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Le rôle de la participation active de l'enfant de 6 mois dans sa perception de la causalité

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Academic year: 2021

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LE RÔLE DE LA PARTICIPATION ACTIVE DE L’ENFANT DE 6 MOIS DANS SA PERCEPTION DE LA CAUSALITÉ

Mémoire présenté

à la Faculté des Études Supérieures de l’Université Laval

pour l’obtention

du grade de maître en psychologie (M.Ps.)

École de Psychologie

FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES UNIVERSITÉ LAVAL

Septembre 2002

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RÉSUMÉ

La présente étude a pour objectif de vérifier si la participation active de l’enfant âgé de 6 mois est nécessaire à sa conception de la causalité. Trente-deux bébés de 6 mois sont soumis soit à une session d’habituation visuelle au cours de laquelle deux boules reliées de façon causale ou non se déclenchent de manière dépendante de l’orientation du regard du nourrisson, ou soit à une session d’habituation visuelle au cours de laquelle deux boules reliées de façon causale ou non sont en mouvement continuellement. Les données empiriques indiquent que les enfants confrontés à un événement causal, dont ils contrôlent le déclenchement, manifestent une réaction à la nouveauté envers l’inversion de l’événement causal significativement plus importante que celle des enfants des autres groupes expérimentaux. Ces résultats suggèrent ainsi que le bébé de 6 mois joue un rôle actif dans sa reconnaissance des liens causaux.

Stéphan Desrochers, Ph.D. Directeur de recherche Annabelle Erzépa,

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AVANT-PROPOS

Je tiens tout d’abord à remercier mon directeur de recherche, M. Stéphan Desrochers, pour sa très grande disponibilité et son extrême gentillesse. Je lui suis énormément reconnaissante des précieux conseils qu’il m’a offerts tout le long de mes deux années de maîtrise. Il a su me faire découvrir le monde de la recherche de façon passionnante.

Puis, je remercie mes parents pour le soutien, la compréhension et les encouragements qu’ils m’ont sans cesse démontrés dans tous les projets que j’ai entrepris. Merci à ma sœur et mon frère, qui, malgré la distance, m’ont toujours épaulée. Une pensée toute spéciale s’adresse à Tim pour son support constant. Je souhaite également remercier mes amis et les étudiants du Laboratoire du Développement Cognitif du Nourrisson, tout particulièrement Isabelle Rose qui m’a aimablement aidée quand j’en avais besoin.

Enfin, je voudrais dire un grand merci aux petits participants de cette étude ainsi qu’à leurs parents, qui ont tous contribué, avec enthousiasme, à la réalisation de ce mémoire.

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TABLE DES MATIÈRES

Page

RÉSUMÉ... i

AVANT-PROPOS... ii

TABLE DES MATIÈRES... iii

LISTE DES TABLEAUX... v

LISTE DES ANNEXES... vi

INTRODUCTION... 1

I L’élaboration des notions de permanence de l’objet et de causalité au cours de la petite enfance selon la théorie de Jean Piaget... 2

1.1 Stades let II (0 à 4 mois) ... 3

1.2 Stade III (4 à 8 mois)... 4

1.3 Stade IV (8 à 12 mois)... 7

1.4 Stade V (12 à 18 mois)... 9

1.5 Stade VI (18 à 24 mois)... 10

II Les études récentes sur le développement des notions de permanence de l’objet et de causalité avec l’usage de la technique de !’habituation visuelle... 11

2.1 Les études sur la permanence de l’objet chez les nourrissons... 12

2.2 Les critiques des études de Baillargeon... 15

2.3 Les recherches récentes sur la notion de causalité externe chez le nourrissons... 19

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2.4 Les critiques des études récentes sur la causalité externe

chez le bébé... 21

III Objectifs et hypothèse de la présente étude... 24

MÉTHODE... 26 Participants... 26 Stimuli... 26 Dispositif... ... 27 Design... 27 Procédure... 28 RÉSULTATS... 30

T ests de préférence à priori... 30

Tests de réaction à la nouveauté... 31

DISCUSSION... 33

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LISTE DES TABLEAUX

Page TABLEAU 1 : Moyennes et écart-types des durées de fixation visuelle selon

32 les groupes expérimentaux

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LISTE DES ANNEXES

Page ANNEXE A : Schéma du dispositif servant à !'habituation visuelle... 43

45 ANNEXE B : Formulaire de consentement

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INTRODUCTION

Le développement de la connaissance du réel chez le nourrisson s’avère être un objet d’étude en psychologie qui suscite, encore aujourd’hui, de nombreux questionnements tant sur le plan théorique que méthodologique. Jean Piaget (1937) a étudié l’évolution de quatre grandes notions du réel chez l’enfant au cours de ses deux premières années de vie: la permanence de l’objet, l’espace, la causalité et le temps qui se mettent en place graduellement et de façon inter dépendante. Sa théorie constructiviste stipule que l’enfant élabore peu à peu la réalité des choses qui l’entourent à partir de l’exercice de ses actions et de ses expérimentations sur le monde extérieur.

Ce mémoire aborde plus particulièrement l’étude du développement de la notion de causalité chez le bébé, de Piaget à aujourd’hui. En effet, de nouvelles techniques ont été récemment mises au point afin d’explorer le développement cognitif du nourrisson. Les travaux, employant la technique d’habituation visuelle, amènent ainsi à des résultats remettant en cause la conception piagétienne de la notion de causalité et soutenant plutôt son apparition précoce. Afin de bien comprendre l’élaboration de la notion de causalité chez le nourrisson dans la théorie de Piaget, il semble pertinent de présenter parallèlement la construction d’une autre notion du réel, celle de la permanence de l’objet. En fait, selon la définition de l’auteur, « un objet est un système de tableaux perceptifs, doué d’une forme spatiale constante au travers de ses déplacements

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successifs, et constituant un terme ¡salable dans les séries causales se déroulant dans le temps » (1937, p.82).

I L’élaboration des notions de permanence de l’objet et de causalité au cours de la petite enfance selon la théorie de Jean Piaget.

Concernant le nourrisson, Piaget (1936) parle d’intelligence sensori-motrice (0-24 mois), c’est-à-dire une intelligence pratique, dépourvue de langage ou de toute autre forme de représentation mentale, et dont les outils principaux d’exploration sont la perception et la prise de conscience du résultat des actions sur !’environnement. Deux évolutions majeures et parallèles caractérisent cette période de !’intelligence sensor¡- motrice, l’évolution relative au comportement intellectuel et celle relative à la connaissance du réel. La première amène l’enfant, par un processus de structurations successives entre l’assimilation (intégrer un objet aux compétences déjà constituées) et !’accommodation (modifier les schèmes d’assimilation en fonction des propriétés spécifiques d’un objet), à une conduite adaptée ou à un équilibre entre ces deux processus innés. Associée à ce développement de !’intelligence, une élaboration de la découverte de la réalité par le nourrisson va se produire. En effet, l’enfant, dans les premiers mois de sa vie, ne se distingue pas du monde qui l’entoure. L’univers n’est perçu qu’à travers sa propre activité. Piaget nomme cet état initial d’indifférenciation entre le sujet et son environnement, l’égocentrisme. Progressivement, par un mécanisme de décentration générale, l’enfant va arriver à se positionner lui-même comme un objet parmi les autres objets d’un univers cohérent et régulé par certaines lois physiques. La mise en place d’une compréhension de plus en plus objective des relations causales s’avère être un exemple de loi physique.

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Piaget introduit cinq étapes structurant la genèse de la causalité et jalonnant les six stades sensori-moteurs. Ainsi, c’est au cours des deux premières années de vie que l’enfant échafaude progressivement sa compréhension de la causalité. En partant d’une conception totalement égocentrique des relations causales, c’est-à-dire toujours reliées à ses actions, le nourrisson parvient, peu à peu, à accorder aux objets extérieurs une certaine indépendance causale, pour aboutir, lors du cinquième stade sensori-moteur (12-18 mois), à la reconnaissance d’une extériorisation et d’une autonomie totales des liens de causalité, par rapport à sa propre activité. Cette élaboration de la causalité de la période de !’intelligence sensori-motrice atteint son apogée pendant le sixième stade (18-24 mois) au cours duquel l’enfant acquiert la déduction causale, impliquant la représentation mentale des objets absents.

1.1 Stades I et II ( 0 à 4 mois) : l’absence de conduite spéciale relative aux objets disparus ; la prise de contact entre l’activité interne et le milieu extérieur et la causalité propre aux schèmes primaires.

A partir de !’observation minutieuse de ses trois enfants, Piaget n’a pu constater, chez le bébé des deux premiers stades, aucune conduite spécifique manifestant une recherche active d’un objet qui disparaît. L’enfant conçoit l’univers comme une juxtaposition de tableaux sensoriels qui apparaissent et disparaissent alternativement,

plutôt que composé d’objets substantiels dotés d’une certaine permanence.

Dès le second stade, la mise en place des opérations de coordination entre les schèmes primaires et d’accommodation sensori-motrice engendre une esquisse de structuration par l’enfant du monde qui l’entoure. Par exemple, la coordination entre le schème d’entendre et celui de voir l’amène à orienter sa tête en direction de la

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provenance du son qu’il entend. Néanmoins, ces comportements liés aux premières coordinations ne lui servent qu’à organiser ses actions mais non à extérioriser les objets dans l’univers environnant. Ainsi, d’après Piaget, l’enfant qui dirige son regard vers une source sonore, n’agit de la sorte que pour maximiser l’écoute de ce qu’il entend.

Concernant les accommodations sensori-motrices, une conduite envers l’objet disparu tend à se développer, et consiste à fixer l’endroit de sa disparition. Il ne s’agit cependant que d’un prolongement de l’action antérieurement déclenchée de la part du bébé et non d’une marque de volonté de retrouver l’objet. Selon le théoricien suisse, cette caractéristique d’investissement actif pour retrouver un objet qui s’éclipse s’avère être essentielle pour rendre compte d’un début de constitution de la notion d’objet qui va peu à peu s’établir au cours des stades sensori-moteurs suivants.

Au sujet de la notion causalité, les deux premiers stades sont caractérisés par une indifférenciation de la part du sujet entre lui-même et le monde environnant qui ne lui permet donc pas de percevoir qu’il, ou un objet extérieur, provoque un certain effet. Le bébé a uniquement une vague impression que quelque chose se produit en prolongement de son action propre, de son effort. Ce sentiment trouble d’efficacité lié à sa propre activité est en quelque sorte l’état embryonnaire des différentes formes de causalité qui apparaîtront lors des stades ultérieurs.

1.2 Stade III (4 à 8 mois) : le début de permanence prolongeant les mouvements d’accommodation ; la causalité maqico-phénoméniste.

Le troisième stade du développement de !’intelligence marque une étape intermédiaire entre le développement des conduites de préhension des objets, propres

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au second stade sensori-moteur, et les premières apparitions de comportements de recherche active, caractéristiques du quatrième stade suivant. Lors de cette phase transitoire, cinq types différents de conduite qui contribuent graduellement à la notion d’objet chez le nourrisson sont à relever.

La première, !’accommodation visuelle aux mouvements rapides, s’infiltrant dans la simple continuation des comportements trouvés au second stade, correspond à la capacité du bébé de prévoir visuellement les positions que va prendre un objet qui se déplace. Grâce à cette anticipation visuelle des déplacements d’un objet, il arrive ainsi à présager sa nouvelle localisation. Cependant, cette considération des mouvements des corps environnants demeure primitive, et ne reste encore qu’un simple prolongement de l’action que l’enfant est en train d’effectuer.

Le second indice est celui de la préhension interrompue et consiste en la tendance de l’enfant à rechercher «tactilement» un objet qui est sorti de son champ perceptif. Le bébé a la conviction qu’il regagnera un objet manipulé précédemment en répétant la même action tactile exercée sur cet objet.

La troisième forme de conduite, spécifique à ce troisième stade, s’avère être la réaction circulaire différée. En effet, on observe, chez le bébé de ce stade, une tendance à répliquer un acte qui lui a permis d’aboutir à un résultat déjà jugé intéressant. Après avoir été interrompu dans son action sur un certain objet par une circonstance quelconque, l’enfant va revenir à sa position initiale, et reprendre les gestes qu’il effectuait auparavant. L’attitude que le bébé adopte envers l’objet disparu demeure cependant encore fortement relative au contexte dans lequel il se livre à ses actions. D’après Piaget, l’enfant cherche davantage à retrouver les conditions nécessaires à l’exercice du schème d’action, que l’objet lui-même.

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Peu à peu, le nourrisson parvient également à reconstituer un objet partiellement caché ainsi qu’à le rechercher pour se le procurer. Par exemple, il peut s’emparer d’un jouet à moitié visible en écartant l’obstacle qui le dissimule. Ce comportement indique un progrès net dans la solidification des corps du monde environnant mais, selon Piaget, l’objet partiellement caché est plutôt considéré par le bébé comme sur le point d’apparaître, et non comme une entité dont une partie est masquée par un écran.

A la fin de ce troisième stade apparaissent des conduites de complexité supérieure, dites de suppression d’un obstacle empêchant la perception. L’enfant écarte ou enlève les obstacles lui bouchant la vue, mais l’obstacle est perçu comme une gêne par rapport à l’action du sujet lui-même et non par rapport à l’objet en tant que tel.

L’émergence graduelle de ces différentes conduites atteste, chez le bébé, le début d’une attribution de permanence, non aux objets substantiels de son environnement, mais aux tableaux perçus qu’il désire faire durer et qu’il se représente comme le produit de l’effort actif qu’il met en œuvre pour tenter de les garder à sa disposition.

Pendant le troisième stade émerge, ainsi, la causalité que Piaget qualifie de magico-phénoméniste. Durant cette période, les réactions circulaires secondaires dominent chez l’enfant, c’est-à-dire qu’il a tendance à reproduire toute conduite qui lui a permis d’obtenir un résultat intéressant dans le monde extérieur. Le nourrisson évolue alors vers une ouverture sur les objets externes et son action devient intentionnelle. Il dissocie un peu plus l’effet de la cause car il est conscient que son action provoque un changement. Une causalité primitive s’initie. Cependant, cette causalité est considérée comme magique puisque l’enfant se croit toujours à l’origine des événements perçus

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sans se soucier de la nécessité de contacts physiques entre la cause et son effet. Cette croyance crée en lui un sentiment d’omnipotence. Elle est également phénoméniste, dans le sens où le sujet est convaincu que son action motrice coïncide chaque fois avec un certain effet apparent, perceptible. Ce phénoménisme n’est cependant toujours pas détaché du sentiment d’efficacité que le bébé ressentait au cours des stades précédents lorsqu’il n’arrête pas de reproduire un geste, persuadé que ce dernier va faire perdurer un spectacle qui l’intéresse.

1.3 Stade IV (8 à 12 moisj : la recherche active de l’objet disparu mais sans tenir compte de la succession des déplacements visibles ; !’extériorisation et l’objectivation élémentaires de la causalité.

Au cours du quatrième stade de !’intelligence sensori-motrice, on assiste à l’apparition de comportements de recherche active de la part de l’enfant d’un objet complètement disparu, à condition qu’il ait été témoin de son éclipse. Cela l’amène, par exemple, à soulever un écran afin de retrouver un objet que l’on a entièrement dissimulé sous ses yeux. Le sujet commence alors à conférer à l’objet une existence propre même s’il ne le perçoit pas. Cependant, Piaget souligne l’obstination du bébé à chercher un objet à l’endroit où il l’a découvert pour la première fois même s’il a suivi visuellement les déplacements successifs que l’on a fait subir à l’objet afin de le localiser autre part. Il s’agit bien sûr ici de l’erreur A - non B. Une amorce de structuration objective des choses qui environnent le sujet se déroule lors de ce stade, mais demeure toujours fortement relative aux actions qu’il conçoit comme efficaces. L’enfant est persuadé qu’un certain objet, trouvé initialement à une certaine place, y demeure à chaque fois qu’il le cherche. On ne peut donc encore parler d’une

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constitution définitive de la notion de permanence de l’objet chez l’enfant, et il faut attendre le cinquième stade pour qu’il prenne en compte les déplacements visibles successifs des objets.

Par ailleurs, le stade IV correspond à une étape transitoire entre la causalité magico-phénoméniste du stade III et la capacité de l’enfant à détecter des connexions causales entre deux objets de !’environnement sans qu’il ne se sente impliqué dans ces connexions, caractéristique du stade V suivant. Ainsi, il commence à réaliser qu’il n’est pas exclusivement à l’origine des événements observés. L’apparition des conduites de déclenchement aboutit à l’objectivation et à la spatialisation élémentaires. Afin de bien comprendre ce que Piaget entend par conduites de déclenchement, voici un exemple qu’il donne dans son ouvrage « La construction du réel » (1937) : « A 9 mois 9 jours, [...], Jacqueline est assise sur un canapé et je mets à côté d’elle son perroquet en celluloïd. Ne l’ayant sans doute jamais vu dans cette position, elle le touche avec une grande prudence en retirant aussitôt sa main, si bien que le perroquet saute légèrement. Elle recommence alors un grand nombre de fois, en le déplaçant un peu à chaque reprise. Elle le pousse donc d’une part, mais, d’autre part, elle se conduit à son égard comme vis-à-vis d’un être doué de vie et de mouvement spontané. »

Ainsi, l’enfant prend conscience que les objets, une fois déclenchés, peuvent continuer à s’activer tout seul (objectivation élémentaire), et il commence à reconnaître que des contacts physiques sont nécessaires entre une cause et son effet (spatialisation élémentaire). Cependant, même si le début d’une indépendance causale est accordé aux objets extérieurs, le sujet se sent toujours l’initiateur de leur mouvement.

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1.4 Stade V (12 à 18 mois) : l’enfant tient compte des déplacements successifs de. l’objet ; l’objectivation et la spatialisation réelles des relations causales.

Dorénavant, l’enfant cesse de rechercher un objet disparu là où il l’avait récupéré la première fois, mais oriente sa quête en fonction des derniers déplacements visibles. Il arrive ainsi à le retrouver à l’endroit où il a été dernièrement placé. L’apparition de la réaction circulaire tertiaire l’amène à faire varier ses actions sur les objets manipulés afin de découvrir les conséquences engendrées sur ces derniers. Un progrès décisif dans la construction de l’objet permanent se réalise, dû au fait que le sujet accorde aux objets une réelle autonomie, ainsi que leur indépendance par rapport à sa propre action. Néanmoins, cette première réalité objective va atteindre son apogée au cours du sixième stade, lorsque la représentation mentale rentre en jeu.

Grâce à cette reconnaissance de !’indépendance totale des objets, la causalité s’extériorise dans l’univers perceptif. Les réactions circulaires tertiaires et !,expérimentation active concourent respectivement à l’apparition de l’objectivation et de la spatialisation réelles de la causalité. L’enfant, en faisant varier ses actions sur les objets afin de détecter leurs propriétés, assimile progressivement qu’un événement extérieur peut en provoquer un autre sans que son action n’intervienne. L'expérimentation active, elle, s’exprimant, par exemple, par la conduite du bâton, de la ficelle ou du support favorise la reconnaissance de connexions physiques. Voici un exemple illustrant le phénomène d’objectivation réelle (Piaget, 1937) :

« A un an et 29 jours, Jacqueline est pour la première fois en présence du jouet bien connu des poules actionnées par un poids. Un certain nombre de poules sont rangées en cercle sur un anneau de bois et l’avant de chaque poule est relié par une ficelle à une même boule pesante située sur un plan inférieur à celui de l’anneau : le

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moindre mouvement de la boule déclenche ainsi celui des poules, qui viennent frapper du bec contre le bord de l'anneau.

Jacqueline, après avoir examiné un instant le jouet que j’actionne en le déplaçant doucement, touche d’abord la boule et constate le mouvement concomitant des poules. Elle déplace alors systématiquement la boule en regardant les poules. Convaincue ainsi de !’existence de la relation, dont elle ne comprend évidemment pas le détail, elle pousse très délicatement de l’index droit cette boule chaque fois que le balancement s’arrête complètement. »

Cet exemple montre bien la présence d’une objectivation de la causalité chez Jacqueline : elle se rend compte effectivement que c’est bien le mouvement de la boule qui provoque celui des poules. Ce type de causalité, remarquable au stade V, demeure à un niveau pratique, perceptif, sans que la représentation mentale ne rentre en jeu.

1.5 Stade VI (18 à 24 mois) : la représentation des déplacements invisibles ; la causalité représentative.

Au niveau de son développement intellectuel, l’enfant acquiert la capacité de se représenter mentalement des objets absents ainsi que leurs déplacements invisibles, lui permettant de chercher un objet à un endroit tout autre que celui où il l’a dernièrement vu disparaître. L’enfant conçoit ainsi les objets dans un univers extérieur à lui-même comme des entités douées d’une certaine substantial^ et d’une permanence propre qui continuent d’exister même si il ne les perçoit pas. Il parvient également à se positionner comme un objet parmi tous ceux qui l’entourent et qui détiennent une certaine indépendance par rapport à ses actions. La permanence de l’objet est définitivement constituée.

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Sur le plan de la notion de causalité, cela l’amène à pouvoir retrouver une cause absente probable lorsqu’un effet spécifique est perçu, et prévoir l’effet qu’un objet, origine causale, peut engendrer. Une illustration de cette capacité à se représenter une cause se retrouve dans la situation suivante : un enfant joue avec sa mère, quand une balle arrive soudainement près de lui par derrière; l’enfant qui a acquis la déduction causale va se retourner afin de dépister l’auteur présumé de ce lancer (Desrochers, Ricard et Gouin-Décarie, 1995).

La théorie piagétienne est donc constructiviste, c’est-à-dire que, comme un explorateur, le bébé va expérimenter sur l'univers pour découvrir les lois physiques et spatiales qui le caractérisent, à partir des mécanismes innés de l'assimilation et !’accommodation, et à l'aide de sa propre activité. Cependant, les travaux récents sur les notions d’objet et de causalité, chez le très jeune enfant, ont abouti à des conclusions réfutant les idées de Piaget à propos du développement de ces deux notions.

Il Les études récentes sur le développement des notions de permanence de l’objet et de causalité avec l’usage de la technique de !’habituation visuelle.

Aujourd’hui, la technique d’habituation visuelle s’avère être une méthode largement employée pour étudier le développement cognitif du nourrisson. Cette procédure se base sur l’étude des variations de temps de fixation visuelle chez le bébé. Elle consiste en deux étapes. La première, nommée phase d’habituation, correspond à la présentation d’un même stimulus, pendant plusieurs essais successifs. On considère qu’il est habitué à ce stimulus quand son temps de fixation baisse de façon importante

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jusqu’à une valeur seuil. La seconde, phase de réaction à la nouveauté ou encore phase test, implique l’exposition du bébé, familiarisé, à un nouveau stimulus. L’augmentation de sa durée de fixation face à la nouvelle situation indique qu’il réagit à la nouveauté. Certains auteurs ont appliqué cette méthode à l’étude des capacités cognitives du nourrisson et déclarent avoir récolté, à l’aide de cette technique, des résultats apparemment contradictoires avec la théorie piagétienne en ce qui concerne la notion d’objet et celle de causalité externe, et conduisant plutôt à relever leur apparition précoce.

2.1 Les études sur la permanence de l’objet chez les nourrissons.

Dans une première recherche, Baillargeon, Spelke et Wasserman (1985) présentent à des bébés de 5 mois, en phase d’habituation, un écran pivotant selon un angle de 180 degrés. Pendant la phase de réaction à la nouveauté, une boîte en bois est disposée dans la trajectoire de l’écran, et les enfants sont alors exposés successivement à deux événements distincts. Lors du premier, qualifié de situation possible, l’écran, en tournant, vient cacher entièrement la boîte et s’immobilise sur elle en constituant un angle de 112 degrés. La seconde condition expérimentale, nommée situation impossible, est réalisée grâce à un astucieux jeu de miroirs. Celle-ci implique la rotation de l’écran qui vient masquer la boîte mais qui, au lieu de stopper sur elle, continue de pivoter et effectue une rotation complète de 180 degrés, comme s’il n’y avait aucune boîte dans sa trajectoire. L’auteur obtient une plus grande durée de fixation visuelle chez les enfants envers la situation impossible que la situation possible. Selon Baillargeon et al., le fait que les nourrissons regardent plus longtemps la situation impossible démontre leur surprise face à un événement violant les lois physiques du

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monde réel. Puis, elle interprète ce résultat comme démontrant la compréhension de la part des bébés de la persistance d’existence de la boîte même lorsqu’elle est dissimulée derrière l’écran et qu’ils ne la perçoivent plus. Une seconde recherche faisant intervenir également le dispositif de l’écran pivotant a été menée auprès de nourrissons âgés de 3 mois et demi et a conduit à des résultats semblables à ceux de la précédente mais seulement chez les bébés qui s’étaient habitués rapidement à l’écran (Baillargeon, 1987).

Ainsi, ces expériences suggèrent que la permanence de l’objet chez l’enfant ne se développerait pas sous l’influence de ses coordinations sensori-motrices sur !’environnement externe mais constituerait plutôt une aptitude précoce présente dès les tout premiers mois de sa vie. D’après Baillargeon, les comportements caractéristiques du stade III sensori-moteur décrits par Piaget seraient déjà des indicateurs de la présence de la notion d’objet chez les enfants de ce stade, et non le résultat d’un processus de phénoménisme égocentrique comme le prétendait le chercheur suisse. Enfin, dans le but d’expliquer l’absence de déclenchement de comportement de recherche face à un objet disparu, chez les enfants de 3 mois et demi, Baillargeon propose d’autres facteurs responsables. Ainsi, le développement de la mémoire à court terme ainsi que la capacité progressive de coordonner des actions séparées afin d’atteindre un but précis expliqueraient l’émergence tardive de ce comportement de recherche (Baillargeon et al. 1985).

Baillargeon et Gräber (1987) réalisent une étude supplémentaire sur la notion de permanence de l’objet. Dans une première étape, ils habituent des bébés de 5 mois et demi, successivement, à un petit et à un grand lapin qui cheminent, puis passent derrière un écran, les rendant donc invisibles pendant une durée de 2 secondes, pour

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resurgir finalement de l’autre côté. Lors de la phase test, le même dispositif que celui de la phase d’habituation est employé mais en introduisant cette fois-ci un écran comportant une fenêtre, située dans sa moitié supérieure. Les enfants habitués doivent alors réagir aux deux conditions expérimentales proposées contrastant à nouveau au niveau de leur caractère possible ou impossible. Pendant la situation possible, le petit lapin défile derrière l’écran et resurgit à l’autre extrémité, n’apparaissant pas à la fenêtre du fait de sa petite taille. Au cours de l’événement impossible, le grand lapin disparaît derrière l’écran et émerge de l’autre côté mais sans être apparu à la fenêtre. Or, le grand lapin, de par sa taille supérieure, aurait dû être visible à la fenêtre lors de son passage derrière l’écran. Une fois de plus, les bébés fixent visuellement plus longtemps la situation impossible que la situation possible en phase de réaction à la nouveauté. De plus, la reprise de cette expérience avec des nourrissons âgés de 3 mois et demi, en employant une carotte animée à la place du lapin, amène à des résultats similaires (Baillargeon et De Vos, 1991). Ainsi, les chercheurs déclarent confirmer leurs conclusions découlant des expérimentations comprenant la méthode de l’écran pivotant. Selon ces derniers, dès l’âge de 3 mois et demi, les bébés seraient encore une fois surpris par le caractère impossible de la seconde situation. Les auteurs ajoutent que les enfants seraient non seulement conscients qu’un objet continue d’exister même lorsqu’il est caché, mais ils pourraient également effectuer des représentations et des raisonnements sur la taille et la trajectoire des objets camouflés.

Suite à ces découvertes, deux explications rendant compte de l’apparition de la notion d’objet chez l’enfant très jeune sont apparues dans la littérature. Premièrement, la notion d’objet serait innée, c’est-à-dire que, dès la naissance, le nourrisson conceptualiserait les objets comme des entités comprenant des limites spatiales, ne

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cessant jamais d’exister malgré leurs déplacements et leur disparition éventuels dans le temps et l’espace (Spelke, 1998). Deuxièmement, les enfants, en naissant, posséderaient un mécanisme d’apprentissage de la notion de permanence de l’objet qui permettrait de l’acquérir rapidement à partir d’un nombre limité d’observations pertinentes, telles que leur perception des déplacements et interactions d’objets ou leur manipulation (Baillargeon, 2000). Les deux propositions supposent que le développement de la permanence de l’objet ne dépend pas d’aptitudes motrices plus complexes que celles disponibles à l’âge de 3 mois et demi.

2.2 Les critiques des études de Baillargeon.

Face à ces hypothèses, un bon nombre de critiques, de la part de différents auteurs, a fait éruption, tant au niveau de la méthodologie employée que sur la manière d’interpréter les résultats obtenus. Plusieurs remarques ont été soulevées à propos des deux procédures expérimentales. Tout d’abord, !’utilisation par R. Baillargeon et ses collaborateurs de termes cognitifs tels que « raisonner », « s’attendre à », « comprendre », « être surpris » ne semblerait pas appropriée, et amènerait à attribuer aux très jeunes enfants des processus cognitifs d’une haute complexité à l’aide de simples observations de leur temps de regard (Bogartz, Shinskey et Speaker, 1997 ; Haith, 1998). Enfin, dans ce même ordre d’idée, il s’avère difficile de supposer, comme le fait Baillargeon, que les enfants, regardant plus longuement la situation impossible, soient surpris par le déroulement de cet événement sans que des mesures objectives d’expressions faciales typiques de l’effet de surprise ne soient réalisées au cours de ses recherches (Haith, 1998). Bogartz et al. (1997) arrivent même à douter de la possibilité chez les enfants de 6 mois de ressentir de la surprise.

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Une remarque intéressante a été aussi soumise par Gouin-Décarie et Ricard (1996), en ce qui concerne les temps de fixation visuelle recensés. Ainsi, il est à noter que l’intérêt des enfants envers la situation impossible, même s’il est supérieur comparativement à la situation dite possible, décroît souvent rapidement à partir du second essai test. Il devient alors délicat d’accorder une certaine permanence de l’objet à des sujets qui ne sont pas durablement préoccupés par une situation transgressant fortement les lois physiques du monde réel.

Enfin, on peut se demander s’il est possible d’expliquer certains résultats provenant des recherches récentes, à la lumière des idées de Piaget. Ce dernier a effectivement décrit une conduite visuelle de l’enfant, typique du stade II de !’intelligence sensori-motrice, qui correspond à sa fixation visuelle du point de disparition d’un objet. Or, la présentation des situations possible et impossible n’encouragerait-elle pas ce comportement (Desrochers et Erzépa, 2001) ? Le déroulement de l’expérience de Baillargeon et al. (1985) conduit les enfants à s’habituer, dans un premier temps, à un écran, puis à réagir à la nouveauté de la boîte introduite. Enfin, ils sont confrontés à deux situations en phase test, la première pendant laquelle il n’y a que l’écran à regarder et la seconde où ni l’écran, ni la boîte ne subsistent. L’événement impossible favoriserait donc davantage une fixation plus longue de la part des nourrissons parce que tous les éléments vus auparavant n’y sont plus percevables. L’événement possible, même s’il propose l’écran à regarder, susciterait moins d’intérêt chez les enfants car ils en ont déjà pris suffisamment connaissance en phase d’habituation. En résumé, la situation impossible susciterait davantage l’émergence d’une conduite de fixation prolongée du lieu d’éclipse d’un objet, caractéristique chez les bébés âgés de 4 mois et bien reconnue comme un indicateur du développement normal de l’enfant de cet âge

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par l’échelle d’évaluation Bayley II ( Bayley, 1993). Néanmoins, ce comportement de fixation du jeune enfant n’atteste aucunement de sa volonté de rechercher activement un objet disparu, marqueur déterminant d’une amorce de permanence de l’objet dans la conception de Piaget.

Fisher et Bidell (1991) avaient déjà souligné l’importance de prendre en compte ce que l’enfant voit, successivement, de la phase d’habituation à la phase de réaction à la nouveauté. Dans cette perspective, Bogartz et ses collègues (Bogartz, Shinskey et Schilling, 2000 ; Bogartz, Shinskey et Speaker, 1997) ont effectué deux grandes études empiriques amenant à d’autres hypothèses interprétatives que celles émises par Baillargeon pour tenter de rendre compte des différences de temps de fixation visuelle des enfants. En effet, les auteurs ont mis au point une nouvelle approche méthodologique qui leur permet de vérifier quels changements des situations, présentées aux bébés, influencent la variation de leurs temps de fixation visuelle, de la phase d’habituation à la phase test.

Reprenant le paradigme du petit/grand lapin, Bogartz, Shinskey et Speaker (1997), introduisent des variantes dans l’expérience originale de Baillargeon et Gräber (1987). Ainsi, trois groupes de bébés âgés de 5 mois et demi sont tout d’abord habitués à l’une des trois situations suivantes : 1) le grand lapin qui passe derrière l’écran dépourvu de fenêtre et qui resurgit de l’autre côté ; 2) le grand lapin qui passe derrière l’écran comportant une fenêtre, apparaît à la fenêtre et qui resurgit de l’autre côté; 3) la situation qualifiée d’impossible dans l’étude de Baillargeon, où le grand lapin passe derrière l’écran mais n’est pas visible à la fenêtre (alors qu’il devrait l’être) et resurgit de l’autre côté. Les trois groupes d’enfants sont ensuite exposés, en phase test, aux trois

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situations citées auparavant. Grâce à cette procédure, les chercheurs parviennent à détecter les changements d’ordre perceptif des situations qui affectent le plus les durées de regard des enfants en phase test. Plusieurs effets peuvent être mis à l’épreuve tels que l’effet d’un changement dans la possibilité/impossibilité de la situation, l’effet d’un changement dans la présence ou non d’une fenêtre dans l’écran, l’effet d’un changement dans la présence ou non d’un visage au centre de l’écran, etc. Bogartz et al. ont alors pu constater que le modèle mathématique, réunissant l’effet du changement de la présence ou non d’un visage et celui de la présence ou non d’une fenêtre, apportait la prédiction la plus précise de la variation des durées de fixation visuelle des nourrissons, de la phase d’habituation à la phase de réaction à la nouveauté. De plus, il s’est avéré que la puissance prédictive de ce modèle n’était aucunement augmentée par l’effet de possibilité/impossibilité présumé par Baillargeon et Gräber (1987).

La même méthodologie a été employée par Bogartz, Shinskey et Schilling (2000) avec l’expérience de l’écran pivotant de Baillargeon et De Vos. Les auteurs aboutissent à des conclusions similaires : le modèle statistique, expliquant le mieux les temps de fixation visuelle des enfants, est celui qui regroupe les effets de changements perceptifs entre la phase d’habituation et la phase test, mais qui ne comprend pas l’effet de possibilité/impossibilité.

Ces résultats viendraient ainsi réfuter l’idée postulée par Baillargeon selon laquelle les enfants possèdent une certaine permanence de l’objet dès 5 mois, et qu’ils utiliseraient déjà des processus cognitifs très complexes. Selon les auteurs, l’implication de comparaisons perceptives de la part des nourrissons, entre les deux étapes de la session d’habituation visuelle, serait plus appropriée pour rendre compte des résultats observés dans les études de Baillargeon.

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Il semble ainsi que différentes hypothèses interprétatives, dont les idées provenant de la théorie de Piaget, peuvent être émises pour expliquer les résultats découlant des études récentes sur la permanence de l’objet chez le très jeune enfant (Desrochers & Erzépa, 2001 ).

2.3 Les recherches récentes sur la notion de causalité externe chez le nourrisson.

En s’inspirant des idées de Michotte sur l'illusion causale des effets de lancement chez l'adulte (1946), les chercheurs ont inventé quatre types de lancer afin qu’ils soient utilisables dans une procédure d’habituation visuelle. Le lancer direct consiste à montrer au bébé un objet A qui vient heurter un autre objet B, provoquant immédiatement le mouvement de B. Selon Michotte, ce type de lancer est considéré par le sujet adulte comme causal. Les trois autres lancers sont perçus, eux, comme non causaux. Ils englobent : le lancer avec délai dans lequel un décalage temporel est inséré entre le moment où l’objet A percute l’objet B et le moment où B commence à bouger ; le lancer sans collision où l’objet B se met à se déplacer avant même que A ne le touche, et enfin, le lancer avec délai et sans collision, qui correspond à la combinaison des caractéristiques des deux lancers précédents.

Les différentes formes de lancer ont été employées dans une première démarche expérimentale, appelée le plan de la comparaison, ayant pour objectif d'explorer la capacité des bébés à discriminer des situations causales des non causales (Cohen et Amsel, 1998 ; Cohen et Oakes, 1993 ; Leslie, 1984 ; Oakes, 1994 ; Oakes et Cohen, 1990). Ce plan consiste alors à habituer les enfants à un certain type de lancer en premier lieu, puis à leur présenter d’autres types lors de la phase de la réaction à la nouveauté. Ainsi, l'hypothèse sous-jacente à ce procédé est que si les

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reconnaissent la dimension causale caractéristique du lancer direct, leur réaction au nouveau stimulus, en phase test, devrait être plus importante lorsqu'ils sont exposés successivement à deux événements se différenciant sur le plan de la causalité que lors de leur exposition à deux situations non causales.

A l'aide de cette méthode, Leslie (1984), Oakes (1994) et Cohen et Amsel (1998) ont démontré que des enfants âgés de 6 mois sont sensibles à la dimension causale du lancer direct lorsque des stimuli simples sont présentés dans une trajectoire rectiligne. Les enfants de 10 mois deviennent eux capables d’une telle reconnaissance même si les événements impliquent des objets complexes ou présentés dans des trajectoires non rectilignes (Oakes, 1994 ; Oakes et Cohen, 1990). En revanche, à l'âge de 10 mois, aucune discrimination causale entre le lancer direct et le lancer avec délai n'a été relevée quand les auteurs faisaient varier, à chaque essai, la forme des différents objets servant d'agents et de récipients causaux (Cohen et Oakes, 1993 ). Enfin, la récente recherche de Cohen et Amsel (1998) a mis en évidence l’incapacité des enfants de 4 et 5 mois à différencier l’événement causal (lancer direct) de ceux non causaux (lancer avec délai et lancer sans collision).

Un second plan, l’inversion de la collision, a été élaboré par Leslie et Keeble (1987). Il s’agit ainsi d’habituer les sujets à un certain type de lancer et de leur soumettre le même lors de la phase test, mais le sens de la collision est alors inversé. L’inversion du lancer direct amène des modifications sur trois dimensions : la direction causale (l’objet agent causal), la priorité temporelle (l’objet qui se met en mouvement le premier) et la direction spatiale (le sens de la collision). En revanche, l’inversion des lancers non causaux n’implique que des changements aux deux composantes de direction spatiale et de priorité temporelle. Si les nourrissons confèrent un statut

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particulier au lancer de nature causale, alors ils devraient ainsi réagir davantage à l’inversion du lancer direct qu’à celle des lancers non causaux. Dans une expérience menée par Leslie et Keeble en 1987, des bébés âgés de 6 mois ont effectivement réagi davantage à l’inversion du lancer direct qu’à l’inversion du lancer avec délai. Daigle- Bélanger et Desrochers (2001) ont pu également observer que des nourrissons de 6 mois réagissent plus à l’inversion du lancer direct qu’à celle du lancer sans collision. Cependant, il a été démontré qu'à 3 mois et demi (Desrochers, 1999) et à 4 mois et demi (Brochu, 2002), le nourrisson ne détecte pas la dimension causale comprise dans le lancer direct à l’aide de cette méthode de l’inversion.

Étant donné que les résultats positifs, recueillis à l’âge de 6 mois, semblent contradictoires avec l’âge proposé par Piaget (stade V, vers 12 mois), Leslie et Keeble concluent que la notion de causalité externe chez le bébé ne se développerait pas sous l’influence d’une coordination progressive de ses actions sur le milieu extérieur. En s’inspirant des propositions de Fodor (1983) sur la modularité de l’esprit, les auteurs émettent l’hypothèse de l'existence d'une structure modulaire présente chez l’enfant, dès son plus jeune âge, lui permettant de détecter des relations causales entre des stimuli simples (Leslie et Keeble, 1987).

2.4 Les critiques des études récentes sur la causalité externe chez le bébé.

Il est clair que le recours à la technique de !’habituation visuelle, afin d’étudier une capacité cognitive complexe chez le nourrisson, telle que reconnaître un lien causal entre deux objets extérieurs, invite à une interprétation prudente des données qu’elle génère. En effet, le simple fait de regarder plus longtemps un nouveau stimulus ne permet pas de conclure obligatoirement que le sujet perçoit une relation compliquée et

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rationnelle entre deux objets. Haith (1998) reste perplexe quant au bien-fondé d’inférer une compétence cognitive sophistiquée sur la simple base de l’étude de !’attention visuelle du nourrisson sans que l’on prouve les conséquences que pourrait avoir cette habileté sur son action. De plus, il propose une hypothèse alternative pour expliquer ce qui affecte les temps de fixation visuelle des enfants auxquels on présente des lancers. Selon Haith, la notion de simultanéité est présente dans le lancer direct, et le bébé, déjà sensible à cette dimension à l’âge de 6 mois, réagirait plus à elle qu’à la notion de causalité.

Leslie avait déjà exposé les limites du plan expérimental de la comparaison (1984). Effectivement, en employant ce plan, une ambiguïté réside au sujet de savoir si l'on peut imputer la réaction à la nouveauté de la part des bébés aux changements de dimensions spatio-temporelles, ou à la dimension causale elle-même lors du passage de la phase d'habituation à la phase test (Leslie, 1984). Ils pourraient simplement les distinguer les uns des autres en fonction du degré de continuité spatio-temporelle propre à chacun. Ainsi le chercheur suggère que les lancers pourraient être situés sur un continuum en fonction de cette dimension, avec aux deux extrêmes le lancer direct et celui avec délai et sans collision, et entre les deux, les deux événements non causaux restants. Afin de pallier cette limite méthodologique, Leslie et Keeble (1987) ont donc mis en place le plan de l’inversion, permettant de conserver le même degré de continuité spatio-temporelle entre les deux étapes de la procédure d'habituation visuelle. C’est pour cette raison que ce type de plan a été choisi pour l’étude empirique de ce présent mémoire.

Pour ceux qui acceptent les conclusions des études d’habituation visuelle, démontrant que les bébés de 6 mois sont sensibles à la dimension causale du lancer

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direct, on pourrait se demander si les résultats recueillis avec cette technique peuvent être expliqués globalement par l’hypothèse de l’existence d’un module de causalité programmé. D’après Fodor (1983), un système modulaire possède certaines caractéristiques bien déterminées. Il doit effectivement être réservé à un domaine spécifique, rapide, incontournable, automatique et encapsulé. Sa structure neurologique immuable est aussi indépendante des autres processus cognitifs ou de !’intelligence générale. Or, certaines recherches ont révélé que les bébés reconnaissent une relation causale entre deux objets, en fonction de certains paramètres précis tels que : leur âge (Cohen & Amsel, 1998 ; Desrochers, 1999 ; Lécuyer et Bourcier, 1994), le type de relation causale (Daigle-Bélanger & Desrochers, 2001), la trajectoire de la collision des boules (Oakes, 1994; Oakes et Kannass, 1999), et enfin le type de stimuli utilisés dans la collision (Cohen & Oakes, 1993; Oakes & Cohen, 1990). Ces résultats apportent donc des nuances à l’idée de la présence d’un module pré-câblé, dotant l’enfant d’une capacité précoce à concevoir la causalité. Ces données empiriques suggèrent davantage que l’apparition de cette aptitude doit être considérée sous un angle développemental. Ainsi, selon Daigle-Bélanger et Desrochers (2001), cette capacité se mettrait en place dès l’âge de 6 mois, quand le nourrisson est face à une relation causale impliquant des objets simples se déplaçant sur une trajectoire rectiligne, pour se complexifier progressivement dans les mois qui suivent.

Cette conception d’une évolution développementale de la notion de causalité s’apparente étroitement aux propositions de Piaget. En effet, ce dernier pensait déjà qu’un début d’extériorisation de la causalité s’établit chez les enfants dès le stade IV sensori-moteur, dans la mesure où ils jouent un rôle actif au niveau des situations causales dont ils sont les témoins. Or, il semble que ce stade IV de la causalité débute

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vers 6 mois (Desrochers, Ricard & Gouin Décarie, 1995 ; Uzgiris & Hunt, 1975). De plus, la technique d’habituation visuelle utilisée dans toutes les études précédentes s’avère être une procédure contrôlée par le nourrisson (Desrochers & Erzépa, 2001) : la situation causale présentée démarre lorsque le bébé porte son regard sur elle et s’arrête lorsqu’il s’en détourne. L’apparition du lancer direct est en quelque sorte dépendante du comportement d’attention visuelle que l’enfant lui destine. Cette méthode ne dégage donc pas entièrement l’impression du bébé qu’il participe de manière active à la production des stimuli présentés. La possibilité de trouver que des enfants de 6 mois réagissent à la dimension causale du lancer direct (Cohen & Amsel, 1998; Daigle- Bélanger & Desrochers, 2001; Leslie, 1984; Leslie & Keeble, 1987; Oakes, 1994 ), au moyen d'une méthode qu’ils contrôlent, n’est donc pas surprenante et ne conduit pas à une contradiction radicale avec le modèle piagétien.

Ill Objectifs et hypothèse de la présente étude.

Le but de la présente étude empirique consiste à comparer les résultats d’enfants de 6 mois soumis à une procédure d’habituation visuelle dans laquelle les événements extérieurs (causaux et non causaux) se manifestent en fonction de l’orientation du regard de l’enfant, à ceux obtenus avec une procédure d’habituation dans laquelle les événements extérieurs (causaux et non causaux) se déroulent indépendamment de l’orientation du regard du bébé. La méthode de l’inversion des lancers de Leslie et Keeble (1987) est utilisée.

L’hypothèse veut que si la participation active des enfants est nécessaire dans leur perception des relations causales à l’âge de 6 mois, la réaction à la nouveauté du groupe d’enfants soumis à l’inversion d’un lancer causal, et dont son déroulement

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dépend de l’orientation de leur regard, sera plus importante que celle des autres groupes expérimentaux.

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MÉTHODE

Participants

L’échantillon étudié est composé de 42 bébés (19 filles, 23 garçons), nés à terme et âgés de 6 mois ± 3 jours. Ils sont recensés dans la région de la ville de Québec avec la collaboration de la Régie de l’Assurance Maladie du Québec qui a accepté de joindre, lors de l’envoi de la première carte d’assurance-maladie, un feuillet d’information invitant les parents à nous téléphoner, pour participer aux études du laboratoire de développement cognitif de l’Université Laval. Cependant, 10 bébés sont éliminés, dont huit ont pleuré, un a dépassé le critère de 24 essais permis en habituation, et un en raison d’une erreur de l’expérimentatrice. Les résultats de 32 bébés, soumis à une session d’habituation visuelle, (16 filles, 16 garçons) sont donc finalement pris en compte dans cette étude.

Stimuli

Les images télévisuelles des deux lancers utilisés, lancer direct et lancer avec délai, sont présentées aux enfants. Pour le lancer direct, il s’agit ainsi de l’image d’une boule bleue de 4 cm de diamètre (stimulus A) qui vient frapper une autre boule similaire mais de couleur jaune, placée un peu plus loin, provoquant le déplacement de celle-ci. Ce lancer implique une relation de causalité. L’image du lancer avec délai correspond à

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la collision des deux mêmes balles mais un décalage temporel d’une seconde sépare le heurt de la deuxième boule par la première et sa mise en mouvement. Aucun lien causal n’intervient dans cette situation. Les deux stimuli apparaissent initialement dans un état d’immobilité puis une boule, partant de la gauche ou de la droite de l’écran, se déplace, dans les deux types de lancer, à une vitesse de 28 cm/sec. La seconde balle, une fois propulsée, bouge à la même allure et disparaît par un côté de l’écran. La première balle poursuit sa course à une vitesse de 9 cm/s et sort du champ visuel au même endroit que l’autre boule.

Dispositif

Le dispositif, présenté à l’annexe A, est constitué d’une caméra et d’un téléviseur connectés à un ordinateur. Ce dernier émet les images des lancers au téléviseur, orienté horizontalement face au sujet. Les stimuli sont alors projetés sur un miroir unidirectionnel, positionné à 45° au-dessus du téléviseur. L’enfant, assis dans un transat à un mètre des stimuli, peut alors les visionner de la même façon qu’ils sont générés sur l’écran de l’ordinateur. La caméra, située derrière le miroir, permet !’enregistrement vidéo du visage du bébé qui est transmis à un moniteur, employé par !’expérimentatrice pour observer le comportement visuel de l’enfant.

Design

La méthode de l’inversion de la collision, élaborée par Leslie et Keeble (1987), est choisie. Les enfants sont répartis au hasard dans deux conditions expérimentales principales, à raison de 16 sujets par condition. Dans la première condition

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expérimentale (situation dépendante du regard de l’enfant), le lancer est déclenché (mise en mouvement du stimulus A pour rejoindre le stimulus B), seulement lorsque l’enfant regarde en direction de l’écran, et cesse lorsqu’il s’en détourne. Dans la deuxième condition expérimentale (situation non-dépendante du regard de l’enfant), le lancer se déroule continuellement. Dans chacune de ces deux conditions expérimentales, le lancer direct et le lancer avec délai sont utilisés, à raison de 8 sujets par lancer.

Procédure

En arrivant au laboratoire du développement cognitif de l’Université Laval, les parents de l’enfant sont préalablement tenus de signer un formulaire de consentement, donnant leur accord à la participation de leur enfant à l’étude (voir ANNEXE B). Le bébé est ensuite placé dans une cabine isolée, et assis dans un siège face aux stimuli proposés. Avant de débuter la session d’habituation visuelle / réaction à la nouveauté, !’attention de l’enfant est attirée par l’image d’une maison colorée. Une fois que l’enfant regarde en direction de l’écran, un des lancers expérimentaux, choisi au hasard par l’ordinateur, démarre.

Le calcul d’un essai commence lorsque le bébé regarde les stimuli depuis plus d’une demie seconde, et se poursuit jusqu’à ce que le sujet détourne son attention des stimuli pendant plus d’une seconde consécutive. Dans la condition dépendante, les boules reprennent leur position immobile après chaque essai. Dans la condition non- dépendante, les collisions ne cessent jamais, même entre les essais.

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La phase d’habituation se termine quand la durée des trois derniers essais représente moins de 50% de la durée des trois premiers essais. Cette valeur critique étant atteinte, la phase de réaction à la nouveauté s’initie. L'enfant est alors exposé au même type de lancer mais présenté dans le sens inverse. La condition expérimentale (dépendante vs non-dépendante) demeure identique. Dans la condition non dépendante, l’inversion se fait immédiatement, sans pause, entre la phase d’habituation et la phase test. La phase test comporte un nombre fixe de trois essais.

Le système informatique possède un contrôle total du déroulement de l’expérience : choix aléatoire des conditions expérimentales, animation visuelle, mesure des unités de temps, calcul de la valeur seuil d’habituation, décision du passage à la phase test et stockage des données. Ainsi, !’expérimentatrice n’a aucune idée du type de lancer que l’enfant perçoit et de l’étape de la procédure à laquelle il se trouve. Elle est seulement au courant de la nature de la situation (dépendante/non-dépendante) présentée au bébé. Il lui suffit de presser le bouton de la souris de l’ordinateur à chaque fois qu'elle juge que le bébé regarde les stimuli. Un accord inter-juges sur le temps total de fixation visuelle est calculé à l’aide de la participation d’un second observateur naïf par rapport aux buts de l’expérience. Ce dernier visionne 50% des images vidéo enregistrées. L’accord obtenu est élevé (r = .99, J3<.01).

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RÉSULTATS

Le tableau 1 présente les moyennes et écart-types (entre parenthèses) des durées de fixation visuelle des bébés de 6 mois, en secondes, en fonction des groupes expérimentaux. Selon les données brutes, il semble que la réaction de nouveauté soit plus importante dans le groupe d’enfants soumis à l’inversion du lancer direct, dans lequel ils contrôlent la présentation des stimuli. Une série de tests statistiques est réalisée, au niveau alpha .05, afin de confirmer cette tendance.

Test des préférences à priori

La MANO VA sur les durées de fixation visuelle des enfants, pendant la phase d’habituation (premier essai, trois premiers essais, moyenne d’un essai, essai le plus long, durée totale, dernier essai) n’est pas significative. De plus, aucune des ANOVAs reliées à ces variables ne s’est révélée significative. L’absence de telles différences est une condition nécessaire afin de poursuivre les analyses subséquentes ; les enfants ne manifestent aucune préférence particulière pour une des situations expérimentales en phase d’habituation. La réaction à la nouveauté des différents groupes ne peut donc provenir d’une préférence générale pour une situation particulière.

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Tests de réaction à la nouveauté

Des tests T à échantillons reliés indiquent que les enfants présentent une augmentation significative de leur temps de fixation visuelle entre le dernier essai d’habituation et le premier essai test (t (1, 31)= - 3.79, g< .05), ou la moyenne des trois essais test (t_(1,31) = - 3.85, g< .05).

De plus, l’indice de la plus grande racine de Roy de la MAN OVA sur ces deux variables précédentes est significatif (£(3,28)= 2.963, g<05). Une AN OVA révèle l’existence de différences significatives entre les 4 groupes expérimentaux, quant à l’ampleur de la réaction à la nouveauté, basée sur la différence entre le dernier essai d’habituation et la moyenne des trois essais test (F (3,28) = 2.959, p<.05).

Le test de comparaison multiples LSD (Least Significant Difference) indique que les sujets du groupe « dépendant/causal » manifestent une réaction à la nouveauté significativement plus élevée que les sujets des groupes « non-dépendant/causal » et « non-dépendant/non-causal ». De plus, la différence entre le groupe « dépendant/ causal » et celui « dépendant/non-causal », concernant leur réaction à la nouveauté, est presque significative (g = .06).

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Tableau 1

Moyennes et écart-types (entre parenthèses) des durées de fixation visuelle selon les arouoes expérimentaux

Groupes

Dépendant Dépendant Non dépendant Non dépendant

causal non causal causal non causal

Variables (n=8) (n=8) (n=8) (n=8) Premier essai 40,4 45,5 38,1 38.5 (31,8) (35,8) (34,9) (42,8) Moyenne trois 33,9 31,1 22,1 21,7 premiers essais (15,3) (24,0) (10,3) (19,9) Moyenne d’un 21,7 20,4 16,4 16,6 essai (8,9) (11,2) (7,1) (9,6) Essai le plus 63,5 62,7 44,8 60,8 long (28,6) (39,1) (32,5) (34,0) Durée totale 134,5 138,3 104,8 155,0 (46,3) (67,2) (55,5) (57,5) Dernier essai 7,8 6,6 5,9 5,4 (4,0) (4,0) (2,7) (3,9) Premier essai 44,57 21,83 13,07 15,56 test (45,88) (16,48) (9,87) (11,27) Moyenne des 22,92 12,70 9,38 8,22

trois essais test (16,59) (7,70) (6,66) (4,34)

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DISCUSSION

Le but de l’étude empirique de ce mémoire est de vérifier l’impact de la participation active de l’enfant de 6 mois dans sa conception de la causalité. Selon les résultats obtenus, l’inversion de la relation causale suscite une réaction à la nouveauté plus importante chez les bébés, lorsqu’ils contrôlent le déroulement de celle-ci. Cette plus grande réaction à la nouveauté ne peut s’expliquer que par la reconnaissance d’une dimension additionnelle dans ce groupe expérimental, c’est-à-dire la direction causale. Cela amène à avancer l’idée qu’à l’âge de 6 mois, la participation active de l’enfant est indispensable à sa reconnaissance de la causalité externe.

Ces résultats vont dans le sens de la théorie de Piaget concernant le développement de la notion de causalité au cours des deux premières années de vie. En effet, l’action du bébé est un élément clé dans le modèle piagétien, et s’avère être le principal moteur de l’élaboration de la connaissance du réel. Au tout début de son existence, le nourrisson ne peut concevoir qu’il existe des relations causales car il est imprégné d’un égocentrisme total. Puis, au cours du stade suivant (stade III), l’enfant, qui commence à se décentrer, va comprendre qu’il peut être à l’origine de situations. Cette croyance qu’il est initiateur d’un événement se généralise à tous les spectacles intéressants que l’enfant veut faire perdurer (causalité magico-phénoméniste). Les relations causales ne sont ainsi seulement conçues qu’à travers les propres actions de

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l’enfant. Le stade IV représente une étape intermédiaire entre cette conception complètement égocentrique de la causalité décrite au stade III et l’extériorisation totale des relations causales propre au stade V. En effet, le bébé du stade IV commence à être capable d’extérioriser une source causale, mais à condition qu’il soit toujours impliqué dans la relation de causalité. Cette attitude est bien illustrée par les comportements de déclenchement relevés par Piaget: le bébé comprend qu’une fois qu’il a déclenché le mouvement d’un objet, ce dernier peut continuer à s’activer tout seul ou même agir sur un autre objet. Il a bien été démontré que les comportements du stade IV décrits par Piaget sont présents dès l’âge de 6 mois (Desrochers, Ricard et Gouin Décarie, 1995; Uzgiris et Hunt, 1975).

Dans la présente étude, c’est le regard de l’enfant qui vient déclencher le démarrage de la première boule dans le lancer causal ou non causal. A l’aide de la technique de !’habituation visuelle, les résultats trouvés permettent d’affirmer que l’enfant de 6 mois est capable de détecter un lien causal lorsque sa participation active sur le monde externe est impliquée. Les comportements sensori-moteurs du stade IV de Piaget exigent toutefois un contact physique entre l’enfant et le premier objet, source causale (spatialisation élémentaire). Or, la situation expérimentale dans laquelle sont placés les participants de cette recherche ne requiert même pas un tel contact physique. Il est donc possible que leur comportement face à l’événement causal ne se positionne alors qu’à mi-chemin entre la causalité magico-phénoméniste du stade III et celle du stade IV de la théorie de Piaget. Une étape théorique prochaine consisterait à mieux saisir ce phénomène. On pourrait peut-être penser que la participation de l’enfant aux relations du monde externe l’amène à avoir un certain contrôle sur celles-ci.

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Ce sentiment de contrôle aurait un effet sur sa prise de conscience de l’existence de ces relations ainsi que sur son intérêt à comprendre leur nature.

Par ailleurs, les données empiriques obtenues contredisent l’hypothèse émise par Leslie (1986 ; Leslie & Keeble, 1987) selon laquelle l’enfant naîtrait en possédant un système modulaire lui permettant de concevoir la causalité. Ils démontrent effectivement que la reconnaissance de la causalité par l’enfant de 6 mois ne constitue pas un simple décodage perceptif découlant d’une structure neurologique isolée. Cette suggestion de l’existence d’un traitement modulaire de la causalité a déjà été nuancée par plusieurs travaux (Cohen & Amsel, 1998 ; Cohen & Oakes, 1993 ; Daigle-Bélanger & Desrochers, 2001 ; Desrochers, 1999 ; Lécuyer et Bourcier, 1994 ; Oakes, 1994; Oakes & Cohen, 1990 ; Oakes et Kannass, 1999) qui avaient alors rapporté plusieurs facteurs desquels la reconnaissance de la causalité chez le très jeune enfant semblait dépendre. Ces facteurs venaient contrecarrer la caractéristique d’automaticité du système modulaire, établie par Fodor (1983). On peut ainsi dégager un autre paramètre indispensable au décodage de la causalité par le bébé de 6 mois : son implication active. Les résultats observés ne vont donc pas dans le sens de l’existence d’un module automatique de la notion de causalité et viennent, en revanche, appuyer le fait que la participation active de l’enfant, à cet âge, joue un rôle déterminant dans sa compréhension des propriétés physiques de !’environnement réel. L’aptitude du bébé à concevoir la causalité ne proviendrait pas seulement d’un simple raffinement de ses capacités perceptives mais plutôt d’une construction progressive, grâce à la coordination plus précise de ses actions sur le monde externe.

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A l’inverse des idées de Leslie (1986), les résultats de cette étude ne sont pas incompatibles avec les propositions théoriques développementales de Cohen (Cohen & Amsel, 1998) mais viennent les compléter. Cohen explique l’apparition de la notion de causalité, chez le très jeune enfant, en fonction du développement de sa perception des objets. Selon l’auteur, jusqu’à l’âge de 6 mois, le bébé présente de l’intérêt envers les objets eux-mêmes et non aux relations qui les relient. Puis, à partir du sixième mois de vie, les relations entre deux stimuli simples deviennent un objet de curiosité. Enfin, vers la fin de sa première année, l’enfant serait capable d’encoder des relations de causalité entre deux stimuli plus complexes. Cohen s’est appliqué à explorer les conditions perceptives favorables à la reconnaissance de la causalité par le nourrisson âgé de plus de six mois, telles que le type d’objet employé (Cohen & Cakes, 1993; Cakes & Cohen, 1990) ou la trajectoire (Cakes, 1994; Cakes et Kannass, 1999). Le modèle de Cohen porte uniquement sur le traitement perceptif des relations causales de la part de l’enfant. Cependant, il semble que les résultats obtenus démontrent que l’enfant travaille activement à l’élaboration de sa détection des liens de causalité. Le modèle de Cohen devrait ainsi être révisé en intégrant cet aspect.

Il est à prendre en compte, tout de même, que cette étude est limitée par le petit échantillon de bébés participants. De plus, on peut souligner le fait que la technique de !’habituation visuelle apporte un indicateur restreint du comportement de l’enfant soumis à une relation causale. En effet, en comparaison à l’éventail d’indices comportementaux sur lesquels Piaget se basait pour étudier le développement de la notion de causalité chez le nourrisson, cette méthode ne fournit des données qu’à propos du comportement d’attention visuelle du bébé. Dans ce même ordre d’idée, il

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peut sembler paradoxal de placer l’enfant dans une situation de laboratoire afin d’étudier son appréhension du réel. Il serait souhaitable dans une future recherche de tenir compte d’autres comportements des enfants quand ils sont face à certaines situations et d’utiliser des objets réels, lors d’une session d’habituation visuelle. Cela apporterait une vision davantage réaliste de la manière dont se comportent les bébés quand ils sont confrontés à des événements causaux ou non causaux.

Une autre limite de cette recherche est le fait que chaque groupe de bébés présente une grande variabilité. Un échantillon plus grand serait plus approprié pour obtenir une plus grande validité des résultats trouvés. De plus, un seul des lancers causaux a été employé et la réaction des enfants à l’inversion d’autres lancers non causaux serait importante à examiner.

Comme il apparaît que cette notion se met en place de façon développementale, une étude longitudinale serait intéressante à réaliser. Dans celle-ci, on pourrait suivre progressivement les conditions nécessaires et favorables à la reconnaissance des relations causales par le nourrisson à différents âges de son début d’existence. Il s’avérerait pertinent de vérifier si cette participation active de l’enfant demeure essentielle, dans sa compréhension des relations causales, après 6 mois. Par ailleurs, étant donné que, selon Piaget, le développement de la notion de causalité chez le bébé est inséparable de la construction de l’objet permanent, les travaux ultérieurs auraient avantage à investiguer l’élaboration conjointe de ces deux notions du réel au cours des deux premières années de vie.

En conclusion, on peut souligner l’importance de considérer, au-delà des facteurs perceptifs, le rôle actif de l’enfant âgé de 6 mois dans sa construction du réel. Dans ce

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sens, Willatts (1997) suggère la judicieuse idée selon laquelle il faudrait cesser de comparer le bébé à une sorte de « couch potato », que l’on bombarde de stimuli, sans prêter attention aux différentes actions qu’il manifeste.

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RÉFÉRENCES

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Références

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