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L’Amazonie terre de fantasmes et de résurgences des mythes Belles sauvages et amazones : les représentations féminines dans les récits de voyageurs et les fictions

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L’Amazonie terre de fantasmes et de résurgences des

mythes Belles sauvages et amazones : les représentations

féminines dans les récits de voyageurs et les fictions

Sandrine Aragon

To cite this version:

Sandrine Aragon. L’Amazonie terre de fantasmes et de résurgences des mythes Belles sauvages et amazones : les représentations féminines dans les récits de voyageurs et les fictions. Seuils et traverses III- Borders and crossing III, Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines et Université de Bretagne Occidentale, Jul 2002, Versailles, France. �hal-02468206�

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Sandrine Aragon, colloque de Versailles, 10 au 13 juillet 2002

L’Amazonie terre de fantasmes et de résurgences des mythes

Belles sauvages et amazones : les représentations féminines dans les récits de voyageurs et les fictions

« Pays réel et pays imaginé, terre dont la connaissance entraîne de constants rééquilibres balisés par l’expérience des voyageurs, des marchands, des administrateurs, des missionnaires sur des colons, le Brésil des trois premiers siècles est comme un miroir de l’Europe ; il se développe sous l’éclairage donné par des européens possesseurs de la « vraie » foi ou des « vraies » lumières. »1

Ainsi Katia de Queiros de Mattoso présente la naissance et la découverte du Brésil par les européens de 1500 à 1800 dans Naissance du Brésil. L’Amérique du sud et ses habitants se dévoilent peu à peu et parallèlement se voilent, dans les récits des voyageurs, des couleurs des mythes qu’ils véhiculent. Certains viennent de loin et s’ancrent dans cette terre par le biais de ces récits d’étrangers : le mythe des amazones semble à cet égard exemplaire puisqu’il a permis de nommer l’immense espace de l’Amazonie, par rapport aux représentations des femmes rapportées de ces terres par les premiers voyageurs

Si ces premières représentations d’amazones s’inscrivent dans un ensemble de fantasmes et de mythes qui définissent l’Amazonie pour les occidentaux ; paradoxalement elles n’ont pas disparu des fictions au fil des siècles, elles ont même été utilisées par les auteurs brésiliens du XXe siècle pour défendre la littérature nationale. Ce qui invite à se demander : Comment s’est développé ce mythe dans les représentations des femmes du Brésil ? Pourquoi ce succès ? Comment ces images ont-elles circulé de l’Europe au Brésil ?

Fascination et distance marquent les représentations des premiers voyageurs vers le Nouveau monde.

Quand les premiers découvreurs, Christophe Colomb dans ses quatre voyages successifs et America Vespucci, parlent des sauvages des zones tropicales, des Antilles au Brésil, ils en parlent avec émerveillement. Ils découvrent des êtres nus vivant en symbiose avec la nature et ils se considèrent comme des élus parvenus dans l’Eden d’une nature luxuriante :

« Les arbres y sont si beaux et si doux que nous pensions être au Paradis terrestre »2 écrit Amerigo Vespucci. Christophe Colomb note la beauté des habitants qui vivent nus sans honte, comme des êtres exemptés du péché originel :

« Tous ceux que je pus voir étaient jeunes et aucun d’eux ne semblait avoir dépassé la trentaine. Ils étaient bien faits, très beaux de corps et de très bon visage »3

« Il y a des femmes qui ont un corps superbe ; et ce sont elles qui viennent les premières pour nous exprimer leur reconnaissance et nous apporter ce qu’elles possèdent »4

1

Centre d’étude sur le Brésil, Naissance du brésil moderne (1500-1808), Paris, Presses de l’université de Paris Sorbonne, 1998, p. 6.

2 Amerigo Vespucci, Lettera di 1500, El nuevo mondo, p. 98. 3

Colon, Diaro, 11 octobre.

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Colomb remarque plusieurs fois qu’il y a « des femmes qui ont un corps magnifique » et il a vu « deux femmes aussi blanches que les espagnoles ». Cette blancheur de peau constitue le meilleur compliment par la comparaison avec les européens. Cette vision est à l’origine du mythe du bon sauvage, nu et doux, pacifique et accueillant. Pour ces conquérants, ces qualités en font des esclaves d’autant plus dociles et faciles à dominer.

Pour certains humanistes, tel le pasteur Jean de Léry, qui effectue son voyage au Brésil de 1556 à 1558, la bonté et la beauté des sauvages doit être au contraire une leçon pour les européens. Les femmes des sauvages brésiliens sont belles et leur nudité est à opposer aux vêtements et colifichets des femmes européennes :

« je soutiens que les toilettes, les fards, les fausses perruques, les cheveux tressés, les cols fraisés, les jupons, les robes sur robes et autres infinies bagatelles avec lesquelles les femmes et les filles de chez nous se déguisent et dont elles n’ont jamais assez sont sans comparaison, cause de plus de maux que n’est la nudité habituelle des femmes sauvages, qui cependant ne sont pas moins belles que les autres. »5

Jean de Léry montre une ouverture étonnante face à l’autre, l’étranger, le sauvage ; il écrit son récit trente ans après son voyage car il a trop entendu de faux récits, et il souhaite « que le tout soit mieux connu et compris de chacun »6.

Cette vision édénique des bons sauvages n’est pas la seule à circuler, le rêve de l’El Dorado mène les conquérants vers les régions non encore explorées, dans lesquelles ils rencontrent parfois des indiens moins accueillants et ils imaginent souvent le face à face avec êtres étranges et inquiétants qu’il faudra combattre. Les images de cannibales et de méchants sauvages primitifs et bestiaux justifient les entreprises de colonisation et alimentent les désirs de conquêtes. Les représentations féminines n’échappent pas à ce rejet. Les descriptions d’amazones constituent l’envers des représentations de belles sauvages accueillantes.

Le père Gaspar de Carvajal raconte la rencontre entre les amazones et l’expédition d’Orellana en 1542, ils arrivent dans un village et apprennent d’un indien qu’il est sujet et tributaire des amazones. Ces dernières surgissent et les affrontent au cours d’un combat : «si pugnace que nous fûmes sur le point de nous perdre tous.(…) Les amazones allaient nues, leurs parties honteuses couvertes, arc et flèches en main, et se battaient chacune comme dix hommes », écrit Carjaval7. Leur royaume s’apparente au mythe de l’Eldorado dans les descriptions de Carjaval ; le pays des amazones fascine donc les explorateurs attirés par l’or tout comme par cette étrangeté : des femmes combattantes cruelles guerrières et riches…un rêve de conquête ! Cette rencontre leur fait donner le nom de ces combattantes au plus grand fleuve qu’ils découvrent : l’Amazone ou fleuve des Amazones. Même si à la Cour d’Espagne, à leur retour, certains mettent en doute cette rencontre. Les récits de voyage suivants continuent à parler de ces dangereuses guerrières. Le français André Thevet, qui a passé trois mois au Brésil avec Villegagnon, confirme dans Les Singularité de la France antarctique confirme l’existence des amazones en 1557 :

« elles sont séparées d’avec les hommes et ne les fréquentent que bien rarement, comme quelque fois en secret la nuit ou à quelque autre heure déterminée. Ce peuple habite en petites logettes et cavernes contre les rochers, vivant de poisson ou de quelques sauvagines, de racines et quelques bons fruits que porte ce terroir. Elles tuent leurs enfants mâles, immédiatement après les avoir mis sur terre ; ou bien elles les remettent entre les mains

5

Jean de Léry, Histoire d’un voyage fait en la terre du brésil (1578) [In] Récits de voyage : Le nouveau monde, GF Flammarion, 1998, p. 61.

6 Ibid, p. 25. 7

André Thevet, Les Singularités de la France Antarctique, Paris, 1578, chapitre LXIII, p. 128-129 ; Cité dans

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de celui à qui elles pensent qu’il appartient. Si c’est une femelle, elles la retiennent à elles, tout ainsi que faisaient les premières Amazones. »

Ces femmes sont donc caractérisées par leur rejet du sexe masculin, une sélection qui va jusqu’au meurtre de leurs propres enfants mâles et une grande cruauté :

« Elles font guerre ordinairement contre quelques autres nations, et traitent fort inhumainement ceux qu’elles peuvent prendre en guerre. Pour les faire mourir elles les pendent par une jambe à quelque haute branche d’un arbre ; après l’avoir laissé ainsi quelque espace de temps, quand elles y retournent, si par hasard il n’est pas trépassé, elles tireront dix mille coups de flèches ; et elles ne le mangent comme les autres sauvages, mais le passent pas le feu, si bien qu’il est réduit en cendres. De plus, ces femmes pour combattre jettent d’horribles et étonnants cris pour épouvanter leurs ennemis. 8

» Les illustrations mettent en valeur ces images de guerrières terrifiantes.

Jean Mocquet reprend le mythe au XVIIe siècle dans ses Voyages en Afrique, Asie, Indes Orientales et Occidentales, paru en 1617, sans dire les avoir vues :

« A 30 ou 40 lieues avant, il y a quelques îles où habitent ces belliqueuses femmes, les Amazones, qui font la guerre à ceux de terre ferme du côté du Brésil et de l’autre côté où habitent les indiens vers le cap de Voyampouc, c’est de leurs amis et confédérés et vont à la guerre ensemble. Ces femmes pour la génération ont affaire tous les ans avec les dits Indiens au mois d’avril… Au bout de l’an, lorsque leurs amis et confédérés retournent vers elles, si elles ont enfanté cependant, elles gardent les femelles et baillent les mâles aux hommes. Quant à ce que quelques uns disent qu’elles ne portent qu’un tétin et se brûlent l’autre à la façon des anciennes Amazones qui habitaient vers le Thanais et le Thermodon, ce sont contes fabuleux. »9 Si Jean-Mocquet supprime un élément : le sein coupé ou désséché, il reprend une grande partie du mythe, qui ne cesse de se développer jusqu’au XVIIIe siècle. La Condamine entreprend de vérifier l’existence des amazones et propose de conclure que :

« Si jamais il y a pu avoir des amazones dans le monde, c’est en Amérique où la vie errante des femmes qui suivent souvent leurs maris à la guerre, et qui n’en sont pas plus heureuses dans leur domesticité, a du leur faire naître l’idée et leur fournir des occasions fréquentes de se dérober au joug de leurs tyrans, en cherchant à se faire un établissement où elles pussent vivre dans l’indépendance et du moins n’être pas réduites à la condition d’esclave et de bête de somme. »10

Les représentations d’amazones ne sont donc pas totalement condamnées par les hommes des lumières. Elles sont à la mode dans les mêmes années sur la scène théâtrale française, dans les îles telles la nouvelle colonie de Marivaux11. La femme guerrière cruelle, opposée à la belle sauvage accueillante, la Pocahontas de Walt Disney, alimente longtemps les représentations de ces terres vierges méconnues.

Pourquoi un tel succès ?

L’amazone est au cœur des représentations des sauvages dessinées par la culture des voyageurs et notamment leur connaissance de la mythologie greco-latine et des textes anciens. Christophe Colomb s’attendait à des rencontres étranges dans le nouveau monde : celle des cyclopes à Cuba, des sirènes et des hommes à museaux de chiens. D’autres figures sont apparues. Au cœur de la forêt amazonienne se trouveraient les acéphales : ces êtres sans tête dont les yeux et la bouche sont sur la poitrine. Sir Walter Raleigh évoque encore au

8 Ibid.

9

Jean Mocquet, Voyages en Afrique, Asie, Indes orientales et occidentales, Lyon, 1617, IIe Livre, p. 101-103.

10 Charles de la Condamine, Relation abrégée d’un voyage fait dans l’intérieur de l’Amérique méridionale,

1745, p. 99-100.

11

Voir Alain Bertrand, L’Archémythe des amazones, Thèse à la carte, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2001 pour le succès du personnage de l’amazone dans la littérature.

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XVIIIe siècle ces tribus dans ses Relations de la Guyane, du lac Parimé…tout comme les tribus d’amazones :

« Les indiens qui habitent sur les bords du Caora ont la tête tout d’une pièce avec les épaules, ce qui est également monstrueux et incroyable ; mais je tiens presque la chose pour véritable. On appelle ce peuple extraordinaire Ewaipanomas et il n’y a point d’enfant dans l’Arromaia qui n’assure ce que j’écris dans ma relation ; que leur yeux sont sur les épaules et leur bouche dans la poitrine. »

Ce discours est repris par Lafitau. L’autorité de Saint Augustin qui a évoqué ces êtres et celle du nombre de textes qui de réécriture en réécriture ont repris l’existence de ces tribus en fait pour Lafiteau une réalité de l’amazonie. Les amazones sont rapprochées de ces êtres fantastiques dans les représentations, Jean-Paul Duviols l’a bien montré dans ses travaux12. Il note la « force et la ténacité du mythe des amazones » à côté de celui des géants patagons ou des acéphales. Le mythe des amazones se développe de récit en récit, les auteurs ne peuvent croire que tant de gens aient menti, tel Juan de velasco qui écrit pourquoi « cinquante personnes et parmi elles un religieux (Carvajal) se seraient entendues pour inventer un mensonge dont ils n’avaient que faire ». « Nier l’existence de l’Antiquité ou dans le monde moderne est un caprice aveugle sans aucune raison qui puisse l’excuser… Croire qu’elles ont existé et qu’elles existent encore est ce qu’il y a de plus vraisemblable et de plus probable. »13

La figure de l’amazone appartient au bestiaire rêvé et fantasmé de l’Amazonie mais doit aussi son succès à ses liens avec les représentations allégoriques de l’Amérique. Ses attributs : arc, flèche et plumes voire perles sont caractéristiques d’un mélange des contraires (Cf allégorie de l’Amérique de JB Corneille) . Elle est donc un symbole d’un continent décrit comme étrange et étonnant. Elle emprunte souvent bien des caractéristiques à l’Ancien Monde, tout comme les descriptions d’indiens (voir les danses des indiens Atoupa). L’amazone est marquée par sa domination sur la gent masculine, symbolisée dans l’illustration « les Amazones allant à la guerre » sur ce document par la taille de l’homme par rapport à la femme et par le rapprochement avec des hommes dansant. Elle représente : le monde à l’envers, une société matriarcale, la revanche des femmes dans ce nouveau monde, ouvert à toutes les utopies ou contre-utopie. C’est une féminité menaçante, guerrière et cruelle qui est mise en valeur dans les textes, tandis qu’elle est plus gracieuse suivant les illustrations. Ces images ont participé à la controverse sur le nouveau monde au XVIIIe siècle : reconnaître l’existence des amazones, c’était reconnaître la profusion et la richesse du nouveau monde contre les détracteurs qui le voulaient inférieur et bestial. Curieusement, c’est, entre autre, par des images de femmes dominantes, défiant l’autorité et les lois des sociétés européennes que les partisans du nouveau monde et de sa diversité, riche d’enseignements voulaient prouver l’intérêt de la rencontre avec ces peuples étrangers. Les hommes du XVIIIe siècle n’ont donc pas totalement condamné comme affabulations l’existence des amazones mais La Condamine a laissé la possibilité d’une part de vérité dans les discours sur les amazones.

Les figures d’amazones ont donc perduré car elles s’intègrent parfaitement dans le bestiaire fantasmé de l’Amazonie, mêlant beauté et violence, dans les représentations empruntées à la culture antique des voyageurs ; mais elle doit son succès aussi à sa représentativité, à sa fusion avec l’image allégorique d’un continent, traditionnellement représenté par une femmes, dont elle met en valeur les contrastes et les différences avec

12 Jean-Paul Duviols, l’Amérique espagnole vue et rêvée : les livres de voyage de Christophe Colomb à

Bougainville, Paris, éd.

13

Juan de Velasco, Historia del reino de Quito, t. 1, primera parte, Historia natural (1789), Quito, Imprunta nacional, 1927, p. 194-204, cité par Jean-Paul Duviols, dans L’Amérique espagnole vue et rêvée, op. cit., p. 53.

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l’Ancien Monde dans l’imaginaire des voyageurs européens et enfin, son succès est lié également au fait qu’elle a été un enjeu dans la controverse du nouveau monde.

Toutefois ces images ne sont pas toujours reconnues comme exogènes. Les auteurs, lorsqu’ils reviennent sur leurs affirmations, tel Thevet, qui est le premier en 1575 à revenir sur sa grande descriptions des amazones, attribuent aux indiens ces inventions.

« On appelle cette rivière des Amazones, faut entendre que ceux qui passèrent le long d’icelle, se sont forgés cette belle bourde ; car il n’en est rien et n’y a royaume ni province en ce pays là qui soit gouverné par les seules femmes ; et je suis bien marri que je sois tombé en la faute de l’avoir cru, et écrit d’ailleurs, en ayant été abreuvé par des sauvages, qui se font accroîre de belles rêveries, ainsi que fait tout peuple oyant réciter choses qui lui apparaissent rares et étranges. A ma seconde navigation, j’ai su tout le contraire que s’ils ont vu (ainsi qu’ils confessent) quelques femmes qui fussent guerrières et archères, qui sont venues sur le bord de la rivière pour leur défendre le passage, ce n’est pas à dire pourtant que lors il n’y eut point d’homme avec elles : vu que entre les margageas les femmes bataillent aussi bien que les hommes quand besoin est... Par ainsi elles ne sont amazones, ains simplement pauvres femmes, lesquelles en l’absence de leurs maris, tâchent de conserver leurs biens, vie et enfants. » 14

Les indiens seraient donc à l’origine de ces histoires. La Condamine évoque aussi l’existence de récits indiens sur les amazones :

« Je sais que tous ou la plupart des Indiens de l’Amérique méridionale sont menteurs, crédules, entêtés du merveilleux mais aucun de ces peuples n’a jamais entendu parler des Amazones de Diodore de Sicile et de Justin. Cependant, il était déjà question d’Amazone parmi les indiens du Centre de l’Amérique avant que les Espagnols y eussent pénétré. »15

S’agit-il de véritables tribus de femmes guerrières ? Les anthropologues ont repéré dans les tribus amazonienne d’aujourd’hui des rites visant à inverser les rôles durant une période donnée, pendant 4 semaines les femmes se battent et dominent dans le village; dans d’autres tribus des hommes et des femmes pêchent ensemble et même se battent, on peut penser que la division des sexes pouvait être moins affirmée qu’en Europe à la même époque mais quant à leur prêter les mœurs décrits par les voyageurs…

L’amazone n’est-elle pas à considérer plutôt comme un personnage appartenant à la culture populaire brésilienne, au folklore traditionnel ? La figure de l’Amazone peut-elle être considérée comme une création endogène, appartenant à la culture brésilienne ?

Le personnage de l’amazone joue un rôle important dans le roman fondateur de Mario de Andrade, Macounaïma, œuvre phare de la littérature moderniste brésilienne, parue en 1928, elle est considérée comme fondatrice d’une littérature spécifiquement brésilienne. Le héros éponyme, Macounaïma, rencontre Ci-mère de la forêt et reine des amazones dans son périple. Elle a le sein droit désséché et il voit tout de suite qu’elle fait « partie de cette tribu de femmes solitaires qui vivent là-bas sur les plages du lac appelé Miroir de la Lune »16. Il se bat contre elle mais doit fuir et appeler ses frères pour parvenir à la vaincre, la violer et devenir ainsi le nouvel empereur de la Forêt vierge. L’Amazone apparaît donc comme une forte guerrière, au physique marqué par un sein désséché ; il faut trois hommes pour la dominer ; sa conquête est difficile mais elle est aussi celle de la forêt amazonienne à laquelle elle s’identifie,

14

André Thevet, La Cosmographie universelle, Paris, 1575, livre XXII, p. 960.

15 Charles Marie de la Condamine, Relation abrégée d’un voyage fait dans l’intérieur de l’Amérique

méridionale, Paris, 1745, p. 100.

16

Mario de Andrade, Macounaïma, traduit du brésilien par Jacques Thiérot, édition critique dont Pierre Rivas fut le coordinateur, Paris, Stock-Unesco-CNRS-Allca XX, 1996, p. 39.

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Macounaïma devient empereur grâce à cette parodie de victoire : « Macounaïma étendit son empire sur les forêts mystérieuses tandis que Ci menait à l’assaut ses guerrières brandissant des tcharas tridentés »17. L’amazone est représentée à la fois comme belle et féroce, guerrière et amoureuse ardente. Lorsque Macounaïma veut dormir, elle sait réveiller ses ardeurs : « Alors pour le bouter en train, Ci recourait au sublime stratagème. Elle allait chercher dans la forêt des orties au brûlant feuillage et en flagellait, iii ! que ça cuisait ! la quéquette de notre héros et sa propre craquette. Du coup, Macounaïma retrouvait une ardeur dardante de lion qui le jetait sur Ci toute enflammée comme lui et ils s’amusaient encore et encore, s’abandonnant à des frénésies prodigieuses. »18 . Ce passage a beaucoup choqué lors de la sortie de l’œuvre. La lubricité de l’héroïne ajoute un élément nouveau dans la peinture de l’inversion des sexes que représente la figure de l’amazone. Dans ce roman souvent qualifié de rabelaisien, ce sont les antihéros, ceux du monde à l’envers, de l’univers carnavalesque qui sont au cœur du récit et représentent les vrais héros brésiliens : Macounaïma, le « héros sans aucun caractère » et Ci, Mère de la forêt, reine des amazones, guerrière et amante fougueuse mais aussi mère d’un petit garçon qu’elle adore au point de monter au ciel, pour devenir une étoile, à sa mort. Sur ce point l’auteur s’écarte du mythe européen de l’amazone cruelle pour en faire une mère nourricière. Une mère nature, féroce mais aimante aussi. Mario de Andrade donne ainsi une nouvelle vision de la figure de l’amazone, devenue ici une représentation brésilienne.

Le projet de Mario de Andrade, dans cette œuvre, est de mettre en valeur les racines nationales et de révéler la richesse du folklore brésilien qu’il est allé recueillir en ethnographe en Amazonie même. Il fonde avec Macounaïma une littérature nationale qui met en valeur le creuset de la culture brésilienne, le mélange des sources populaires et des apports de la culture européenne. Cette littérature se définit comme anthropophage, elle digère et intègre la diversité. Sa vision de l’amazone reprend donc des légendes indiennes mais aussi des éléments de la mythologie européenne que les récits de voyageurs ont transporté au Brésil. L’amazone, femme dangereuse, héroïne rebelle devient sous sa plume le symbole d’un Brésil non soumis mais vivant, riche et créateur.

Les représentations féminines, dans les récits des premiers voyageurs découvrant la zone tropicale de l’Amérique, le Brésil et l’Amazonie, opposent la figure de la belle sauvage, blanche et docile à celle de l’amazone guerrière, cruelle et dangereuse. Les images d’amazones font partie du bestiaire fabuleux, des nombreuses créations d’êtres étranges et inquiétants peuplant les contrées inexplorées de l’Amazonie selon les voyageurs et leurs émules. Elles ont persisté longtemps dans les textes comme symboles de l’Amérique sauvage et notamment de la forêt amazonienne et elles ont représenté un argument pour les défenseurs de la richesse du Nouveau Monde. Si les auteurs brésiliens romantiques ont plutôt favorisé les images de « bons sauvages », le courant moderniste dont Maria de Andrade a été une figure phare a donné dans Macounaïma une image contrasté, belle et dure, de l’amazone brésilienne, symbole d’un peuple résistant et aimant. Cette image de l’amazone guerrière mais aussi amante et mère, symbole de l’Amazonie, nous mène donc à relire les premiers récits de voyage. Si les voyageurs européens ont décrypté le nouveau monde avec leur culture et leurs références, ils ont participé à la construction culturelle du pays et au syncrétisme qui définit la culture brésilienne moderne.

17

Ibid, p. 40.

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