• Aucun résultat trouvé

La légalité de l'intervention humanitaire en droit international : entre la non-violence et le respect des droits de l'homme

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La légalité de l'intervention humanitaire en droit international : entre la non-violence et le respect des droits de l'homme"

Copied!
195
0
0

Texte intégral

(1)

La légalité de l'intervention humanitaire en droit

international:

entre la non-violence et le respect des droits de l'homme

François Villeneuve

Institut de droit comparé Université McGill, Montréal

Août 2005

A thesis submitted to McGiIl University in partial fulfIlment of the

requirements of the degree of Master oflaws (LL.M.)

(2)

1+1

Library and Archives Canada Bibliothèque et Archives Canada Published Heritage Branch Direction du Patrimoine de l'édition 395 Wellington Street

Ottawa ON K1A ON4 Canada

395, rue Wellington Ottawa ON K1A ON4 Canada

NOTICE:

The author has granted a

non-exclusive license allowing Library

and Archives Canada to reproduce,

publish, archive, preserve, conserve,

communicate to the public by

telecommunication or on the Internet,

loan, distribute and sell theses

worldwide, for commercial or

non-commercial purposes, in microform,

paper, electronic and/or any other

formats.

The author retains copyright

ownership and moral rights in

this thesis. Neither the thesis

nor substantial extracts from it

may be printed or otherwise

reproduced without the author's

permission.

ln compliance with the Canadian

Privacy Act some supporting

forms may have been removed

from this thesis.

While these forms may be included

in the document page cou nt,

their removal does not represent

any loss of content from the

thesis.

••

Canada

AVIS:

Your file Votre référence ISBN: 978-0-494-25058-7 Our file Notre référence ISBN: 978-0-494-25058-7

L'auteur a accordé une licence non exclusive

permettant

à

la Bibliothèque et Archives

Canada de reproduire, publier, archiver,

sauvegarder, conserver, transmettre au public

par télécommunication ou par l'Internet, prêter,

distribuer et vendre des thèses partout dans

le monde,

à

des fins commerciales ou autres,

sur support microforme, papier, électronique

et/ou autres formats.

L'auteur conserve la propriété du droit d'auteur

et des droits moraux qui protège cette thèse.

Ni la thèse ni des extraits substantiels de

celle-ci ne doivent être imprimés ou autrement

reproduits sans son autorisation.

Conformément

à

la loi canadienne

sur la protection de la vie privée,

quelques formulaires secondaires

ont été enlevés de cette thèse.

Bien que ces formulaires

aient inclus dans la pagination,

il n'y aura aucun contenu manquant.

(3)

Résumé

Nonobstant l'article 2 (4) de la Charte qui prohibe tout recours à la force entre États, quelques juristes sont d'avis que l'intervention humanitaire est licite en regard du droit international. Pour appuyer leur conclusion, ces auteurs usent d'une pléiade d'arguments qui peuvent être regroupés en deux grandes catégories. Une première postule que l'intervention humanitaire est compatible avec la Charte de l'ONU, tandis qu'une seconde, plus répandue, avance l'idée que la pratique des États depuis 1945 aurait fait naître un droit d'intervention humanitaire. Le présent mémoire examine tour à tour ces divers arguments et en vient à la conclusion que l'intervention humanitaire demeure toujours illégale en vertu du droit international. Malgré la formidable avancée qu'ont connu les droits de l'homme au cours des soixante dernières années, la règle prohibant tout emploi de la force conserve auprès des États toute sa force normative en ce début de 21 ième siècle.

Abstract

In spite of the general prohibition of the use of force in international relations contained in the UN Charter, sorne jurists maintain that humanitarian intervention is valid under comtemporary internationallaw. Too make their case, they put forward a series of arguments which can be divided into two categories. The fIfst holds that humanitarian intervention is compatible with the UN Charter, and the second, which is used more often, that a right of humanitarian intervention has arise out of state's practice. The present thesis surveys these arguments and cornes to the conclusion that humanitarian intervention remains illegal under internationallaw. Notwithstanding the formidable progression of human rights in international society, the mIe prohibiting recourse to force still enjoys great currency among states at the beginning of this new millenium.

(4)

Remerciements

Dans le cadre de la réalisation de ce présent mémoire, j'ai pu compter sur l'aide et le soutien de multiples personnes. Tout d'abord, je désire souligner l'indéfectible appui de ma conjointe Fotini. Sa patience et son indulgence à mon égard ont été exemplaires. Sans ses nombreux encouragements, l'aventure qu'est l'écriture d'un mémoire de maîtrise m'aurait été plus pénible.

Ensuite, je ne peux passer sous silence le soutien de mes parents Lucie et Richard, de même que l'aide apportée par Gaston Denis et Me José Bonneau. Chacun d'entre eux a été d'un grand secours.

Je voudrais aussi remercier chaleureusement mon directeur de thèse, le professeur Stephen J. Toope, pour son amabilité, sa diligence et ses judicieux conseils. Ses suggestions et sa direction m'ont permis d'éviter de nombreux pièges auxquels succombent trop souvent les étudiants. Je lui en suis grandement reconnaissant.

Je me dois également de remercier mes amis et proches, qui ont fait preuve d'une admirable patience devant mes trop nombreuses absences au cours des derniers mois.

Enfin, je souhaite également remercier le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) pour leur soutien financier. Sans leur bourse de maîtrise, il m'aurait été impossible d'investir autant d'efforts à la présente recherche.

François Villeneuve août 2005

(5)

CEDEAO

CIJ

ECOMOG

KFOR MINUK

ONG

ONU

OSCE

OTAN

OUA

RFY TPIY

UCK

URSS

Liste des principaux acronymes

Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest Cour internationale de Justice

ECOWAS Cease-fire Monitoring Group NATO Kosovo force

Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo Organisation non gouvernementale

Organisation des Nations Unies

Organisation de la sécurité et de la coopération en Europe Organisation du traité de l'Atlantique Nord

Organisation de l'unité africaine République fédérale de Yougoslavie

Tribunal pénal international pour l' ex-Yougoslavie Armée de libération du Kosovo

(6)

Table des matières

Introduction

Première partie: La définition et l'origine de l'intervention humanitaire

I. L'intervention définie

A) « Intervention»

B) « Humanitaire»

C) Notre définition de l'intervention humanitaire

II. L'origine de la doctrine de l'intervention humanitaire

A) La théorie de la guerre juste

l. L'Empire romain et le Moyen-Âge 2. La Renaissance

3. Le principe de non-intervention et l'avènement du positivisme

B) La pratique des États de 1815 à 1945

1. La pratique des États avant la première Guerre mondiale

a) La France, la G.B. et la Russie en Grèce en 1827-1830

b) L'Autriche, la France, la G.B.et al. en Syrie en 1860-61

c) Les États-Unis à Cuba en 1898

2. Les auteurs et la doctrine de l'intervention humanitaire 3. La période de l'entre-deux-guerres

Deuxième partie: L'intervention humanitaire à la lumière de la Charte de l'ONU et de la pratique des États de 1945 à 2005

I. Les arguments fondés sur la compatibilité avec la Charte de l'ONU

1 5 5 8 11 15 17 17 17 19 23 26 26 26 28 29 31 34 38 42

(7)

II. Les arguments fondés sur la pratique générale des États de 1945 à 2005 52

A) Les arguments fondés sur l'inefficacité du Conseil de sécurité de l'ONU 53

B) Les arguments fondés sur la « révolution des droits de l'homme» 58

C) Les arguments fondés sur les divers cas d'interventions armées depuis 1945 66

1. Les cas présumés d'interventions humanitaires durant la Guerre froide 68

a) L 'Inde au Bengale oriental en /97/ 68 b) Le Vietnam au Kampuchéa (Cambodge) en 1978-79 73

c) La Tanzanie en Ouganda en /978-79 78

d) La France en République centrafricaine en /979 81

2. Analyse des cas d'« interventions humanitaires» de 1945 à 1989 85

3. Les cas présumés d' « interventions humanitaires» depuis 1990 89

a) La CEDEA 0 au Libéria en /990 89

b) Les alliés (É.-U.,G.-B.et la France) en Irak en /99/-92 106

c) L'OTAN en RFY en 1999 125

4. Analyse des cas d'« interventions humanitaires» de 1990-2005 160

Conclusion 171

(8)

Introduction

Le droit sans laforee, c'est l'impuissance; laforee sans le droit, c'est la barbarie Eric David

Ces mots paraphrasant l'une des plus célèbres citations du philosophe français Blaise Pascal décrivent peut-être le mieux le dilemme moral qui hante l'un des débats les plus épineux des relations internationales modernes, la question de l'intervention humanitaire. D'une part, les États doivent-ils, au nom du droit international, qui interdit en principe l'emploi de la force armée dans les relations interétatiques, s'abstenir d'intervenir militairement lorsqu'en quelques lieux sont perpétrés, de manière systématique, des crimes contre les droits élémentaires de l'homme? En effet, que valent ces droits s'ils ne sont pas épaulés par un système coercitif assurant leur respect effectif? Sans la possibilité d'user de tels mécanismes, la communauté internationale n'est-elle pas impuissante? D'autre part, peut-on raisonnablement faire abstraction de ce droit international et laisser comme au 19ième siècle le libre arbitre à chaque État de recourir comme bon lui semble à la guerre avec tous les abus et les dommages humains que cela occasionne ? N'y aurait-t-il pas danger que le mobile humanitaire ne devienne qu'un prétexte servant les visées hégémoniques des grandes puissances? Cela ne constituerait-t-il pas un retour à la loi de la jungle et à la barbarie dans la société internationale?

Ce dilemme ne peut être aisément résolu. Car il implique une confrontation entre deux valeurs fondamentales pour l'homme, la non-violence et le respect des droits de la personne. Laquelle doit prédominer? Depuis maintenant plusieurs années, les théologiens, les philosophes et les politologues se sont penchés sur cette question. Le droit international actuel n'échappe pas au débat. Si la Charte de l'ONU adoptée en

1 Propos tenus par le professeur Eric David lors d'un débat présidé par Jean Salmon à l'occasion d'un

colloque portant sur l'intervention du Kosovo et organisé par le Centre de droit international et de sociologie appliquée en droit international de l'Université Libre de Bruxelles le 10 décembre 1999. «Débats, sous la présidence de Jean Salmon» dans Corten Olivier et Barbara Delcourt, Droit, légitimation et politique extérieure: L'Europe et la guerre du Kosovo, Bruxelles, Bruylant et Université de Bruxelles, 2000, à la p. 304. [Corten et Delcourt] L'énoncé du professeur Eric David s'avère néanmoins une traduction quelque peu inexacte de la fameuse citation de Pascal. Celui-ci, dans son ouvrage intitulé Pensées, aurait plutôt affirmé: «La justice sans la force est impuissante, la force sans lajustice est tyrannique».

(9)

1945 a un parti pris pour la non-violence, les droits de l'homme ont connu un développement spectaculaire au cours des soixante dernières années. De sorte qu'il n'y a pas d'unanimité parmi les auteurs sur la question de la légalité de l'intervention humanitaire. Elle demeure un sujet hautement controversé en droit international. Et il faut le croire, il le restera encore pour longtemps. Même si aujourd'hui l'attention des États occidentaux est tournée vers la lutte au terrorisme suivant les attentats meurtriers de New York, Bali, Madrid et plus récemment Londres, tôt ou tard, il surgira des tragédies humanitaires qui réanimeront la polémique comme l'ont cruellement rappelé les tristes événements du Darfour il y a quelques mois. Pour ces raisons, l'étude de l'intervention humanitaire conserve toute son utilité. C'est pourquoi il nous est apparu opportun d'étudier son statut en droit international, même si bien d'autres nous ont précédé.

Ainsi, l'objectif du présent mémoire est de réexaminer la légalité de l'intervention humanitaire à la lumière de l'évolution qu'a connu le droit international depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale et de déterminer, plus spécifiquement, si elle ne constitue pas, en ce début du 21ième siècle, une exception légale à l'article 2 (4) de la Charte de l'ONU. Pour ce faire, nous analyserons ses aspects légaux à travers l'examen des principaux arguments soulevés par les auteurs qui y sont favorables.

Notre étude sera divisée en deux grandes parties. La première aura pour but d'éclaircir les contours de notre sujet et de mettre en contexte les composantes légales de l'intervention humanitaire, lesquelles seront ensuite approfondies dans une deuxième partie. Puisque le concept de l'intervention humanitaire a été par le passé soumis à diverses interprétations, nous croyons nécessaire de consacrer nos premières pages à exposer dans le détaille sens particulier qu'il peut avoir en droit international, à la suite de quoi nous formulerons notre propre définition. Une fois l'intervention humanitaire explicitée, nous pourrons explorer ses origines historiques dans une deuxième section. Après un aperçu de la théorie de la guerre juste qui est aux fondements même de la doctrine de l'intervention humanitaire, nous ferons un court résumé de la pratique et du contexte légal applicables aux interventions armées

«

humanitaires» du début du 19ième siècle jusqu'à 1945, année de l'adoption de la Charte de l'ONU.

(10)

La deuxième partie examinera la légalité de l'intervention humanitaire qui est au cœur de notre étude. Partant de l'examen du contenu normatif de la Charte de l'ONU quant à l'usage de la force armée, et tout spécialement de son article 2 (4), nous étudierons par la suite, les deux grandes catégories d'arguments qui sont les plus fréquemment soulevés par les tenants de la légalité de l'intervention humanitaire. Dans une première section, nous analyserons le postulat souvent réitéré qu'elle serait compatible avec la Charte. Certains juristes réfutent l'idée généralement reçue que la prohibition de l'emploi de la force contenue à l'article 2 (4) de la Charte ne souffrirait d'aucune exception. Ils sont plutôt d'avis que cette disposition permet par ses termes l'intervention humanitaire.

La deuxième série d'arguments, contrairement à la précédente, ne repose pas sur la Charte de l'ONU, mais sur l'idée que la pratique ultérieure des États a eu pour effet d'altérer le caractère obligatoire et absolu de l'article 2 (4). Trois arguments spécifiques seront alors analysés dans une deuxième section. Premièrement, certains auteurs font valoir que la paralysie du Conseil de sécurité occasionnée par les rivalités géopolitiques entre les deux superpuissances durant la Guerre froide n'avait pas été prévue par les membres fondateurs de l'ONU et qu'en conséquence, il serait loisible aux États de recourir à l'intervention humanitaire de manière unilatérale lorsque le Conseil est dans l'incapacité d'agir. Deuxièmement, plusieurs juristes expriment l'opinion que le développement du régime international de protection des droits de l'homme au cours des soixante dernières années, ce qui est convenu d'appeler la

«

révolution des droits de l'homme

»,

a favorisé l'apparition d'un droit d'intervention humanitaire. Enfin, un dernier groupe plus nombreux croit que certaines opérations armées survenues depuis 1945 constitueraient de véritables interventions humanitaires et qu'elles témoigneraient de l'émergence, mieux de la concrétisation, d'une coutume internationale qui aurait aujourd'hui préséance sur l'article 2 (4). Ceux-ci s'appuient sur une multitude de cas. Mais pour les fins de ce mémoire, sept incidents seront évalués, le dernier en date étant l'intervention de l'OTAN en RFY en 1999. Ce n'est qu'après la revue et l'analyse de tous ces arguments que nous pourrons conclure à la licéité ou non de l'intervention humanitaire.

Avant de commencer notre travail toutefois, nous désirons émettre quelques précisions préliminaires que nous jugeons importantes. Sur le plan méthodologique en

(11)

premier lieu, notre choix d'étudier la légalité de l'intervention humanitaire par le biais des arguments de ses adeptes s'explique par le fait que l'article 2 (4) de la Charte de l'ONU contient explicitement une interdiction générale de recourir à la force armée dans les relations internationales. En conséquence, le fardeau de démontrer sa validité en droit international repose donc sur ceux qui le prétendent. Ensuite, nous tenons à préciser dès le départ que notre travail de recherche porte une attention particulière à l'étude de la pratique des États, surtout aux cas présumés d'interventions humanitaires qui sont survenus depuis 1990. Ce n'est pas sans raison. Puisque l'État par ses faits et gestes est le principal créateur de normes internationales, nous croyons que toute recherche de droit international aurait avantage à s'attarder aux comportements étatiques. Enfin, nous désirons souligner que notre analyse juridique est essentiellement basée sur une approche positiviste du droit. Malgré certaines lacunes, nous sommes d'avis qu'elle demeure la meilleure méthode pour disséquer le droit international.

(12)

Première partie

La défmition et l'origine de l'intervention humanitaire

1. L'intervention définie

Malgré le vaste éventail de publications de science politique et de droit abordant le concept d'intervention humanitaire, une confusion persiste sur son sens et sa portée véritable. Le droit d'intervention humanitaire semble, en effet, être sujet à de multiples interprétations. D'une part, il est très souvent confondu avec d'autres notions politiques ou juridiques. Les médias français ont régulièrement assimilé le droit et le devoir d'ingérence2 à différents types d'immixtions dans la souveraineté des États, incluant celles impliquant l'utilisation de la force3• Et plus récemment, l'on

s'aperçoit que certains semblent avoir du mal à distinguer le concept actuellement en vogue de la

«

responsabilité de protéger », qui traite essentiellement des actions militaires multilatérales, de l'intervention humanitairé. D'autre part, le peu de juristes qui ont tenté de le définir ne s'entendent pas sur une signification commune. Il y a d'âpres débats entre eux, notamment lorsqu'il est temps de donner un sens aux termes

«

intervention» et

«

humanitaire ». De sorte que le profane ne sait plus exactement ce

2 Le droit et le devoir d'ingérence ont été popularisés à la fin des années 80 et au début des années 90

par le médecin sans-frontièriste Bernard Kouchner et le juriste Mario Bettati. Voir à ce sujet Mario Bettati et Bernard Kouchner, Le devoir d'ingérence: Peut-on les laisser mourir ?, Paris, Éditions Denoel, 1987 et Mario Bettati, « Un droit d'ingérence?» (1991) 95 Revue Générale de Droit International Public 639. [Bettati). Les deux expressions ont été, par la suite, reprises amplement dans les médias français, notamment lors de la première Guerre du golfe en 1991. (Olivier Corten et Pierre Klein, Droit d'ingérence ou obligation de réaction? Les possibilités d'action visant à assurer le respect des droits de la personne face au principe de non-intervention, Bruxelles, Bruylant, 1992, à la p. 2.) (Corten et Klein)

3 Bettati, supra note 2 à la p. 640. En fait, le devoir et le droit d'ingérence ne se retrouvent dans aucun instrument international contraignant. Le devoir d'ingérence, de l'avis même d'un de ses créateurs, ne devait avoir aucun avenir juridique en droit international. Il a été introduit « par commodité de langage pour désigner une attitude éthique» (voir ibid. à la p. 643), celle représentée par les diverses actions humanitaires d'ONG comme Médecins du Monde. Pour ce qui est du droit d'ingérence, terme n'ayant aucune valeur juridique toujours selon Bettati (Mario Bettati, « Le droit d'ingérence: sens et portée» (1991) 67 Le Débat 4, à la p. 5.), il s'agit d'une variante populaire du droit d'assistance humanitaire qui est mieux défini et qui possède une histoire plus longue en droit international.

4 Le concept de « responsabilité de protéger » a été adopté suivant les travaux tenus par la Commission

internationale de l'intervention et de la souveraineté des États qui visait à établir une nouvelle norme en matière d'intervention internationale pouvant faire consensus. Dans son rapport rendu publique en 2001, les commissaires abordent peu l'intervention humanitaire sans mandat de l'ONU. En fait, il

semble, malgré une prise de position quelque peu ambiguë de la Commission, que la notion de

« responsabilité de protéger» ne renferme pas un droit unilatéral d'intervention humanitaire pour les États. (Commmission Internationale de l'Intervention et de la Souveraineté des États, La responsabilité de protéger, (Décembre 2001), en ligne: <http://www.iciss.ca/report2-fr.asp> au para. 6.36 à 6.39, à la p. 59. (Date d'accès: 20 août 2005) [Responsabilité de protéger]

(13)

que peut vouloir dire l'expression

«

intervention humanitaire ». Désigne-t-elle toute ingérence dans un autre pays visant à secourir une population en détresse ? Comprend-t-elle l'aide humanitaire délivrée par une ONG comme le Comité international de la Croix-Rouge ou l'emploi de la force armée autorisé par le Conseil de sécurité ?

Ces ambiguïtés terminologiques minent grandement toute analyse de la légalité du droit d'intervention humanitaire. C'est pourquoi, il nous est apparu primordial d'éclaicir ses contours conceptuels avant de procéder à toute discussion ultérieure, et ce malgré le scepticisme de certains quant à l'utilité d'une telle démarche5• A tout le moins, ces éclaircissements auront l'avantage de délimiter avec plus d'acuité le sujet de la présente étude, ce qui ne peut que faciliter sa compréhension globale.

Puisqu'aucun instrument de droit international ne définit explicitement ce qu'est une intervention humanitaire, il est nécessaire de se tourner vers la doctrine, qui elle s'est prononcée, sans toutefois en arriver à un consensus sur une définition particulière6• Traditionnellement, les auteurs ont eu tendance à adopter des définitions

vagues à l'intérieur desquelles la moralité avait une place de choix. Au début du 20ième siècle, l'intervention humanitaire était typiquement celle par laquelle un État employait la force contre un autre État afm de mettre un terme à des traitements contraires aux lois de l'humanitë ou lorsque certains actes perpétrés dépassaient les limites de l'acceptabilité et du tolérable. Antoine Rougier par exemple, dont la définition a inspiré bon nombre de générations successives de juristes8, assimilait la

5 Ce qui a fait dire à un juriste que ces confusions terminologiques rendent illusoire toute tentative de définir les contours du concept d'intervention humanitaire. (Michael J. Bazyler, « Reexaminig the Doctrine of Humanitarian Intervention in Light of the Atrocities in Kampuchea and Ethiopia» (1987)

23 Stariford Journal ofinternationallaw 547, à la page 547 [Buyler]) Pour d'autres, toute définition

générale serait très difficile à formuler et impossible à appliquer avec rigueur. (Thomas M. Franck and Nigel S. Rodley, « After Bangladesh: The Law of Humanitarian Intervention hy Military Force» (1973) 67(2) American Journal of International Law 275, à la p. 305. [Franck and Rodley))

6 En fait, les auteurs ne s'entendent pas sur les conditions d'exercice d'un éventuel droit d'intervention

humanitaire. Elles varient d'un auteur à l'autre. Certains modulent leur définition en assouplissant ces critères dans le but de rendre légal l'intervention humanitaire (Sean D. Murphy, Humanitarian

Intervention: The United Nations in an Evolving World Order, Philadelphia, University of

Pennsylvania Press, 1996, à la p. 11.) [Murphy). Une telle approche est évidemment à éviter.

7 En anglais, l'expression équivalente était « Rights ofhumanity».

8 Un de ceux-là, Charles Rousseau, donna écho dans les années 70 à la définition de Rougier. Pour lui, l'intervention dite humanitaire correspondait à « l'action exercée par un État contre un gouvernement

(14)

théorie de l'intervention d'humanitë à «celle qui reconnaît pour un droit l'exercice du contrôle international d'un État sur les actes de souveraineté intérieure d'un autre État contraires «aux lois de l'humanité» »10. Tandis qu'un de ses contemporains, Ellery StoweU, définissait la doctrine de l'intervention humanitaire de la manière suivante: «[T]he reliance upon force for the justifiable purpose of protecting the inhabitants of another state from treatment which is so arbitrary and persistently abusive as to exceed the limits of that auhority within which the sovereign is presumed to act with reason and justice» II.

Il faut cependant attendre quelques années pour voir les auteurs élaborer une doctrine plus moderne de l'intervention humanitaire basée sur la protection des droits de la personne. Le professeur lan Brownlie capta cette nouvelle approche lorsqu'il définit laconiquement l'intervention humanitaire comme étant la menace ou l'emploi de la force par un État, un groupe d'État ou une organisation internationale dans le but de protéger les droits de l'hommel2• Nonobstant ce développement, il faut admettre que le libellé de lan Brownlie demeure incomplet sur le plan juridique et peu satisfaisant lorsque vient le temps de conceptualiser dans le détail la notion d'intervention humanitaire. Pour ce faire, il est nécessaire d'examiner exhaustivement le sens que peut revêtir les termes « intervention» et « humanitaire ». Ceci facilitera l'adoption d'une définition avec laquelle nous pourrons travailler.

étranger dans le but de faire cesser les traitements contraires aux lois de l'humanité qu'il applique à ses

~ropres ressortissants». Charles Rousseau, Droit international public, Paris, Sirey, 1971, à lap. 49. Cette expression réfère davantage aux interventions humanitaires qui avaient cours au 19,eme siècle dans le cadre du Concert de l'Europe. Celles-ci seront étudiées plus abondamment un peu plus loin. Voir deuxième section de cette première partie, ci-dessous aux pp. 26 et ss. Il est à noter toutefois que plusieurs juristes français contemporains utilisent toujours cette expression pour désigner les interventions humanitaires. Voir notamment les deux auteurs suivants: Mario Bettati, Le droit

d'ingérence: mutation de l'ordre international, Paris, Odile Jacob, 1996 et Serge Sur, Le recours à la force dans l'affaire du Kosovo et le droit international: une analyse de l'intervention de l'OTAN au Kosovo, au regard du droit international et de la Charte des Nations Unies, Série Atlantique, Notes de

l'IFRI 22, Paris, IFRI, 2000. [Sur]

10 Antoine Rougier, « La théorie de l'intervention de l'humanité» (1910) 17 Revue Générale de Droit

International 468, à la p. 472. [Rougier]

Il Ellety Stowell, Intervention in International Law, Washington, John Byme Co., 1921, à la p. 53. [Stowell]

12 Sa définition originale est la suivante: « the threat or use of armed force by a state, a belligerent

community, or an international organization, with the object of protecting human rightS». (lan Brownlie, « Humanitarian Intervention» dans John Norton Moore, dir., Law and Civil War in the

(15)

A)

«

Intervention»

Le terme « intervention» en droit international englobe une multitude d'interférences dans les affaires intérieures et extérieures des États. Il n'implique pas nécessairement l'emploi de la force contre un autre État ou même la violation transfrontalière du territoire national13• Ainsi, le retrait d'une mission diplomatique, la

condamnation publique d'un État, l'imposition de sanctions économiques ou le financement de groupes d'opposition peuvent, le cas échéant, être qualifiés d'intervention en regard du droit international14• Néanmoins, les auteurs sont

généralement d'avis qu'une intervention

«

humanitaire» doit être de nature plus coercitive, c'est-à-dire qu'elle se limiterait aux cas de menace ou d'emploi réel de la force armée15• L'envoi d'un contingent armé dans un pays étranger serait donc le type

d'ingérence le plus familier lorsqu'il est question de l'intervention humanitaire16• Cela n'empêche pas quelques auteurs d'assimiler certaines mesures moins astreignantes à des interventions humanitaires17, comme par exemple des sanctions économiques

onéreuses qui obligeraient un État à revoir ses pratiques en matière de droits de l'homme. Mais pour les fins de la présente étude, ces dernières ne seront pas abordées.

Après avoir examiné la nature des actes qui entrent dans le définition d'intervention humanitaire, voyons qui peut en être les instigateurs. Sur ce point particulier, il y a peu de dissensions parmi les auteurs18• L'intervention humanitaire

peut être entreprise par un État seul. Dans ce cas, elle est unilatérale. Un groupe d'États peut également intervenir collectivement en formant une coalition ad hoc ou

13 Une majorité d'auteurs considèrent néanmoins que ces interférences doivent, minimalement, avoir pour but d'imposer un diktat à un autre État (qu'il s'agisse de le contraindre à poser certains actes ou à

adopter une quelconque politique), pour que l'on puisse être en présence d'une intervention en droit international. Voir à ce sujet notamment Wil D.Verwey, « Humanitarian Intervention under International Law» (1985) 32(3) Netherlands International Law Review 357 à la p. 364-65. [Verwey]

14 Murphy, supra note 6, à la p. 9.

15 Verwey, supra note 13, à la p. 374.

16 Toutefois, les mesures qui correspondent à des menaces d'utilisation de la force sont également

comprises dans la définition d'intervention humanitaire. Il semble bien y avoir un consensus à ce sujet parmi la doctrine. En effet, une menace de recourir à la guerre peut, dans certaines circonstances, constituer une mesure aussi coercitive que la force elle-même. (Murphy, supra note 6, à la p. 13). Notons d'ailleurs que la communauté internationale l'a érigé, tout comme l'emploi de la force, en acte illégal par l'entremise de l'article 2 (4) de la Charte de l'ONU.

17David J. Scheffer, « Towards a Modem Doctrine of Humanitarian Intervention» (1992) 23 University o/Toledo Law Review (1992) 253 à la p. 266 [Scheffer]; Fernando Téson, Humanitarian Intervention: An Inquiry into Law and Morality, 2nd ed. Irvington-on-Hudson, Transnational Publishers, 1997 à la p. 135. [Téson]

(16)

inversement agir à l'intérieur d'un mandat d'une organisation intergouvernementale régionale, économique ou militaire comme par exemple l'OUA, la CEDEAO ou l'OTAN. Par contre, les interventions menées par des États ou des organisations régionales et dûment autorisées par le Conseil de sécurité de l'ONU sont, de l'opinion

d'une majorité de spécialistes19, exclues du domaine des interventions humanitaires.

En effet, des normes juridiques complétement différentes s'appliquent à ces

utilisations autorisées de la force armée car, contrairement aux interventions non approuvées, leur légalité ne fait aucun doute. Elles constituent des exceptions valables

à la prohibition générale de recourir à la force que l'on retrouve à l'article 2 (4) de la

Charte de l'ONU20• Dans le but de ne pas complexifier inutilement la présente

analyse, il est préférable de ne pas les insérer sous le vocable des interventions humanitaires. Elles ne seront étudiées, dans cet ouvrage, que pour illustrer certains points.

Un autre type de recours à la force ne doit pas être considéré, à plus forte raison, d'interventions humanitaires. Il s'agit des opérations militaires dont l'ONU assume le commandement comme par exemple les opérations de maintien et

d'imposition de la paix21• Il en va de même des missions humanitaires à l'étranger des

ONG qui ne constituent pas des

«

interventions» au sens du droit international. Ainsi,

l'aide alimentaire, l'assistance médicale et le soutien logistique apportés à des

populations étrangères en détresse par des organismes privés comme Médecins du Monde constituent, sur le plan de la terminologie juridique, de l'assistance humanitaire. Le droit international confère d'ailleurs aux victimes se trouvant en situation de catastrophes naturelles ou de crises humanitaires un droit d'assistance humanitaire, droit qui leur permet de recevoir, sans aucune discrimination, de l'aide humanitaire de la part de pays étrangers ou d'ONG22• Il apparaît donc, à l'évidence,

19 Voir cependant les opinions discordantes de certains auteurs tels Sean D. Murphy et FernandoTéson.

(Murphy, supra note 6 à la p. 14 et Téson, supra note 18).

20 Il en sera question un peu plus tard. Voir l'introduction de la deuxième partie ci-dessous à la p. 40.

21 Pour plus de déJaiis sur ce type particulier d'opérations, voir notamment Claude Emmanuelli, Les

actions militaires de l'ONU et le droit international humanitaire, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur

inc., 1995. [Emmanuelli]

22 La CIJ a reconnu ce droit d'assistance humanitaire dans l'affaire sur le Nicaragua. (Affaire des

activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis), arrêt du

27 juin 1986 (au fond) [1986] C.U. rec. 14, à la p. 124 et 125. [Nicaragua]). D'autres instruments du droit international témoignent également de la reconnaissance de ce droit. D'une part, en temps de guerre, les Conventions de Genève de 1949 ainsi que ses Protocoles additionnels confèrent un droit

(17)

d'importantes divergences entre l'intervention et l'assistance humanitaire. La plus significative est que cette dernière activité n'implique, plus souvent qu'autrement, aucune force armée. Ce qui n'est pas le cas de l'intervention humanitaire, qui par définition comprend l'emploi de la force armée, comme nous l'avons énoncé un peu plus haut. Il peut arriver cependant, compte tenu des conditions sur le terrain, qu'une force militaire soit déployée dans le but de protéger des convois d'aide humanitaire dans des zones de turbulence pOlitique23• Ces cas de déploiements expliquent, en

partie, la difficulté qu'ont certains de différencier l'intervention de l'assistance humanitaire. Une autre distinction à relever entre ces deux notions est le fait que les spécialistes du droit international sont généralement d'avis que la délivrance de l'assistance humanitaire à l'étranger par un État ou une ONG n'enfreint pas, en principe, la souveraineté du pays qui reçoit l'aide, car la plupart du temps ce dernier y aura consente4•

Les interventions effectuées à la demande d'un gouvernement étranger aux prises avec des troubles internes ne peuvent également recevoir le qualificatif d'« humanitaire ». Ceci s'applique que l'invitation provienne d'une autorité légitimement élue25 (de jure) ou qui assume de fair6 (de facto) le pouvoir sur le

territoire nationat27• De telles conclusions proviendraient du fait que l'utilisation de la

force lors d'interventions par invitation serait, avant tout, considérée comme de la coopération militaire28• Ce qui revient à dire qu'elle n'enfrendrait aucunement la

souveraineté de l'État-hôte.

paix, le droit résolutoire de l'Assemblée de l'ONU, inspiré des travaux de Bettati et Kouchner, permet aux États et aux ONG étrangères d'offrir de l'aide aux victimes lors de catastrophes humaines et naturelles. Voir à ce sujet Nguyen Quoc Dinh, Patrick Daillier et Alain Pellet, Droit international gublic, 6e ed., Paris, LGDJ, 1999, aux pp. 444 à 446.) [Dinh, Daillier et Pellet]

3 Quelquefois, ils peuvent être assimilés à des interventions humanitaires. La mission « Provide comfort» menée en vue de délivrer de l'aide alimentaire aux kurdes irakiens en 1991 en est un exemple. Voir à ce sujet ci-dessous les pp. 106 et ss.

24 Certains auteurs sont également d'avis que l'intervention humanitaire ne viole pas la souveraineté

étatique. Il en sera question un peu plus loin. Voir ci-dessous aux p. 42-43. 25 Qu'il soit en exil ou non.

26 Par exemple, un groupe armé qui a obtenu le pouvoir à la suite d'un coup d'État.

27 Les auteurs sont divisés néanmoins sur la question de savoir s'il en serait de même pour l'invitation donnée par un groupe de rebelles qui contrôlerait effectivement une parcelle du territoire en proie à la guerre civile ou à une crise humanitaire. Voir à ce sujet la discussion dans Murphy, supra note 6, à la

p. 19 (note 19). Pour notre part, nous croyons qu'une telle invitation faite par un groupe d'insurgés serait légitime dans la mesure où il y aurait absence d'un gouvernement apte à diriger les destinées d'un gays.

(18)

B)

«

Humanitaire

»

Le tenne

«

humanitaire» est aussi problématique sur le plan de la sémantique que peut l'être

«

intervention». Dans son sens ordinaire, cet adjectif désigne toute action

«

[q]ui vise au bien de l'humanité ))29. Ce n'est donc pas surprenant qu'il a été

employé à toutes les sauces au cours des dernières années. Il peut désigner, en effet, de multiples actions initiées par les États, les organisations internationales ou les organisations non gouvernementales aspirant à améliorer le bien-être des individus et à les délivrer de leurs souffrances. Nous n'avons qu'à penser aux expressions suivantes: action humanitaire, aide humanitaire, assistance humanitaire, droit international humanitaire et bien entendu intervention humanitaire, etc. À en croire certains, il y a de quoi faire une indigestion3o•

Mais lorsqu'il vient après le mot « intervention », le qualificatif

«

humanitaire)) a une signification toute particulière, limitée à une situation bien précise. L'intervention dite humanitaire est celle qui a pour objectif de mettre un tenne à l'existence d'une situation préoccupante au niveau des droits de l'homme, qui très souvent dégénère et déstabilise politiquement une région du monde. Situation qui peut résulter soit de la conduite d'un État envers ses citoyens ou encore des exactions survenant à l'occasion de désordres internes lorsque le gouvernement est dans l'incapacité de maintenir l'ordre et de rétablir son autoritël. Ainsi sur le plan

conceptuel, l'intervention humanitaire doit être distinguée de l'intervention pro-démocratique puisque, contrairement à cette dernière, elle ne vise pas stricto sensu à remplacer par la force un régime tyrannique par un gouvernement démocratique32•

Elle n'aspire qu'à éradiquer les crises humanitaires occasionnées par la négation des droits de l'homme sans nécessairement s'attaquer directement aux régimes politiques qui peuvent en être quelquefois la cause.

29 Le Robert illustré d'aujourd'hui en couleur, 1997, s.v. ({ humanitaire».

30 Jean-Christophe Rutin, « La maladie infantile du droit d'ingérence» (1991) 67 Le débat 24.

31 Il n'est donc pas nécessaire que la négation des droits de l'homme soit le fait d'un gouvernement

~ur être en présence d'une intervention humanitaire. (Murphy, supra note 6, aux pp. 17-18.)

2 Pour plus de détails sur ce type d'intervention très controversé en droit international voir notamment:

Christine Gray, International Law and the Use of Force, 2nd ed., Oxford, Oxford University Press, 2004, aux pp. 49-52 [Gray]; Brad R. Roth, ({ Governmental Illegitimacy Revisited: Pro-Democratie Armed Intervention in the Post-Bipolar World» (1993) 3 Transnational Law and Contemporary

Prob/ems 481; Oscar Schachter, ({ Is There a Right to Overthrow an Illegitimate Regime? )) dans

Michel Virally, Le droit international au service de la paix de la justice et du développement, Paris,

(19)

Cela étant dit, on peut se demander à quel moment une situation devient assez préoccupante pour légitimer une intervention extérieure ? En premier lieu, il est généralement admis qu'on doit être en présence de violations massives des droits humains33. Ces violations doivent être, en quelque sorte, étendues et systématiques, de sorte que se crée un sentiment d'urgence de la part de la communauté internationale. Ainsi, une forte quantité de transgressions aux normes internationales est habituellement requise avant d'intervenir dans un État étranger. A contrario, quelques atteintes épisodiques aux droits de l 'homme ne rencontrent pas les conditions suffisantes pour justifier l'emploi de la force. L'étendue des exactions devient donc un facteur important à considérer préalablement à toute intervention. Ce critère est quelquefois jumelé à un autre. Celui d'un certain degré de récurrence des violations massives des droits de l'homme. Ce facteur, moins considéré par la doctrine, demeure tout de même pertinent. En effet, la communauté internationale laisse généralement, à l'occasion d'une première violation significative, l'opportunité au gouvernement impliqué de mettre fin à ses pratiques illégales ou de résoudre par lui-même les difficultés rencontrées. Elle commençera très souvent par condamner cet État en faute avant de se lancer dans une intervention onéreuse en vies humaines et pertes matérielles. Autrement dit, elle essaiera, avant de recourir à la force armée, de résoudre l'imbroglio international par les mécanismes classiques de la diplomatie34. Il peut cependant arriver des circonstances où les atteintes sont si graves et étendues qu'il y a urgence d'intervenir sans se préoccuper de savoir si les violations ont une certaine continuité dans le temps35.

Deuxièmement, une situation devient préoccupante dans un pays lorsque sont bafoués certains droits de l'homme qui ont un caractère fondamentae6• Le droit à la

vie possède, de l'opinion de plusieurs publicistes, ce statut particulier3? Sa violation

répétée occasionne des pertes substantielles de vies humaines, ce qui en retour justifie très souvent une intervention humanitaire. D'autres droits peuvent, pour les fins de la définition d'intervention humanitaire, revêtir ce caractère exceptionnel si leur négation

33 Verwey, supra note 13, à la p. 368.

34 Plusieurs auteurs sont même d'avis qu'il s'agirait d'un préalable nécessaire à toute intervention

humanitaire. Voir la note 668 ci-dessous.

35 La tragédie, qui a frappé le Rwanda il y a maintenant plus de dix ans, nous vient immédiatement à

l'esprit.

36 Voir notamment Manouchehr Ganji, International Protection of Human Rights, Paris, Minard, 1962,

à lap. 9.

(20)

est systématique38. Le droit à l'intégrité physique, le droit à la non-discrimination, le

droit à la liberté et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes39 sortent du loéo. Mais tout compte fait, c'est fréquemment la gravité de certains actes commis par les forces gouvernementales ou les factions rebelles comme par exemple le génocide, l'esclavage ou encore la torture qui légitime, en bout de ligne, l'intervention humanitaire. Ces pratiques tout particulièrement abhorrées par la communauté internationale constituent, en fait, de graves violations à des normes universellement reconnues41• Ce rejet planétaire s'explique par le caractère particulièrement odieux de

ces entreprises qui nient toute dignité à l'être humain. Elles dépassent ce qui peut être considéré comme humainement tolérable et elles choquent, très souvent, la «conscience morale de l'humanité »42 pour reprendre une expression souvent employée dans la littérature.

Si la violation effective des droits humains dans un pays étranger a souvent été un événement préalable aux interventions humanitaires, elle n'est pas un prérequis obligatoire. Plusieurs auteurs s'entendent sur le fait qu'on peut être en présence d'une intervention humanitaire même si aucun déni de droit a été commis43• L'intervention

menée dans le but de parer à une menace imminente de violations massives et répétées des droits fondamentaux de l'homme est généralement comprise dans le concept d'intervention humanitaire44• Une telle inclusion est tout à fait compréhensible.

Considérant que la protection des droits de l'homme constitue le motif premier de l'intervention humanitaire, il serait illogique d'exclure de sa définition le recours

38 Murphy, supra note 6, à la p. 17.

39 Franck et Rodley, supra note 5, à la p. 277. Néanmoins, la violation de ce droit, ainsi que d'autres

droits politiques internationalement reconnus s'appliqueraient davantage sur le plan conceptuel aux interventions pro-démocratiques.

40 De graves violations aux droits de l'homme en temps de guerre, c'est-à-dire au droit international

humanitaire, pourraient, le cas échéant, servir aussi de fondement à une intervention humanitaire. La définition que donne l'Institut danois des affaires internationales de l'intervention humanitaire comprend ce type de violations. (Danish Institute of International Affairs, Humanitarian Intervention: Legal and Political Aspects, Copenhagen, Danish Institute of International Affairs, 1999, à la p. Il.

[Danish Institute])

41 L'interdiction de l'esclavage et du génocide aurait même le statut de norme de jus cogens en droit

international. (Barce/ona Traction Light and Power Compagny (Belgique / Espagne), arrêt (fond), [1970] C.I.J. rec. 3, à la p. 33.) [Barcelona Traction]

42 Michael Wal:ler, Just and Unjust Wars: A Moral Argument with Historical Illustrations, Ist ed.,

New York, Basic Books, 1977, à la p. 107 [Walzer].

43 Verwey, supra note 13, à la p. 370.

44 La menace devrait cependant être sérieuse, évidente et ne laisser aucune place à délibération selon le

juriste Wil Verwey qui se réfère à la définition classique de la légitime défense anticipée de Webster. (Ibid.)

(21)

préventif qui vise à éviter qu'une région du monde bascule dans l'atrocité et le chaos45, Il demeure néanmoins que ce type d'intervention fondé sur l'anticipation de violations massives aux droits de l'homme est propice à l'abus et, à ce titre, est dangereux pour la stabilité des relations internationales46,

Une question plus épineuse et qui ne fait pas l'unanimité parmi les spécialistes du droit est celle de savoir si la ou les parties intervenantes doivent avoir pour seul motifla protection des droits de l'homme pour que l'on puisse conclure à l'existence d'une intervention humanitaire47, Autrement dit, les États ou organisations

intergouvernementales doivent-ils, lorsqu'ils interviennent, être complètement désintéressés ? Plusieurs l'affirment48, Il nous semble, pour notre part, irréaliste d'apposer des conditions aussi strictes à la définition d'intervention humanitaire, S'il en était ainsi, peu sinon aucune intervention à ce jour ne pourrait être qualifiée d'« humanitaire », Les cas étudiés révèlent, invariablement, la concomitance de motifs politiques49• D'ailleurs, comment les juristes pourraient-ils être instruits des

motivations qui animent les dirigeants politiques lorsqu'ils prennent la décision d'employer la force armée? On peut toujours spéculer, mais il est impossible de connaître avec certitude leurs véritables intentions, Par conséquent, nous croyons qu'il est préférable de conférer le qualificatif d'humanitaire aux incidents dans lesquels une des justifications offertes témoigne du souci de sauvegarder les droits de l'homme et que cette préoccupation affichée soit en quelque sorte corroborée par des actes subséquents, Autrement dit, il doit ressortir d'un cas d'espèce que le ou les États intervenants ont agi de bonne foi et que leur conduite générale corresponde relativement bien aux prétentions soutenues. L'intervention humanitaire doit être

45 Richard Lillich, « Forcible Self-help to Proteet Human Rights », (1967-68) 53 Iowa Law Review 325,

à la p. 348. [Lillicb «Self-Help »]

46 Jonathan Charney, « Anticipatory Humanitarian Intervention in Kosovo », (1999) 93(4) American

Journal of International Law 834, à la p. 841. [Cbarney)

47 Il est à souligner que la question de déterminer les motivations des États intervenants diffère de celle de l'opiniojuris qui possède ses propres critères. Voir ci-dessous les pp. 160-161.

48 Voir notamment Jean-Pierre L. Fonteyne, « The Customary International Law Doctrine of Humanitarian Intervention: Us Current Validity under the UN Charter », (1974) 4 Ca/ifornia Western

International Law Journal 203, à la p. 261[Fonteyne] et Elisa Perez-Vera, « La protection d'humanité en droit international» (1969) Revue Belge de Droit International 401, à la p. 417. D'autres sont d'avis que le motif humanitaire doit être prédominant. (Murpby, supra note 6, à la p. 14-15;Verwey, supra note 13, à la p. 418; Téson, supra note 18, aux pp. 121-122.)

49 Antoine Rougier avait, dès le début du 20·ème siècle, compris cette évidence. Il a écrit: « La conclusion qui se dégage de cette étude, c'est qu'il est pratiquement impossible de séparer les mobiles humains d'intervention des mobiles politiques et d'assurer le désintéressement absolu des États intervenants ». (Rougier, supra note 10, aux pp. 525-526.).

(22)

perçue comme telle et le mobile philanthropique ne doit pas servir de prétexte à

quelques autres desseinsso. Ces derniers critères seront pris en compte tout au long de

cette étude lors de l'examen du caractère « humanitaire» d'une intervention armée.

Pour terminer, notons que les opérations militaires visant à secourir des

nationaux lors de troubles politiques ou de crises humanitaires se déroulant à

l'étranger n'entrent pas dans la définition des interventions humanitairess1• Si

auparavant les auteurs ne dissociaient pas ces deux catégories d'intervention, aujourd'hui elles sont clairement différenciées dans la littérature. Avec raison, puisque

l'opération armée d'urgence visant à protéger les nationaux à l'étrangerS2, a des

implications juridiques différentes que celles de l'intervention humanitaire. Tout d'abord, elle n'a généralement aucun impact sur les structures gouvernementales et sur l'indépendance politique du pays dont la souveraineté est entamée car elle est souvent de nature éphémère. Elle ne dure habituellement que quelques heures. Ensuite, il y a des liens juridictionnels lors d'une telle ingérence, liens qui rattachent

les victimes à ou aux États intervenants, qui n'existent pas pour l'intervention

humanitaire53•

C) Notre défmition de l'intervention humanitaire

Ce bref examen de la signification des termes «intervention» et

«

humanitaire» nous amène à configurer une définition pouvant servir de base à une

analyse juridique rigoureuse. Certaines définitions élaborées récemment réflètent

grosso modo ce qui a été écrit dans les pages précédentes54• Sans reprendre mot à mot

50 Il n'est cependant pas toujours facile de faire la part des choses. Les justifications officielles qui sont

formulées par les acteurs politiques dans des communiqués officiels ou des allocutions sont utiles à cet égard mais pas nécessairement fiables. Une analyse complète et objective des faits d'une intervention est indiquée.

51 Une majorité de juristes opinent qu'elle vise à secourir toutes les victimes de violations massives aux

droits élémentaires de l'homme dans un pays étranger, à l'exception des nationaux du ou des États

intervenants qui y résident. Voir à ce sujet Verwey, supra note 13, aux pp. 371-373.

52 L'intervention pour protéger les nationaux à l'étranger fait l'objet d'une étude particulière dans

plusieurs ouvrages. Voir notamment Michael Akehurst, «The Use of Force to Protect Nationals» (1977) 5 International Relations 9 et Natolito Ronzitti, Rescuing Nationals Ahroad Through Military Coercition and Intervention on Grounds of Humanity, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1985 aux pp. 89-lB. [Ronzitti]

S3 Murphy, supra note 6, à la p. 16.

54 Par exemple, un comité d'experts formé par un groupe de juristes néerlandais en est venu à la

(23)

ces dernières, voici la définition qu'elles nous ont inspirée et qui sera utilisée pour les fins de notre recherche :

L'intervention humanitaire est la menace ou l'utilisation de la force armée par un État, un groupe d'État ou une organisation intergouvernementale sur le territoire d'un autre État:

(a) dans le but de prévenir ou de mettre un terme aux violations massives des

droits fondamentaux de 1 'homme, commises à l'encontre de personnes autres

que les nationaux du ou des États participants et,

(b) sans l'autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU ou le consentement des

autorités qui assument le pouvoir de jure ou de facto sur le territoire où a lieu l'intervention.

devrait être définie de la manière suivante: « The threat or use of force by one or more states, whether or not in the context of an international organisation, on the territory of another state :

(a) in order to end existing or prevent imminent grave, large-scale violations of fundamental human rights, particularly individuals' right to life, irrespective oftheir nationality; (b) without the prior authorisation of the Security Council and without the consent of the

legitimate government of the state on whose territory the intervention takes place». (Advisory Council on International Affairs and Advisory Committee on Issues of Public International Law, Humanitarian Intervention, The Hague, Advisory Council on International Affairs, 2000, à la p. 7. [Netherlands Report]). Cette dernière définition est cependant large. Elle comprend les interventions dans le but de protéger les nationaux. Voir aussi la définition formulée par J.L. Holzgrefe, avec l'aide d'Allen Buchanan, pour les fins de l'ouvrage collectif dont ils assuraient conjointement la direction éditoriale: « The threat or use of force across state borders by a state (or group of states) aimed at preventing or ending widespread and grave violations of the fundamental human rights of individuals other than its own citizens, without the permission of the state within whose territory force is applied ». (J.L. Holzgrefe, «The Humanitarian Intervention Debate» dans J.L. Holzgrefe and Robert

o. Keohane, Humanitarian Intervention: Ethical, Legal end Po/itical Dilemmas, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, à la p. 18. [Holzgrefe et Keohane]). Cette définition est également incomplète. Elle ne fait aucune distinction entre l'intervention humanitaire unilatérale et celle autorisée par le Conseil de sécurité de l'ONU. De plus, elle ne mentionne pas qu'une intervention humanitaire peut être conduite par une organisation internationale.

(24)

ll. L'origine

de la doctrine de l'intervention humanitaire

Le mobile humanitaire lorsqu'il était temps d'aborder la guerre a cruellement fait défaut pour une bonne partie de l'histoire de l'humanité. Ce n'est, après tout, qu'à

la fin du 19ième siècle que la doctrine de l'intervention humanitaire, telle que

conceptualisée aujourd'hui, est apparue dans les traités juridiques55• Il ne faut pas croire pour autant que cette doctrine s'est révélée abruptement aux juristes. En fait, elle puise sa source dans la théorie de la guerre juste étayée et développée de l'Antiquité à la Renaissance par d'innombrables jurisconsultes, canonistes, théologiens et philosophes56•

A) La théorie de la guerre juste

1. L'Empire romain et le Moyen-Âge

Ce sont les Romains, qui les premiers, ont jeté les bases du concept de la guerre juste. Dans la Rome antique, à l'époque dite des Rois (735-508 av. J.C.), la justesse d'une guerre devait être établie formellement par un collège de prêtres, les

fetiales57, avant que Rome puisse déclarer la guerre à un souverain étranger ayant

commis une faute envers elle58• L'institution des fetiales disparut à la naissance de

SS Selon Simon Chesterman, la paternité du concept de l'intervention humanitaire reviendrait à l'auteur

britannique William Edward Hall qui l'invoqua dans un ouvrage datant de 1880. (Simon Chesterman, Just War or Just Peace? Humanitarian Intervention and International Law, Oxford, Oxford University Press, 2001, à la p. 24. [ChestermanD. D'autres designations du même concept furent cependant adoptées auparavant, notamment par les publicistes français. (Rougier, supra note 10, à la p. 473.)

S6Une telle doctrine était devenue inévitable. Elle répondait aux besoins de l'homme de justifier la

guerre par des paramètres moraux, religieux et juridiques. (Frederick Russell, The Just War in the Middle Ages, Cambridge, Cambridge University Press, 1975 à la p. 1.) Elle avait aussi pour but de

« civiliser» la conduite de la guerre. Elle visait à circonscrire le penchant naturel des sociétés humaines à guerroyer entre elles. (Joachim von Elbe, « The Evolution of the Concept of the Just War in International Law» (1939) 33(4) American Journal of International Law 665 à la p. 665. [Von Elbe])

57 Ces prêtres détenninaient lors d'une cérémonie religieuse si une cité ou une nation étrangère avait

commis un affront ou une faute envers Rome. À la demande de l'adversaire fautif, une période d'environ un mois lui était octroyée afin qu'il remédie au défaut prétendu par Rome. En cas de non-exécution de ses obligations ou de l'insatisfaction de Rome, lesfetiales certifiaient l'existence d'une juste cause. La guerre était ensuite officiellement déclarée juste et pieuse, c'est-à-dire bel/um justum et pium. (G. 1. A. Draper, « Grotius Place in the Development of Legal Ideas about War », dans Hedley Bull et al., dir., Hugo Grotius and International Relations, Oxford, Oxford University Press, 1992, à la

E'

178. [Bull « Grotius» D·

g Selon lan Brownlie, lesfeliales ne se questionnaient pas à savoir si la guerre était réellement juste. Ils

(25)

l'Empire romain, mais le concept même de la guerre juste perdura par l'entremise de

philosophes et jurisconsultes romains tel Cicéron (106-43 av. J.C.)59. L'héritage

romain de la guerre juste a ensuite été récupéré par les théologiens chrétiens, qui l'ont

ajusté en fonction de leurs préceptes moraux. Adaptation qui ne fut pas sans heurts60•

Un travail de symbiose s'imposa entre l'idéal pacifique des chrétiens et la nécessité pour Rome de maintenir son empire par la force. Il fut réalisé par le théologien et

évêque d'Hippone Saint-Augustin (354-430). S'inspirant grandement des idées

avancées par Cicéron61, ce dernier posa les fondements religieux et moraux du droit

d'aller en guerre (jus ad bellum) durant tout le Moyen-Âge62•

Comme Cicéron, Saint Augustin avançait l'idée qu'une guerre ne pouvait être juste que si elle était menée avec l'intention de rétablir l'ordre et l'harmonie63• Plus

spécifiquement, les guerres justes étaient celles qui vengaient « des injustices,

lorsqu'un peuple ou un État, à qui la guerre doit être faite, a négligé de punir les (lan Brownlie, International Law and the Use of Force by States, Oxford, Clarendon Press, 1963 à la p. 4.) [Brownlie]

59 Pour ce dernier, l'imposition de balises préalablement au recours à la guerre était éthiquement

souhaitable. De plus, la guerre ne devait être utilisée qu'en dernier recours, et pour être juste, devait avoir pour ultime objectif la paix. (Voir à ce sujet Murphy, supra note 6, à la p. 39). De plus, une guerre juste devait être précédée de formalités particulières, c'est-à-dire d'une déclaration formelle de la faute reprochée ainsi que d'un avertissement et, le cas échéant, d'une déclaration de guerre en bonne et due forme. (Voir Ibid., à la p. 4. qui cite l'ouvrage de Cicéron De Officiis). Des motifs de guerre valables étaient pour Cicéron (a) la violation des frontières de Rome (b) une attaque ou une insulte à l'endroit d'un ambassadeur de Rome (c) la violation d'un traité dans lequel Rome est une des partie (d) un allié de Rome qui complote avec un de ses ennemis. (Voir G. l. A. Draper, « Grotius Place in the Development of Legal Ideas about War», dans Bull « Grotius», supra note 57, à la p. 179).

60 Car les chrétiens étaient au préalable réfractaires à toute idée de guerre. Pacifistes, ils la jugaient

moralement injustifiable. Jusqu'en 170 ap. J-C., il était interdit pour un chrétien de s'enrôler dans l'armée impériale de Rome. (Brownlie, supra note 58, à la p. 5). Mais tout changea lorsque le christianisme devint la religion officielle de l'Empire romain en 380 ap. J-C. sous le règne de l'empereur Théodose. Les pacifistes durent s'avouer vaincus par le réalisme politique.

61 G. I. A. Draper, « Grotius Place in the Development of Legal Ideas about War », dans Bull« Grotius

», supra note 57, à la p. 180.

62 Saint Augustin aurait été inspiré par les écrits de l'évêque de Milan Saint Ambrose (340-397). Ce

dernier était d'avis que tout chrétien avait le devoir de porter secours à son prochain victime d'une injustice, même par la force si nécessaire: « Ceux qui, en mesure de le faire, n'écarte pas de son prochain une injustice, est aussi coupable que celui qui commet l'injustice» (Traduction de Robert H. W. Regout, La doctrine de la guerre juste: de Saint Augustin à nos jours d'après les théologiens et les

canonistes catholiques, Réimp. d'une ière éd., Aalen, Scientia, 1974, à la p. 40. [Regout]). L'argument fut repris par Saint-Augustin dans le but de justifier l'enrôlement des chrétiens dans l'armée impériale. Puisque conformément à leurs valeurs pacifistes, les chrétiens ne pouvaient se défendre eux-mêmes par la force lorsqu'ils étaient menacés, d'autres bons samaritains (les soldats chrétiens de l'empire) devaient les secourir. (Voir à ce sujet James Turner Johnson, « Humanitarian Intervention, Christian Ethical Reasoning, and the Just-War Idea» dans Luis E. Lugo, dir., Sovereignty at the Crossroads ?:

Morality and International Politics in the Post-Cold War Era, Lanham, Rowman & Littlefield, 1996 à la p. 129.)

63 Dans son ouvrage, Saint Augustin utilise le mot latin « pax » signifiant la paix. Mais selon Regout,

pris dans son contexte, il a un sens différent. Il désignerait le rétablissement de l'ordre et de l'harmonie. (Regout, Ibid.).

(26)

méfaits des siens ou de restituer ce qui a été ravi au moyen de ces injustices}) 64. Ainsi,

Saint Augustin postulait que la guerre conduite par un prince chrétien devait être motivée par une faute préalable d'un souverain étranger, à savoir la commission d'une injustice. Ces principes furent reformulés lors du Bas Moyen-Âge sous la plume du dominicain Saint Thomas d'Aquin (1226-1274)65. La théorie de la guerre juste prit alors une tournure plus moralisatrice et vindicative, étant davantage imprégnée des enseignements théologiques et moraux de la chrétienté66, Pour Saint Thomas d'Aquin, ce n'était plus uniquement l'acte injuste en tant que tel qui justifiait la guerre, mais la faute intentionnelle derrière cet acte. Autrement dit, la guerre juste pour les thomistes était celle qui punissait l'esprit coupable du fautif(mens rear.

2. La Renaissance

Il faut attendre la période de la Renaissance pour voir la théorie de la guerre juste subir une autre évolution marquante et déterminante. C'est à cette époque qu'apparaît plus distinctement l'ancêtre légal de la doctrine de l'intervention humanitaire. En effet, la justesse d'une guerre ne s'appuie plus uniquement sur la faute qu'un souverain étranger commet à l'endroit d'une autre communauté (royaume, empire, duché, autre communauté religieuse, etc). La nouvelle doctrine porte une attention toute particulière aux mauvais traitements dont est responsable un souverain à l'encontre de ses propres sujets. Ainsi, on se rapproche davantage du concept actuel d'intervention humanitaire. Comme l'affirme Terry Nardin, pour que l'on soit en présence de la notion même d'intervention humanitaire, il était nécessaire que les théologiens et juristes s'intéressent principalement aux exactions perpétrées par un gouvernant sur ses propres sujets et non nécessairement à celles qu'une communauté fait subir à une autre68, Il ressort ainsi de cette évolution significative de la théorie de

la guerre juste deux principes fondamentaux. Premièrement, l'autorité des souverains sur leurs sujets n'est plus absolue et deuxièmement, les autres princes ont un droit de

64 Tel que traduit par Regout, supra note 62, à la p. 42.

65 Dans la deuxième partie de son oeuvre Summa theologiae.

66 Arthur Nussbaum, A Concise History of the Law of Nations, rev. ed., New York, MacMillan, 1962 à

la p. 36. [Nussbaum]

67 Von Elbe, supra note 56, à la p. 669.

68 Terry Nardin, « The Moral Basis for Humanitarian Intervention» dans Anthony Lang Jr., dir., Just

Références

Documents relatifs

Troisièmement, la définition du terrorisme la plus reprise dans les conventions existantes, qui est celle suggérée par les États occidentaux pour l’ébauche de la

Il précise que certains droits proclamés par la Déclaration ont été repris et concrétisés dans le texte des Conventions: «Après-demain, nous célébrerons l'anni- versaire

II n'est gure tonnant de trouver dans leurs prises de position des mentions plus fr~quentes des travaux poursuivis sous l'6gide des Nations Unies. C'est la question tr~s

Troisièmement, la définition du terrorisme la plus reprise dans les conventions existantes, qui est celle suggérée par les États occidentaux pour l’ébauche de la

3 En droit international humanitaire, ce principe existe de manière conventionnelle à l'article 57 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949 relatif à

A cet égard, selon les notions utilisées par les Etats-Unis dřAmérique (telle que celle de « combattants illégaux ») pour déterminer le statut des personnes détenues

l'humanité pour le droit humanitaire et la justice pour les droits de l'homme. a) Les institutions internationales prévues pour la mise en œuvre du droit humanitaire, en

Lorsque certaines branches spéciales du droit international poursuivent des objectifs différents – comme une règle du droit international de l’environ- nement et une règle des