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« "La cruelle guerre 1914-1918". Enquête sur les monuments aux morts du canton de Bischwiller »

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“ ”La cruelle guerre 1914-1918”. Enquête sur les

monuments aux morts du canton de Bischwiller ”

Benoît Léthenet

To cite this version:

Benoît Léthenet. “ ”La cruelle guerre 1914-1918”. Enquête sur les monuments aux morts du canton de Bischwiller ”. Cahiers alsaciens d’archéologie d’art et d’histoire, Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace, 2016, 59, pp.195-209. �hal-03116640�

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« La cruelle guerre 1914-1918 » : Enquête pédagogique sur les monuments

aux morts du canton de Bischwiller

Par Benoît LÉTHENET*

Résumé : Plus de 40 000 monuments aux morts ont été érigés en France après la première

Guerre Mondiale. Ils représentent une source importante pour comprendre, non-seulement, comment les populations des communes ont voulu honorer la mémoire des combattants, mais encore pour avoir un aperçu du drame vécu par les soldats par l’enquête sur les listes des tués. Cette étude veut rendre compte, par l’étude des monuments aux morts du canton de Bischwiller, de l’expérience combattante des Alsaciens lors de la Grande Guerre. En Alsace, dans le contexte particulier d’une société soumise à l’effort de guerre allemand, le document d’histoire qu’est le monument témoigne des choix auxquels firent face les communes pour honorer les combattants défunts et du choix déchirant pour ces combattants : servir la France ou servir le Reichsland.

Les commémorations structurent la mémoire collective autour de valeurs partagées et contribuent au développement d’un sentiment d’appartenance commune. Aujourd’hui 12 journées1 sont répertoriées dans les commémorations nationales. Six ont été créées entre 1880 et 1999 ; les six autres en l’espace de 7 ans, entre 1999 et 2006. Ces créations récentes portent toutes sur des évènements postérieurs à 1940. Elles s’adressent à des publics différents mais toutes sont porteuses de valeurs républicaines : la liberté, la fraternité, l’égalité, la démocratie. S’y ajoutent des valeurs patriotiques comme l’héroïsme, le sacrifice, l’engagement, l’indépendance nationale, le devoir d’obéissance, la défense de la paix. Des valeurs sociales sont également fortement présentes comme la réconciliation, la réhabilitation des victimes innocentes et le respect des droits de l’homme en général. Le rituel traditionnel de l’hommage que les pouvoirs publics rendent aux morts, marqué par la minute de silence et le dépôt de gerbe, s’accompagne de la participation d’une classe de CM2 ou de quelques enfants. Inévitablement quelques militaires ou pompiers dont les accords militaires ou municipaux donnent de l’éclat à la cérémonie. Quand cela est possible, la lecture des « morts pour la France » voire des noms qui figurent sur le monument aux morts. Ces commémorations sont aussi autant d’occasions de transmettre la mémoire des événements aux générations suivantes.

1. Un projet inscrit dans une démarche pédagogique

Le monument aux morts est un « lieu de mémoire » et davantage encore un « lieu d’histoire ». Celui du passé dramatique d’une commune, au carrefour de parcours individuels et collectifs. Il est souvent peu étudié pour lui-même, car la démarche consiste à l’approcher

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Outre le 14 juillet, journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation (dernier dimanche d’avril, loi du 14 avril 1954) ; commémoration de la victoire du 8 mai 1945 (jour chômé, loi du 2 octobre 1981) ; fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme (2ème

dimanche de mai, 10 juillet 1920) ; journée nationale d’hommage aux « morts pour la France » en Indochine (8 juin, décret du 26 mai 2005) ; journée nationale commémorative de l’appel du 18 juin 1940 (décret du 10 mars 2006) ; journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français et d’hommage aux « Justes » de France (dimanche le plus proche du 16 juillet, lui du 10 juillet 2000) ; journée nationale d’hommage aux harkis et aux membres des formations supplétives (25 septembre, décret du 31 mars 2003) ; commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918 (loi du 24 octobre 1922) ; journée nationale d’hommage aux morts de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie (5 décembre, décret du 26 septembre 2003) ; cérémonie en hommage à Jean Moulin (17 juin, consacré par l’usage).

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2

comme document d’histoire, pour donner aux élèves des éléments matériels objectifs pour s’approprier l’histoire de leur commune, en lien avec les programmes scolaires. Ce travail est donc le résultat d’une enquête réalisée en 2013 et 2014 par des élèves de première ES et première S du Lycée André Maurois de Bischwiller2. En première ES, la question « Guerres mondiales et espoirs de paix » (B.O. du 30 septembre 2010) fait une place aux cultes du souvenir. Ce thème permet d’étudier le monument aux morts comme l’une « des différentes formes de production artistiques ». Il a été mené en classe de première S lors du traitement du sujet « la Première Guerre mondiale » (B.O. du 21 février 2013), particulièrement lorsqu’est abordé le thème des expériences combattantes. Pour replacer monuments et inscriptions dans leur contexte historique, un questionnaire a été remis aux élèves portant sur les sujets suivants : l’environnement du monument (nom de la commune, emplacement, mise en valeur), sa forme, ses inscriptions et ornements (représentations figurées, dédicaces, classement des noms inscrits), son élaboration (sculpteur, financement) et son histoire éventuelle (déplacement, destruction durant la Seconde Guerre mondiale, reconstruction). Ce questionnaire a permis de réaliser un tableau à huit colonnes : « Commune »,

« Emplacement », « Représentation », « Date(s) », « Sculpteur », « Financement », « Dédicace », « Inscriptions complémentaires ».

Par ailleurs, dans un second temps, un traitement statistique des noms gravés sur le monument a été rendu possible grâce à l’élaboration d’un tableau portant sur les données suivantes3

: - « N° » (enregistrement),

- « inscription » exacte portée sur le monument,

- « commune » du monument,

- « classe » (année de naissance),

- « date du décès » (année, mois),

- « âge » (au moment de la mort),

- « situation » (C : célibataire, M : marié, M+E(n) : marié avec enfant(s)),

- « profession »,

- « MPF » (mention « mort pour la France »),

- « lieu du décès »,

- « type du décès » (TAE : « Tué à l’ennemi », Mbles : mort de ses blessures,

Mhop : mort à l’hôpital, Disp : porté disparu, MaccS : mort accidentelle en service, MmalS : mort de maladie en service, Fusill : fusillé),

- « régiment » (type, n°, compagnie, bureau de recrutement),

- « grade »,

- « décorations »,

- « inhumation » (lieu, n° de tombe, commune),

- « réf. JMO »,

- « circonstance du décès » (évènements rapportés dans le JMO au jour du

décès).

Des cartes localisant les lieux de stationnement ou de décès ont pu être établies.

2

Le lycée André Maurois reçoit des élèves des communes de : Auenheim, Bischwiller, Dalhunden, Drusenheim, Forstfeld, Gambsheim, Gries, Herrlisheim, Kaltenhouse, Kilstett, Kurtzenhouse, Leutenheim, Neuhaeusel, Oberhoffen-sur-Moder, Offendorf, Roeschwoog, Rohrwiller, Roppenheim, Rountzenheim, Schirrhein, Sessenheim, Soufflenheim, Stattmatten et Weyesheim.

3

Ces données apparaissent, en partie seulement, sur les monuments (âges, dates). Elles ont été complétées par les livres d’or des communes, la base de données Mémoire des hommes et le site internet memorial-genweb.org.

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Les travaux effectués par les élèves ont permis de mener deux niveaux d’analyses. Un premier, assez classique, a été réalisé en autonomie sur le terrain par les élèves : il concerne le mémorial et son environnement ; un second, en classe, conduit par le professeur, a permis d’exploiter et d’interpréter les listes de tués. Trois séances ont été nécessaires pour la restitution du travail de recherche des élèves et une première exploitation des listes.

2. L’environnement mémoriel

2.1 Un aperçu général

Les monuments aux morts4 tiennent une place spécifique dans le paysage urbain ou villageois. On remarque que le nombre des monuments est variable selon les communes5. Bischwiller en compte trois, Gambsheim, Schirrhein et Soufflenheim en possèdent deux, les autres communes un seul. L’histoire locale, plus que l’importance de la localité, est à l’origine de la multiplication des monuments aux morts. Ainsi, la bataille de Bischwiller, du 6 août 1870, a conduit à l’érection par souscription de deux colonnes au cimetière municipal en l’honneur des tués français et allemands. La Première Guerre mondiale a donné lieu à l’élévation, le 24 juin 1922, d’un troisième monument. À Gambsheim, le premier monument, datant de 1919 et représentant le Sacré-Cœur ressuscitant une victime de guerre, a été mitraillé et le Christ décapité au cours de la Seconde Guerre mondiale. Le monument est resté en place, mais un second a été érigé en remplacement. À Soufflenheim, c’est dans l’enclos ecclésiastique du

XIVe siècle, l’Oelberg (« le Mont des Oliviers »), que se trouve le monument de la Première

Guerre représentant Jeanne d’Arc. En partie démonté au cours de la Seconde Guerre mondiale, il a retrouvé sa place d’origine. Il est aujourd’hui accompagné d’un second monument : une colonne, mise en place en 1959, au pied de l’enclos ecclésiastique. À Schirrhein, c’est une stèle monumentale datant de 1949-1950 qui vient doubler le monument aux morts. Elle a été financée par le football-club de la commune.

Ces monuments s’inscrivent au cœur de la commune. Ils bénéficient d’une mise en valeur souvent accentuée par une surélévation, la présence de végétation et l’emploi de matériaux de qualité. Ils se localisent généralement sur la rue principale (rue du Maréchal Leclerc à Soufflenheim) ou sur la place du village (place de la République à Roeschwoog) ou sont situés dans un périmètre proche de la mairie ou de l’école maternelle, dans un espace neutre, facilement accessible pour accueillir les cérémonies publiques. Les tués sont donc placés symboliquement au cœur de la communauté civique et politique, celle qui vote la guerre, lève l’impôt et mobilise les hommes.

Particulièrement en Alsace (mais aussi en Bretagne), où la foi chrétienne reste forte, les monuments aux morts se trouvent aussi dans les églises, dans leur proximité immédiate, dans les cimetières ou des lieux évocateurs comme au pied de l’Oelberg (c’est le cas de 61 % des monuments du canton). Les martyrs de la nation prennent ainsi place auprès des martyrs de la foi, en même temps que le monument permet le travail de deuil. Les parvis se révèlent des espaces favorables au culte du souvenir. C’est le cas de treize monuments sur les vingt-trois étudiés. Sans préférer l’espace de la religion (cimetière, église) ni celui de la République (école, mairie) le nouveau monument aux morts de Kaltenhouse, béni en 1982, est sur la place

4

DAVID Franck, « Monuments aux morts », Historiens & Géographes, n°428, 2014, p. 179-180 ; DENIS Marie-Noëlle, « Les Monuments aux morts de la Grande Guerre en Alsace », Jean-Noël GRANDHOMME (dir.), Boches ou Tricolores. Les

Alsaciens-Lorrains dans la Grande Guerre, Strasbourg : La Nuée Bleue, 2004, p. 363-381 ;STOLL Cédric, « L’Alsace et la Moselle : lieux de mémoire de la Première Guerre mondiale », Revue d’Alsace, n°139, 2013, p. 305-316.

5

Sur l’ensemble des communes dont sont issus les élèves, six d’entre-elles ont eu leur monument aux morts de la Première Guerre mondiale détruit lors du second conflit mondial.

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4

centrale partagée par l’église et la mairie. Comme l’a écrit Freddy Raphaël : « Il y a des lieux honorés par une communauté tout entière parce que la mémoire collective a déposé sur eux une charge de sacré, et que les croyances s’y sont fortifiées en s’y enracinant.6

»

2.2. Représentations, ornementations et inscriptions

Malgré la diversité de formes et de tailles, on peut identifier les quatre familles spécifiques de monuments reconnues par Antoine Prost7 :

- les obélisques et colonnes en grès des Vosges sont présents dans onze communes. Leur sobriété et leur faible coût (10 000 à 15 000 francs) expliquent cette forte représentation de monuments achetés sur catalogue. Ils sont frappés du blason de la commune mais rarement des symboles nationaux. Ce fait nous renvoie au sentiment d’appartenance à un territoire familier. Les soldats sont redevenus français, mais ont combattu sous l’uniforme allemand. L’ange de la Victoire ou la croix latine sont fréquemment figurés, rappelant la douleur de la commune.

- un second ensemble se compose de monuments aux formes basses et allongées. Outre le blason de la commune, ils sont frappés d’une croix, d’un gisant ou d’un soleil levant. - le troisième groupe rassemble les groupes sculptés de Rountzheim, Shirrhein et Roeschwoog. Ces sculptures figurent la douleur des mères et de leur enfant (Fig. 1). Ce groupe de veuves et d’orphelins incarne une nouveauté due au deuil immense : le pacifisme. - enfin, la statuaire religieuse, avec Jeanne d’Arc, les anges de la Victoire, saint Michel archange ou le Sacré-Cœur, forme un dernier groupe témoin d’une piété profonde et d’un attachement réel à la France. Sainte Jeanne d’Arc et saint Michel, guerriers victorieux, en sont les patrons tutélaires ; tandis que le Sacré-Cœur demanda à Louis XIV, par l’intermédiaire de

la visitandine de Paray-le-Monial, Marguerite-Marie Alacoque, de lui consacrer la France. Les représentations militaires classiques pour le reste de la France, tels le coq et le Poilu, font place à un imaginaire plus convenu – la cuirasse et l’épée de Jeanne d’Arc à Soufflenheim, celles de Saint Michel à Soufflenheim ou Oberhoffen-sur-Moder par exemple. L’héroïsme des tués est évoqué discrètement par des palmes et couronnes de lauriers, des médailles militaires ajoutées après coup par les associations des anciens combattants. À Bischwiller, c’est un linceul. Dans un contexte ambigu, l’inscription officielle « mort pour la France » s’applique peu en Alsace. En effet, depuis les traités de Westphalie (1648) et la reddition de Strasbourg (1681), l’Alsace est devenue terre française. Mais, la province s’intègre peu à l’ensemble français avant la Révolution. En 1871, par le traité de Francfort, l’Alsace et une partie de la Lorraine sont cédées au Reich allemand et deviennent une Terre d’Empire (Reichsland). À Drusenheim, par exemple, est privilégiée la mention : « morts pour la Patrie ». L’enquête révèle trois grandes formules : « À nos morts » (50 %) ; « [la commune] à ses enfants » (22 %) et « aux victimes des guerres » (28 %). Ces inscriptions n’affichent aucun patriotisme exacerbé et choisissent d’accuser la guerre, non l’ennemi, de la mort de ces hommes. Les « victimes » ne sont pas des soldats mais des « enfants ». Elles témoignent du deuil des communes et conservent avec retenue le souvenir des tués, classés par conflits. Ils peuvent être répertoriés : par catégorie ; par ordre alphabétique ; par classe ; par jour, mois et année de décès.

6

RAPHAËL Freddy, « Le travail de la mémoire et les limites de l’histoire orale », Annales E.S.C., 1980, p. 130.

7

PROST Antoine, « Les monuments aux morts. Culte républicain ? Culte civique ? Culte patriotique ? », Pierre NORA

(dir.), Les lieux de mémoire, t. 1, Paris : Gallimard, coll. « Quarto », 1996, p. 195-225. L’auteur distingue quatre familles de monuments : les monuments civiques (neutres et républicains), les monuments patriotiques-républicains (champ lexical de la gloire et de la victoire), les monuments funéraires-patriotiques (dans les cimetières et proches des églises), les monuments funéraires (dans les cimetières et sans référence patriotiques).

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5

Cependant, seul le monument de Herrlisheim se démarque de l’ensemble. Le mémorial de 1975, réalisé par Gérald Lardeur, a la forme d’un train brisé avec une croix en son milieu. L’ensemble est placé à côté de la nouvelle église et remploie des éléments de colonnes de l’ancien lieu de culte. Il est dédicacé : « Aux victimes des guerres ». De fait, le mémorial, ainsi que les plaques commémoratives placées en retrait, portent le souvenir de la journée du 11 septembre 1939, lorsque un train transportant des évacués de Herrlisheim s’est accidenté en Haute-Vienne, tuant 16 de ses passagers. Sur ce monument figurent les listes des tués de 14-18, des victimes militaires de 39-45, dont les hommes de 12th armored division, celles de septembre 1939, des déportés, des FFI, mais aussi des civils morts sous les bombardements.

2.3. L’histoire contrariée des mémoires alsaciennes : le cas de Bischwiller

Le culte du souvenir est souvent contrarié par les aléas de l’Histoire. Leur caractère hautement symbolique les rend vulnérable aux changements politiques. Deux monuments, sur les vingt-trois répertoriés, ont été élevés à la suite de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Ils sont à Bischwiller. Le premier est une colonne à la mémoire de 126 soldats français décédés à Bischwiller, des suites de la bataille de Frœschwiller-Woerth, le 6 août 1870. Sa réalisation est rendue possible par une souscription engagée dès le 3 septembre 1871. Il portait la mention patriotique : « Érigé à la mémoire de leurs compatriotes par les habitants de Bischwiller le 4 septembre 1871 ». Toutefois, ces « inscriptions [sont] enlevées par la police allemande en 18718 ». L’Alsace mise au pas, ce fait atteste l’aspect controversé de cette érection et de la mémoire dont elle est porteuse. Le second monument est allemand, érigé en octobre 1889 à la mémoire de treize soldats allemands morts à la suite de la bataille. Il est daté et porte l’inscription : Den 1870/71 für das Vaterland gefallenen deutschen Kameraden des

Kriegervereins Bischwiller. Ce monument a été conservé après le retour à la France en 1918.

Un troisième monument est élevé le 24 juin 1922. Il est l’œuvre du sculpteur Paul Moreau-Vauthier (1871-1936). Cet ancien poilu, grièvement blessé à Verdun, récipiendaire de la croix de guerre et de la légion d’honneur, est l’auteur des bornes jalonnant la Voie Sacrée. Ces bornes, taillées dans le granit rose d’Andlau, portent la mention : « Ici fut repoussé l’envahisseur ». En granit, le monument de Bischwiller, par sa forme en demi-cercle, symbolise le soleil de la délivrance. Un linceul prend le monument en écharpe. Il porte à l’arrière une citation de Victor Hugo : « Entre les plus beaux noms/ leur nom est le plus grand ». Cette réalisation établit un dialogue entre les bornes et le mémorial. Le monument est autant une commande de la communauté qu’une œuvre imprégnée du ressenti du sculpteur. Le rapport des Bischwillerois à la mémoire de guerre n’en reste pas moins d’une approche délicate : 129 hommes sont tombés sous l’uniforme allemand, 23 sous l’uniforme français (15 %). En 1940, les nazis retirent le mémorial pour effacer le souvenir de la défaite et le retour de l’Alsace à la France. Il est cependant sauvé par l’architecte de la ville. Les morceaux composant le monument, préservés dans les ateliers municipaux de la ville, seront remontés à la libération. Une colonne frappée d’un aigle, d’une croix gammée et de la mention Ein Reich,

Ein Volk, Ein Fürher, est élevée en l’honneur de l’idéologie nazie. Elle sera endommagée par

la résistance9.

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Inscription relevée sur le monument.

9

ROTH-ZIMMERMANN Marie-Louise, Je me souviens de Schelklingen. Une jeune Alsacienne dans un camp de rééducation

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6

La guerre terminée, le monument initial est réinstallé en 1952. En 2008, il est épuré et l’ensemble des noms est enlevé. Sans les noms, le monument aux morts prend un sens plus global, commémorant tout à la fois la Première Guerre et de la Seconde Guerre mondiale, les morts civils et militaires, les morts en Indochine et en Afrique du Nord, les tués des conflits récents contemporains.

3. « L’expérience combattante »

Vingt-trois mémoriaux, portant 2141 noms, ont fait l’objet d’un traitement statistique. Le nombre de mentions varie selon l’importance de la commune. Les monuments les plus précis (5 sur 23) indiquent : le grade, le régiment, la date et le lieu de naissance ainsi que la date et le lieu de décès. De façon générale, 679 noms (31,7 %) concernent le conflit de 1914-1918 ; les 1462 noms restants ont trait à la Seconde Guerre mondiale (67,3 %) ou à l’Indochine et l’Algérie (1 %). Tous les tués de 1914-1918 sont des hommes sous l’uniforme ; ici, la part des non-combattants et des femmes est nulle10. L’une des spécificités alsaciennes lors de la Grande Guerre est la persistance de sentiments français malgré la volonté de germanisation après le 1er octobre 187211. Région de « l’entre-deux » l’Alsace est donc dans une position inconfortable. La prosopographie, dont la démarche met en lumière les propos de Claude Vigée : les Alsaciens « [sont] écrasés par deux mondes mentaux qui s’excluent12 », rend concrète l’ambivalence des engagements personnels qui durent envenimer l’atmosphère des communes et peser sur des familles considérées comme « éléments francophiles ».

3.1 La mobilisation

Les 679 hommes mobilisés en 1914-1918 sont issus de 399 groupes familiaux. Les familles suivantes sont les mieux représentées : Jung (13 mentions), Halter (10), Huck, Jund, Klein (9), Heitz, Schneider (8), Bildstein, Huss et Meyer (7). À Soufflenheim, la famille Messmer13 perd trois « fils » en 1915 et deux en 1918 ; à Herrlisheim, la famille Laeng14 en perd également cinq. Un ex-voto, conservé à la basilique de Marienthal, témoigne de l’envoi au front de ces groupes familiaux : « Merci bonne Mère. En reconnaissance à Marie pour la protection des quatre frères pendant la guerre cruelle 1914-1918. Michel, Georges, Eugène et Alfonse Lorentz. »

Avant leur départ, ces individus étaient, pour les deux-tiers, agriculteurs. Installés entre le Rhin et la forêt de Haguenau, plusieurs exerçaient aussi le métier de forestier ou de matelot. D’autres, moins nombreux, pratiquaient le négoce du vin. Ils étaient encore bouchers, charrons ou cordonniers. Enfin, un seul exerçait la médecine. Sur les vingt-six profils civils rencontrés, les célibataires représentent les trois-quarts. Les autres avaient une épouse, voire des enfants.

10

Les 1462 noms de 1939-1945 se répartissent ainsi : 63 % sont des militaires ; 4 % sont résistants et 33 % des civils. Les femmes représentent 12 % des tués pour la Seconde Guerre mondiale.

11

LIENHARD Marc, Histoire & aléas de l’identité alsacienne, Strasbourg : La Nuée Bleue, 2011, p. 30. L’art. 2 du traité de Francfort spécifie que les Alsaciens-Lorrains désirant conserver la nationalité française doivent s’installer en France avant le 1er octobre 1872. Ainsi, environ 130.000 personnes émigrent.

12

Ibid., p. 100.

13

Messner Joseph († 1915, février) ; Messner Michael († 1915, septembre) ; Messner Wendelin († 1915, août) ; Messner Mathäus († 1918, septembre) ; Messner Victor († 1918, juin).

14

Laeng Félix (1895-† 1914, novembre), 19 ans ; Laeng Benjamin (1872-† 1915, novembre), 43 ans ; Laeng Charles (1879-† 1915, août), 36 ans ; Laeng François (1893-(1879-† 1915, avril), 22 ans, sous-officier ; Laeng Eugène (1891-(1879-† 1918, octobre), 27 ans, sergent.

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Les mémoriaux, les livres d’or des communes, la base de données Mémoire des hommes et le site internet memorial-genweb.org nous fournissent la date de naissance de 305 individus et l’âge de la mort pour 173 hommes. On peut en tirer la structure suivante : les classes les plus touchées ont été celles des hommes nés entre 1886 et 1895. Logiquement, la guerre a mobilisé, dans les régiments d’active, les hommes les plus jeunes âgés de 19 à 28 ans. D’ailleurs, pour les 173 individus dont l’âge de la mort est connu, l’âge moyen du décès est de 28 ans. Cet âge tombe à 23 ans, si l’on considère uniquement les classes les plus mobilisées. Les autres classes ont été moins exposées, incorporées dans les régiments territoriaux ou l’artillerie. Dans cet ensemble, le nombre de « morts pour la France » est limité. Cette citation honorifique n’est décernée qu’à 33 reprises, soit à 5 % des 679 tués. Une lecture plus fine montre que, dans une ville et un bastion industriel comme Bischwiller, 15 % des tués sont sous uniforme français : un taux comparable au reste de l’Alsace lors de la Grande Guerre (Fig. 2). En effet 17.000 jeunes Alsaciens s’engageront volontairement dans l’armée française.

Ainsi, se dégage un profil du combattant du canton de Bischwiller. C’est un homme plutôt jeune, célibataire, généralement agriculteur. Peut-être français de cœur, mais sous uniforme allemand, il répond à l’ordre de mobilisation en même temps que des parents : frères, cousins ou parents éloignés.

3.2 Des civils en uniforme

Les données recueillies, sur les monuments et dans les livres d’or des communes, nous permettent de connaître 125 régiments et unités militaires de 1914-1918. L’infanterie domine avec la mention de 108 régiments et compagnies. Elle représente 86 % de l’ensemble. L’artillerie est la seconde arme la plus mentionnée, mais loin derrière l’infanterie, avec neuf régiments. Plusieurs réalités sont perceptibles dans ces mentions : les RI15 (IR16 en allemand), les RA et RAC, dans lesquels sont enrôlés les jeunes Alsaciens, sont des régiments d’active montant en premières lignes. Ils sont renforcés par des régiments de réserve (ou RIR). Les RIT (ou LIR) sont composés d’hommes moins alertes ayant atteint la limite d’âge. Ils disposent d’un bataillon supplémentaire, l’État-Major est réduit et l’armement collectif moins important.

Les volontaires de « sentiments français » sont en grande majorité envoyés dans les régiments coloniaux s’ils demandent à ne pas combattre contre les Allemands. Les RIC, RMZ, RMA ou GACA sont les témoins de l’engagement des hommes du canon dans la Coloniale. Si le 7e régiment de marche des Zouaves recrute à Alger, le 3e RMZ a un bureau à Ancenis, le 4e RMZ à Toul, le 6e RIC à Bordeaux. D’autres sont envoyés en Indochine, en Chine ou, à partir de 1918, dans le bataillon colonial Sibérien. Les Alsaciens qui veulent servir sur le front occidental, sous l’uniforme français, se sont massivement rendus dans les bureaux de la Seine-Inférieure jusqu’à la Seine-et-Marne17. La loi du 5 août 1914 leur permet d’acquérir la nationalité française en signant un acte d’engagement dans les forces armées pour la durée de

15

RI : régiment d’infanterie ; BCP : bataillon de chasseurs à pied ; RA : régiment d’artillerie ; RAC : régiment d’artillerie de campagne ; RIT : régiment d’infanterie territoriale ; RIC : régiment d’infanterie coloniale ; RMZ : régiment de marche des Zouaves ; RMA : régiment de marche d’Afrique ; GACA : groupement d’artillerie de campagne d’Afrique ; RD : régiment de dragon.

16

IR : Infanterie-Regiment ; RIR : Reserve-Infanterie-Regiment ; LIR : Landwehr-Infanterie-Regiment.

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À titre d’exemple, Epting Émile (1889-† 1914, novembre) et Walter Paul (1885-† 1916, février), tous deux de Bischwiller, sont enrôlés dans le 39e RI. Également de Bischwiller, Vayhinger Emile Robert (1890-† 1915, janvier) et Vonderweidt Jules Auguste Gaston (1890- †1915, septembre) sont intégrés au 131e RI. D’autres Bischwillerois rejoignent le 4e RI, le 42e RI, le 29e BCP depuis les bureaux d’enrôlement le long de la Seine.

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la guerre. À l’occasion, pour leur sécurité et celle de leur famille, les poilus alsaciens combattent sous une identité fictive. Capturés, ils seraient traduits en cour martiale pour haute trahison.

L’enrôlement sous uniforme allemand se fait dès le 1er août 1914 à six heures du soir dans les casernes de la région. Les recrues sont incorporées dans la quarantaine de régiments et bataillons autonomes du XV. Armee-korps stationné en Alsace-Moselle : à Haguenau, dans l’IR Nr. 137 ; à Strasbourg, IR Nr.136 ; à Wissembourg, IR Nr. 60. Bien évidemment, des incorporations ont eu lieu aussi dans tout le Reich afin d’accélérer la germanisation des Alsaciens-Lorrains. On en compte dans les régiments prussiens, badois et bavarois. Toutefois, les régiments les mieux représentés restent le Nr. 137 avec 10 mentions18, le Nr. 60, avec 7 mentions. Deux autres mentions portent sur le 60e RI, mais les indications « mort pour la France » placent Eugène Sandrock alias Cendre († 1915, septembre), de Roeschwoog, et Auguste Kapp († 1917, août), de Bischwiller, sous uniforme français. Le premier s’était engagé au 60e RI à Besançon, le second à Rouen. Enfin, plusieurs recrues rejoignent l’IR

Nr.138, stationné à Dieuze en Lorraine.

Les autres armes sont peu représentées et seul Joseph Kolmer, de Schirrhein, a été marin dans la Kaiserliche Marine à bord du Torpedoboot S20. Ce torpilleur de la classe 1911, mis en service en décembre 1912, sombre le 5 juin 1917 au large des côtes belges au cours d’un engagement contre la Royal Navy.

On retrouve donc ces combattants dans une extrême diversité d’affectations et de grades. Des liens hiérarchiques se sont établis, parmi les vingt-cinq grades recensés on trouve : dix caporaux, âgés de 28 ans en moyenne. Les professions connues des caporaux sont l’agriculture ou la batellerie. Les sous-officiers sont au nombre de sept, dont quatre sergents, âgés en moyenne de 33 ans. On y relève la présence d’un ingénieur des Arts et Manufactures. Enfin, on dénombre quatre sous-lieutenants et lieutenants d’environ 33 ans. La présence de ces officiers de réserve s’explique par le choix, fait par les étudiants, du volontariat d’un an qui allège leur durée du service militaire. Les officiers d’active sont peu nombreux : un capitaine, un chef de bataillon et un lieutenant-colonel, tous militaires de carrière, originaires de Bischwiller et de plus de 50 ans. Ces chiffres reflètent assez fidèlement les proportions dans l’encadrement des effectifs et ne plaident pas en faveur de discriminations aux armées contre les Alsaciens.

3.2. Destins collectifs

Faire campagne dans l’armée française en 1914-1918

Certains monuments alsaciens font figurer les mentions du lieu et de la date de la mort du combattant de 1914-1918. Ce sont 161 parcours qui peuvent être suivis ; 91 sont morts en France. Si l’on ne retient que les trente-trois mentions « mort pour la France », inscrites sur les actes de décès, une liste de dates peut être égrenée. Elle brosse les grandes phases de la guerre et déroule autant de sites de batailles19. Lors de la bataille des frontières, en août 1914, Kauffmann Joseph Auguste meurt de ses blessures à Verdun, à la suite des combats menés par le 29e BCP. À l’issue de la bataille de la Marne, entre octobre et novembre, la course à la mer coûtera la vie à quatre hommes du canton. Trois tombent dans le Pas-de-Calais à Écuires,

18

Jean Bildstein de Schirrhein († 1915, mars), Matthieu Heitz († 1914, août) et Charles Keintz († 1914, août) de Herrlisheim étaient affectés à la 12e Cie. Nicolas Martin († 1916, juin) et Jean Schmitter († 1914, septembre) de Schirrhein appartenaient à la 7e Cie. Louis Dorffer († 1918, mars) du 1er bataillon du 137 IR appartenait peut-être à la 2e Cie avec Auguste Fohr († 1915, septembre). Deux Bischwillerois sont également passés par ce régiment. Voir, VOIGT Erwin (Gen. Lt. a.D.),

Unter-Elsässisches Infanterie-Regiment Nr. 137, Deutsche Taten im Weltkrieg, Bd. 33, Berlin : Verlag Bernard & Graefe, 1934-38.

19

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Neuvireuil et Puisieux ; un autre en Belgique à Boezinge. À partir de 1915, la guerre de position conduit aux grandes offensives de rupture. Sur la liste des soldats « morts pour la France », la moitié meurt durant l’année 1915. Ils sont tombés dans le Pas-de-Calais à Notre-Dame de Lorette ou Neuville-Saint-Vaast ; dans la Marne, à La-Croix-de-Champagne, Jonchery-sur-Suippe, Massiges et Souain ; voire dans la Meuse, en Argonne ou aux Éparges. Allenbach Fernand, de Bischwiller, trouve la mort le 16 juin 1915, dans le Haut-Rhin, lors de l’assaut du 42e

RI sur la position de Brunhaupt-le-Haut (Fig. 3).

La bataille de Verdun débute le 21 février 1916, puis en juillet, la bataille de la Somme. Dans le prolongement de cette dernière offensive, Heisserer Joseph, de Schirrhein, est « tué à l’ennemi ». Les hommes du canton payent également un lourd tribut lors de combats dans l’Aisne, la Meuse et le Pas-de-Calais jusqu’en 1917. L’ouverture d’un front périphérique conduit à la mort d’un homme de Kaltenhouse, engagé au 210e

RI, à Caskajets en Serbie. L’année 1918 voit encore mourir trois Bischwillerois, dont Pierson Alfred Roger un lieutenant du 213e RAC. Alors que reprend la guerre de mouvement, Pierson est engagé dans une mission de reconnaissance à Conchy-les-Pots20 dans l’Oise. Il doit mettre des batteries en position pour battre les débouchés au Sud-Est de Roye. Cinq officiers, dont Pierson, sont tués par l’artillerie allemande qui soutient le RIR Nr. 60 de Wissembourg alors engagé à Roye. Les poilus alsaciens sont ainsi envoyés sur tous les fronts, avec leur lot de victimes, et leur vie ressemble à celle de leurs compagnons d’armes.

Faire campagne dans l’armée allemande en 1914-191821

Les inscriptions individuelles gravées sur les monuments aux morts des diverses communes permettent aussi de retracer des destins collectifs. La 31. Division allemande était composée en 1914 des IR Nr. 60, 70, 137, 166 et 174. À l’exception des IR Nr. 70 et 166, dans lesquels nous n’avons pas retrouvé d’Alsaciens, ce sont dix-huit individus du canton qui étaient inclus dans les effectifs de la division.

En août 1914, la 31. Division est positionnée aux frontières de la Lorraine et combat à Dieuze (20 août) où l’IR Nr. 174 perd la moitié de ses effectifs. La division est à Lunéville le 23 août. Début septembre, elle est transférée à Saint-Quentin. À compter du 18 septembre, elle est dans la Somme. Le 6 octobre, elle attaque à Bouchoir et reste sur ses positions jusqu’en janvier 1915. Dans ces premiers engagements, plusieurs soldats du canton de Bischwiller sont tués. Charles Schott l’est à Saint-Quentin ; dans la Somme, ce sont Jean Schmitter et Jean Bitz. Samuel Picard meurt dans les combats d’octobre. Blessé, Jean Bildstein est évacué à l’hôpital militaire de Constance. Il meurt en mars 1915. Ainsi, contrairement à une idée reçue, les Alsaciens ne sont pas uniquement envoyés sur le front oriental : nombreux sont ceux qui participent à la bataille aux frontière et à la Marne. Ce n’est qu’à partir de janvier 1915, et surtout durant 1916, que l’usage s’établit de les expédier sur le front russe22

. Le 25 janvier 1915, la division quitte la Somme pour la Russie (Fig. 4). Elle laisse en France le 60er IR « Mankgraf Karl ». Puis les forces sont concentrées en Prusse orientale. La ligne

20

JMO 26 N 1030/4, à la date du 26/03/1918.

21

WEIGEL Bernard, « Première guerre mondiale sur le front français. Photographies de Georges Hetzel, soldat au 60er IR. »,

L’Outre-Forêt, Revue du cercle d’histoire et d’archéologie de l’Alsace du nord, n°167, 2014, p. 29-46 ; FECHTER J.-L., « Le destin tragique du Landsturm Infanterie Bataillon 1 Hagenau », L’Outre-Forêt, op. cit., p. 47-68 ; Histories of two hundred

and fifty-one Divisions of the German Army which participated in the War (1914-1918). Compiled from Records of Intelligence Section of the General Staff, American Expeditionary Forces, at General Head-Quarters, Chaumont, 1919,

748 p.

22

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10

Chatbine tenue par le XXI. Armee-Korps est atteinte le 20 février. La contre-offensive russe, du mois de mars, entraîne de fortes pertes. En août, la division prend part à l’offensive sur Vilnius. Elle atteint l’actuelle capitale de la Lituanie fin septembre. Auguste Fohr et Michel Halter, tous deux de Schirrhein, sont tués dans les combats. La division reste dans le secteur du lac Narotch, en Biélorussie actuelle, jusqu’à son transfert en Belgique en décembre 1917. Avant ce départ, la guerre coûte encore les vies de Nicolas Martin et Georges Feltz de Herrlisheim. L’envoi sur le front russe ne sera jamais une règle générale. On les trouve donc naturellement aussi sur les autres fronts.

Le 60er IR laissé en France est intégré à la 121. Infanterie-Division. Celle-ci est en Lorraine en

avril 1915. Elle reste à Bois-le-Prêtre de mai 1915 à février 1916. Au courant du mois d’octobre 1915, meurent à Leinthrey Paul Schott et Joseph Kientz. Au 1er

mars, la division rejoint le secteur de Verdun au nord de Vaux. Le 1er avril, elle attaque et prend le village de Vaux ; le 11 avril, elle progresse au prix de fortes pertes entre Vaux et Douaumont. Après l’offensive sur Verdun, la méfiance s’accentue – on accuse les Alsaciens d’avoir fourni des renseignements au commandement français. Lorsqu’elle est relevée de Verdun le 20 avril, la division a perdu 58 % de ses effectifs et est transférée dans la Somme, à Péronne. L’offensive française du 1er juillet la surprend et cause de nombreuses pertes. Le 18 juillet 1916, la division est retirée du front occidental. Elle rejoint, en janvier 1917, la région du lac Narotch. Jean Becker de Neuhaeusel, agriculteur et père de deux enfants, meurt alors qu’il est évacué à l’hôpital de campagne de Wladimir Wolynsk.

La 121. ID participe à la bataille des Flandres en septembre 1917. Elle reste dans les environs de Tourcoing jusqu’au mois de juillet 1918, puis elle prend part à la bataille de la Somme. En octobre, elle est engagée dans plusieurs combats. Réorganisée après le 9 octobre, elle tient la ligne Limont-Fontaine au moment de l’armistice. Rime Joseph, de l’IR Nr. 60 qui participe aux opérations, meurt à l’hôpital militaire de Neunahr.

3.3. Trajectoires individuelles

Les causes des décès

La cause de la mort de ces combattants ne nous est connue avec précision que pour 56 des 679 individus recensés pour 1914-1918. C’est peu puisque mémoriaux, livres d’or et journaux de marches et d’opérations sont peu bavards. Le combat est la cause directe du décès pour 37 % d’entre eux, alors déclarés : « tué à l’ennemi » (Fig. 5 et Fig. 6). 33 % sont indiqués comme : « mort de leurs blessures » ou « mort à l’hôpital [des suites de leurs blessures] ». Une carte des villes de l’arrière, dans lesquelles sont évacués les blessés, peut être dressée : Alger, Coblence, Constance, Deauville (casino transformé en hôpital n°38), Haguenau (hôpital de la garnison), Heidelberg, Karlsruhe, Neunahr, Sarrebruck, Strasbourg (Lazarett

Nr. 10), Toulon, Wissembourg (hôpital de la garnison). Un troisième groupe (10 %) est porté

« disparu ». Ainsi, 80 % des combattants du canton de Bischwiller meurent directement des combats.

Une seconde catégorie regroupe les combattants « morts en service », selon deux groupes. Tout d’abord, les décès par accidents : une explosion dans une usine de poudre à Dessau en Bavière ou un accident en gare des trains à Paris. Suivent les décès à la suite de maladies contractées dans le cadre du service. Ce sont souvent la fièvre typhoïde, la grippe, la tuberculose ou une pneumonie23. C’est probablement ce qui a couté la vie à Henri Staebler de

23

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Dalhunden ou à Albert Lehmann de Leutenheim. De nombreux combattants meurent au « pays », dans leur foyer, en 1919 des suites de ces maladies.

Une troisième catégorie regroupe les fusillés. On en dénombre deux : l’espion français Zilliox Joseph et le soldat allemand Gross Raymond. Ce dernier, originaire de Herrlisheim, est incorporé au Füsilier-Regiment « Königin Viktoria von Schweden » Nr. 34, 9. Kie. On l’exécute, le 14 juin 1918, dans des circonstances qui pourraient avoir un lien avec les désertions massives d’Alsaciens-Lorrains au cours de l’année 191824.

Héros de guerre

Les Français comme les Allemands soupçonnaient particulièrement les Alsaciens d’espionnage ou de collaboration25

en raison de la fusion des deux cultures dans ce peuple. Côté français on reprochera le bilinguisme, « l’ethnie enfouie » sous deux siècles de présence française et côté allemand le « vernis français ». Parmi les nombreuses trajectoires individuelles, toujours suspectes pour les deux camps, l’une d’entre elles est particulièrement remarquable : celle de Zilliox Joseph26, originaire d’Offendorf. Elle pose la question de l’affirmation difficile, en temps de guerre, d’une identité régionale héritée de l’histoire. Ce médecin, issu d’une ancienne famille de bateliers de confession catholique, est enrôlé dans l’armée prussienne comme pionnier, 4. Feldkompanie. Lors d’un assaut, il se tire une balle dans le pied gauche pour échapper à la guerre. Soigné à Strasbourg, il rejoint ensuite le 27e bataillon de pionniers à Trèves. À Liège, en 1916, il déserte puis effectue des missions de renseignement, pour l’armée française, notamment comme « guetteur des voies-ferrées ». Il est pris et fusillé le 23 ou 25 juillet 1917, à la chartreuse de Liège, en Belgique. Il reçoit à titre posthume la Légion d’Honneur et l’Ordre de Léopold. D’abord inhumé à la Chartreuse, il est ensuite exhumé, en grande pompe pour être transféré au cimetière d’Offendorf, le 6 juin 1920. Le transfert au cimetière d’Offendorf illustre bien ce que furent les cérémonies patriotiques des années 1920. Elles ont fait la part belle à ceux qui furent l’exception : engagés et vétérans, plongeant dans l’oubli volontaire, et par conséquent dans la culpabilisation, plus de 90 % des combattants.

Témoin d’un deuil national dans sa dimension locale, le monument aux morts enseigne et transmet aux générations suivantes le souvenir de l’hécatombe de 1914-1918. Le monument aux morts est porteur, en raison des traces du temps et sa patine, d’une forte valeur historique. Il est le témoin d’un passé révolu, mais qui reste présent à travers lui pour les générations suivante. Il est donc porteur aussi d’une importante valeur commémorative. Que la population déserte les cérémonies… c’est un pan de notre mémoire qui vacille ! Cette enquête pédagogique en milieu scolaire a cherché à montrer qu’il est possible de mobiliser les élèves autour d’enjeux et de projets commémoratifs lors d’un temps fort du programme d’histoire. Les élèves sont ainsi inviter à réfléchir de façon concrète à la réalité complexe de la guerre, notamment pour les Alsaciens-Mosellans : le monument aux morts se lit comme un document d’histoire, à travers l’éclairage donné par des sources diversifiées.

* Benoît LÉTHENET

24

Jean-Noël GRANDHOMME (dir.), Boches ou Tricolores. Les Alsaciens-Lorrains dans la Grande Guerre, op. cit., p. 28-31.

25

LIENHARD Marc, Histoire & aléas de l’identité alsacienne, op. cit., p. 45-55.

26

« Deux hommes remarquables du Ried Nord : Joseph Zilliox, un héros de 1914-1918 et Alexandre Weill, un grand écrivain du XIXe siècle », Société d’Histoire et d’Archéologie du Ried Nord, 2003, 247 p. ; voir aussi http://www.1914-1918.be/civil_zilliox.php

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Docteur en histoire, membre associé à l’EA3400 ARCHE, chargé de cours à l’Université de

Strasbourg.

Liste alphabétique des tués mentionnés dans le texte

BAEHR Charles Eugène, de Bischwiller (1872-† 1914, octobre), 44e BCP, « tué à l’ennemi ». BECKER Jean, de Neuhaeusel (1886-† 1916, novembre), RIR Nr. 60, tué au lac Narotch (Biélorussie). BIDSTEIN Charles, de Schirrhein (1890-† 1914, octobre), Württembergisches IR Nr. 127.

BILDSTEIN Jean, de Schirrhein (1887-† 1915, mars), IR Nr. 137, 12. Kie, mort de ses blessures à l’hôpital militaire de Constance.

BITZ Jean, de Roppenheim (1882-† 1914, septembre), IR Nr. 174, 5. Kie, tué dans la Somme.

CANDIDUS Jules Henri, de Bischwiller (1895-† 1917, avril), 4e RI, « tué à l’ennemi » à Juvincourt-et-Damary.

DEUTSCHLE alias DUBORD Frédéric Auguste, de Bischwiller (1875-† 1915, novembre), 22e RIT, mort de ses blessures à La Croix-en-Champagne.

FELTZ Georges, de Herrlisheim († 1916, février), IR Nr. 174, mort au lac Narotch (Biélorussie). FOHR Auguste, de Schirrhein (1888-† 1915, septembre), IR Nr. 137, 2. Kie, tué à Vilnius (Lituanie). FOHR Robert, de Schirrhein († 1914, août), IR Nr. 138, 2. Kie.

GEBHARD Auguste, de Weyersheim (1878-† 1915, avril), 106e RI, « tué à l’ennemi » aux Éparges.

HALTER Émile, de Schirrhein (1887-† 1918, octobre), IR Nr. 17, 5. Kie, mort dans une explosion d’une usine de poudre à Dessau (Bavière).

HALTER Michel, de Schirrhein (1889-† 1915, septembre), IR Nr. 174, 8. Kie, tué à Vilnius (Lituanie). HEISSERER Joseph, de Schirrhein († 1916, septembre), 4e RI, 6e Cie, « tué à l’ennemi ».

HEITZ Louis, de Herrlisheim († 1915, septembre), IR Nr. 138, 2. Kie.

JAECK Clément de Soufflenheim (1876-† 1914, novembre), intégré au 7e RMZ à Alger, « tué à l’ennemi » à Écuires. Il porte la mention « mort pour la France ».

KAPP Auguste, de Bischwiller (1875-† 1917, août), 60e RI, mort à la suite de ses blessures, Louvemont

KAPP Félix, de Bischwiller (1875-† 1914, octobre), 22e RIT, « disparu ».

KAUFFMANN Joseph Auguste, de Gambsheim (1888-† 1914, août), 29e BCP, mort à Verdun.

KEHR Henri, de Bischwiller (1872-† 1918, janvier), 96e RIT, « mort pour la France » dans un accident en gare des chantiers à Versailles.

KIENTZ Joseph, de Herrlisheim (1882-† 1915, octobre), RIR Nr. 60, 11. Kie, tué à Leinthrey. KITTEL alias GUITTON Jules, d’Offendorf (1886-† 1915, septembre), 274e RI, « tué à l’ennemi ».

KUNTZ Philippe alias GAILLARD Henri, de Bischwiller (1890-† 1915, septembre), intégré au 6e RIC à Bordeaux, porté disparu à Souain. Il porte la mention « mort pour la France ».

LEHMANN Albert, de Leutenheim (1884-† 1918), intégré le 3e RMZ à Ancenis, « mort pour la France », déclaré mort de maladie contractée en service, hôpital de Corbeil.

LOTZ Louis Prosper, de Bischwiller (1886-† 1917, septembre), intégré au 4e RMZ à Toul.

MARTIN Nicolas, de Schirrhein (1876-† 1916, juin), IR Nr. 137, 7. Kie, mort au lac Narotch (Biélorussie).

MATHIAS alias MANCHET Alphonse, d’Offendorf (1881-† 1915, avril), intégré au 4e RMZ à Toul, tué à Lizerne (Belgique).

MILTZ Oswald, de Kalthenhouse (1890-† 1917, avril), 210e RI, « tué à l’ennemi ».

MOCKERS Charles Joseph, de Bischwiller (1889-† 1915, novembre), 131e RI, caporal, « tué à l’ennemi » à Notre-Dame de

Lorette.

PICARD Samuel, de Bischwiller (1886-† 1914, octobre), IR Nr. 137, tué dans la Somme.

RUEFF Albert, de Bischwiller (1864-† 1914, octobre), 80e RIT, « tué à l’ennemi ».

SANDROCK alias Cendre Eugène, de Roeschwoog (1882-† 1915, septembre), 60e RI, caporal, « tué à l’ennemi » à Jonchery-sur-Suippe.

SCHIFF Georges, de Herrlisheim († 1915, février), IR Nr. 138, 2. Kie.

SCHMITTER Jean, de Schirrhein (1890-† 1914, septembre), IR Nr. 137, 7. Kie, tué dans la Somme. SCHOTT Charles, de Schirrhein (1886-† 1914, septembre), IR Nr. 174, 5. Kie, tué à l’est de Saint-Quentin. SCHOTT Paul, de Schirrhein (1879-† 1915, octobre), IR Nr. 60, 9. Kie, tué à Leinthrey.

STAEBLER Henri, de Dalhunden (1889-† 1917), 1er RMA, « Mort pour la France », mort d’une maladie contractée en service, hôpital maritime Sainte-Anne de Toulon.

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VAYHINGER Emile Robert, de Bischwiller (1890-† 1915, janvier), 131e RI, « tué à l’ennemi » en Argonne.

VONDERWEIDT Jules Auguste Gaston, de Bischwiller (1890-† 1915, septembre), 131e RI puis 153e RI, sergent, « tué à l’ennemi » à Massiges.

WALTER Paul, de Bischwiller (1885-† 1916, février), 39e RI, caporal, « tué à l’ennemi » à Souchez.

ZIMPFER André alias Deloge Baptiste, d’Oberhoffen-sur-Moder (1880-† 1916, janvier), 57e RI, 10e Cie, « tué à l’ennemi » à Moussy-Verneuil.

ZUIDA Eugène, de Bischwiller (1880-† 1915, octobre), 74e RI, « tué à l’ennemi » à Neuville-Saint-Vaast.

Bibliographie indicative

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1988.

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t. 2, Paris : Gallimard, coll. « Quarto », 1996.

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TISON Stéphane, Comment sortir de la guerre : deuil, mémoire et traumatisme (1870-1940), Rennes : PUR, 2011.

VALLAUD Pierre, 14-18, la Première Guerre mondiale, t. 1 et t. 2, Paris : Fayard, 2004.

Légende des illustrations

Fig. 1 : Schirrhein : projet d’une veuve et de sa fille devenue orpheline par René Hetzel (1962) (Sources : documents de la mairie de Schirrhein).

Fig. 2 : Répartition des tués de 1914-1918, pour le canton de Bischwiller, par année de naissance (Sources : l’auteur, à partir des listes de tués).

Fig. 3 : Répartition des tués par années, entre 1914 et 1919, pour le canton de Bischwiller (Sources : l’auteur, à partir des listes de tués).

Fig. 4 : Répartition des tués du canton de Bischwiller sur le front de l’Est (1915-1918) (Sources : adapté à partir de LARAN Michel, Russie-URSS 1870-1970, Paris : Masson, 1973).

Fig. 5 : Fiche de décès du sous-lieutenant Charles Baehr, 44e BCP 7e Cie, aux combats de Neuvireuil (Pas-de-Calais) (Sources : JMO, 26 N 827/13, folio 14).

Fig. 6 : Acte de décès de Charles Baehr avec la mention « mort pour la France » et « tué à l’ennemi » (Sources : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr).

Références

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