Images, textes e t sociétés
A c tu a lité du~ s tru c tu ra lis m e
4
propos
du
petit
ma
de
Alain
Luc Bachelot (UMR ArScAn - Orient cunéiforme)
Au-delà d e la formalisation et d e la rigueur des opérations descriptives qu'il a largem ent contriPué à faire a d o p te r dans toutes les sciences sociales, le structuralisme a im posé, Pon gré mal gré, un m o d è le théorique fondé sur la proposition saussurienne d e voir dans le la n g a g e le m o d èle d e toutes les form es d'expression. Il inscrit d onc d 'em b lée, la réflexion sur l'im age dans une pro b lém atiq u e généraliste qui e x c è d e largem ent la seule observation des données iconographiques, des œ uvres, au risque d'occulter leur spécificité. Les images, en effet, sont référées à un systèm e qui leur est extérieur, le langage, e t ne seraient intelligibles q u e par lui. C e tte conception fut d é v e lo p p é e par toutes les é tu d es se réclam ant d e la sémiologie e t du structuralisme, elles sont légion depuis la parution d e la S ém iologie d e l'im a g e d e Roland Barthes (1964). C ette option est régulièrement ranim ée par les spécialistes des im ages d e toutes pro v en an ces (I. Winter dans notre domaine). Quelle q u e soit sa fécondité a v é ré e , c e tte théorie n'est jamais parv en u e à étancher le flot des interrogations q u e charrie inévitablem ent l'apparition d 'im ag es d an s in contexte particulier. Leur diversité, leur originalité, leur c a ra c tè re souvent inattendu, leurs fonctions multiples, semblent, pour la plupart d e ceux que l'image intéresse, largem ent d é p a s s e r les limites im posées par le m o d èle linguistique. Celui-ci eut néanmoins le mérite d e soustraire le discours sur l'image à l'empire d e s catég o ries philosophiques (problém atique des relations d e la vérité e t d e l'art) dans lequel I était souvent pris. Entre les catégories philosophiques, trop larges pour saisir la spécificité d 'u n e iconographie, e t le m odèle trop étroit d e la langue qui laisse é c h a p p e r c e qui sem ble fondam ental, quelle voie nouvelle p e u t s'ouvrir ?
La quatrième voie d ’Alain Badiou
Alain Badiou (1998) dan s le premier chapitre d e son Petit traité d 'in e sth é tiq u e a v a n c e une proposition. À la reprise d e c e texte, seront ici intégrés la référence à d'autres théories, com plém ents ou contrepoints d e s propositions d e A. Badiou, e t des exemples d e pratiques iconographiques, propres à la M ésopotam ie. Voici l'incipit d e c e texte :
« Par « inesthétique », j'entends un rapport d e la philosophie à l'art qui, p o sa n t que l'art est par lui- m êm e producteur d e vérités, ne prétend d 'a u c u n e façon en faire, pour la philosophie, un objet. Contre la spéculation esthétique, l'inesthétique décrit les effets strictem ent intraphilosophiques produits par l'existence ind ép en d an te d e quelques œuvres d 'a rt ». (B adiou 1998).
L'art est d o n c producteur d e vérités et, à c e titre, l'égal au moins d e la philosophie. L'art produit des effets intra-philosophiques p a r la seule existence d e certaines d e ses œ uvres.
Les rapports d e l'art e t d e la philosophie sont, selon l'auteur, placés soit sous le signe d e l'ostracisme soit sous celui d e la dévotion. Et il est intéressant d e souligner q u e l'art (singulièrement lim ag e ) e t la philosophie sont historiquement liés, dès le d é b u t d e la philosophie occidentale, en G rè c e. C e lien se penserait sous trois schèm es : didactique, rom antique e t classique.
Le schèm e d id a c tiq u e
Le schèm e didactique assigne à l'image le rôle d'éduquer. L'im age doit transmettre une vérité qui a é té é la b o ré e à l'extérieur. C e tte transmission se fait par la force d e transition du semblant, à la m anière par exem ple dont une m étap h o re p eut faire com prendre une idée. Mais sa fonction ne doit p a s d é p a sse r c e
Images, textes e t s o c ié té s
niveau. La norme d e l'im age doit être l'éducation, mais la norme d e l'éducation est-la philosophie. L 'im age e st donc sous contrôle c a r sa vérité vient du dehors e t elle n'est plus m esurable que par les effets sur le public.
Le schèm e rom antique
Le sc h è m e rom antique voit dans l'im age, la seule manifestation c a p a b le d e faire jaillir la vérité. Ainsi accom plit-elle c e que la philosophie ne peut qu'indiquer. L'image est le corps réel du vrai ; elle correspond à une m étap h o re bien c o n n u e dans nos sociétés, la m étaphore christique. Le Christ étan t l'image vivante, l'incarnation sur terre d e Dieu le Père.
Le schèm e classique
Le sch èm e classique enfin réduit la tension entre les deux précédents, le bannissement didactique, la fonction strictement instrumentale d e l'im age au service d e l'éducation, d o n c d e ia philosophie, e t la glorification romantique. C 'e st Aristote qui a é té l'auteur d e c e tte réduction. L'image est en soi in c a p a b le d e vérité, mais c e n'est pas g rav e car c e n'est, en fin d e com pte, pas sa fonction. Elle co n cerne une autre ch o se : la catharsis que l'on peut définir co m m e é ta n t la déposition des passions dans un transfert sur le semblant. Dès lors, la norm e d e l'im age est son utilité dans le traitement des affections d e l'âme. Il s'ensuit q u e le rôle d e l'im age sera évidem m ent d e plaire mais certainem ent pas d e produire d e la vérité. Le plaire ne prélève d e la vérité q u e c e qui perm et d 'e n c le n c h e r le processus d e l'identification, des lam beaux d e vérité. La vérité, en effet, est une entité délestée d e tout réel, mais elle p eut voir certains d e ses aspects trouver un point d'application dans l'imaginaire; point d'application des passions d e s schèm es d e transfert. C e la s'ap p elle la vraisemblance. La paix entre l'im age e t la philosophie vient d e la délimitation entre la vérité e t la vraisem blance. À c ô té d e l'im age, la philosophie préserve ses droits à la vérité.
Le cas d e ia M ésopotam ie
On peut, à l'appui d e c e tte thèse, citer le c a s d e la M ésopotamie. Ayant eu à traiter d e la fonction d e s im ages d an s le c a d re d e la M ésopotamie, a p rès exam en aussi minutieux q u e possible du corpus do n t je disposai, j'en suis arrivé à une détermination proche d e la fonction cath artiq u eex p o sée par Aristote, mais p ar d e s voies e t des chem inem ents qui ignoraient volontairem ent les grandes théories esthétiques classiques. I s'agissait du corpus des toutes premières im ages m ésopotam iennes sur sceaux-cylindres à la fin du chalcolithique, au m om ent d e l'apparition des sociétés dites proto-étatiques. Dans c e contexte-là, les im ages sont toujours considérées co m m e éta n t l'une des c o n séq u e n c e s d'un vaste m ouvem ent d e structuration sociale. Mais l'exam en attentif des im ages d e c e tte é p o q u e e t d e leur utilisation m 'a a m e n é à poser q u e non seulem ent elles n'étaient p a s une simple c o n s é q u e n c e d e c e m ouvem ent mais sans d o u te qu'elles étaien t à i'origine m êm e d e c e m ouvem ent social d e structuration. Et qu'elles apparaissaient p a r leur fonctionnement, c'est-à-dire essentiellem ent la faç o n dont elles étaient reçues, com m e étant à l'origine d e c e que l'on a a p p e lé l'État ou le proto-État. C om m ent : c ar elles e n g a g e ra ie n t le récepteur d a n s un processus d e projection qui libère les tensions inévitables au m om ent d e crises qui caractérisen t la structuration sociale. C om m ent libèrent-elles des tensions ? Par la labilrté d e c e qu'elles donnent à voir, la sollicitation à com pléter un m essage perçu c o m m e é ta n t incomplet, à la projection, la catharsis ? On p e u t rapprocher d e c e tte situation la pratique d e s tests projectifs, utilisés co m m e thérapeutique et qui éq u iv alen t disent certains psychologues à une véritable psychanalyse.
C e tte thèse s'opposait à l'idée la plus couram m ent adm ise selon laquelle la fonction principale des im a g e s e st identique à celle d es langues naturelles qui est d e la comm unication. C ette emprise du m o d è le linguistique a d'ailleurs é té confortée par l'observation d e la naissance puis d e l'expansion d e l'écriture en M ésopotam ie qui, du naturalisme des pictogram m es à l'abstraction des signes cunéiformes, p a s se d e l'interprétation imm édiate d e l'image à la com préhension, soumise à l'apprentissage d'une codification arbitraire, destinée à la transcription des é n o n c é s linguistiques. On a do n c eu, très rapidem ent, te n d a n c e à aligner le fonctionnem ent d e l'im age à celui d e l'écriture pour la b onne raison q u e la se co n d e d e s c e n d a it d e la prem ière et q u e l'écriture semble évidem m ent soumise au m odèle d e la langue. C e qui p eut éventuellem ent se concevoir d e l'écriture a lp h a b é tiq u e actuelle qui doit transmettre des é n o n c é s linguistiques, mais à un niveau finalement assez primaire d e l'analyse e t qui n'est pas recev ab le au s ta d e d e récriture idéographique m éso p o tam ien n e.
Pour A. Badiou, le XXe siècle n 'a rien fait d 'a u tre q u e d e revenir continuellement se loger à l'intérieur d e c e s trois g ran d e s façons d'organiser, d e penser, la production artistique. Et il s'est a c c a p a ré , tour à tour ou simultanément, ces schèm es d e façon si récurrente e t systém atique qu'ils sont désormais saturés. Toutes les explications fournies finissent d onc par produire des am algam es, au sein d e m êm es catégories, d 'œ u v r e s qui sont à l'évidence très différentes. Bref, on tournerait en rond.
Im ages, textes e t s o c ié té s
Qu’en est-il actuellem ent ?
Parmi les grands courants philosophiques qui ont m arqué c e siècle, le marxisme, la psychanalyse e t l'herm éneutique alle m a n d e (H eid d eg g er et ceux qui se réclam ent d e son œ uvre, en fait tout le co urant existentiel e t phénom énologique) peuvent se ranger sous les orientations à l'instant décrites.
Le marxisme est certainem ent didactique. Nul besoin d e fournir d e nom breux exem ples. La production artistique, quelles que soient les techniques utilisées, a pour c h a rg e essentielle d e véhiculer un e n s e m b le d'id ées, d e conceptions, une doctrine qui a été élab o rée en dehors, évidem m ent, d e la pratique d e telle ou telle discipline artistique.
La psychanalyse est, c o m m e nous l'avons vue, classique, dans la mesure où elle retient du fonctionnem ent d e l'im age le rôle d e catharsis, a v e c la mise en œ uvre des projections, d'identification, et s'est m ê m e construite autour d e l'utilisation d e ces concepts. On pense naturellement à la topologie freudienne a v e c les s ta d e s d e d é v e lo p p e m e n t d e la constitution du moi dans la petite e n fan ce e t le rôle qu'y joue l'im age, la convocation du mythe d e Narcisse, le stad e du miroir, etc. C onception classique, aristotélicienne donc, qui a une efficacité évidente sur le plan individuel mais ég ale m e n t social, puisqu'elle favorise fous les processus d e structuration ou d e cohésion sociale. On pourrait trouver d e multiples exem ples d e c e fonctionnem ent d a n s les productions contem poraines mais aussi antiques.
Et, enfin, l'herméneutique (H eidegger) qui est romantique essentiellement c a r les dires du poète, d e l'artiste, e t la p e n sé e pure du penseur sont, en fin d e com pte, indiscernables.
I convient d e noter que c e tt e liste ne mentionne pas le structuralisme. C e dernier, en tout cas, ainsi q u e tout le courant sémiologique c o m p o rte évidem m ent une do se importante d e didactism e dans la mesure où la production d'im ages participe à la manifestation d e structures q ü se sont é la b o ré e s en dehors m êm e d e la pratique iconographique e t renvoie à une structure globale du fonctionnem ent social. Il y aurait une véritable gram m aire des styles, d e s c o d e s qui seraient étroitement liés à d'au tres c o d e s qui régiraient le fonctionnem ent de la société. Il faut c e p e n d a n t noter q u e la liaison d e ces multiples c o d e s sociaux rép o n d à un m écanism e qui, lui, ne reçoit pas d e détermination précise puisqu'il m anifeste la structure qui se g é n è re d o n c d e faço n presque s p o n ta n é e , dans tous les secteurs d e la vie sociale, mais d e façons différentes. I s'agirait d e structures d e structures, aboutissant à la macrostructure qu'est, en fin d e com pte, la société. Si les structures-éléments p e u v e n t être décrites et analysées localem ent — l'im age, la musique, les règles matrimoniales, le systèm e é c o n o m iq u e —, le moteur qui fart la macrostructure reste une manifestation s p o n ta n é e qui relève, semble-t-il, d'une sorte d e métaphysique, proche du sc h ém a du classicisme.
Un quatrième schém a
Pour com prendre m aintenant, d e façon peut-être plus fine la production imagière, il conviendrait pour l'auteur d e proposer un q uatrièm e schém a et d e le penser en sortant d e l'attraction philosophique, c o m m e l'herm éneutique s'est e ffo rc é e d e se soustraire au rigorisme un p e u sec des descriptions structurales e t sémiologiques (plus ré c e m m e n t on pourrait citer aussi la médiologie d e Régis Debray, qui est une sém iologie répondant, en fait, rigoureusem ent au program m e structural : le m essage c 'e st le médium).
Pour réussir donc c e d é c o u p la g e d e la pensée d e l'art et d e la philosophie, une prem ière op ératio n s'im pose : se débarrasser d e la problém atique du rapport « image-vérité ». Les catég o ries d e c e rapport sont l'im m anence (la vérité est intérieure à l'œuvre) e t la singularité.
Dans le s c h è m e romantique, il y a dans l'im age la manifestation d e l'im m anence. L'art expose la d e s c e n te finie d e l'Idée (sens platonicien). C 'est l'incarnation plus ou moins parfaite d e c e tte Idée. On ne peut q u e renvoyer au texte d e Platon mais aussi l'ensem ble d e la querelle des images à Byzance. La p roblém atique des icônes, la m étaphore christique, etc. En revanche, l'im age selon c e tte c o n cep tio n ne répond pas, quant à la vérité, à l'exigence du principe d e singularité puisque c e tte vérité est la m êm e q u e celle qui s'est é la b o ré e chez le penseur, elle n'est nullement singulière.
Dans le didactisme, la vérité n 'e st pas immanente à l'im age puisqu'elle lui vient d e l'extérieur. L'image n'est en fait q u e le ré c e p ta c le d e c e tte vérité venue d'ailleurs : Platon, le structuralisme, le marxisme. Mais elle e st singulière c a r seule elle p e u t exposer, ne fut-ce que partiellement une vérité, sous la forme du semblant. La vérité é ta n t pour le com m un souvent inaccessible, par le semblant, la m étaphore, elle peut transm ettre qu elque chose d e c e tte vérité qui autrem ent dem eurerait c a c h é e .
II faut do n c maintenant sortir d e c e tte problém atique d e la vérité e t reconnaître d a n s la production im agière la simultanéité des deux c a té g o rie s qui déterminent l'apparition d e la Vérité, l'im m anence e t la singularité. Tant q u e l'un ou l'autre d e c e s c a ra c tè res manquait, l'image se trouvait en d é fa u t d e Vérité et d o n c ne pouvait q u 'ê tre soumise à c e m odèle. Mais si l'on vient bien reconnaître q u 'im m a n en c e et singularité s e
Im ages, textes e t so c ié té s
m anifestent é g a le m e n t e t simultanément dans l'im age, com m e dans toute production artistique, on est en p ré s e n c e désormais d'une manifestation d e là Vérité, d e la vérité-art. L'image d o n c serait une p ro cé d u re d e vérité à part entière, une p e n sée irréductible aux autres vérités, politiques, philosophiques notam m ent.
Dès lors se pose la question : si l'art est production im m anente d e vérité, quelle est l'unité pertinente d e c e tte production ? Il s'agit là d e la problém atique du fini e t d e l'infini.
C ar nonobstant c e qui vient d 'ê tre programmé, une œ u v re est essentiellement un objet fini, partiel, strictem ent limité. C e qui ne correspond pas à la définition d e la vérité, globale, générale, universelle. Une im age, d o n c, n'est p a s une vérité, elle n'est qu'un fait iconographique, m fait d e l'art; c 'est-à-d ire un élém ent d e la p ro c é d u re qui est tissée, tram ée d'un réseau d e quantité d e faits d'art, d 'im a g e s. La vérité-art est une p ro c é d u re c o m p o sée d'œ uvres, mais elle ne peut se manifester intégralem ent d a n s aucune. L'image doit d o n c ê tre considérée com m e une instance locale d e vérité. C ette instance locale, productrice d 'u n e parcelle d e vérité est a p p e lé e par Badiou un «sujet» d e la vérité.
Pour nous, qui sommes confrontés à la nécessité d e rendre co m p te d'un corpus d'im ages, il s'ensuit q u e l'unité pertinente n'est pas l'im age isolée, quelles q u e soient par ailleurs les qualités techniques, esthétiques, qu'elle peut donner à voir, mais une configuration artistique, un ensem ble d'œ uvres, d'im ages. C e tte configuration doit être une sé q u en c e identifiable mais virtuellement infinie des œ uv res qui la com posent.
Les antécédents
On peut reconnaître au philosophe le co u ra g e d'une position qui m et en crise la philosophie, d a n s la m esure où elle lui retire une part importante d e son program m e, une part essentielle m êm e ; penser le m o n d e d a n s sa totalité, y compris les productions humaines, l'art, les images. Il est c e p e n d a n t difficile d e saisir c e qui distingue la voie qu'il appelle « romantique », sous laquelle il range l'herm éneutique heid eg g erien n e, d e celle qu'il propose. Dans le sc h è m e romantique, la singularité ferait défaut à l'œ uvre d a n s son rapport à la vérité, c a r la vérité d e l'œuvre d 'a rt ne lui serait pas spécifique mais identique à celle du penseur, vérité p a rta g é e , co m m u n e et do n c non singulière. Sans doute cela est-il le ca s lorsque l'on ne considère l'art q u e sous la form e du poèm e. Le p o è te est pensé ici com m e pouvant représenter tous les artistes.
De m anière insidieuse ne voit-on pas, encore une fois, se manifester le rôle do m in an t a c c o rd é à la langue sur l'ensem ble des productions artistiques ? Un structuralisme qui ne se déclarerait p a s com m e tel. II est, en effet, certainem ent plus difficile d e distinguer « le dire » du p o è te et celui du penseur, mais sans d o u te pas celui du p en seu r e t celui d e l'imagier. Dans c e qui relèverait selon sa définition d e l'herméneutique, la p h énom énologie a c c o rd e d e plein droit à l'œuvre d 'a rt une singularité inaliénable e t un rapport à la vérité, qui n e diffère point d e la voie qu'il indique pour sauver la production artistique d e to u te emprise extérieure. On pourrait évidem m ent citer les multiples formules qui émaillent les textes d e Merleau-Ponty lorsqu'il parle du travail du peintre. Évocation d e la « p e n sée en im age », « du peintre qui p en se a v e c ses mains », etc.
La p h é n o m é n o lo g ie qui a é té à l'origine d'analyses iconographiques très nom breuses, celles d e M erleau- Ponty, par exem ple (L'œil e t l'esprit, sur Cézanne, les textes rassemblés dans Le Visible e t l'invisible, jusqu'à c eu x d e H eiddegger sur la peinture d e Van Gogh, Les souliers, dans Les chem ins qui ne m è n e n t nulle p a rt
reprise par J. Derrida, dans La Vérité en peinture, etc.) La phénom énologie a établi qu'il n'y a p a s d e d o n n é e s matérielles pures, extérieures à la pensée, mais qu'il y a une constante corrélation entre les a c te s d e la c o n scie n ce (par exem ple ; voir, percevoir, reconnaître) et les objets auxquels ils se rapportent. C e tte corrélation est a p p e lé e la noè se et l'objet, tel qu'il a p p a ra ît dans ce s a c te s (ap rès filtrage d o n c d e la co n science), le noèm e. Celui-ci n'est donc pas un objet pur en soi, mais t é qu'il e st contenu dans la fonction d o n atrice d e sens des a c te s d e la conscience.
Détermination éla b o rée p a r Husserl (L aphé n o m é n o lo g ie d e là p e rce p tio n) mais dont on p e u t repérer d e s a n té c é d e n ts évidem m ent non-explicités, des « préfigurations » pourrait-on dire, d a n s l'antiquité. Tel est le c a s , p a r exem ple, du ritué d e l'ouverture d e la bouche en M ésopotam ie, qui consiste, pour donner vie à la divinité, représentée par une statue, à procéder à un ensem ble d e manipulations a c c o m p a g n é e s d e prières, à défaut d e quoi ladite représentation ne représente plus rien, n e vit p a s e t se trouve dép o u rv u e d e to u te fonction. C ette d é c h é a n c e risquée ne tenant évidem m ent aucun c o m p te d e la qualité plastique a c h e v é e d e l'effigie. Celle-ci n'existe à proprem ent parler qu 'ap rès le rituel. L'intervention d e c e q u e la phénom énologie appelle les « a c te s d e la conscience » est do n c déterm inante d a n s c e ca s.
Le problèm e d e la singularité ne se pose plus donc puisque la vérité n'est autre q u e celle d e la c o n s c ie n c e inséparable d e l'objet a v e c lequel elle naît.
Im ages, textes e t sociétés
La tentative d e sau v etag e d e l'originalité d e l'art d'A. Badiou diffère-t-elle_vraiment d e c e que proposait d éjà G o e th e : tenter d e d é p a sse r la réalité d e l'art e t la vérité d e la nature pour a c c é d e r à la vérité d e l'art, Kunstwahrheit'?
Éléments bibliographiques