir, comment il prend (grâce à ses sens) avant de comprendre. Si ce chemin de la sensation à la reconnaissance intelligible

est quasiment automatique au cerveau humain, l'anamorphose va par sa déconstruction de l'image, nous permettre de le séparer à nouveau, afin de mieux comprendre peut-être comment la forme fait image. Voir les structures anamorphiques directes d'un autre point de vue que celui où l'image fait forme, permettrait de prendre conscience de la distinction des éléments que nous voyons. Ainsi comme le dit Merleau-Ponty :

« Un champs visuel n’est pas fait de vision locales. Mais l’objet vu est fait de fragment de matière et les points de l’espace sont extérieurs les uns aux autres. Une donnée perceptive isolée est inconcevable, si du moins nous faisons l’expérience mentale de la percevoir. Mais il y a dans le monde des objets isolés ou du vide physique.2 »

Pénétrer dans un lieu où une pluralité d'éléments distincts semblent former un tout, mais sans que ce tout ne soit appréhendable comme une forme, un objet, une image, met le spectateur en interrogation. Il permet ainsi de revenir à cet état d'indifférenciation des choses, regard primitif d'une pure vision des choses. Pourtant ce retour de la sensation pure n'est pas intuitif. Merleau-Ponty tente de faire le cheminement inverse, de partir de la forme pour revenir à la sensation. Finalement la forme ne se forme que dans notre esprit, le stimuli de 2 M. Merleau-Ponty, Œuvres, Quarto (Paris: Gallimard, 2010), p. 676.

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reconnaissance de la forme n’existe que dans chaque cerveau, peu ou proue au même endroit, mais jamais réel.

L'anamorphose nous dévoile un véritable paradoxe, en nous montrant ce qui n'existe pas en soi, et nous fait ainsi douter de tout ce qui existe, notre champ visuel n'étant qu'une multitude de point distinct.

Le rêve comme résolution des contraires

Si par définition l'anamorphose se joue du paradoxe de la forme et de l'informe, pour mieux nous interroger sur la nature des images (rappelons que Descartes lui-même, avait une grande admiration pour l'anamorphose), elle le fait dans une seule œuvre. Elle réunit ainsi, tel un oxymore, deux notions contraires.

Ce phénomène n'est pas sans rappeler un procédé identifié par le psychanalyste Sigmund Freud dans Sur le rêve. En effet, il nous décrit qu'après analyse, les rêves, ou les souvenirs qui nous restent de ces élucubrations nocturnes, prennent des formes étonnantes, par exemple : « Il n'est pas rare non plus que le travail du rêve se plaise à former une image composite avec deux images contradictoires.3»

Le rêve déforme certes, mais dans une logique très particulière, une presque non-logique, un contraire de logique, unissant les opposés. Ainsi il n'est pas étonnant que les rêves nous paraissent absolument insensés au réveil puisqu'ils fondent dans une même forme, ce que conscient nous opposons. Pour le dire autrement, ils réunissent ce qui pour notre esprit n'a d'autre contact que la privation totale de lien entre les deux, l'absence de l'un à l'autre par essence. Dans le texte Du sens opposés des mots primitifs, il explique que dans des langues aussi éloignées que les hiéroglyphes égyptiens ou les langues germaniques,certains mots signifiaient à la fois un sens et son contraire, ainsi un même mot pouvait signifier « grand » et « petit ».

Cette résolution des contraires qui nous avait alors paru, au premier abord, absolument inconcevable se révèle finalement comme la révélation d'une négation de l'inconscient des contraires, comme il nie le temps, ou la mort. Les contraires ne sont alors plus opposées mais deux apparences d'une même idée selon des points de vue différents, ils sont réconciliable sous une même forme dans l'inconscient, comme ils l'ont longtemps été dans le langage. Ce procédé de la résolution des contraires, peut-elle permettre d'analyser, non pas explicitement l'art, mais cette pratique étrange qu'est l'anamorphose, ces images déformées qui a un point de vue très particulier vont pouvoir se redresser, prendre forme ?

Cette comparaison est dangereuse puisque Freud, lui-même, nous alerte, à plusieurs reprises sur la comparaison du rêve et de l'œuvre d'art, signalant qu'il ne serait pas judicieux de d'appliquer à la lettre, son système d'analyse à l'art . Pourtant, en toute conscience de cette

3 S. Freud, Le rêve et son interprétation, (ou Sur le rêve) 1925, Èdition Gallimard, Saint-Amand, 1975, p. 49.

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difficulté, il semble que si ce modèle devait s'adapter plus à une forme artistique qu'à une autre, ce serait peut-être de l'anamorphose qu'elle se rapprocherait le plus.

Le premier point commun entre le rêve et l'anamorphose est le caractère absolument instable des images qui les composent. Il est impossible de conserver les images d'un rêve sous la forme imaginaire du temps du sommeil. Elles s'effacent dès le réveil ou deviennent narrative, perdant ainsi leur essence. Ce même phénomène se produit avec l'anamorphose qui est, par nature, instable puisqu'elle ne peut se révéler, ou du moins révéler une partie de son image, qu'à un point de vue très particulier, un point de vue unique, toujours temporaire. La pensée comme le rêve s'exprime en images, mais en images étranges, impalpables, immatérielles, comme des anamorphoses, qui s'effacent en tout ou en partie de nos mémoires. Ce qui est alors vrai pour toute image l'est encore plus pour l'anamorphose puisqu’elle offre une apparence intangible, proche de celle du rêve, qui, dès son apparition, est rejetée par la conscience. L'anamorphose comme le rêve est alors refoulée, puisqu'elle semble à nos yeux éveillés insensée.

D'ombres et de Lumières :

L'autre point commun entre le rêve et l'anamorphose est le recourt à la résolution des contraires. Outre la forme et l'informe, d'autres paradoxes visuels utilisent ce ressort. C'est notamment le cas des œuvres que William Kentridge a présenté dans l'exposition Da Capo. Cette exposition présentait le travail de sculpture de l'artiste (une pièce était exposée sur place, les autres retranscrites par vidéo). Jouant comme les autres anamorphoses de la forme et de l'informe, les structures rotatives d'abord abstraites deviennent figuratives à un moment et un seul de la vidéo. Le mouvement simule le parcours du spectateur autour de l’œuvre. L'unique œuvre présentée reposait sur le même principe, auquel était ajouté un point lumineux. C'était alors la lumière qui symbolisait l’œil du spectateur. En éclairant la sculpture, le spectateur était invité à scruter l’ombre de cette dernière, à la voir évoluer. Il avait ainsi simultanément deux points de vue différents sur la sculpture sans se déplacer. Pourtant lorsque l'image devenait figurative, ce n'était que l'ombre de l'objet qui le devenait. Le point de vue étant occupé par la lumière, il était impossible pour le spectateur de la voir. Or ce processus, qui n'est sans rappeler l'Allégorie de la Caverne de Platon, travaille sur deux résolutions des contraires : l'ombre et la lumière, mais aussi l'un et le multiple. Si la lumière donne à voir la multiplicité des pièces agencées de la sculpture, la pénombre les unit quant à elle dans une ombre unique, comme la nuit avale toutes les différences pour tapir dans l'unité de l'obscurité les objets individualisés à la lumière du jour.

Grand et petit

Markus Raetz utilise lui aussi la sculpture anamorphique pour se jouer des paradoxes, des mots (une même sculpture écrit les mots « oui » ou « non » en fonction du point de vue du spectateur), ou des notions, tel l'hommage à Man Ray qui est à voir non plus dans les deux sculptures exposées mais entre elles... Dans un même temps, il transforme le vide en plein et vide le plein de toute substance, en invitant le spectateur à négliger l’objet pour regarder son absence. Dans son œuvre Gross und Klein (Grand et Petit), par déplacement autour de la

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sculpture, la forme de bouteille devient verre, et celle du verre devient bouteille. Plus encore, le verre, qui de prime abord, paraissait plus petit que la bouteille devient plus grand, et la bouteille plus petite. Le spectateur est alors catapulté dans l'univers d'Alice, autre espace artistique rêvé où les contraires se résolvent comme par magie. Sauf que dans l'anamorphose, pas de magie, seulement un principe de relativité appliqué tant au point de vue du spectateur, qu'à la taille ou à la forme des objets. Si comme dans les rêves, tout peut être tout ou son contraire, l’anamorphose nous invite à remettre en question chaque image (rappelons que Descartes lui-même avait une grande admiration pour l’anamorphose), et peut-être au-delà, toute notion de vérité.

Vérité et mensonge

Le travail de Markus Raetz est particulièrement sensible dans la réinterprétation de la fameuse toile de Magritte sur la trahison de l'image : Non-fumée . Le sculpteur imbrique dans cette anamorphose deux images de pipes, la première devenant en tournant autour de l'objet, la fumée de la deuxième. Ceci n'est pas une pipe semble nous dire le sculpteur ; ceci n'est que de la fumée, de l'illusion, de la poudre aux yeux. Mais comme le dit le psychanalyste :

« On se tromperait pourtant si l'on ne voulait voir dans cette première façade du rêve, qu'une méprise ou un caprice de notre activité psychique consciente.4 »

En effet par le choix de transformer la forme en fumée il la détruit. Mais, l'auteur nous invite à nous rappeler qu'il n'y a pas de fumée sans feu.

Les anamorphoses résolvent un ultime paradoxe. Lorsque l'on découvre les photographies du travail de Felice Varini, on se demande si l'image est bien réelle, si elle n'a pas été retouchée numériquement, si elle n'est pas virtuelle. Or, si ses œuvres ne sont créés que par le biais d'une illusion en jouant sur la perspective, les formes qui s'affichent interrogent un autre sens du mot "virtuel", celui plus classique désignant : "en puissance, toujours possible". Les œuvres anamorphiques sont actuelles, finies, définitives, mais restent, malgré tout, éternellement virtuelles, toujours à refaire. Fini et non-fini à l'infini, les anamorphoses sont alors (paradoxalement) comme le Phœnix : elles sont à chaque instant en création, tout en s'embrasant vers une sempiternelle destruction.

Références

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