Spécialisation des tâches e t sociétés
Pêche côtière et la g u n a ir e p ê c h e hauturière,
peut-on
p a r le r
de
spécialisatio
à
l'époque
Rép
Myriam Sternberg (UMR 6573 - Archéologie Méditerranéenne et Africaine,
Centre Camille Jullian, MMSH)
De l'â g e du Bronze à l'é p o q u e Républicaine, la p ê c h e est inscrite dans une é co n o m ie a g ro pastorale, d o n t les formes sont relativem ent bien connues. Dans le c a d re d e la ta b le -ro n d e «spécialisation des tâches e t sociétés », nous avons choisi d'exam iner la question d e l'au tonom ie de la p ê ch e , au sein d e c e système vivrier, pour y rechercher d'éventuelles traces d e spécialisation.
Les peuples qui pratiquent la pêch e assurent leur alim entation (ou une partie d e leur alimentation, s'ils ne sont pas exclusivem ent pêcheurs) en e xp lo ita n t des ressources dites sauvages ou spontanées, c 'e st-à -d ire non dom estiquées. En Méditerranée, la multiplicité des espèces exploitées, la présence des courants et le rôle des étangs à l'intérieur desquels les poissons entrent e t sortent en fonction de leurs cycles biologiques o n t am ené les pêcheurs à m ettre en œ uvre des pêches extrêm em ent diversifiées, et saisonnières, décrites dès l'Antiquité (Oppien, Elien,...). La typologie actuelle distingue plusieurs types d e pratiques (Giovannoni 1996), d o n t on retiendra :
- la p ê ch e aux petits pélagiques (sardines, anchois, m aquereau), à la senne ou au lamparo.
- la pêch e aux petits métiers en mer limitée à un faible rayon d 'a c tio n (b a n d e côtière : zone des trois milles) qui utilise les filets maillants, trémails et palangres
- la pêch e aux petits métiers dans les étangs côtiers qui fait ap p e l à un très grand nom bre de pratiques techniques de typ e « traditionnel » : filets maillants, trémails, palang re , e t surtout divers assemblages de verveux : capécha des, maniguière, brandine, gangui ...
L'espèce (ou les espèces) recherchée(s), la (ou les) technique(s) de ca p tu re utilisées, le type e t/o u la p ro fo n d e u r des fonds exploités, e t la distance à la c ô te définissent ces pratiques qui font a p p e l à des savoir-faire e t des stratégies bien particulières caractérisant ainsi des « métiers ». Or, ces param ètres sont accessibles pour la protohistoire et l'A ntiquité à la fois par l'analyse des resfes archéo- ichtyofaun iques prélevés en confextes archéologiques e t par l'é tu d e des instruments liés à la pêche. De c e fa it la question de la « spécialisation » d e la p ê c h e au sein de l'éco nom ie vivrière, voire celle d e la spécialisation des tâches au sein m êm e d e la pêche, méritent d 'ê tre examinées.
Trois exemples sont choisis pour illustrer à la fois les particularités locales de la p ê ch e e t ses rythmes propres d'évolution. Le plus ancien est d a té d e l'â g e du Bronze, il s'ag it du site d e l'A bion (Martigues, Bouches-du-Rhône), sur le canal d e Caronte qui relie l'é ta n g d e Berre à la mer. Le second exem ple est celui d e G uardam ar del Segura, site ibérique, au sud d 'A lic a n te (Espagne), o c c u p é du VIIIe au VIe siècle av. n.-è. Le dernier exem ple est celui du site indigène d e Lattes (Hérault), en zone lagunaire, qui montre une évolution claire entre le IVe e t le 1“ siècle av. n.-è.
Pour l'â g e du Bronze, la question d e la sélection d e certaines esp è ce en vue d 'u n « sto c k a g e » du poisson qui p e rm e ttra it la consom m ation différée de c e tte denrée spontanée et périssable est posée par l'analyse des données a rchéo -ich tyo fa u n iq u e s de l'A b io n (Sternberg, à paraître a). Le cas d e pêcheurs p ra tiq u a n t le stockage est bien connu des anthropologues, tout com m e la pratique de séchage du gibier e t du
Myriam Sternberg
poisson par des populations agricoles ou pastorales. Le stockage est m êm e particulièrem ent im portant parm i les groupes qui pratiquent une économ ie mixte d e chasse, pêche, agriculture e t élevage (Testart 1982). L'hypothèse selon laquelle l'assem blage de l'A b io n résulterait d e d é ch e ts d 'u n é tê ta g e de poissons en vue d 'u n conditionnem ent ultérieur des autres parties consommables fa it sortir la p ê ch e de son statut d e simple prédation e t oblige à s'interroger sur l'organisation d e la chaîne opératoire en jeu, ta n t dans la production, que dans la diffusion des produits. L'idée d 'u n e p ê c h e purem ent opportuniste e t le m odèle de semi-sédentarité proposée pour certaines com m unautés d e l'â g e du Bronze, notam m ent pour les occupatio ns littorales (Py 1990, Py 1993, G arcia
2001
) se trouvent remis en cause.Le site ibérique d e la Rabita d e G uardam ar m ontre une im age d e la p ê c h e plurielle e t complexe, entre le VIIIe e t le VIe siècle av. n.-è., a ve c une grande diversité d'espèces exploitées. L'espace investit par la p ê c h e ne cesse d e s'agrandir au cours d e la période d 'o c c u p a tio n . D 'ab ord limitée à un cours d 'e a u e t son em bouchure e t à une zone côtière sablo-vaseuse, la p ê ch e s'étend, au cours du VIIe siècle av. à une zone rocheuse e t à la pleine mer. Au cours du VIe siècle av, la p ê ch e en mer s'affirme, sans q u e les espaces exploités a u p a ra v a n t soient a b a n d o n n é s (Sternberg, à paraître b). De la typologie actuelle, on retrouve : la pêch e aux petits « métiers » en mer limitée à un faible rayon d 'a c tio n (b a n d e côtière : zone des trois milles) ; la p ê ch e aux petits pélagiques (sardines, anchois, m aquereau).
La diversité des espèces e t des milieux qu'elles reflètent am ène alors la question des utilisateurs : s'agit-il d 'u n seul groupe d e pêcheurs ? La p ê ch e est- elle déjà spécialisée, en fonction des milieux ? Qui p ê c h e dans le cours d 'e a u ? Qui va en mer ?
Une prem ière hypothèse est celle d 'u n e p ê c h e opportuniste, to u t azimut, soumise aux aléas d e la nature, par un seul groupe d e pêcheurs. C ette h ypothèse p e rm e t d e justifier la présence d e n'im p orte quelle espèce, toutes les variations éta n t expliquées pa r des m o d ifications naturelles de l'environnem ent. Les espèces les plus com m unes reflétant les populations côtières naturelles, les plus rares p ouvan t provenir d'é chouages, d'expéditions occasionnelles, d e conditions naturelles ou culturelles
exceptionnelles.
Une seconde hypothèse favorise l'id é e d 'u n e p ê c h e spécialisée dans la c a p tu re d e certaines espèces ou genre, faisant intervenir plusieurs groupes humains aux c o m p é te n c e s a d a p té e s dans l'exploitation d e l'un ou l'au tre milieu, dans l'une ou l'autre espèce.
Durant to u t l'â g e du Fer, Lattes est une ville indigène au sens ethnique e t culturel du terme, quelles ques soient pa r ailleurs les influences, les apporfs ou m êm e les étrangers q u 'e lle a it pu accueillir. Du IVs av. au 1“ siècle av. J.-C., la p ê c h e est alors essentiellement lagunaire et suit l'évo lution générale des autres secteurs vivriers (Sternberg 1995, 1999). A vec la rom anisation, la p ê c h e en mer a p p a ra ît et se d é v e lo p p e indép e n d a m m e n t des autres secteurs vivriers, y compris la p ê ch e lagunaire (Sternberg 1995, Sternberg 1998). Le territoire dévolu à la pêche, s'étend alors à l'esp ace b e a u co u p plus vaste d e la p leine mer, b é n é fic ia n t des am énage m ents techniques portuaires induits par révolution du co m m e rce (Sternberg 2002, G arcia- Sternberg, à paraître). De la typologie actuelle, on retrouve : la p ê ch e aux petits métiers dans les étangs côtiers qui fa it a p p e l à un très grand nom bre de pratiques techniques d e ty p e « traditionnel » e t la p ê c h e aux petits p é lagiq ues (sardines, anchois, m aquereau), prob a b le reflets d e deux groupes de pêcheurs, l'un spécialisé dans la pê ch e lagunaire, l'autre dans la p ê c h e en mer. Une spécialisation dans la p ê ch e semble, ici, être dém ontrable.
Spécialisation des tâches e t sociétés
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