ARTheque - STEF - ENS Cachan | Pour un vademecum du médiateur

POUR UN

DU MÉDIATEUR

Frédéric FEU

Musée Vivant du Roman d'Aventures, Jassans-Riottier

MOTSCLÉS: CHOIX DES MÉDIATEURS RÉHUMANISATION DES MUSÉES -IMAGINAIRE - UTILITÉ DES MÉDIAS

RÉSUMÉ: Cet anicle met en évidence le besoin de reconsidérer et d'évaluer les très nombreuses mécaniques de pensée qui idôlatrant les statistiques, le multimédia. la fonction "primoridale" de conservation des musées, d'une vulgarisation "sans erreur" des C.C.S.T. conduisent à déshumaniser les lieux de diffusion du Savoir: quelques expériences et analyses livrées ici pour être avant tout discutées ensemble.

SUMMARY : This anicle puts the stress on the need to reconsider and to evaluate the numerous mecanisms of thought which are idolizing statistics, the multimedia, the essential function to curate the museums, to popularize "without any mistake" the Tecnological abnd Scientific Knowledge.

1. INTRODUCTION

LE MUSÉE VIVANT DU ROMAN D'A VENTURES de Jassans-Riottier, dans l'Ain, a été porteur dès 1996 en Rhône-Alpes d'un projet de vulgarisation du savoir humain intitulé "Les Découvreurs de l'Impossible". Celui-ci développait un concept simple mais qui, pour être correctement effectué, nécessitait l'intervention de véritables spécialistes de l'imaginaire et des différentes formes de présentations de fictions : B.D., cinéma, jeux vidéos, dessins animés ... et bien sûr, romans d'aventures.

Il s'agissait pour nos médiateurs d'utiliser les grandes thématiques inter-générations qui permettent de tenir un discours "d'éclaircissement scientifique", complétant et souvent corrigeant la vulgarisation contenue dans ces récits.

Le public, à travers nos spectacles, conférences, projections, expositions animées et autres performances, découvrait les mythes et réalités autour, par exemple, de l'aventure du Professeur Frankenstein, du Docteur Jekyll, du Capitaine Némo ou encore des héros récurrents de l'archéologie "àla Indiana Jones", pour ne citer ici que de gros phénomènes de mode.

Tous ces travaux furent au départ issus des conceptions instinctives d'un groupe de passionnés autodidactes ... À l'arrivée, nous retrouvons les produits culturels mieux muris d'une équipe renforcée de purs scientifiques, dans le cadre d'un comité constitué de personnes ressources issues de divers CCST, musées et universités. Il est ressorti un certain nombre de remarques, tant de la pan du grand public que des quelques 671 instituteurs et professeurs qui ont fait suivre à leurs classes nos visites - conférences guidées sur l'année scolaire 97-98. Ces remarques furent complétées par celles des membres de notre comité scientifique. Je pense que chacun en a retiré d'importantes infonnations pour son domaine professionnel propre.

Il n'est pas question ici de vous donner les applications pratiques que nous avons tirées des quelques centaines d'obstacles ou d'atouts que nous avons mémorisés. Ce travail fait d'ailleurs actuellement l'objet de la création d'un "vademecum du médiateur" qui est réalisé en termes simples afin d'être utilisé par tous ceux que nous définissons comme "médiateurs".

Je vais le plus simplement du monde vous donner deux ou trois "trucs" qui nous ont fait réfléchir. Plus littéraires que scientifiques peut-être, plus dilettantes qu'universitaires en tous cas, il est souhaitable que mes constats soient critiqués... surtout par ceux qui auront l'envie de nourrir notre réflexion et de nous contacter.

2. LES RÉFÉRENCES DU PUBLIC

ÀSaint-Etienne sous notre chapiteau consacré aux grands voyageurs réels ou imaginaires, je me souviens avoir mesuréàquel point les animateurs qui savaient prendre le temps de voir les émissions de télévision très grand public ("La Marche du Siècle", etc... ), de lire les pages "Culture" de "VSD",

du "Figaro" ou de "Marie-Claire", s'en sortaient mieux que ceux qui occultaient ce genre de sources: les ayant vues et lues moi-même sur le sujet traité, et n'étant pas cette fois là l'un des guides-conférenciers, j'ai suivi discrètement les visites et je me suis rendu compte à quel point le public posait des questions en fonction de telle émission récente sur Christophe Colomb, Haroun Tazieff ou Mars, et en quoiilpeut-être frustrant pour les visiteurs de voir que le guide ignore, méprise peut-être, leurs sources de connaissance principale.

Le pire étant pour moi d'avoir compris que l'on peut "perdre" un tel potentiel d'interactivité pour finalement peu de choses: qu'est-ce qu'une vingtaine d'heures d'attention aux grands medias sur un sujet, si la réussite de centaines d'heures de recherche pour une médiation de qualité est en jeu? (!) ...

3. VADEMECUM

3.1 Savoir créer et gérer la curiosité

Odelle Balandraud, responsable pédagogique duD.V.Métiers du Patrimoine à l'Université Lumière Lyon 2, était un jour restée "plantée" au milieu de notre exposition sur les "Mondes Perdus" et remplissait feuillet sur feuillet... nous n'avions pas remarqué effectivement à quel point les enfants présents (5 ou 6 classes de 10-12 ans d'écoles différentes lisaient tous les cartels que nous avions installés)...

Pour nous, l'animation "vivante" est tellement prioritaire que nous nous servons dans ce domaine d'un texte concis d'une quinzaine de lignes présenté dans un travail infographique qui privilégie les visuels en rapport avec le texte.

Petit contrôle auprès de leur encadrement: les enfants ne répondaient là à aucune consigne particulière dans ce sens.

Ce qui m'intéressa le plus, c'était alors de voir qu'ayant glané par eux-mêmes sans aucune "contrainte scolaire" un savoir minimal dans ces cartels, la visite consécutive s'en est trouvée considérablement enrichie. 11 est bon de voler cette recette au monde du Multimédia... lorsque l'on survole un menu alléchant l'appétit est plus durable: l'attention, la curiosité restent en éveil, car on a mesuré l'étendue du sujet.

L'essentiel est donc bien de ne pas rater le menu... Quel que soit le sujet, une expo doit être au moins visuellement un espace qui décuple la curiosité pratiquement en un seul coup d'oeil. Penser que l'on peut créer un lieu où devront évoluer des animateurs, sans réfléchir en profondeur à cela me parait être un très mauvais calcul: plus le public est motivé, plus le public est motivant...

Ce qui est valable dans une classe primaire, dans un coùrs de faculté, grâce à l'ingéniosité de certains enseignants qui savent rendre magiques leurs élèves que les autres professeurs voient apathiques et incultes, l'est aussi dans un CCST ou un musée...

Séduire efficacement le public est vital pour la méd'iation il ne s'agit donc pas de transformer un sujet en spectacle farfelu, en expo d'art plastique dénué de texte, ou en panneaux indigestes, superbes performances infographiques.

n

Trop de lieux ont laissé ce concept jaunir sur la page d'un projet depuis longtemps oublié et nous contactent aujourd'hui pour remettre de l'humain dans ce qui n'en n'a plus.

3.2 Comédiens ou scientifiques : qui engager comme médiateurs ?

Ma principale expérience se situe dans le cadre des musées dans lequel je crois avoir remarqué une choses dont je ne sais pas si elle est vérifiable et peut-être même vérifiée... Plus la technologie applicable aux casques sans fil s'améliore plus les lieux s'équipent. .. moins j'entends dire par le public que "c'est formidable !". Il me semble même qu'il y a pour cenains sujets et dans certains lieux que je ne peux bien sûr pas citer ici une chute inavouée de leur utilisation et le retour discret a plus de vrais humains souriants.

Bien sûr un fabricant pourrait objecter qu'il en vend plus qu'avant mais les institutions qui financent les lieux permanents y voient encore,àraison, un investissement vile rentabilisé (les êtres humains ayant une insupponable tendanceà voir plus que le SMIC dans le cadre de vrais C.D.I..

Passonsà ceux qui veulent bien admettre les divers aspects contraignants sur le plan financier de l'homo sapiens sapiens et qui tombent dans le casse-tête du choix du médiateur. Que sera-t-il? Un comédien appliquéàdévider un discours scientifique et qui y trouvera bientôt autant de plaisirà communiquer que si on l'avait planté en tête de gondole du rayon charcuterie habillé en d'Anagnan de promotion? Une sur-diplomée étudiante en archéologie ou histoire naturelle qui pour des raisons personnelles n'a jamais pu accéderàde vrais chantiers de fouilles et qui ne revit qu'en penumant de 5000 parenthèses très doctes des personnes en retraite qui, elles, reviennent de Grèce ou de Guyanne. Je n'ai pas de solution très pratique ... ou tout cas pas de modelisable. Pour ma pan, je fais une véritable chasse à l'homme traquant au cours d'innombrables essais rémunérés (de vrais essais, quoi!) ,les étudiants lU.F.M. qui ne savent pas que ce métier existe et qui pourraient y trouver un credo qu'ils n'ont pas vraiment pour l'ensemble des aspects du monde scolaire, soit les jeunes mères de falmille qui ont fait de brillantes études dans un domaine scientifique, savent ce qu'est un enfant et reprennent plus muries le flambeau en renoncant cette fois-ci à se faire engager comme physicien des matériaux alors qu'elle expliquent très bien divers aspects de ce savoir.

En fait la recette est pour mon travail est de ne pas se dire que ceux qui semblent exceptionnels le sont vraiment... nous savons tous que notre situation, nos manies, nos qualités, nos défauts, sont modellisables par les sociologues.

Les médiateurs potentiels existent: il n'y a pas que les musées miniers pour disposer d'anciens, recyclés, qui font revivre un patrimoine. J'aimerais croiser des anciennes du SAMU dans les musées de medecine, des inventeur de vraies inventions (concours Lépine et tout et tout) aux côtés des responsables d'un musée de sciences ... Je voudrais redonner les muséums aux passionnés de voyages (sous un controle scientifique, bien sûr) avant dec les mettre à disposition de plasticiens ou de conteurs. Cenains penseront que je suis en train de marcher sur mes propres plates-bandes... c'est une erreur: tout notre travail consiste actuellementà mettre en place ce qui s'est perdu.Dejeunes philosophes, pour célèbrer tous les aspects du savoir, doivent compléter les scientifiques sur les lieux

mêmes de l'Aventure humaine. Notre équipe très hétéroclite rend compte de tous ces aspects et tente d'affiner les choses dans ce sens.

3.3 Sciences·Frictions

Au commencement était l'adverbe... ou plutôt tous ces adverbes que le monde scientifique nous reprochait "nous ne savons absolument rien sur la couleur de peau des dinosaures; Heinrich Schliemann a scandaleusement méprisé les techiques précises de stratigraphie ... " . Nous intervenions sensiblement sur la vérité en spectaclisant notre discours: honte à nous. Puis, j'ai commencé à faire intervenir dans mes expos-spectac\es de véritables scientifiques et alors là, très vite, j'ai eu les nerfs à vif. ..

Ne participent désormais à notre comité scientifique que ceux qui sont capables d'admettre cela: les films, les romans d'aventures, les poèmes, les chansons ... font partie du domaine de la création et de ('imaginaire, ils sont une inépuisable mine de comparaison de références, d'anecdotes utilisables par la médiation. Mais pas n'impol1e comment!

11 est scandaleux d'entendre dire que Jules Verne a le premier imaginé les sous-marins, que Indiana Jones n'est pas un vrai archéologue, que les Tortues Ninjas c'est n'importe quoi, que le baron Frankeinstein a produit un monstre hideux. Parce que le scientifique a besoin d'étayer son discours, ses références sont le plus souvent fausses, ethnocentriques et irrespectueuses pour les créateurs. De plus le public qui bien souvent a connu les mêmes références est induit en erreur tant sur l'imaginaire que sur le domaine scientifique traité.

Une référence à la fiction se travaille avec le même soin qu'un schéma ou une manipulation. 11 existe un savoir et une histoire de l'Imaginaire qui méritent autant de rigueur que la conservation des espèces.

4. CONCLUSION

En guise de conclusion sur ces quelques points: "c'est peut-être un détail pour vous, mais pour nous ça veut dire beaucoup(!)" ...

Ce que j'ai à proposerà ceux que ces quelques remarques auront "titillé", c'est de nous joindre, de nous retrouver pour apporter leur contribution à ce fameux "vademecum" qui nous tient tant à cœur. 11 me semble en effet qu'il peut être bon de fournir au moins une base commune à tous ceux qui ont le besoin ou l'envie d'être enseignants, guides, conférenciers, animateÜrs ou d'avoir n'importe quelle autre fonction qui nécessite d'être véritablement médiateurs, c'est-à-dire de regarder tant vers le savoir à diffuser et ceux qui le créent et le rassemblent, que vers le public, celui qui va le recevoir, le comprendre et si possible en retirer autant de plaisir que de savoir.

Ce"vademecum" ne serait-il qu'un agréable moment de lecture pour tous ceux qu'il peut concerner, il aurait tout de même réussi l'une de ses fonctions principales: contribuerà promouvoir et à préserver

l'envie de communiquer sans intermédiaire technique entre humains, une sone de garde-fou contre l'informatisation et la multi-médiatisation à outrance.

À l'heure où je rédige ces lignes, je viens d'entendre un conservateur baser ses objectifs quasiment sur la seule lecture de l'enquête du Ministère de la Culture sur les pratiques culturelles des français: ce qu'il a ressenti de différent dans ses proptes expériences avec les résultats publics, a pour l'heure fondu comme neige au soleil. .. j'avoue que j'en ai froid dans le dos(!) .