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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Incertitudes, ignorances et questionnements soulevés par une controverse technoscientifique sur les dangers de la téléphonie mobile

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Academic year: 2021

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A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXV, 2003

INCERTITUDES, IGNORANCES ET QUESTIONNEMENTS

SOULEVES PAR UNE CONTROVERSE

TECHNO-SCIENTIFIQUE SUR LES DANGERS DE LA TELEPHONIE

MOBILE

Virginie ALBE

Ecole Nationale de Formation Agronomique (ENFA), Toulouse

MOTS-CLÉS : TECHNOSCIENCE – CONTROVERSES – EPISTEMOLOGIE – DECISIONS

RESUME : Dans le cas de questions socio-scientifiques controversées, les étudiants se trouvent confrontés à une “ science en train de se faire ”. Les scientifiques sont en désaccord et les controverses sont porteuses d’incertitudes. Dans ce contexte, comment les étudiants prennent des décisions ?

ABSTRACT : With socio-scientific issues, students are confronted to a “ science in the making ”. Scientists disagree and knowledge is controversial and uncertain. How students make their decisions ?

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1. DES INCERTITUDES EXPERTES QUI DELIMITENT LE CHAMP DES IGNORANCES En ce qui concerne la téléphonie mobile, de nombreuses questions sont en débat dans le domaine de la recherche et dans la société. Par exemple : Quelles bases déterminent les seuils d’exposition adoptés ? L’utilisation des téléphones cellulaires est-elle dangereuse pour la santé ? Les antennes-relais provoquent-elles le cancer ? Ces questions interpellent les experts, questionnent le statut des savoirs scientifiques, placent les incertitudes au cœur du débat. Comme l’indiquent Callon et al. (2001) “ on pensait que, pour prendre de bonnes décisions, il suffisait de s’appuyer sur des

connaissances indiscutables, et voilà qu’il faut prendre des décisions alors qu’on est plongé dans les incertitudes les plus profondes… Que faire, alors qu’aucun fait indiscutable, aucun expert ne peut nous rassurer ? ” Comme le souligne Dillenseger (2000) “ l’incertitude n’est pas synonyme d’ignorance, mais fait partie intégrante du processus de recherche. ” Ainsi, l’expertise manifeste

l’irréductible incertitude des situations soumises au principe de précaution. Testard (2000) souligne l’incohérence à confier aux seuls experts l’élaboration des prises de décision. Cette approche, adoptée notamment par la Commission européenne s’apparente selon lui à “ une situation idyllique

(la science doit savoir, par principe), tout en évoquant les insuffisances actuelles (le degré d’incertitude), tenues pour passagères, et en refusant d’autres arguments qui échappent définitivement à la science, même s’ils ne sont pas davantage incertains que l’évaluation scientifique. ” Testard souligne la polarisation de l’expertise sur les aspects techniques au détriment

de la prise en compte d’aspects moraux, éthiques, sociaux. Or les problèmes ne sont pas seulement techniques, ils sont sociaux, mais les citoyens “ profanes ” ne participent pas au débat. “ Entre la

science et la loi, rien ou si peu. Les citoyens, au nom desquels on devrait introduire l’innovation en question, se trouvent largement évincés : c’est le chaînon manquant du dispositif ”, Testard (2000).

Face à l’hégémonie du discours scientifique, Testard plaide, comme Callon et al. (2001) pour une mobilisation des savoirs profanes dans les controverses techno-scientifiques. Pour Dillenseger (2000) “ l’analyse des risques n’est pertinente que si on l’envisage du point de vue des doutes et

incertitudes partagés par les scientifiques et les non-scientifiques, c’est-à-dire qu’il convient d’accorder autant d’importance au savoir qu’au non-savoir ”. Salomon (1992) signale le besoin “ de renforcer les procédures d’information, de consultation et de négociation qui garantissent le fonctionnement démocratique de nos institutions. ” Afin de favoriser une démocratisation des

technosciences, préoccupation soulignée par de nombreux auteurs dans le domaine de l’éducation aux sciences, nous avons réalisé un débat en classe sur la question controversée de la dangerosité des téléphones cellulaires. Les étudiants sont en formation de technicien supérieur en électronique en Tunisie. Nous avons étudié comment évoluent leurs prises de positions face à cette technologie controversée. Quelle importance prennent les connaissances scientifiques et technologiques et les

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considérations socio-épistémologiques dans les prises de décision ? Quelles postures les étudiants adoptent face à des savoirs incertains et controversés ? Quels sont leurs rapports aux “ savoirs experts ” ?

2. UNE SITUATION DEBAT SUR UNE QUESTION "CHAUDE" : LA DANGEROSITE DES TELEPHONES MOBILES

Un débat à propos d’une technoscience controversée constitue une occasion de questionner l’autorité de la science, de s’interroger sur les différentes interprétations des phénomènes et des désaccords de la communauté scientifique, de se trouver confronté à l’incertitude de savoirs non stabilisés. Les téléphones cellulaires sont-ils dangereux pour la santé ? est une situation-débat inspirée d’un module de formation développé par Hind, Leach & Ryder (2001) élaboré pour permettre aux étudiants de développer leur compréhension de l’évaluation de la qualité de données scientifiques. Les 10 étudiants jouent le rôle de témoins experts dans le cas d’un procès où un employé poursuit son employeur pour son mauvais état de santé pour lequel il a dû quitter son travail. Ils se répartissent en 2 groupes : les experts auprès des avocats de la défense et de la partie civile. Ils étudient 7 extraits de recherche portant sur l’apparition de maladies sur des animaux, des enquêtes épidémiologiques, des tests sur la mémoire. Nous avons procédé par questionnaires pré et post débat pour identifier les points de vue des étudiants face à la dangerosité des téléphones mobiles. Les étudiants ont à répondre par écrit aux questions suivantes : Selon vous, les téléphones

cellulaires sont-ils dangereux pour la santé ? Pourquoi ? et en plus dans le post-test à la question : A quelles conditions changeriez-vous d’avis ? Pourquoi ?

Par ailleurs, afin de mettre au jour des points de vue des étudiants à l’égard des sciences, des technologies et de leur fabrication, nous avons utilisé le questionnaire VOSTS “ Views on Science, Technology and Society ” élaboré par Aikenhead (1987). Cette banque d’items permet la confrontation à une gamme de points de vue pour effectuer un choix et nous avons retenu des items à caractère épistémologique portant sur la production des savoirs technologiques, l’influence des scientifiques dans les activités d’observation, les origines des désaccords entre scientifiques et la nature du savoir scientifique. Les choix effectués par les étudiants nous fournissent des indices de leur positionnement épistémologique que nous considérons comme un long cheminement, et pas des figures permanentes mais plutôt des instantanés discrets d’un processus inévitablement continu

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2.1 Points de vue sur les sciences, les technologies, les sociétés

Pour tous les étudiants interrogés, le développement des connaissances technologiques n’apparaît pas indépendant des développements scientifiques. Soit, d’une part, les technologies s’appuient sur les découvertes scientifiques, soit, d’autre part, sciences et technologies se développent de manière semblable. Pour la plupart des étudiants, les savoirs scientifiques sont considérés comme des corpus de connaissances systématisées reposant sur des postulats particuliers et, pour certains dont la finalité est l’exploration et la découverte de la nature. Pour d’autres, moins nombreux, la finalité est le progrès. Pour un étudiant, les savoirs scientifiques apparaissent comme une pratique sociale marquée par des conflits, des tensions. Ceci laisse apparaître une méconnaissance des modes de construction des savoirs technologiques et de leur articulation avec les savoirs scientifiques et les évolutions sociales. Cela n’est pas surprenant, compte tenu des contenus scientifiques enseignés à l’école, qui, comme beaucoup l’ont montré, semblent déconnectés de tout contexte socio-historique et dont la finalité principale consiste à dévoiler les lois de la nature, cette dernière apparaissant comme a-technologique. Selon Fourez, les jeunes vivent aujourd’hui au contraire dans un monde qu’il qualifie de “ techno-nature ”.

Si la plupart des étudiants identifient comme sources de désaccords entre scientifiques des interprétations différentes, des influences de compagnies privées ou de gouvernements, des valeurs morales, des motifs personnels, des opinions politiques, ils adhèrent dans le même temps à l’idée d’une observation indépendante des observateurs et des contextes (théoriques, interprétatifs, etc.). Ce choix est la marque d’un certain empirisme, et renvoie à la primauté des faits scientifiques. Est-ce à dire que les faits sont indiscutables ? Que les données issues des observations ne peuvent que mettre tous les scientifiques d’accord ? Comme si une évidence visuelle conduisait les scientifiques à s’accorder face à l’évidence des faits (Bader, 2003), les désaccords faisant quant à eux intervenir des conflits de valeurs et d’intérêts personnels. Ces résultats nous permettent de souligner que semble dominante une conception empirico-réaliste des sciences chez les étudiants interrogés. Rappelons cependant comme Aikenhead le mentionne lui-même que l’influence de la formulation des questions VOSTS sur les choix de réponses des étudiants reste une limite reconnue de ce type d’outil.

2.2 Ce qui fonde les prises de décision des étudiants face à la question controversée de la téléphonie mobile

Les points de vue des étudiants avant le débat sont majoritairement en faveur de la dangerosité des téléphones. Leurs justifications se basent principalement sur l’effet des ondes sur la santé, avec pour certains des erreurs conceptuelles (nature des ondes, technologie des téléphones). Après le débat, les points de vue sont majoritairement en faveur de la dangerosité des téléphones et la plupart des

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étudiants a changé d’avis personnel, certains s’étant orientés vers plus d’incertitude. Les justifications se basent principalement sur des idées courantes relatives aux effets des ondes sur la santé et sur des croyances sur les sciences et les technologies et dans une moindre mesure leur socialité. La demande de preuves scientifiques et les désaccords entre scientifiques informent leurs conditions de changement d’avis sur la dangerosité des téléphones cellulaires.

Les désaccords et les incertitudes ne sont pas vus par les étudiants comme inhérents aux processus de recherche mais sont considérés comme liés au stade d’immaturité des sciences dans le domaine. Les déclarations des étudiants selon lesquelles “ bien sûr dans plusieurs années, on saura, on aura une réponse certaine, une certitude ” constituent un indice d’une conception des processus de construction des connaissances comme un procédé cumulatif et progressif. Cette difficulté à percevoir les origines des désaccords entre scientifiques n’apparaît pas sans lien avec une conception empirico-réaliste des sciences. Comme d’autres auteurs l’ont montré lors de l’étude de controverses socio-scientifiques actuelles (réchauffement climatique, Bader, 2003 ; manipulation du matériel génétique d’êtres vivants, Larochelle et Désautels, 2001), l’image dominante des sciences comme quête méthodique et décontextualisée du réel ne permet pas de reconnaître la part inévitable d’incertitudes, de polémiques dans les démarches scientifiques. Dans une épistémologie empirico-réaliste, la preuve scientifique est conçue comme un “ dévoilement de la nature ” et constitue un “ Parangon de vérité ”, élément clé qui résout la controverse. Face à l’incertain et en contexte de controverses, les étudiants déclarent qu’ils utilisent leur téléphone alors même qu’ils affirment pour la plupart leur ignorance d’une incidence éventuelle sur la santé.

3. EN GUISE DE CONCLUSION

Sur la question de l’éventuelle dangerosité des téléphones cellulaires, nous avons pu constater auprès d’étudiants que les connaissances scientifiques et technologiques interviennent peu dans leurs prises de décision. Au contraire, les considérations socio-épistémologiques sont de plus grande importance pour informer les prises de décision. Les étudiants demandent des preuves, évoquent l’influence des compagnies de téléphones et les désaccords entre scientifiques. Ces désaccords et les incertitudes apparaissent liés au stade d’immaturité des recherches en cours. Ainsi, les étudiants apparaissent attendre ces certitudes scientifiques et cela nous semble la marque d’une confiance excessive dans les capacités des recherches de fournir des preuves. Dans l’attente de résultats indiscutables, certains étudiants semblent se soumettre à une expertise scientifique survalorisée et adopter une attitude que l’on pourrait rapprocher du fameux “ principe de précaution ” formulé de la façon suivante : dans le doute, délègue aux experts de calculer, mesurer, etc. Aikenhead (1987) souligne la tendance des étudiants à s’en remettre aux décisions des experts dans le cas d’enjeux

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sociotechniques, ce qui pourrait être vu comme une survalorisation des prises de décisions technocratiques aux dépens de décisions fondées sur des bases démocratiques. Pour Giordan (1999),

ces réactions individuelles face à de telles questions controversées nous interpellent. Comment

développer chez les jeunes un rapport critique à l’expertise ? Selon Giordan (1999) “ l’école devrait

[…] fournir des outils pour approcher la pensée complexe et celle de l’action. Une telle approche implique quelques changements dans les pratiques habituelles : l’école ne peut continuer à n’aborder que les thèmes pour lesquels on possède des certitudes – le plus souvent sans lien avec l’actualité – ou les questions sans controverse ”. Pour cela, en suivant Godard (1997), “ ne convient-ils pas de se détacher alors d’une conception positiviste de la science et du risque, qui s’acharne à considérer toute incertitude comme potentiellement réductible par la recherche scientifique ? Ce serait alors par l’explicitation de ce contenu latent et sa mise en débat que le principe de précaution pourrait être un levier de démocratisation des choix collectifs. ”

BIBLIOGRAPHIE

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Références

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