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Master of Arts
Deparhnent of French Language ~ncJ, Lite rature
Yvon Lavallée
L'AMOUR ET LA REVOLTE
DANS LE THEATRE DE MARCEL DUBE
..
ABSTRACT
Les thèmes de' l'amour et de la révolte se côtoient dans l'oeuvre de Marcel Dubé . Depuis Zone, l'éventail des person-nage s s'élargit, du prolétaire au bourgeois parvenu; il 'f a tou-jours des individus qui essaient d'aimer, qui cherchent le
bon-,,\,
he ur. Pur et craintif, l'amour naissant des premiè re s pièce s "
..
se transforme pour devenir un sentiment impossible dans une société où se ul l'argent semble tout dominer.
La révolte. des jeunes gens pauvres, tout comme celle ît
de la majorité des bourgeois insatisfaits et incompris. découle habituellement d'une dive rgence psychologique et sentimentale. Prenant diverses formes, le~conflits ont pour base la lucide mais effrayante constatation, chez les personnages, que l'amour
"
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qu'ils croyaie'nt acquis s'est éteint. Le s individus finis sent
Ç)
habituellement abattus, détruits et démoralisés.
L'évolution parallèle de ces deu'X thèmes, amour et révolte, conduit, très souvent,
à
l'échec des personnages. Au cours des rares occasions où la révolte débouche sur une visionà
peine moins sombre, ce n'est qu'une lueur d'espoir quipointe
à
l'horizon. Le nouveau départ exige un reCOITlmence-ment total. c'est une nouvelle lutteà
eIl:.treprendre.cf
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Arts Department of French Language and Lite ratureYvon Lavallée '
L'AMOUR ET LA REVOLTE
~~E
THEATRE DE MARCEL DUBEABSTRACT /
" ' , '1
-The two themes, love and revoIt, evolve side'by side in Marcel Dubé's work. Starting ~ith ~, the characters' complexity widens, from the ~umble proletarian to the upstart
,
bourgeois, there is always somebody who trys to love, who seekS\ for happin~s~. P~~e and timid, the dawning love of the
...
first plays is gradually transformed until it becornes an
impossi-./J ble sentiment in a society whe re, money only, seems to
~
dominate.
The revofi of the unfortunate young people, as weIl as
~_ 1 the majority (~"Ltbe unsatisfied and misunderstood boqrgeois,
habi-,
~~ ~'---~ally procee~: ~om
an ideological and sentimental <f{vergence.Through several forms, the conflicts all originate when the
~ages
ppen their e)'1's to th: lucid butdr~adful
reality that,/ .
,
•
the love they always took for granted; ,was dead. Theindividuals usually end up dejected. destroyed and demoralized. Very often, the parallel evolution of these two themes
.'
le ads to a faHure. The few occasions wher the r~volt
intro-,
duces an optirrlistic vision. it is only a glimpse of hope aiming
ment; it' is another t:ight to
undert~
recornme,\\-for tlte future. The new beginning requires a total
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fi j1 , 1 -LI AMOUR ET LA REVOLTEDANS LE THEATRE DE MARCEL DUBE 1
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'L'AMOUR ET LA REVOLTE
.
,
DANS LE THEATRE DE MARCEL DUBE
by
~von La..rallée
A the sis
•
submitted toThe Faculty of Graduate Studies and Research McGill University
In partial fulfilment of the requi:r\ments for the de gree of
Master of Arts
Departrnent of French Language
and Literature A~gust, 1973.
•
\
TABLE DE~ MATIERES
,
....
Chapitre Page
INTRODUCTION •••.•••.••...••••• ~ .•.•.•.•.•.• 3
l L'AMOUR . . . • . . . B
1. Buts de Marcel Dubé
2. La nais sance de 11 amour
3. L'incommunicabilité 4. L'inexistance de l'amour 5. L'incapacité d'aimer 6. L'homosexuahté 7. L'inceste ~ 8. 'L'adultère 9. Echec ou re commencement 8 , '12 18 , ",21
29
38.39
42 45 II LA REVOLTE .•••.•...•.•..•.•.•....•..•...••• 511
1. Préoccupations de Marcél Dubé 51
2. Les prolétaires: besoIn de possession
m a t é r i e l l e ' " 55
3. Contre la condition de VIe 56
4. Gontre la société et ceux qui la
ré-gissent 58
5. La condition féminine che z le s
prolé-tairea- 65
6. La condition féminine chez les
bour-geois 68
7. La recherche d'une identité propre et
8.
9.
10. Il. 12.13.
1
14. de liberté 71Conflit de générations: parents-enfants 73
Conflit entre les individus d'une même
gén,ration 80
Aller jusqU'au bout d'un idéal 81
Le jeu de la vérité 82 Arnour
;t
révolte 87 L'échec' 110 Victoire et recommencement 115..
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CONCLUSION •• BIBLIOGRAPHIE,
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124...
.... •. 128•
'VMarcel Dubé avait quinze ans lorsque la deuxième
grande guerre a pris fin. Rêveur, désirant écrire, il opta
pour le théâtre; il avoue même avoir assisté sans s'en lasser
à
six représe ntations consécutive s de Britannicus.Je une, il ne connais s ait que s on quartier et ce qui
l'entourait. Sa première création, un acte mtitulé Chambre à
louer joué en 1951, présentait des adolescents Jouant
à
saute-moutons et qui lui ressemblaient. C'était le seul monde qu'il
connaissait, le seul milieu où il pouvait évoluer avec aisance.
Sa première pièce, ~, coincide avec la
renaissan-ce du théâtre québécois. Dubé se tournait vers son enfance
pour y puiser son inspiration; ce fut sa première véritable
prise de conscience comme membre de la 'société québécoise.
"
Plus tard, Un Simple Soldat, Florence, Le Temps des Lilas,
nous font assister
à
la mutation de jeunes adolescents qui..
deviennent adultes, €tres inexpérimentés et mal préparés pour affronter ce qui les attend; leur coeur en souffre, ils le
brisent ou le détruisento Voulant crier le dés~spoir et la.
misère qui gn au fond de ces êtres défavorisés maiE! avides
(
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d'amoul;" et de bonheur matériel, Dubé espère: La liberté nous a fait réaliser que dans l'hornme il n'y a pas seulement cette â-me qu'il faut sauver en évitant tous les périls, toutes les embtlches, mais aussi
un être malheureux dans sa chair, un 8tre de compassion qui demande sa part de s olell, sa pitance de bonhe ur. 1
Le dramaturge prend lentement conscience de l'exis-tence des différentes classes sociales, il essaie de les péné-trer, de le s définir. Mais ce qui l'intéresse d'abord, c'est de déterrer les racines de l'homme d'lei; il veut atteindre
à
la vérité: "Tant que je ne me sèrai pas expliqué ses siletlces de honte et ses sourires de bête traquée, je ne serai pas2
s atis fait. " Fortement influencé par Au Pied de la Pente
4
Douce et Bonheur d'Occasion, Dubé cherche premlèrëment
à
ex-primer quelque cho$e qu'il ne peut pas nommer, le mal im-muable, comme dira Olivier, médecin des Beaux Dimanches, celui qui transit et, fige les êtres h.~ains.Passant lu.i-même
à
la classe bourgeoise, il a pu connatl:re et observer certain type d'hommes qui se sont fait."
/
!
Textes et Documents, p. 28.2 Id., p. 31.
•
l
5
une obsession de l'argent. Pour- eux, la piastre, remplace tous les principes, elle devient une sorte d'idéal., Leur com-porte ment, leurs sentiments et leurs pensée s sont déterminés par cette obsession qui fait d'eux des êtres immoraux et
à
la•
fin désenchantés. Dubé fait évoluer sous nos yeux des person-nages qu'i~ a choïsis mais qu'il abandonne
à
leurs passions,à
leurs instincts et qui se préparent un destin amer. Drama-' turge du présent, du vivant et de l'actuel, il cher.che, entre le réalisme et l'idéalisme, entre la tentation de l'évasion et le souci de l'engagement; des solutions acceptables aux problè-me s de son pays, le Québec.
La prise de conscience qu'il a lui fait croire et e spé-rer en l'évolution. Devenir écrivain c'est, d'après Marcel Dubé, apprendre
à
respirer. Il se rend compte de ce qu' au-jourd'hui, ilr,)
habite une sorte de "no man's land" provisoire qui s'appelle Québec et qu'un nombre de plus en "plus croissant d'hom-mes lucides et déterminés s'acharnent , ,
justement
à
définir. Il leur resteà
faire l'appareil politique,à
soigner età
instruireles, masses, créer des structures économi-ques nouvelles, repenser les cadres so-ciaux, extèr~iner enfin la vermine qui
•
()
•
/ronge depuis un siècle les de notre libe r'té. l
assise s
6
En utilisant le langage du pe.uple, il desire écrire, de
~
façon à ce que tout le monde comprenne. Resp~.ctant la liber-té de s individu!;, il ne triche pas, il veut être authentique tout en s'attaquant aux problème s de l'époque qu'il tente de re-lier aUx problèmes éternels de l'homme.
_ Ainsi, l'aTI1our et la révolte devlennen\ ~ans, le théâ-tre de Marcel Dubé des thèmes qui, très souvent, se définis-',sent l'un p*) l'aut~e tout en prenant naissance de la même
fa-çon. Nous verr~ns dans le s pages --qui suivent, l'évolution
de chacun de ces thèmes que nous analyserons et que nous
ten-• 1
".1
terons d'expliguer et de définir. De ZQne
à
Pauvre Amour, les personnages de D~bé luttent-pour €tre heureux, pour
t~_r-c'onnaitre l'amour. ,Ma.is cette bataIlle est double car_tl0ur se
',~ libéi'er du passé, les individus doivent d'abord se découvrir '- >
e~-mêmes, et ensuite rejeter les princ1es drune soci'été
sclérosée. Nous verrons que'-malgrf l'incapacité des êtres
à
vivre l'amour, tous espèrent le trouv~: un jour. et~ ilTextes et DOCÙlnents, p. 41.
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arriver, certains iront jusqu'~ .la révolte et rejetteront tout ce que le s autre s ont accompli pour finalement parvenirà
être he ure ux.Ainsi, nous analyserons les différentes phases concer-nant l'évolution des sentiments des personnages et leur affais. sement lOl'tqu'ils réalisent que l'.amour n'existe plus, qu'ils ne sont plus que
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s épave s vivant ensemble et qui ne se ~om-prennent pas. Nous étudierons ens~ite ce qui provoque laré-volte et quelles en sont les conséq~ences. De ce théâtre qui_
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semble présenter.à premier abord.une vue pessimiste de lacondition humàin.,e, nous entreverrons une
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victorieus,e, c'est un mmencement total. Tragique, le destin despersonna-1
evendra imputable aux gestes que chacun devra poser. sonnage s de Dubé vaincront
à
la fin.J
1-\
CHAPITRE PREMIER
"J'écris pour émerger au jour Et pour qu'un seul instant l'aIl1our Ne se résorbe plus dans deux syllabes Involontaire s. Il 1
En écrivant ces quelques vers dans un poème, de
d
1966, Marcel Dubé dévoile un des buts qu'il 5 'est fixés au
commencement de sa carrière d'auteur dramatique canadien-français. "Il écrit pour, faire comprendre aux hommes le sens -de l'amour, p0\.lr leur faire constater que chacun d'entre eux
~péut ai~e,r, mai~ que l'amour exige un constant effort per-sonnel. Dubé vèut nous dpnner une ' - - - im~e .'>\ réelle de la vie amoureuse de la collectivité québécoise. Il s'aperçoit que
dan_s~ l'e~prit de cette société jeune et désir~us~ de se
con-nartre, les êtres ne savent pas se comprendre ni communi-quer
dans
entre eux au niveau des sentiments et c'est pourquoi, son
théât~,
il fait vivre des personnages aux prises a-vec les difficultés quotidiennes sur le plàn des sentiments et des rapports affectifs. Il entre dahs l'intimité de la famille 1 Dubé Marçel, Textes et Documents, coll. Thé!tre canadien,D-l, Mo~.tréal, Leméac, 1968, p. 15.
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/
québécoise prolétaire et bourgeoise, à' l'intérieur du cadre
fa-milial.
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Si nous laissons momentanément de c"té Zone et Un
Simple Soldat qui sont des Plèces
à
caractère plus strictement , l', .~
revendicateur, nous remarquons que toute s les pièce
s
deMar-cel I?ubé s'organisel1t autour de la théIX1atique du couple. DI
ail-. l
leurs, dans un texte intitulé lIJ'écris pour votre délivrance"
Dubé expose clairement sa pensée et son rlHé en tant qulécri- ' <J
..
,
vain face a l'amour, et il précise ce qu'il faut faire popr
par-venir~
se comprendre età
s'aimer. Il constate que, de plusen plus, il est diffic.}t. à des êtres de viVTe ensemble et de
s'accepter mutuellement tels qu'ils sont:
Il faut nous rendre maintenant jusqu'au bord de l'abime, en pleine lucidité,
sans nous laisser entrafher par le ver-tige, sans avoir peul"des terribles
exi-gences de l'amour. Il ne s'agit plus
cl 1 amour et de libe rté
à
la pe tite se maine ,i.
tels que permis par les bulles et les~ encycliques
à
retardement du dernier• Concile, tels que pre scrits par la morale dérisoire et pourrie" par le
chaos ", mais d'une liberté dure, vr aie t
à
co~quérirJà
protéger chaque jour, non plus comme un p'rivilè ge mais#
1 Textes et Documents, p. 44..
"
•
cotnme un droit absolu; d'un atnour aux origines nouvelles, dont la lu-minosité nous était Jusqu'ici inconnue, d'Q.n amour qui ne se dissimule pas dans des chambres de tnotel bien garnie s. qui ne se soucie plus de faire le départage entre le bien et le tnal avant de s'exprimer mais -qui s'exprime d'abord et qui prend
ensuite le parti du bonheur. qui
choi,sit l'insondable dessein de la Joie, d'uni1;t amour qui ne peut cesser et se
d~truire que dans l'humiliation, que
d~vant la trahison de l'âme ou de
l 'e sprit. 1
Marcel Dubé a compris que pour être heureux il faut 10
être libl.'.ë.'";. car seule la liberté pertnet
à
l'homme desurmon-, ".
ter les obstacle s qui entravent l'épanouis sement des sentiments. Pour connaftre le bonheur, l'homme doit franchir le fossé qui sépare le bien du mal, mythe ancré depuis toujours dans la cons cience dfÎr'étienne québécoise. En cessant de s'entre-déchi-rer tnutuelletnent, les homtnes pourront travailler avec leurs semblables dans l'harmonie et le commun accord.
Mais dans son théâtre, ~rares sont les occasions oh les personnages. sur la scène. reflètent la joie de vivre ou la satisfaction d'un bonheur accompli. Quoi" qu'il en soit, dans'
1 Textes et Documents, p • 44.
F~ , J<
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les Plèces de Dubé qui s'échelonnent sur une quinzaine d'années,' l'image de deux êtres heureux, se côtoyant tous les jours, vi-sant un idéal commun, se comprenant et s'aimant tendrement,
•
ne se t1'louve que dans Le Temps de s Lilas. Blanche et Virgile
6
forment un couple dont l'amour fervent, même s'il s'agit d'un amour de vieillard, est réel et attendrissant. Dè s le pre~ier acte, alors qu'il" dansent ensemble, ils se taquinent et aiment
.
- ~
se rappeler leur jeunesse,: IIVOUS aussi, Mademoiselle Blanche, vous aus s i vous ête s Jolie. 111 Avec eux, l'amour existe dep.lis
toujours: !ICa fait trente-cinq ans qu'on vit ici, vous save z! 211
,
dit.elle
à
Vincent, le nouve au pensionnaire; c'e st ,une longue.
amitlé qui s'est renforcée au long des années et qui s'est dé-gagée des contraintes de la vie sociale. Partout ailleurs il Y a des embaches qui entravent ou réduisent
à
néant les efforts des personnages pour être heureux ensemlrle. Quelle est l'évolution des sentiments des personnages,' de ~à
Pauvre Amour? QueUes sont les raisons principales qui les font échouer dans leur quête de l'arnour?l Dubé Marcel, Lè Temps des Lilas, Théâtre canadien, Montréal, Leméac, 1969, p. 59.
2 ~., p. 62 .
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.
12Dans ses premières pièces, Marcel Dubé s'est sur-tout intéressé
à
la naissance de l'amour,à
la découverte d'u-ne choseà
laquelle les jeunes, en particulier, ne s'étaient'7
pas arrêtés
à
réfléchir. Dans Zone, les réfractaires sont c!es adolescents groupés autour de Tarzan, leur chef, qui a~?
inventé pour eux un monde d'illusions et de rêves. Ciboulette, la seule fille de l~ bande, introduit inconsciemment l'amour au sein du groupe. C'est Passe-Partout, le rival de Tarzan, qui lui en faIt prendre conscience: "C'est parce qu'y est trop
1
cave pour s'apercevoir que tu l'aimes. "
)
Plus tard Tit-Noir, le joueur d'harmonica, malgré son air bonasse, pose la même question: "Tu l'aimes beaucoup hein? ( ••• ) cqmme nous
au~es et plus encore. Je pense que tu l'aime s tout court. " 2 Refusant de voir la vérité en face, Ciboulette prendra vraiment
conscience de ses sentiments envers le chef lorsque, volontai-rernent, elle ment durant l'interrogatoire au poste de police. C'est elle qui la première charme Tarzan, mais elle veut con-tinuer de vivre dans son unive ra de rêve: "Viens dans notre
château; il nous reste quelques minutes pour vivre tout notre 1 Dubé Marcel, Zone, Théâtre canadien, Montréal, Leméac,
1968, p. 43. Z Id •• p. 47.
1
amour." Cet amour nouveau est pur, sincère et sim~Je.
\
Tarzan se laisse attendrIr et, pour la première fois, il s'a-voueà
lui-même son sentiment: "Pour la première foi~ de ma2
vie ~ je vais dire
à
une fille que je l'aime. ri Mais ce t amourqui vient de nartre restera simplement dit.
Dans Florence on trouve encore, plus que dans Zone
,,--et Le Temps des Lilas, l'histoire de l'amour naissant. Alors que Tar zan et Ciboulette, Johanne et Vincent, ne s'avouaient leur amour que vers la fin de la pièce, Florence fait 'des
•
efforts désespérés pour ouvrir son coeur
à
l'amour età
un b onhe ur inconnu. Entre elle et Maurlce, son ex-fiancé, il n'yavait qu'une amitié profonde qui durait depuis leur jeunesse. Ce que Florence recherche, c'èst la liberté, c'est un amoureux avec lequel elle puisse vivre une vie heureuse; mais "Si Mau-rice était comme Eddy aus si. Si seulernent je pouvais avoir de U adm.iration poul:' lui.
../'
compare dans ma tête. Maurice est effacé. 3"
1 Zone, p. 173.
2 Id., p. 165.
Mais non. A tout moment je les Autant Eddy est sar de lui, autant L'amour qu'elle connan ave c, Eddy ~
3 Dubé Marcel, florence. Théâtre canadien, Montréal, Lem.éac, 1970, p. 48-49. ~
~
n'est pas celui qu'elle voulait: "Je ITl'étais toujours dit que
l'hoITlme
à
qui je me donnerais la première fOlS, serait mon1
man ou celui qui le deviendrait. " Aveé lui, il n'y a pas
\
\
as se z de sécurité, 'ni de place pour l'émotion; elle veut être 14
vraiment heureuse: "Je ne peux pas les oublier (les autres
fem-mes) SI Je dois entrer dans leur rang et dahs ton lit comme
elles l'ont fait. D'ailleurs, comme elles n'ont fait qu'y
pas-ser c'est que tu les as toujours reJetées. 2.. Même si elle
doIt souffrir et être malheureuse, elle préfère être seule,
dit-elle
à
Eddy.Quittant ces âmes désavantagées des milieux ouvriers, Dubé, dans ses pièces bourgeoises, nous présente encore des Jeunes qui se cherchent; des êtres qUi, COITlme Dominique ,dans Les Beaux Dimanches, se retrouvent déçus après avoir cru trouver l'amour auprè s d'être s lrresponsables comme Etienne. Elle ne désire pas se sacrifie r pour un homme qui ne l'aime
'.
pas sincèrement. Dans Pauvre Amour ainsi que dans Un
Matin comme les Autres, Jane et Claudia font les mêmes
~ Florence, p. 136.
2 Id., p. 137.
\ y.. 1
constatations que leur soeur afnée, Johanne du Temps des Ll-las. Toutes trois découvrent un sentiment refoulé Jusqu'alors,
..
et pour de s homme s beaucoup plus âgés qu'elle s. A travers leurs combines astucieuses, nous percevons des âmes sensibles, nai"{e's et touchante s. Ce sentiment pour des hommes âgés, bien que partagé par ces derniers, reste ImpOSSIble et sans suite prob able, la barriè re qui le s sépare étant trop difficile
à
franchir.,
amour ou
Seuls Etienne e~lse, dans Bilan, connathont un tout e st bon,
of
tout e st beau. Ils se compre,nnent et découvrent le bonheur de la liberté: "Viens. J'ai hâte de disparaitre avec toi ••• Mé'me si notre voyage doit être court, il1
sera merveilleux. Il Mais comme tous les autres per/nnages
de Marcel Dubé, leur amour demeure idyllique, car avant qt.t'ils puissent en profiter, ils trouvent la mort enAmble
à
centà
l'heure, alors qu'ils s'évadaient vers le bonheur •.Il Y a un certain dénominateur commun entre tous ces jeune s dans le théâtre de Marcel Dubé. Etienne et Elise, dans Bilan. retrouvent la voie suivie depuis les premières pièces où 1 Dubé Marcel, Bilan, Théâtre canadien, M~tréal, Leméac,
1969, p. 100. J /
\-•
/
{
}
)
16l'on avait Tarzan et Ciboulette dans Zone, Florence dans la piè-ce du même nom, Johanne du Temps des Lilas, Dominique des Beaux Dimanches, et même plus tard, Jane de Pauvre Amour. Tous sont voués
à
l'échec par une fatalité impitoyable; pour certainsce sera la mort, pour d'autres c'est le fossé séparant inexorablement deux êtres qui s'aiment. Ils se retrouventà
la fm'défaits dans une société injuste et corrompue, qu'il est im-possible de changer, défaits par la VIe et par l'amour "-même.L'amour que ces Jeunes découvrent est aussi pour eux un élément de passage de la jeunesse
à
l'âge adulte. DansZ6ne, lorsqu'il revient vers Ciboulette pour l'enlever, Tarzan quitte l'adolescence et son monde de rêve pour accéder
à
l'a-mour; ,ce n'est plus le Jeu du flirt habituel. D'ailleurs Cibou-lette, la première, avoue: "Y a longtemps que je penseà
toi,'t.
moi, Tarzan. Depuis le premier jour, j'ai ton image dans
1
mon coeur. " A ceci, Tarzan répond: "Je te regarde
Cibou-~
lette et Je ·te vois comme Je t'ai toujours vue. T'es pas belle, c'est v-xai, comme les autres femmes qui sont belles, mais tu
2 t'appelles Ciboulette et tes yeux sont remplis de lumière. Il
1 Zone, p. 165 2 Id., p. 166
< " Il '1 / / f
Tarzan n'hésite pas
à
reprendre' son vrai nom; il s'accepte tel qu'il est comme membre de cette société qu'il rejette. mais dans laquelle 11 vit. Malgré la dépersonnalisation certaineà
laquelle il se sait voué. il dit: "Réveille-toi. Ciboulette. c'est17
passé tout ça •.• Je m'appelle François Boudreau. 1" Il sait qu'il
"' ...
ne lui reste plus beaucoup de temps
à
vivre. mais il veut.pen-•
dant quelques mstants, {tre lui-même: "Je suis venu pour t'em-brasser et te dire que Je t'aimais. 2" Ce sont des adultes
main-tenant; Cibou~tte décide d'aller Jusqu'au bout. A la mort de Tarzan. elle se couche sur lui, suggérant la continuité de la vie. Le départ de Johanne. dans Le
Tem~s
Lilas. ainsi"
que celui de l'hérolhe dans Florence. annoncent la maturité des personnages; elles sont maintenant capables d'endosser leurs
" responsabilités et de prendre en main leur propre destin. Flo-rence répond
à
Eddy: "Tu as raison: je suis responsable de mes actes. ctest lâche de ma part de t'accuser comme je le3
fais. Il Après les métamorphoses produites par l'échec senti-mental. ces jeunes filles sont prêtes
à
affronter la vie età
1 2 3 Zone. p. 171. Id •• p. 171. Florence, p. 139. î'
ri' "
r;.'
'.
18
, '
'tout recommencer dans le monde qui sera désormais le leur. La mort d'Etienne et d'Elise dans Bilan, ainsi que l'avortement de ~ominique dans Les Beaux Dimanches, restent dans le domai-ne de 'l'allégorie: ces adolescents ont connu la naissance de l'a-mour humain. et leur échec fait maintenant de leurs successeurs
"
des adultes responsables devant la vie.
En plus d'être des rêveurs, ces personnages de Marcel Dubé ont de la difficulté
à
communiquer entre eux, surtout che z le s prolétaire s. Ceux-'ci rêvent d'amour, mais ils ne trouvent1
pas les mots pour dire ce qu'ils ressentent. , ~. Ils sont plusieurs
, ,
qui. comme Ciboulette, peuvent s'exclamer un Jour: "J'avais "
d " ' . d d , I I " 1
peur es mots que J avalS e-nvle e 1re. " Cl C est e manq~e
d'éducation, le vocabulaire restreint et la crainte des mots qui produisent un blocage au niveau des sentiments. Florence, dans la pièce du même nom, transforme son milieu fa:rnilial en dramatisant une simple idée qui pourrait se résumer en un mot: l'amour. De m~me, dans Un Simple Soldat, malgré le fait que Ronald dise aimer Fleurette, cette derniè re sait que son manque d'éducation ainsi que sa condition sociale rendent
1 Zone, p. 165.
j
impossible la communication entre eux: "Jusqu'à ce soir, j'ai rien fait pour te retenir ••• Je savais d'avance moi aussi que
1"
j'avais pas ce qu'il fallaite pour te retenir. Elle sait que
jamais elle ne poul"ra se senbr acceptée par un milieu qUI est
19
absolument distinct du sien. C'est l'absence de vocabulaire qui, r:"'''(
en
pl~s
de~ire
échouerl'~our
de Fleurette, avait auparavant retardé l'aveu des sentiments de Tarzlh pour Ciboulette, dansZone. C'est d'ailleurs le même phénomène qui avait, .durant
(,~
IJ ~\
l'interrogatoire de la bande des Jeunes ,contrebandiers de Zone, amené la dénonciation de leur chef Tarzan.
Dans ces familles au niveau de vie peu élevé, les être~
sopt incapable s de se déterminer dans de s parole s'et dans des geste s,
il'
se sentent isolés, ils sont gênés dans le urs rapports-; ,
avec les autres à cause de cette incommunicabilité qui les force
à
re ster muets. Il faudra l'arrivée d 'adole scents frustréscomme Florence, dans Florence, et Joseph Latour, dans Un Simple Soldat, pour que soit possible le dialogue _q4-i entrafuera les explicat~ôns entre les membres d'une même famille. Gaston ouvre la porte
à
toutes les discussions: "Laissë-la donc faire,1 Dubé Marcel, Un Simple Soldat, Théâtre canadien, ~ont'réal,
•
À •
Toinette. Si on 'lui donnait la chance de s'expliquer une fois Dans le monde bourgeois, "le vocabulaire des
J
20
- pe:t;sonnages est certes plus juste et plus recherché, mais
mal-. \
gré cela on a
peu~
desn{à,
on a peur de s'affronter et de se>-J , ... ,.
...
'"
découvrir enfin tel qulon est. Dans Le s Be aux DImanche s, Hélène, délalssé'e par Victor, essaie de lui parler; mais elle
"'-cons tate aussitc."}t: "Toute s le s discus sions mènent nulle 'part 2 avec toi parce que t'es pas capable d'aller jusqu'au bout. "
p~ même. pour le s couple s formés par leurs amis, et ~gale
'"
"ment dans Au. Retour des Oies Blanches, dans le marIage d'E-lizaj:)eth et d'Achille, tout gravite" autour de cette ab!?ence de communication
v
les êtres ont peur de discuter et de se voir tels qu'ils sont. Les maris aiment mieux penserà
leurs affai-res alors que les femmes, désappointées, trouvent ~efuge dans le rêve. Ce n'est qu'avec Pauvre Arnou~ que les personnages de Georges et de Françoise parviennentà
se" compr~n9re età
se parler franchement; ils se découvrent comme ils ont toujours été: "Toutà
coup, devant moi, je découvre une autre femme. 3 L'atmosphère d'mcertitude qui régnait au début de la pièce l Florence, p. 78.,2 Dubé Marcel, Les Beaux Dimanches, Théâtre canadien, Montréal, Leméac, 1969, p. 25.
3 Dubé Marcel, Pauvre Amour, Théâtre canadien, Montréal, Leméac, 1969. p. 156.
\
/•
"\
\
21s'éclaire
à
la fin. alors que Françoise décide de refaire sa vie: liA Lausane, quand tout a été réglé, j'ai pris la décision deter-1
miner le voyage et de vivre seule par la suite.
"
En surmontant la: pe ur de vO:\,r la vérité en face, e ne ouvre son coe urà
un1
amour possible. De son côté Georges écrira son roman, signe certain d'une accession au langage qui ouvre des horizons nou-ve aux.
Tout le théâtre de Marcel Dubé, bien qu'on puisse le définir comme basé sur la thématique du couple, de l'amour re cherché par tous, semble être en même temps le théâtre de l'absence d'amour. Entre hommes et femmes vivant ensemble, il n'existe pas de sentiments réciproques le s unis sant dans la joie; l'amour semble inexistant. Dans le roilie u prolétaire, il
~e
inavoué, maisc~est
surtoutà
cause du manque d'argent, de l'incommunicabilité ou mêmeà
cause du destin qui vient tout ruiner. J Déjà Fleurette, 'dans Un Simple Soldat, est lucide etéveillée devant l'atmosphère famitiale dan!;l laquelle elle se trou-ve: "Vivre dans une maison où personne s'aime. ça doit pas
2
être bon
à
la. .. .Jongue. " Les membres de la famille d'Edouard 1 Pauvre Amour! p. 158.2
JJ,.p
Simple Soldat, p. 135 •.--,. '
r, \
22
Latour s'entre-déchirent, ils sont toujours agressifs les uns vis -à -
vis des autres. L'amour qui aurait pu exister entre\
Edouard 'èt Bertha s 'e st vite transformé; leur union ,ne repose
\
que sur des bases. éphémères; Edouard n'a épousé- Bertha que dans un seul but: "J'avais un garçon sur les bras et puis je me,
..
'. , 1
dis aIS que ça lui ferait du bien d'avoir une mere. " A ceci Bertha rép'ond fermement: "Moi c'est pour Armand et Margue-rite que j'al accepté, que J'ai dit oui. Sans ça ••• 2" Les ba-ses même du manage n'ex1stent pas; ces deux êtres, tout com-me Antoinette et Gaston dans Florence, se son1;r unis par devoIr et non par amour; 11s vivent ensemble dans l'affection mutuelle, peut-être, mais l'habitude étouffe les sentiments, l'amour n'exis-te pas.
Pour certains personnages, même 51 l'amour est ab-sent de leur coeur, nous nous ,rendons compte qu'en plus de ne pas savoir aimer, ils en seraient incapables. Entre Marguerite et Horace, dès la première scène du Temps des Lilas, nous savons que rien n'existe. Marguerite a peur de la solitude, elle .' veùt assujettir Horace, pensionnaire comme elle che z
1 Un Simple Soldat, p. 26. 2 Id., p. 26.
•
"-Virgile, mais dès le début de leur relatIon: "Quand j'ai
com-mencé à:osortir avec toi, ce n'etait pas serieusement. " Lâche ' " 1
et sans 'volonté, il se laisse conduire par le bout du ne z. Mais
-contr aire ment
à
elle,' il ne pe ut et ne v~ut pas s'engager.Lors-qu'il discute dans la cour ave c Vincent, il lui avoue: "Je le fais
umquement pour lui être agréable. 2" Et cela, elle le sait déjà;
Jamais elle ne sera aimée comme elle le voudrait: "Si au moins 3
tu m'aimais autant que tu l'as aimée. Il Elle est Jalouse de la
mère d'Horace'. 'Marguérite essaie de se rattacher
à
under-nier espoir. "Horace! Je ne veux pas que tu me laisses seule!
4
Je vais mourir! Je vais mourir! Il Elle, retrouve le couple
Bertha-Edouard d'Un Simple Soldat, ainsi qu'Antoinette et
Gaston, dans Florence: pour elle, se ule la sécurité importe;
,
Horace parti, la solution sera la mort.
Chez les bourgeois, l'amour n'existe pas comme tel,
ou s'il existe, c'est
à
travers des tares cachées: l'inceste oul'adultère; le drame est donc simllaire. Margot. dans Bilan,
vit entourée de confort, elle aimerait beauco\)p mie ux se
re-1 Le Temps des Lilas, p. 83.
2 Id., p. 88.
/3 Id •• p. 82.
'.
\
•
•
,
.' 24 trouver avec Gaston qu'elle aime. L'argent, elle s'en rend compte, n'apporte pas le bonheur; elle voudrait échapper,à
l'emprise de son mari: "Nous pourrions partir ensemble toi et1
moi et vivr'e enfin! Vivre sans étouffer, "dit-elle
à
Gaston. Lui la comprend et voudrait bien partir avec elle, _ mais il est incapable de trahir son ami et collaborateur William. Margot sait qu'entre elle et son mari il n'y a plus de lien, car"L'in-ti') ,j .. ~
timité, ça, fait des année s--qu'on fait tout pour la détruire. " 2 Elle réalise que 11 amour est détruit, qu'il n'existe plus:
\.
"Au moins pour une fois. Essaie de me dire que tu m'aimes encore. Essaie de me convaincre que tu n las Jamais cessé de
3 rnlairner. Que tu es heure ux de toujours vivre avec rnoi.
"
.!
Elle se fait ici le porte-parole d'une foule de femme s cÎélàis sée s qui ne peuvent entrevoir , aucune lueur d'espoir. D'aille ur s, il
n'y a rien de nouveaU: "Quant
à
William, il y a déjà longtemps 4que je le méprise profondément, "s'exc1ame-t-elle durant
une
convers ation ave c Gaston.La m~me chose se retrouve dans Un Matin Comme ies 1 Bilan, p. 180.
2 Id. 1 p. 108.
3 Id. , p. 112.
...
Autres: Max et Madeleine sont deux êtres qui se cOtoyent sans s'aimer, mais ils ont besoin l'un de l'autre sexuellement; Max cons tate 'Que l'amour ce { e st \ i e n, que n ou s allons ve r s r
~e
n, que nous formons un joli couple d'épaves en tenue de gala. " Et cela, ,il le dit dès le début de la pièce. Leur mariage n'estp-as une réussite; ce qui avait pu être de l'amour au début de
leur union s'esttransformé en complicité et'en tolérance ré'ci-proque. Tous deux, d'un çommun accord, acceptent lé s i:nfidé-lités et les écarts de l'autre; après le retour de Madeleine et . de Stanislas qui ont passé la nuit ensemble, Max avoue
à
cettedernière qui esséÛe de détourner la conversation: lIMais non. Je constate que ma femme vient de faire l'amour et je ne lui ) demande aucune explication. C'est une simple constatation et
2
non un reproche. Il Durant la convers ation dans le s aIon, ils
/ . . , b d d . 1
prennent plaISIr a se lesser par es sarcasmes et es Insu tes
•
déchirantes, où l'ironie point
à
chaque mot: /lCe n'est tout de même pas le Saint-Esprit qui t'as mis cette lueur dans les yeux et qui a marqué la peau de ton visage. Et puis Stanislas e st imprégné de ton odeur. Je la reconnaisà
dix pieds. 3 I l,
1 Dubé Marcel, Un Matm comme les Autres, Théâtre canadien, Montréal, Leméac, 1969, p. 65.
2
..!2..,
p. 148. 3 ~., p. 149.t
t" ,."
f '
-26
Le drame, chez ces bourgeois, c'est que pour plusieurs d'entre eux l'amour n'a jamais existé. Dans, Les Beaux Diman-ches. tous~jouent sur la scène. faceà
leurs amis, le jeu de l'a-mour. Etienne est beaucoup plus un amant qu'un amoureux pour Dominique. Depuis longtemps Olivier se sait trompé par Muriel-le sa femme. Otner et Evangéline forment un couple defétra-,..
qués; si ce n'était de la foi catholique, il y a longtemps qu'ils ne vivraient plus ensemble. Pour Evelyn, Paul restera tou-jours un playboy attiré par le s Jolie s femme s. Hélène est la sèule du groupe qui soit lucide; elle pose de s que stions tout en demandant impérativement
à
Victor: "T'as peur de t'avouerl
ou de m'avouer que tu m'aimes plus. " Lui n'a pas le temps
..
,..de s'intéresser
à
ces problèmes qui sont secondaires pour un homme d'affaires; elle lui reproche: "Depuis dix ans, t'as tout2
fait pour éviter de te trouver seul avec moi. " Pour toute
p~nse i l
ne
trouveà
dire': I l Je t'aime Hélène, mais l'àrnour cie st une chose qui change, qui évolue, ça peut pas toujours3
,.
re-re ster au même point.
"
Tout comme pour ses amis (et ici 1 Les Beaux Dimanches, p. 30.2 Id., p. 30. 3' Id., p. 30.
t,
il rejoint William dans Bilan, et Achillé, dans Au Retour des Oies Blanches), le fait d'être marié, de vivre avec une femme, semble le satisfaire et le rendre heureux.
Toutes ces femmes se sentent délaissées; alors que leurs maris travaillent, elles restent
à
la maisonà
ressasser inté-rieurement le désespoir d'une vie incomplète. Elle's sont nom-breuses qui, comme Eliz~eth dans Au Retour des Oies Blanches,n'ont que faire de la fausse fidélité de leur mari. Le mal existe depuis longtemps déjà; Elizabeth n'~ Jamais Achille, rnêrne son mariage avait été fait par obéissance
à
une entente conclue par son p~re: "CIe st ainsi que j'ai épousé Achille. Dieu avait parlé à mon père et mon pèrem'avait transrnis sesl
ordres.
"
Sa seule véritable expérience amoureuse, elle l'a vécue avec son .beau-frère Thomas; revivant ses souvenirs, elle dévoileà
tous: "Mais un jour, un jour où plus que jamais Je ressentais une merveij.leuse envie de vivre et d'aimer, j'ai fait comme toi. J"lai écouté Thomas. " 2 Mais depuis lors sa cons-,
-cience stricte l'a tellement culpabilisée qu'elle en est constam-ment hantée. Elizabeth suit donc la lignée des femmes qui se 1 Dubé Marcel, Au Retour des Oies Blanches, Théâtre canadien,
Montréal, Leméac, 1969, p. 181. 2
.!!!:.
p. 158.'-'
'.
,.e
28
sont mariées sans amour. Tout comme Evelyn dans Les Beaux Dimanches, elle pourrait dire: I l J'avais espoir de l'aimer un jour. 1
"
Toutes ces femmes, depuis Le Temps des Lilas jusqu'à Pauvre Amour, avaient espéré trouver l'amour dans le mariage, mais ce fut impossible. Si elle s en avait le courage, elle s aime raient se ~etrouverà
la place de Suzie, dans Bilan, et sui-vre la voie de la raison: "Mon intention n'est pas de te faire, 2
cocu, je veux tout simplement me sép arer de to~ •. " Depuis longtemps le mal est fait, et presque tous les couples du
théâ-,
tre de Dubé pourraient faire la même constatation que Guil-laurne, dans Bilan. pensant
à
son beau-frère: "Il a épousé ma3 soeur parce qu'il avait les yeux sur l'argent de papa. "
Ainsi, partç>ut dans le théâtre de Marcel Dubé, aussi bien que dans la plupart des romans québécois, nous remarquons
qu'il n'existe que le désir d'aimer, mais qu'il n'y a jamais d'amour véritable.
,.
Victor dans Les Beaux Dimanches, Achille)
dans Au Retour des Oies Blanches, ainsi que William dans Bilan, ne s'étaient jamais aperçu du vide qui les entourait dans leur famille. Il faudra une révolte destructrice pour leur faire 1 Les Beaux Di!hanches, p. 141.
2 ~, p. 38. 3 Id., p. 45.
29
prendre cons cience de l'hypocris ie de leur entour age; ils se ren-dent compte
à
la fin que ces êtres avec lesquels ils vivent de-puis longtemps sont pour eux de parfaits étrangers; ce qu'ils a-vaient pris pour de l'amour n'était en fait que de la haine et de l'indifférence. l'argent compte, Margot dans Bilan nou .. le,
fois je me suis sentie perdue, moi aussi? Quand voyage, supposément avec des amis pour régler des a Je savais que s':l s'en allait, c'était pour s'éloigner de moi, pour échanger les idées avec d'autres femmes. Rien, personne ne lUI résiste parce que1
tout s' achè te dans son monde. I l
Alors que chez tous les personnages de ce t11éâtre l'a-mour est inexistant, nous constatons que..{~est leur conception
,JJr. *~ "'-_
,,"1f'Jfr ~ t
même de la vie qui les empêche d'a.ihl~r. C'est l'engourdis-\
.. (~
sem.ent intérieur qui les rend incapabl~ de ,poser le geste libé-rateur qui couperait les entraves emprisonnant le coeur de ces
1
êtres fai&les et sans courage.
Dans les milieux populaires, les personnages sont incapables de sentiments
à
l'égard de leurs semblablesà
cause des difficultés qu'ils ontà
communiquer ou de leur statut social 1 Bilan, p. 48./
."
30 qui les oblige
à
vivre dans un cadre monotone, dans un milieu pauvre et transi. L'homme et la femme travaillant toute la1
journée soità
l'usine ou comme f~mn1e de ménage, n'ont PIfs la force de penserà
leur conditiop lorsqu'ils se retrouvent~e
- _ t/ \
soir, exténués. Ecrasés pal' )a société, ils n'ont que le droit d'espérer des lendemains ITleilleurs; au contraire, dans les ITli-lieux bourgeois, c'est parce qu'ils sont plus
à
l'aise, ITloins pré-occupés par le s contingence s et parce que le sentiment passe au second plan, pour ces hOITlITles esclaves de l'argent, de laréussite sociale. Les mâles bourgeois sont des chauvinistes, leurs femmes ne servent que de partenaires sexuels, ou d'hO-tesses
à
la ITlaison, objets décoratifs dans le paysage social ••
L'amour, c'est la revendicahon des femmes; ITlais sauf dans Pauvre AIn our , nous dit Gilles Courtemanche, "Elles sont très faible s sur le plan des sentiments. 1
"
Et c'est ce qui les perd. Certainj\ des personnages féITlinins de Dubé seraientcapable d'aiITler, ou auraient toutes les aptitudes pour s'aban-donner
'à
l'aITlour, mais lorsqu'el,les réussissentà
prendre cons-cience de leur situation, il est souvent trop tard et le courage1 Introduction de Pauvre Amour, p.
19.
.
.
ù
leur tnanque pour se libérer de l'emprise de maris incornpréhen-sifs et négligents; mais un jour VIent le sursaut: "Moi Je pourrai me passer de tOl. Un jour, J'Y parviendrai peut-être ( . . . ) Cet-te nuit, dors en paix. J'aurais pas la force de partir cette nuit. " 1 C'est Hélène qui refuse de coucher avec son mari. Dubé connan le monde bourgeols,. et c'est parce que ses représentants ne sa-vent pas se donner
à
l'autre complètement et sans arrière pensée qu'l! les peint durement.Dans se s première s pièces, Marcel Dubé fait agir des personnages comme Tarzan ou Joseph Latour; ces êtres sont
f incapables de s'unir mentalement ou physiquement aux autres et de réus sir ce qu'ils entreprennent, mais cre st la faute de la fa-talité qui les abat; c'est le destin tragique qui, dans la mort des héros. libère et purifie. Pour Ciboulette comme pour Flo-rence, il Y a encore une lueur d'espoir après l'échec. Dubé accorde une autre chance
à
l'amour. Avec les bourgeois il est beaucoup ~lus sévère; ceux-ci font leur propre rnalheur, malgrétoutes les chancel(' qu'ils ont pour réussir; c'est leur -propre é-chee et non pàs un "destin implacable qui fait d'eux des ratés
•
"
•
•
32 sur le plan sentimental. William dans Bilan, Victor dans Les
ri
Bearn:: Bimanches, et Achille dans Au Reto~r des Oies Blanches, sont condamnés
à
vivre parmi des tricheurs et des insatisfaitsparce qu'ils n'ont pas su profiter des occasions qu'ils avaient d'être heureux. On pourrait les regrouper sous l'éclairage de c~tte
phrase d'Hélène, des Beattx. Dimanches: "Pour toi, dit-elle
à
Victor, tu penses que tout s'a~hète mais tu tlapércevr~s un jour1 que cIe st pas totalement vrai. I l
William ne peut aimer parce qu'il n'a pas le temps d'y penser, ses affaires le retiennent trop. Horace, dans Le
Temps des Lilas, était incapable d'aimer Marguerite, et peu
,
désireux de se charger du fardeau d'une femme. Depuis sa jeunesse il vit dans l'ombre d'une m~re possessive qui l'a, düt;'ant son adolescence, tenuà
l'écart du sexe opposé, ce qui lui enlève toute possibilité d'envisager une vie normale avec Marguerite: "Non. J1ai trente-huit ans, je suis un vieux gar-.çon "et je veux finir le res-te de mes jours seul. Je ne Baur aisr 1
pas quoi faire d'une femme. 2"
Apr~s
avoir fait l'amour une fois avec elle, dégotlté et ne pouvant imaginer une existence avec une femme qu'il1 Le s Be aux Dimanche s, p. 25. 2 Le Temps des Lilas, p. 132 •
,
n'aime pas, il choisit la fuite. Achille, dans Au Retour des Oies,Blanches, lui resserpble. beaucoup; lui aussi est toujours sous l'emprise de sa mère, ce qui l'empêche de voir les cho-ses comme elles sont; physiquement adulte, il est demeuré
men-" ' i
talernent un enfant malgré sa corpulence; sa mère lui dicte tout
,
ce qu'il doit faire: "Moi .seule sait tout ce que tu as fait.- Et demain tu contInueras, car desfl l,'avenir qui compte. Tu con-tinue'llras et je t'appuierai, JalTIais Je ne faillirai parce que
ja-1 mais tu n~accepteras la défaite.
"
Evelyn dans Les Beaux Dimanchès a un mari
impuis-.
santi il est laJ'cause certalne de son attitude devant l'amour, et de s a frigidité. Durant sa conversation avec Olivler, elle a-voue: "Jamais les caresses des hommes m'onb apporté le
bon-2
heur ou
le
plaisir." Elle éprouve un sentiment de cUlpabilité devant le sexe; cependant elle rêve d'un amour passionné qui lalibérer~it de se s frustations~ Elle a essayé: "Je voulais
l'ai-t '
mer, je youlais me donner
à
lui, 3" dit-elle, parlant de 80n mari. Oliviero est un de ceux qui ont compris la situation'. '
tragique dans laquelle l'individu se trouve: le malheur vient du 1 Au Retour des Oies Blanches, p. 170.
Z Les Beaux Dimanches, p. 163.
3 Id.. p. 162.
!
,
.
,.'.
34
fait que !ILes hommes ne savent pas aimer. Les femmes non plus ne le savent pas.
~ C'est le pays des mals
. , l" aunes.
Le pays des t;nals aimés: celui où --1.a-/ compréhension mutuelle à. disparu du coeur de ces êtres qui ont pourtant tout
~
pour être heureux. Il Y a entre le s sexe s un malentendu qui semble impossible
à
éclairer.•
S'adressantà
Olivier, Evelyndit:
Mais je ne s ais pas ce qu'il faut faire pour tEQ guérir de ton mal. C'est ç~a qui me détruit, ,c'est ça qui me fait peur quand tu cherc~es
à
dire que tu ITl'aimes: de savoir que je ne saurais pas te re-tourner ton amour, que je ne saurais pas te rendre heure ux ••• Olivier. 2En se faisant le p~rte-parole de la collectivité
québé-(
coise, Olivier révèle les interdictions d'une morale chrétienne trop sév,ère, qui rend les êtres incapables de s'unir
physique-( )
'ment. ' LOTsque les gens seront résol~
à
se débarasser de la hantise du péché de la chair, ils seront libérés et capables d'aime,r.---.--~-~--'-- D'autres personnageSl de Dubé,' tàïTt'ès~ir ~onnu ,les
" ~
' " r : ' -_______.
plaisirs
~t
les' émotions d'une vie heureuse'"; deyient;!enti1'!l~
'--.., , r '
1 Le s Be aux Dimanche s, p. 161. 2 Id., p. 163.
•
-"
•
o
35
sants
à
faire renanre l'amour et la dignité qui l'accompagne.Claudia, dans Un Matin Comme les Autres, se rappelle les
jours difficiles mais heureux de son séjour en Europe. Ce
qu'el~e faisait, "C'était pour lui, pour qu'il ait un endroit où se
cacher, qu'il ait un morceau de pain
à
manger quand il rentraitla nuit. C'était mon homme
à
moi. C'était le premier homme1
dans ma vie." Rev~nùe au Canada avec Stanislas, elle est
dé-çue et traumatIsée dans un monde qu'elle n'aime pas ef\dans
lequel elle se sent étrangère. C'est la société québécoise' qui
les empêche de créer du nouveau et de se libérer. Max
com-prend le problème de Claudia, il la sait étouffée par la société
qui décompose et détruit le s être s:
Voye z- vous, Claudia, on a appris, aux gens b
d'ici depuis bien des années
à
chercher entout le bonheur américain. N0S cerveaux s'en
trouvent conditionnés. L'important que les
Anglos ne cessent jamais de répéter, c'est
niveau de vie, la santé économique.
Com-bien de fois nous ont-ils mis effrontément
en garde? Si vous devenez souverains, si vous
repoussez notre étreinte si généreuse, bang ,2
Il n'y a plus d'espoir pour Claudia et Stanislas, le
recoffimencement attenàu n'arrivera pas. Pour ces personnages,
l Un Matin Comme les Autres, p. 111.
Z Id., p. 102 •
il est impossib e de trouver satisfaction et de s'unir complète-C'est le refroidissement r
ne
l'amour chez ces gens qui ment.-, f, ...
. font pourtant l'amuur ensemble, mais qui ne s avent pas aimer. Dans Zone, le dernier acte exprime l'impossibilité de l'amour. Maxilien Laroche dit ici: "Déjà se dessine cette for-ce du destin qui en Passe-Partout, °détruira à la fois le rêve et
l
l'amour. " Même Tit-Noir, s'était rendu compte de la situation et prédisait sans le savoir le malheur des deux' autres: "Un jour, tu voudras lui avouer ton amour, et il sera trop tard, ce sera
2 " 1
Impossible.
"
Et, il est vrai, l'aveu ne sje fera qu'au moment !de la mort de Tar zan, alors qu'il e st trop tard. Florence, dans
, '
Florence, pour échapper à l'ennui quotidien7 choisit un sentier
sans issue. Elle refuse de vivre avec Eddy parce qu'elle sait que cette aventure n'aboutit à rien de vrai et d'entier. C'est le terrible choix de l'amour impossible.
Après la lucidité de Ciboulette et de Florence~ Hélène dans Les Beaux Dimanches, Margot dans Bilan, et Françoise dans Pauvre Amour, seront
à
le,ur tour,vingt ans plus tard. déçues par l'amour. La passiop. de Margot pour 'Gaston, dansl Introduction de Zq,ne, p. 15.
'2 ,~, p. 48.
Bilan, est un élan qui reste sans réponse et qui. nous dit Yves Dubé, "ne sert qu'à montrer la futilité de l'épouse et la
pn-
1-mauté des intérêts matériels chez les hommes." Sans Wil~ia J
Gaston laissé
,
à
lui-même aurait pu faire un amant convenao-e.
Margot aime. cet homme, et elle voudrait partir avec lui: " ous... 2
devons prendre ensemble le peu de bonheur qu'il nous reste. Il
Mais une suite de situations inattendue s, incontr,ôlables, plonge
\
le s amoureux dans une profonde solitude J et à la fin CIe la
piè-ce leur amour aboutit
à
une impasse.Tous le s maris de ce s femme s seules et ins atisfaites
éprouvent
à
leur égard de l'amitié plutôt que de l'amour; leur tort est de placer le sentiment au même lliveau que les besoins matériels. Dans ces familles, à cause de la situation defor-. ' ~ ~J t
tune, les hommes (beaucoup plus que dans le milieu ouvrier).
'.
,,,'
,boivent fréquemment et même
'à.
l'occasion se permettent facile-ment une liaison avec une fille de rencontre. Ces à-cOtés leur font oublier leurs devoirs conjugaux et ils rendent ainsi, la vie malheureuse à ceux qui les entourent.Incapables de s'unir naturellement, transis et rejetés 1 Introduction de Bilan, p. 16.
2 B Han. ,p. 180.
• l
.
38
par le sexe opposé, certains! comme Robert dans Au Retour des Oies Blanches, trouvent leur satisfaction et leur plaisir auprès de personnes du même sexe ou des membl'es de leur famille. L'homosexualité apparaft à Robert comme la seule solution face à la mésentente profonde entre l'homme et la femme. Nous sa-vons, grâce à sa conversation avec Laura, qu'il a déjà eu des r:elations amoureuses; il dit:
Il n'y avait rien de laid ni de mals ain entre nous mais nos rapports étaient devenus si étroits que nous avons fini par en souffrir. Sans être anormale, notre amitié devenait particulière. Cependant, nous n'en parlions jamais.- Nous savions tous les deux que
nous avions besoin l'un l'autre pour apprendre les secrets du monde ,1 pour aimer la vie
jusqu'à vouloir en mourir. Et puis un soir, l'hiver dernier ••• 1
_S'il ne s'agissait pas d'amour, c'était une amitié ,véri-table qui l'unissait
à
cet autre étudiant qui, un soir, s'était laisser aller: "Nous avons été trouvés par" des flics alors que2
nous étions tous le s deux... " Mais lorsqu'ils furent décou-verts, Robert Be retrouva s~ul et décida alors de mener une vie d'ermite, retiré du monde. Marqué par son passé, il
ou-3 vre sab coeur à Laura et lui avoue: "Je n'aÎIne pas les femmes. " l Au Retour de s Oie s Blanches, p. H2.
2 Id., p. 113.
3 Id., p. 110.
Se rappelant cette nuit fatidique avec son ami, il p.e peut
slern-o
pêcher de penser: "Je me demande surtout si ce nlest pas la seule nuit de ma vi€: où j'aï été moi-même. 1"
Depuis son retour
à
la maison, il vit dans la solitude, replié sur lui-même, tout en s'adonnant à la composition de son,,),
roman et en fumant de la rrarijuana. Ses seuls rapports sexuels sont soit ave c la bonne de la maison, soit ave c des femme s beaucoup plus âgées que lui et qu'il s'ingénie
à
rabaisser età
humilier.
De plus, Marcel Dubé insère dans cette piè ce un élé-ment nouve au dans son théâtre. L'ince ste devient un th~me Im-portant pour la compréhension des rapports entre Robert et
Ge-.,
neVleve. L'inceste symbolise une certaine peur de vivre dans une société repliée sur elle-même
à
cause d'un passé difficile et sévère brimant toute liberté individuelle. DI aprè s Jean Roger. dans sa critique de la pièce parue dans l'Action le 25 novembre 1966: "L'inceste est une négation du temps sans piti6,2
comme le refus de vivre. I l Tout comme l'homosexualité,
llin-ceste exprime la peur d'un m'!ltriarcat et d'un patriarcat qui 1 Au Retour des Oies Blanches, p. 114.
40
dévoilent un mal de vivre que nous re trouvons dans la molle sse et la culpabilifé. dans le mensonge et l'impuissance.
Dans cette pièce de Marcel Dubé, Au Retour des Oies Blanches, l'inces' reprend un motif de la tragédie grecque, la
J
famille devient un lieu où les personnages s'adonnent
à
des Jeux suspects. Tout comme Robert avec les femmes mares, Gene-viève n'est attirée que par des hommes âgés. Parlant de Ri-chard. elle avoue: IIJe déteste les garçons de son âg .. e. Quoiquel '
lui soit moins pire que les' autres. Il Après son aventure
à
l'université. Robert s'est efforcé d'aimer des femmes de son âge, mais il lui était impossible d'y parvenir; H revenait
dé-~
goaté chaque fois.
Ces deux jeunes voïent bien que leurs parents ne s'ai-ment pas; Robert, en ne respectant pas les filles avec lesquelles
il fait l'amour, efface en même temps l'image idéalisée qu'il a
,
de sa mère. Pour lui. c'est la soeur qui est le seul substitut 'de la mère; pour(Geneviève. Robert' prend la place du père
à
qui elle a da renoncer depuis longtemps déjà. L'affection entre
'î .,
frère et soeut: ~ache quelque chose de peu ordinaire. ~Jlevi~ve ,
enlasse Robert de mani~re trop affectueuse. mais Laura connan 1 Au Retour de sOies BI.anches, p. 95.
1
la situation: "Elle vous cfime de tout son coeur. I l Au milieu du
troisième tableau, nous découvrons quelque chose de plus pro-fond entre eux: Robert semble êtr~ accoutumé
à
jouerà
la cachette avec elle; apr~s la révolte de sa soeur, enfermée dans sa chambre, il veut la délivrer: r'J~rçonnais un truc pour entrer chez-elle. C'est préférable que J'Y aille seul. 2" Nous séNons'\
tout ce que cela implique entre frère et soeur. Lorsqu'il em-brasse Laura,
à
la fin' de la pièce, nous pouvons supposer quec'est
à
Geneviève qu'il pense; d'ailleurs, Laura et Geneviève' se considèrent comme detbt soeurs. "Viv! ••• Elle était si vivan-te et toutà
coup il ne reste que son silence ••• Et toi ••• ,Et toi, sa soeur ••• Sa grande soeur venue du, bout du monde pour assis-terà
la fin de son rêve. 311Et pourtant, c'est
à
travers cet inceste symbolique quet O I , " ' " ,
,
Robert retrouve la femme qu'il avait oubliée depuis~ un moment, et qu'il découvre lucideme~t l'amour. Avant le départ de Lau-ra, il espère la revoir, il en fait le souhait et nous connaissons sa sincérité.
,
1 Au Retour , des Oies Blanches,"
p. 106.
2 Id. ,
p.
164.-•
3 Id. ,p.
173.-,
•
•
·r
•
42
Dans d'autres familles bourgeois~s, nous savons que le même inceste existe au fond de certains êtres. Jane dans Pauvre Amour, dans une conversation avec Georges, avoue: "Je me souviens,
à
plusieurs reprises, j'ai eu l'idée. de tuer1
ma mère." C'est son père qu'elle admire, elle le retrouve en Georges. Alain est trop irrespoy;,~le,
jeunes de son âge il est frivole et airJe se femme
à
l'autre.comme tous" le s promener d'une
Dans Un Matin comme les Autres, les refoulements serltimentaux de Max
,,,,;~,jr-.... et de Madeleme sont remplacés par
l'a-• r ... "{
'd urtè re frtutue lie me nt accepté par le s conjoints. Madeleine éprouve depuis toujours une vive passion pour Stanislas qui est
\
un beau jeune homme et qui a de la classe; elle veut coucher avec lui et la bai-gnade qu'elle propose sert ses desseins:
2
"Quelques minutes et Je suis toute
à
vous. " Elle et Stanislas passeront: la nuit dans l'appartement de ce dernier.'"
.
C'est de," 01".,
retour' che z .. ~lle que nous apprenons qu'elle est nymphomane;
_,l,
~ ' " <
]\;\1&,
d~~oaté
d'elle, ne fait qu'exacerber son appétit sexuel:"Je suis vraiment ta putain préférée. 3" dit-elle; et ils se 1 Pauvre Amour, t.,"'p. 124.
2 Un Matin comme les Autre B. p •. 90.
.e
retrouvent à nouveau ensemble à faire l'amour comme SI rien
ne s'était passé. Max aÏtnerait pouvoir lui dire non, mais c'est elle qui, la première, lui a fait connartre l'amour; il ne sera jamais capable de s'en échapper. Entre Stanislas et Clau-.dia,._le s liens- physiques sont la seule raison valable pour
con-tinuer à vivre ensemble. "J'ai constaté comITle vous qu'il n'y avait rien d'autre à faire que d'accepter les situations dans
l
lesquelles on s'embarque malgré soi." Elle est vouée à res-ter avec son mari Jusqu'à la fin. Tout comITle Robe rt et Eli-zabeth dans Au Retour des Oies Blanches, Claudia n'a connu l'amour qu'une seule fois dans sa vie: "Je me suis laissée aimer pour la preITlière fOlS et la dernière fois de ma vie. 2" " Son mal, COlTlme celui de beaucoup d'autres, c'est de n'avoir
jamais pu aiITler son mari pour lui-même.·
Pour Dubé, i'adultère est ce qui efface les derniers espoirs d'amour. Dans Les Beaux Dimanches," Hélène, sous prétexte d'aller retrouver un autre homITle, s'enfuit de la mai-son. Murielle et Paul descendent à la cave ensemble, Evan-géline fait devant tout le monde un strip tease semblable
à
1 Un Matin comme les Autres, p. 159.• • /l