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De la stratification sociale à la mobilité - RERO DOC

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Texte intégral

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DE LA STRATIFICATION SOCIALE A LA MOBILITE.

UNE ANALYSE DU POSITIONNEMENT

PROFESSIONNEL PERÇU

Thèse

présentée à la Faculté des Sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne pour obtenir le grade de

docteur ès sciences sociales par

Jean-Luc Heeb

Lausanne 2005

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Remerciements

Cette étude a pu voir le jour grâce au soutien et aux encouragements dont nous avons bénéficié tout au long de sa réalisation. Que toutes les personnes qui, de près ou de loin, nous ont aidé dans notre cheminement trouvent ici l’expression de notre reconnaissance.

Nos remerciements vont en particulier:

A René Levy, notre directeur de thèse, pour l’intérêt constant porté à notre travail, ses enrichissantes remarques et sa grande patience;

Aux membres du jury de thèse, Dominique Joye, Yannick Lemel et Eric Widmer, qui nous ont fait bénéficier de leur lecture critique du manuscrit et de leurs conseils;

Au Fond national suisse de la recherche scientifique (FNSRS), dont la contribution financière a permis de réaliser la collecte et l’exploitation des données1;

Aux participantes et aux participants à cette recherche qui, par leurs réponses à un questionnaire parfois astreignant, nous ont fourni les données indispensables à sa réalisation;

Aux auteurs des recherches «Stratification sociale, cohésion et conflits dans les familles contemporaines»2 et «Les Suisses et leur société: positionnements et images»3 qui nous ont aimablement prêté leurs jeux de données, dont nous avons tiré grand profit;

Enfin, à C., A., J. et L., pour le temps que nous leur aurons pris et leur bienfaisante présence à nos côtés au long de cette entreprise.

1 Recherche FNSRS no 1214-068281

2 Recherche FNSRS nos 5004-047772 et 5004-058463 3 Recherche FNSRS nos 1214-027852 et 1213-033750

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Table des matières

Avant-propos ... 1

1 Introduction... 5

1.1 Paradigmes de la mobilité et représentations des acteurs... 7

1.1.1 La contribution de Sorokin ... 7

1.1.2 Lectures paradigmatiques de la mobilité sociale... 9

1.1.3 Vers une intégration des représentations des acteurs... 13

1.2 Classifications des positions sociales ... 21

1.2.1 Classifications et mobilité sociale ... 21

1.2.2 Classifications et représentations sociales ... 24

1.2.3 Echelles de prestige ... 30

1.3 Variations interindividuelles et représentations du parcours de mobilité... 37

1.3.1 Insertion, structure et représentations sociales... 37

1.3.2 Eclairage empirique de la détermination des représentations ... 43

1.3.3 Paradoxe d’Anderson... 48

1.4 Hypothèses... 57

1.4.1 Synthèse et objectifs ... 57

1.4.2 Orientation de la recherche... 59

1.4.3 Formulation des hypothèses ... 67

2 Méthode... 75

2.1 Enquêtes, échantillonnage et collecte de données... 75

2.1.1 Questionnement rétrospectif ... 75

2.1.2 Plan d’enquête et échantillonnage ... 77

2.1.3 Constitution du sous-échantillon mobilité et stratification... 81

2.1.4 Caractéristiques du sous-échantillon mobilité et stratification... 83

2.1.5 Instruments de mesure... 87

2.2 Variables de la recherche... 90

2.2.1 Autopositionnement et alterpositionnement... 90

2.2.2 Approches explicatives ... 93

2.2.3 Facteurs positionnels macrosociaux... 95

2.2.4 Facteurs liés à l’insertion professionnelle microsociale...100

2.2.5 Facteurs liés à la participation, aux attitudes et aux représentations de la société...107

3 Représentations de la stratification sociale ...123

3.1 Hypothèse 1.1 ...125

3.1.1 Introduction ...125

(6)

3.1.3 Cristallisation sociétale et variations interindividuelles...133

3.1.4 Cristallisation sociétale: dimension unique sous-jacente ...134

3.1.5 Cristallisation individuelle...136 3.1.6 Analyse dimensionnelle...138 3.1.7 Conclusion...145 3.2 Hypothèse 1.2 ...147 3.2.1 Introduction...147 3.2.2 Homogénéité...150 3.2.3 Unidimensionnalité...152 3.2.4 Analyse dimensionnelle...155

3.2.5 Cristallisation macrosociale et mésosociale...160

3.2.6 Conclusion...165

3.3 Hypothèse 1.3 ...167

3.3.1 Introduction...167

3.3.2 Cristallisation mésosociale selon la catégorie d’appartenance ...171

3.3.3 Unité de la cristallisation selon la catégorie d’appartenance ...172

3.3.4 Conclusion...178

3.4 Hypothèse 1.4 ...180

3.4.1 Introduction...180

3.4.2 Sources des inégalités ...183

3.4.3 Effets des catégories d’appartenance ...188

3.4.4 Conclusion...192

4 Représentations du parcours de mobilité ...193

4.1 Hypothèse 2.1 ...195

4.1.1 Introduction...195

4.1.2 Mobilité objective et mobilité perçue...199

4.1.3 Mobilité perçue et autopositionnement...208

4.1.4 Conclusion...217

4.2 Hypothèse 2.1 ...220

4.2.1 Introduction...220

4.2.2 Liens entre dimensions ...221

4.2.3 Analyse dimensionnelle...227

4.2.4 Profils perceptifs de la mobilité ...235

4.2.5 Conclusion...240 4.3 Hypothèse 2.3 ...241 4.3.1 Introduction...241 4.3.2 Mobilité relative ...246 4.3.3 Conclusion...257 4.4 Hypothèse 2.4 ...258 4.4.1 Introduction...258

4.4.2 Mobilité perçue et évaluation générale ...261

(7)

5 Déterminants sociologiques des représentations du positionnement et

de la mobilité professionnels ...271

5.1 Hypothèse 3.1 ...275

5.1.1 Introduction ...275

5.1.2 Description des variations de l’autopositionnement actuel et passé ....277

5.1.3 Explication des variations de l’autopositionnement actuel et passé...283

5.1.4 Autopositionnement: entre insertion et représentation collective...296

5.1.5 Intégration des dimensions de la stratification sociale ...305

5.1.6 Conclusion...311

5.2 Hypothèse 3.2 ...313

5.2.1 Introduction ...313

5.2.2 Description des variations de la mobilité perçue ...320

5.2.3 Explication des variations de l’autopositionnement actuel et passé...322

5.2.4 Mobilité perçue et mobilité intergénérationnelle...327

5.2.5 Mobilité perçue et évolution de l’insertion microsociale ...333

5.2.6 Conclusion...338

6 Conclusion ...341

6.1 Vers une lecture mésosociologique de la position perçue ...342

6.2 Pertinence du plan mésosocial ...347

6.3 Pouvoir explicatif de la stratification sociale ...352

6.4 Effet du voisinage structurel...359

6.5 Epilogue...363

7 Annexes ...367

7.1 Annexe 1: aspects méthodologiques...367

7.2 Annexe 2: sélection du sous-échantillon brut mobilité et stratification...372

7.3 Annexe 3: tableaux ...375

7.4 Annexe 4: questionnaire ...426

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Avant-propos

De nombreuses études ont été réalisées sur les inégalités factuelles des structures sociales, comprenant aussi bien l'aspect statique de la stratification sociale que l'aspect dynamique de la mobilité sociale (voir par exemple Levy et Suter, 2002, Lemel, 1991, Erikson et Goldthorpe, 1992, Esping-Andersen, 1993). Par contre, les recherches portant sur la perception, par les acteurs, des inégalités des structures sociales sont en comparaison peu nombreuses en ce qui concerne les représentations de la stratification sociale (Levy et al., 1997, Lorenzi-Cioldi et Joye, 1988, Coxon, Davies et Jones, 1986, Zwicky, 1989) et presque inexistantes dans le cas des représentations de la mobilité sociale (Attias-Donfut et Wolff, 2001). La présente recherche se propose d'étudier simultanément la perception de la stratification sociale et de la mobilité sociale intragénérationnelle par les acteurs en intégrant le caractère multidimensionnel du système d'inégalités.

Elle défend la thèse fondamentale d'une double origine des inégalités perçues, qui participeraient à la fois d’aspects macrosociaux et mésosociaux de la stratification sociale, les premiers portant sur la structure sociale dans son ensemble, les seconds sur une partie seulement de celle-ci (voir par exemple Kelley et Evans, 1995, Levy, 2002). Dans une perspective systémique, on se trouverait, à côté de la structure macrosociale, en présence de sous-systèmes mésosociaux, de portée restreinte. La perception de la stratification sociale dépendrait alors du cadre de référence adopté par les acteurs, selon qu’il porte sur le système dans son ensemble ou sur un sous-système. Un des objectifs de cette recherche sera d’établir que la pertinence des cadres de référence macrosocial et mésosocial est étroitement liée à la lecture statique ou dynamique de la stratification sociale. Dans le cas statique, celui du positionnement, les représentations sociales s’articuleraient autour des inégalités macrosociales, tenant compte du système dans son ensemble, tandis que dans le cas dynamique, celui de la mobilité ou de l’évolution du positionnement, les inégalités mésosociales, propres aux sous-systèmes, l’emporteraient.

D'une part, la perception du positionnement social dépendrait de l’insertion de l’acteur dans la structure sociale, comprise dans son ensemble, et reproduirait les inégalités factuelles macrosociales, telles qu'elles apparaissent par exemple au travers des catégories socioprofessionnelles. D'autre part, la perception du parcours de mobilité – conservation, amélioration ou dégradation de la position perçue – resterait indépendante des changements macrosociaux de l’insertion, mais relèverait

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avant tout de déterminants propres à l’environnement social immédiat de l'acteur. L’environnement de l’acteur, en tant qu’il s’inscrit dans une partie restreinte de la structure sociale, permettrait de saisir les inégalités mésosociales. L'expérience, par les acteurs, de ces deux aspects de la structure sociale conduirait à la mise en place de deux types d'inégalités perçues irréductibles les unes aux autres dans la mesure où le système macrosocial et les sous-systèmes mésosociaux présentent une certaine autonomie.

Cette autonomie peut être vue d’une part en rapport avec l’importance propre des organisations de nature mésosociale – en particulier les entreprises – dans les sociétés contemporaines (Sainsaulieu et Segrestin, 1986, Perrow, 1991), d’autre part en relation avec l’hétérogénéité que ces dernières induisent en termes de segmentation du marché de l’emploi (Baron et Bielby, 1980). Dans une large mesure, les organisations intermédiaires se distinguent ainsi de la structure sociale prise dans son ensemble: plutôt que de reproduire les inégalités macrosociales, elles constitueraient des systèmes d’inégalités indépendants, notamment quant à la régulation des parcours professionnels (Bertaux, 1977). Ainsi, la perception de la structure sociale ne se réduirait pas aux seuls facteurs macrosociaux, mais dépendrait, en l’absence d’un modèle d’organisation mésosocial unique, de la diversité des structures intermédiaires.

On peut d’ailleurs supposer que la prise en compte des organisations mésosociales est susceptible de pallier la faiblesse des explications classiques en termes macrosociologiques, relevées par les tenants des thèses avançant le déclin du pouvoir structurant de la stratification sociale ou du travail (voir Levy, 2002 et, sur les thèses citées, par exemple Beck, 1983, Matthes, 1983, Berger et Hradil, 1990, Clark et Lipset, 1991). En effet, dans la mesure où l’acteur serait plus souvent confronté aux structures de son environnement social immédiat plutôt qu’à la structure sociale dans son ensemble, la perception pourrait dépendre en premier lieu de facteurs mésosociaux, susceptibles de supplanter ou, à tout le moins, d’atténuer l’effet des facteurs macrosociaux. Une telle approche permet de conserver une lecture structurelle de la perception du positionnement en enrichissant la relation classique entre structure macrosociale et acteur d’une composante mésosociologique, évitant ainsi le recours à une explication culturelle ad hoc.

Dès lors, la principale question de recherche s'adresse au lien entre structure sociale factuelle et structure sociale perçue. Dans la perspective statique du positionnement, l’effet des structures mésosociales serait tel qu’il se superposerait à

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la détermination macrosociale de la perception, sans pour autant subvertir la hiérarchie des positions induites par les catégories socioprofessionnelles. Dans la perspective dynamique, en revanche, les changements liés à l’insertion mésosociale peuvent l’emporter sur l’immobilité ou la mobilité définies en termes macrosociologiques. D’une part, en supposant que les plans mésosocial et macrosocial agissent de manière plus ou moins autonome sur la perception, l’amélioration, la conservation ou la dégradation de la position ne coïncide pas nécessairement selon ces deux plans. D’autre part, l’ampleur de la mobilité perçue due à l’écart entre le positionnement mésosocial passé et actuel peut dépasser celle qui est liée à la mobilité macrosociale, surtout si cette dernière est de faible distance. Le passage de la perspective statique à la perspective dynamique peut dès lors être vu comme un moyen de faire apparaître le rôle fondamental joué par les structures mésosociales au sein de la stratification sociale.

L’orientation de la recherche consistera d’abord à mettre en évidence, par-delà les différences macrosociales des représentations des positions professionnelles, les variations de la perception au sein des catégories socioprofessionnelles. Ces étapes montreront, à différents égards, que les représentations se singularisent en relation avec l’insertion mésosociale de l’acteur. On verra également que la perception de la mobilité échappe à une détermination macrosociale, mais qu’elle présente une cohérence mésosociale certaine. Ces résultats, insistant sur la prise en compte des structures mésosociales, nous amèneront enfin à un examen systématique des déterminants de la perception du positionnement et du parcours de mobilité, mettant en œuvre une variété de facteurs explicatifs dépassant un cadre d’analyse purement structurel.

La recherche débute par une discussion de la place qui revient à une étude des représentations du parcours professionnel dans le champ des travaux sur la stratification et la mobilité sociale, en particulier sa justification théorique et empirique, et la formulation des hypothèses de recherche (chapitre 1). Elle se poursuit par la présentation de l’échantillonnage et des variables utilisées (chapitre 2). Le traitement des hypothèses de recherche fait l’objet de trois chapitres distincts. Chaque hypothèse s’accompagne, en plus des développements liés à son examen, d’une introduction et d’une conclusion spécifiques. Le premier (chapitre 3) porte sur la perception de la stratification sociale des positions professionnelles, le second (chapitre 4) sur la perception du parcours de mobilité et le troisième (chapitre 5) sur les déterminants sociologiques de la perception des inégalités liées au positionnement et à la mobilité professionnels. Enfin, au traitement des hypothèses

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1

Introduction

Les changements de la distribution des positions sociales entre acteurs au sein de la structure sociale se trouvent au cœur de la problématique de la mobilité sociale (Bertaux, 1976, Joye, Bergman et Lambert, 2003). Enjeu autant de vues méritocratiques de la société, où l’égalité des chances affaiblirait le poids du milieu d’origine sur les destins individuels, qu’en termes de conservation du statut social, où l’héritage social préviendrait ou empêcherait la redistribution des positions (Cuin, 1993), la mobilité sociale pose la question de la position de l’acteur face à la structure sociale dans une perspective dynamique. Envisagée ainsi, la mobilité sociale porte avant tout sur l’étude des insertions successives des acteurs dans la structure en cours de carrière ou en rapport avec la filiation.

L’acteur n’entre en effet dans cette étude que dans la mesure où il fait apparaître, par sa participation à la mobilité sociale, les mécanismes de transmission et de reproduction des inégalités sociales. Porteur de ces inégalités du fait de son insertion dans la structure sociale et révélateur des transformations qui affectent cette dernière par le biais de son histoire, l’acteur se confond alors avec la position qu’il occupe. La relation entre l’acteur et la structure est alors celle de l’acteur par

rapport à la structure, celle de son positionnement dans la structure sociale. De fait, la

manière dont les acteurs perçoivent les changements de positions dans la structure sociale reste largement ignorée par la recherche sur la mobilité sociale. Qu’en est-il si, inversant la perspective, on s’intéresse à la structure par rapport à l’acteur ? Comment les acteurs se représentent-ils leur parcours de mobilité au sein de la structure sociale ?

Pour commencer, nous nous interrogerons sur la place qui revient à une étude portant sur les représentations des parcours de mobilité (section 1.1). La prise en compte des représentations se justifie-t-elle au regard des orientations paradigmatiques de la mobilité sociale ? Quelle est la spécificité heuristique d’une telle étude ? Une fois que l’on aura établi l’intérêt d’associer les représentations à la mobilité sociale, association peu étudiée à ce jour, on l’a dit, et pourtant inscrite dans l’étude même de la réalité sociale, on s’interrogera sur la manière dont les différents types de classification des positions dans la stratification sociale permettent de rendre compte de telles représentations (section 1.2). L’examen de ces classifications, plus particulièrement des échelles de prestige, montrera qu’elles semblent peu indiquées pour saisir les variations interindividuelles du

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positionnement perçu, bien que ces dernières constituent un aspect essentiel des représentations sociales du parcours de mobilité. Rompant avec l’image d’une hiérarchie consensuelle et transversale des positions, les représentations dépendraient de l’insertion particulière de l’acteur dans la structure sociale.

On sera alors amené à supposer que l’effet de l’insertion, contrecarrant une détermination uniforme des représentations par les inégalités macrosociales de la stratification commune à l’ensemble des acteurs, est particulièrement pertinent dans la perspective dynamique de la mobilité plutôt que celle, statique, du positionnement (section 1.3). Les représentations du positionnement dans la stratification resteraient déterminées par les inégalités macrosociales, tandis que celles de la mobilité, traduisant une certaine clôture du cadre de référence de l’acteur en lien avec son environnement social immédiat, s’articuleraient davantage autour de son insertion particulière dans la structure sociale. A partir de cette double articulation macrosociale et mésosociale des représentations, on formulera les hypothèses de la recherche (section 1.4). On peut résumer ces hypothèses en avançant que les représentations, multidimensionnelles, se singularisent selon l’environnement social immédiat de l’acteur, les régions éloignées étant perçues de manière plus uniforme ou homogène, et que, en présence d’une mobilité sociale courte, les représentations du parcours de mobilité relèvent principalement de la perception de cet environnement.

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1.1 Paradigmes de la mobilité et représentations des

acteurs

Depuis le travail fondateur de Sorokin, la problématique de la mobilité sociale est inscrite dans le cadre de la stratification sociale. Cette alliance avec la stratification sociale a donné naissance à deux lectures paradigmatiques distinctes de la mobilité sociale, l’une issue de l’exigence fonctionnelle de la stratification sociale, l’autre d’une valorisation culturelle de sa dimension verticale, privilégiant l’ascension sociale. Après une présentation de la contribution de Sorokin et l’illustration de ces paradigmes, nous aborderons le statut de la perception du parcours de mobilité par les acteurs. Dans le cadre du modèle sur la réalité sociale de Berger et Luckmann (1966), nous verrons que la prise en compte des représentations, dépassant la nature objectivée ou intériorisée de la mobilité sociale inhérentes aux deux paradigmes évoqués, permet d’intégrer les processus d’extériorisation à son étude.

1.1.1 La contribution de Sorokin

On voit volontiers en Sorokin (1927, 1959a) l'initiateur de l'étude spécifique de la mobilité sociale. Sa contribution fondatrice a été de promouvoir la mobilité sociale au rang de problématique sociologique autonome, fondée sur une conception stratifiée de la structure sociale et soumise à un examen empirique, méritant une thématisation et une théorisation propres4 (Carlsson, 1958, Heath, 1981, Cuin, 1983, 1988, 1993, La Gorce, 1991, Merllié, 1994).

Sorokin fait référence à une structure sociale stratifiée (par opposition aux structures de castes et aux structures d'ordre ou d'état (Gurvitch, 1958, 1960)): «la stratification sociale correspond à la différenciation d'une population donnée en

4 Sans faire l'objet d'une étude qui lui serait entièrement consacrée, mais en rapport avec

d'autres thèmes, la mobilité sociale est présente chez les auteurs qui ont précédé Sorokin, qu'il s'agisse d'Alexis de Tocqueville (L'Ancien Régime et la Révolution, De la démocratie en Amérique), d'Emile Durkheim (Le Suicide), de Karl Marx (Le Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte, Le Capital), de Werner Sombart (Warum gibt es keinen Sozialismus in den Vereinigten Staaten ?) ou de Vilfredo Pareto (Les systèmes socialistes, Trattato de sociologia generale). Parmi les exceptions, on peut citer Perrin (1904) ou Chessa (1912).

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classes5 hiérarchiquement superposées. Elle se manifeste dans l'existence de couches supérieures et inférieures. Son fondement et son essence même consistent en une distribution inégale des droits et des privilèges, des devoirs et des responsabilités, des valeurs sociales et des privations, du pouvoir social et des influences parmi les membres d'une société» (1959a, p. 11). La différenciation s'effectue selon divers critères6, définissant des dimensions qui peuvent être irréductibles les unes aux autres, partant des hiérarchies distinctes. Ainsi, la stratification sociale est multidimensionnelle (Sorokin, 1927, p. 12).

Le terme de mobilité sociale, d'un usage autrefois peu répandu, est défini par Sorokin dans une acception à la fois sociale et culturelle, comme «le mouvement d'individu ou de groupes d'une position sociale à une autre et la circulation des objets, valeurs et traits culturels parmi les individus et les groupes» (1933). Selon que les déplacements d'individus, de groupes ou d'éléments culturels se font au sein d'une même strate ou au contraire d'une strate à une autre, Sorokin distingue mobilité horizontale et verticale et, dans ce cas, mobilité ascendante et descendante (Merllié et Prévot, 1991, p. 19-21 et 28-29). Dans la conception initiale de Sorokin, la mobilité sociale désigne ainsi un ensemble de transformations affectant la société, que l’on peut envisager comme «un aspect multiforme de la ‘dynamique sociale et culturelle’»7 (Merllié, 1994, p. 14).

Ignorant la mobilité culturelle, la postérité aura d'une part surtout retenu l'aspect individuel et vertical de la mobilité sociale, privilégiant le recours à une métaphore spatiale d’individus se déplaçant dans un espace social, d'autre part restreint l'étude des positions sociales presque exclusivement aux positions professionnelles8 (Merllié, 1994, p. 51-56). En dépit de cette réduction de l’objet

5 Le terme de classe est ici entendu au sens de strate sociale, dans le sens où les agrégats

d'individus reposent sur des critères d'inégalité et non sur des oppositions de structure (voir Bénéton, 1991).

6 Ces critères, continus ou discrets, sont par exemple la nationalité, la profession, le sexe,

l'appartenance politique, les principaux étant les critères économique, professionnel, politique et culturel (Sorokin, 1927, p. 7, Weiss, 1986, p. 17).

7 Ces transformations peuvent porter, par exemple, sur la mobilité collective descendante

lorsque «l'aristocratie des Romanov, des Habsbourg ou des Hohenzollern a soudainement quitté le sommet de la société» ou sur la diffusion d'éléments culturels tel «le communisme au sein du prolétariat russe» (Sorokin, 1933).

8 Pami les exceptions, on peut consulter Hoffmann-Nowothny (1973), Weiss (1986), Levy et al.

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initial, la problématique de la mobilité sociale, telle qu'elle a été formulée par Sorokin, semble garder toute sa pertinence (Merllié et Prévot, 1991, p. 17-19)9. Cependant, si cette formulation – en particulier le rapport entre mobilité et stratification sociales – demeure pratiquement inchangée, la lecture de la mobilité sociale varie, allant d'une perspective structurelle, insistant sur le fonctionnement de la société et de ses institutions, à une perspective individuelle, attachée à la conduite de l'acteur10. La théorisation de la circulation des individus de strate en strate s’articule ainsi autour de deux paradigmes dominants successifs, qualifiés l’un d’ «hyper-structuraliste», l’autre d’ «hyper-individualiste» (Cuin, 1993, p. 69-110).

1.1.2 Lectures paradigmatiques de la mobilité sociale

Le premier, s’inscrivant dans l’approche fonctionnaliste inaugurée par Sorokin, se définit par la primauté des structures sociales, la société étant pourvue d’institutions sélectionnant et allouant les individus à des fonctions selon ses besoins propres. La reproduction de la structure sociale se trouve au cœur de ce paradigme. Dans une telle perspective reproductive, il convient d’évoquer les systèmes de récompenses régulant l’attribution des individus à des positions d’importance fonctionnelle variable (hypothèse de nécessité fonctionnelle selon Davis et Moore, 1945) ou le rôle classificatoire et régulateur opéré par un système commun de valeurs (Parsons, 1949, 1953).

Le second paradigme déplace l’analyse du plan de la société et de son exigence de reproduction à celui de l’individu et du parcours de mobilité singularisé. Le rôle régulateur des institutions s’efface et laisse apparaître des acteurs sociaux décidant selon leur motivation, conditionnée par des valeurs, de leur parcours de

9 Ce qui a pu faire dire à certains, sans doute un peu hyperboliquement, que «la théorie de la

mobilité sociale n'a guère progressé depuis Sorokin» et que «l'essentiel de la théorie postérieure avait déjà été clairement formulé, ou tout aussi clairement rejeté, dans son ouvrage de 1927» (Heath, 1981, p. 30). Voir aussi note de bas de page 23.

10 Cette distinction est suggérée par les théories fonctionnalistes de la stratification sociale, par

exemple selon Parsons (1949, 1953). D'une part, pour durer, une société doit maintenir et adapter ses structures, ses membres se renouvelant de génération en génération. En raison de la distribution des individus qu'elle opère, la mobilité sociale participe fonctionnellement à la reproduction et à l'évolution des structures sociales. D'autre part, pour garantir son fonctionnement, la société incite les individus à occuper les différentes positions de la structure sociale à l'aide de gratifications qui leur sont rattachées et orientant les comportements.

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mobilité. Tout en suivant l’analyse proposée par Cuin (1993), nous illustrerons ces paradigmes en nous limitant aux travaux de Sorokin, de Lipset, Bendix et Zetterberg et de Blau et Duncan en raison de leur caractère représentatif11. En effet, les travaux des premiers et des derniers ressortissent clairement à l’une ou l’autre des orientations paradigmatiques de la mobilité, tandis que ceux des seconds occupent une position intermédiaire, empruntant à chacun des deux pôles.

Chez Sorokin, la reproduction de la structure repose sur le caractère fonctionnel12 de la stratification sociale, qui exige de la société d'affecter à une position les individus les plus aptes à remplir les fonctions qui s’y rattachent. Cette exigence est satisfaite par la mobilité sociale, qui s'apparente à un processus de distribution des individus dans la stratification sociale, agissant grâce à des agences de sélection13. Dans cette optique, la mobilité sociale est à la fois induite et orientée par la division sociale du travail, responsable de la spécialisation des fonctions au sein de la stratification.

Selon Lipset, Zetterberg et Bendix (1956, 1959), l’émergence des valeurs d’ «achievement» et d’ «universalism»14 dans les sociétés industrielles modernes génère

11 Ce choix s'explique par les différentes conceptions de la mobilité – structurelle, individuelle

ou mixte – que ces auteurs ont inaugurées. La plupart des travaux ultérieurs s'y ramènent, parmi lesquels on peut par exemple citer les travaux concernant l’individualisme méthodologique (Boudon, 1973), la reproduction sociale (Bourdieu et Passeron, 1970), le structuralo-marxisme (Poulantzas, 1974) ou encore l’hypothèse du flux constant (Erikson et Goldthorpe, 1992).

12 Sur le fonctionnalisme chez Sorokin, voir par exemple Boudon (1973), Cuin (1988), La Gorce

(1991).

13 Il s’agit notamment de l’école, de la famille, des partis, des syndicats ou encore des

organisations économiques et, davantage par le passé, de l’église et de l’armée.

14 Ces valeurs, que l’on pourrait traduire par «universalisme» et «accomplissement» (Cuin, 1993),

peuvent être vues à la lumière de la théorie de la stratification de Parsons, qui envisage cette dernière comme un classement des acteurs en référence à un système de valeurs, portant par exemple sur leurs qualités, leurs capacités ou leurs ressources matérielles et symboliques (1949, 1953). Ces valeurs, dépendant du système social considéré, sont organisées selon quatre fonctions nécessaires au maintien de ce dernier: adaptation (équilibrage des ressources et exploitation de l’environnement), poursuite des buts (orientation des conduites individuelles par le système), intégration (coordination des parties et des intérêts composant le système) et maintien des modèles (garantie de la cohérence des valeurs et gestion des tensions). La prédominance de l’une de ces fonctions permet alors de caractériser l’orientation des conduites collectives dans une société selon une paire de valeurs, à savoir universalisme et accomplissement (adaptation), accomplissement et particularisme (poursuite des buts), particularisme et qualité (intégration) et qualité et universalisme (maintien des modèles). La valorisation de l’universalisme et de l’accomplissement rendrait compte de l’importance

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des attentes psychosociales qui se traduisent par une aspiration à la mobilité ascendante. L’exigence de régulation sociale, propre au premier paradigme, n’est pas niée par ces auteurs, mais elle coïnciderait, au moins partiellement, avec l’exigence individuelle d’ascension sociale. D’une part, la mobilité sociale serait rendue possible par l'offre de positions vacantes, engendrée par une transformation structurelle de la stratification sociale, l’importance numérique des strates supérieures croissant au détriment des strates inférieures, et les échanges entre positions, c'est-à-dire «la capacité dont disposent les membres des différentes strates sociales d'entrer en libre compétition pour l'accès aux différents statuts» (Cuin, 1993, p. 93).

A ces causes objectives, prémisses de la mobilité sociale, Lipset, Zetterberg et Bendix ajoutent d’autre part des raisons subjectives, rendant effectifs les déplacements individuels: l'aspiration généralisée des acteurs à la mobilité ascendante, que les auteurs dérivent des phénomènes de consommation ostentatoire (Veblen, 1899)15. Dans cette optique, et contrairement à la conception de Sorokin, les facteurs structurels ne suffisent pas, à eux seul, à engendrer la mobilité sociale. Ils ne constituent, au contraire, que la condition préalable au déploiement de facteurs motivationnels. La mobilité sociale contribue ainsi au renouvellement de la stratification sociale tout en procédant des attentes de promotion sociale des acteurs.

Finalement, Blau et Duncan ramènent la mobilité sociale à sa seule dimension individuelle, les conduites des acteurs étant exclusivement orientées par les valeurs d’ «achievement» et d’ «universalism», libérées de toute demande sociétale. La cause essentielle de la mobilité sociale dans les sociétés industrielles se trouverait en effet dans leur «tendance fondamentale vers un universalisme grandissant» (1967, p. 429), qui impliquerait, au plan structurel, le progrès technologique et économique, responsable de l'augmentation numérique des accordée à la contribution et aux efforts productifs des acteurs, indépendamment de la finalité de telles activités.

15 Dans la mesure où les acteurs, dans un souci permanent de distinction, aspireraient à

augmenter leur estime de soi, dépendant elle-même de l’évaluation qu’en font les autres membres de la société, ils seraient animés d’un désir permanent d’améliorer leur position sociale, garant d’une évaluation sociale favorable. Ces facteurs subjectifs de mobilité peuvent être qualifiés de psychosociaux dans la mesure où ils feraient plus référence à un besoin psychique de l’individu qu’à une norme sociale. Ils suppléeraient, par réaction, un défaut d’incitation à la mobilité en présence de normes sociales soulignant l’égalité sociale (Lipset et Zetterberg, 1956).

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positions supérieures, de la mobilité géographique ou de la fécondité différentielle. Cet universalisme, soutenu par des valeurs d'efficacité et de rationalité, se réalise lorsque «des critères d'évaluation universellement acceptés pénètrent toutes les sphères de l'existence et évincent les critères particularistes des différentes communautés, les jugements intuitifs et les valeurs humanistes non susceptibles d'être empiriquement vérifiées» (p. 429).

Alors que les changements structurels constituaient chez Lipset, Zetterberg et Bendix une condition préalable à la mobilité sociale – chez Sorokin sa raison même d’être –, ils apparaissent ici comme la conséquence de la mise en œuvre de valeurs favorisant l’ascension sociale. De simple motivation, ces valeurs sont promues au rang de cause de la mobilité. Ainsi l'évolution culturelle – du particularisme communautaire vers l'universalisme – précède-t-elle le changement structurel, dans la mesure où les conduites sociales sont orientées par des valeurs. Dès lors, la mobilité sociale serait «le résultat de conduites individuelles normativement orientées vers certaines fins socialement valorisées» (Cuin, 1993, p. 102)16.

Ces conceptions paradigmatiques, représentatives des principales approches, montrent que l'appréhension de la mobilité sociale privilégie généralement les structures de la société ou des valeurs animant le comportement individuel. L’acteur y apparaît soit comme soumis à des contraintes factuelles, son parcours de mobilité contribuant au maintien de la structure sociale, soit, affranchi du poids des structures, comme marqué par l’inculcation de valeurs soutenant son aspiration à

16 Il convient cependant de se garder de conclure de la valorisation de l’ascension sociale à des

taux de mobilité effectivement plus élevés. Par exemple, les hypothèses classiques de Featherman, Jones et Hauser (1975, p. 240) ou du flux constant de Goldthorpe (1992, p. 136) supposent que la mobilité est dans une large mesure la même dans les pays industrialisés si l’on tient compte des particularités nationales liées à la structure des emplois. A structure égale, la fluidité sociale, c’est-à-dire la propension des acteurs à changer de positions, ne différerait guère d’un pays à l’autre. Le paradigme individualiste peut dès lors être vu comme une représentation savante de la culture et de l’idéologie de réussite individuelle caractéristiques de la société américaine (voir Cuin, 1993). De manière intéressante, on peut observer au Japon un effet culturel inverse, tendant à minimiser l’importance de l’ascension sociale, que l’on pourrait attribuer à «l’obligation sociale de modestie personnelle et de révérence à l’égard des ancêtres» (Merllié, 1994, p. 203). Cette insertion de la mobilité sociale dans des contextes culturels distincts, relevant cependant tous deux de pays industrialisés censés présentés une fluidité sociale similaire, contredirait ainsi l’effet de la valorisation de l’ascension sociale sur la mobilité sociale, les différences s’expliquant surtout en des termes structurels.

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l’ascension sociale. On se trouve dès lors en présence d’une lecture de la mobilité sociale – et de la stratification – où les conduites de l’acteur sont essentiellement dictées par le jeu des mécanismes de sélection sociale ou déterminées par son adhésion à un modèle culturel17. Dans un cas comme dans l’autre, les paradigmes de la mobilité sociale suggèrent implicitement que la manière dont l’acteur envisage son parcours de mobilité est négligeable. Dans la perspective structuraliste, la perception de l’acteur importe peu au regard de l’exigence de sélection de la stratification. Dans la perspective individualiste, c’est au contraire l’adhésion collective aux valeurs d’ «universalism» et d’ «achievement» qui rend superflu toute analyse particulière de la perception de la mobilité. Cette lecture laisse ainsi largement ouverte la question des représentations sociales que les acteurs rattachent à leur parcours de mobilité.

1.1.3 Vers une intégration des représentations des acteurs

Dès lors, quelle place peut-on attribuer à l’étude de la perception de la mobilité sociale ? Face aux caractéristiques des paradigmes dominants que nous venons d’évoquer, il n’est guère étonnant que les recherches portant sur les représentations du parcours de mobilité sociale des acteurs demeurent, à ce jour, peu courantes. On peut en effet supposer que l’orientation de la recherche en mobilité sociale s’apparente à une situation de «science normale», clairement délimitée par ses cadres paradigmatiques (Cuin, 1993, p. 138)18. Cette délimitation du champ de recherche pourrait expliquer le peu d’attention accordée aux représentations dans la genèse de la problématique de la mobilité sociale, partant l’absence d’intégration des représentations à cette problématique.

Une telle supposition semble particulièrement plausible dans la mesure où tant la mobilité sociale que les représentations sociales sont deux domaines de recherche fort développés en sciences sociales (Merllié et Prévot, 1991, p. 9, Jodelet,

17 Ce que l’on trouve, en d’autres termes, chez Cuin (1993, p. 108-109), qui écrit d’une part que

«les individus sont éduqués, évalués, sélectionnés et, enfin, distribués par des ‘agences’ qu’ils n’ont pas instituées eux-mêmes et ne contrôlent d’aucune manière, selon des critères qui ignorent absolument leurs aspirations, désirs ou besoins, dans des positions sociales dont le nombre est défini par la seule division du travail et dont le statut relatif ressortit aux seules nécessités du bon fonctionnement de l’ensemble», d’autre part que «les carrières s’ouvrent comme les pages blanches d’un grand livre que vont écrire tout seuls les hommes de l’ ‘universalisme’ à la poursuite de leur ‘achievement’».

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1989, p. 31). De fait, dans une situation où l’on se trouve confronté à une juxtaposition de savoirs déjà constitués, il convient de s’interroger sur l’articulation et l’intégration de ces derniers afin de justifier, dans une perspective heuristique, notre propos d’étudier la perception de la mobilité sociale. Nous discuterons cette intégration dans le cadre du modèle de la réalité sociale proposé par Berger et Luckmann (1966)19.

Selon ces auteurs, la réalité sociale se fonde sur les interactions entre l'homme, considéré dans sa participation aux rapports sociaux, et le monde social, conçu comme produit du premier. Ces interactions fondent trois processus – ou moments – distincts, à savoir les processus d'extériorisation – «la société est un produit humain» –, d'objectivation – «la société est une réalité objective» – et d'intériorisation – «l'homme est un produit social» (p. 79).

Ainsi, le monde social est – tant dans sa genèse que dans son existence – le résultat d'une production humaine continue. Indépendamment de son fondement biologique ou matériel, cette production se manifeste par un processus d'extériorisation qui détermine, grâce à son caractère sui generis, la spécificité du monde social à titre de produit extériorisé de l'activité humaine. Grâce au processus d'objectivation, «les produits extériorisés de l'activité humaine atteignent le caractère d'objectivité». Il convient de relever qu’il s'agit toujours d' «une objectivité produite, construite par l'homme»: «en dépit de l'objectivité caractérisant le monde social dans l'expérience humaine, il n'acquiert cependant ainsi pas de statut ontologique séparé de l'activité humaine qui l'a produit». Dans cette perspective, le processus d’objectivation se confond avec celui de l’institutionnalisation. En effet, «le monde institutionnel n’est autre que l’activité humaine objectivée, et il en est ainsi de chaque institution particulière». Par ailleurs, on retiendra que le processus d'intériorisation est le processus «par lequel le monde social objectivé est reprojeté dans la conscience au cours de la socialisation20» (p. 78-79). L’intériorisation porte

19 Voir aussi Giddens (1984) et Archer (1988). Le choix de ce modèle se motive par le fait qu’il

propose un cadre conceptuel des rapports entre l’acteur et la structure sociale suffisamment ouvert – en ce sens qu’il ne s’appuie par exemple pas sur une théorie particulière de la structure sociale – pour y situer les orientations paradigmatiques de la mobilité et qu’il constitue une heuristique de l’institutionnalisation ou de la production de l’ordre social, faisant apparaître la nécessité conceptuelle de tenir compte des représentations lors de l’étude de la réalité sociale.

20 La socialisation est vue par Berger et Luckmann (1966, p. 150) comme un «processus

ontogénétique (…) qui peut être défini comme l’insertion compréhensive et cohérente de l’individu dans le monde social objectivé ou dans une partie de celui-ci».

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sur l’appréhension et l’interprétation «du monde en tant que réalité sociale et signifiante»21 (p. 150).

On peut alors chercher à situer les orientations paradigmatiques des théories de la mobilité sociale dans le modèle que nous venons d’évoquer. Le paradigme structuraliste, dans la mesure où il s’articule autour d’institutions telles la stratification sociale ou les agences de sélection, privilégie l’étude des produits objectivés de l’activité humaine. Le paradigme individualiste, quant à lui, relèverait de l'intériorisation du monde social objectivé, qui conduirait les acteurs à faire leurs des valeurs d’ascension sociale institutionnalisées déterminant leurs conduites et leurs comportements. Aussi, le premier moment – le processus d'extériorisation – semble rester ignoré par les théories de la mobilité sociale.

Or, selon Berger et Luckmann, «une analyse du monde social qui omet l'un des trois moments sera incomplète». A l’évidence, une telle exigence ne signifie pas que seule une théorie de la mobilité sociale tenant compte simultanément des trois moments de la réalité sociale soit recevable. En fait, les théories de la mobilité sociale peuvent fort bien ne tenir compte que d'une partie de l'ensemble des processus, puisque «chacun d'eux correspond à une caractérisation essentielle du monde social» (p. 79). Aux trois moments de la réalité sociale peuvent ainsi correspondre des théories partielles, spécifiques à chacun d'eux, mais son examen ne sera clos que s'il porte sur chacun de ses moments.

La coexistence de trois moments qualitativement distincts et constitutifs de la réalité sociale peut ainsi conduire la recherche sociologique à une analyse incomplète de sa problématique, et ce indépendamment de l'étendue – ou du degré d’élaboration – de ses théories. Singulièrement, Berger et Luckmann relèvent que «la sociologie contemporaine américaine22 tend à omettre le premier moment. Ainsi sa

21 La signification de la réalité sociale n’est pas singulière à l’acteur, mais bien intersubjective

dans la mesure où l’intériorisation se fonde sur une compréhension du monde dans lequel vivent les autres acteurs. Ce monde partagé permet aux acteurs de s’identifier mutuellement les uns aux autres (Berger et Luckmann, 1966, p. 150).

22 Cette restriction à la sociologie américaine (voir aussi Sorokin, 1959b) est manifestement sans

incidence: les théories de la mobilité que nous avons examinées en font partie. En outre, la remarque garde par exemple sa pertinence au regard d'une définition de la mobilité sociale proposée par Boudon (1989): «L'expression de mobilité sociale désigne l'ensemble des mécanismes statistiquement significatifs qui décrivent soit les mouvements des individus à

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conception de la société tend-elle à devenir ce que Marx appelait réification (Verdinglichung), c'est-à-dire une déformation non dialectique de la réalité sociale qui empêche de comprendre cette dernière comme une production humaine continue»23 (p. 222).

Intégrer le processus d'extériorisation à l'étude de la mobilité sociale revient dès lors à envisager cette dernière dans son rapport à la production de la réalité sociale. Cette opération peut se réaliser de façon privilégiée en recourant aux représentations sociales liées aux parcours de mobilité sociale24. D'une part, les représentations sociales sont des objets dont le caractère produit, généré par l’acteur est déterminant: «ce qui permet de qualifier de sociales les représentations, ce sont moins leurs supports individuels ou groupaux que le fait qu'elles soient élaborées au cours de processus d'échanges ou d'interactions» (Codol, 1982, p. 2). D'autre part, on a souligné l’intérêt de mettre en rapport les représentations sociales avec la mobilité, ce en raison de leur contribution à l'analyse et à la compréhension des «sociétés contemporaines, que caractérisent l'intensité et la fluidité des échanges et l'intérieur du système professionnel au cours de leur existence, soit les mouvements qui caractérisent les individus d'une génération au regard de la suivante ou des suivantes».

23 Dans la mesure où elle privilégie les développements techniques, ou d'instrumentation, et non

théoriques, ou de conceptualisation, en particulier l’élaboration d’un objet de recherche qui tiendrait compte du processus d'extériorisation, l’étude de la mobilité sociale n'échappe pas à ce constat général. Boudon (1970) soulève que l'accumulation des travaux sur la mobilité sociale, malgré les investissements techniques, n'ont guère entraîné de progrès théoriques, freinant même ces derniers, tandis que Bertaux (1976) dénonce un champ de recherche gouverné par un empirisme et un pragmatisme technologique inhibant la réflexion théorique. Ces critiques suggèrent que le caractère particulièrement développé et achevé reconnu aux études de mobilité sociale (Weiss, 1986, p. 3) résulte notamment de la forte clôture conceptuelle du domaine d'étude au profit d'innovations opératoires. On peut se demander si la force de la mobilité sociale, en tant qu'objet de recherche, ne réside pas dans son unité conceptuelle qui, en débouchant spécialement sur les tableaux de mobilité (Hout, 1985), offre un champ d'application – ou objet de mesure – univoque aux méthodes quantitatives (indices, chaînes de Markov, modèles log-linéaires). A ce titre, Merllié (1994, p. 11) note que «par l'image de ‘scientificité’ qu'il donne et par la restriction de la problématique qu'il implique, l'enfermement dans une technologie statistique peut être responsable à la fois du statut relativement élevé de ces travaux dans la discipline et de la faible relation qu'ils paraissent entretenir cependant avec les autres recherches sociologiques». L'absence des représentations sociales irait ainsi de pair avec le développement technique des travaux de mobilité sociale. Une analyse paradigmatique de la même question est proposée par Cuin (1993, p. 111-139).

24 Selon Jodelet (1989, p. 43), «la représentation sociale est avec son objet dans un rapport de

‘symbolisation’, elle en tient lieu, et d’ ‘interprétation’, elle lui confère des significations». Les représentations peuvent ainsi être envisagées comme une lecture de la réalité sociale objective propre à l’acteur qui tient compte de l’intériorisation.

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communications, le développement de la science, la pluralité et la mobilité sociales» (Jodelet, 1989, p. 36).

Ce qui permet, à notre sens, d’envisager que les représentations sociales ressortissent au processus d’extériorisation réside dans la participation de l’acteur à la mise en place d’une réalité sociale distincte la réalité objective25. Elles se distinguent ainsi essentiellement de l’intériorisation de la réalité sociale par le biais de la socialisation, où l’acteur intègre des normes et des connaissances plutôt qu’il n’élabore une connaissance spécifique au contact de la réalité sociale objectivée. En ce sens, «la représentation sociale est toujours représentation de quelque chose (l’objet) et de quelqu’un (le sujet). Les caractéristiques du sujet et de l’objet auront une incidence sur ce qu’elle est» (Jodelet, 1989, p. 43). On peut ainsi avancer que «la représentation sociale est avec son objet dans un rapport de ‘symbolisation’, elle en tient lieu, et d’ ‘interprétation’, elle lui confère des significations» (p. 36). Les représentations peuvent ainsi être envisagées comme une lecture de la réalité sociale objective propre à l’acteur qui tient compte de l’intériorisation26.

25 Placée dans le cadre du modèle de Berger et Luckmann, cette distinction porte sur la nature

de la réalité sociale – extériorisée, objectivée ou intériorisée – et non sur sa manifestation, qui peut coïncider selon les trois moments par exemple en cas de reproduction sociale. Ainsi, selon Moscovici (1961, p. 66), il est toujours question de représentations «collectivement produites et engendrées», dont l’émergence serait liée à trois conditions spécifiques. Premièrement, la dispersion de l’information disponible sur l’objet de représentation, due à la fois à la complexité de l’objet et à la présence de barrières sociales, rendant difficile une connaissance immédiate et complète de l’objet, favoriserait l’élaboration de représentations comportant de nombreuses distorsions, fonction des groupes sociaux. Deuxièmement, la présence de processus de focalisation distincts selon les groupes sociaux amènerait les acteurs à s’intéresser à des aspects différents de l’objet, l’appartenance sociale déterminant des intérêts variant d’un groupe à l’autre. Troisièmement, la pression à l’inférence inciterait les acteurs à élaborer des vues et des discours cohérents face à des objets dont leurs connaissances demeurent lacunaires, voire inexactes, ce qui contribuerait à la maîtrise de l’objet et à la stabilisation des connaissances, notamment par l’apparition d’opinions dominantes au sein des groupes. On peut ainsi retenir que la complexité de l’objet générerait à la fois des représentations distinctes selon les groupes sociaux en raison de la focalisation et homogènes du fait de la pression à l’inférence. Pour une discussion de ces conditions, voir Moliner (1993). Une lecture des classes sociales en tant que représentations sociales se trouve chez Lemel (2004).

26 Dans la lecture que nous faisons du modèle de Berger et Luckmann, les représentations

sociales ressortissent au processus d’extériorisation, on l’a dit, en raison de leur caractère produit par opposition à l’institutionnalisation des produits extériosés et à l’intériorisation de la réalité sociale institutionnalisée. C’est dire que notre perspective est ici plus celle de l’acteur élaborant des images de la société que celle de la société, de ses institutions et de la socialisation des acteurs par ces dernières. En d’autres termes, l’intérêt porté à l’extériorisation tient à ce qu’il fait apparaître une réalité sociale produite ou créée par l’homme – ici les représentations –, que

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On peut s'interroger sur l'absence, aujourd'hui, du processus d'extériorisation, particulièrement des représentations sociales, des travaux de mobilité sociale, alors qu'il apparaît dans la recherche sur la stratification sociale27. Ainsi Levy et al. (1997, p. 38) notent-ils que l'analyse de la stratification sociale demande de porter l' «attention en premier lieu sur les objectivations puis sur le lien entre objectivation, intériorisation et extériorisation par l'étude des rapports entre les positions structurelles, les pratiques et les représentations».

Transposé à la mobilité sociale, un tel projet consisterait d’une part à étudier la distribution des individus entre différentes positions structurelles en tant que réalité sociale objectivée – ce que fait Sorokin –, les déplacements comme pratiques et conduites d'individus mobiles motivés par des valeurs – ce que font Blau et Duncan – et finalement les représentations et images en tant que produit social28 d'individus participant à la mobilité sociale. D’autre part, il s’agirait de mettre en évidence les liens entre réalité sociale objectivée, intériorisée et extériorisée. Dans la mesure où les différents moments de la réalité sociale sont liés les uns aux autres, s’influençant mutuellement plutôt que d’exister isolément, il convient de s’interroger sur le rapport que la réalité sociale extériorisée entretient avec ses pendants objectivé et intériorisé29.

l’on peut, de ce point de vue génétique, distinguer conceptuellement des formes plus institutionnalisées de la réalité sociale, les autres processus s’appliquant davantage à la transformation des réalités sociales extériorisée (objectivation) et objectivée (intériorisation). Cette lecture s’attache ainsi en premier lieu aux processus eux-mêmes plutôt qu’aux produits qui en résultent. A l’évidence, les représentations peuvent reproduire la réalité sociale institutionnalisée que l’acteur aurait intériorisée, les produits extériorisés, objectivés et intériorisés coïncidant sans que les processus soient pour autant confondus. Dans la perspective de la société, les aspects institutionnels peuvent l’emporter. Ainsi, Levy et al. considèrent-ils le modèle de Berger et Luckmann «comme une base heuristique qui fixe les termes de toute théorie de l’institutionnalisation ou, en d’autres mots, de la production, de la reproduction et de la transformation de l’ordre social (p. 40).

27 Concernant l'émergence, le développement et l'extension des représentations sociales, voir

par exemple Jodelet (1984) et Moscovici (1989).

28 Comme le remarque Jodelet (1989, p. 37), on peut aborder les représentations sociales sous

leur «aspect constituant – les processus – ou constitué – les produits ou contenus». La distinction correspond à celle qui existe entre extériorisation et produit extériorisé. Les représentations sont ici comprises sous leur aspect constitué: les processus fondent les différents moments de la réalité sociale, dont l'étude se fait au travers des produits objectivés, intériorisés et extériorisés.

29 Par exemple, Berger et Luckmann (1966, p. 183) suggèrent que l’effet de la socialisation peut

se mesurer en termes de symétrie entre réalité objective et subjective. Dans la mesure où la socialisation se déroule dans la structure sociale, l’intériorisation peut la reproduire.

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En se souvenant des approches paradigmatiques de la mobilité, on peut en effet se demander si l’exigence fonctionnelle de la stratification sociale et l’idéologie d’une valorisation de l’ascension sociale sont en relation avec la manière dont les acteurs eux-mêmes perçoivent leur parcours professionnel. L’objectivité des strates et l’intériorisation d’une hiérarchie des positions sous-tendent-elles les représentations de la mobilité sociale ?30 Si tel est le cas, on peut énoncer deux caractéristiques propres aux représentations liées à l’expérience de la mobilité sociale des acteurs. D’une part, ces représentations s’articuleraient autour de la distinction fonctionnelle entre les strates sociales. D’autre part, elles reproduiraient une hiérarchisation des positions sociales. Dès lors, les acteurs effectuant un changement de position ou, mieux de strate, envisagent-ils leur parcours professionnel – ascendant ou descendant – différemment des acteurs ayant conservé leur position originale ? Les acteurs en situation de mobilité ascendante perçoivent-ils leur parcours plus favorablement que les acteurs immobiles ou les mobiles descendants ?31

On peut conclure de la discussion qui précède que les représentations sociales du parcours de mobilité, ignorées des approches paradigmatiques de la mobilité sociale, constituent un moment fondamental de la réalité sociale selon le L’extériorisation présente-t-elle également une similarité avec les deux autres moments de la réalité sociale?

30 A ce sujet, Bourdieu (1984, p. 5) relève, sans cependant effectuer une réduction stricte des

premières aux secondes, que «les catégories de perception du monde social sont, pour l’essentiel, le produit de l’incorporation des structures objectives de l’espace social». Dans cette perspective, «la perception du monde social est le produit d’une double structuration sociale: du côté ‘objectif’, elle est socialement structurée parce que les propriétés attachées aux agents ou aux institutions ne se livrent pas à la perception de manière indépendante, mais dans des combinaisons très inégalement probables (et de même que les animaux à plumes ont plus de chances d’avoir des ailes que les animaux à fourrure, de même les détenteurs d’un fort capital culturel ont plus de chances d’être visiteurs de musée que ceux qui en sont dépourvus); du côté ‘subjectif’, elle est structurée parce que les schèmes de perception et d’appréciation susceptibles d’être mis en œuvre au moment considéré, et tous ceux notamment qui sont déposés dans le langage, sont le produit des luttes symboliques antérieures et expriment, sous une forme plus ou moins transformée, l’état des rapports de force symboliques». On peut dès lors s’attendre que la structure objective – par les distinctions entre strates – et les schèmes de perception – en tant qu’ils attestent d’une intériorisation de rapports symboliques verticaux entre positions – agissent sur les représentations.

31 Nous verrons plus loin (section 1.3), suggérant l’importance des structures mésosociales, que

les représentations de la mobilité sociales ne sont liées ni à l’objectivité des strates ni à l’intériorisation d’une hiérarchie des positions. Ce constat déterminera la formulation des hypothèses de recherche (section 1.4).

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modèle de Berger et Luckmann. Une étude spécifique de ces représentations paraît dès lors se justifier dans la mesure où elle peut contribuer à enrichir les connaissances sur un aspect essentiel de la mobilité sociale qui n’a reçu à ce jour que peu d’attention. Son intérêt dépend cependant de l’étroitesse du lien entre les différents moments de la réalité sociale. L’extériorisation se réduit-elle à la reproduction des distinctions objectivées entre strates sociales et de la hiérarchie des positions sociales intériorisée ? En d’autres termes, à quel degré les représentations du parcours de mobilité sont-elles liées aux deux autres moments de la réalité sociale ? Pour répondre à ces questions, nous examinerons d’abord si les classifications habituelles des positions dans la stratification sociale, telles qu’elles sont notamment mise en œuvre dans la recherche sur la mobilité sociale, permettent de rendre compte des représentations (section 2). Ensuite, nous discuterons, à la lumière de données d’enquête, à quelles conditions les distinctions entre strates et la verticalité des positions sont susceptibles d’agir sur les représentations du parcours de mobilité sociale (section 3).

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1.2 Classifications des positions sociales

Les représentations, en tant qu’elles résulteraient d’un processus d’extériorisation, ne se confondent pas avec la réalité objectivée ou intériorisée de la réalité sociale. Cependant, les trois moments du modèle de la réalité sociale que nous venons de discuter sont liés les uns autres. Dès lors, peut-on déjà rendre adéquatement compte des représentations que les acteurs se font de leur parcours de mobilité à partir des travaux existants qui s’articulent autour des paradigmes structuraliste ou individualiste de la mobilité ? Les classifications des positions utilisées dans ces travaux intègrent-elles la vue de l’acteur sur sa propre position, ou cette dernière reste-t-elle largement ignorée ? Nous verrons que la perception de la réalité sociale par les acteurs, autant pour des raisons théoriques qu’empiriques, ne peut être réduite aux classifications évoquées, et ce essentiellement en raison des variations interindividuelles et de la clôture des représentations32.

1.2.1 Classifications et mobilité sociale

Dans la mesure où notre approche de la mobilité sociale s’inscrit dans le cadre de la stratification sociale – restant en cela fidèle à la problématique originale décrite par Sorokin –, elle est intimement liée au repérage des positions dans la structure sociale, partant à la perception que les acteurs ont de ces positions. Une telle approche suppose, préalablement à l’étude de la mobilité, de pouvoir identifier le positionnement des acteurs dans la stratification sociale. C’est dire que l’opérationnalisation de la mobilité passe par celle de la stratification sociale

32 Structurellement, le terme de clôture fait le plus souvent référence à la clôture sociale,

c’est-à-dire aux cloisonnements entre positions dans la stratification sociale, notamment dans la perspective des échanges entre groupes sociaux. Dans l’usage que nous en faisons ici, nous gardons l’idée d’une origine structurelle de la clôture, s’articulant autour de l’accès plus ou moins aisé à différentes positions sociales, conditionné par exemple par les capitaux culturel et économique, mais transposons les distinctions qu’elle établit aux représentations. En ce sens, les représentations se singulariseraient selon les distinctions structurelles entre positions ou groupes d’acteurs. Une telle acception de la clôture se trouve par exemple chez Wegener (1992) à propos du prestige, la clôture sociale définissant des groupes à la perception du prestige distincte, par opposition à des représentations consensuelles, ne dépendant pas de l’insertion sociale des acteurs.

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(Cautrès, 1992, p. 460-461)33. La question de savoir si l’étude des représentations est déjà contenue dans les élaborations paradigmatiques de la mobilité sociale revient ainsi à s’interroger sur la manière dont la stratification sociale elle-même a été conceptualisée.

Il s’agit pour commencer de mettre en évidence les types de classification des positions qui sont mis en œuvre dans le cadre des deux paradigmes structuraliste et individualiste de la mobilité sociale. Ces paradigmes se traduisent par des méthodes de recherche et des opérationnalisations de la mobilité sociale distinctes (Cuin, 1993, Merllié, 1994). Ainsi, le premier mettra l’accent sur les rapports entre strates ou catégories au sein de la structure sociale, le second sur les facteurs agissant sur l’acquisition statutaire dans la hiérarchie des positions. La mobilité est alors mesurée dans le premier cas à l’aide de tableaux de mobilité, dans le second à l’aide d’échelles socio-économiques ou de prestige34. Au paradigme structuraliste, insistant sur la circulation des individus entre strates en raison de l’exigence fonctionnelle de la stratification sociale, correspond ainsi une lecture des inégalités reposant sur une

33 L’attention que nous vouons ici à l’opérationnalisation de la stratification sociale – plutôt qu’à

sa théorisation – provient du fait que nous cherchons à savoir si l’usage qui en est fait permet de saisir les représentations sociales. Nous avons déjà établi une distinction conceptuelle entre extériorisation, objectivation et intériorisation. Il reste à savoir dans quelle mesure l’opérationnalisation de la stratification rend justice à la réalité sociale extériorisée.

34 On peut distinguer différentes étapes historiques dans le traitement de la mobilité sociale

(Ganzeboom, Treiman et Ultee, 1991). L’approche liée au paradigme sociétal a prédominé des années 50 à la fin des années 60 et s’est notamment caractérisée par l’étude de tableaux de mobilité synthétisés à l’aide d’indices de mobilité cherchant à distinguer entre mobilité nette et mobilité structurelle (Yasuda, 1964, Bertaux, 1969, Hope, 1972). Elle a été relayée par la seconde, liée au paradigme individualiste, dont l’outil privilégié sera l'analyse de dépendance pour mettre en évidence le rôle de facteurs tels les origines sociales, professionnelles ou scolaires quant à l’explication de la position sociale atteinte (Duncan, 1965, Duncan et Featherman, 1972, Sewell et Hauser, 1975), et ce jusqu’à la fin des années 70. Dès ce moment, l’analyse des tableaux de mobilité a connu un nouveau souffle grâce au développement des modèles log-linéaires (Hout, 1985), notamment avec une reformulation de la décomposition de la mobilité en une part structurelle et une part nette (Sobel, 1983, Sobel, Hout et Duncan, 1985) et l’étude des chances relatives de mobilité (Goldthorpe et Portocarero, 1981). Plus récemment, l’explication de la position sociale a reçu une nouvelle formulation multivariée (Treiman et Ganzeboom, 2000).

Ce tableau méthodologique succinct ne prétend cependant nullement à l’exhaustivité. On peut par exemple encore mentionner l’approche biographique de la mobilité sociale (Bertaux, 1974, 1993, Heinritz et Rammstedt, 1991) ou la modélisation stochastique (Boudon, 1973) et heuristique (Müller-Benedict, 1999), bien que ces travaux portent également soit une étude des flux de mobilité, soit sur les trajectoires individuelles.

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distinction de positions fonctionnellement équivalentes que l’on peut réunir en catégories, permettant de mettre en évidence l’ampleur, la direction et la portée des changements de position. Le paradigme individualiste, s’articulant autour de la valorisation de conduites d’ascension sociale, substitue aux catégories, discrètes, un continuum unique de positions reflétant la valeur de chacune d’elles, les facteurs explicatifs renseignant sur les variations des positions acquises35.

Les deux lectures de la stratification sociale que proposent les paradigmes de la mobilité, l’une s’articulant autour des différences entre strates ou catégories, l’autre insistant sur la verticalité du positionnement, correspondent aux deux types de classification principaux des positions dans la stratification sociale36. On peut en effet distinguer les classifications selon qu’elles portent sur les rapports entre groupes sociaux ou sur une hiérarchisation des positions (Goldthorpe, 1980, 1997)37. Dans le premier cas, la position des acteurs se déduit de leur appartenance à des groupes sociaux qui se distinguent structurellement les uns des autres selon leurs dotations et ressources. Il peut s’agir, par exemple, dans la suite de la tradition d’inspiration marxiste, de classes antagonistes selon la propriété des moyens de production, le pouvoir organisationnel et les capitaux symboliques (Wright, 1978, 1985, 1998a, 1998b) ou, dans une approche néo-weberienne, de catégories s’articulant autour de la distinction entre employés, indépendants et employeurs (Goldthorpe, 1980, Erikson et Goldthorpe 1992, Goldthorpe, 1997, voir Marshall et al., 1989). Dans le second cas, l’attention porte sur le positionnement vertical selon une dimension unique, c’est-à-dire de l’existence d’une hiérarchie des positions sociales (voir Wegener, 1992). Ce positionnement apparaît comme largement singularisé dans la mesure où il ne participerait pas d’oppositions structurelles

35 L’étude des flux entre catégories ne ferait que montrer le résultat des facteurs influençant la

mobilité sociale sans permettre une analyse causale: «Dans une société où la plupart des statuts sont acquis plutôt qu’hérités, la question cruciale est celle de savoir quels sont les facteurs qui déterminent le niveau de la réussite et non celle de savoir si cette réussite implique qu’une personne soit en mobilité par rapport au niveau statutaire de ses origines sociales» (Duncan, 1968).

36 A ce sujet, Cuin (1993, p. 137) remarque que «la ‘méthodologie de la mobilité sociale’ paraît

étroitement liée à des conceptions théoriques dont elle procède de manière tout à fait directe, avec logique et cohérence».

37 Ces classifications ont en commun de prendre appui sur des nomenclatures ou des listes de

professions pour appréhender le positionnement dans la stratification sociale (voir par exemple Desrosières et Thévenot, 1988 et Joye et Schuler, 1995 ou Duncan, 1961 et Ganzeboom et Treiman, 1996, mais aussi Thévenot, 1981 et Kramarz, 1991).

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