UNIVERSITE LAVAL.
FACULTE DES LETTRES
DEPARTEMENT D'HISTOIRE
Thèse
présentée
à
L'ECOLE DES GRADUES
de
L'UNIVERSITE LAVAL
pour obtenir
le doctorat ès lettres
en histoire
par
Jacques Mathieu
Le comiWiee MenueZZe-France —
au X(/ïiïc <$Zèc£e
Plusieurs auteurs ont tenté de définir la recherche historique, Michel de Certeau, pour un, a poussé sa réflexion dans une direction qui permet de mieux situer la nature de notre thèse. Il a montré comment l’his toire était, entre autres choses, une mesure des écarts, une critique des autres sciences, une articulation des limites mises en évidence. Elle abou tit ainsi â une construction de modèles jusque dans la reconstitution des sources documentaires. Pour notre part, à partir d’informations peu con nues, négligées et même méprisées, nous avons tenté de décomposer les mé canismes et les statistiques d’un mouvement commercial pour en évaluer l’impact, économique et social sur le développement, de la Nouvelle-France.
Au terme de cette recherche, nous tenons à exprimer notre plus vive gratitude à monsieur Jean Hamelin qui a suivi de près l'élaboration de ce travail. Nos remerciements s'adressent aussi à tous ceux qui de près ou de loin ont pu faciliter notre recherche.
TABLE DES MATIERES
Avant-propos ... ... Table des matières... ...
il iii Table des sigles ... . .
Liste des tableaux et graphiques ... ... Cartes et illustrations ... ... ... . v vi ix Bibliographie INTRODUCTION ... ... ... ...
CHAPITRE I: La reprise des échanges ... 18
La Nouvelle-France au début du XVIIIe siècle ... 20
Les Antilles... 26
Possibilités d’échange .... ... 29
Reprise du commerce Nouvelle-France — Antilles . . 35
CHAPITRE II: La réglementation du commerce . . . La politique coloniale ... Les organismes de régie du commerce r é g 1 emen t at. ion. Les droits . . 44 46 54 61 85 1'12 tzTlî'O d P 1 rl x 1 Position des négociants ... 91
CHAPITRE III: CHAPITRE IV: Le s op é r a ti on s mar11 1 mes ... 108
L’équipement maritime et portuaire ... 111
La navigation fluviale ... ... 117
Les circuits commerciaux... ... 123
Navires et armements ... ... 133 L’équipage... .. ... 139 Le capitaine .... . ... .. 152 Les cargaisons... 156 Fret ... ... ... 158 Les assurances... .. . 160 Les radoubs... ... 167 Les relâches ... . 168
Calendrier des expéditions ... ... 172
La navigation intérieure... ... 181
Les procédés commerciaux... .. 185
Modes d ’association... .. 189
Mécanisme des achats et des ventes ... 213
Monnaies et capitaux . ,... 219
CHAPITRE V: Le mouvement commercial ... ... 229
Les statistiques du commerce intercolonial... 233
L’analyse des données ... . 2.50 Composition des cargaisons... 264
Le commerce par produits ... ... 267
CHAPITRE VI: Le solde des échanges . ... ... 290
La structure comptable ... 294
Le solde des valeurs initiales ... 302
Balance générale des comptes commerciaux ... . 314
Profits... 324
CONCLUSION L'impact du commerce ... ... 337
V
SIGLES
AC Archives des Colonies (France) AM Archives de la Marine (France) AN Archives nationales (France) APC Archives publiques du Canada AQ Archives du Québec
BRH Bulletin des recherches historiques
JDCS Jugements et deliberations du Conseil,_Souynrain MSHM Mémoires de la Société historique de Montréal MS RC Mémoires de la Société royale, du Canada
01 Ordonnances des intendants
PJN Collection de pièces judiciaires et notariales RAPQ .Rapport de 1'Archiviste de la Province de Québec
Interdictions d’exporter du Canada ... 78
Droits payes sur l'entrée de guildive à Québec ... 89
Moyenne par navire dos droits à payer a l’entrée en Nouvelle-France 90 Répartition des droits en Nouvelle-France ... ... . . 91
Distribution des frais de gestion d’un navire... . 138
Compte de dépenses d’un armement ... ... 138
Importance de l’équipage en fonction du tonnage du navire ... 142
Age des membres d’équipage de 1’ 11eureux Retour... 144
Moyenne des salaires payes aux membres d’un équipage ... 145
Coût des salaires pour un armement ... 148
Journées en rade de Québec en 1729 ... ... 170
Journées en rade de Québec en 1748 ... .. 170-171 Durée de la relâche à la Martinique... . 172
•Durée moyenne de la navigation entre les colonies ... 174
Calendrier des expéditions .... ... . ... 177-178 Date des réunions des actionnaires de la campagne Dugard de Rouen . 209 ■Voyages de navires de Nouvelle-France aux Antilles ... 234-235 Voyages de navires des Antilles a la Nouvelle-France ... ... 236
Tonnage du commerce de la Nouvelle-France vers les Antilles ... . 237-238 Tonnage du commerce des Antilles vers la Nouvelle-France ... 239
Valeur des importations aux Antilles en provenance de la Nouvelle- France ... ... 240
Valeur des exportations des Antilles vers la Nouvelle-France .... 241
Tonnage moyen selon l'entrée aux Antilles ... . . 243
Tonnage des bâtiments de la Nouvelle-France aux Antilles . ... 244
Tonnage des bâtiments des Antilles vers la Nouvelle-France ... 245-246 Voyages de navires entre' les deux colonies... 250
Relations entre cargaison et tonnage . ... , ... 260-261 Coefficient d’équivalence: produits canadiens ... 281
Coefficient d’équivalence: produits antillais ... 282
Moyenne des valeurs ajoutées... ... 235
Le commerce Nouvelle-France - Antilles ... .... 301
Coefficients annuels moyens pour les produits canadiens ... 304
Coefficients annuels moyens pour les produits antillais ... 304
Solde des valeurs initiales... 305
Valeurs ajoutées de Nouvelle-France aux Antilles .... ... 306
Profits a la vente de produits canadiens aux Iles ... 307
Proportion de couverture . ... ... 311
Valeurs ajoutées aux produits antillais ... 313
Valeur ajoutée et pourcentage de profits ... 314
Valeur des produits canadiens en 1739 ... ... 316 Répartition des valeurs ajoutées aux produits de la Nouvelle-France 318
vil
Répartition des valeurs ajoutées aux produits antillais ... , , 319
B - Sur le circuit Ile Royale - Québec Répartition des valeurs ajoutées aux produits antillais ... 320
- Sur le circuit atlantique Répartition des valeurs ajoutées aux produits de la Nouvelle-France 321 - Sur le circuit atlantique Répartition de toutes les valeurs ajoutées ... . ... 322
Statistiques comparées de la population canadienne et de l’agricultu re 1706-1739 . ... 355
Rapport des liens de production en regard de la population ... 356
APPENDICE
Tableaux et graphiques du coriiTierce par produits
Farine tableau... 365graphique... 366
Pois tableau... 367
graphique ... 368
Morue sèche tableau... ... 369
graphique ... ... < 370 Morue verte tableau... 371
Moisson salé tableau ... ... 372
Huiles tableau ... ... . . 373
graphique ... 374
Planches tableau ... 375
graphique ... „ 376
Essentes et bardeaux tableau .... ... 377
graphique... 378
Carreaux et briques tableau... 379
Cercles tableau ... ... 380
Charbon de terre tableau ... ... 381
Madriers et bordages tableau ... 382
Sucre brut tableau ... . . . . 384
graphique ... ... 385
Sucre blanc tableau... 386
graphique... ... ... 387
Sucre commun tableau ... ... 388
graphique... 389
Sucre de tête tableau... 390
graphique ... 391
Sucres de toutes graphique . ... 392
espèces Sirop - mélasse tableau... 393
graphique ... . 394
Tafia - guildive tableau ... 395
graphique... 396
Café tableau... . 397
graphique ... 398
ix
CARTES ET ILLUSTRATIONS
"Carte du Golphe du Mexique et des Isles de 1 ’Amérique, 1754” .... 2.6a "Carte de l’Isle de la Martinique, 1768” . ... 26b "Plan, Profil et Elévation de la Tour proposée à faire sur la butte
de 1’Entrée du port de Louisbourg, qui servira à éclairer les Vais
seaux et les guider, 1731"... 113a "Plan, Profil et Elévation du rétablissement de la lanterne qui doit
être placée sur la tour scituée à l’Entrée du port de Louisbourg, dans la quelle il y aura un feu a huille pour la sûreté de la navigation,
Nous ne signalons que les documents et les ouvrages
les plus importants et u t i 1 es.
SOURCES MANUSCRITES
Archives nationales du Qué bec
NF-2 Ordonnances des Intendants 5 1705-1760, vol. 1-46
NF-11 Registres du Conseil supérieur, 1710-1750, vol. 20-69
NF-12 Insinuations du Conseil supérieur, 1710-1750, vol. 3-10
NF-13 Dossiers du Conseil supérieur, 1710-1760, vol. 7-10
NF-16 Arrêts du Conseil d'Etat du roi, 1710-1753, vol. 2-8
NF-17 Registres de 1'Amirauté de Québec, 1741-^1742, 1749-1755, 1758-
1760, 3 vol.
NF-18
Documents de i}Amirauté de Québec, 1687-1759, 1 vol.
NF-20 Documents de la Prévôté de Québec, 1710-1759 vol. 2-17
NF-25 Collection de pièces judiciaires et notariales, 1638-1759, vol.
1-125
AP Baby collecti0 n_
Labignette, Jehan Eric, thèse sur Louisbourg
Orry, Livre de bord
Wood, William, thèse sur les communications
Archives de France
Ces documents ont été consultés sur microfilm aux
Archives nationales du Québec ou aux Archives publiques du Canada.
Archives des Colonies-Paris (MG 1)
Série B Lettres envoyées du ministère de la Marine aux administrateurs
des colonies, 1710-1760, vol. 32-99.
Série CA Correspondance de la Martinique, 1710, 1720-1753 vol. 17, 27,
31-60
Série C8B Commerce de la Martinique, 1712, 1713, 1723-1757, vol. 17,20.
11
Série C A Correspondance générale, Canada, 1709-1760, vol. 30-126
11
Série C B Correspondance générale, 11e RoyaIe, 1712-1757 , vol. 1-37
Série C^C Amérique du Mord, 1706-1760, vol. 8-9
11
Série C G Correspondance Raudot-Pontchartrain, Domaine d'Occident et
Ile Royale, T704-Ï71Ô, vol. 1-6
9
Série F A Compagnies de commerce, 1623-1773, 1 vol. nos 15-17
9
Série F B Commerce aux colonies, 1714-1790
Série F Collection Moreau de Saint-Méry, 1710-1760, vol. 8-12
Série G 1 Registres de l'état civil, resensements et documents divers,
1727-29, vol.' 466.
Série G 2
Greffes des tri bunaux de Louisbourg et du Canada,
Conseil supérieur de Louisbourg 1711-1758, vol. 178-193
Conseil supérieur et Contrôle de la Marine à Québec, 1666-
1758, vol. 213-215.
Série G 3 Notariat
Louisbourg, 1715-1758, cartons 2037-2039 et 2056-2058.
Série G 7
vol. 533-535, 1314
Archives de la Marine-Paris (MG2)
Série A‘ Actes du pouvoir souverain, liasses 68 et 88
Série JJJ Journaux, mémoires, correspondance, vol. 259
Archives nationales-Paris (MG3)
Série G5 Amirauté et conseil des prises, recettes des amirauté de
"Québec et de Louisbourg, 1705-1740, vol. 166
Série F 12 Commerce et industrie, registres du Conseil et Bureau du
Commerce, vol. 54, 62, 73.
Série F 50 Marine et colonies, 1658-1763, liasse 12.
Archives départementales (MG6)
Série B Charente Maritime, cours et juridictions
Amiranté de Louisbourg à la Rochelle, 1718-1758, registres
B265-B2S0 et B6109-B6125
Archives publiques du Canada
MG 18, A, France, 8, 1756, 62 pages
F, Acadia / New Foundland, 30, Ile Royale, 1751-1753
IMPRIMEES
AN 0 N YM E, Considérations sur l'état présent du Canada; d'anrès un manus-
crit conservé aux Archives de la Marine à Paris, dans SLHQ,
1ère série vol. 1, Québec, T. Cary et Cie, 1838.
Mémoire sur le Canada, dans SLHQ, 1ère série, vol. II, Québec,
T. Cary et Cie, 1838.
BOUCAULT, Nicolas-Gaspard. Etat présent du Canada, dressé sur nombre de
mémoires et connaissances acquises sur les lieux, par le sieur
Boucault, 175/1, dans RAPQ 1920-21,11-50.
‘
BOULAYE, Louis-Hyacinthe Plomier, sieur de la, Mémoire du sieur de la
Boulaye sur les colonies françaises d'Amérique dans RAPQ,
1965, 73-86.
BOUGAINVILLE, Louis-Antoine de, Mémoire sur l’état de la Nouvelle-France,
1757, dans RAPQ, 1923-1924, 42-70.
FRANQUET, Louis. Voyages et mémoires sur le Canada, dans Publication de
l'institut canadien de Québec. Québec, A. Côté et Cie, 1889,
212-4 p.
GALISSONNIERE, Roland-Michel Barrin de la. Mémoire sur les colonies de
la France dans l'Amérique septentrionale par M. le Marquis de la
Galissonnfère, dans BRH/XXXVÎ, 1930, 278-297, 356-363.
HOCQUART, Gilles. Mémo!re, dans SLHQ, 1ère série, volume 2. Québec,
T. Cary et Cie, 1838.
KALM, Pierre. Voyage de Kalm en Amérique., Analysé et traduit par L. W.
Marchand, Mémoires de la Société historique de Montréal. Montréal,
T. Berthiaume, 1880 T 2 vol.’
QUEBEC, gouvernement. Edits, ordonnances royaux, déclarations et arrêts
du Consei 1 d 'état du roi conc ern an t le Canada, Québec, E. R. L a -
flamme, 1854, 648 p.
Arrêts et règlemen ts du Conseil Suoëri eur de Québec, et or do fi
nances et jugements des intendants du Canada, Québec, E.R.
Fréchette, 1855, 650 p.
Complément des ordonnances et jugements des gouverneurs et in
tendants du Canadat précédé des commissicns des dits~ couverneurs
et intendants et des différents officiers civile et de justice.~
Québec T. R’. La fl anime, 1856, "776 p.
SAVARY, Jacques. Le parfait négociant ou instruction générale pour ce,
qui regarde le commerce des Marchandises _d.e_Fr.ance, et des Pays
Etrangers. Pour la. Banque, le Change et Rechange. Pour les So
ciétés ordinaires, en commandite et unanimes. Pour les Faillites
Banquero utes , Sëparati on s , _ C e s s ions et abandon nements de Bie ns .
Pour la manière de tenir les Livres Journaux d!Achats, de Ventes_
de Caisse de Raison. Des Formulaires de Lettres er Ri 1lets de
change, d1 Inventaire, et de toutes sortes de Societes. Comme aussi
plusieurs Parères ou Avis et Conseils sur diverses Matières de
Commerce très importantes par le sr Sava ry_. En_ri ç hii _d j_a u amen tâ
tions oar le feu Sieur Jacques Savary des Brûlons. Revue _et_
corrigée sur leurs i'émoires Et nouvellement augmentée des Edits_,
Dëclarations, Arrêts Et Reglemens intervenus depuis la Précédente
Edition sur le fait du Commerce, Et des Manufactures; ensemble
de la. Vie de 1'Auteur. Par M. Phi 1emont-Louis Savary. Paris,
Estienne et Fils, 1749 , 2 vol.
Nous avons consulte les instruments de recherche relatifs aux
séries documentaires décrites précédemment. Les inventaires manuscrits,
généralement plus complets, furent utilisés de préférence au texte publié.
Deux guides de travail furent à la base de notre dépouillement d'archives:
L'état general des archives publiques et privées du Quebec, Québec, rn i n i s -
têre des Affaires culturelles, 1968 et Inventaire general. Manuscrits vol ]
MG1-MG-10, Ottawa, Archives publiques du Canada, 1971.
SHORTT, Adam. Documents relatifs à la monnaie ou change et aux finances
du Canada sous le régime français. Ottawa 1919, 2 vol.
La majorité des séries françaises sont décrites dans le volume de Jo
seph-Edmond Roy, Rapport sur les Archives de France relatives à l'his
toire du Canada, Ottawa 1911. L'inventaire des documents transcrits
a été publié dans divers rapports des Archives canadiennes.
-
série Cil A, dans RAC
-
série B , dans RAC
-
série Cil G, dans RAC
™ série F3, dans RAC
1885, 1886 et 1887
1899 (supplément Richard), 1904 et 1905
1899 (supplément Richard),
1899 (supplément Richard), 1905
BONASSIEUX, Pierre et Lelong, Eugène. Consei1 de Commerce et bureau du
commerce 1700-1791. Inventaire anal ytique des o rocès-ver
baux. Paris, Imprimerie nationale, 1900. L X'11 - 700 p.
R0Y, Pierre-Georges. Inventaire des jugements et dëlibërations du Con-
sei1 Supérieur d.e_ J a Nouvel1e-France de 1717 a 1 760. Beau
ceville, L 1 Eclafreur’, 1933-1935, 6 vol.
Inventaire des insinuations du Conseil souverain de la Nou
vel 1e-France. Beauceville, L'Éclaireur, 1921, 325.
ID Xe n taire des _ o rd onn an ce s de s in ton dan ts d^ la Non vel 1 e_-
France conservées aux archives provinciales de Québec,
Beauceville, l'Eclaireur, 1919, 4 vol.
Inventaire d'une collection de pièces judici ai res . notari a-
les, etc., conservées aux Archives judiciaires de Québec,
Beauceville, l'Eclaireur, 1917, 2 vol.
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ETUDES COMPLEMENTAIRES
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INTRODUCTION
Pendant des siècles, la mer a exerce une attraction fascinante, sur les hommes et sur les nations. Réservoir de. richesses et moyen de commu nication sans pareil, c’est grâce à elle que des royaumes devinrent des empires. A l’ère moderne, l'intensité de l’exploitation des colonies fit la puissance des Etats métropolitains. La suprématie maritime procura 1’hé g émon i e mondiale.
Dans cette optique, même le plus petit objet de commerce entre des colonies peu développées avait de l’importance. Ainsi les adminis trateurs de la France au XVÏIIe siècle surveillèrent attentivement l'é volution des échanges entre la Nouvelle-France et les Antilles. Il s’en suivit une législation qui se voulait progressiste et la production de rapports multiples et détaillés sur le commerce colonial.
Prises une à une, ces séries documentaires révèlent plus sur cha cun des pays concernés que sur l’ensemble impérial. Elles constituent des instruments de mesure dont le degré de fiabilité est bien supérieur au témoignage d’observateurs. Elles permettent d’évaluer adéquatement l’importance du commerce de la Nouvelle-France avec les Anitilles au XVIIIe siècle, de reconstituer la nature et les conditions de ces opérations et d’apprécier l'influence de ces échanges^ sur l’économie et la société du Canada.
Fille adoptive de 1 ’ archiv.istique, l'histoire dépend étroitement de l’exploitation do ces sources d’informations,trop longtemps dédaignées.
qualitatives fort incomplètes, les chercheurs travaillent encore à-perfec tionner l’image de la Nouvelle-France tracée par les premiers historiens ca nadiens. Le développement de méthodes scientifiques en archivistique et
l'amélioration des procédés techniques, dont le microfilm, ont permis de dé cupler et de diversifier la documentation accessible. Au contact des autres sciences humaines, l’historien a aussi affiné ses méthodes d'analyse. Par sa nature même, notre étude fait appel à des sources inutilisées et à peu près inconnues; dans sa méthode, elle allie les schèmes économiques à des procé dés d’analyse empiriques. Par son objet cependant, elle n’aborde qu’un as pect strictement délimité de l'histoire de la Nouvelle-France..
Cette recherche se présente comme une étape dans l’élaboration d’une histoire économique du Canada sous le Régime français. Elle n’aborde qu’une petite partie du sujet: les relations entre les colonies françaises de l’A mérique du Nord et celles de l’Amérique centrale au XVIIIe siècle. Laisser de côté le commerce des fourrures et les échanges avec la mère-patrie, ce n'est pourtant pas faire fi des fondements économiques du Canada sous le Régi me français; seule la perspective est différente. En effet, le contexte po litique et géographique de ces formes de commerce reste sensiblement le meme. La nature des opérations maritimes et commerciales varie également assez peu. Ces conditions de fonctionnement indiquent le degré de développement de la colonie, le niveau d’exploitation de ses ressources, les possibilités et les limites de son essor économique. D’un autre côté, le commerce interco lonial a une influence directe sur la production, en nature et en quantité, de même que sur l'activité d’une partie de la population et sur les revenus des intéressés. L’étude approfondie des échanges entre la Nouvelle-France
et de
e
les Antilles au XVIII siècle est donc connexe à celle des grands secteurs l'économie et elle est toute aussi révélatrice.
En fait, ce négoce intercolonial ne se conçoit pas indépendamment de la structure commerciale de l’empire français en Amérique. Les deux colonies avaient des rapports plus étendus avec les ports de France qu’en tre elles. Toutes deux dépendaient des manufactures françaises pour leur approvisionnement en outils et en produits finis de toutes sortes. Les opérations maritimes et commerciales devaient aussi s'effectuer en confor mité avec les exigences de la politique coloniale de la métropole et la ré
glementation du commerce. Du reste, les armateurs européens occupaient une place importante dans ces transactions. Ces entreprises parallèles se corn- pénétraient donc partiellement et se développaient dans un contexte similaire
Le commerce Nouvelle-France —Antilles comportait cependant des par ticularités spécifiques, comme la nature des produits transités, les trajets suivis, l’allure du solde des échanges et l’impact sur la production canadien ne. La situation même des colonies était différente.
Au début du XVIIIe siècle, la colonisation des Antilles avait atteint un niveau bien supérieur à celui de la Nouvelle-France. Les Iles du Vent comptaient déjà pour beaucoup dans le grand commerce de la France, tandis que la Nouvelle-France, constituée de quelques petites colonies dispersées, s’appuyait encore essentiellement sur le. commerce des fourrures.
L'établis-transformations économiques survenues en Nouvelle-France et particulièrement au Canada, au tournant du siècle. La reprise de ces échanges, à peu près a-bandonnés au départ de Talon, ne. pesait nas lourd dans l'économie antillaise,
mais elle était de grande conséquence pour la colonie septentrionnale. Le Canada et l’ile Royale, allaient particulièrement en profiter. L'impor-tance du trafic intercolonial, la répartition des sommes qui y étaient in vesties et l'influence de ces échanges sur l'économie et la société canadien nes, conditionnent la démarche suivie et les explications recherchées.
Sans négliger les sources traditionnelles utiles, comme la correspon dance générale des gouverneurs et intendants de la Nouvelle-France avec le Ministre de la Marine (série B et C11A), la présente étude repose avant tout sur d'autres séries documentaires peu exploitées: la correspondance des administrateurs et les registres de port de l'Ile Royale (série C11B), les données du trafic maritime enregistrées au Canada (série F2B) et surtout les registres de port des Antilles françaises (séries C8A et C8B). Les rap ports sur le commerce préparés par les officiers d'administration aux Iles du Vent se distinguent par leur précision. Ils sont d'une telle richesse qu'on y trouve autant de renseignements sur le commerce de la Nouvelle-France que dans les sources canadiennes . Ces registres se présentent sous la for me de tableaux statistiques annuels pour chaque mouvement commercial. L'in tendant s'en servait pour dresser un rapport précis et régulier du commerce antillais entretenu avec la France, la Nouvelle-France, la Côte d'Espagne et les colonies britanniques. Pour chacun de ces mouvements commerciaux,
1. Les séries CSA et C8B renferment la majorité des documents se rappor tant au commerce des Iles du Vent. . Elles ont été microfilmées sous la direction de Louise Dechêne qui en a tiré ce qui avait trait au commer ce canadien entre 1723 et 1760. La plupart des états de commerce se trouvent dans la série C8B, tandis que la série CSA est surtout formée de la correspondance des administrateurs de la Martinique en ce qui a trait au commerce. L'inventaire d'Etienne Taillemite, publié en 1967, a guidé le choix des documents utiles a l'histoire du Canada. La cor respondance et les mémoires sur 3e commerce portent sur les années 1710, 1712, 1713, 1720 et, de façon continue, de .1723 à la fin du Régime fran çais au Canada.
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les registres comportent quatre types de tableau: un état détaille des navires et de leur cargaison — un pour l'entrée et un pour la sortie — un état des marchandises importées et exportées, un sommaire, et un tableau comparatif. Dans les tableaux détaillés, il y a une entrée par navire avec mention des précisions suivantes: date d'arrivée ou de départ, nom du bâ timent, tonnage et nombre de canons, suivi des quantités de tous les pro duits transportés. Ce tableau est complété par une liste des produits im portés et exportés avec mention des quantités totales — pour le mouvement commercial concerné —, de la valeur à l'unité et de la valeur totale. Les sommaires annuels fournissent les totaux du commerce selon les branches con cernées . Ils donnent le nombre total des bâtiments entrés et sortis ainsi que la valeur des cargaisons. C'est une sorte de bilan du commerce antillais avec la France, la Nouvelle-France et la Côte d'Espagne. Les données du com merce étranger trouvent rarement place dans ces récapitulations. Cette présenta
tion statistique fait ressortir l'importance respective des mouvements com merciaux et les fluctuations annuelles. Une lettre explicative sur la fa
çon dont les tableaux ont été dressés et sur les principales variations qui s'y manifestent accompagne généralement ces bilans. Un état comparatif,
d'une année sur l'autre, des données d'ensemble du commerce complète habituel lement ces tableaux.
Les sources canadiennes n'atteignent pas une précision semblable, même si les administrateurs en poste à Québec, siège du gouvernement de la Nouvelle-France, suivaient attentivement le mouvement commercial. La mé moire et d'autres types d’actes suppléaient adéquatement a la confection sys
tématique de registres de port. La nécessité de réduire au minimum les frais d’administration justifiait bien cette position. D'ailleurs, à quoi auraient
pu servir des registres de port, si c.e n'est pour les congés, les contes tations et les avaries, toutes choses enregistrées à 1'Amirauté. Dans son rapport annuel sur l’activité maritime, l'intendant se contentait de géné ralités. Le commis au ministère de la Marine s’en satisfaisait, puisqu’il semblait impossible de faire mieux. En effet, des bâtiments arrivaient à Québec après le départ du vaisseau du roi. D’un autre coté, les officiers du Bureau du Domaine d’Occident, responsables de la perception des droits, et les garde-magasins du roi. tenaient des comptes minutieux de leur gestion. Malheureusement il ne subsiste rien de ces documents retournés en France à
la Conquête; seule une infime partie des papiers de 1'Amirauté et quelques tableaux annuels du trafic maritime ont été sauvegardés.
Ces fragments canadiens de documentation obligent à asseoir l'ana-lyse de l’évolution du commerce intercolonial sur les statistiques antillai ses. Fonder l’étude sur cette source unique s’avère toutefois avantageux, car c’est la série statistique la plus complète et la plus détaillée. Ce procédé assure ainsi une représentativité uniforme de l’entrée et de la va leur des données, en somme de la réalité commerciale. De plus, les sources d’information canadiennes permettent de vérifier l’exactitude et la crédibi lité des statistiques antillaises et de mesurer leur degré de véracité.
Cette possibilité de contrôle est d’une importance capitale. Tel-2
lement d’historiens ont conclu au gonflement évident des données ! Une com paraison rapide et superficielle des statistiques commerciales des deux pays révélait des discordances si criantes qu'on s’est plu à dénoncer ces chiffres
s-à-vis
4 ?
lucider
Maurice Fillion, La pensée et l'action coloniales de Maurepas vidu Canada 1723-1749. L’âge d’or do ~îa œToiTie, ‘162 J 1827 194, 2
L’auteur donne quelques exemples do ces erreurs, saas pourtant é le problème.
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et qu’on en a nié la moindre valeur utilitaire. Un examen attentif démon tre toutefois des possibilités d’utilisation très étendues. L’étude du con texte et des modalités d’élaboration de ces données, leur comparaison avec les séries parallèles du pays correspondant et la vérification minutieuse d’entrées individuelles revalorisent grandement ces statistiques. Encore est-il préférable, pour limiter les risques de sur-évaluation, de s’en tenir à la loi du minimum.
S’appuyant trop à la légère sur des témoignages contemporains, des chroniqueurs et des administrateurs ont parlé de truquage des chiffres et de malversations de la part de fonctionnaires qui voulaient s’adonner sans risque à la contrebande. La faute des historiens est d’y avoir cru sur paro le, de n'avoir pas poussé assez loin la critique de leurs sources. De fait, l’intendant de la Martinique en particulier écrit souvent qu’il y a fraude, dans les déclarations des capitaines. Encore faut-il savoir dans quelles circonstances il fait part de ces dérogations ou de cette ineptie de ses su balternes — et donc de sa médiocre compétence administrative — , pourquoi il le fait et, si ces allégations se vérifient, dans quel sens ces fraudes ont pu modifier les statistiques. Les administrateurs des colonies françaises ont eu recours à cette explication qui jetait le blâme sur d'autres person nes -- peu faciles a identifier — dans un cas bien spécifique, mais annuel: 1a. présentation du bilan commercial de la colonie. Ces mauvaises raisons ser vaient doublement: pour expliquer la balance commerciale et le commerce étran ger. Nécessairement déficitaire, à cause de la structure meme de son établis sement, le bilan commercial de la colonie n’était pas présenté de gaieté de coeur par les intendants, ni sans justifications. Certains administrateurs perspicaces, comme llocquart, ont décelé une partie de la vérité; la plupart.
l'intendant de la Martinique attribuait l'augmentation du commerce au fait
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que, par sa diligence, les déclarations des capitaines étaient plus exactes . Le même contexte sert à expliquer les prétentions à l'effet que "toutes les déclarations des capitaines étrangers sont fausses", ce qui aurait pour
con-4
sequence de causer un tort infini aux droits du roi . Selon des administra teurs, les chiffres d'exportation pourraient alors quadrupler. Mais pourquoi ces fraudes ne se feraient-elles qu'à la sortie? Si l'on voulait ainsi évi ter de payer des droits, il fallait aussi dissimuler une partie de la car gaison à l'entrée. D'autres mémoires relatifs à la contrebande signalent d'ailleurs qu'elle se faisait dans les deux sens. Mais comment mieux équili brer une balance commerciale déficitaire qu'en ne parlant que des fraudes â la sortie I
Dans cet ordre d'idée, peut-cn croire que les Canadiens n'aient pas été tentés d'utiliser des procédés identiques aux etrangers, c'est-à-dire de camoufler une partie de la cargaison transportée pour diminuer d'autant le coût des droits à payer? Quelques exemples de fausses déclarations et de contrebande suffisent à prouver qu'ils suivaient bien les exemples donnés. Il en résulte que les statistiques élaborées pour le commerce Nouvelle-France —Antilles sont incomplètes: n'y apparaissent que les valeurs et les produits
déclarés. Il y en eut certainement plus. Il serait inadmissible toutefois de multiplier par quatre toutes les données officielles pour quantifier les
3. Lacroix au Ministre, 28 mars 1743, AC, CSA, 55; 299v-3C0.
4. Bénard au Conseil de Marine, 17 fév. 1723, AC CSA, 31: 17ÔV-176. Champigny et Lacroix au Ministre, 26 mai 1740, AC CSA, 51: 152--152v.
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mouvements réels, comme le suggère l’intendant de la Martinique.
Les statistiques antillaises officielles constituent donc un mi nimum dans l'appréciation du commerce pratiqué entre les deux colonies fran çaises. Seul le transfert dans les tableaux du commerce de la Nouvelle-France des chiffres du commerce étranger, de façon a réduire ce dernier à un niveau acceptable par le ministre de la Marine, aurait pu entraîner un gon
flement de ces données. La mise en place d'un tel système paraît tout à fait impossible. Il eût fallu que les administrateurs des deux colonies fus sent de connivence. Les communications ne le permettaient pas. Trop de gens auraient été impliqués et se seraient fait un vif plaisir d’éventer la mè che. D'ailleurs comment justifier, balancer et équilibrer le paiement des droits par les Canadiens dans ces conditions? Qui aurait payé ces droits?
cas problèmes? Il n'est pas une année à Québec sans que deux ou trois pro cès concernent directement un bâtiment: ce sont des causes de désertion, d’avaries, des litiges sur la nature, la valeur ou la qualité des produits, etc. Enfin, la fausseté de tels rapports, à cause de leur forme très détail lée de rédaction, n’aurait pas échappé a l'oeil exercé des vérificateurs français du ministère de la Marine. Ceux-ci ne manquaient pas de comparer les registres antillais aux compte-rendus remis par l’intendant de la Nouvel le-France. Il suffit aussi de voir comment ils ont décelé certaines erreurs et les changements apportés dans l'évaluation des marchandises sèches pour s’en convaincre^. Toute fraude ou manigance pour hausser la valeur du commer ce de sortie vers le Canada était quasi impossible dans un tel contexte. Les
5. Lacroix au Ministre, 23 juin 1740, AC, C8A, 52: 38. Lacroix au Ministre, 28 déc. 1741, AC, CSA, 53: 411v.
données documentaires qui constituent la base de cette étude doivent donc être considérées comme une évaluation minimale du commerce entre les deux colonies: c'est déjà beaucoup
Les éléments chiffrés retenus — importance du commerce, pourcenta-ge et répartition des profits, ainsi qu’influence sur l’économie canadienne — correspondent à un mouvement commercial précis: les échanges
Nouvelle-France —Antilles. Du circuit triangulaire, ne sera donc conservée que la section intercoloniale. Par contre, aux statistiques martiniquaises
doivent s'ajouter celles du commerce de la Nouvelle-France
avec la Guadeloupe, Saint-Domingue et la Trinité. De même les colonies de la France en Amérique du Nord seront prises comme une entité. D’ailleurs l'Ile Royale servit souvent de port de haute mer pour les marchandises cana-diennes destinées aux Antilles^. En effet, au départ
de Québec ou de Saint Pierre, les capitaines de navires donnaient Louisbcurg comme destination alors qu’en fait ils n’y faisaient parfois qu’une brève escale dans leur voyage entre ces deux villes. Toutefois, comme Louisbourg agit aussi comme port terminal et centre de transit, le cabotage
souvent qu’un prolongement du commerce entre la Nouvelle-France et les An tilles .
Aux tentatives de fraudes — manquées ou réussies, mais de toute fa çon limitées à des valeurs secondaires — s'ajoutent d'autres difficultés dans la quantification de ces données, comme l'absence d’états détailles pour la Guadeloupe ou Saint-Domingue ou encore l’impossibilité de convertir en chiffres compatibles des mesures différentes. Ainsi le tabac se vend à
6~. La comparaison des états détaillés dressés dans chacune des colonies le prouve manifestement. Voir aussi:
D'Orgeville au Ministre, 28 sept. 1730, AC, C8A, 42: 237. Hocquart au Ministre, 15 oct. 1741, AC, C11A, 122: 101v-102.
à la livre, en andouilles et au quintal, tandis que la farine est offerte à la livre, au minot, au quintal et au baril. Le tonneau sert comme mesure de volume, théorique ou réel, et de poids; il varie en outre d'une région à l’autre. La qualité d’un produit pose aussi des problèmes de regroupement des données. Les commis distinguent généralement le sucre blanc, terré, com mun, brut et de "teste", mais à l’occasion ils ne présentent ces produits
que sous deux rubriques, quand ils ne les enregistrent pas sous une seule dénomination globale. D'un autre coté, l’impossibilité de chiffrer valable ment les données du commerce étranger toléré et celles de la contrebande obli ge parfois à les écarter. 11 arrive cependant que ces éléments soient inté grés à juste titre aux statistiques françaises. Ils ne sauraient alors avoir un effet bénéfique sur la production. La complexité de ces sources documen taires nous empêche donc souvent d’utiliser les équations habituelles aux économistes et nous oblige à recourir à des procédés empi?.'iques, beaucoup plus longs, mais aussi plus sûrs.
Reste à présenter une preuve positive de 1a. valeur de ces statisti ques du commerce légal et du degré de crédibilité qui peut leur être accor dé. Un premier contrôle effectif se trouve dans la confrontation des tableaux antillais. Ils ne font pas problème. Tout est logique, l’élaboration de l’un provenant des données du précédent. On n’y décèle aucune malversation flagrante. C'est d'ailleurs normal, puisque ces rapports étaient soumis pour examen et vérification au ministère de la Marine en France. La compa raison des états détaillés établis en Nouvelle-France, a Québec ou à Louis- bourg, avec ceux des années correspondantes aux Antilles, constitue le meil leur moyen de contrôle. La similitude des noms, ceux des batiments, capi taines et armateurs, ainsi que la concordance des dates, priment sur
parfois de légères variations. C’est le cas aussi pour la dénomination du type de bâtiment. La concordance générale quant au nombre de navires
vent très bien s’expliquer par le calendrier des expéditions. Un navire ayant bouclé ce circuit commercial porte à croire à l’authenticité in-tégrale de ces sources. La vérification de cinq séries, à des années différentes, révèle très pai de différences. De plus, ces écarts
peu-qui laisse le port de Québec en novembre et fait escale à Louisbourg» a toutes les chances de ne figurer sur les tableaux antillais que l’an née suivante. Suivre constamment la "carrière" d’un bâtiment conduit au même ordre d’évidence. Pour ne citer qu’un cas, il y a onze mentions du navire la Marie-Anne,de Yves Arguin,entre 1731 et 1736, sept dans les sources canadiennes et quatre dans les registres antillais.
Un autre processus de vérification consiste à rechercher dans les listes martiniquaises un navire bien identifié dans une source canadienne différente des tableaux du commerce. Les registres de cours de justice, les ordonnances des intendants, les règlements de compte entre asso
ciés et les déclarations d'avaries,ont permis de retracer 84 bâtiments ayant fait un voyage aux Antilles et dont on ne trouve aucune mention dans les séries commerciales officielles du Canada. Pour trente d’entre eux, il n’y a pas de listes martiniquaises pour l’année correspondant à celle du voyage. La majorité de ces cas se trouvent dans la période anté rieure à 1723, date de l’enregistrement régulier dans les registres des Iles du Vent. Trente-neuf voyages de bâtiments sont claire ment identifiables dans les listes élaborées à la Martinique.
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Des quinze navires restant, un fit naufrage, un fut pris par les An glais, neuf donnaient corame provenance ou destination Saint-Domin gue ou la Guadeloupe, où l'on a rarement tenu de registres détailles. Quatre seulement ne peuvent être retraças. Des corsaires ou des for bans ont pu s’en emparer. Une tempête a pu les détourner de leur destination et inciter les capitaines a voguer directement vers la France, à moins qu’ils ne se soient perdus corps et biens en haute me II est plus probable qu'ils ont gagné la Guadeloupe ou Saint Domingue et que l’on n’a pu les identifier a défaut d’états détaillés. De toute façon, ces quatre bâtiments n'entrent dans l'analyse du mou vement maritime et commercial que s’ils sont comptabilisés dans les statistiques antillaises. Si l’intégrité de ces sources ne conduit pas à une certitude complète, la véracité des renseignements qu’elles fournissent est cependant indéniable. Il n’y a donc aucun risque d’en faire une utilisation prudente pour évaluer les échanges entre la Nou velle-France et les Antilles au XVIIIe siècle.
Chacune des composantes fondamentales de ce grand commerce agis sait directement sur le niveau des échanges. Ainsi, les ressources et les besoins devaient être suffisamment complémentaires pour soutenir un mouve ment commercial régulier et rentable. Québec et Saint-Pierre de la Marti nique, centres d’approvisionnement et de distribution, devaient offrir des services maritimes et portuaires capables de vaincre les hésitations des armateurs et des navigateurs. Pour parer aux plus grandes difficultés de la navigation fluviale, les intendants de la Nouvelle-France firent explorer minutieusement les rives du Saint-Laurent, ériger des balises et dresser une liste des points de repère utiles. Des corvettes, armées en course , croisèrent au large de la Martinique pour en écarter les pi
de leur négoce. Ils modifièrent même le calendrier des expéditions pour as surer une utilisation plus longue et plus sûre de leurs bâtiments. Pourtant, combiner la période des récoltes — c’est-à-dire la disponibilité de produits pour former une cargaison — au Canada, à l'Ile Royale, à la Martinique et en France, avec les conditionnements de la navigation, n'était pas une mince tâche. Le gel du Saint-Laurent l'hiver et la saison des ouragans tropicaux laissaient peu de marge. Les armateurs réussirent avec le plus grand bonheur à allier ces éléments et à contourner des obstacles géographiques majeurs. Les uns optèrent pour un grand commerce triangulaire, reliant le continent européen et les deux groupes de colonies au cours d'une saison de navigation. D’autres préférèrent agir à une échelle plus réduite, trop heureux de pouvoir multiplier le nombre de voyages sur le fleuve ou entre l'Ile Royale et la Mar tinique. Ces nouveaux trajets qui modifiaient les lieux de relâche influaient toutefois sur la répartition des bénéfices commerciaux et des sommes consacrées aux radoubs de ces grands voiliers de bois.
La réglementation du commerce, souvent jugée intempestive par les premiers intéressés, pouvait nuire aux échanges intercoloniaux, ou au con traire, les favoriser. Les historiens ont traditionnellement attaché beau coup d'importance à la politique ouverte d'un Maurepas. C'est peut-être accorder aux décisions politiques une prépondérance qu'elles n'ont pas et méconnaître l’influence des négociants sur les législations adoptées. L'é lection d'un syndic par l'assemblée des négociants donna aux Canadiens une voix forte et représentative auprès du gouvernement.. La correspondance générale et les ordonnances des intendants renseignent assez bien sur les
luttes et les pressions qui forcèrent la main des autorités, aussi bien en regard des règlements du roi que des décisions locales. Cette manifesta tion de l’émergence de la volonté, sinon des idéaux, d'un groupe social, voué
iX'Vl
a la defense d interets communs, touche ©e*point crucial de 1 historiographie de la Nouvelle-France.
Ces armateurs, qui décelaient rapidement les brimades et les entra ves d’un contrôle tatillon, savaient aussi trouver les solutions les plus a-vantageuses à la gestion de leur entreprise. Dans l’armement d’un navire, c'est-à-dire dans l'ensemble des opérations précédant la mise à la voile, ils cherchaient à prévenir toutes les difficultés. Ils apportaient autant de soin au choix d’un capitaine et à la composition d'un équipage qu'à la formation d'une cargaison.
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du voyage, peu coûteuse, et
Ils consacrèrent beaucoup d'efforts à obtenir encombrante, supportant bien les condxtuons susceptible de rapporter de grands profits. IJ.s s'inquiétaient tout aussi vivement des dépenses inconsidérées d'un capital ne ou des revendications d'un équipage rebelle. C'est pourquoi ils préci-salent clairement les conditions d'engagement: les ports à rejoindre, les salaires versés, le moment du paiement, les vivres mis à la disposition de l'équipage et les fournitures accordées à chacun. Pour se prémunir centre les éventuelles désertions, le rôle d'équipage comprenait aussi le nom, l'â ge, la nationalité et l'occupation de chacun. Les procès-verbaux de nom breux litiges complètent les informations relatives aux conditions de vie des marins. Ces deux opérations — équipage et cargaison — impliquaient des déboursés énormes, aussi élevés l'un que l'autre. Il n'est pas étonnant dans ces conditions de constater que plusieurs armateurs payèrent de fortes primes d'assurances, préférant réaliser des gains moins imposants plutôt que
d'être acculés à 1a. faillite. Ces données servent de base a l’évaluation des profits. Leur répartition "nationale” est d'une importance capitale
au calcul de la balance des paiements et à la mesure de l'impact de ce commer ce sur l’économie de chaque colonie.
Croire que tous les armateurs disposaient, au départ, des capitaux requis pour mener de telles entreprises à bonne fin trahirait une réalité économique et historique fondamentale. Ce serait nier le jeu complexe des opérations commerciales et financières auquel se livraient des indivi dus désireux de s’enrichir et d’améliorer leur condition sociale. Les Cana diens ne faisaient pas bande à part dans ce système. La disponibilité de capitaux et de crédits, ainsi que le choix de modes d’association, détermi nent, en partie, leur participation au commerce inter colonial. L’infrastruc
ture commerciale, les lieux de relâche et de radoub, sans oublier les méca nismes d’achat et de vente, affectaient aussi la répartition des montants d’argent consacrés à cette activité. Ce qui subsiste des registres d’ami rauté, la correspondance de quelques commerçants, des procès épiques et sur tout l'analyse des statistiques commerciales, permettent d'évaluer l'impor tance de ce commerce pour la Nouvelle-France, pour le Canada et pour leurs habitants.
Aux conséquences naturelles et immédiates de tels échanges s'ajou te, en effet, toute une gamme de répercussions à long terme qui s'insèrent dans un cadre plus large et touchent aux fondements même de l'économie et de la société canadiennes. La mesure de l'effet d’entraînement du commerce in tercolonial sur d'autres secteurs, comme l'activité agricole, l'exploitation des richesses naturelles et l'industrie navale, précise Ici structure écono mique de la colonie. Elle éclaire en même temps les principes moteurs de
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l'organisation économique et de la production. Elle fait la part entre pro blèmes de production et commercialisation de. la production. En soi, par ses aspects secondaires et comme générateur d'activités économiques, le commer ce Nouvelle-France — Antilles au XVIIIe siècle reflète la marche du progrès dans la colonie.
LA REPRISE DES ECHANGES
Des personnages célèbres de l'histoire canadienne ont décrit avec enthousiasme les richesses du nouveau continent. Aux
tanés d'un Cartier, succédèrent les récits à la fois
émerveillements spon-réfléchis et à lar ge vue d’un Champlain, mais c’est à Talon que revient 1’h onneur d ’avoir tenté une exploitation systématique et rationnelle de la Nouvelle-France. Habile exécutant de la politique économique de Colbert, 1’intendant voulut
suffisant pprovisionnant le royaume de ses productions originales. Il profita de l’appui de la métropole et d’une conjoncture
a
favorable pour donner à à 1‘industrie, un
essor remarquable et un dynamisme jusque là inconnu. Il voulut assurer le développement continu de la colonie par l'établissement d’industries d e t r an s f o rmatien. Il instaura un nouveau mode de distribution des ter-res pour favoriser 1’entraide des services. Il pré conisa et amorça le commerce triangulaire encre le Canada, les Antilles
Il est douteux que cette idée d’un commerce passant par les Iles françaises de l’Amérique méridionale soit do Talon
19
Par contre, en 1665, un homme de haut rang, le sieur Alexandre de Prou-ville de Tracy, lieutenant général des colonies françaises en Amérique, venait d'effectuer un séjour de près d'un an aux Antilles afin d'y dé
loger les Hollandais. Au cours des deux années suivantes, il mata les Iroquois qui occupaient la région au sud du Haut-Saint-Laurent. De conversations entre Tracy et Talon germé un projet précis
Antilles. A
Dans son nion que
son habitude, l’intendant ne tarda pas à se mettre à l'oeuvre. 1667, il émit l’ opi-le Canada pourrait aider à la subsistance des Antilles si la France venait à y manquer A l'automne de la même année, un vaisseau
Occidentales allait aux Iles du Vent avart do repasser en France; Talon en profita pour envoyer aux Iles du saumon, de
planches, du merrain, de l’huile de loup-marin et de petits mâts. Il songeait également a construire un navire de 300 à 400 tonneaux pour mul tiplier les échanges u 2
1. Mémoire de Talon sur l’état présent du Canada (1667), RAPQ, 1930-31: 63. 2. Talon a Colbert, 27 oct. 1667, RAPQ, 1930-31: 82,.
3. Roi a Talon, 18 mai 1669, RAPQ, 1930-31: 111-112. de ce genre
Deux ans plus tard il espérait que la production agricole cana dienne serait assez abondante pour permettre une exportation régulière des surplus vers les Antilles françaises. Il travaillait alors â complé ter la cargaison de trois vaisseaux neufs qui se rendaient a la Martini que, d’où ils prendraient du tabac qu’ils porteraient en France avant de
3 revenir au pays
La diminution de l’intérêt des autorités métropolitaines envers l’Amérique et le départ d’un des plus brillants administrateurs que la colonie.ait jamais eu mirent fin à ces initiatives commerciales. Il y eut encore quelques voyages entre Québec et Saint-Pierre de la Mar tinique, mais ils sont trop rares et le rôle de l’Etat y est trop im portant pour que l’on puisse prétendre à un véritable commerce inter colonial.
C’est à l’aube du XVIIIe siècle seulement qu’un mouvement mariti me régulier prend place entre les colonies françaises de l'Amérique mé
ridionale et celles de l’Amérique septentrionale. Ces échanges ont alors perdu leur caractère artificiel et intermittent. L'intervention et les subsides du roi ne sont plus essentiels. Aux contacts occasionnels suc cèdent des relations continues. Les colonies se suffisant à elles-mêmes,
leurs productions dépassent les besoins locaux et leurs ressources se complètent. Les principaux éléments d’un grand commerce se trouvent réu nis .
4 La Nouvelle-France au début du XVIIIe siècle
Une série de petits établissements marquaient l’emprise française en Amérique du Nord en ce début du XVIIIe siècle. Distinctes par leur isolement respectif, soumises à l’autorité immédiate de la métropole dans la réalité administrative, ces colonies- dans la mesure ou un éta blissement de 200 âmes peut porter ce nom - n’avaient entre elles à peu près
Pour une description de la Nouvelle-France, on consultera avec profit les ouvrages suivants:
Guy Frégault, La Nouvelle-France,
Marcel Trudel, Initiation a la Nouvelle-France, 126-141. Yves Zoltvany, New France and the West, CHR, 1965, 301-322.
Les mémoires de Ruette d’Auteuil et de N.-G. Boucault reproduits dans le RAPQ 1920-21 et 1922-23 sont aussi utiles.
dans Le XVIlIe siècle canadien, 13-57. 4.
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aucun lien d'ordre politique ou administratif. Si l'on excluait le commerce des fourrures, elles seraient absolument indépendantes l'une de l’autre sur le plan économique.
Environ 250 Français vivaient dans huit ou neuf agglomérations à Terre-Neuve. L’Acadie comptait au plus 1,450 âmes. La Louisiane en était à des débuts fort modestes: en 1704 elle comptait de 190 à 200 habitants. Au Labrador et sur le Domaine du Roi ne se trouvaient que de petits postes de pêche et de traite. A l’Ouest, l'empire français comprenait la région des Grands Lacs, une partie considérable de la vallée du Mississipi et, jusqu’en 1713, la région entourant la Baie d’Hudson; mais Détroit n'était établi que depuis 1701 et la population blanche qui circulait dans ces ré gions était limitée en nombre, instable et souvent marginale. Restait le Ca nada, constitué de trois agglomérations plus importantes, Québec, Montreal et Trois-Rivières, où vivait la plus forte concentration de Français en Amé rique du Nord: environ 15,000 personnes dont 4,000 dans les villes.
La situation de ces colonies de la Nouvelle-France n’était pas très reluisante en ce début d'un siècle nouveau même si la signature de la grande paix de Montréal en 1701 avait apporté un grand soulagement aux Canadiens. La métropole était à nouveau entrée en guerre contre une puissance maritime fort à craindre. L'ère des héros n’était pas encore terminée: les exploits d'un d'Iberville retentissaient avec éclat en Nouvelle-France. Le dénouement, basé sur les victoires remportées en Europe et non dans les colonies,
allait cependant être désastreux pour l’empire colonial français en Amérique du Nord. Avec la signature du traité d’Utrecht en 1713, il ne restera de l'Acadie que l’Ile Royale, tandis que la Baie d’Hudson passera sous l’allé geance anglaise.
Utreclit remit, aussi en question les rapports coloniaux tra ditionnels. Pour protéger le Canada, il fallait à tout prix compen ser la perte de l'Acadie, se réserver l'accès du Saint-Laurent. L'Ile Royale devint le poste stratégique par excellence de la France en Améri que du Nord. On lui ajouta une vocation commerciale. Le port de Louis-bourg était appelé â un grand avenir. Plaque tournante et entrepôt de commerce, les vaisseaux canadiens et français y trouveraient un asile sur. La morue devint un article de commerce important dans l’économie de la Nouvelle-France } mais pour le moment la pêche était faite
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tement par les métropolitains et à leur profit exclusif . En 1713, ce plan de développement était encore au stade des beaux projets.
Rejetée par les Acadiens qui ne voulurent pas s’y établir, l'Ile Royale avait mauvaise réputation à cause de son climat rigoureux et de la précarité de son approvisionnement. Le sol s'avérait impropre à la cul ture céréalière et le bois n'était que sapinage rempli de broussailles; en somme, au dire du gouverneur lui-même, cette terre ne valait rien.
Privée d'agriculture, dépourvue d'industrie, l'Ile Royale dépendait complè tement des approvisionnements extérieurs et la ville vécut dans la crainte perpétuelle de la disette .
La situation canadienne était tout aussi critique. Au sortir d’un état de guerre permanent avec les Indiens, la colonie était menacée d'étouf fement par la marine anglaise qui pouvait en contrôler toutes les voies d'ac cès. Parallèlement, l’économie était en plein marasme. Le commerce des four rures, seul moyen d'accumuler des capitaux, était en pleine crise: le marché
5. AQ, AP, Labignette, J.-E., Thèse sur l’histoire de Louisbourg, chap. I. 6. Ibid., chap. II.
était sature’ la concurrence qui. avait forgé â la pénétration du continent avait entraîné une augmentation des dépenses et une diminution des profits sans apporter de solutions à l'objet même des changements. Les problèmes du commerce des fourrures eurent toutefois leur contre-partie: ils obli gèrent une partie de la population â chercher de meilleures conditions de vie dans d’autres secteurs d’activité et à se tourner vers l’exploi
tation d'autres ressources. La faune ne procurait plus les revenus habituels; elle avait atteint un seuil de rentabilité et d’occupation de main-d’oeu vre. Les habitants songèrent aux ressources forestières, aux fonds marins poissonneux, au sous-sol minier et aux produits agricoles. Par suite du déclin de la fourrure que la compagnie de la Colonie ne put freiner et, par une sorte de compensation, la population adulte du Canada, en progression rela tivement rapide, se cherchait une nouvelle vocation.
La culture de la terre rapportait bien; il n'y manquait que des exploitants en plus grand nombre. Les quelque 10,000 personnes qui vi vaient des revenus du travail familial sur la ferme, au tournant du siè cle, en tiraient suffisamment pour se nourrir, assurer les semences et approvisionner la ville; souvent même il restait des surplus pour l'ex portation. Blé, pois et légumes étaient les principales productions. Pres que chaque cultivateur avait en outre un petit troupeau. On était bien loin de pratiquer l'élevage sur une grande échelle, mais les besoins cou rants étaient facilement satisfaits. Très tôtmême, il y eut surabondance de chevaux. Le recensement agricole de 1706 fait état de 43,671 arpents de terre en valeur, produisant plus de 200,000 minots de blé et 42,000 mi-nots de pois. Il y avait près de 25,000 têtes de bétail -1,872 chevaux 14,191 bêtes à cornes, 7,408 porcs et 1,820 moutons - . Le sol se prêtait aussi à la culture industrielle. En 1716, les habitants récoltaient 41,714 livres de lin et 2,400 livres de chanvre. On y dénombrait aussi 30 moulins
à farine et 16 moulins à scie. La région de Baie-Saint-Paul avait 7
fourni 143 barils de goudron et des mâts pour l’exportation .
Les produits de la pêche constituaient un autre article de subsis tance important. L'anguille, cette manne du peuple pullulait sur
les battures du grand fleuve. Avec un peu de chance, un habitant pouvait en prendre jusqu'à mille durant une marée En aval la pêche rapportait mieux, car les prises étaient plus grosses. Loups-marins et morues é-taient le if^t des pêches ordinaires. Les Canadiens s'intéressèrent de plus en plus à ces entreprises commerciales. Des pêcheries s'ouvrirent à la Ri-vière-Ouelle en 1701, sur la côte du Labrador en 1704. Hazeur produisit 100 barils d'huile de marsouins en 1708. Des censitaires se groupèrent
g
pour exploiter la devanture de leurs terres , à la Rivière-Ouelle en 1707, dans la seigneurie de la Bouteillerie en 1709. Malgré une consommation lo cale élevée, à cause du grand nombre de jours de jeûne, le rendement des pê cheries permit l'exportation.
Accrochés aux rives du Saint-Laurent entre Québec et Montréal, les habitants du Canada avaient peu pénétré à l'intérieur des terres. L'ar rière-pays restait inexploité. La colonie n'était encore qu’une immense forêt, à peine entamée aux abords de la voie fluviale. On y trouvait facilement et en quantité les espèces de bois les plus utilisées dans la construction de maisons et de navires. Les pinières et les chênières de vinrent bientôt des zones convoitées d'où l'on tirait les bois nécessaires à la construction et au radoub des bâtiments de mer.
7. E. Lunn, Economie Development in New Erance 1713-1760, 443-444. Recensement de .la colonie, 8 nov. 1718, AC, CÎ1A, 124: 279. 8. G. Lanctôt, Histoire du Canada, t. II, 295.
Si la localisation de ces ressources attirait vers l’intérieur du continent, leur exploitation dépendait de l’ouverture sur l’exté rieur. Le marché que constituait la population locale se ramenait à peu de choses. Un tel débouché ne pouvait soutenir une grande entre prise. Le marché pour le bois, les fourrures et le poisson était né cessairement à l'extérieur du pays et surtout européen. D’ailleurs,la colonie devait avant tout profiter à la métropole. En fait, l’activité maritime conditionnait le développement économique du Canada.
A l’intérieur du pays, seules les voies d’eau permettaient les communications entre les individus comme entre les zones de peuplement. Tous les Canadiens en étaient tributaires. Les déplacements, 1a. cue.il-lette des fourrures, l’achat de produits manufacturés, la vente de surplus agricoles, en somme, la survie des habitants, à la ville comme à la cam-pagne, en dépendait. Le réseau hydrographique et la proximité de HaVres surs avaient d'ailleurs influencé le choix des emplacements des villes. Tous les établissements avaient du se doter d'un équipement maritime et portuaire modeste, mais de première nécessité. A Québec, les bâtiments de mer trouvaient refuge contre les grands vents dans la rade de la ri vière Saint-Charles; par temps calme, ils s'ancraient devant l’Anse des Mers, au pied du Cap-aux-Diamants. Barques et gabares faisaient la na vette entre la grève et les navires ancrés au large pour effectuer le chargement et le déchargement des cargaisons. A terre, des commis du Bu reau du Domaine vérifiaient les produits et les acheminaient vers les ma gasins du Roi ou vers les entrepôts des négociants qui s'é taient acquittés des droits à payer. De petites embarcations et des
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