N
Inconnu de Cicéron (1), qui emploie le mot grec veurrepoc
et poetae novi, ignoré très vraisemblablement d'Aulu-Gelle (z) , qui qualifie de vecwrep K0 Tepos un vers de Virgile imité
d'Ho-mère, le mot neoteyicus est omis d'autre part (3) par du Cang e dans son Glossarium Latinitatis, et par Baxter et Johnson dans leur Medieval Latin Word-List supplémentaire (Oxford , 1934) . Avant le Vie siècle, il avait été employé assez fréquem-ment par les grammairiens, dont d'ailleurs l'on ne possède pa s l'c~euvre entière, plus rarement par les écrivains chrétiens o u païens . Il doit avoir passablement embarrassé les copistes d u haut moyen âge, car outre celle de neutericus, on lui trouv e dans les glossaires et en général dans les apparats critiques de s textes édités, des variétés d'orthographe qui le rendent à peu près méconnaissable . Au IX0 siècle, il reparaît entre autres dans une oeuvre longtemps inconnue de Gottschalc (4), qu e publie en ce moment dom Lambot, dans le Spicilegium sacru m Lovaniense . Mais désormais très simplifiée, sa signification avai t laissé tomber en cours de route l'ancien sens, ou tout au moin s
1. CICRRON, Ad Attic ., VII, 2, 1 ; Oral„ XLVIII, 161 . 2. AULU-GELLE, Noct, Attic ., XIII, 27, 3 .
3. Parmi les lexiques, celui de Robert ESTIENNE (édit . de Gessner, Londres , 1 735, p . 426) ne signale que le ps .-Asconius et Claudien Mamert; les plus fourni s sont ceux de Georges et dePorcellini ;l'Ausftïhrliches Latein-deutschcs
Handzvör-terbuch deGEORGES, 8 e édit ., 1918, p .1140,ajoute au ps .-Asconius et à Mamert, du Probus, du Servius, du Pompeius et de l'Aurelius Victor . Forcellini, Prato, 1858-87 (t. IV, p . 256), a aussi quelques citations personnelles, Sulpice Sévère ,
Salvien, l ' anonyme De com uto paschali, etc .
4. Operainedite, dans Spicilegium sacrum Lovaniezzse, t . XX, 1940 . Retardée par la mobilisation, cette édition devait paraître longtemps avant notre note . Nous devons à l'amabilité de dom Lambot d'avoir pu tirer parti de son texte sur les épreuves : qu'il veuille bien agréer l 'expression de nos sincères
remercie-ments 1
l'ancienne nuance, d'ordre littéraire, dont il s'était chargé précédemment .
Jadis, en effet, à l'exemple des Poetae novi de Cicéron, qu i
« innovaient », non sans pointe d'opposition, en poésie, en élo-quence, voire en politique, les Neoterici de la fin de la périod e des Antonins, désignés sous ce vocable par les grammairien s subséquents, formaient, sinon une véritable école littéraire , au moins un groupe inspiré lui aussi par les idées d'Alexandrie , mais qui sans avoir le mérite, comme leurs prédécesseurs, d e donner de l'éclat à la poésie lyrique et à l'épigramme en litté-rature latine, faisait la place principale, sinon exclusive, au cult e de la forme, aux curiosités de la métrique et à la recherche d e la technique artificielle . Luxorius et les poètes d'Afrique de l'An-thologia latina, en Gaule Ausone et Sidoine Apollinaire, avaien t à des degrés divers subi l'action de ces Neoterici ou obéi à leur s tendances (i), Mais en dehors des grammairiens, de ceux sur -tout du IVe siècle, nous avons peu d'attestations du mot, e t
chez ceux-ci il ajoute à son sens d'ordre chronologique de « mo-dernes», les « jeunes », une nuance, sinon un sens, de technique littéraire, qui n'apparaît guère ailleurs . A côté d'eux, et sans
doute indépendamment, trois auteurs du IVe-Ve siècle, tous des
Gaules, perpétuent l'usage du mot avec la seule significatio n de «récent » ou de « moderne », par opposition à « antique » :
SULPICE SÉVÈRE (t vers 400) : Libri neoterici et recens scripti, à
propos des livres d'Origène altérés, par les corrections des hérétiques :
1 . Une recherche d'histoire littéraire est plus intéressée qu'une étude
lexico-graphique à identifier les noms des écrivains désignés sous le nom de neoterici par les grammairiens subséquents . On peut voir un bon essai en ce sens, dan s
J . K . WAGNER, Quaestiones neotericae iniprituisandAusoniuna pertinentes, Leip-zig, 1907, et les rectifications ou compléments ajoutés par la Wochenschrift
für klassische Philologie, t . XXIV, 1907, p . 1222-24, la Berliner philologische Wochenschrift, 1907, p . 152324 et la Deutsche Literaturzeitung, 1907, p. 1693
-94 . Wagner, chez qui l'on retrouve l'ensemble des citations (p . 5-8), excepté
celles des glossaires, se refuse avec raison à voir un terminus technicus dans le mo t
neotericus chez les anciens ; mais il nous semble difficile de ne pas lui reconnaîtr e
une nuance d'ordre littéraire, au moins chez quelques-uns d'entre eux . O n
peut consulter aussi M . SCHANZ, t . I, II, § 96, p . 56-58 et suiv . ; t . III, § 51 2
et suiv ., p . 21-27 ; t . IV, 1, § 786 et suiv ., p . 29, 42-43, etc . ; t. IV, n, § 10
34, p . 70 ; F .MARX,dansPAULY-WISSOIVA, s . V .Annius, t. I,C . 2267 ; O . RIBBECK,
glose intéressante également par l ' emploi de recens, rare comme ad -verbe, et par l'influence qu'elle semble bien avoir eue sur les glos-saires de l'âge suivant (i) .
SALVIEN (t vers 480) : Libros neotericae disputationis, à propos d' un pseudo-Timothée, qui portait, dit-il sagement, son extrait d e naissance dans la réfutation même d'une doctrine bien postérieur e à l'époque apostolique (2) .
CLAUDIEN MAMERT (t 474) : Neotericus scripte, à propos de so n adversaire, Fauste de Riez, qu ' il accuse de vouloir attribuer à ses propres paroles, tout récent qu'il est, l'importance des oracles des prophètes ; le contexte suggère une malicieuse ironie (3) .
Plus que Salvien et que Claudien Mamert, saint Jérôme avait sans doute contribué à ne pas laisser se perdre la connaissanc e du mot, en lui donnant accès dans sa réplique à Jean de Jéru-salem et dans son commentaire sur l'épître aux Galates . Il y était aidé d'ailleurs par la vague montante de l'invasion de s mots grecs qui, à partir du second siècle de l'empire, n'était plu s endiguée par la réserve des oeuvres littéraires de la bonne épo-que . Jérôme fait chaque fois de neotericus un substantif (4)
Après avoir parlé de Gorgias, de Démosthène, d'Eschine e t de Gracchus, i] continue : Ut aliquid de neotericis inferam . Pulchre quidam de neotericis, graecum versum transferens, ele-giaco metro de invidia lusit, dicens :
Tustius invidia nihil est quae protinus ipsum
Auctorem rodit cruciatque animum .
En dehors de ce groupe gaulois et du cas isolé de saint Jérôme , il ne semble pas que le mot neotericats ait eu beaucoup de succè s chez les Pères de l'Église ; saint Augustin, qui savait le gre c un peu moins mal qu'il voulait bien le dire (5), et Hilaire de
1. Dialog ., I, 6, 2 ; CSEL, t . I, p . x58, 6 ; voir WÖLFFLIN, dans l'Archiv für
latein . Lexicographie, t . IX, 1 8 96, p . 353-354. 2. Epist., IX, 2 ; CSEL, t . VIII, p . 217, 25 . 3. De statu avant ., I, 3 ; CSEL, t . VI, p . 30, 6
4. Liber contra Iohannem Hierosolymitanum, 12 ; PL, XXIII, 365 b ; In Epist . ad Galatas, III, 5 ; PL, XXVI, 217 b .
5. Contra litteras Petiliani, II, xxxvlll, 91 ; voir ALTANER, dansPisciculi ,
Poitiers, qui en savait assez pour attirer l'attention de saint Jérôme (1), ne semblent pas en faire usage, à en juger par le s bonnes tables de leurs éditions et par les riches relevés statis-tiques qui font le principal mérite des Patristic Studies de Was-hington (2) . Mais dans un écrit polémique anonyme De Comput o
paschali, composé en Afrique en l'an 455 et publié jadis par
Ba-luze, neutericus présente le sens ironique de jeune débutant , de novice dans l'art, pour autant que l'état du texte, très mal -traité par la tradition manuscrite, permette une conclusio n ferme (3)
In utroque neotericus inveniris, dit-il à son adversaire, desine quaeso . . .
L'édition par De Vit du Lexicon de Forcellini (1858) signal e dans l'Itala, la traduction préhiéronymienne de l'épître de saint Paul, I Tim ., v, 1, un emploi du mot encore inconnu à l'édition allemande de Schneeberg (Saxe) en 1839 ; mais il l'accompagn e d'un signe dubitatif . Ce doute est parfaitement motivé ; le s matériaux réunis à Berlin pour J'édition de. l'Itala par Iülicher-Matzkow, et ceux du fonds Joseph Denk et de l'atelier palimp-seste de l'abbaye de Beuron, ne signalent aucun témoin de l'emploi du mot dans les traductions préhiéronymiennes de ce ver -set (4) ; la vulgate porte iuvenes et iul'enculas .
Vers la fin du V e siècle ou au Vl e , chez les écrivains profanes , Aurelius Victor (5), lui aussi, n'emploie le mot que dans son sen s chronologique, quand il donne la nomenclature de ses source s Munster, 1939, p . 19 ; sur un point spécial, P . HENRY, Plotin et l'Occident ,
dans Spicilegium sacrum Lovaniense, t. XV, 1935, p . 134 et suiv .
1. JEROME, Efist ., LVIII, so.
2. Voir entre autres R . J . KINNAVEY, The Vocabulary od S. Hilary of Poi-tiers (Commentar . in Matthaeum, Liber I ad Constantium and de Trinitate) , Patristic Studies, t . XLVII, 1935, et Cath . MAHONEY, The rare and Late Lati n
Nouns, Adjectives, etc ., in S . Augustine 's De Civitate Dei, t . XLIV, 1 935 .
3. De computo paschali libellus, II (PL, LIX, 556a ; cfr aussi 522) .
4. Nous nous faisons un devoir de remercier ici M . Matzkow le vaillant édi-teur de l'Itala, Das Neue Testament in altlateinischen Ueberlieferung (Berlin,
1938), et dom Alban Dolci, l 'éminent directeur des Textes und Arbeiten, pou r l'empressement qu'ils ont mis à vouloir bien nous transmettre leurs rensei-gnements.
au début de son Origo gentis romance ; il y oppose les anciens , Verrius Flaccus, Varron, etc ., aux modernes :
. . .atque ex omni priscorum historia, proinde ut quisque neoteri-corum asseveravit, hoc est Livius et Victor Afer .
Fort répandus à l'époque carolingienne, bien que de composi-tion originelle souvent antérieure, ce que dit déjà l'âge de cer-tains manuscrits, les glossaires, avec leurs mots venus du grec , et qui complétaient l'enseignement des grammaires, devaien t recueillir l'héritage postclassique et léguer le mot aux écrivain s carolingiens . Hincmar, l'adversaire de Gottschalc, les connais -sait . Quelques coups de sonde dans ce mare magnum des glos-saires et des grammairiens, qui requiert du reste grande
cir-conspection, permettent d'espérer quelque résultat .
S'ils ne fournissent pas grand choix d'exemples, les glossaire s réédités récemment (I) apportent au moins une significatio n nouvelle. Pour autant qu'il est permis de tabler sur les rapport s établis jusqu'ici entre ces différentes compilations, on peut dire que le Liber Glossarnm, composé par un espagnol instruit, ano-nyme, au VIIe siècle, et les gloses plus anciennes de Placidus , apparemment espagnol lui aussi, et qu'utilise déjà la préfac e de l'Anthologia latina de Saumaise (2), contiennent tout le prin-cipal ; le reste est fourni par les recueils intitulés Abstrusa , Abolita et Abba, chez tous habituellement avec le sens légère -ment méprisant de débutant . C'est la note ironique déjà cons-tatée dans le De computo paschali. Voici ce que fournit
Placi-dus (3) :
I . Corpus glossariorum latinorum a G . Loewe inchoatum, edidit G . Goetz, Prodromus et 7 volumes, Leipzig,1876-1923,citéCorp . Gloss . ; et Glossaria latina iussu Academiae Britannicae edita (edid . Lindsay, Mountford, Inguanez, etc .) ,
5 vol ., Paris, 1926-1931, cité Glossaria. Sur les glossaires et les glossographes en général, voir la substantielle et claire notice de SCHANZ, t . IV, II (1920) , § 1119, p . 246-257 etsurPlacidus, § 1120, p . 257-261 ; àcompléteret aubesoin à modifier par le premier volume, plustouffu,du Corpus Glossariorum de GoExz ,
De glossarior . latin. origine et fatis, paru seulementen 1923, p . 59 etsuiv . Su r les précautions requises dans leur utilisation comme source cocumentaire , bonnes remarques de G . LANDGRAF, Glossographie und Wörterbuch, dans
l'Ar-chie fiir latein . Lexikographie, t . IX, 1896, p . 355-44 6 .
2. VoirCorp . Gloss ., t . V, p . xx etXV, et t . I, p .XIII-XV,p . 107 et 70 et 60 , et Glossaria, t . III, p . 93 .
Neoterici : libri novi vel recentes . Neuterici : libri novi vel recentes .
On serait porté à voir ici un emprunt à Sulpice Sévère (I) , qui parle des libri neoterici et recens scritti : c'est la même des-cription dans à peu près les mêmes termes .
Mais en outre, un manuscrit des gloses de Placidus, celui d e Paris (nouv . acquisitions, 1928), apporte une addition évidem-ment basée sur l'orthographe neutericus, souvent substituée à
neotericus, comme on l'a vu plus haut :
Neutericus : novicius (cod . nonicus) aut neutri partis, verbi (cod . vervi) causa nec storicus nec profeta (z) .
Un aperçu d'ensemble sur les données disséminées dans les divers recueils du Corpus glossariorurn est présenté par Goet z dans son Thesaurus glossarum emendatarum . Il se réduit à ce s deux classes de sens, ou bien libri novi et recentes, ou bien novi -cius aut neutri partis, verbi causa nec storicus nec propheta (3) .
Les autres recueils se sont surtout affectionnés à ce secon d groupe, 1'Abstrusa, venu lui aussi d'Espagne (q.), l'Abolita, l'A
b-ba et 1'Aa :
Neoterici : minores, novicii (Glossarium Abstrusa) (5) .
Neutericus : novicius aut neutri partis, verbi causa nec historicus nec propheta (Glossarium Abolita) (6) .
Neotrici : novicii minores (GlossariumAbba, et Aa) (7) .
Sans nous arrêter davantage aux légères divergences de ce s divers témoins : Libror. Romanor ., Liber glossaruna, Cod . Paris . ; voir aussi
ibid., préface,p . xvi neuterici libri, idest novi eel recentes . 1 . Voir la note 2, plus haut, p . 113 .
z . Voir Corp. Gloss ., t. V, p . 12o, 1 . 39 ; le nonicus se corrigeparles autres recueilsen novicius, cfr Corp . Gloss ., t . VII, p, 734.
3 . Corp . Gloss ., t . VII, 'goo, p . 734 .
4 . Voir Glossaria, t . III, p . 93, qui corrige Corp . Gloss ., t . I, p . 125 .
5 . Glossaria, t . III, p . 59, sub verbo Ne, 26 ; voir aussi Corp . Gloss., t . IV ,
p . 123, 32 (Vatic . 3321) et p . 261, 27 (Sangall . g12) .
6 . Glossaria, t . III, p . 149, subverboNe, 26 ; voir aussiCorp . Gloss ., t. IV,
p . 124, I (Vatic . 3321) .
7 . Glossario, t . V, p . 92, sub verbo Ne, 73 ; et t. V, p . 299, dont quelque s copies se contentent d'intercaler des additions prises au glossaire de la Biblio-thèque Vaticane, 3321, Abslrusa ; voirCorp . Gloss ., t . IV, p . 123, 32 .
glossaires, ni à la complication de leurs relations, il semble util e de faire remarquer que le Glossarium latino-graecum, dontle ma-nuscrit le plus ancien est du IX e siècle (Paris 7651), traduitiuve -nalis par VECOTEpuo'S, et les Glossae graeco-latinae, dont on a des témoins du VII e et de la fin du IX e siècle (1), traduisent
vewTEp&KÓS par iuvenalis (2) . Il y a donc indépendance entre les
glossaires latins et les Indices graeco-latiniqui font de vearepGKÓ S
l'équivalent deiuvenalis : équivalence qui semble hors de l'hori-zon des rédacteurs des glossaires latins .
Ce sens de Novicii, minores, donné à Neoterici est caractéris-tique des glossaires . Voisin du sens chronologique, dont il sembl e du reste dériver, il y ajoute une nuance qu'il vaut la peine de relever : celui de débutant, qui vient d'entrer récemment dan s un domaine nouveau pour lui . Il serait intéressant de recherche r d'où les premiers compilateurs des glossaires, Placidus en tète , ont puisé cette notion, dont tous les autres se sont inspiré s quand ils se mettent en devoir d'expliquer le mot neotericus .
On songerait volontiers aux Etymologiae d'Isidore de Séville , l'inspirateur tout naturel des compilateurs espagnols, ses com-patriotes . Mais le mot ne semble pas se rencontrer chez lui , à en juger par la bonne table lexicographique de son dernie r éditeur Lindsay .
Novicius et minor, ce dernier habituellement complété par
natu ou un mot équivalent, sont déjà employés comme déter-mination chronologique, avant et après l'époque classique, che z Plaute, Cicéron, Ovide, Pline et d'autres (3) . Ainsi, on ren-contre novicius comme adjectif pour désigner l'esclave récem-ment réduit en esclavage chez Plaute, ou le gladiateur chez Cicé-ron (Sest . 78), et dans la Regula S . Benedicti (n . 58) il devient substantif pour désigner le nouvel entré en religion . Il serait intéressant de savoir quand il commence à s'appliquer aux jeune s recrues des monastères ; dans le Capitulare monasticum de 817
ce sens est devenu courant (q) . Mais il ne nous intéresse ici qu e dans la mesure où il peut expliquer neotericus et dans ce cas ,
1. VoirCorp . Gloss ., t, VII, p . xx et xxVI . 2. Ibid., p . 94, Io et 376, II .
3. Voir GEORGES, p . 1199 et 1 497.
le sens de « débutant » se renforce d'une nuance dépréciativ e que l'adjonction de minores n'est pas appelée à écarter . Car, à côté du sens purement juridique de «mineurs », et du sens pure -ment chronologique de « successeurs, générations à venir, posteri , iuniores », que présente le mot minores opposé à maiores, à en juger par quelques exemples fournis par du Cange (s), minores a
aussi un sens qualificatif ou péjoratif, qui semble avoir été d'u -sage courant dès le VIe siècle . Il suffit de parcourir les lois de s peuples germaniques d'Espagne, de Gaule, de Germanie méridio-nale, pour en constater l'emploi assez étendu : ce sont les mi-nores personae, minor persona, sans dignité ni charge, opposée s
à Jionestor, à majores personne, etc ., et dont le traitement en droi t
pénal est différent des autres (2) . Est-ce ce sens dépréciatif ou péjoratif qui a inspiré la glose des recueils placidiens ? Il serai t hasardeux de répondre d'une manière absolue, d'autant plus qu e l'absence de tout contexte rend spécialement délicate la séman-tique de deux mots isolés novicii, minores ; mais il semble difficile de ne pas y voir une nuance de dépréciation, aussi long -temps que la provenance n'est pas éclaircie .
La question de provenance se pose aussi pour l'autre sen s occasionnellement indiqué par quelques glossaires . C'est celu i de l'exclusion dans une énumération : eNi historien, ni prophète , mais d'une autre catégorie d'écrivains » . Cette glose porte so n extrait de naissance : outre l'orthographe neutericus, associé à neuter évidemment, elle suppose presque sûrement un pas -sage —une classification des écrivains bibliques en livres his -toriques et en livres prophétiques ? — qui groupait des auteur s en deux classes principales auxquelles n'appartenait pas le reste . Quel auteur cette glose était-elle appelée à expliquer (3) ? L a
r . Glossarium, Paris, 1845, édit . Didot, t . IV, p . 423 .
2. Sens d'enfants mineurs : Loges Burgundorum, Liber Constitutionum, n •
LXXXV etLxxxvIi, Lex Visigothorum, IV, 3, 4, dans MGH, Legum sectio ,
p . 107, 7 et ro8, 5, t . I, p . 192, 13 . — Sens de minores personae opposé à majores ,
honestior, etc . : Lex Visigothorum, vu, 2, 20 ;VII, 5, 1 ; VIII, 4, 30 ; IX, 2,9 ; Len Burgundiorum, Liber Constit . rI ; Loges Alamannorum, XXXIX ; Lex Bai-warior2b7n, tit . u, 3 et VII, 3, dans MGH, Legum sectio I, t . I, p . 296, 12 ; 303 , 1 4 ; 344, 7 ; 37 6, 9 et 37 8 , 25, 31 ; t . II, p . 4 2 , 5 ; t. V, p . 99, 9 ; t. V, p . 2 94 , 6 ; 223,1et34.8,7 .
3. On songerait assez volontiers à Claudien Mamert, qui donne occasion â cette interprétation, inexacte du reste, en excluant son adversaire Fauste,
Neo-réponse à l'une et à l'autre de ces questions sur la provenanc e de ces sens pourrait jeter quelque lumière nouvelle sur les détail s de ces recueils et sur les modes de leur composition . Il nous suffit ici d'avoir relevé les divers sens et attiré l'attention sur les recherches ultérieures d'oit devrait venir la lumière .
Chez les grammairiens, la tradition est plus riche : au moins , elle a perpétué un sens à nuance technique, d'ordre littéraire , que le lettré saint Jérôme, formé à l'école de Donat, est peut -être le seul à remémorer parmi les écrivains ecclésiastiques . On peut ouvrir la série par le pseudo-Asconius, dont on place ver s 350-450 le commentaire scolaire sur les Verrines . A propos de l'expression de Cicéron, Ut oculis indicare possitis, il fait la re -marque suivante :
Hoc leviter a Cicerone dictumet neoterice putant (x) .
A cette qualification de néologisme, il est difficile de ne pa s trouver une nuance d'ironie après ce qu'avait dit Cicéron de s poetae novi et des anovateurs » en éloquence, contre lesquels i l se défendait non sans aigreur . La traduction de Freund-Theil (z) sacrifie à l'élégance la nuance ironique de l'original .
De tous ces grammairiens, c'est Servius le commentateur bien connu de Virgile, et Diomède, d'origine grecque, dit-on , cité déjà par Rufin d'Antioche (3), ce qui le place au plus tar d
tericus, du groupe des prophetae et des imites . A l'appui de cette hypothèse, o n
peut ajouter que son oeuvre a eu une certaine diffusion, à en juger par le nombr e des manuscrits, dont plusieurs antérieurs au XI6 siècle (voir l'édition cité e d'LNGELBRECHT, CSBL, t. XI, p . I-v), et l ' un d 'eux, celui de Leipzig, 286, d u XIS siècle, porte des gloses interlinéaires (voir ibid ., p . III), qu'il faudrait véri-fier, ainsi que ses Sententiae ou extraits, présents dans un manuscrit de Bonn , 218, du XI° siècle, très riche en gloses diverses (voir STEINMEYER et SIVERS ,
Althochdeutschen Glossen, Berlin, 1898, t . IV, p . 391) . Des recherches plus
minu-tieuses, qu ' il n ' y a pas lieu de pousser ici, pourraient éclaircir cette question de provenance .
1. Pseudo-Asconius, In Giceronis orationem in Q . Caeciliunz, quae Divinatio dicitur, 15, édit. ORELLI-BAITER, dans Giceronis Opera quae supersunt anima ,
t . V, pars 2, Zurich, 1833, p . 10 5 .
2. FREUND et THEIL, Grand dictionnaire, etc ., Paris, 1862, t . II, p . 55 9 c« par néologisme A .
3. Coznznentariuzn in metra Terentiana, dans KEIL, Graznnzatici latini, t . VI , p . 553, 555, 5, etc .
dans la deuxième moitié du IV e siècle, qui font la part la plu s large aux neoterici et à leurs procédés de versification . En voic i quelques exemples ; il serait intéressant d'en savoir plus lon g sur les sources (i) de Diomède, toujours énigmatiques, surtou t dans son curieux chapitre du De versuum generibus ; mais cett e recherche intéresse l'histoire littéraire, plutôt que le sens du mo t
chez Diomède.
A propos du Galliamburn metrum, assoupli ou amolli (enerva-tius et mollius) par la substitution de deux brèves à l'antépénul-tième, Diomède ajoute (2) :
Ceterum huic metro, quod enervatum diximus, simile est illu d
neotericum quod est tale :
Rutilos recidecrines habitumque cape vir .
Le vers reciprocus était une des spécialités des Neoterici, au dire de Diomède (3), qui apporte en exemple deux vers
sota-diques (4) :
Reciprocus versus apud neotericos talis est : Versu volo, Liber, tua praedicentur acta ,
Acta praedicentur tua, Liber, volo verso .
Le reciprocus peut aussi se composer d'un hexamètre, l u normalement de gauche à droite, et lu à rebours, d'un sotadique ; puis il ajoute à propos des tours de force des neoterici (5) :
Reciprocum genus mirum invenerunt otia curiosa . . .
Reciprocum neoterici, si non fallor, novum protulerunt ut per duo s versus duo alti recurrant .
1. Surcette question, on peut voirGér.SCHULTZ, Uber das Capitel De Versuu m generibus bei Diomedes, dans Hermès, Zeitschrift für Klassische Philologie ,
t. XXII, 1887, p . 260-281, surtoutp . 274-281, et lanote de F . Lao, Die beiden metrischen Systeme des Altertums, même revue, t . XXIV, 1889, p . 294, n . 2 ;
sur Diomède, engénéral, SCHANZ, t ., IV, 1 § 834, p . 169-172 ; sur son origin e grecque, A . FuNCK,à proposde C . PAUCKER, dans l'Arc/tin für latein .
Lexico-graphie, t . 1, 1884, p . 458 .
2. Artfis grammaticae liber III, dans KEIL, Grammatici latini, t . I, p . 514, 3 -16-25 .
3. Ibid ., p . 5r6, 24 . 4. Ibid ., p . 510, 3 2- 35 .
et il donne en exemple une combinaison curieuse de deux hexa-mètres et de deux pentahexa-mètres .
Contemporain de Macrobe (fin du IV e siècle), mais notable-ment plus jeune que lui, Servius emploie plusieurs fois le mo t dans son commentaire de l'Ënéide et s'inspire alors de Probus , dont on rencontre déjà l'utilisation par les grammairiens d e l'époque des Antonins (1) . Citons les passages suivants (2) ; visiblement, le sens technique est au premier plan :
Aen . VI, 187, àpropos de l'emploi de o et si dans l'expression d'un e demande et d'un souhait : «si . . . est per se plenum, sicut et 'o', quam-quam neoterici haec iungant et pro uno ponant », et il en appelle à un vers de Perse (II, Io) .
Aen . VI, 30, à propos de «lividum » dans le sens de invidum : « nonnisiapud neotericos invenimus e, et il signale un vers de Lucain (I, 288) .
Aen . VIII, 731,dernier vers, du livre blâmé par les critiques an-ciens : « quasi superfluo et humiliter additum nec convenientem gra-vitati eius ; namque est magis neotericus ».
Aen . XII, 6o5, au lieu de flavos Lavinia crises ; «astiqua lectio
« floros » habuit, id est florulentos, pulchros, et est sermo Ennianus . Probus sic adnotant neotericum erat « flavos », ergo bene floros » . Un siècle et demi environ avant Diomède, Térentien de Mau-ritanie, qui écrivait en vers son De metris et par suite ne pou-vait facilement faire entrer dans sa versification un mot comme
neoterici, à supposer qu'il fût déjà en usage, donne quelque s renseignements sur les curiosités métriques de ces poètes, o ù les mots priscos poetas, veterum exemplis, s'opposent à metr a servarunt minores, exempla novella, novitas ino75ina meleos,
filu-ribus modis novant, novelli poetae, etc. (3), comme équivalent s de neoterici .
De date imprécise, mais avant Julien de Tolède (t 690) qui
I . TEUFFEL, 6 0 édit ., 1913, t . III, p . 383, § 444, I ;P . 3 0 3-3 o6 , § 43 1 , 2 ; p 7, § 357, 2 et p . 137-138, § 374, 1 ; SCHANZ, t . IV, r, § 835, p . 1 73- 1 77 .
2. Nous citons d'après l'édition de 1881-1902, beaucoup plus répandue que la réédition de 1923, Servii grammatici quiferuntur in Vergilii carmina commnen-tarii, rec . G . THILO et H. HAGEN, Leipzig, t . II, 1884, p . 37, 55, 306 et
6z6-627 .
3. KEIL, Op . cit., t. VI, p . 384-400, vers 1921, 1960-70 et 1 973-74, 1 994'
le cite (i), le Commentum avtis Donati de Pompeius de Mauri-tanie parle encore des préférences grammaticales ou proso-diques chères aux neoterici, entre autres à propos de la quantit é de la première personne dans la conjugaison des verbes ; la majo-rité des neoterici, Stace en t@te, la fait brève, tandis qu'en beau -coup de cas, avec les Grecs, Virgile la fait longue (2) :
Neoterici autem omnes, Statius et alti, maiores surit in illa part e quaebrevisest, quam in illa quaelongaest contra Vergilium .
Cette nuance technique, d'ordre grammatical et littéraire , qui s'attache au mot dans les écrits des grammairiens, ne parait pas avoir survécu bien longtemps : elle a disparu, semble-t-il, devant le sens chronologique qui seul a subsisté . On a déj à relevé plus haut l'usage qu'en font avec cette seule acceptio n trois écrivains gaulois, dont deux du moins, Salvien et surtou t Sulpice Sévère, ont été beaucoup lus (g) .
Détachons encore quelques exemples au début du septièm e siècle et au début du neuvième. Dans un langue rude, incorrecte et recherchée, un évêque de Tolède, Aurase, prononce l'ana -thème contre un seigneur judaïsant, qui a abandonné les vertus anciennes et les vertus modernes : priscas, neotericas, à moins de maintenir neutericus, avec les manuscrits et l'éditeur des
117onumenta, ce qui semble préférable (4), dans le sens de a no-vateur, modernisant D.
Chez saint Colomban, le sens chronologique du mot ressort nettement du contexte (5) :
Post evangeliorum plenitudinem, post apostolicam doctrinam, pos t neotericam orthodoxorum auctorum scripturam, qui de novo ac Veteri Testamento sacramenta fidei diverso sermone aperuerunt . . . A propos du respect dû aux canons des conciles des Gaule s approuvés jadis par Rome, Agobard, vers 817, oppose les
an-1. Voir les Excerpta ex ,julianicommentario, dansKE11., op . cit., t. V, p . 317 ,
14 et 319, 23 .
2. Deverbo, dansKE11,,op . cit ., t . V, p . 232, 35 .
3. Voir plus haut, les notes 1-3, p . 115 .
4. Epist . Merow . et Karol . sevi,dans MGH, Epistolae, t . I, p . 689, 2 7 . 5. Epist . 5, dans MGH, ibid ., p . 175, 21 .
tiqui aux neoterici romains (r) . Vers la même année, deux dis-ciples de Regimbert de Reichenau, Grimald et Tatton, lui en-voient le texte de la règle de saint Benoît, en distinguant ave c soin ce qui vient des modernimagistri de ce qui est dû à la plum e du vénérable patriarche et non aux neoterici :
Benedicto dictata sunt nec minime a neotericis inventa (2) . C'est alors que se place Gottschalc, chez qui le mot n'a d'autr e signification que celle d'auteur récent, de débutant peut-êtr e avec une nuance dépréciative qu'on entrevoit vaguement, mai s sans rien qui rappelle la nuance d'ordre technique et littéraire , chère aux anciens grammairiens (3) :
«Non tarnen per omniasequendus est (Donatus) quia apud aucto-res noetericos alias repperitur . . .D
u Sed noetericis pene velincognita vel insolita a .
Oú avait-il trouvé le mot et ce sens ? Quand il s'agit d'auteurs du renouveau carolingien, connus pour leur curiosité intellec-tuelle et ardents à s'enrichir de nouvelles sources de savoir et d e nouveaux éléments de diction, une affirmation trop précis e devient vite hasardeuse . Mais on peut croire que la consultatio n des glossaires et l'étude grammaticale n'a pas été étrangère à l'emploi que Gottschalc fait du mot . On a vu plus haut que so n adversaire Hincmar connaissait aussi les glossaires et les utili -sait, ainsi que Remi d'Auxerre un peu plus tard (4) . L'âge d e beaucoup de copies des glossaires faites au IX e siècle atteste la vogue de ces instruments de travail à ce moment . Dans s a versification du reste, Gottschalc trahit l'influence des insulaire s
Scotti très affectionnés aux mots grecs, et il se reconnaît l'élèv e d'un maître de Reims, uno subditus anno, qu'on est porté à iden-tifier avec l'irlandais Dunchad ou un de ses compagnons (5) .
Gottschalc n'ignorait pas non plus les grammairiens, car il e n
1. Epist. 3 (12), dans MGH, Epist . Karol. aevi, t . III, p . 162, 10-15 .
2. Epist . variorum, 3,dans MGH, ibid., t . III, p. 302, II-16 .
3. Dans le chapitre de ses opuscules de grammaire : De e in » praepositione
explanatio, op . cit., p . 364, II et 44 1 , 3 .
4. Voir MANITIUS, Geschichteder latein . Literaturdes M. A ., t . I, p . 349-350 et 5og, qu'approuve G . Goetz, Corp . gloss ., t . I, 1923, p . 6o .
cite plusieurs (i) et la partie grammaticale de son couvre té-moigne de l'intérét qu'il leur donnait . Mais la manière dont i l emploie saeotericus montre qu'il n'a pas hérité d'eux la significa-tion littéraire un moment rattachée au mot .
Répartis en trois groupes principaux, au sens exclusivement chronologique, ou chargé d'une nuance soit péjorative soit technique littéraire, ces quelques exemples peuvent donner un e idée de l'évolution du mot jusqu'à Gottschalc, qui ne ressuscit e pas, contrairement à une légitime attente, la tradition plus rich e des anciens grammairiens . Des recherches ultérieures dans le s lexiques de Papias, d'Osbern, d'Huguccio et d'autres dépassen t
les limites de cette note .
J . DE GHELLINCx, S . J .