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Agriculture paysanne et compétitivité en Amérique
Latine
Guy Durand
To cite this version:
Guy Durand. Agriculture paysanne et compétitivité en Amérique Latine. Gongreso lnternacional lde Americanistas, Jul 2000, Varsovie, Pologne. 22 p. �hal-02296168�
tcA
2000
Gongreso
lnternacionat
lde
American istas
Warsawa
2000,
Poland,
Julio
10-14
Symposium
CARACTERIZACION Y
PAPEL
DE LOS CAMPESINOS
QTJE''GANAN''
EN
AMERICA LATINA
'fi'qrTr*' ,.1 r 1 :. r..,a '. .': - 1 .- - J
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'i'é1. 02. 23 ",L8. 54.O9
AGRICULTURE PAYSANNE
ET COMPETITIVITE
EN
AMERIQUE
LATINE
Communication présentée par
Guy
DURAND
Professeur
Laboratoire Développement Rural
Département Economie Rurale et Gestion
Ecole Nationale Supérieure Agronomique
(ENSA)
65, rue de Saint Brieuc35042 Rennes cedex
tel. et fax. +33 2 23
48 5175
e-mail : durârrcl ?i.lgrorcnncs. cducae,ri. lr?
1.\.g+
(^'-90.
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lrl
IDOCUr']1El'lTATOl-l ÉCOl'|Ot'jlIE RURALE
REl'll.l$
Introduction
Le
termecompétitivité
apparaîtaujourd'hui
commela
réference magique de tous lesdébats économiques.
A
quelque niveau que cesoit (le produit,
I'entreprise,le
secteurou
lanation) les
politiques économiquessont
supposéesaméliorer
la
compétitivité.
Elle
sert
dejustificatif aux
restructurations d'entreprises
avec
leur
cortège
de
licenciements,
auxdéflations monétaires, aux politiques de soutien à certains secteurs comme I'agriculture...
Elle
devient un impératif pour tout secteur qui s'ouvre à la concurrence suite au retrait deI'Etat
ouau démantèlement de la protection douanière imposé par
le
mouvement de globalisation deséconomies.
Ne
serait-on
pas victime
de
<l'obsession
de
la
compétitivité>
pour
reprendrel'expression de Paul Krugman ? S'intéressant au secteur agricole et plus spécifiquement aux
rapports entre
la
monde
vivant, I'agriculture
et
la
société"R.
Groussardet P.
Marsal(GROUSSARD
R.
et
MARSAL
P.,
1998) se
demandentsi
l'on
n'est
pas
passé d'une recherche effrénéede
la
productivité quel
qu'en
soit
le prix,
traduite
par
le
néologisme < productivisme>,
àcelui d'une
course aveugle àla compétitivité
dont les excès pourraientbien conduire au < compétitivisme >. C'est en effet au nom de la compétitivité que se met en
place
aujourd'hui
la
réformede
la
politique
agricole commune,que
se disputent aussi les Etats-membres de I'Organisation Mondiale du Commerce, chacun accusant I'autre de fausserles
règlesde
la
concurrencepour
renforcerla
compétitivité de
ses ressortissantset
gagnerainsi
des parts de marché.C'est
aussila
compétitivité
que recherchent, sous pression desorganisations financières internationales,
les
politiques
de
modernisationde
l'agriculture
conduitespar les
paysen
développement.L'objectif affiché
est alors
l'accroissement desexportations dites non traditionnelles dans
le
cadre d'une nouvelledivision
internationale dutravail.
Aussi certains insistent sur la nécessité d'insérer cet impératif de compétitivité dans un
développement durable écologiquement et socialement. On
voit
ainsi les experts de laCEPAL
s'interroger sur les liens entre la compétitivité internationale et
l'équité
(FIGUEROA5 1998), entre la compétitivité et les modes de régulation du travail(BECCARIA L., GALfN P.,
1998).Pourtant bien peu de
travaux
s'intéressent au concept même decompétitivité,
à
son contenu et à sa mesure. Dans cette communication, nous interrogerons justementle
conceptdu
point
dewe
de l'économiste, en examinant, àpartir du
cas deI'Amérique
Latine et plus spécifiquementdu
secteur agricole,le
contexte dans lequelil
s'est imposé. Compte tenu desstructures
et
systèmesde
production
et
des
grands écarts
de
développement,
nousexaminerons les conditions nécessaires à
la
construction d'unecompétitivité
< authentique >dans le monde
rural qui
puissent répondre effectivement aux exigencesd'un
développement durable.|
-Lacompétitivité,
unenotion
complexe etprotéiforme.
I
I- D'abord
un terme de gestionnaire delafirme
Il
est paradoxal de constater que, endépit
de I'usageintensif du
terme compétitivitédans
le
langage économique courant,celui-ci
nefigure
quasimentpas
dansla
plupart des
manuelsd'économie.
Il
n'est
d'ailleurs
pas répertorié dansles
glossaireset
index de
ces mêmes ouvrages. Pourquoi donc la théorie économique nefait-elle
pas référence àun
terme aussi usité en particulier par la presse économique et repris par les politiques ?Il
faut
chercher dans les manuels de gestionou
d'économieindustrielle
pour trouver les références à cette notion quel'on
applique généralement à I'entreprise.Il
arrive même que le terme figure dans letitre
d'ouvrages oud'articles :
la compétitivité industrielle(MATHIS,
1998), qualité et compétitivité des entreprises
(COLLIGNON
etWISSLER'
1998), et dans ce cas les économistes I'adoptent volontiers:
contrainte extérieure et compétitivité(AGLIETTA
et
BAULANT, lgg4),
compétitivité
et
coûts
unitaires
de
production (CONHARDE
etMAZIER,
Tggg), investissementet
adaptation
:
les
ressortsde
la
compétitivité-volume(DEBONNEUIL
etDELATTRE,
lggT).
Ainsi
le Boston Consulting Groupparle-t-il
pour lapremière
fois
< d'entreprise compétitive> pour
mettreI'accent sur
lesgains
d'expériencesdans
la diminution
des ooûtset le
partagedu
marchéentre
concurrents.Alain
Bienaymé(BIENAYME
4.,
1998) retraçant dans son ouvrage sur les principes de concurrenceI'origine
du termecompétitivité
note que leVI
ème plan français (1962-65) évoquait déjàla
nécessitépour les
prix
français de rester compétitifs, c'est à dire capables de soutenirla
concurrence et par conséquents voisins desprix
internationaux.12
-
Qui s'applique aussi à une nationOn
voit
alors progressivementle
glissementde
sens depuisl'entreprise
compétitivevers la notion de
prix
compétitifs qui concerne un produit, un secteur économique, voire une nation dans une situation de concurrence"On
peut définir
la
compétitivité
comme I'aptitude
à
vendre
ce
qui
se
produit(MATHIS et
a1.,1998), aptitude qui peut sejuger
àl'échelle
de I'entreprise et peut s'étendreconserver et à accroître ses parts de marchés internationaux
(BERTRAND
J.P.,HILLCOAT
G.,
1991)On ne peut donc pas s'en tenir uniquement à la théorie des avantages comparatifs mais
il
fautplutôt
selon les termes de Paul Krugman promouvoir les avantages compétitifs afin derepousser
les
frontières
de
la
raretéet
augmenterle
bien-êtrepar
I'abondance(cité
parBIENAYME
A.,
1998).
Les
pays,à I'instar
des entreprises, seraient placés devant cette nécessitéde faire
durer les
avantages présentsun
tempssuffisant
pour
que
les
produits porteurs répondent à I'expansion de la demande et dégagent les moyens de financer la mise aupoint
des produits qui les remplacent.La
compétitivitéd'un
pays est alors, selon I'American Councilof
Competitivness, < l'aptitude à produire des biens et des services correspondant à la demande solvable des citoyens, aptitudequi
se fonde sur les performances de productivité et permet d'élever le pouvoir d'achat des salariéstout
en respectant les règles de la conculrencelibre
et loyale et
les autres obligations internationalesdu
pays)
(cité
par
BIENAYME 4.,
lees).
Néanmoins I'assimilation de la nation et de l'entreprise pose quelques problèmes : les
facteurs de production
n'y
ont pas la mêmeflexibilité
(quellepourrait
êtrela
signification dulicenciement pour une nation hormis le recours massif à
l'émigration
de ces ressortissants ?), la sanction par lafaillite n'y
a guère de sens et son marché intérieur reste dans la majorité descas prédominant.
Mais la
recherche effrénéede la
compétitivité
pousseles
nationsà
despolitiques économiques dont
I'objectif
estle
maintien,voire le
renforcement, des avantagescompétitifs peu
justifiés
du point de vue économique.I3
- Les éléments de la compétitivitéQuels sont les éléments sur lesquels l'entreprise etlou la nation peuvent s'appuyer pour
acquérir
ou
maintenirun
avantagecompétitif
? Autrementdit,
quel estle
contenu réel de lacompétitivité ?
T3l
-Lacompétitivité prix
ou coûtC'est
d'abord leprix,
on parle alors decompétitivité-prix ou
compétitivité-coût poursignifier
le fait
qu'un
pays est capable de concurrencer sonvoisin
parle
biais
deprix
plus faibles et donclui
prendre des parts de marchés. Parts de marchésqui
servent alors de mesure' sans doutebien
imparfaite, dela
compétitivité.
La
compétitivité-prix
est alors très sensibleaux
variations
de taux de
changedes
monnaies.N'a-t-on pas
évoqué
les
dévaluations compétitives au sein de l'ancien système monétaire européen ? En revanche, c'est souvent laimportations mais entravant grandement
la
compétitivité
des exportations.La
compétitivitéest
dans
ces cas
le
produit,
voire
quelquefois
le
sous
produit des politiques
macro-économiques conduites par les Etats.C'est
cette compétitivitéprix ou
coûtsqui
estla
plussouvent
évoquéelorsque
I'on
constate
des
pertes
de
marchés accusantles
partenairescommerciaux dè se
livrer
à du
dumping social (les bas salaires étant supposésexpliquer
la faiblesse desprix
à I'exportation),ou du
dumping écologique lorsque ce sont les ressourcesnaturelles
qui
sont
exploitées sans préoccupationde leur
renouvelabilité.
Certains parlent même de dumping monétaire pour les monnaies artificiellement dépréciées.132
-Lacompétitivité
volume ou hors coûtsA
cette
competitivité-coût
ou
prix, on
oppose
la
compétitivité hors coûts
(oustructurelle)
qui
renvoieà
<un
ensemble complexede
facteursqui
permettentà un
paysd'améliorer ses performances extérieures sans recourir
ni
à des pressions sur lesprix
et coûts,ni
à
un
freinage
de
la
demandeintérieure
(CONHARDE
et MAZIER,
1999).J.
Mathis(MATHIS et al.,
1998) note quel'on
peut
apprécier cettecompétitivité
hors coûtspar
lesélasticités-prix des volumes du commerce extérieur puisque celle-ci résulte de caractéristiques
propres
aux
produits
nationauxqui
les
rendent différentiables
(qualité
desproduits,
desréseaux de communication, du service après vente, ...) et peu substituables avec des produits
étrangers concurrents.
Les
producteurs nationaux bénéficient dansce
casd'un pouvoir
demonopole
qui
reflète leurs avantages hors coûts et quel'on
peut aussi apprécier parle
degréde
substituabilité des produits.Il
n'est qu'à
penserau
cas des automobiles Mercedes dontl'exportation
est peu sensible au niveau desprix,
bénéficiantd'un
prestigeet d'une
qualitéreconnue
qui
les rendent peu substituables par unproduit
concurrent et dont les producteursbénéficient
d'un
monopole
de
fait.
La
mesurede
la
compétitivité hors
coûts
est
donc beaucoup moins évidente et ne peut se faire que de manière plus indirecte que la compétitivité coût. Cette mesure reflète enréalité les efforts
d'un
payspour
améliorer ses performances structurelles commeI'effort
en matière d'investissementet
de recherche, ainsi quela
nature de la spécialisation internationale.S'intéressant
aux
relations
entre
la
contrainte extérieure
et la
compétitivité, M.
Aglietta et C.
Baulant
(AGLIETTA
M.,
BAULANT
C.,
1994)notent
quela
concurrenceindustrielle
est
imparfaite
et
se
déroule
sur
des
marchés
difierenciés.
les
avantages comparatifs ne sont pas alloués par des dotations exogènes de facteurs de production :ils
sontproduits
par
des effets cumulatifs
qui
s'appliquent
au
changement des techniqueset
aurenouvellement de
la
qualité
desproduits. Les
spécialisations des productions proviennent ainsi d'économies d'échelle dynamiques par la mobilisation des connaissances : elles résultentaussi des
effets
d'apprentissageindividuels
et collectifs. Ainsi
la
concurrence industriellen'est
elle pas unéquilibre
statique deprix
etde
partage de marchés. C'est un processus quimobilise
la
compétitivité horsprix
pour créer des produits nouveaux et renouveler la qualitédes produits existants.
D'une
façon
plus
générale,M.
Bedonneuil
et
M.
Delattre (DEBONNEIL
M.,
DELATTRE
M.,
1987)
proposentle
terme
de
< compétitivité-volume>
qui
découle
dupotentiel
productif
d'un
payset
qui
résulte deI'effort
d'investissementet
d'innovation. Ils
suggèrent alors que la détérioration de lacompétitivité-prix
puisse être la conséquence d'unemauvaise < compétitivité-volume >. Suivons leur raisonnement : << un pays
qui
investit moinsorientera
saproduction
vers
desproduits
dont
le prix
relatif
augmente.Il
équilibrera
sabalance. commerciale
en
associantgains
de
termes
de
l'échange
et
pertes
de taux
decouverture en
volume. Si
ce pays ne parvient pas à redéployer suflïsamment ses facteurs deproduction
pour
s'adapter àla
nouvelle spécialisationqui
s'impose àlui,
il
en résultera une aggravation de sa perte de compétitivité-volume:
celle-ci
apparût donc dépendante àla
foisdu
niveau de I'investissement et dela
souplesse deI'allocation
des facteurs.Tout
pays peucompétitif
au sens ci-dessus se condamne à une croissance de son pouvoir d'achat plus lente que celle des autres pays...La
dévaluation est une façon d'empêcher le pays qui a perdu de la compétitivité, devivre
au-dessus de ses moyens... Résoudre le problème decompétitivité-prix
suppose d'accepterun pouvoir
d'achataffaibli;
résoudrele
problèmeplus
fondamental decompétitivité-volume suppose un
efïort
d'investissement et de redéploiement )).Il
apparaîtainsi
que I'efTort
d'investissementet
de
redéploiement demandépar
la reconquête dela
compétitivité-volume ne peut selimiter à
l'échelle
dela
seulefirme
maisqu'il
suppose au contraire une mobilisation de I'ensemble dela
nation.En effet,
une grandepartie des
éléments
hors coûts
de
la
compétitivité volume porte
sur
I'environnement économiqueet
social
de
la
firme
:
infrastructuresde
communication,efforts
d'éducationdepuis
la
formation de basejusqu'à
la
formation
professionnelle,efïorts
de rechercheet
derecherche-développement, fonctionnement des marchés des facteurs
de
production
et
des produits. Dans ces conditions la création des avantages compétitifs sources de la compétitiviténe peut être que le résultat d'une bonne articulation entre
l'Etat
et l'entreprise.En
dépit descritiques formulées par Paul Krugman sur
l'assimilation
d'une nation à une grande entreprise,il
semble néanmoinspertinent
de transposerle
concept de compétitivité de I'entreprise à lanation
<tant
que
la
nation
continue
de
se
penser comme
un
groupe
disposant d'une souverainetéminimum
sur son destin ))(BIENAYME
A.,
1998).2
-
Pourquoi
cette
pré-éminencedu
discours
sur
la
compétitivité
en
Amérique
latine
?pourquoi
le secteuragricole
enparticulier
?<
L
'obsession
de
la
compétitivité>
n'est
pas
spécifique
de
I'Amérique
latinepuisqu'elle correspond vraisemblablement au phénomène de globalisation des économies qi
accentue les interdépendances.
Mais I'Amérique latine
aborde ce mouvement en pleine crisedes modèles
de
développementqui ont
prévalu depuis
les
années30 et
théoriséspar
la Commission Economique Pour I'Amerique Latine (CEPAL).Le secteur agricole
latino
américain apparaît comme un bon modèle pour appliquer lesdifférentes facettes de
la compétitivité
que nous avons évoquées précédemment.En effet
les analyses peuvent se situer aux diverses échelles depuisle
niveau de I'entreprise(l'unité
deproduction agricole, même si celle-ciprésente des formes extrêmement diverses), le niveau de
la
filière
qui permet d'examinerl'articulation
des entreprises d'amont et d'aval, lelien
avec leterritoire
et
enfin l'échelle
nationale,niveau
où
s'élaborentet
s'appliquent
les
politiques agricoleset
où
l'on
peut
étudier les conséquences despolitiques
macro économiques. Parailleurs, ce secteur est relativement ouvert sur I'extérieur pour la compétitivité sur les marchés internationaux
s'y
pose avec une certaine acuité.2l
-
Les
stratégiesde
développementen
question
:
de
l'ancienne
à
Ia
nouvelle orthodoxieS'interrogeant sur les causes des différences de
taux
de croissance entre les pays du Sud, GérardGrellet
(GRELLET,
1992) constate que cette question divise ceuxqui
pensentqu'il
appartientà
I'Etat de
mettre en æuvre des stratégiesde
développementet
ceux pour lesquelsle
marché
est
I'instrument
le
plus
adéquatde
coordination sociale.
Ces
deuxconceptions apparaissent
comme
situéeshistoriquement
puisqu'il
fait
remarquer
que
lapremière a largement dominé les années cinquante
et
soixante, alors quela
seconde semble s'imposer à partir des années quatre-vingt. Une orthodoxie avrait donc remplacé I'autre.En effet, I'ancienne orthodoxie reposerait sur 4 postulats :
I
- le développement suppose I'indépendance éeonomique nationale,2 -le
développement nécessite I'accumulation de facteurs de production,4 - I'industrialisation est le moteur du développement.
Les expériences historiques des pays
du
Sud, notamment les pays d'Asiedu
Sud Est, mais en grande partie aussi ceux d'Amérique latine auraient invalidé cette orthodoxie pourlui
en substituer une nouvelle reposant sur 3 postulats :1
-
la
croissancedes
nations
est
fortement
dépendantede leur
ouverture
vers I'extérieur,2
-
I'ofire
globale dépendde
I'allocation des ressources rares.Celle-ci
est optimale dans un marché concurrentiel, soumis aux impulsions du marché,3
-
le
développementest
d'autantplus rapide
que les
incitations
des agents sont socialement compatibles (les agents économiques étant rationnels).C'est bien cette nouvelle orthodoxie
qui
s'imposeà
tous
les pays d'Amérique latinedepuis
la frn
dela
décennie soixante-dixet qui
afait
des années quatre-vingtsla
"décennieperdue et l'apprentissage dqns
la douleur"
selon I'expression de la CEPAL(CEPAL,
1990).Les
stratégies
d'Industrialisation
par
Substitution
d'Importation
(I.S.I)
caractéristiques de I'ancienne orthodoxie avaient pourtant dominé
la
scène latino-américaine pendant une longue période,allant
des années trente aux années soixantedix.
Ellestiraient
leur légitimité
dela
critique
du
modèle de croissance extravertie, basésur
l'exportation dematières premières minières
et
agricoles fortementremis en
cause parla
crise des annéestrente. Pour Raril Prebisch
I
,
les économistes latino-américains ne pouvaient pas mobiliser suffisamment d'épargnepour
accélérerle
processus d'accumulationdu
capitaltant
qu'elles auraient à faire face àla
dégradation des termes de l'échange entre les matières premières etles
produits
manufacturés.L'industrialisation était
doncla
seule planchede
salut mais ellesupposait une protection
au
mêmetitre
que celledont avait
pu
bénéficier I'Allemagne parrapport
à
I'Angleterreau
siècledernier
("protectionnismeéducateur"
selon I'expression deFrédéric
LIST).
La
protectionétait,
en elle-même, insuffrsanteet
I'absence "d'entrepreneurs"susceptibles
de
conduire
le
processusd'industrialisation
obligeait I'Etat
à
en
prendre
ladirection par
le
biais d'uneparticipation
aux activités productives etla
mise en æuvre d'uneplanification (HIRSCHMANN
A.O.).
Droits
de
douane
et
taux de
change
surévalués constituaient les instruments centraux du modèle.Ces stratégies de I'I.S.L font I'objet de critiques2, dès la
fin
des années soixante, et lescontradictions
du
modèle deviendront patentes dans les années soixante-dixet
quatre-vingt.Les
critiquesportent
sur leurs capacitésà
soutenirune
croissance économiqueà
moyen etlong terme, leurs impacts sur
la
stabilité desprix
et l'équilibre des comptes extérieurs(DIAZ
BONILLA
F",
1990). Les choix industriels s'avèrent coûteux et peu viables:
dépendance desimportations de biens intermédiaires
et
dela
technologie,faible
développementdu
marchéintérieur, non compétitivité sur les marchés extérieurs (en particulier mauvaise adaptation de
I'offre latino-américaine à cette demande mondiale).
La
crise des années quatre-vingt sert de révélateur àla
faillite
du modèle deI'ISI.
LePIB
par habitant ne dépasse pasen
1989celui
de
I'976,I'hyper
inflation
touche quasimenttous les pays
du
continent ainsi que I'envolée dela
dette externe.Ainsi la
plupart
des paysd'Amérique
latine vont
s'engager dans des programmesde
stabilisation
puis
d'ajustementstructurel dans
le
courant des annéesquatre-vinE
et quatre-vingt-dix, enconformité
avec lanouvelle orthodoxie 3 du développement. Julio Berdegué et German Escobar (BERDEGUE et
ESCOBA&
1995)
décriventainsi
les
basesde ce qui
constitueaujourd'hui
le
"nouveau paradigme" guidant les stratégies de développement :- les décisions économiques doivent suivre les règles et les conditions du marché,
-
le rôle de I'Etat est redéfini dansle
sens d'un transfert de ressources et d'attributions au secteur privé,-
tous les facteurs de production et toutes les activités de consommation doivent être insérés dans l'économie de marché,- la stratégie orientée vers I'exportation remplace I'ancien modèle de
I'ISI,
-
il
faut
doncouvrir
rapidement les économies nationales aux marchés internationaux(réduction des
tarifs
douaniers, démantèlement despolitiques
de protection,promotion
desexportations),
-
stimuler
la
compétitivité
des économiespar le
biais de
la politique
monétaire etnotamment de taux de change plus libres,
2pour une présentation et discussion des stratégies de développement latino-américaines, ainsi que le
rôle de I'agriculture, voir (MOUNIER A., 1992).
3il ne faut cependant pas confondre cette nouvelle orthodoxie avec la nature qualifiée de orthodoxe ou
-
libération
desprix
parle
démantèlement des mécanismes de régulation internes etsectoriels et alignement sur les
prix
des marchés internationaux,-
enfin,
favoriser les accords commerciaux et I'intégration économique internationale et régionale.22 - Le rôle de
l'agriailfire
dans les stratégies de développement.Après
avoir
étéI'un
des moteursde
la
croissance économiquejusqu'à
la
crise des
annéestrente, I'agriculture
latino-américaineperd de
son importancetant
sur les
marchésinternationaux qu'intérieurs. En effet, entre 1934 et 1938, I'Amérique latine a été le plus gros
exportateur
de
céréales,en
1980,elle est
devenue importatrice nette(KAY
C.,
1995).Au
cours destrente
dernières années,la
croissancede
la
productionagricole
régionale arrivedifficilement
à suivre la croissance démographique (CHONCHOL J. 1994).Jorge
ECHENIQUE (ECFIENIQUE,
1992)fait
état dela
controverse autour de cetterelative stagnation de la croissance agricole
qui
opposait les structuralistes aux monétaristes.Pour
les
"structuralistes",
le
systèmeagricole,
caractérisépar
le
complexe
latifundio-minifundio, constituait
le frein
principal
au
changementtechnologique,
alors que
les"monétaristes" attribuaient le retard de I'agriculture aux politiques économiques
qui
I'avaient sacrifiée auprofit
de I'industrialisation. Peut-êtrefallait-il y voir
un troisièmepoint
devue
:les incohérences, voire les contradictions des politiques agricoles ?
Qu'en
est-il
à I'examen des fonctions assignées au secteur agricole dans les stratégies du développement, de I'I.S.I. aux politiques néo-libérales ?Dans les stratégies basées sur
I'I.S.I.
I'agriculture se voyait attribuer les rôles suivants :- fourniture de devises pour les produits traditionnellement exportés,
- fourniture d'aliments à bas pris (biens salaires) au secteur industriel et urbain, base de ce que I'on appellera ensuite le fameux "biais urbain".
-
transfert de I'excédent de main-d'æuvre versle
secteur industriel (conformément aumodèle de
LEWIS).
L'adaptation
du
secteur agricoleà
ces fonctionsn'allait
pas de soi. Des politiques de-
les réformes agrairesdont I'objectif était
surtoutd'inciter
à la
création d'unités deproduction
économiquement rentableset
productives, consécutivesau
démantèlement dulatifundio-minifundio.
En effet, le complexelatifundio-minifundio
était vu à la fois comme ducapital
terre improductif
et
une force
detravail
sous employée.Le
modèlede
I'entreprise(privée
capitalisteou
coopérativede
production)
était
souventpréferé
à
la
parcellisationpaysanne car pressenti comme plus apte à I'adoption de techniques modernes 4.
- I'ouvefture de fronts pionniers 5
-
les potitiques de transfert de technologies (application des résultats dela
"révolutionverte").
Ces politiquesvont
se concrétiserpar
la
créationd'un
réseau d'Instituts Publics de recherche agronomique et de vulgarisation dans la plupart des pays du continent(EMBRAPA
au Brésil,
INTA
en
Argentine, FONAIAP
au
Venezuela,
etc )
reliés
aux
centresinternationaux
de
recherche agronomique(CIMMYT, CIP, ...) et aux
grandes fondations(Ford et Rockefeller)6
-
subventionsaux
facteurs
de
production (intrants, crédits)
et
aux
produits (prix
garantis, aides au stockage, ...).Dans
le
cadrede
la
<orcuvelle orthodoxiedu
dëveloppement>,I'agriculture
sevoit
confier des objectifs ambitieux :- une compétitivité sur les marchés extérieurs (tant à I'exportation qu'à I'importation)
- une durabilité écologique
- une plus grande équité sociale.
Elle doit donc se soumettre aux Programmes d'Ajustement Structurel Agricole
(PASA)
7 pou. rendre le secteur compatible avec les nouvelles orientations macro-économiques.De
lait
dans le cadre de ces"PASA"
il
est proposé :-
d'éliminer
toutes
les politiques
de
développementou
macro
économiques qui discriminent le secteur agricole : taux de change surévalué par exemple ou distorsions dans la structure desprix,
dufait
du protectionnisme industriel.4je reviendrai sur ce thème qui permet en partie de comprendre I'engouement pour le modèle de la
coopérative de production. Voir I'expérience hondurienne.
slusque dans les années 80, on estime que plus de 60% de la croissance de la production agricole
était le fait de l'expansion des surfaces cultivées (KAY C., 1995)
fuoir les articles de Mercedes JIMENEZ (JIMENEZ VELAZQUEZ M., 1990 et 1994)
-
de supprimer les subventions aux intrants, crédits et produits, qui ne constituent pasde bons instruments de redistribution des revenus.
-
de
supprimer aussiles
subventionsaux
consommateurs lorsqu'ellesexistent
et
y
substituer des aides plus ciblées.- de libérer la formation des
prix
en supprimant les monopoles d'Etat.Les économies réalisées doivent alors permettre à I'Etat de financer les activités que le secteur
privé ne peut
pas prendreen
charge:
les
infrastructures (routes,irrigation,
...)
la recherche/développement et la formation.Cette nouvelle approche
est
conforme
à
ce
que
J.
Echenique appelle
les"monétaristes".
Elle
doit
donc
libérer les
forces
productivesdu
secteuragricole vers
undéveloppement plus harmonieux.
Certes
la
durabilité
écologiqueet
l'équité sociale impliquent
pour
ses promoteurs quelques aménagements sans que ces derniers ne remettent en cause la suprématie des forces du marché. On insiste ainsi sur :1) la revalorisation de I'espace rural, ce que la réorientation des
flux
de capitaux vers les activités rurales, que le modèle de I'I.S.I. empêchait, devrait pouvoir réaliser.2)
la
régularisation des titres de propriété qui au-delà des garanties financières pour lesprêteurs
et de
la
sécuritéqu'elle procure
aux
propriétairespour
stimuler
I'investissementpermet aussi
de
créerun
véritable
marchédu foncier
comme instrument d'une éventuelle convergence des structures foncières.3) I'articulation intersectorielle dans le cadre de filières agro-industrielles à constituer.
4) la nécessité d'éviter la concentration des investissements sur de grands travaux et la prise en compte de la gestion et I'aménagement à l'échelle des bassins versants.
5) I'inversion des priorités de la grande entreprise vers la petite agriculture.
3 - Vraies et fausses pistes
pour
unecompétitivité authentique.
Pour
Hector ORDOi(IEZ,
s'exprimant dansun billet du
supplémentrural
du journalargentin Clarin du
4
marsz}}A,la
création d'avantages compétitifs authentiques dépend de lacapacité d'innover d'une communauté donnée dans
un
processuscollectif.
Il
distingue alorstrois
définitions de
la
compétitivité
:
les
avantagescompétitifs
"artificiels", les
avantagescompétitifs "cambiaires" et la construction
des avantages compétitifs.
Il
entendalors par
avantagescompétitifs "artificiels"
un
ensemblede
politiquespubliques
qui
favorisent des secteursou
des entreprises données dansla
concurrence. Les avantages compétitifs "cambiaires" se réfèrent àI'utilisation
du taux de changepour faciliter
de manière circonstancielle des échanges.Et
enfin, les avantages compétitifs "authentiques", ceux qui résultent de constructions économiques, politiques et sociales basées sur la qualité dutravail incorporé à un produit ou un service.
Voyons ainsi comment ces diverses approches ont pu être analysées et apppilquées au cas de I'agriculture latino américaine
3I
-
Compëtititité et protectionnismeDe nombreux exemples pris dans le secteur agricole latino-américain ou auprès de ses
observateurs attentifs attestent de
I'inventivité
des responsables despolitiques
agricoles ou des politiques économiquespour
créerou
conserver des avantagesartificiels.
Au
delà de la présentation de certains de ces exemplesqui
nous paraissent significatifs nous tenterons d'enanalyser les conséquences.
Les
outils
de protection
d'un
secteurou d'un produit
sont multiples.
Les taux
dechange des monnaies
ont
souventjoué
ce rôle.Même si
les réajustements avaient rarementpour objectif I'agriculture,
ce
secteur
n'en
subissait
pas
moins
les
contrecoups.
Unedévaluation monétaire crée
un
avantagecoût de
court terme
qui peut
se prolonger
si
le contenu en importations des produits exportés n'est pas trop important.Dans le cadre des stratégies d'import-substitution,
l'Amérique
latine a le plus souventconnu des situations
de
surévaluation des monnaies accompagnéesde
protectionnisme du secteur industriel.Ainsi le
pouvoir
d'achat desproduits
agricoles en facteurs de production industriels s'entrouvait
de cefait
diminué et cela d'autant plus que lesprix
agricoles étaientétroitement surveillés
pour
éviter
un
dérapagedes
salaires.La
modernisationdu
secteuragricole dépendaient souvent
du pouvoir
de négociation de certains lobbiesleur
permettantd'obtenir
des
exemptionsde
taxes
à
I'importation
de
facteurs
de
production
considérés comme stratégique ou des taux de change multiples.En revanche, les dévaluations des années 80 auraient pu théoriquement se traduire par
partiellement entamé par le retard de modernisation de la période précédente.
Alain
de Janvry suggèred'ailleurs
que ces dévaluations pourraient constituerun
avantage comparatifde
la paysannerie par rapport au secteur d'entreprise car celleci utilise
une part moins importante de facteurs de production importés.Jeffrey
Sachs, étudiantles conflits
sociauxet
lespolitiques
populistes en Amérique latine, et en particulier le degré d'égalité ou d'inégalité de la répartition des richesses dans lesecteur
de
l'exportation agricole, notait que
la
dépréciation
du
taux de
change étaitimpopulaire
parcequ'elle transferait
le
revenu destravailleurs
et
des capitalistes vers une classe restreinte et politiquement réactionnaire de propriétaires terriens et d'exportateurs. On entrouve
des exemples concrets chez les exportateurs de céréales argentins, les producteursexportateurs de soja brésiliens
qui
en outre
provoquent une explosiondu
nombre des sans terres.La
protection
du
marchéintérieur
associéeau politiques
de
soutien desprix
peutconduire à des phénomènes semblables. Dans ce cas, la compétitivité recherchée se situe par
rapport aux produits
susceptiblesd'être
importés.Le
<miracle agricole
vénézuélien>
du début des années 80 nous enfournit
un excellent exemple. En effet, en 1982,le Venezuela se lance dans unepolitique
d'autosuffisance alimentairepour
les produits
considérés comme stratégiques:
mals blancpour
les < arepas>,
mais jaune, sorghoet
sojapour
l'alimentationdes
volailles
et porcs.Si
il y
a bien
croissance spectaculaire dela
production céréalière, aupoint de la qualifier de < miracle >, elle s'est efiectuée à des coûts budgétaires et économiques
considérables concentrés
sur
un
nombrerestreint de
bénéficiaires.L'évaluation que
nous avons faite(DURAND
G. etal.,
1995) nous révèle les conclusions suivantes :-
inflation
des biens alimentaires sensiblement supérieure àI'inflation
générale,- croissance du nombre des < pauvres absolus >, - dégradation de la diète alimentaire.
Une approche micro régionale réalisée dans la région spécialisée en sorgho éclaire les conséquences indirectes de cette fausse
compétitivité
acquise parla
protectionet
le
soutien desprix
à la production.Le
< boom> du
sorgho estle fait
de systèmes de production très coûteux en capital(chimisation
souventmal
maîtrisée, mécanisationlourde),
dégradantspour
l'environnement (érosion éolienne consécutive aux pratiques de labour précocequi
laissele
sol ànu lors
despremières pluies).
Les bénéfices de cette
politique
ont été largement engrangés par une couche de gros producteurs-éleveurs, mêmesi
momentanémenton a pu croire
que les
retombées étaientégalement partagées
:
fermiers occasionnelsd'origine
urbaine, occupants de terres en phased'accumulation,
voire
mêmepetits
producteursqui
arrivaient
à
survivre. L'abandon de
laprotection
et
du
soutien
en
1989
ne
laisse
de
chancesréelles
de survie qu'aux
grandspropriétaires éleveurs pour lesquels
le
sorgho avait représentéun
complément idéal de leur système d'élevage.Néanmoins,
là
oùI'on
retrouve I'analyse de Jeffrey Sachs,c'est
que cette couche degrands propriétaires éleveurs
a
acquis
une
certaine
légitimité
par
le
mouvement
demodernisation
qui
touche àla fois
leurs systèmes de production,l'économie
céréalièreet
le développement des états llaneros.A
côté de cela, d'autres productions commele lait
ou leriz
qui disposaient d'avantages compétitifs potentielsn'ont
bénéficié d'aucun appui.32
- Compétititité
etxtr-exploitation
des ressources(travail
et ressources naturelles) Dans son rapport sur une transformation productive avec équité,la CEPAL
(CEPAL,1990) note que lorsque
la
compétitivité repose sur de bas niveauxde
salaireset
quele
surprofit de
compétitivité ainsi
dégagé
est
utilisé
en
consommation somptuaire
par
lesbénéficiaires au
lieu d'être
réinvesti dans une amélioration technologique, alorscet
avantages'effrite
rapidement au bénéfice des concurrents qui eux investissent.Ainsi
s'engage un cerclevicieux
de I'appauvrissement dufait
dela
demande du maintienvoir
de la baisse du coût du travail.Le
rapport
fait
aussiétat de ce
qu'il
appelle
une
autre
forme
< bâtarde>
de
lacompétitivité qui apparaît lorsque
l'insertion
internationale est basée sur une dotation riche enressources naturelles
dont
la
propriété est fortement
concentréesoit
entre
les
mains
dequelques propriétaires,
soit
dansles
mains
de I'Etat. De
la
mêmefaçon,
le
maintien
deI'avantage
compétitif
dépendrade
I'usage
qui
serafait
desgains
procurés.Le
risque
dedéviation vers la consommation ou même l'évasion de capital est grand. Si les ressources sont concentrées aux mains de
I'Etat
ou d'entreprises publiques, la tendance àla
création de fiefs bureaucratiquesdevient
forte
avec redistribution
des gains
sur
quelques-uns.
Cetteconfiscation des gains
n'est d'ailleurs
pas forcément remiseen
causepar les
processus deprivatisation.
L'exemple
de
la
région
de
Guarico
au
Venezuela
que nous avons
développéprécédemment
illustre en partie cette
remarquede
la
CEPAL.
L'avantage
(ressourcesnaturelles
>
était
double puisquela
politique
agricole
coûteusepouvait
exister
grâce aux largesses fournies par larente pétrolière et que le miracle agricole a pu se réaliser dufait
de lagrande
disponibilité de
terres des
LlanosS
Néanmoins,ce miracle
a
eu
un
coût
noncomptabilisé en terme de dégradation des sols
et
de pertes de solspar
érosion consécutivesaux pratiques culturales.
Si
modernisationil
y
a bien eu, elle
a
surtoutprofité
aux grandspropriétaires éleveurs
qui
ont
développé des systèmes techniques à basede
sorgho-prairiespour
I'engraissement de leursbovins,
systèmes dépendant encored'un
appui
important del'Etat
notamment pour le financement alors qu'un système à base de prairies améliorées auraitsans aucun doute été plus
efficient
mais demandait un saut technologique important, au moinsen savoir-faire
et
surtout supposaitun intensification
entravail
des systèmes (conduite des prairies, conduite plus serrée du troupeau),voire
en capital (investissements supplémentairesen clôtures et en réserves d'eau pour I'abreuvement des animaux).
33
-
Compétitivité, modèle technologique et politiques publiquesComme on
I'a
vu précédemment, la compétitivitéd'un
secteur comme I'agriculture nepeut
durablements'appuyer sur
une
protection
douanière accompagnéede
politiques
desoutien des
prix,
d'une
surexploitation des
ressources naturelleset
de bas
salaires. Enrevanche,
celle-ci peut se nourrir
de
gains
de
productivité
généréspar
une
meilleuretechnologie.
Bien
sûr, commele
note Figueroa(FIGUEROA
A.,
1998),la productivité
d'unsecteur ne peut être indépendante de celle des autres secteurs, compte tenu des interrelations
entre
secteurs.Dans
le
secteuragricole
par
exemple,
il
ne sert
à
rien
d'augmenter
laproductivité
si
les
infrastructures routières, portuaires,les
servicesne
s'améliorent
pas en parallèle. Même, I'amélioration de ces derniers constitue autant d'éléments qui participent à la croissance de la productivité.La
technologien'est
cependantpas
complètement exogèneau
systèmetel
que
lepostulent
certains modèles économiquesd'inspiration néoclassique.
Selon
la
théorie
du changement techniqueinduit
(HAYAMI
etRUTTAN,
1998), les sociétés agraires où la terreest
un
facteur rare
et où le travail
abonde développent préférentiellement des innovationsbiologiques
ou
chimiques; au contraire, cellesoù la teffe
estun facteur
abondantet où
letravail est rare ont tendance à favoriser les innovations mécaniques.
Mais
alors que penser del'évolution
technologique dans une agriculture detype
dualiste comme enAmérique
latinequi oppose grandes et petites exploitations confrontées à différentes appréciations de la rareté des facteurs?
En effet, le
facteur terre, abondant pour la grande exploitation, est rare pour laI
Voir à ce propos les travaux de G. Carvallo sur le système très extensif du < hato > qui caractérisaitcette région de Guarico où la valeur de la terre se mesurait en fonction du nombre de têtes de bétail et
non par le nombre d'hectares.
petite.
La
conséquence est quela
demande de mécanisationjustifiée
du point
devue
micro économiquede
la
grande
exploitation peut se révéler
inapproprié
du
point de
vue
deI'efficacité
collective.Au
delà de la mécanisation,la
demande se porte sur toute technologie orientée vers la grande échelle de production et coûteuse en capital peu accessible aus petits agriculteurs.Etendue à l'élaboration d'une politique nationale de recherche agronomique,
il
est rare que les petits agriculteurs aient une influence suffisantepour faire
émerger des innovationsqui
leurs soient
favorables.
Aussi, la
recherche
a
tendance
à
fournir
des
solutionstechnologiques adaptées
aux
grandes exploitationscontribuant ainsi
à
accroîtrele
< gap >technologique entre la grande et la petite exploitation et accentuer le dualisme existant.
Dans une tentative de modélisation du processus de changement technologique,
Alain
de Janvry (deJANVRY et
a1.,1939) montre que si le budget de recherche publique est plus élevé,la
distribution du
bien-êtrequi
en résulte seramoins
régressive. Résultattout à
fait
intéressant mais peu commentépuisqu'il
remet en causela
dynamique actuelle deretrait
del'Etat
de
la
recherche agronomique dansla
plupart
despays
d'Amérique latine au
nomjustement de
la
recherched'une plus
grandecompétitivité.
Il
estsignificatit
à ce
sujet, deconstater
la forte
implication
des
organismesinternationaux
dans
le
financement
del'émergence de système de recherche privé dans le secteur agraire.
Pourtant des voies commencent à se faire entendre en Amérique latine pour défendre
la thèse qu'une plus grande équité est favorable à une meilleure compétitivité de long terme.
Adolfo
Figueroa(FIGUEROA
1998) tente dele
démontrer àpartir d'un
modèle théoriqueincluant
l'équité
comme unevariable de
la
fonction de production. Ce
modèleest
ensuite soumis àvérification
empirique sur la base de données spatiales et temporelles àl'échelle
depays.
Il
conclut ainsi que
la
compétitivité
d'un
pays n'est pas
seulementune
questiond'effrcience micro économique
ou
sectorielle, ni une question de balance macro économique, mais c'est aussi une question sociale;L'équité
devient alors un facteur favorable àI'attrait
decapitaux extérieurs favorable à long terme à I'accroissement de la compétitivité.
3 4
-
Compéti tivi té etfacteurs
organi sati onnelsJ. Berdegué et G. Escobar (opus cité) affirment que le développement économique
doit
s'appuyer sur des processus de production intensif eninformation,
permanents en innovations technologiqueet
àtaux
d'investissement élevé; doncpeu
compatibles avec une population appauvrieet
marginalisée.Ils
ajoutent que
les
avantagescomparatifs
setransforment
encapacité
technique
de
haute qualité
sont
disponibles
sur
des
bases
permanentes etreproductibles.
L'innovation,
basede
la
compétitivité
authentique, est pourH.
Ordofiez,le
résultatd'un
processus coopératif etcollectif.
Il
décrit la constructiond'un
avantage comparatif dansle secteur de la viande bovine en Argentine comme le résultat de cette construction collective. L'éradication de
la fièvre
aphteuse a, eneffet,
combiné des innovations touchant à lafois
I'environnement
institutionnel,
organisationnel
et
technologique.
La
vaccinationdéveloppée par la recherche agronomique argentine
(INTA)
constituait la base technologique.L'innovation
institutionnelle a consisté dansla
dérégulationet
la privatisation dela
mise enæuvre du plan d'éradication.
Et
enfin,l'innovation
organisationnelle est venue dedu
réseaude
Fondationsde lutte
contre
la
fièvre
aphteuse.Il
conclut
alors
à
une
réussite
due
àI'ouverture
institutionnelle
de
l'Etat,
une révolution
organisationnelleconduite
par
lesproducteurs au travers des Fondations et enfïn
l'utilisation
d'une technologie supérieure.Ainsi,
la
compétitivité
authentiqueapparaît
ici
comme
le
résultat
< d'alliancesstratégiques )) entre différents acteurs
:Etat,
entreprises privées, société civile...Justement,
Alexander
Schejtman(cité par BERDEGUE
et
ESCOBAR, 1995)
a développéà
plusieurs reprises les possibilitéspour les petits
agriculteurslatino
américainsd'entrer
dans cesalliances
stratégiquesen
s'associantavec
le
secteurde
I'agro-industrie notamment.Il
montreen particulier
queI'agro-industrie
présentetrois
caractéristiques quirendent
intéressanteune relation
contractuelleavec les
agriculturesfamiliales
de
petitedimension
:
1)
uneplus
grandeflexibilité
,
2)
unearticulation
optimale entreun
systèmeintensif en capital et un autre intensif en travail, 3) une pression salutaire sur les calendriers de
production et de livraison ainsi qu'une incitation à développer la qualité.
Bien
sûr,
ces processusd'articulation d'intérêts
à
premièrerue
divergentsau
seind'une
filière
supposeI'acquisition d'une
capacité de négociation des paysans organisés. C'est sans doute à ce niveau queI'Etat
peutjouer un rôle
positif et
efficient
enaccompagnantla
structuration de ces organisations économiques. Endéfinitive,
en favorisant I'accumulation de< capital social > garant de l'émergence de
(
paysans qui gagnent >.Conclusion
Dans quelle
mesure
les
réflexions
que nous avons
menéessur
la
notion
decompétitivité et
son application au secteur agricoleen Amérique
latine peut nous être utilepour formuler des recommandations sur les politiques à conduire en direction de I'agriculture
direction de cette petite agriculture. Le constat
aujourd'hui
largement partagé de I'aggravationde la
pauvretérurale
dansla
dernière décennie, dansune proportion
plus
grande que
la pauvreté urbaine, redonne une actualité au débat sur le devenir de cette petite agriculture.Ces politiques différenciées
ont
été menées dansle
passé maisont
sans doute laissétrop de place à
la
création et au transfert de technologie et surtout au caractère neutre de cette dernière. On amontré,
par I'approche de ce quepourrait
être unecompétitivité
authentique que les conditions de création de la technologique, ainsi que celles de leur mise en æuvre dansun
monderural
caractérisépar
une très grande hétérogénéité, sont aussiimportante
que la technologie elle même.Les politiques agricoles et rurales actuelles ont malheureusement trop tendance à faire
une différence entre les exploitants qui relèvent d'une
politique
économique et ceux quel'on
qualifie de
non viables
et
de
ce
fait
sont sujet
de
politiques
sociales destinéesà
réduireI'incidence de la pauvreté. Mais comme le note Martine
Dirven
(DIRVEN,
1999), àpartir
dumoment
où la
frangede ceux
qui
relèvede
cettepolitique
sociale constitueune
minoritéconséquente
(54% de
la
population
économiquementactive
du
monde
rural
considérée comme pauvre et 3lo comme indigente), cette distinctionpolitique
économique et politiquesociale
n'a
plus de signification.L'enjeu
est alors de concentrer ses efforts sur des politiquesde réinsertion productive seule source d'une compétitivité authentique à
l'échelle
de la société rurale, voire de la société dans son ensemble.Bibliographie
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