• Aucun résultat trouvé

Modalités de lecture du nouveau roman

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Modalités de lecture du nouveau roman"

Copied!
135
0
0

Texte intégral

(1)

Canadian Privacy Legislation

, sorne supporting forms

may have been removed from

this .dissertation.

While these forms may be included .

in the document page count,

their removal does not represent

(2)
(3)

par

David N athaniel Macklovitch

Mémoire de maîtrise soumis au

Décanat des études supérieures et postdoctorales

en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises

Université McGill

Montréal, Québec

Novembre 2002

(4)

1+1

Acquisitions and Bibliographie Services Acquisisitons et services bibliographiques 395 Wellington Street

Ottawa ON K1A ON4 Canada

395, rue Wellington Ottawa ON K1A ON4 Canada

The author has granted a non-exclusive licence allowing the National Library of Canada to reproduce, loan, distribute or sell copies of this thesis in microform, paper or electronic formats.

The author retains ownership of the copyright in this thesis. Neither the thesis nor substantial extracts from it may be printed or otherwise

reproduced without the author's permission.

Canada

Your file Votre référence ISBN: 0-612-88665-4 Our file Notre référence ISBN: 0-612-88665-4

L'auteur a accordé une licence non exclusive permettant à la

Bibliothèque nationale du Canada de reproduire, prêter, distribuer ou

vendre des copies de cette thèse sous la forme de microfiche/film, de

reproduction sur papier ou sur format électronique.

L'auteur conserve la propriété du droit d'auteur qui protège cette thèse. Ni la thèse ni des extraits substantiels de celle-ci ne doivent être imprimés ou aturement reproduits sans son autorisation.

(5)

Nous proposons ici une réflexion sur les théories de la lecture appliquées à trois Nouveaux Romans. Nous tentons d'abord, au cours d'un exposé théorique détaillé, de concilier certains aspects des modèles lecturaux d'Umberto Eco, de Wolfgang Iser, de Stanley Fish, de Bertrand Gervais et de Richard Saint-Gelais. Nous offrons ensuite trois mises en application de la théorie hybride ainsi obtenue, dans le but de dégager les modalités de lecture propres aux textes néo-romanesques, tout en soulignant leur caractère éminemment variable. Nous insistons notamment sur la reconstitution diégétique dans L'Emploi du temps, sur l'impossibilité rescripturale dans La Maison de rendez-vous et sur la régie de lecture paradigmatique dans La Bataille de Pharsale. Au terme de ce parcours, nous espérons montrer en quoi une analyse des processus lecturaux permet d'apprécier l'indétermination, voire l'altérité fondamentale des Nouveaux Romans et nous hasardons quelques remarques quant à la fonction heuristique de ces textes.

ABSTRACT

In this thesis, we examine theories of reading as they apply to three examples of the French New Novel. We begin with a detailed theoretical exposé in which we compare and attempt to reconcile the reading models of Umberto Eco, Wolfgang Iser, Stanley Fish, Bertrand Gervais and Richard Saint-Gelais. The hybrid theory thus obtained is then tested on three works in order to underscore the modalities of reading that are particular to the New Novel, while insisting on these modalities' inherent variability. We focus on the reader' s reconstructing of the narrative in L'Emploi du temps, on the impossibility of structuring the plot in La Maison de rendez-vous, and on the paradigmatic mode of readling La Bataille de Pharsale. In so doing, we hope to demonstrate how an analysis of the reading process allows for a heightened appreciation of the essential indeterminacy of the New Novel, of its fundamental otherness. We conclude with tentative remarks on the heuristic function of these texts.

(6)

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier en premier lieu ma directrice Gillian Lane-Mercier pour avoir suscité et nourri mon intérêt envers la critique littéraire, pour m'avoir relu avec rigueur, et pour avoir fait preuve de tant d'indulgence à l'égard de mon rythme de travail.

Tous mes remerciements également à mes amis pour leur appui constant, à ma mèœ pour la correction d'épreuves et surtout, à mon frère Alain, pour tout, comme toujours.

(7)

TABLE DES MATIÈRES

Résumé / Abstract. ... .i

Remerciements ... .ii

Table des matières ... .iii

INTRODUCTION ... .. 1

CHAPITRE 1: Les théories de la lecture: panorama critique ... 6

1. Le texte a) Une machine présuppositionnelle ... 7

b) Un ciel étoilé ... 8

c) Le texte comme interprétation ... 9

d) Le texte comme dispositif ... 10

ll. Le lecteur a) Des lecteurs dans le texte ... 11

b) Un lecteur bien réeL ... 13

c) Des communautés de lecteurs ... 15

ill. La lecture a) La lecture comme coopération interprétative ... 17

b) La lecture comme effet esthétique ... 20

c) La lecture comme interprétation ... 23

d) La lecture comme jeu de variables ... 25

e) La lecture comme réécriture ... 28

IV. L'analyse a) Les analyses macro-structurelles ... .30

b) Les analyses micro-structurelles ... 32

(8)

CHAPITRE II: Lecture de L'Emploi du temps ... .46

J. Des mythèmes au récit spéculaire ... .47

II. L'enjeu narratologique ... 52

III. Les dysfonctionnements textuels ... 57

CHAPITRE III: Lecture de La Maison de rendez-vous ... 66

1. Impossibilité de situer le récit. ... 66

II. Impossibilité de structurer les sous-intrigues ... 71

III. Impossibilité de lire le texte? ... 74

N. Qu'est-ce qu'un texte illisible? ... 77

CHAPITRE IV: Lecture de La Bataille de Pharsale ... 85

1. La « texture» simonienne ... 86

II. Une lecture paradigmatique ... 92

III. L'écriture de la lecture ... 99

N. La lecture des écritures ... 102

CONCLUSION ... ... 113

(9)

et fugace sans en réduire la complexité? C'est ce qu'ont tenté de faire plusieurs chercheurs dont les travaux se situent, plus ou moins directement, dans le sillage des approches poststructuralistes. Des travaux qui se réclament, explicitement ou non, et à des degrés divers, d'un bouleversement épistémologique où un positivisme structural, structurant, a cédé la place à une nouvelle valorisation de la subjectivité, elle-même née de l'impossibilité d'accéder à la connaissance par l'étude strictement immanente des textes. Le travail que nous présentons ici est une réflexion sur les théories de la lecture!, appliquées à trois Nouveaux Romans: L'Emploi du temps, de Michel Butor, La Maison de rendez-vous, d'Alain Robbe-Grillet, et La Bataille de Pharsale, de Claude Simon. Notre objectif est de distinguer les modalités lecturales2 propres à ces textes. Ceci constitue donc un double discours: d'une part, une tentative de combler certaines lacunes dans le domaine théorique qui nous intéresse; d'autre part, un projet d'analyse nouvelle des textes néo-romanesques français. Notre recherche est sous-tendue par le désir de montrer à la fois l'aspect pluridimensionnel de l'acte de lecture et la richesse du Nouveau Roman en situations lecturales.

Pourquoi nous pencher sur le Nouveau Roman, ce dernier courant majeur de l'avant-garde littéraire française que plusieurs considèrent comme tombé en désuétude? Les textes néo-romanesques ont largement été étudiés suivant des modèles sémiotiques, narratologiques, à la lumière de la théorie de la mise en abyme, ou encore plus récemment, à l'instar de Nelly Wolë, dans une perspective institutionnelle. Mais de telles analyses sont presque toujours faites a posteriori, une fois que le livre a été parfaitement compris et maîtrisé. Or à notre sens, le principal attrait des Nouveaux Romans est le fait que ce sont des textes dont la compréhension est justement loin d'aller de soi. Des textes dont le principal attribut, le premier dont on ait conscience, est qu'ils sont difficiles à lire - pourquoi pas, alors, les aborder dans la perspective des théories de la lecture? D'autant

(10)

plus que, signalons-le d'emblée, on obtient de ce fait une perspective spéculaire intéressante, puisque les démarches lecturales sur lesquelles on se penche ressemblent souvent aux interrogations systématiques des protagonistes de ces textes (pensons, pour citer des ouvrages qui ne font pas partie de notre corpus, aux questionnements de Wallas dans Les Gommes ou aux discours intérieurs que sont les tropismes de Nathalie Sarraute).

li s'avère que des études lecturales de Nouveaux Romans ont rarement été menées. Des

, 4

articles comme «A roman nouveau, lecteur nouveau» de Romul Munteanu ou« Le lecteur du nouveau roman» de Denis Saint-JacquesS, dont les titres semblent indiquer une

concordance parfaite avec notre projet de recherche, tentent en fait d'identifier de manière sociologique le public auquel s'adresse ce genre de textes. Quant aux grandes analyses ricardeliennes, elles contiennent en germe, c'est vrai, quelques idées sur la lecture. Donc, loin de faire table rase par rapport à tout l'édifice critique des exégèses néo-romanesques, nous essaierons de dialoguer avec ces études, en pondérant leur insistance sur les mécanismes de production textuelle par des considérations sur la réception. Enfin, le choix des trois œuvres de notre corpus est dû au fait que chacune d'entre elles présente des difficultés de lecture particulières. Du point de vue générique, L'Emploi du temps est un exemple de Nouveau Roman pré-sémiologique de facture plutôt conventionnelle, La Maison de rendez-vous se situe à mi-chemin entre la subversion du genre policier et la surenchère tel-quelienne, alors que La Bataille de Pharsale incarne justement cet éclatement total de la forme caractéristique de la seconde vague des textes néo-romanesques.

Mais revenons aux théories de la lecture précédemment évoquées. À notre avis, elles sont séduisantes parce qu'elles semblent résoudre «l'impasse postmoderne6 ». C'est-à-dire qu'elles échappent au nihilisme dont plusieurs ont notamment accusé Derrida et Paul de Man en permettant d'établir un discours constructif sur les textes, à condition d'accepter de ne rechercher qu'une vérité et non plus la vérité. De fait, elles reposent toutes sur un postulat: on ne peut avoir accès au texte qu'en tant que lecteur, et donc toute étude de texte passe nécessairement par une étude des modalités de lecture de ce dernier - nous y reviendrons dans notre premier chapitre. Par contre, les théories lecturales sont loin d'être un domaine unifié. Dans un article intitulé «Les théories de la lecture: essai de structuration d'un nouveau champ de recherche7 », Jean-Louis Dufays

(11)

distingue les «théories internes (ou de l'effet)>> des «théories externes (ou de la réception)8 ». En simplifiant un peu, on pourrait dire que la scission se fait autour de la questÏlon suivante: est-ce que le sens est dans le texte ou est-ce qu'il est construit de l'extérieur? Peu de théoriciens adoptent une position médiane entre ces deux tendances. On l'aura compris, la problématique générale de notre travail, et celle qui est propre à toute analyse lecturale, est la question: qu'est-ce qui se passe quand on lit? Mais s'y ajoute une autre problématique connexe: peut-on envisager un modèle d'analyse qui n'entretienne pas de liens trop étroits avec une sémiotique totalisante et idéaliste, tout en ne basculant pas, à l'autre extrême, dans une critique impressionniste qui, elle, risquerait d'obnubiler le texte?

Nous avons deux hypothèses à vérifier ici. Premièrement, nous souhaitons montrer que les analyses lecturales permettent, plus que les approches davantage systématiques, d'apprécier l'ouverture, l'indétermination, le flux signifiant, voire l'altérité et la différe(a)nce inhérents aux Nouveaux Romans. Deuxièmement, et nous ne reviendrons sur ce point qu'en conclusion, il nous semble que les textes néo-romanesques peuvent servir d'outils heuristiques permettant de prendre conscience des processus à l'œuvre lors de l'acte de lecture. Aux postulats évoqués plus tôt s'ajoute un autre, cette fois relatif à notre méthode: la mise en application des théories lecturales nécessite des analyses dynamiques, en progression, dont le but premier n'est pas d'expliquer la totalité du texte mais bien de rendre compte d'une situation de lecture. Une situation de lecture, donc;, plutôt que des résultats de lecture. Nous ne nous contenterons pas d'appliquer une grille analytique unique aux trois textes de notre corpus. Nous partirons plutôt des problèmes de lisibilité et des entraves à la compréhension qu'ils présentent pour tenter de répondre à la question: comment peut-on se rendre intelligible le matériau textuel? Comme nous le verrons dès notre premier chapitre, un même lecteur n'adopte jamais une attitude constante tout au long de son parcours d'une œuvre, et les modalités de lecture d'une même œuvre varient selon les sujets lisants - bien entendu, nos analyses devront tenir compte de cette variabilité, de cette part de jeu. Enfin, nous tenons à justifier l'abondance de citations que l'on trouvera dans notre travail. D'une part, dans le pan théorique de notre recherche, nous faisons dialoguer les auteurs, nous confrontons leurs points de vue, et donc nous nous devons de rendre compte de cet échange. Mais d'autre

(12)

part, comme nous l'avons laissé entendre plus tôt, nous souhaitons nous-même nous positionner par rapport à tout un édifice critique sur le Nouveau Roman. Plutôt que d'évacuer ces analyses «canoniques », nous les citons pour mieux les nuancer ou, le plus souvent, les complémenter.

Dans notre premier chapitre, nous présentons des problématiques propres au domaine des théories de la lecture. Cet exposé théorique détaillé tente de concilier, sans syncrétisme, certains aspects des modèles lecturaux d'Umberto Eco et de Wolfgang Iser, auxquels servent de contrepoint les travaux de Stanley Fish, de Bertrand Gervais et de Richard Saint-Gelais. Une fois ces jalons posés, nous nous penchons, au chapitre II, sur L'Emploi du temps: certainement le plus facile à lire parmi les textes de notre corpus. Nous étudions - toujours dans une optique lecturale - les composantes mythologique et spéculaire du texte sur lesquelles la critique s'est beaucoup penchée. Puis, en-deçà de cette strate thématique, nous explorons les structures narratives de l'œuvre. Ceci passe par une critique de la narratologie de Genette, critique qui nous permet d'apprécier le caractère essentiellement construit de la diégèse et de mettre au jour les dysfonctionnements discursifs du texte. Dans La Maison de rendez-vous, dont il est question dans notre troisième chapitre, nous commençons par une « lecture au ralenti » de l'incipit pour montrer que, dès le premier contact avec le texte, il est impossible de situer le récit. Qui plus est, le relevé de bifurcations narratives ainsi que de métacommentaires ludiques nous amène à constater l'impossibilité de structurer ne serait-ce que les sous-intrigues. Enfin, l'auto-annulation du sens au niveau phrastique nous amène à nous interroger sur la notion d'illisibilité. Cette réflexion constitue en fait un pivot de notre travail, car ses conclusions nous permettent d'aborder les modalités de lecture d'un texte que d'aucuns considèrent comme le parangon de la prose illisible: La Bataille de Pharsale. L'analyse, dans notre quatrième et dernier chapitre, du texte de Claude Simon est la plus approfondie des trois, du fait, évidemment, de la complexité de son objet. Après avoir mis en évidence la réécriture lecturale nécessitée par la «texture simonienne », nous décrivons, en réponse à la théorie des générateurs de Ricardou, une régie de lecture paradigmatique du texte. Puis, en nous éloignant cette fois, niveau par niveau, de la matérialité discursive, nous analysons la mise en abyme de l'acte de lire, pour terminer avec une brève étude de la notion d'intertextualité, lecture des écritures.

(13)

NOTES

1 Il incombe de distinguer d'entrée de jeu les théories de la lecture, sur lesquelles porte notre réflexion, de

certains de leurs corrélats. Par esthétiques ou théories de la réception sont désignées les approches tributaires des travaux de Hans Robert Jauss qui se penchent, documents à l'appui, sur la façon dont une œuvre est lue, accueillie, interprétée et donc reçue dans un ou plusieurs contextes particuliers. (Nous distinguons de l'approche de Jauss la phénoménologie lecturale d'Iser, bien que ce dernier fasse partie, comme Jauss, de l'école de Constance.) Par poétiques de la lecture, nous entendons, à l'instar de Bertrand Gervais, des études de ce que les textes ouvrent comme avenues de lecture possibles - nous y reviendrons dans notre premier chapitre. Enfin, le reader-response criticism renvoie à des travaux ayant pour base les effets de lecture, les réactions de lecteurs empiriques, souvent documentées et commentées dans une optique pédagogique. Bien entendu, ce lexique est souple et fluctuant - c'est pourquoi dans le collectif intitulé Reader-Response Criticism on retrouve des textes que nous assimilons volontiers aux théories de la

lecture qui nous intéressent. 2 Néologisme consacré.

3 Nelly Wolf, Une littérature sans histoire: Essai sur le Nouveau Roman, Genève, Droz, 1995,216 p. 4 Romul Munteanu, «À roman nouveau, lecteur nouveau », Cahiers roumains d'études littéraires, 1977,

p.43-46.

5 Denis Saint-Jacques, «Le lecteur du nouveau roman» dans Ricardou, Jean et Van Rossum-Guyon,

Françoise (dir.), Nouveau Roman: hier, aujourd'hui, Paris, 10/18, 1972, tome 1, p.131-143.

6 Nous empruntons l'expression au titre de l'article de Manet Van Montfrans, «Vers une issue de l'impasse postmoderne : À propos de Robbe-Grillet », dans Littérature et postmodernité, Kibédi Varga, Aron, Groningen, Institut de langues romanes, 1986, p. 81-89.

7 Jean-Louis Dufays, «Les théories de la lecture: essai de structuration d'un nouveau champ de

recherche », Le Langage et L'Homme, vol. 26, nO 2-3 (1991), p. 115-127.

(14)

Il existe une multitude de discours qui décrivent l'acte de lecture à la lumière de théories allant de la sémiotique à la psychanalyse en passant par la sociocritique. Loin de nous de vouloir tenter ici une synthèse de tout ce qui s'est dit sur ce sujet; nous présenterons simplement un survol des théories lecturales qui nous semblent les plus intéressantes. Tout d'abord, il convient de distinguer deux grands modèles: celui d'Umberto Eco, établi dans son Lector in fabula paru en 1979, et celui de Wolfgang Iser, qui publie The Act of Reading trois ans plus tôt. Eco est un sémiologue d'inspiration peireéenne alors qu'Iser se réclame de la phénoménologie et de l'herméneutique allemandes. Bref, deux œuvres presque aux antipodes l'une de l'autre, deux auteurs qui semblent s'ignorer, mais, somme toute, deux théories magistrales qui, même si elles seront ultérieurement amendées, critiquées ou réfutées, demeurent à la base de toute discussion sur la lecture. Un autre ouvrage incontournable est le recueil 1.'1 There a Text in This Class?, paru en 1980. Son auteur, Stanley Fish, s'inspire quant à lui du déconstructionnisme américain. Enfin, nous nous pencherons également sur les écrits de deux sémiologues québécois, Bertrand Gervais et Richard Saint-Gelais, qui repensent la lecture à partir des modèles d'Eco, d'Iser et de Fish. Il conviendra donc ici de faire dialoguer ces cinq théoriciens (non sans en mentionner quelques autres) autour de quatre grands axes, quatre notions clés: le texte, le lecteur, la lecture et l'analyse. Ce faisant, nous espérons dégager les présupposés auxquels nous adhérerons dans ce travail et élaborer un protocole d'analyse lecturale susceptible de combler les lacunes que nous aurons constatées lors de notre parcours.

1. LE TEXTE

C'est un lieu commun que de signaler le déplacement de focalisation du texte au lecteur après l'hégémonie du structuralisme. Au lieu d'une production stable, autonome et descriptible objectivement, le texte est désormais considéré comme n'existant que dans et

(15)

par ses lectures. (C'est d'ailleurs l'auteur de l' «Introduction à l'analyse structurale des récits» qui écrira, quatre ans plus tard: « [ ... ] le texte seul, ça n'existe pas [ ... ]1 »!) Notre point de départ sera donc ces redéfinitions du texte propres au champ théorique qui nous intéresse. Ces redéfinitions, oui, parce que, de fait, on a affaire à des conceptions du texte radicalement divergentes.

a) Une machine présuppositionnelle

Dans Lector in fabula, Umberto Eco propose une définition du texte qui s'élabore en trois temps. Tout d'abord, dans une perspective qui articule la sémantique et la linguistique présuppositionnelle, il part d'un élargissement de son Trattato di semiotica generale en posant: « [ ... ] le sémème doit apparaître comme un texte virtuel, et un texte n'est pas autre chose que l'expansion d'un sémème [ ... ]2 ». Mais s'il est un sémème en expansion, cette expansion n'est pas exhaustive: le texte n'épuise pas toutes les possibilités de sens du sémème dont il est la dilatation. À cette première définition se rattache donc un postulat commun à toutes les théories de la lecture : le texte ne dit pas tout. D'où la définition classique d'Umberto Eco: «[ ... ] le texte est une machine paresseuse qui exige du lecteur un travail coopératif acharné pour remplir les espaces de non-dit [ ... ], alors le texte n'est pas autre chose qu'une machine présuppositionnelle3. »

Premier temps. En second lieu, il faut signaler qu'Eco parle d'un type de texte en particulier: les textes narratifs. Cela a une incidence du point de vue pragmatique. Dans la mesure où il met en scène tout un univers de fiction, le « [ ... ] texte narratif est une série d'ac:tes qui 'font semblant' d'être des assertions, qui pour autant ne demandent ni à être crues ni à être prouvées [ ... ]4 ». On comprend donc pourquoi, quelques pages plus loin, le texte est défini comme «[ ... ] un artifice syntactico-sémantico-pragmatique [ ... ] 5» ou encore «[ ... ] une chaîne d'artifices expressifs qui doivent être actualisés par le destinataire [ ... ]6 ». La mention du destinataire révèle la troisième caractéristique du concept de texte tel que défini par Eco, et l'on en revient au lien inextricable entre texte et lecteur. Un texte « [ ... ] vit sur la plus-value de sens qui y est introduite par le destinataire [ ... ]7» et qui plus est, « [ ... ] un texte postule son destinataire comme condition sine qua non [ ... ] de sa propre potentialité significatrice8.» Nous verrons plus tard de quel destinataire il s'agit ici. En fait, l'emploi même du terme «destinataire» révèle un présupposé théorique sur lequel nous devrons nous attarder. En attendant, une chose est à

(16)

retenir quant au lien texte/lecteur tel que postulé par Eco: « [ ... ] un texte est un produit dont le sort interprétatif fait partie de son propre mécanisme génératif [ ...

t

». Donc, primauté du génératif sur l'interprétatif. La production détermine la réception. Cela semble obvie, à la limite du truisme, mais, comme nous le verrons, d'autres théoriciens remettront cette prémisse en question.

b) Un ciel étoilé

La définition du texte chez Iser est a priori compatible avec celle d'Eco. On leur trouve trois points communs. Premièrement, ici encore, le texte en soi est incomplet. Plutôt qu'un tissu de présuppositions, il est conçu comme «un ensemble d'instructions ».

Empruntant la notion à Ingarden, Iser parle de « [ ... ] 'schematized aspects' through which the subject of the work can be produced [ ... ] 10 ». De façon plus éloquente, Iser

illustre le caractère fragmentaire et incomplet des données textuelles en comparant le sujet lisant à l'observateur d'un ciel étoilé: «[t]he 'stars' in a literary text are fixed; the lines that join them are variablell. » Il s'ensuit, deuxièmement, que ce sujet lisant est

l'unique garant du sens du texte, sa condition nécessaire: «[ ... ] literary texts initiate 'performances' of meaning rather than actually formulating meanings themselvesl2. »

Encore une fois, pas de texte sans lecteur, pas d'effet sans lecture: «[ ... ] the text represents a potential effect that is realized in the reading processl3. » Enfin, comme

chez Eco, on sent sous la plume d'Iser une certaine primauté du texte et ce, malgré des remarques comme: « [ ... ] the way in which [the text] is received depends as much on the reader as on the text [itseif]. Reading is not a [ ... ] one-way process [ ... ] [but] a dynamic interaction [ ... ]14 ». Il ne fait aucun doute, du reste, que, dans le modèle lectural isérien,

le lecteur est le pôle récepteur d'une chaîne communicative dont le point de départ est bel et bien le texte: « [ ... ] we can define the text [ ... ] as an array of sign impulses (signifiers) which are received by the reader [ ... ] 15 », « [ ... ] a pattern, a structured indicator to guide

the imagination of the reader [ ... ]16 ». Notons au passage qu'Iser consacre environ un quart de The Act o(Reading à la morphologie de cet « indicateur structuré », dont on peut retenir deux composantes: «[ ... ] first, a repertoire of familiar literary patterns [ ... ]; second, techniques or strategies used to set the familiar against the unfamiliar17. »

(17)

c) Le texte comme interprétation

Cette idée de la lecture comme rencontre de deux entités distinctes, à savoir le texte et le lecteur est complètement rejetée par Stanley Fish. Selon lui, le texte lui-même n'est jamais que le résultat du processus interprétatif du lecteur. Une telle position est tributaire du renversement épistémologique déclenché par le poststructuralisme et la déconstruction, suivant lesquels il n'y a pas de connaissance pure, pas de vérité en soi, justement parce rien n'est accessible en soi, parce que tout est filtré par la subjectivité. Fish l'écrit sans ambages: «[ ... ] ail objects are made and not found, and [ ... ] theyare made by the interpretive strategies we set in motionl8. » L'interprétation est à la base de

toute démarche épistémologique, elle est le seul moyen de préhension du monde. En l'occurrence, dans le domaine littéraire, « [ ... ] interpretation is the source of texts, facts, authors, and intentionsl9. » Le texte ne demande pas à être complété par l'acte lectural, il est généré de toutes pièces par lui : «[i]nterpreters do not decode poems [or texts in general]; they make them20. ». Plus question de parler du sens du texte en soi, puisque le

contenu signifiant du texte n'existe que dans l'esprit du lecteur: «[ ... ] the assumption that there is a sense, that it is embedded or encoded in the text [ ... ] [is] positivist, holistic, and spatial [ ...

fI

». Plus question, non plus, d'isoler le texte pour décrire sa forme, puisque la forme est aussi le résultat du processus lectural/interprétatif: «[ ... ] formai units are always a function of the interpretive model one brings to bear; they are not 'in' the text [ ... ]22 ». Dans son [ntroduction à l'étude des textes, Michel Charles tient un

discours qui s'apparente, à certains égards, à celui de Fish puisque selon lui, la conception du texte comme produit stable et faisant autorité est caduque. Son modèle d'analyse repose sur le fait qu' « [ ... ] il n'y a pas d'ordre en soi du texte [ ... ]23 ».

Seulement, comme le fait remarquer Susan Suleiman, on risque ici de basculer dans un relativisme dangereux : « [ ... ] eliminating textual authority [ ... ] leads straight to nihilism24. » En effet, si le texte ne peut être appréhendé qu'à la lumière de présupposés interprétatifs, alors l'interprétation, et donc le sens du texte, ne sont rien d'autre que la

confirmation de ces présuppositions. «[1]he text [ ... ] is [ ... ] a consequence of the interpretation for which il is supposedly evidence25.» On retrouve encore une idée analogue chez Michel Charles lorsqu'il définit «l'unité du texte [comme] la projection de la cohérence de l'analyse26 ». Heureusement, Fish se sort d'une telle herméneutique

(18)

circulaire et spécieuse en élaborant un modèle théorique transcendant. Comme nous le verrons, il resitue l'acte de lecture dans une perspective institutionnelle et sociale. Charles, pour sa part, s'oppose à une analyse narcissique dont la littérature devient le pré-texte ad hoc en revalorisant une lecture courante et « pluralisante ».

d) Le texte comme dispositif

Il existe, toutefois, un juste milieu entre Eco et Iser, selon lesquels le texte fait toujours autorité, et Fish, pour qui le texte en tant que tel disparaît complètement. Car, malgré tout, dans l'acte de lecture, on est bel et bien confronté à un objet autre: «[ ... ] la matérialité signifiante de ce qui s'inscrit sur la page constitue un ensemble de conditions d'exercice avec lesquelles toute lecture doit compose?7. » Cet objet peut être conçu, à l'instar de Richard Saint-Gelais, comme un dispositif. Une telle notion permet de tenir compte à la fois de cette «matérialité signifiante» du texte qui exige des efforts d'adaptation de la part du lecteur, et de l'interprétation, qui demeure le mode par lequel le lecteur s'approprie le texte. Donc, «[ ... ] le texte est un dispositif [ ... ] en tant que ses configurations requièrent, pour qu'il signifie, une gamme d'opérations lecturales28. » On

l'aura compris, la position de Saint-Gelais pondère à la fois la production et la réception, en évitant à tout prix de situer le sens dans l'un ou l'autre de ces deux pôles.

Penser le texte comme dispositif, c'est admettre que 'son' sens est le résultat d'une interaction des pratiques qui s'y croisent: il ne s'agit plus dès lors de rapporter ce sens à une origine, mais plutôt à des conditions hétérogènes d'élaboration, à la fois scripturales et lecturales [ ...

f9.

Le texte est bien un point nodal, un carrefour où se croisent diverses pratiques. Dans l'acte de lecture, le texte n'est pas totalement occulté par l'interprétation du lecteur - c'est en cela que Saint-Gelais s'oppose à Fish : « [ ... ] on refuse [ ... ] de soutenir comme Fish (1980) que les lectures trouvent leur validation uniquement dans les stratégies interprétatives qui les régissent [ ... ]30 ». En fait, au niveau micro-structurel où se situent

les analyses de Châteaux de pages, le critère d'autorité interprétative est ce que Saint-Gelais appelle la rentabilité de l'activité lecturale. Le lecteur ne peut déterminer si une interpolation lecturale est rentable sans se rapporter, précisément, au texte.

L'intérêt de la notion de rentabilité tient à ce qu'elle permet de rendre compte de la multiplicité des avenues de lecture possibles face à un texte, sans que cette multiplicité soit pour autant rapportée à l'arbitraire du

(19)

lecteur ou encore à un relativisme qui mettrait toutes les lectures sur le

~ . d31

memeple .

En définitive, « [l]e texte est une instance qui est à la fois travaillée par ses lectures et travaille celles-ci en retour en mettant en place des conditions d'exercice qui détermineront en partie leurs rentabilités respectives32. » Aller-retour dynamique, voire

dialt:ctique entre lecteur et texte. Saint-Gelais nuance le primat du texte que l'on sentait chez Eco et Iser, sans pour autant accorder à l'interprétation une autorité absolue, créatrice du texte dans son fond et sa forme. Justement à propos de la forme, la position médiane de Saint-Gelais est particulièrement probante: «[ ... ] les réseaux [formels] apparaissent dès lors, ni comme détectés par un lecteur [ ... ], ni comme forgés par un lecttmr, mais plutôt comme co-produits par l'interaction des dispositifs et des processus de lecture33. »

II. LE LECTEUR

Nous avons vu que les représentations du texte proposées par les théoriciens de la lecture peuvent porter des traces de l'héritage structuraliste, tout comme elles peuvent subordonner le texte à une herméneutique totalisante du sujet. Nous adhérons à la conception hybride de dispositif, laquelle nous permettra de nous attarder sur des propriétés formelles des textes, mais toujours à la lumière des pratiques de lecture que ceux-ci conditionnent et qui, réciproquement, les travaillent. À présent, penchons-nous sur le second pôle de l'acte de lecture: le lecteur. Deux questions orienteront notre recherche: d'une part, qui est le lecteur? Où et comment le situer? Et d'autre part, les compétences et la situation du lecteur peuvent-elles avoir une incidence sur la lecture?

a) Des lecteurs dans le texte

Au tout début de The Act of Reading, Wolfgang Iser postule une division dans le champ de recherche sur la lecture: « [ ... ] two categories emerge, in accordance with whether the critic is concerned with the history of responses or the potential effect of the literary text. In the first instance, we have the 'real' reader [ ... ]; in the second, we have the 'hypothetical' reader [ ... ]34 ». Donc, le lecteur empirique est relégué d'office aux

approches socio-historiques à la Jauss. Iser poursuit en effectuant un bref survol des différents «concepts heuristiques» de lecteurs hypothétiques: «[ ... ] there is the superreader (R ifJa terre), the informed reader (Fish), and the intended reader (Wolf)

(20)

[ ... ]35 ». Il déclare que ces positions sont intenables pour définir, ipso facto, son « implied reader ».

He embodies al! those predispositions necessary for a literary work to exercise its effect [. . .]. Consequently, the implied reader as a concept has his roots firmly planted in the structure of the text; he is a construct and in no way to be identified with any real reader36.

Ce lecteur n'est ni plus ni moins qu'une configuration textuelle: « [ ... ] a textual structure anticipating the presence of a recipient without necessarily defining him [ ... ]37 », « a

network of response-inviting structures38 ». Le lecteur empirique est, quant à lui, libre de suivre ou non cette préfiguration textuelle; « [ ... ] a particular kind of tension is produced by the real reader when he accepts [this] role39• » Bref, le lecteur implicite posé par Iser est un concept abstrait, subsumé au texte, et qui ne tient compte ni des compétences du

lecteur empirique, ni de ses intentions pratiques. «[11he implied reader is a

transcendental model which makes it possible for the structured effects of literary texts to be describecl'°. » Pourtant on constate, chez Iser, un glissement vers le lecteur réel, visible justement dans sa définition de la lecture: « [ ... ] the process whereby textual structures are transmuted through ideational activities into personal experiences [ ...

t

1 » - nous y reviendrons.

Sur la question du lecteur, la position d'Umberto Eco est, au départ, semblable à

celle d'Iser: «[ ... ] les aventures [des] lecteurs empiriques représentent peu d'intérêt pour notre optique [ ...

t

2 ». Son modèle repose sur un concept de lecteur dans le texte, appelé

Lecteur Modèle et défini comme suit: « [ ... ] un ensemble de conditions de succès ou de

bonheur [ ... ], établies textuellement, qui doivent être satisfaites pour qu'un texte soit pleinement actualisé dans son contenu potentiel43. » Eco insiste sur le fait que le Lecteur Modèle est une prévision, et même une construction de l'auteur. Par exemple, Jans Finnegans Wake, Joyce « [ ... ] construit [son Lecteur Modèle] en choisissant les degrés de difficultés linguistiques, la richesse des références [ ... ]44 ». La figure auctorielle n'est donc pas évacuée dans la sémiologie d'Eco. Ce dernier semble même postuler une curieuse spécularité entre la production et la réception, entre la genèse et l'interprétation du texte. C'est une chose de dire que « [ ... ] le sort interprétatif [du texte] doit faire partie de son propre mécanisme génératif [ ... ] ». Ceci renvoie au primat du texte précédemment évoqué. Mais quant Eco écrit que l'auteur prévoit un Lecteur Modèle « [ ... ] capable aussi

(21)

d'agir inteprétativement comme lui a agi générativement [ .. .

t

S », la symétrie paraît absconse. On n'a qu'à rappeler la question classique: comment savoir ce qu'un auteur prévoit? Peut-on être certain du type de lecteur idéal auquel l'auteur aurait pensé? Et que dire des lecteurs empiriques qui n'agissent pas comme l'auteur l'aurait prévu? Il nous paraît beaucoup moins hasardeux de parler, comme Saint-Gelais, du dispositif textuel et de ce qu'il« [ ... ] [ouvre] comme espace de lecture46. »

Cela dit, Umberto Eco reste le penseur qui théorise les compétences du lecteur (Modèle) de la façon la plus exhaustive et systématique. Bien que son schéma de la coopération interprétative porte davantage sur les modalités d'actualisation du contenu textuel, au chapitre intitulé «Niveaux de coopération textuelle », il fait l'inventaire de tout ce qui, dans l'esprit du lecteur, peut être mis à l'œuvre au contact d'un texte. Les connaissances encyclopédiques comprennent le «dictionnaire de base », les «règles de co-référence », les «sélections contextuelles et circonstancielles », les «scénarios communs et intertextuels» et l' «hypercodage idéologique »; s'y ajoutent ce que le lecteur connaît des «circonstances d'énonciation» du texte en particulier47• Pourtant,

dans les mises en application d'Eco, il est parfois difficile de savoir de quel lecteur il s'agit vraiment. Le Lecteur Modèle, censé dénoter une propriété textuelle intrinsèque, est parfois décrit comme le comportement d'un lecteur empirique zélé. Ce n'est guère plus clair quand Eco évoque «le lecteur48» (sans majuscules) et tient compte du «lecteur naït9» ou encore d'un certain «lecteur raisonnabléo ». Somme toute, on sent, dans le Lector in fabula, un passage d'une sémiotique lecturale immanente à un modèle de lecture idéaliste, voire prescriptif. De fait, le lecteur dans le texte, qu'il soit implicite ou Modèle, n'est-il jamais qu'une conjecture de l'analyste? N'est-ce pas fatalement à partir de notre interprétation du texte que nous tentons de retrouver son lecteur idéal?

b) Un lecteur bien réel

C'est le genre de réserves qu'émet Bertrand Gervais dans À l'écoute de la lecture, dont le modèle théorique, bien que tributaire de la sémiologie peircéenne, est fondé sur une double critique du Lector in fabula. Tout d'abord, Gervais remet en question les «poétiques de la lecture» : ces méthodes qui, comme nous espérons l'avoir montré d'Iser à Eco, «[ ... ] associent et subordonnent l'acte de lecture à la production du texteS). »

(22)

d'un véritable échange en son unique préfiguration dans le texte52. » En effet, nous

l'avons vu, les lecteurs implicite et Modèle ne sont que des constructions textuelles. [ ... ] [L]a notion de lecteur implicite de Iser est présentée comme un pis-aller, une solution temporaire dont le seul mérite est de faciliter la compréhension des nombreux facteurs participant à la lecture d'une œuvre. [ ... ] De la même façon, le Lecteur Modèle d'Eco est la représentation des savoirs requis pour la coopération textuelle. L'emploi du terme 'lecteur' dans les deux cas semble n'être qu'une stratégie pédagogique53.

Une stratégie, certes, qui n'est pas sans favoriser une assimilation subreptice de ces concepts au lecteur empirique. C'est ce que Bertrand Gervais appelle les « hypostasies du lecteur-dans-Ie-texte ». Nous sommes d'avis, comme lui, qu'au mieux, ces approches « [ ... ] ouvrent la voie à une sémiotique peut-être améliorée [ ... ] »parce que plus souple, et dont l'objectif principal, rappelons-le, est« [ ... ] de définir l'acte de lecture selon l'idéal représenté dans le texte54.» Autour de cette idéalisation de la lecture s'élabore le deuxième pan de la critique d'Eco par Gervais. Selon ce dernier, le Lecteur Modèle n'est tout simplement pas une notion opératoire, puisque « [c]' est un idéal de lecture plutôt qu'un acte de lecture, une lecture optimale et non réaliste55• »Même sous la plume d'Iser,

on retrouve une idée semblable: « [ ... ] [the ideal reader] wauld have ta be able ta realize in full the meaning patential af the fictianal text [ ... ] [but] haw can ane persan at ane ga encampass ail the passible meanings56?» Une telle position présuppose en fait un postulat que nous admettons volontiers: une théorie de la lecture devrait pouvoir décrire de façon réaliste l'acte lectural dans ce qu'il a de concret et, nous le verrons, d'irrégulier, de variable. Si le« [ ... ] modèle de la coopération interprétative d'Umberto Eco repose sur l'exhaustivité des inférences chez son Lecteur Modèle [ ... ]57 », le modèle de Gervais, lui,

se base sur un lecteur bien réel qui «[ ... ] n'est pas une machine à produire des inférences58. » Il aborde le texte avec une ambition, une idée, une attitude préalable qui

lui est propre et qui orientera sa pratique lecturale. La lecture dépend de cette décision préliminaire éminemment personnelle, que Gervais appelle un mandat.

Lire, c'est toujours remplir un mandat, qu'il soit explicite, répondant aux demandes d'une communauté ou d'une institution, ou implicite, constitué de cet ensemble de pratiques [individuelles] bien assimilées et rodées qui passe pour une lecture première59.

(23)

C'est bien au lecteur empirique de décider s'il va passer rapidement au travers du texte ou s'il va l'analyser en profondeur. Nous verrons que l'acte de lecture varie entre ces deux extrêmes.

c) Des communautés de lecteurs

Maintenant que nous avons opéré le transfert d'un lecteur dans le texte à un lecteur empirique, et que nous avons montré que chaque lecteur empirique est libre d'appréhender le texte selon ses propres mandats, tombons-nous dans un relativisme total? Puisqu'il y a une infinité de lecteurs et une infinité de textes, sommes-nous pris entre un discours idéaliste généralisateur et des cas singuliers anodins? Réponse: non. «An Infinite plurality of meanings would be a fear only

if

sentences existed in a state in which they were not already embedded in [ ... ]60. »Comme le fait remarquer Stanley Fish, la lecture n'est pas la simple rencontre d'un texte et d'un lecteur solipsiste. Elle est un fait nécessairement circonstanciel et contextuel puisque le contact lecteur/texte s'effectue au sein de ce que Fish appelle une communauté interprétative. «lnterpretive communities are made up of those who share not for reading (in the conventional sense) but for writing texts, for constituting their properties and assigning their intentions61• » Et Fish

de rajouter plus loin: «rather than acting on their own, interpreters act as extensions of an institutional community, [and therefore] solipsism and relativism are removed asfears because they are not possible modes of beinl2. » Le lecteur n'est jamais seu163. Il fait,

consciemment ou non, partie d'une communauté interprétative qui engendre la doxa ainsi que toute une série de présuppositions, transmises par les institutions, et partagées par le lectorat d'une période et d'un lieu donnés. On comprend donc pourquoi l'auteur de Is There a Text in This Class? annonce, dès les premières pages de son ouvrage: «[ ... ] meanings and texts [ ... ] are not subjective because they do not proceed from an isolated individual but from a public and conventional point of view64. »

De fait, les communautés interprétatives déterminent doublement l'acte de lecture. En amont, elle dictent comment lire en procurant aux lecteurs des «stratégies interprétatives ». D'où une uniformité de 1'interprétation au sein d'une même communauté: «[t]he same reader will perform differently when reading two 'different' [ ... ] texts; and different readers will perform similarily when reading the 'sarne' [ ... ] text

(24)

répond aux formalistes et aux New Critics qui cherchaient des propriétés littéraires inhérentes aux textes) : «[l]iterature, l argue, is a conventional category. What will, at any time, be recognized as literature is a function of a communal decision [ ... ]66 ». En aval cette fois, les communautés interprétatives sont à l'origine des paramètres en fonction desquels la lecture est évaluée. Elles jouent donc sur la façon dont on s'attend à ce qu'un texte soit lu, sur les résultats lecturaux anticipés. « [T]he shape of [reading] [ ... ] is determined by the literary institution which at any one time will authorize only a finite number of interpretive strategies67. »

Donc, quand Fish pose les questions: «[w]ho is the reader? How can l presume to deseribe his experiences, and what do l say to readers who report that they do not have the experiences l deseribi8? », on peut répondre que le lecteur est un sujet déterminé par la communauté interprétative à laquelle il appartient. Si un autre lecteur a des habitudes d'interprétation divergentes, c'est simplement qu'il fait partie d'une communauté interprétative différente. Selon Fish, ces groupes sont tout à fait monolithiques. C'est sans nuance aucune qu'il affirme: «[ ... ] members of the same community will necessarily agree [ ... ] »; il écrit plus tard: « [ ... ] [m]y students [ ... ] do it [that is, interpret] in unison [ ... ]69» et parle de leur «interpretative unanimity70 ». Dans un article intitulé «Interpretive Strategies/Strategie Interpretations », Mary Louise Pratt critique ce déterminisme idéaliste: «[ ... ] [ij] every interpretive disagreement is a funetion of people being members of difJerent interpretive eommunities [ ... ] [,] the begged question is what causes disagreement to arise at al! within an interpretive eommunity [ ...

fl

». En définitive, le modèle lectural de Fish ne saurait rendre compte de la singularité des mandats de lecture théorisés par Gervais: «[ c ]ompletely idiosyneratie or 'pers on al ' interpretations are therefore impossible [ ...

f2

».

III. LA LECTURE

Avant la lecture, il y a le texte, dispositif hétéronome pleinement actualisé seulement dans la mesure où il est lu. Il y a le lecteur empirique, qui possède un capital de connaissances, qui appartient à une communauté interprétative et qui aborde le texte avec des mandats qui lui sont propres. Penchons-nous à présent sur le pendant de la lecture: comment définir ce processus en devenir? Dans cette partie qui sera la plus longue de notre développement, nous nous attarderons en détail sur les trois théories fondatrices

(25)

d'Eco, d'Iser et de Fish. Nous examinerons ensuite les ouvrages de Gervais et de Saint-Gelais, qui reprennent ces modèles, les nuancent et tentent de les améliorer.

a) L:a lecture comme coopération interprétative

Nous l'avons vu plus tôt, Umberto Eco parle du lecteur en tant que destinataire. Ce terme renvoie au schéma de la communication, auquel on pourrait faire correspondre l'acte de lecture. Mais en fait, même si on peut parler de la « capacité communicative» du texte, cette communication est différée parce que « [ ... ] la compétence du destinataire n'est pas nécessairement celle de l'émetteur73. » Eco préférera donc concevoir la lecture en tant qu'activité de nature sémiotique: «[ ... ] il n'y a jamais de communication linguistique, au sens strict du terme, mais bien une activité sémiotique au sens large, où plusieurs systèmes de signes se complètent l'un l'autre74• » Il ne s'agit pas d'une saisie

passive d'un message textuel, mais bien d'un déchiffrement, d'un décryptage d'informations complété par un travail actif d'actualisation à partir de données fragmentaires. Cela dit, même le terme « sémiotique» demeure assez vague. Dans Lector, en l'occurrence, Eco se base sur le modèle sémiotique de Peirce, qui s'oppose au binarisme saussurien en proposant un concept de signe ternaire. Aussi, le travail sur le signifiant ne donne-t-il pas un accès direct au signifié, mais à l'interprétant: «[ ... ] l'idée à laquelle le signe donne naissance dans l'esprit de l'interprète [ ... ]75 ». Or cet

interprétant, lorsqu'il est interprété, devient lui-même un signe de plein droit, donnant du coup naissance à un autre interprétant, et ainsi de suite. C'est l'idée peircéenne de sémiosis illimitée: cascade de signes qui n'est pas sans rappeler le flux infini de significations dans les théories poststructuralistes. Dans le cadre de la lecture, c'est l'univers du discours, ou «[ ... ] le format ad hoc que nous devons faire prendre à l'encyclopédie potentielle [ ... ] pour pouvoir l'utiliser [ ...

f6

», qui permet de circonscrire et de stopper la chaîne des interprétants.

Par ailleurs, nous avons vu qu'Eco définit le texte comme une «machine présuppositionnelle ». Lire, c'est donc aussi trouver les présupposés du texte, et ce, à

coup d'inférences. Reformulons: la lecture est une activité sémiotique qui prend la forme d'un travail inférenciel. L'entreprise d'Eco consiste à définir les modalités de ce travail, appelé «coopération interprétative» à cinq niveaux. (La notion de niveau, héritée des stratifications textuelles des structuralistes, est donc toujours présente et opératoire ici.) À

(26)

chacun de ces nIveaux, « [ ... ] la compréhension textuelle est [ ... ] dominée par l'application de scénarios pertinents [ ... ]77 », « [ ... ] un scénario [étant] toujours un texte virtuel ou une histoire condensée78. » Ainsi, le travaillectural individuel s'ouvre sur les communautés et les cultures puisque lesdits scénarios sont « communs» ou

« intertextuels 79 ». Ils sont des outils interprétatifs partagés par un lectorat, des lieux communs, des topoi narratifs - à bien des égards, entre la sémiologie d'Eco et la nouvelle rhétorique, il n'y a qu'un pas. Nous résumerons donc ici les cinq niveaux de la coopération textuelle8o.

i) Tout d'abord, il y a ce qu'Eco nomme l'actualisation des structures discursives. Il s'agit de la lecture au niveau des micro-structures linguistiques: les mots, la phrase. On distingue deux étapes ici. Premièrement, il y a la construction du topic : « [ ... ] un schéma hypothétique proposé par le lecteur [ ... ]81» comme réponse à la question« de quoi parle-t-on? ». Pour répondre à cette question, il faut avoir recours à un certain nombre de scénarios applicables. Deuxièmement, «[l]a détermination du topic permet une série d'amalgames sémantiques qui déterminent un niveau donné de sens ou isotopie82.»

L'isotopie est la « constance d'un parcours de sens83 » établie grâce aux topics. Apparaît ici l'idée centrale de la lecture comme une construction de cohérence. Nous aurons l'occasion d'y revenir à plusieurs reprises.

ii) « [A ]près avoir actualisé les structures discursives, à travers une série de mouvements synthétiques, on en arrive à fonnuler les macropropositions narratives84. » Au-delà de la phrase, nous arrivons au niveau de « l'histoire », ce qui correspond à l'identification de la fabula: « une isotopie narrative85 ». « La fabula, c'est le schéma fondamental de la narration, la logique des actions et la syntaxe des personnages, le cours des événements ordonné temporellement86. » (À noter encore les résonances formalistes des expressions comme« syntaxe des personnages ».)

iii) La lecture est un processus en devenir. Il arrive que le lecteur ne se contente pas simplement de suivre le texte dans son déploiement linéaire. Bien souvent, il tente de prédire son développement ultérieur. Eco rend compte de ce mouvement d'anticipation avec son troisième niveau: les prévisions et les promenades inférencielles. Celles-ci sont « des suppositions relatives à la 'suite' de la fabula87 », des « échappées hors du texte88 »,

(27)

l'abduction [ ... ]» alors que les nIveaux d'actualisation précédents « [ ... ] [n'engendraient] pas l'expectative mais la sécurité [ ... ]89 ». Les prévisions, elles, ne se rapportent pas à l 'histoire mais à la « préfiguration des mondes possibles9o », ce qui nous amène au niveau suivant: l'actualisation des structures des mondes.

iv) Ici, Eco s'engage dans un long exposé sur la théorie des mondes possibles, et nous nous permettrons de dire qu'on quitte provisoirement la théorie de la lecture pour tomber dans le domaine des opérations logiques. En gros, il s'agit de voir ce qu'un lecteur peut prédire, imaginer ou prévoir, et à partir de quelles informations textuelles. «Construire un monde, cela signifie assigner des propriétés données à un individu donné91 .» Un monde possible est à la fois «[ ... ] un ensemble d'individus pourvus de propriétés [ ... ]92 », «un cours d'événements» et «une construction culturelle93 ». Eco distingue différents mondes: «[ ... ] [le] monde narratif (Wn), le monde de référence (Wo), le monde des attitudes propositionnelles des personnages (Wnc) et le monde possible imaginé du lecteur empirique (Wr)94.» Il tente de définir les relations qui peuvent se tisser entre eux.

v) Enfin, le dernier niveau de la coopération interprétative est l'actualisation des structures actancielles et idéologiques, «[ ... ] macropropositions encore plus abstraites que les macropropositions narratives95. » Les structures actanclelles sont les relations que le lecteur est susceptible d'attribuer aux personnages, selon leur interaction. Les structures idéologiques, quant à elles, sont « [ ... ] des connotations axiologiques [ ... ] associées à des pôles actanciels inscrits dans le texte96. »Ce cinquième niveau amène Eco à s'interroger sur la notion d'interprétation, qu'il définit comme suit: «[p]ar interprétation, on entend [ ... ] l'actualisation sémantique de tout ce que le texte, en tant que stratégie, veut dire à travers la coopération de son Lecteur Modèle97. » Bien sûr, le critère de validation herméneutique n'est pas la volonté de l'auteur mais bien le texte et son potentiel sémantique - position conforme, encore une fois, aux approches

structurales. Par exemple, «[ ... ] la lecture freudienne [d'Œdipe roi] constitue une

opération légitime de coopération textuelle [car] elle actualise ce qu'il y a dans le texte [ ... ]98 ». Plus récemment, dans Interpretation and Overinterpretation, Eco réitère la définition de l'interprétation proposée dans Lector : « [ ... ] [interpretation is] what the text says by virtue of ils textual coherence and original underlying signification

(28)

system [ ... ]99 ». La sur-interprétation, elle, témoigne d'un trop grand engagement du

lecteur : « [ ... ] [overinterpretation is] what the addressees [find] in [the text] by virtue of their own systems of expectationslOO.» Point de vue, en somme, certainement conservateur par rapport à la position d'un Stanley Fish, selon lequel le lecteur ne peut faire autrement qu'aborder une œuvre par le truchement de ses «systèmes d'attentes ». Point de vue qui confirme une de nos premières impressions du modèle lectural d'Umberto Eco: il ne remet pas en question le primat du texte.

Bref, le schéma de la coopération interprétative demeure tributaire de certains postulats du structuralisme. Il s'agit sans aucun doute de la plus systématique et la plus exhaustive des théories lecturales. D'ailleurs, Eco lui-même finit par nuancer la rigidité de ses cinq niveaux en déclarant «[ ... ] improbable une représentation théorique des niveaux profonds de coopération en séquence linéaire101• »

b) La lecture comme effet esthétique

Wolfgang Iser justifie d'entrée de jeu l'emploi du terme «esthétique» en posant que toute œuvre littéraire possède deux pôles: « [ ... ] the artistic pole is the author 's text, and the aesthetic is the realization accomplished by the readerlOZ• » Sa phénoménologie

de la lecture, ou «esthétique de l'effet» repose sur un postulat de base: la lecture est un acte de communication, et cette communication est alimentée par le caractère fragmentaire du texte littéraire. «[ 1]t is the gaps [ ... ] [in the text] that give rise to communication in the reading process [ ... ]103 ». Tout comme Eco, Iser remarque que

cette communication est médiatisée, différée, puisque texte et lecteur ne partagent pas de «code en commun », d'où «l'asymétrie fondamentale entre les deux104 ». La théorie lecturale d'Iser comporte une étude détaillée de ces «gaps », ces vides du texte, lieux de l'implicite qui sont en fait de deux ordres. Tout d'abord, il y a les blancs: « [ ... ] blanks refer to suspended connectability in the text [ ... ] 105 ». Phénomène purement structurel, ces absences de lien explicite sont comblées par le travail imaginatif du lecteur: «[ ... ] the blank [ ... ] induces and guides the reader's constitutive activit/06• » Le second type

de vide est la négation, cette fois un phénomène de fond. « The various types of negation invoke familiar and determinate elements or knowledge only to cancel them out107. » Le

texte est donc une «machine paresseuse» qui ne dit pas tout, mais aussi une machine imprévisible qui peut se contredire.

(29)

La lecture, quant à elle, tente de colmater les indéterminations et de masquer les contradictions textuelles. Elle est donc bien la construction d'une cohérence - Iser emploiera l'expression «consistency buildingl08 ». Cette assimilation «rationalisante» du texte rejoint une notion centrale dans la théorie iserienne de l'effet: ce que l'auteur nomme «gestalt» et définit comme la «signification configurée109 », «l'autocorrelation des signes textuelsl1O» ou encore «l'interprétation cohérentell1 » du texte. De toute évidence, « gestalt» se réfère à la synthèse lecturale du donné textuel, laquelle s'effectuerait notamment sur le mode visuel. «The 'picturing' that is done by our imagination is [ ... ] one of the activities through which we form the 'gestalt' of a literary textI12.» Cette image mentale n'est pas sans rappeler le rôle intermédiaire de l'interprétant dans la sémiologie d'Eco: « [t]he image [ ... ] ris a] middle term between the brute presence where the object is experienced and the thought where il becomes idea [ ... ]113 ».

Si lire c'est se faire des images mentales et synthétiques des éléments du texte, c'est aussi agir sur le texte de façon trans-linéaire. Dans The Implied Reader, Iser propose une définition de ces mouvements lecturaux à laquelle tous les théoriciens de la lecture adhèrent: «[ ... ] [reading] is an active interweaving of anticipation and retrospection

[ ... ]114». Eco, nous l'avons vu, insiste sur le pan prévisionnel de la lecture en décrivant en détail les démarches inférencielles et spéculatives d'un lecteur qui se demande sans cesse quelle sera la fabula du texte, quels seront ses mondes possibles. Cependant, il ne s'attarde pas autant, du moins explicitement, sur la rétrospection lecturale, ce à quoi Iser répond: « [ ... ] reading does not merely flow forward, but the recalled segments also have a retroactive effect, with the present transforming the pastll5.» Lire, c'est bien constamment revenir sur le déjà lu, sur le déjà compris: « [ ... ] rit] is a dynamic process of self-correction, as [the reader] formulates signifieds which he must then continually modifj;116.» Un des grands mérites d'Iser est de rendre compte avec brio de ce

«kaléidoscope de perspectives 117 » qu'est la lecture, orientée à la fois vers le passé et

l'avenir du texte: « [e ] very sentence contains a preview of the next and forms a kind of 'viewfinder ' for what is to come; and this in turn changes the 'preview' and so becomes a 'viewfinder' for what has been readl18. » Citons encore une formulation éloquente:

(30)

expectations, we are shocked by their nonfulfillment, we question, we muse, we accept, we reject; this is the dynamic process ofrecreation1l9• »

Comment définir alors la position du lecteur au sein de cette activité lecturale incessamment mouvante? Mais tout d'abord, de quel lecteur est-il vraiment question? Nous avons vu plus haut qu'Iser fonde son modèle théorique sur un lecteur dans le texte. Pourtant, dans les définitions de la lecture que nous venons de citer, tout se passe comme si l'auteur décrivait les démarches d'un lecteur réel. (D'autant plus que dans des articles comme « The Reading Process: A Phenomenological Approach» et «Interaction between Text and Reader », Iser parle simplement du «reader », sans spécification.) En fait, comme le signale Jean-Louis Dufays, il y a chez Iser un glissement du lecteur immanent au lecteur transcendant: «[l]e lecteur implicite impose au lecteur empirique une 'mobilité de point de vue' [ ... ]120 ». Lire, c'est donc adopter ce «wandering

viewpoint », lequel représente, après la notion de «gestalt », la deuxième notion capitale dans la phénoménologie lecturale d'Iser.

The wandering viewpoint is a means of describing the way in which the reader is present in the text. This presence is at a point where memory and expectation converge, and the resultant dialectic movement brings about a constant modification of memory and an increasing complexity of

. 121

expectatlOn .

Il s'agit donc là de la situation du lecteur, sans cesse en train d'anticiper, de revenir en arrière et d'expliciter l'implicite du texte. Après chaque opération lecturale, aussi minime soit--elle, de nouvelles perspectives textuelles s'ouvrent et s'éclairent mutuellement:

« [i]n the time-flow of reading, segments of the various perspectives move into focus and take on their actuality by being set-off against preceding segments122. » Au terme de cette

activité dynamique et combinatoire, où les facettes du texte se juxtaposent différemment dans le temps, Iser postule l'émergence d'un «objet esthétique» : « [ ... ] the reader is not simply ca lied upon to 'internalize' the positions given in the text, but he is induced to make them act upon and so transform each other, as a result of which the aesthetic object

b egms to emerge . 123 .»

Cette idée d'une tierce réalité qui naît de l'interaction entre un sujet et une œuvre d'art est typiquement phénoménologique. «A meaning is always present when the data of the world are subjected by us to a 'coherent deformatioll ,124. »Toutefois, selon Iser, c'est

(31)

aussi le sujet lisant qui se trouve transfonné au tenne de l'expérience lecturale:

« [r ]eading is an activity that is guided by the text ; this must be processed by the reader who is then, in turn, affected by what he has processed125. » Transfert cette fois explicite

d'une théorie centrée sur le texte à des considérations sur le lecteur empirique. Celles-ci sont parfois quelque peu naïves : « [ ... ] we often have the impression, when we read, that we are living another lifel26. » Ce thème récurrent de la métamorphose lecturale est presque assimilable à une mystique de la lecture, avec les nombreuses allusions à l'éveil (<< awakening127 »), voire la révélation que cette activité engendre. «[D]uring this process, something happens to us 128. » Or un des corollaires de cette idée qui, cette fois,

nous servira dans nos analyses est le caractère spéculaire et heuristique de la lecture. Iser insiste sur le fait que lire, c'est aussi se voir lire et donc faire un examen critique de sa propre pensée. «The need to decypher gives us a chance to formulate our own deciphering capacity [ ... ] 129 » and « [ ... ] to conduct a creative examination not only of

the text but also of ourselves130• »

c) La lecture comme interprétation

Nous le répétons, Iser et Eco sont, à notre sens, les deux piliers des théories de la lecture. Stanley Fish, quant à lui, propose un modèle nettement moins complexe et approfondi mais qui peut leur servir de contrepoint, d'autant que certaines de ses positions seront reprises par Bertrand Gervais et Richard Saint-Gelais. Sa réflexion part d'une réfutation de la dichotomie lecture heuristique/lecture hennéneutique posée notamment par Michael Riffaterre dans Sémiotique de la poésie: «[ ... ] à l'occasion de [la] première lecture, heuristique, [ ... ] le sens est saisi 131. » «La seconde phase est celle

de la lecture rétroactive; lors de celle-ci se fonne une seconde interprétation que l'on peut définir comme la lecture herméneutique132.» Pour Fish, les présupposés hennéneutiques préexistent même à l'établissement du sens premier. « [There is no such thing as] a two stage procedure in which a reader or hearer first scrutinizes an utterance and then gives il a meaning. » «[1]here is no such point [ ... ] at which determination has not yet been made [ ... ] 133 ». Autrement dit, nous l'aurons compris, « [ ... ] interpretation is

[ ... ] [not] a second-level response [ ... ]; [ ... ] [ail] the reader's activities are

. . 134

Références

Documents relatifs

Trouver l’aire d’un triangle QUELCONQUE lorsque l’on connaît un angle et les DEUX mesures formant cet angle. Angle de 30 o La mesure opposée à un angle de 30 o est égale à

Périmètre Correspond à la longueur de la ligne fermée qui forme la figure (contour). Pensez à un périmètre de sécurité sur une scène de

L'eau est une espèce chimique omniprésente sur Terre et dans l'atmosphère sous ses trois états physiques.. Le cycle de l'eau (ou cycle hydrologique) est un

[r]

SÉQUENCE 1 : LA FIGURE DE LA PROSTITUÉE DANS LE ROMAN DU XIXÈME SIÈCLE, TÉMOIN DE L’ÉVOLUTION DU PERSONNAGE DE ROMAN... SI JE DIS ROMAN,

L'une étant une lecture de l'histoire des personnages, sans un grand effort de décodage des phénomènes à valeur connotative, l'autre serait une lecture métatextuelle - force nous

Ainsi, partant du principe que la lecture est une interaction entre le texte et lecteur, nous décrivons le degré de présence du lecteur et les moyens textuels mis par l’auteur

 Copiez les fichiers S001 S002 S003 dans le dossier dans lequel vous avez enregistré le questionnaire..  Cliquez