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Enseigner au corps de l'acteur : le développement d'une pédagogie du mouvement dans les écoles de jeu au Royaume-Uni comme synthèse des pratiques de théâtre corporel en Europe

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Academic year: 2021

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© Samantha Clavet, 2018

Enseigner au corps de l'acteur: Le développement d’une

pédagogie du mouvement dans les écoles de jeu au

Royaume-Uni comme synthèse des pratiques de théâtre

corporel en Europe

Mémoire

Samantha Clavet

Maîtrise en littérature et arts de la scène et de l'écran - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Enseigner au corps de l’acteur : Le développement

d’une pédagogie du mouvement dans les écoles de jeu

au Royaume-Uni comme synthèse des pratiques de

théâtre corporel en Europe

Mémoire

Samantha Clavet

Sous la direction de :

Liviu Dospinescu

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iii RÉSUMÉ DE LA RECHERCHE

Ce mémoire s’intéresse à la combinaison possible de principes liés à la méthode pédagogique de Rudolf von Laban et à celle de Jacques Lecoq dans la conception d’une méthode de préparation physique de l’acteur. L’objectif principal de la recherche est de poser les bases une pédagogie issue de ces deux conceptions du corps théâtral visant le développement de la conscience corporelle de l’interprète de théâtre. En posant d’abord le cadre historique de l’émergence des pédagogies de ces deux praticiens par une étude de l’évolution de la formation de l’acteur en Occident au courant du

XXe siècle, il m’a été possible de retracer leur chemin jusque dans les institutions de formation de

l’acteur au Royaume-Uni, où certains principes développés par chacun d’eux se côtoient. Un approfondissement des éléments centraux des enseignements de Laban et Lecoq m’a permis de dégager les principes pédagogiques qui allaient guider les prémices du développement de ma propre méthode d’enseignement. Celle-ci a été validée au travers de la préparation et de l’enseignement d’ateliers de mouvement destiné à l’acteur de théâtre. En annexe du présent document se trouvent les plans de leçon desdits ateliers, de même qu’un retour sur l’enseignement de chacun d’entre eux.

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iv TABLE DES MATIÈRES

Résumé de la recherche ... iii

Table des matières ... iv

Remerciements ... vi

Introduction ... 1

Chapitre 1 – La formation de l’acteur au Royaume-Uni ... 4

1.1 Du début du XXe siècle aux années 1970 : l’amorce d’un changement dans la conception du métier d’acteur et dans les fondements de sa formation ... 4

1.1.1 Début du siècle : l’acteur au service du texte ... 5

1.1.2 Joan Littlewood et le Theatre Workshop ... 6

1.1.3 Michel Saint-Denis et le nouveau modèle institutionnel de formation de l’acteur ... 8

1.1.4 Ramification et complexification des influences maitres-disciples ... 10

1.2 Les années 1980 à 2000 : l’âge d’or du physical theatre ... 13

1.2.1 Un engouement pour le mime ... 14

1.2.2 La volonté de définir un nouveau genre : de physical theatre à physical performance .. 17

1.2.3 Former l’acteur-créateur : de nouvelles écoles de formation ... 18

1.3 Les années 1990 à nos jours : l’ère de la post-physical performance ... 21

1.4 Conclusion ... 22

Chapitre 2 – La préparation corporelle de l’artiste de scène selon Laban et selon Lecoq ... 23

2.1 Laban et la nécessité d’une préparation corporelle méthodique pour l’artiste de la scène .. 23

2.1.1 L’observation des corps en mouvement et l’étude du rythme comme sources d’influence au travail de Laban ... 24

2.1.2 Le développement de l’expression corporelle en tant qu’élément fondamental à la formation de l’acteur selon Laban ... 25

2.2 Lecoq et le développement d’une pédagogie de l’acteur-créateur ... 29

2.2.1 L’influence de Dullin, de Copeau, de Saint-Denis et de la commedia dell’arte dans le travail de Lecoq ... 29

2.2.2 La formation de l’acteur selon Lecoq en tant que processus créatif organique ... 30

2.2.3 L’évolution de la méthode développée par Jacques Lecoq dans le travail de Philippe Gaulier ... 35

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v

Chapitre 3 – Enseigner au corps de l’acteur : méthode expérimentale et résultats de recherche d’une approche de l’enseignement du mouvement développée à partir des concepts de Laban et

de Lecoq ... 38

3.1 Concepts retenus chez Laban et chez Lecoq ... 38

3.2 Méthode expérimentale et élaboration des ateliers ... 40

3.2.1 Objectifs des ateliers ... 41

3.2.2 Méthode pédagogique ... 41

3.2.3 Méthode expérimentale et déroulement des ateliers ... 42

3.2.4 Élaboration des ateliers ... 43

3.3 Enseignement des ateliers ... 44

3.3.1 Atelier 1 : Le corps en mouvement ... 44

3.3.2 Atelier 2 : Les corps en mouvement ... 46

3.3.3 Atelier 3 : Les corps dans l’espace ... 48

3.4 Vers une méthode de formation de la sensibilité corporelle chez l’acteur de théâtre ... 50

3.4.1 Résultats des laboratoires de recherches ... 50

3.4.2 Les principes d’une méthode de formation de la sensibilité corporelle de l’acteur de théâtre ... 52

3.4.3 La nécessité, chez le pédagogue, d’une compréhension théorique et pratique des notions à enseigner ... 54

3.5 Conclusion sur le travail expérimental ... 55

Conclusion générale ... 56

Bibliographie ... 58

Annexe 1 – Plan de séance : Atelier 1 ... 61

Annexe 2 – Plan de séance : Atelier 2 ... 66

Annexe 3 – Plan de séance : Atelier 3 ... 70

Annexe 4 – Bilan de séances – Atelier 1 ... 75

Annexe 5 – Bilan de séances – Atelier 2 ... 82

Annexe 6 – Bilan de séance – Atelier 3 ... 89

Annexe 7 – Liste de morceaux de musique associés aux actions d’effort ... 93

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vi REMERCIEMENTS

Dans un premier temps, je tiens à remercier Élizabeth Plourde pour la passion qu’elle témoigne en enseignant, qui est à l’origine de la réorientation de mon domaine d’études de la création littéraire vers le théâtre. Merci également pour son soutien tout au long de mon parcours universitaire des plus atypiques des huit dernières années. Merci à mon directeur de recherche, Liviu Dospinescu, pour avoir su orienter mes recherches dans la bonne voie. Un merci tout particulier à John Baxter qui a été pour moi la manifestation la plus fulgurante de la présence, ce concept à la fois ésotérique et abstrait, but à atteindre pour chaque acteur. Merci à Vincent Manna et Yorgos Karamalegos, deux enseignants à la patience infinie qui m’ont permis, malgré mes nombreux blocages, de faire quelques pas timides dans l’apprentissage du mouvement, et qui ont posé les bases de ma volonté de pousser plus avant mes compétences dans ce domaine. Merci à Bim Mason et Lex Rooney pour avoir transformé ma vision d’artiste, pour m’avoir appris à penser en termes de mouvement, et pour m’avoir guidée dans une compréhension de la création et du rôle du performeur-créateur. Merci, également, à Amélie Laprise, Hubert Bolduc, Marie-Chantale Béland, Nadia Girard Eddahia, Guillaume Pepin, Edwige Morin et Natalie Fontalvo pour avoir suivi les ateliers développés dans le cadre de cette recherche et pour m’avoir permis de mettre à l’épreuve mes aptitudes de pédagogue. Merci, également, à Émile Beauchemin, pour son aide précieuse sans laquelle la captation vidéo de mes

ateliers n’aurait pas été possible. Merci, évidemment, à la Faculté des lettres et des sciences

humaines et au Bureau Internationale de l’Université Laval, de même qu’à LOJIQ, pour leur soutien financier qui m’a permis d’effectuer un séjour de recherches et de formation au Royaume-Uni.

Merci, finalement, à tous ceux qui m’ont enseigné le théâtre et le mouvement avec passion, que ce soit au Cégep Limoilou, à l’Université Laval, à LAMDA ou à Circomedia, et qui m’ont donné envie, à moi aussi, d’enseigner.

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1 INTRODUCTION

« Il ne peut y avoir de mouvement sans immobilité, il ne peut y avoir de son ou de mots sans silence. L’immobilité physique et le silence doivent tous deux maintenir une présence dynamique si les mots et les mouvements qui les

entourent veulent avoir une signification au-delà du familier1. »

Un acteur qui habite son immobilité et qui l’incarne et donc qui y est présent confèrerait à son absence de gestes plus de signification qu’un acteur désincarné en mouvement, dont les gestes n’auraient qu’une valeur démonstrative. Par son aspect dynamique, donc actif, la notion de présence scénique va au-delà du simple concept inhérent au jeu de l’acteur, elle en devient une véritable manifestation.

Dans son Dictionnaire du théâtre2, Patrice Pavis fait état de la présence corporelle comme de la

« communication corporelle "directe" avec le comédien perçu3 » et la qualifie de « bien suprême à

posséder pour l’acteur4. » Ainsi, elle s’articule dans la faculté qu’a l’acteur d’utiliser son corps à des

fins expressives dans son travail scénique. S’il s’agit donc pour l’acteur d’utiliser son corps à des fins expressives, c’est dire que son corps devient outil, un outil par lequel et avec lequel il peut travailler. Et puisque le développement de cet outil expressif permettrait l’acquisition d’une meilleure présence scénique, « bien suprême de l’acteur », il va sans dire que la recherche de moyens visant à développer cet outil devrait sous-tendre le travail de l’acteur. En ce sens, plusieurs approches de la

formation de l’acteur au XXe siècle se sont articulées dans le but de développer, par l’adoption de

techniques d’entrainement corporel variées, l’expressivité gestuelle de l’acteur, et du même coup, sa faculté à canaliser son énergie et à la mettre à profit dans son jeu.

En 2011, j’ai suivi une telle formation à la London Academy of Music and Dramatic Art

(LAMDA). À l’époque, je n’avais pas encore débuté d’études universitaires dans le domaine théâtral et mes connaissances sur l’art de l’acteur s’ancraient davantage dans une pratique amatrice du jeu scénique que dans une compréhension théorique articulée. À LAMDA, j’ai eu la chance de suivre des cours de jeu physique auprès de John Baxter. Il a été pour moi la manifestation la plus fulgurante de la présence scénique. Il m’était alors difficile de saisir la notion de présence, et elle s’est définie dans ma conception de l’époque par la manière selon laquelle le moindre geste et la moindre respiration de Baxter captaient mon regard. Ma vision du théâtre s’est transformée au contact de ce pédagogue et elle s’est développée vers une conception du théâtre qui passe par le corps en

1 Ma traduction : « We cannot have movement without stillness, we cannot have sound or words without silence. Both physical stillness and silence have to sustain a dynamic presence if the words and movement are to have any meaning beyond the colloquial. » Simon Murray et John Keefe, Physical Theatre: A Critical Introduction, Abingdon, Routledge, 2016, p. 212.

2 Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre, Paris, Messidor/Éditions sociales, 1987, 477 p. 3 Idem, p. 301.

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mouvement. Baxter a suscité chez moi un désir de développer mes facultés corporelles dans le but d’acquérir un meilleur contrôle sur mon corps, et d’ultimement accroître ma présence scénique. L’atteinte d’un tel objectif nécessitait la recherche d’une méthode efficace. Ainsi, j’en suis venue à me questionner sur les composantes de la formation de l’acteur, questionnement qui a continué à évoluer en parallèle de ma formation universitaire en études théâtrales.

En examinant le cursus de différentes écoles de théâtre, comme l’École Nationale de Théâtre du Canada, l’American Academy of Dramatic Art ainsi que la Royal Academy of Dramatic Art, et en les mettant en parallèle avec celui que j’ai suivi à LAMDA, j’ai été à même de constater que l’enseignement dispensé dans ces établissements s’articule en trois volets : le jeu (qui inclut entre autres des techniques d’improvisation et du travail de scènes), la voix (qui inclut la projection vocale, la diction, le travail du vers, de même que dans certain cas, le chant), et le mouvement (les techniques employées dans ce volet diffèrent davantage d’une école à l’autre, et incluent des éléments aussi variés que la danse, l’escrime et le mime). Alors qu’un consensus semble établi sur les composantes des deux premiers volets, ce qui définit le travail du mouvement pour l’acteur est moins balisé. Comme cela a été mentionné précédemment, c’est pourtant le travail gestuel qui permettrait à l’acteur d’affiner son outil expressif et, du même coup, qui lui confèrerait une plus grande présence scénique.

Deux aspects semblent cependant se dégager du travail du mouvement, c’est-à-dire un aspect

technique, qui vise la maîtrise de disciplines particulières, comme c’est le cas dans le ballet classique ou le combat de scène, ainsi qu’un aspect expressif, qui peut par exemple prendre sa source dans l’apprentissage de la danse contemporaine ou du jeu masqué. C’est vers ce second volet que j’ai porté mon attention. J’ai alors identifié deux pédagogues qui ont développé leurs enseignements selon l’exercice expressif du mouvement et avec le travail desquels j’avais été mise en contact lors de ma formation en jeu à LAMDA, c’est-à-dire Jacques Lecoq et Rudolf von Laban. J’en suis venue à m’interroger à savoir s’il est possible de mettre à profit des concepts issus de leur méthode respective et de les unifier dans l’établissement d’une pédagogie du mouvement visant à accroitre l’expressivité du corps de l’acteur. Cette problématique est à l’origine du travail de recherche que j’ai effectué dans le cadre de ma maîtrise, qui m’a menée à concevoir et à enseigner des ateliers de travail corporel pour l’acteur, et dont le présent essai fait état. Les recherches qui ont nourri ma réflexion dans le cadre de ce travail se sont articulées en deux volets, l’un théorique et l’autre pratique. En effet, j’ai effectué un stage en Angleterre durant lequel j’ai suivi une classe de maître en improvisation à la RADA auprès d’un diplômé de l’École Philippe Gaulier en plus de suivre une formation d’un an en cirque contemporain et théâtre du corps à Circomedia. Ce stage de recherche m’a mis en contact avec des pédagogues ayant développé une grande expérience dans l’enseignement de l’expressivité corporelle tout en me permettant de former une banque d’exercices qu’il m’a par la suite été possible d’utiliser ou d’adapter dans le cadre de mes ateliers. Il va sans dire que le présent mémoire est orienté vers une pratique d’enseignement et de transmission de connaissances, mais que le travail de création, en fait de laboratoires, ne fait que préparer le terrain

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à l’articulation d’une méthode en termes pédagogiques. Les ateliers sont surtout préliminaires à un travail de structuration de la pédagogie, qui lui, sera développé lors d’une étape ultérieure à celle présentée dans le cadre de la présente recherche.

Afin de pouvoir enseigner à partir des savoirs et compétences que j’avais acquis dans le cadre des diverses formations pratiques que j’ai suivies, il me fallait d’abord comprendre ces formations. Dans le « Chapitre 1 – La formation de l’acteur au Royaume-Uni », j’établis la filiation des enseignements que j’ai reçus à LAMDA et à Circomedia en m’intéressant à l’évolution du modèle institutionnel de formation de l’acteur ainsi qu’en examinant les modifications qui se sont opérées au sujet du rapport au corps dans le travail de l’acteur. Par ailleurs, il m’a semblé évident que l’expérience pratique que j’avais acquise en lien avec le travail de Laban et celui de Lecoq n’amenait pas une compréhension assez profonde de leurs enseignements pour que je puisse en faire usage dans l’élaboration d’une méthode pédagogique. J’ai donc entrepris des recherches théoriques sur le sujet afin qu’elles viennent soutenir mes connaissances pratiques. Le « Chapitre 2 – La préparation corporelle de l’artiste de scène selon Laban et selon Lecoq » se veut une synthèse des sources d’influence et des grandes idées qui articulent les méthodes pédagogiques de ces deux praticiens. Forte de cette compréhension nouvelle, j’ai développé trois ateliers de mouvement s’adressant à des acteurs, dont fera état le « Chapitre 3 – Enseigner au corps de l’acteur : méthode expérimentale et résultats de recherche d’une approche de l’enseignement du mouvement développée à partir des concepts de Laban et de Lecoq ». D’une durée de trois heures chacun, j’ai conçu chaque atelier dans la continuité les uns des autres, en suivant une logique dirigée par des objectifs préalablement établis. Le chapitre 3 rendra donc compte de la méthode que j’ai adoptée pour la conception de mes ateliers et fera la synthèse des résultats que j’ai pu tirer lors de leur enseignement.

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CHAPITRE 1–LA FORMATION DE L’ACTEUR AU ROYAUME-UNI

Comme mentionné dans l’introduction, afin de pouvoir enseigner à l’acteur en combinant les compétences développées lors de mes formations professionnelles en tant qu’interprète de théâtre aux connaissances acquises lors de mes recherches théoriques sur le sujet, il est évident qu’il me faille retracer la filiation des formations que j’ai suivies. Ces dernières se déclinent en 3 volets, tous trois en sol britannique. Il s’agit d’abord de ma formation en jeu à LAMDA, à Londres, suivie de ma formation en cirque contemporain et théâtre du corps à Circomedia, à Bristol, et finalement de ma participation à une classe de maitre offerte à la RADA, à Londres. Étant donné la multitude des parcours des artistes auprès desquels j’ai été formée, il semble logique que, pour retracer l’origine du savoir qui m’a été transmis, il me faille établir le contexte d’émergence des institutions où j’ai été formée ainsi que l’évolution de la structure de l’enseignement dispensé dans ces écoles. Le présent chapitre me permettra donc de retracer les fondements sur lesquels repose ma formation et ma pratique théâtrale professionnelle en tant que comédienne.

1.1 Du début du XXe siècle aux années 1970 : l’amorce d’un changement dans la

conception du métier d’acteur et dans les fondements de sa formation

Le XXe siècle en a été un de réformes au théâtre. En effet, les nombreux bouleversements historiques

qui ont marqué le début des années 1900, telles que la Première Guerre mondiale et les révolutions russes, ont généré « de vigoureuses réponses artistiques, et ont galvanisé une génération de praticiens de théâtre dans un rejet des idées du passé, et dans un désir de réexaminer les principes

fondamentaux de leur pratique5 ». Le théâtre ne pouvait plus être la simple déclamation d’un texte,

et il ne pouvait se limiter à n’être qu’une forme de divertissement. Il se devait d’être porteur de sens, voire même d’avoir une portée sociale. L’avènement du metteur en scène, véritable chef d’orchestre de l’œuvre théâtrale dont le rôle est de mettre à profit les différents langages de la représentation dans le but d’en dégager un sens, rend manifeste cette volonté d’assigner au théâtre un langage qui lui soit propre. Il est devenu nécessaire de former un artiste capable de porter cette nouvelle vision du théâtre. Il est évident que de telles transformations dans la manière de penser et de faire le théâtre ont entrainé des changements dans la manière de préparer l’acteur pour la scène et que la systématisation de sa formation est devenue primordiale. De telles modulations ont cependant été

5 Ma traduction : «… vigorous artistic responses, and galvanized a generation of theatre maker into a rejection of what had gone before and a desire to re-examine the fundamental principles of their practices ». Mark Evans, « Introduction », dans Mark Evans [dir.], The Actor Training Reader, Abingdon, Routledge, 2015, p. xxii.

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plus lentes à se faire sentir au Royaume-Uni, où la tradition théâtrale est très conservatrice et principalement texto-centriste. La présente section permettra de contextualiser la lente amorce d’une modification dans la manière de penser le théâtre chez les Britanniques.

1.1.1 Début du siècle : l’acteur au service du texte

La formation de l’acteur n’a pas toujours été l’objet d’une préparation à la scène suivant une méthode

ou une pédagogie réfléchie. Au XIXe siècle, le métier était appris par imitation ou par immersion dans

une production. En de rares occasions, un acteur plus expérimenté pouvait prendre un apprenti sous son aile, mais c’était en observant son mentor que l’aspirant acteur apprenait sur son travail. Il n’y avait pas d’enseignement ou de transmission de savoir à proprement parler. En effet, le « travail

préparatoire principal de l’acteur consistait à amasser un agencement de rôles, appris par cœur,

approprié à son personnage type et à son statut dans la profession. Une place dans un théâtre de province ou une compagnie de tournée était alors recherchée, où les rôles étaient polis et

rehaussés6. » C’est la volonté de professionnalisation du métier d’acteur et de sa reconnaissance au

sein de la société occidentale qui a déclenché un changement dans le mode d’apprentissage. Dans le but de légitimer les professions du théâtre, des écoles spécialisées ont ouvert un peu partout en

Europe. Josette Féral, dans son introduction au Training de l’acteur7, dresse un portrait des

institutions théâtrales au début des années 1900 :

Lorsque Copeau fonde son école en 1920, le panorama de ces années-là comprend en France de nombreuses écoles, cours, ateliers. Le Conservatoire national supérieur d’art dramatique existe déjà depuis fort longtemps (il avait été créé en 1784, d’abord avec le titre d’École royale de chant et de déclamation, et devient Conservatoire en 1808. Il se sépare du Conservatoire national de musique en 1946). La situation est identique ailleurs en Europe. […] Mais c’est sans doute le Royaume-Uni où la tradition de formation d’acteurs est la plus forte. Il compte déjà un grand nombre d’écoles dont les plus importantes sont la Royal Academy of Dramatic Art (RADA), la London Academy of Music and Dramatic Art (LAMDA), la Guildhall School of Speech and Drama, pour n’en nommer que quelques-unes8.

Si l’on s’arrête au nom que portait à l’origine le Conservatoire en France, l’on a un aperçu assez juste de ce qui y était enseigné. La déclamation, la diction, l’éloquence et la bienséance étaient au cœur du cursus. Cela s’explique par le fait qu’alors le théâtre était d’abord et avant tout un texte donné à entendre aux spectateurs, et le travail de l’acteur se résumait à bien dire le texte, à le mettre en valeur. Si c’était vrai en France, il en était de même ailleurs en Europe. C’était d’autant plus le cas

au Royaume-Uni, où le texte est, encore aujourd’hui, un élément central de la pratique théâtrale9.

6 Ma traduction : «… The main preparatory work of the actor was to amass a configuration of roles, learned by heart, appropriate to his or her character type and standing in the profession. A place in a provincial theatre or touring company was sought, and the roles were polished and increased. ». Clive Barker, « What Training – For What Theatre? », dans New Theatre Quarterly, vol. 11, n° 42, 1995, p. 99.

7 Carol Müller [dir.], Le Training de l’acteur, Arles, Acte Sud (Actes Sud – Papiers), 2000, 206 p.

8 Josette Féral, « Introduction : Vous avez dit training? », dans Carol Müller [dir.], Le Training de l’acteur, Arles, Acte Sud (Actes Sud – Papiers), 2000, p.13.

9 Dans leur introduction à Jacques Lecoq and the British Theatre, Franc Chamberlain et Ralph Yarrow expliquent comment, au Royaume-Uni, les créations issues d’un travail d’improvisation sont encore perçues en général comme étant inférieures aux spectacles basés sur des textes préalablement écrits. Ils

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Les trois établissements britanniques ici nommés par Féral existent toujours aujourd’hui, et ils sont considérés comme des établissements de choix dans le domaine. Il va sans dire que l’enseignement prodigué aux aspirants-acteurs a évolué depuis la fondation de ces écoles, mais ce fut une lente transformation qui ne reflétait en rien l’effervescence qui animait les bouleversements de la pensée théâtrale ailleurs en Europe. Alors qu’en Russie, Stanislavski, Chekhov et Meyerhold posaient les bases d’idées et de principes qui allaient révolutionner la pratique théâtrale en Occident, tout comme le faisaient en France Copeau et Artaud, le théâtre britannique des années 30 « était conservateur,

largement inaltéré par les innovations qui avaient pris place sur le continent10 ».

Il est possible de retracer quelques contacts entre les idées des grands réformateurs du

théâtre européen et certains praticiens britanniques, mais avant les années 1950, il ne s’agissait

généralement que de cas isolés. On peut penser, par exemple, à la fondation de la Chekhov Theatre

School en 1936, au Dartington Hall Estate, où Michael Chekhov fut invité à enseigner par l’entremise

de l’actrice américaine Béatrice Straight. Pendant quatre ans, il put y transmettre les connaissances qu’il avait forgées dans sa propre pratique et auprès de son maitre, Constantin Stanislavski. La Deuxième Guerre mondiale a cependant mis fin au séjour de Chekhov en Angleterre, et il retourna s’installer aux États-Unis. Il va sans dire qu’une si brève période d’exposition aux idées de Stanislavski, développées et transformées dans la méthode de Chekhov, bien qu’elle ait eu une influence considérable, n’a pas suffi, à elle seule, à implanter ces concepts en sol britannique et à en imprégner sa tradition conservatrice.

1.1.2 Joan Littlewood et le Theatre Workshop

Le travail de Joan Littlewood a sans doute contribué à ébranler le théâtre britannique. Bien qu’elle n’ait jamais écrit elle-même sur sa méthode de travail où ses influences, il est possible de retracer, au travers de son parcours, les éléments centraux qui ont eu un impact sur son œuvre. À l’instar de ses contemporains sur le continent, c’est en se positionnant contre la tradition théâtrale qui l’entoure qu’elle développe une nouvelle approche du théâtre. Formée en jeu à la RADA, Littlewood ne garde

de son éducation qu’une impression de perte de temps11. À la même époque, ses premiers contacts

avec le théâtre du West End (quartier du divertissement londonien regroupant la majorité des salles de spectacle de la ville) la consternent. La seule production qui la marque est la pièce Le viol de

Lucrèce, d’André Obey, présentée par la Compagnie des Quinze en tournée à Londres, et l’idée

d’une compagnie qui s’entraine et qui crée ensemble dans un rejet du naturalisme la fascine. Insatisfaite de la formation qu’elle suit qui vise à la préparer pour un théâtre qui ne l’intéresse pas,

soulignent également qu’encore aujourd’hui, la culture de la littérature est si forte que les compagnies dont la pratique s’inscrit davantage dans le travail du corps sentent une pression d’inclure davantage de texte dans leur pratique.

10 Ma traduction : «… it was conservative, largely untouched by the innovations that had taken place on the Continent ». Jane Baldwin, «Michel Saint-Denis : Training the complete actor ». Alison Hodge [dir.], Actor Training, Londres, Routledge, 2010, pp.86-87.

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elle quitte Londres dès la fin de ses études pour s’installer à Manchester. Elle y fait la rencontre d’Ewan MacColl. Familier avec les écrits de Brecht, qui ne fut connu au Royaume-Uni qu’après la Deuxième Guerre mondiale, MacColl introduit Littlewood au théâtre d’agit-prop. Elle se joint à son

Theatre of Action en 1934, qui deviendra deux ans plus tard le Theatre Union.12

Ce n’est qu’en 1945 que sera fondé le Theatre Workshop. Littlewood y pousse plus avant le travail entamé dans ses deux précédentes compagnies. Elle y établit une pratique théâtrale où l’expressivité des corps est mise de l’avant et soumet ses acteurs à un entrainement technique rigoureux. À caractère fortement politique, ses œuvres prennent appui sur une connaissance approfondie des enjeux sociaux de l’époque. Elle souhaite créer un théâtre populaire, à l’opposé du théâtre élitiste, intellectuel et hermétique qui peuple les scènes britanniques de l’époque. L’utilisation des éléments techniques du théâtre (son et lumière) lui permet une théâtralisation de l’espace dans le but d’obtenir une poétisation de la scène qui serait accessible à tous publics. Elle se démarque de

ses contemporains britanniques par l’emploi de dispositifs scéniques jusqu’alors inexploité au

Royaume-Uni :

Les décors employaient paliers et rampes, souvent construits à partir d’échafaudage, et exposaient fréquemment les coulisses de la scène et la régie pour créer un espace de jeu auxiliaire. Le but était d’utiliser le décor dans l’intention principale de projeter l’acteur dans une pluralité de formes de relation au public13.

Pour quiconque est familier avec les nombreux changements qui chamboulent la pratique théâtrale

européenne au début du XXe siècle, il est aisé de constater que le travail de Littlewood leur fait en

quelque sorte écho. Cela s’explique par le fait que, dès l’époque du Theatre of Action, sa démarche « s’inspirait couramment des riches expérimentations qui avaient lieu sur le continent dans les

années 1920 et 1930, lesquelles avaient très peu touché le théâtre britannique de l’époque14 ». Parmi

ces sources d’inspirations, mentionnons l’importance accordée au travail corporel de l’acteur. C’est sans doute par l’établissement d’un entrainement physique dans le cadre même du processus de répétition d’un spectacle que Littlewood se démarque davantage de ses compatriotes.

Refusant toute forme fixée du théâtre et s’opposant vivement au past-tense acting15, elle établit

différents procédés ayant pour objectif de conférer un caractère vivant à chaque représentation. Elle développe également un plan d’entrainement de mouvement pour l’acteur pratiqué de manière régulière par les membres de la compagnie : « Quelques-uns des éléments majeurs qui furent absorbés et développés au travers de l’œuvre de Theatre Workshop consistent en une combinaison

12 Ibid.

13 Ma traduction : « The settings employed levels and ramps, often build from scaffolding, and frequently opened the wings and flies of the stage to create auxiliary playing spaces. The aim was to utilise setting with the principal intention of projecting the actor into a variety of forms of relationship with the audience. » Clive Barker, «Joan Littlewood », dans Alison Hodge [dir.], Actor Training, Londres, Routledge, 2010, p. 133.

14 Ma traduction : «… consistently drew upon the rich experimentation that was taking place on the Continent in the 1920s and 1930s, which hardly touched the British theatre at that time ». Ibid.

15 Le past-tense acting serait le résultat d’un processus de répétitions qui s’organise d’abord par l’apprentissage d’un texte, puis par une caractérisation linéaire de cause à effet, suivie de répétitions où tout est établi et fixé. La représentation ne s’articule que comme le souvenir de ce qui a été établi en répétition et n’est qu’une banale reproduction du passé.

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des techniques stanislavskiennes, pour créer la vie intérieure des personnages, et celles dérivées du

travail de Rudolf Laban, pour structurer les techniques d’expressivité nécessaire à la

représentation16. » Cela constitue l'une des premières méthodes de préparation corporelle spécifique

au jeu théâtral développées au Royaume-Uni. Elle a permis aux acteurs qui la pratiquaient de développer une conscience corporelle accrue et une connaissance technique du mouvement des plus poussées.

Le Theatre Workshop a bien évidemment permis une prise de contact des praticiens britanniques avec les innovations théâtrales européennes, qu’il s’est appropriées et a développées de manière indépendante. Compagnie de tournée durant les huit premières années de son existence, le Theatre Workshop présente ses créations tant au Royaume-Uni qu’ailleurs en Europe, multipliant du fait même ses contacts avec les formes nouvelles de théâtres développées sur le continent. Après son établissement dans un théâtre de Stratford dans l’Est de Londres en 1953, certains de ses spectacles sont transférés sur le West End, infiltrant par le fait même les scènes renommées du théâtre anglais, et la compagnie connait de plus en plus de succès. Alors qu’en 1961 Joan Littlewood se retire temporairement de la scène théâtrale, Margaret Walker fonde la East 15 Acting School,

« basant son syllabus sur la pratique du Theatre Workshop17 ». Bien que Littlewood n’ait pas

elle-même laissé d’écrits sur sa « méthode », celle-ci n’en demeure pas moins le fondement de l’enseignement que reçoivent, aujourd’hui encore, les aspirants acteurs formés à cette école,

c’est-à-dire « une approche coordonnée des philosophies de Stanislavski et de Laban18 ».

1.1.3 Michel Saint-Denis et le nouveau modèle institutionnel de formation de l’acteur

Michel Saint-Denis a lui aussi largement contribué à remodeler la pensée théâtrale et la formation de

l’acteur au Royaume-Uni au milieu du XXe siècle. Originaire de France, Saint-Denis entre dans le

milieu théâtral en effectuant des tâches administratives pour le Théâtre du Vieux-Colombier,

institution fondée et dirigée par son oncle, Jacques Copeau19. Dans les années qui suivent, il occupe

tour à tour la fonction d’acteur et de metteur en scène. Ces années auprès de Copeau constituent le point d’ancrage de la pratique de Saint-Denis. En effet, ce dernier a « appris de Copeau l’importance de l’entrainement et il a emprunté ouvertement ses concepts, lesquels il a poussés plus loin, clarifiés,

16 Ma traduction : «… Some of the major features that were absorbed and were continued through the work of Theatre Workshop consisted of a combination of both Stanislavskian tehcniques, to create the inner truth of the characters, and those derived from the work of Rudolf Laban, to structure the expressive techniques of performance ». Clive Barker, «Joan Littlewood », dans Alison Hodge [dir.], Actor Training, Londres, 2010, Routledge, p. 137. 17 Ma traduction : «… basing its syllabus on Theatre Workshop’s practice ». Robert Leach, Theatre Workshop: Joan Littlewood and the Making of Modern British Theatre, Exeter, University of Exeter Press, 2006, p. 203.

18 Ma traduction : «… a co-ordinated approach through the philosophies of Stanislavsky and Laban ». Ibid.

19 Jacques Copeau fonde le théâtre du Vieux-Colombier en 1913, auquel il adjoint une école. Dans sa pratique tout comme dans ses enseignements, il met de l’avant la primauté du texte et une vision dépouillée de la mise en scène, le tout dans une quête d’authenticité sur scène. Il transporte ses enseignements en Bourgogne au milieu des années 1920 en fondant le groupe des Copiaux. Le travail de Copeau est considéré comme un point tournant du théâtre français tant son influence a été majeure.

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et à un certain degré, systématisés20 ». En 1924, Saint-Denis rejoint les Copiaux, un groupe formé

de disciples de Copeau, dont il finira par prendre la tête et où il développera des aptitudes à la fois d’enseignant et de créateur. Le groupe œuvre dans l’objectif de créer un « renouveau du théâtre par ce que Saint-Denis appelait la "redécouverte du style" en jeu, en écriture dramatique et en

scénographie21 ». Leur pratique se fonde sur une recherche approfondie du théâtre, de la Grèce

antique à Molière, en passant par Shakespeare et par la commedia dell’arte. Dans un fort esprit de

collaboration, chaque membre fait profiter le groupe de ses connaissances, et des cours de gymnastique, de mime, de masque et d’improvisation occupent leur quotidien. Au début des années 1930, Saint-Denis forme la Compagnie des Quinze, formée des quinze meilleurs membres des Copiaux. Il continue son travail pédagogique et créatif, et poursuit une exploration stylistique dans les productions de la compagnie. Les Quinze travaillent désormais avec un auteur, André Obey, et la pensée de Saint-Denis évolue, au point où il en vient à « considérer l’auteur, plutôt que l’acteur, comme la principale figure créative du théâtre. En conséquence, il en vient à croire que la responsabilité de tous les autres praticiens – metteur en scène, acteurs, concepteurs – est de servir

le texte22 ». Les Quinze créent leurs spectacles à Paris avant de partir en tournée un peu partout en

Europe, notamment à Londres, où leur travail avant-gardiste fascine une nouvelle génération d’artistes britanniques qui, comme nous l’avons vu précédemment, n’avait pas encore accès aux innovations théâtrales européennes. C’est ainsi que Saint-Denis est invité à développer sa méthode d’entrainement de l’acteur en fondant une école de théâtre à Londres.

Le London Theatre Studio (LTS), fondé en 1938, est la première d’une série d’écoles mises en place par Saint-Denis. Elle conserve le caractère expérimental qui animait son travail avec les Copiaux et avec la Compagnie des Quinze, tout en lui permettant de développer les fondements du modèle institutionnel qu’il implantera ailleurs. Il y développe un programme qui permet aux étudiants d’acquérir, dans un premier temps, des compétences techniques spécifiques à une époque, à une esthétique ou à une pratique donnée (gymnastique, acrobaties, mouvement dramatique, escrime, danse traditionnelle ou folklorique, etc.), puis de les mettre directement en application dans une production nécessitant de telles compétences. L’esprit de collaboration qui animait ses compagnies est aussi présent dans son école : « Le corps professoral coopérait les uns avec les autres de

manière à ce que chaque sujet enseigné fût lié aux autres23. » L’importance de la notion d’ensemble

était également en avant-plan dans la formation des futurs acteurs. Ceux-ci suivaient un programme varié de classes, comprenant des cours de mouvement, de jeu masqué, d’improvisation, de musique et de chant. Il est intéressant de souligner ici que Saint-Denis « a été le premier à introduire le masque

20 Ma traduction : «… learned from Copeau the importance of training and borrowed freely from his concepts, which he augmented, clarified, and, to a degree, systematised ». Jane Baldwin, « Michel Saint-Denis : Training the Complete Actor », dans Alison Hodge [dir.], Actor Training, Londres, Routledge, 2010, p. 82.

21 Ma traduction : «… renewal of the theatre through what Saint-Denis called the “rediscovery of style” in acting, dramaturgy, and scenography ». Ibid. 22 Ma traduction : «… to consider the playwright, rather than the actor, as the principal creative figure in theatre. Consequently, he came to believe that the responsibility of all the other practitioners – director, actors, designers – was to serve the text ». Idem, p. 85.

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comme un cours standard dans une école de théâtre vouée à la formation d’acteurs

professionnels24 ». Alors que le LTS ferme ses portes quelques années après sa fondation,

Saint-Denis est invité par Laurence Olivier en 1947 à développer une nouvelle institution de formation de

l’acteur, la Old Vic School. Il y confie l’enseignement du mouvement à Litz Pisk25, dont la « technique

était basée sur Delsarte, Jaques-Dalcroze et Laban26 ». De ce fait, Saint-Denis a non seulement

permis d’implanter une approche organique de l’enseignement dans les écoles de théâtre en y exploitant les idées des grands metteurs en scène et pédagogues européens, mais il a aussi légitimé une approche du mouvement inspiré en partie du travail de Laban. La Old Vic School ferme ses portes en 1952.

Il va sans dire qu’une approche contrastant aussi radicalement avec les pratiques de l’époque n’a pu être reçue que de manière mitigée. En effet, le cursus développé par Saint-Denis aurait été jugé comme incompatible avec le marché en ce sens qu’il préparait l’acteur pour un théâtre qui n’existait alors pas au Royaume-Uni. Après la Deuxième Guerre mondiale, cependant, l’influence de son travail se fait ressentir par le fait que plusieurs anciens étudiants ayant passés par l’une ou l’autre de ses écoles sont engagés pour enseigner dans diverses écoles de théâtre britanniques, et l’on recherche de plus en plus à y proposer le même type de travail corporel que Saint-Denis avait

implanté au LTS et à la Old Vic School27.

1.1.4 Ramification et complexification des influences maitres-disciples

C’est d’ailleurs à partir de l’après-guerre qu’il devient plus complexe de retracer les influences de différents maitres dans l’enseignement et la formation de l’acteur. Dans l’introduction de son livre

Actor Training28, Alison Hodge stipule que la « fertilisation croisée des idées et pratiques parmi les

praticiens subséquents [aux praticiens du début de la modernité théâtrale tels que Stanislavski et Copeau] est complexe. Dans bon nombre de cas, les praticiens se sont formés entre eux, chacun

selon la méthode de l’autre29. » De plus en plus de contacts s’établissent entre l’Europe continentale

et le Royaume-Uni, par le biais, notamment, d’une augmentation des tournées de compagnies européennes en sol britannique, et vice versa. En prenant connaissance de ce qui se fait à l’étranger, plusieurs artistes et aspirants-acteurs visent à diversifier leur champ de pratique et cherchent ailleurs les maitres et les écoles qui pourront les guider en ce sens. Franc Chamberlain, dans son introduction

24 Ma traduction : «… Saint-Denis was the first to introduce mask as a standard course in a drama school committed to training professional actors. » Ibid. 25 D’origine autrichienne, Pisk immigre au Royaume-Uni en 1933, et obtient un poste d’enseignement du mouvement à RADA la même année. Là, on lui demande de restreindre son enseignement à la technique de la danse, et elle n’est pas autorisée à intégrer des notions d’improvisation à ses cours, liberté qui lui est accordée à la Old Vic School.

26 Ma traduction : «… [her] technique was based on Delsarte, Jacques-Delcroze and Laban ». Marian Malet, « Litz Pisk, Dance and Theatre ». Charmian Brinson et Richard Dove [dir.], German-speaking Exiles in the Performing Arts in Britain after 1933, Amsterdam, Editions Rodopi, 2013, p. 93. 27 Mark Evans, Movement Training for the Modern Actor, New York, Routledge, 2009, pp. 54-55.

28 Alison Hodge [dir.], Actor Training, Londres, Routledge, 2010, 336 p.

29 Ma traduction : «… cross fertilisation of ideas and practices between later practitioners is complex. In a number of cases practitioners have been trained within each other’s system ». Alison Hodge, « Introduction », dans Alison Hodge, Actor Training, Londres, Routledge, 2010, p. xxiii.

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à Jacques Lecoq and the British Theatre30, observe ce phénomène d’influences diffuses en ce qui a

trait à l’héritage de Lecoq :

Toute tentative d’évaluer l’influence de Lecoq sur le théâtre britannique doit tenir compte des expériences similaires à la mienne – des gens qui ont travaillé avec des diplômés de Lecoq, en connaissance de cause ou non, et qui ont incorporé les exercices, méthodes et esthétiques dans leur propre pratique et qui les ont transmises à d’autres. Une telle dynamique d’influences, qui n’a fait que se répandre depuis 1968 au moins, rend pratiquement impossible de retracer avec certitude le lien jusqu’à Lecoq31.

S’il est vrai qu’un tel lien est difficile à établir dans le cas de Lecoq, il est logique de penser qu’il en va de même pour les autres praticiens. Comme nous l’avons vu, la nouvelle avenue de la formation de l’acteur développée par Saint-Denis a progressivement pris place dans plusieurs grandes écoles de théâtre au Royaume-Uni par l’entremise de ses anciens élèves. Une telle approche place l’apprentissage des différentes composantes de la formation de l’acteur comme un tout. Chacune de ces composantes étant enseignées par des praticiens aux parcours variés, le savoir des nouvelles générations d’acteurs devient une forme d’hybridation de différentes méthodes en un tout singulier

qui évoluera à son tour dans la pratique et l’enseignement aux générations suivantes. Nous

examinerons ici une branche de l’enseignement du mouvement dans les écoles de formation britannique, celle découlant de l’enseignement de Litz Pisk.

Comme mentionné précédemment, Litz Pisk est mandatée par Saint-Denis d’assurer l’enseignement du mouvement à la Old Vic School, ce qu’elle fait de 1946 à 1951. Là, elle développe et consolide sa méthode d’enseignement du pure movement, laquelle a pour origine une pratique du mouvement découlant de sources variées et qui a été influencée notamment par le renouveau dans

le milieu de la danse en Europe et par l’émergence de l’Ausdruckstanz32 à Vienne, ville d’origine de

Pisk33. Un rapport de correspondance a d’ailleurs été établi entre l’enseignement de la danseuse et

chorégraphe autrichienne Gertrud Bodenwieser34, auprès de qui Pisk a étudié et avec qui elle a

travaillé avant d’immigrer au Royaume-Uni en 1933, et l’enseignement de Pisk elle-même35.

Contrairement aux cours de mouvement alors dispensés dans les écoles de théâtre britanniques et qui visaient à enseigner une technique ou un style de danse en particulier, le pure movement tel qu’enseigné par Pisk à la Old Vic School a pour objectif principal de libérer le corps et de le rendre

30 Franc Chamberlain et Ralph Yarrow [dir.], Jacques Lecoq and the British Theatre, Londres, Routledge, 2002, 121 p.

31 Ma traduction : « Any attempt to assess the influence of Lecoq on the British theatre needs to take into account experiences like my own – people who have worked with Lecoq graduates, knowingly or unknowingly, incorporated the exercises, the methods and aesthetics into their own work and then passed them on to others. Such a pattern of influences, which has been growing since 1968 at least, eventually becomes impossible to trace with any certainty back to Lecoq. » Franc Chamberlain, « Introduction », dans Franc Chamberlain et Ralph Yarrow [dir.], Jacques Lecoq and the British Theatre, Londres, Routledge, 2002, p. 2.

32 Danse expressive

33 Ayse Tahskiran, « Introduction », dans Litz Pisk, The Actor and His Body, Londres, Bloomsburry Methuen Drama (Theatre Makers), 2018, pp. iv-viii. 34 D’abord formée en ballet classique, Gertrud Bodenwieser a travaillé à combiner, tant dans sa pratique artistique de danseuse et de chorégraphe qu’à travers ses enseignements, les principes de la danse classique à ceux mis de l’avant par François Delsarte, Émile Jaques-Dalcroze et Rudolf von Laban. Elle a enseigné à l’Académie de musique et des arts du spectacle de Vienne, en plus d’ouvrir son propre studio et de fonder une école Laban à Vienne. Pisk a non seulement été influencée par une collaboration directe avec Bodenwieser, mais également par l’entremise d’une élève de Bodenwieser, Hilde Holger.

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plus réceptif et plus expressif. Les quelques années d’enseignement de Pisk à la Old Vic School ont

ainsi contribué à un changement de la mentalité par rapport à la fonction de l’intégration du

mouvement dans la formation de l’acteur. Étant donné le rôle central de Pisk dans le succès de

l’école, son approche du mouvement gagne en notoriété et en influence36. C’est d’ailleurs en

cherchant à implanter une approche similaire au pure movement tel qu’enseigné par Pisk que la

direction de LAMDA confie à Trish Arnold la tête du département de mouvement de l’école de 1963 à 1974. La philosophie du mouvement pour la formation de l’acteur d’Arnold a non seulement été

influencée par le travail de Pisk, mais aussi par celui de Sigurd Leeder37 (auprès de qui Arnold a été

formée), ainsi que par la nouvelle vision de la formation de l’acteur développée par Michel

Saint-Denis38. Alors que l’enseignement du pure movement prend racine à LAMDA par l’intermédiaire

d’Arnold, Pisk occupe la direction du département de mouvement à la Royal Central School of

Speech and Drama (Central) de 1964 à 1970 et y implante sa méthode. La présence dans le

curriculum des écoles de théâtre britanniques d’un cours de pure movement est aujourd’hui

largement répandue. La diffusion de cette méthode est due à l’intégration de ses principes dans la pratique et l’enseignement des élèves de Pisk et d’Arnold. Le pure movement a évolué et s’est transformé par l’intermédiaire d’un mélange d’influences et de pratique, mais il est communément associé à un travail du mouvement qui emprunte à l’œuvre de Laban.

Dans les années 1970, Sue Lefton, une ancienne élève de Pisk, et Jane Gibson, une ancienne élève d’Arnold, établissent un partenariat dans le but de faire reconnaitre une nouvelle

approche du mouvement qu’elles avaient développée conjointement39. Dans le but d’élargir leur

aptitude au mouvement et, du même coup, à l’enseignement de celui-ci, toutes deux vont suivre la formation à l’École internationale de théâtre Jacques Lecoq (alors École internationale de théâtre et de mime) à Paris (Gibson en 1969-70 et Lefton en 1976-77). C’est à cette école « qu’elles découvrent trois aspects de l’enseignement [de Lecoq] particulièrement novateurs : le clown, une compétence qu’elles ne pensaient pas qu’il leur serait possible d’acquérir, et qu’elles pouvaient désormais, en fait,

enseigner; le jeu masqué; et les improvisations physiques40 ». Il est à noter ici que, bien que

l’improvisation fût enseignée dans certaines écoles de théâtre britanniques dans les années 1970, il s’agissait d’un élément qui figurait dans la catégorie du jeu et qui s'articulait principalement en un exercice verbal dans la construction d’un personnage. Lecoq est donc l’endroit où Lefton et Gibson découvrent la possibilité d’utiliser le mouvement en tant que source première à l’improvisation afin de créer des œuvres originales. Forte de ces nouvelles découvertes, Gibson, à son retour en

36 George Hall, « Obituary: Litz Pisk », dans The Independent, [en ligne] http://www.independent.co.uk/news/people/obituary-litz-pisk-1275650.html [Texte consulté le 20 octobre 2017]

37 Sigurd Leeder est un danseur, chorégraphe et pédagogue d’origine allemande. Il a développé la méthode Jooss-Leeder avec son collègue Kurt Jooss, ancien élève de Laban, qu’ils ont notamment enseigné au Dartington Hall. Leeder est également connu pour sa collaboration avec Laban dans le développement et à la diffusion de la Kinétographie Laban, ancêtre de la Labaonation.

38 Jackie Snow, Movement Training for Actors, Londres, Methuen Drama, 2012, p. 187.

39 Vladimir Mirodan, « Lecoq’s influence on UK drama schools », dans Mark Evans et Rick Kemp [dir.], The Routledge Companion to Jacques Lecoq, Abingdon, Routledge, 2016, p. 210.

40 Ma traduction : «… they found three aspects of the teaching particularly innovative: clown, a skill they had not thought would be possible to acquire but which they could now actually teach; mask; and physical improvisations ». Idem, p.211.

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Angleterre, va enseigner à LAMDA auprès d’Arnold. Lefton, pour sa part, se voit confier la direction du département de mouvement à la Guildhall School of Music and Drama (Guildhall), où l’on ne lui permet pas d’incorporer une composante d’improvisation à l’enseignement du mouvement. Ceci témoigne, une fois de plus, que malgré les nombreuses influences de l’Europe continentale sur la pratique et l’enseignement du théâtre, en sol britannique, le texte est toujours, à la fin des années 1970, l’élément polarisateur de l’acte théâtral.

En retraçant ici la filiation des pratiques de Pisk jusqu’à Lefton et Gibson, en passant par

Arnold, il est aisé de constater, tout comme le mentionne Barker dans son article « What training –

for what theatre? », que « la chaine maitre-disciple avait commencé à produire un éventail de

méthodes au sein d’un même domaine de la pédagogie du théâtre41 ». Barker exemplifie ce

phénomène en mentionnant de manière spécifique l’évolution du travail du mouvement selon Laban chez les disciples de ce dernier et chez leurs héritiers. En outre, l’on peut remarquer que, dans une certaine mesure, l’influence de Laban commence à se mélanger à celle de Lecoq par le travail de Gibson et de Lefton.

1.2 Les années 1980 à 2000 : l’âge d’or du physical theatre

L’expression physical theatre trouve son équivalent en français dans les formulations « théâtre gestuel », « théâtre physique », « théâtre corporel », « théâtre du mouvement », ou encore « théâtre du corps ». Une telle appellation pourrait laisser sous-entendre qu’il existerait un théâtre non-corporel. Une telle pensée serait bien évidemment erronée. En fait, si, par exemple, l'on s’intéresse

à la définition que Peter Brook fait du théâtre dans son livre L’espace vide42, l’on peut comprendre

que le fondement même de l’acte théâtral repose dans la présence physique du corps de l’acteur sur scène : « Je peux prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène. Quelqu’un traverse cet espace vide pendant que quelqu’un d’autre l’observe, et c’est suffisant pour que l’acte théâtral soit

amorcé43. » Le théâtre corporel ne se place donc pas en opposition à un théâtre non-corporel. En

fait, sous l’entrée « Théâtre gestuel » du Dictionnaire du théâtre44 de Patrice Pavis, l’on retrouve la

définition suivante :

Forme de théâtre qui privilégie le geste et l’expression corporelle sans toutefois exclure à priori l’usage de la parole, de la musique et de tous les moyens scéniques imaginables. Ce genre tend à éviter non seulement le théâtre de texte, mais aussi le mime souvent trop esclave du langage codifié et narratif de la pantomime classique à la Marcel Marceau, pour faire du corps de l’acteur

41 Ma traduction : « The teacher-to-pupil chain had begun to produce a range of methodologies within the same area of theatre pedagogy ». Clive Barker, « What Training – For What Theatre? », dans New Theatre Quarterly, vol. 11, n° 42, 1995, p. 101.

42 Peter Brook, L’espace vide, Paris, Éditions du Seuil, 1977, 181p. 43 Idem, p. 25.

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le point de départ de la scène et même de la parole, dans la mesure où le rythme, le phrasé, la voix sont conçus comme des gestes expressifs45.

Il s’agirait donc d’une forme d’aboutissement du rejet du texte comme élément polarisateur du théâtre

qui a marqué les grandes réformes du théâtre de la première partie du XXe siècle. En effet, le théâtre

gestuel « trace ses origines dans son sens contemporain aux idéologies et manifestes qui cherchent

à renverser la dualité et la hiérarchie du mot comme supérieur au corps46 ». La section suivante

examinera l'évolution du physical theatre comme d’un genre à part entière dans la pratique théâtrale britannique.

1.2.1 Un engouement pour le mime

Le désir grandissant qui anime les artistes britanniques de parfaire leurs compétences et leurs connaissances en ce qui a trait au mouvement et à l’expression corporelle amène plusieurs d’entre eux à chercher de nouvelles avenues de formation à l’étranger. Dans les années 1970, plusieurs vont suivre les enseignements de Jacques Lecoq à son École internationale de théâtre et de mime (maintenant École internationale de théâtre Jacques Lecoq), et « de plus en plus d’acteurs revenaient

de Paris enflammés par leur expérience à Lecoq47. » Étienne Decroux, père du mime corporel,

enseigne lui aussi en banlieue de Paris jusqu’à la fin des années 1980. Bien que « l’influence d’Étienne Decroux […] sur les théâtres physiques britanniques soit, pour diverses raisons, moins

marquée que celle de Jacques Lecoq48 », il n’en demeure pas moins qu’il a eu un impact sur la

redéfinition de l’art du mime et, par extension, du théâtre gestuel. L’enseignement et les principes fondamentaux de la pratique de Decroux, tout comme ceux qui forment la pédagogie de Lecoq, visent à soutenir l’acteur dans son appropriation d’une technique qui lui permettra de créer un art corporel expressif. C’est sans doute faute d’une meilleure appellation que l’on se met à nommer « mime » les œuvres à forte composante corporelle (par exemple celles créées par les diplômés de Lecoq) à une époque où l’expression « théâtre physique » n’est pas communément employée.

Dans les années 1970-1980, le mime est considéré comme un mouvement gestuel expressif se rapprochant davantage de la danse que du théâtre. D’ailleurs, si l’on s’intéresse à la définition formulée par Pavis en 1987 dans son Dictionnaire du théâtre, le mime serait un « art du mouvement

corporel49 », définition qui pourrait tout aussi bien convenir à une conceptualisation généralement

45 Idem, p. 411.

46 Ma traduction : «… traces its origins in our contemporary sense tout those ideologies and manifestos which sought to reverse a dualism and hierarchy of word over body ». Simon Murray et John Keefe, Physical Theatre: A Critical Introduction, Abingdon, Routledge, 2016, p. 11.

47 Ma traduction : «… more and more actors were returning from Paris fired up by their experiences at Lecoq ». Vladimir Mirodan, « Lecoq’s influence on UK drama schools », dans Mark Evans et Rick Kemp [dir.], The Routledge Companion to Jacques Lecoq, Abingdon, Routledge, 2016, p. 210. 48 Ma traduction : «… influence of Etienne Decroux […] on contemporary British physical theatres is, for a variety of reasons, less marked than that of Jacques Lecoq ». Simon Murray et John Keefe, Physical Theatre: A Critical Introduction, Abingdon, Routledge, 2016, p. 189.

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admise de la danse. Pavis souligne davantage le lien de parenté entre danse et mime dans la distinction qu’il fait entre le mime et la pantomime :

L’usage actuel différencie les deux termes en les valorisant différemment : le mime est apprécié comme créateur original et inspiré, tandis que la pantomime est une imitation d’une histoire verbale et qu’elle raconte avec des « gestes pour expliquer ». Le mime tendrait davantage vers la danse, donc l’expression corporelle libérée de tout contenu figuratif; la pantomime chercherait à mesurer par des imitations de types ou de situation sociales […] Le mime tend vers la poésie, élargit ses moyens d’expression, propose des connotations gestuelles que chaque spectateur interprètera librement. La pantomime présente une série de gestes, souvent destinés à amuser et remplaçant une série de phrases; elle dénote fidèlement le sens de l’histoire montrée50.

Si l’on s’en tient à cette définition, la pantomime serait une forme de théâtre populaire où le geste se substitue à la parole en ce sens où chaque mot est mis en mouvement de manière à ce que le spectateur comprenne précisément l’histoire racontée. Cet énoncé semble restreindre la notion de « mime » au « mime corporel » développé par Étienne Decroux et évacue les différentes nuances à la pratique d’un tel art (le mime d’illusion à la Marcel Marceau, le mime réaliste à la Buster Keaton/

Charlie Chaplin, la commedia dell’arte italienne, le jeu masqué développé par Jacques Lecoq, etc.).

Le présent essai ne vise pas à établir l’histoire du mime et de ses nombreuses ramifications, mais il est cependant intéressant de constater que la définition que l’on pouvait retrouver dans un dictionnaire théâtral publié dans les années 1980 conférait au mime une appartenance davantage liée à la danse qu’au théâtre. Si cette acception était admise dans une publication française, elle semble tout autant valide dans la pensée britannique de l’époque. En effet, au début des années 1980, le mime gagne en popularité au Royaume-Uni à un point tel que le Arts Council crée en 1983-1984 une subdivision du financement accordé à la danse destinée à soutenir les projets artistiques

professionnels en art du mime. Ce n’est qu’en 1989-1990 que le transfert s’opère et que les

subventions accordées au mime passent de l’enveloppe budgétaire de la danse à celle du théâtre51,

annonçant un changement de mentalité par rapport à la filiation du mime avec le théâtre.

L’engouement pour le mime est également manifeste par l’établissement de diverses organisations centrées sur la pratique du mime. La fondation du London International Mime Festival (LIMF) en 1977 en fait partie. Dans un article soulignant les 40 ans d’existences du LIMF, l’on souligne que l’emploi du mot « mime » dans le nom du festival témoignait à l’époque de sa création d’une

manière facile de suggérer un théâtre non-verbal52. Le festival se voulait une plateforme vers les arts

scéniques à forte composante corporelle, et il a évolué en ce sens au fil des décennies, si bien qu’aujourd’hui, « sa programmation couvre le spectre des arts de performance visuels contemporains

50 Ibid.

51 D. Keath Peacock, Changing Performance: Culture and Performance in the British Theatre since 1945, Berlin, Peter Lang (Stage and Screen Studies), 2007, p. 236.

52 Lyn Gardner, « London international mime festival : 40 years old and still contorting », dans The Guardian, [en ligne] https://www.theguardian.com/stage/theatreblog/2017/jan/13/london-international-mime-festival-40-physical-theatre [Texte consulté le 20 octobre 2017]

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incluant l’art performatif, le théâtre physique et le cirque-théâtre, le jeu masqué, le théâtre de

marionnette, le théâtre de mouvement et le théâtre d’objet53 ».

Fondé en 1983, le Mime Action Group (MAG), aujourd’hui connu sous le nom de Total Theatre

Network, a pour principal objectif de coordonner et de faire connaitre les opportunités de formation

en théâtre corporel. En 1984, le MAG utilise l’expression « physical based theatre », et l’année

suivante il qualifie les artistes corporels de « mimes or physical theatre people », contribuant du fait même à élargir le sens du mot « mime » à une pratique plus large que celle généralement associée

à cet art54. Créé par le groupe, d’abord comme publication papier pour finalement évoluer vers une

forme électronique, le Total Theatre Magazine a été développé comme un « point de concentration pour le bourgeonnement du théâtre physique, visuel et de création, des arts performatifs, et du

cirque/ spectacles de rue55 ». En plus de faire la promotion de la variété de formations et ateliers de

mouvement offerts à Londres et ailleurs au Royaume-Uni, le MAG chapeaute lui-même l'organisation d’évènements. Le plus important d’entre eux, Moving into Performance, a été organisé avec la collaboration de la Manchester Metropolitain University et de la Fédération européenne de mime en 1994 à Manchester. Bien que cet évènement ait été mis sur pied dans l’objectif de réunir artistes, théoriciens et chercheurs de tous les horizons œuvrant sous la bannière du mime et/ou du théâtre physique, la majorité des participants au symposium se plaçaient dans la lignée directe de Decroux, de Lecoq ou de Gaulier :

Moving into Performance, malgré tous ses défauts, demeure un évènement d’une certaine

signification culturelle et un moment dans l’historiographie théâtrale. Il fournit aujourd’hui, avec toute la sagesse de la rétrospection, un baromètre de l’état et de la forme du mouvement du théâtre physique et de sa composition à cette époque, alors que les prétentions et l’argumentaire de ses qualités novatrices étaient à leur apogée. Il […] a révélé la dominance – au Royaume-Uni du moins – du paradigme Lecoq-Gaulier pour les pratiques de théâtre physique56.

En somme, il est désormais indéniable que le mime a grandi en popularité au Royaume-Uni à partir de la fin des années 1970 et pour les deux décennies suivantes. Cet engouement s’est développé en parallèle à une redéfinition artistique du terme « mime », qui allait progressivement englober un champ plus large de performances corporelles que celui contenu dans la signification qu’on lui conférait originellement.

53 Ma traduction : «… its programme spans the spectrum of contemporary visual performance including live art, physical and circus-theatre, mask, puppetry, movement and object theatre » London International Mime Festival, « About Us », dans London Internation Theatre Festival, [en ligne] http://mimelondon.com/about-us/ [Texte consulté le 20 octobre 2017]

54 Simon Murray et John Keefe, Physical Theatre: A Critical Introduction, Abingdon, Routledge, 2016, p. 18.

55 Ma traduction : «… a focus point for the burgeoning physical, visual and devised theatre, performance art, and circus/street art scenes ». Total Theatre, « About Total Theatre », dans Total Theatre, [en ligne] http://totaltheatre.org.uk/about/ [Texte consulté le 20 octobre 2017]

56 Ma traduction : « Moving into Performance, for all its flaws, remains an event of some cultural significance and moment within theatre historiography. It provides today, with all the wisdom of hindsight, a fascinating barometer for the state and shape of the physical theatre movement or constituency around that time, when the claims and the rhetoric for the innovatory qualities of these forms were at their height. It […] revealed the dominance – in the UK at least – of the Lecoq-Gaulier paradigm for physical performance practices. » Simon Murray et John Keefe, Physical Theatre: A Critical Introduction, Abingdon, Routledge, 2016, p. 161.

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