ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE
À
L'ÉCOLE
ÉLÉMENTAIRE ET PRATIQUES SOCIALES
DE RÉFÉRENCE :
FORMER DES MAÎTRES "DIRECTEURS DE RECHERCHE"
Joël BISAULT
LU.F.M. de l'Académie d'Amiens
MOTS-CLÉS: APPRENTISSAGE SCIENTIFIQUE - COMMUNICATION SCIENTIFIQUE-RECHERCHE - CONGRÈS - ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE
RÉSUMÉ: Le "congrès des jeunes chercheurs" organiséà Beauvais en mai 1997 a réuni 250 élèves de l'école élémentaire qui ont communiqué les résultats de leurs recherches menées durant l'année scolaire sur le thème "l'eau et l'homme". Nous présentons un premier bilan de cette opération; la mise en ûuvre d'une "recherche scientifique" scolaire a profondément modifié le rôle des instituteurs devenus à la fois des enseignants et des "directeurs de recherche",
SUMMARY : 250 primary school pupils have taken part in the "Young Scientists' Congress" organised in Beauvais in May 1997. The "young scientists" have communicated the results of their research developped durÎng the school year on the theme "Water and Men". A first analysis of this project is presenled here; this "scientific research", carried out at school, lias completly changed the role of the teachers who have become at the same rime teachers as weil as "laboratory directors".
A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Acies JIES XX, 1998
1. INTRODUCTION
L'opération "congrès des jeunes chercheurs" menée dans le département de l'Oise en 1996 - 1997 a conduit à des activités scolaires inspirées des pratiques de recherche des scientifiques (Bisault, 1997). L'aspect social du fonctionnement de la science a été transposé par l'organisation d'un congrès permettant une communication scientifique entre 250 élèves de l'école élémentaire. Nous présentons ici un premier bilan de cette action: les témoignages des "jeunes chercheurs" et de leurs maîtres montrent ce que peut apporter cette approche de l'enseignement scientifique; ils révèlent aussi des difficultés spécifiques pour les enseignants et donc de nouveaux besoins en formation.
2. ORGANISER UN CONGRÈS SCIENTIFIQUE POUR DES ÉLÈVES DE L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE
Les fondements théoriques de cette action ont déjà été présentés lors d'une précédente communication (Bisault, 1997) ; nous en rappelons ici les éléments essentiels. Notre intention était de faire vivre à des élèves la construction sociale des savoirs scientifiques en les faisant participeràune recherche et à la communication des résultats de cette recherche. 11 s'agissait aussi de promouvoir l'enseignement des sciences à l'école élémentaire (Bisault, 1996) et de donner une dimension citoyenne à cet enseignement, dans la lignée des travaux de Gérard Fourez : "Les énoncés scientifiques sont produits par et pour des humains" (Fourez, 1988, 1997).
Deux aspects différents de la recherche scientifique ont été pris en compte dans cette action pédagogique: le travail de "laboratoire" transposé sous forme de recherche menée dans chaque classe et la communication entre scientifiques transposée sous la forme d'un "congrès" comprenant conférences, ateliers, tables rondes et conduisant à la publication d'actes. Ainsi conçue, cette action devait permettre une articulation entre les apprentissages scientifique et langagier en plaçant résolument les élèves en situation d'acteurs de leurs apprentissages.
3. LE DISPOSITIF CONGRÈS
Le "congrès des jeunes chercheurs" a été organisé par l'l.U.F.M. de l'Académie d'Amiens et l'Inspection académique de l'Oise. Après constitution d'un "comité scientifique", un appel à contributions sur le thème "l'eau et l'homme" a été proposé àl'ensemble des classes de cycle 3 (élèves de 9 à 12 ans), du département de l'Oise, en novembre 1996. Le comité scientifique a sélectionné 9 classes après examen de leurs projets de recherche. Les recherches ont été conduites dans les classes ("laboratoires") pendant l'année scolaire 1996 - 1997. Plusieurs documents écrits ont été fournis aux classes, en particulier lalettre aux jeunes chercheurs précisant les modalités
d'investigation possibles dans le cadre de cette recherche. L'ensemble de ces moyens d'investigation a été utilisé par les différentes classes autour de différents problèmes scientifiques:
- expériences (analyse chimique, filrration, changements d'état, pression) - observations (au microscope)
- sorties sur le terrain (prélèvements d'eau, visite d'une station d'épuration... ) - réalisation de maquettes (barrage, château d'eau, lit d'une rivière, nappe phréatique) - enquêtes (communes de Bretagne, pays désertiques)
- recherche documentaire (articles de journaux, revues scientifiques).
Les résultats des recherches ont été présentés lors du congrès organiséàIUniversité de Picardie Jules Verne de Beauvais le 6 mai 1997. Organisé sur le modèle d'un congrès d'adultes, le "congrès des jeunes chercheurs" a comporté une ouverture officielle, des conférences plénières, des ateliers thématiques, une séance exposition (posters, maquettes, expériences, multimédia) et une table ronde (devenir citoyen de l'eau).
4. QUELQUES TÉMOIGNAGES
À l'issue du congrès, une institutrice a demandé de rraduire en dessins les moments forts de ce travail. Deux exrraits de ce "congrès en images" sont reproduits ci-après. Ils monrrent en quoi le congrès était un événement exceptionnel pour les élèves. Le commentaire du premier dessin: "on donne la parole aux savants" illusrre bien le sentiment d'appartenanceàune communauté de "jeunes savants"; le dessin reflète le caractère exceptionnel - pour des jeunes élèves· de ce moment de communication; en effet, quelques enfants ont fait un exposé ("conférence") devant l'ensemble des participants, soit plus de 300 personnes, dans un lieu solennel: le grand amphithéâtre de l'Université de Picardie. Le deuxième dessin, illusrre la "séance posters" du congrès, moment de communication plus intime et informel (les jeunes chercheurs devaient animer des stands comportant affiches, maquettes et réalisations d'expériences), mais tout aussi important pour les élèves: "nos confrères chercheurs sont absorbés par norre travail". Un aurre dessin (non reproduit ici) représentait ce qu'on pourrait appeler la panoplie du congressiste (la mallette, le badge, les actes du congrès) et l'élève déclarait: "voici mon premier livre", un aurre écrivait: "mon premier ouvrage et pas mon dernier". On imagine facilement l'impact de ce travail en terme d'apprentissage de l'écriture. Le tableau 1 regroupe quelques témoignages de jeunes chercheurs dont certains résultent d'un enrretien réalisé l'année suivant le congrès. Les enseignants interrogés (tableau 2), presque un an après le congrès, ont constaté des effetsàlong terme (certains élèves restent dans la même classe deux années de suite). Tous ont mis en avant le caractère pédagogique exceptionnel de cette opération, l'impact sur les élèves (notamment ceux en difficulté) mais aussi le rravail énorme qui a été nécessaire.
Tableau 1 : Itnloignagu de jeunes chercheurs
"j'ai adore le congres, rie" que de se mcllre sous la peau d'ull chercheur et de chercher comme lui, d'al'Dir ,me malfel/e, d'a\'Oir un badge, 011 al'OH l'air Je l'rais chacheurs sciemifiqlles" Fabien ''j'ai eté três impres.siollnée lorsque j'ai du parler eu séance pleniire"
"c'es/la premiêrefois que je me selllais alilalli cotlcemé. Je Il"OUl'e que c'elait \·raiment très bien mois vraimenttres bieu" Guillaume
"ce congrès m'a appris beaI/COUp de choses, notamment élre cilorenne de l'eau" Ellnice
".J'ai adoré CI premier COI/grès, surtout l'idée des et des badges, 011 O\'oiJ l'air dl! \'rais"
chercheurs professioJ/nels, mais le meilleur de 'out c'e'ait la séance. pleniere " Bapllste
"c'êtait bien d'erpliqllerOIlXalllres .. ",," a gagné1111petit lilTe . "il yoles noms de loutle
mo/rde ". c'est bien de savoir ce qr/e les autres0111fait " 8r",,0 (efl échec scolaire)
"je prends mon livre toUS les jours dalu mon cartohle - j'ai refait des expÙielrces chez moifiDavid
"ilyavait mo" tlom dalls le livre - c'était comme Il'' 'ravail de grand -0"était comme des agellls dl!
l'eau" Juliell
Tableau 2 : témoignages de "directeurs de recherche"
extraits d'entretiens auprès de deux enseignants (une école rurale Relune êcole de ville V)
Points positifs
""11 événement marqua'" depuis que je suis enseigname -/IllelIouvelle approche pédagogique plus
centrée sJlr l'élève -4tqui a étéfait eSt definitivemellt acquis - cela a colltribllé à souder le groupe
etàchallger les comportements: les élèves se sentaient responsables, ils n'avoiellJ pas envie que
cela s'arrêle " R
"d'lin point de \.'ue pédagogique c'était remarquable - mon role était d'organiser la rtlf1exioll des enfallts - ma pratique a evol"é : je pors de ce qlle les en/all/s peln'ellt foire -le congrès a \-'alorisé le
travail des élèves, a instauré IIne dynamique de groupe - y compris pOlir les éléves en difficultéfiIl
Pointsnigatifs
"c'etaitlm travail énorme - des prohlttmes de temps et$1"'011'd'orgallis01ioll -le travail d'ecriture
polir les actes était 10llg etfastidieux - regret de Ile pas avoir assisté à tOlites les communications" R
.. des difficllllés dans le traitemenl des errwrs d'élèves -je ne so\'aispasà l'avance ce qu'fJluit11/1
congrès - dommagequ'iI"yell ait pasIl''autre" V
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Cette action pédagogique a profondément modifié le rôle des enseignants en les amenant à accomplir de nouvelles tâches, parfois inhabituellesà l'école élémentaire et à gérer des situations de classe complexes ou incertaines.
5.1 Définir, avec les chercheurs, le projet de recherche
La définition d'un projet pédagogique est une tâche classique pour un instituteur; ce qui l'est moins est que ce projet soit défini autour d'un problème scientifique. La conciliation entre le questionnement des élèves parfois très divergent et les possibilités réelles de recherche n'a pas toujours été facile. 5.2 Conduire le travail de recherche scientifique
Sur le plan cognitif, la conduite d'une recherche scientifique à l'école suppose d'emblée une pédagogie centrée sur l'apprenant; les maîtres qui ont participéà l'opération étaient dans l'ensemble engagés dans cette voie. La conduite sur le plan pratique pose d'autres problèmes notamment au niveau de l'organisation du temps et de la gestion financière. La spécificité de l'opération consistait ici en une nécessaire planification d'opérations extrfmement diverses (établissement d'un protocole de recherche, définition d'un budget de recherche...). II est significatif de remarquer que 50%des enseignants n'ont pas utilisé totalement les crédits qui leur étaient proposés, alors que le manque de moyens, dans les écoles, est largement évoqué par ailleurs.
5.3 Conduire un travail d'écriture scientifique
Le travail d'écriture a été très présentà toutes les étapes du congrès, depuis la formulation des questions de recherche jusqu'aux anicles publiés dans les actes, en passant par des compte rendus d'expériences. Ces différents écrits ont eu des statuts et des formes extrfmement divers (des écrits courts manuscrits provisoires jusqu'à des écrits longs dactylographiés à des fins de publication). La nécessité de se placer dans une perspective de communication scientifique a posé de nombreux problèmes aux maîtres mais constituait un enjeu essentiel en terme d'articulation entre les apprentissages langagier et scientifique (Vérin, 1995).
5.4 Les besoins en formation
Les enseignants panicipant à l'opération ont bénéficié d'une réunion d'information, d'un stage de formation de deux jours (apports théorique sur les apprentissages scientifique et langagier, aide à l'organisation des recherches) et d'un soutien pédagogique dans les classes. Une analyse des pratiques réelles de scientifiques aurait sans doute été utile (travail avec des chercheurs ou sur des écrits de chercheurs ?) ;elle n'a pas été possible faute de temps. Les réactions des élèves et des enseignants montrent l'intérêt pédagogique de cette opération mais révèlent aussi de réelles difficultés de mise en œuvre pour les maîtres; ce genre d'action exige des compétences très diverses renvoyant à de nouvelles formations qu'il reste à inventer.
6. CONCLUSION
Quel bilan peut·on faire de cette opération: le terme "jeune chercheur" pour les élèves ou "directeur de recherche" pour les maîtres est il raisonnable?Ilest certain qu'une analyse selon des critères scientifiques du travail mené dans les classes conduirait à l'exclure du champ de la recherche scientifique:
. les connaissances construites parles élèves font déjà panie de ce qu'on pourrait appeler la connaissance scientifique établie
. les moyens utilisés ne sont pas les moyens d'investigation actuels de la science (encore que dans cenains cas, les élèves ont été amenés à dépasser très largement le cadre scolaire habituel).
Pourtant, un regard scientifique externe sur ces travaux n'est pas totalement pertinent; c'est au sein de la communauté de "jeunes chercheurs" que la validation des travaux de recherche prend tout son sens. Donc, même si on ne peut pas considérer les travaux menés par les élèves comme un véritable travail de recherche scientifique, ils en constituent au moins une transposition possible et ils doivent être analysés dans cette optique. À celle condition, il semble possible de concilier les exigences de l'école et la prise en compte des pratiques sociales de référence en amenant les élèves à chercher pour apprendre.
BIBLIOGRAPHIE
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technologieàl'école élémentaire, inActes lIES XVIII, Chamonix 1996.
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FOUREZG.,Laconstruction des sciences, De Boek Université, 1988.
FOUREZ G., L'enseignement des sciences promeut·i1 une citoyenneté technocratique ou
démocratique ?, inActes lIES XIX, Chamonix,1997.
VÉRIN A., Mettre par écrit ses idées pour les faire évoluer en sciences,Repères, 1995,12, Paris:
I.N.R.P.
Les actes du congrès des jeunes chercheurs ont été édités par le C.D.D.P. de l'Oise; le texte intégral des actes est également disponible sur le site Internet de l'LU.F.M. d'Amiens : http://www.amiens.iufm.fr
