Ethnoarchéologie et h a b it a t
Les origines de l'habitat et de l'espace urbain mésopotamien
0IV -IIF millénairesX un exemple des potentialités
de l'analyse urbanistique en archéologie
Régis Vallet (UMR ArScAn - Du village à l’État)
L'archéologie d e l'O rient ancien, région qui vit p o u rta n t la genèse du p h é n o m è n e urbain, est encore loin d e pouvoir présenter un bilan satisfaisant sur les questions to u c h a n t à l'h a b ita t et à l'espace urbain. C e tte situation a longtemps reflété l'é ta t des données disponibles, trop peu d e sites a ya n t é té mis au jour sur une surface suffisante. Diverses fouilles récentes o n t c e p e n d a n t considérablem ent enrichi le corpus des plans disponibles, tandis que l'analyse de nombreuses fouilles anciennes reste à faire. Un vaste c h a m p d 'e n q u ê te s'ouvre d o n c là. Mais si nous nous sommes intéressé à l'ha bitat, c 'e s t dans une optique bien particulière, afin d e définir, au-delà du cadre dom estique, le contexte dans lequel celui-ci s'inscrit e t qui lui donne sens, c'est-à-dire la structure spatiale des premières villes d e l'Histoire.
A u -d e là d e ses aspects p ro p re m e n t techniques en effet, l'esp ace urbain est ici conçu a v a n t to u t dans sa dim ension socio-culturelle, co m m e le résultat des pratiques sociales spécifiques visant à fonder un ordre spatial a d a p té à la société. C 'est devenu aujourd'hui une banalité que d e dire que la société ne p ro cè d e pas de l'esp ace mais s'y projette. M êm e si l'esp ace construit de la ville a une rigidité propre induisant une dialectique constante entre l'ho m m e e t son milieu (si l'hom m e fa it la ville, l'inverse est aussi vrai), il est bien évident que les changem ents économ iques, sociaux e t politiques déterm inent l'évolution des formes urbaines. Pour saisir la réalité sociale sous-jacente au plan, l'analyse te n te ra d o n c d e lire celui-ci co m m e un texte, interrogeant les formes pour leur redonner un sens et
restituer ainsi quelques-uns des aspects d 'u n e réalité particulièrem ent com plexe. À c e tte fin, nous nous sommes d a v a n ta g e inspirés des m éthodes de l'analyse urbanistique (par exem ple Mangin D. & Panerai P. 1999, Panerai P., D e p a u le J.-C. & Demorgon M. 1999, a v e c d e nombreuses références) que de c e que l'on pe u t trouver dans la littérature archéologique. On pe u t discuter pour savoir si ces travaux relèvent de l'eth no-archéologie stricto-sensu, mais au vu d e certains résultats, e t d e l'esprit de la d é m a rch e , qui reste é m in e m m e n t sociale et culturelle, c'est, sans doute, une sorte d 'a rc h é o ethnologie.
Pour c e qui est d e la m éthode d'analyse des plans mise en oeuvre, celle-ci pe u t se d é co u p e r en plusieurs phases plus ou moins successives : établissement des plans (car ceux-ci ne nous sont pas « donnés », e t il y a un long travail initial d e lecture des plans), restitution, interprétatio n, com paraison d é b o u c h a n t é ve n tu e lle m e n t sur la définition de modèles. Tout le jeu consiste à confronter plusieurs niveaux d e structuration d e l'espace, la topographie, la tram e viaire e t la tram e parcellaire principalem ent, afin d e révéler des régularités qui, si elles existent, tém oignen t d e l'intention des acteurs sociaux.
Pour illustrer co n crè te m e n t notre propos nous avons choisi deux exemples, à l'origine d e notre enquê te (Vallet 1997a, 1997b e t 1999, auxquels nous renvoyons le lecteur pour la consultation des plans) : H abuba Kébira, en Syrie du nord e t Abu Salabikh, dans la plaine alluviale m ésopotam ienne, deux sites
majeurs qui constituent, d 'u n p o in t d e vue m é th o d iq u e , d e véritables cas d 'é c o le v a lid a n t pleinem ent l'a p p ro c h e mise en oeuvre.
Le colonialisme à l’origine d e l’urbanisme ?
H ab u b a Kébira est l'u n e d e ces colonies urukiennes découvertes à partir d e la fin des années 60 en Syrie du nord e t en A natolie du sud-est. C 'est celle qui a é té d e loin la plus largem ent explorée. Crées d e toutes pièces pa r des gens venus d e M ésopotam ie du sud, ces sites coloniaux furent abandonnés à la fin du IV
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millénaire, e t la plupart jam ais réoccupés. Les niveaux du IVe millénaire affleuraient donc, e t il fut possible d e d é g a g e r des quartiers entiers d 'h a b ita t, d o n t l'éq uivalent ne nous est toujours pas connu dans le Sud.Le plan, tel qu'il nous a é té livré par les fouilleurs e t régulièrem en t re p ro d u it depuis dans la b ib lio g ra p h ie , sans com m entaires ou presque, semble au premier regard d 'u n e lecture très difficile (d 'o ù sans d o u te l'absence d'analyse jusqu'ici), ca r pour m ettre en é vidence la structure du parcellaire (Fig. 1), il est bien entendu nécessaire d e maîtriser en a m o n t c e qui conditionne son organisation, c'est-à- dire la form e prise par l'ha bitat.
La maison urukienne : début d ’adaptation au milieu urbain
La caractéristique essentielle d e la maison urukienne est d 'ê tre d e typ e com posite, c'est-à-dire form ée d e plusieurs corps d e bâtiments. Bien que les com plexes ainsi constitués suivent une grande variété d e plan (Vallet 1997a), ces derniers sont tous formés des mêmes éléments.
La première com posante d e la maison est un b â tim e n t tripartite, a ve c un hall central flanqué d e deux ailes latérales. Un tel parti é ta it déjà typique d e l'h a b ita t d e la période p ré cé d e n te (O beid) e t la p e rm a n e n c e du m o d è le suffit à identifier ici l'h a b ita tio n proprem ent dite. Le hall, é q uipé d e foyers, est la salle de séjour du groupe familial. Les ailes sont cloisonnées en deux ou trois petites pièces dont, dans une des ailes, les vestibules d 'a c c è s au hall, générale m ent au nom bre d e deux. Les autres pièces latérales sont destinées au rangem ent et, pour certaines, à la circulation. Elles ne com m uniquent jamais en enfilade d e sorte q u 'il n'existe pas d e chem inem en t circulaire dans le b â tim ent e t que les deux extrémités du hall c o m m a n d e n t ch a cu n e un système d e circulation propre. C e tte opposition entre les deux pôles du hall se conjuge a v e c d'autres traits
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i i — j iFig. I H abuba Kébira, p la n e t parcellaire du Secteur Ouest (phase 2)
architecturaux e t s'éte nd à l'ensem ble du bâtiment, suggérant q u e les m em bres d e la maison se répartissaient spa tia le m e n t en deux groupes, en fonction d 'u n critère qui d o it être le sexe (Forest 1997).
La seconde com posante d e la maison est une salle d e réception. Il s 'a g it d 'u n hall d e dimension à peine inférieure à celui d e l'ha bitation e t co m m e lui équipé d e foyers, d o n c d 'u n e p iè ce destinée à rassembler du m onde. O utre des niches disposées dans l'a x e des passages, q u e les habitations présentaient déjà, certaines pièces offrent un d é co r b e a u co u p plus élaboré e t m anifestem ent destiné à être vu par des visiteurs.
Au m o d u le d e base q u e constituen t l'ha bitation e t le b â tim e n t d e réception viennent s'ajo uter diverses annexes. Le nom bre e t les dimensions d e ces annexes sont très fluctuants, c e qui reflète sans d o u te la multiplicité d e leurs fonctions (vestibule d 'e n tré e des complexes, salles d e travail, entrepôts, etc...). Enfin la dernière com posante d e la m aison est une g ra n d e cour, d o n t c 'e s t ici l'a p p a ritio n dans l'a rc h ite c tu re dom estique mésopotam ienne, autour de laquelle s'organisent tous les corps d e bâtim ent.
Naissance de l’urbanisme
La structure d e l'esp ace domestique établie, il est dès lors possible d e m ettre en é vid e n ce le d é c o u p a g e du parcellaire e t d e s'interroger sur les pratiques qu'il traduit, e t que la reconnaissance du d é ve lo p p e m e n t historique d e la ville perm ettent de saisir dans la diachronie. Les données recueillies perm ettent en e ffe t d e reconstituer toute l'évolution du site, qui n 'a cessé d e croître, passant en un siècle et dem i peut-être d e
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ha lors d e sa fondation, à10
puis 22 ha. Un essor aussi brutal e t spectaculaire ne p e u t s'expliquer qu e par l'arrivée d e vagues successives d e colons, c e qui semble d 'a u ta n t plus sûr que le site fit alors l'objet, com m e on peut le montrer, d 'u n e rigoureuse planification.
Avec la croissance en effet, les opérations d 'u rb a n ism e co m m e n c e n t, qui p a rtic ip e n t d 'u n projet d'ensem ble qui va radicalem ent modifier la physionomie d e la ville. L'extension du site voit l'é re ctio n d 'u n rem part e t le tra c é d 'u n e voirie primaire, qui hiérarchise a posteriori l'ensemble de la tram e viaire. Trois grandes voies furent tracées, deux est-ouest, pa rta n t des portes, rejoignent au centre une g ra n d e rue nord-sud. C e tte dernière, astucieusement a m é n a g é e en réutilisant l'enveloppe d e la vieille ville, devient la colonne vertébrale d e la cité, m enant au sud à l'a cro p o le du Tell Qannas. Surtout, le nouveau parcellaire s'organise en une d o uble b a n d e de maisons e t trahit une opération de d é c o u p a g e géom étrique du terrain à bâtir, c'est-à- dire d e lotissement, d o n t c 'e s t ici la prem ière attestation dans l'Histoire.
Le bâti s'organise ainsi en trois lotissements (nord, centre et sud). Les données perm ettent même de reconstituer l'évolution d e l'un de ces lotissements (au centre), e t l'on peut constater à c e tte occasion que les remaniements successifs de l'en veloppe (la construction de remparts e m p ié ta n t ch a q u e fois d a v a n ta g e sur le bâti) o n t abouti a ve c le temps à une o ccu p a tio n bien moins rationnelle de l'espace, e t à l'ap parition en particulier d 'u n vaste terrain vague, suite à l'expulsion de plusieurs familles. Il est probable que celles-ci contribuèrent à fonder la se co n d e extension d e la ville, a p p o rt interne insuffisant pour rendre c o m p te à lui seul de ce tte extension mais qui perm et d e mieux com prendre son exceptionnelle étendue.
Des éléments clairs de structure sociale
Il fa u t se dem ande r m aintenant dans quelle mesure l'é v o lu tio n d e c e lotissement p e u t être représentatif des pratiques gestionnaires de l'espace
urbain. Dans la partie fouillée du lotissement sud on constate en e ffe t que les com plexes d 'h a b ita t, au lieu d 'é v a c u e r partiellem ent le terrain pour faire p la ce aux remparts, se replièrent massivement vers l'est, d 'o ù la structure particulièrem ent c h a o tiq u e de c e lotissement, où la tram e d 'o rig in e n'est plus perceptible, e t il en alla sans d oute d e m êm e dans d'autres secteurs d e la ville. C ette diversité dans la gestion du parcellaire indique que le pouvoir central n'intervint certainem en t pas dans la restructuration du tissu, en im posant un schéma d'ensem ble, e t que celle-ci fu t prise en ch a rg e à un échelon local. Non pas dom estique, c a r c e type de problèm e dépasse par définition la sphère dom estique, mais supra- dom estique, interm édiaire entre le pouvoir central et les particuliers, c e qui pose la question des rapports d e voisinage et, au-delà, de la structure du corps social. Or à c e t égard les plans am è n e n t à faire plusieurs observations significatives.
Il fa u t rem arquer en e ffe t que les propriétés voisines c o m m u n iq u e n t systém atiquem ent entre elles, fo rm a n t des groupes associant c h a c u n six com plexes environ. Une telle p e rm é a b ilité de l'ha bitat, im pliquant des contacts étroits e t durables entre familles proches, suggère que les relations de voisinage se doub la ie n t de relations d e parenté, et que le regroupem ent spatial des familles éta it en fait fo n d é sur les liens d e parenté. De fait, on pe u t observer que le rem odelage d e l'ha bitat, m algré la tram e rigoureuse d'origine, a boutit à la form ation d 'u n e structure du b â ti bien c a ra cté risé e : les habitations des familles au statut social à l'é vid e n ce supérieur se tro u v e n t fin a le m e n t entourées par plusieurs habitations n e tte m e n t plus modestes. Il a p p a ra ît ainsi qu e la population se répartissait très p ro b a b le m e n t en groupes hiérarchisés d e familles apparentées, constituant c e que l'on p e u t appele r des « clans coniques », selon une expression anthropo logique déjà utilisée dans notre dom aine. Il sem ble bien q u e nous tenions là l'é c h e lo n in te rm é d ia ire é v o q u é plus haut, les m ultiples problèmes que la restructuration du tissu ne m anqua pas de poser é ta n t gérés au sein d e ces groupes et tranchés, in fine, par leurs chefs.
L’acropole et la compréhension globale du site
Et c 'e s t d 'a u ta n t plus intéressant, q u e c e tte analyse d e l'h a b ita t re c o u p e c e lle des grands monuments d e l'a c ro p o le du Tell Qannas. Il ne s'agit bien évidem m ent pas d e temples, com m e le fouilleur le pensait mais d e deux catégories d 'é difices : la résidence d e la famille gouvernante d 'u n e part, dans le cas du C om plexe Central, e t le Conseil d e la cité d 'a u tre part, c'est-à-dire l'assemblée des notables
représentant la co m m u n a u té e t d é b a tta n t sous l'autorité du gouverneur des affaires publiques, dans le cas des Temples Nord e t Sud. Or dans la mesure où l'é lé v a tio n d e ces derniers édifices se fa it rigoureusement l'é c h o du déve lo p p e m e n t d e la ville, a ve c la construction d 'u n e nouvelle salle à ch a q u e fois plus vaste, le Temple Nord en rem placem ent du Conseil d'origine, puis le Temple Sud, il ne fait pas de doute que les membres du Conseil n 'é ta ie n t autres que les chefs des groupes d e parenté dispersés dans l'habitat. De sorte q u 'a u to ta l la ville a p paraît dès c e tte époque, dès l'origine, com m e un organisme pyram idal puissam m ent intégré socia le m e n t e t po litique m e nt, in té g ra tio n qui c o m m e n c e à se manifester aussi dans le dom aine économ ique, a ve c le regroupem ent près des portes de la ville d'ateliers e t entrepôts.
Sumer et l’ém ergence des formes classiques de << l’urbanisme oriental »
Dans la première moitié du IIIe millénaire, la révolution urbaine arrive à son term e dans le Sud, a vec l'é m e rg e n ce a ccé lé ré e d e nombreux centres urbains, de plusieurs centaines d'h ectares parfois, contrôlant c h a cu n les ressources limitées de terroirs restreints c o n te n a n t une popula tion toujours plus nombreuse. C ette situation induisit un é ta t d e guerre perm anent, d e sorte que les cités sumériennes, bien q u 'e n plein essor e t toujours en c o n ta c t étroit a ve c les contrées voisines, furent hors d 'é ta t d e poursuivre la politique coloniale caractéristique d e la période précédente. Ces cités nous sont un peu moins mal connues que celles du IVe millénaire, par quelques fouilles extensives plus ou moins ancienne, mais, là encore, les plans disponibles n 'o n t guère fait l'o b je t d 'é tudes sérieuses. Abu Salabikh, petite ville (18 ha) proche de l'Euphrate, a fa it l'o b je t d 'u n d é c a p a g e particulièrem ent extensif, puisque 30 % d e son tell principal fut dég a g é , c e qui en fait l'un des sites les plus exploités du Proche-Orient et celui qui puisse nous d onne r l'id é e la plus précise d e l'h a b ita t p ro p re m e n t sumérien. Plus d 'u n e vin g ta in e d e maisons y ont en e ffe t été dégagées, e t l'exam en de c e tte série révèle que la maison sumérienne se conform e à un m odèle p arfaitem en t défini.
La maison sumérienne et le triomphe du plan « centré »
Les bâtim ents, d e fo rm e g é o m é triq u e régulière, sont assez vastes (307 m
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en m oyenne) et s'organisent tous autour d 'u n e cour (Fig. 2). Celles-ci sont néanmoins bien plus réduites q u 'à l'é p o q u e d'Uruk (38 m2 en m oyenne contre 80 m2), ca r le plan a été ram ené à des dimensions plus modestes parFig. 2. A bu Salabikh, les habitations au sud-est du lotissement nord du Secteur E.
l'in té g ra tio n d e ses divers élém ents en un to u t b e a u c o u p plus co m p a ct, e t le plan tripartite en particulier a to ta le m e n t disparu.
Les maisons sont pourvues d 'u n accès unique, d o nna nt sur une pièce relativem ent petite, associée le plus souvent à une annexe. À en juger par les installations d o n t ces pièces sont pourvues (foyers notam m ent) e t le matériel a b o n d a n t que certaines c o n te n a ie n t (céram ique, cendres e t débris organiques), ces pièces servaient d e cuisines. L'entrée-cuisine co m m u n iq u e le plus souvent d irectem ent a ve c la cour, mais dans les plus grandes maisons, il fa u t d 'a b o rd passer par un couloir, qui dessert alors l'escalier m enant aux terrasses et mène à un vestibule s'interposant entre la partie antérieure, utilitaire, d e la maison e t l'h a b ita t proprem ent dit.
À partir de la cour, on pe u t gagne r plusieurs types d e pièces, selon le degré d e d é velop pem ent du plan. La cour dessert d 'a b o rd une ou plusieurs pièces d e taille m oyenne ou petite, servant de magasins e t de rangements, mais aussi, pour les plus grandes, d e salles d e travail. La co u r m ène é g a le m e n t à une p e tite p iè c e isolée et fonctionnellem ent liée à l'eau, à en juger par les enduits d e bitum e recouvrant ses sols (souvent percés d 'u n drain) e t ses murs; une salle d 'e a u par conséqu ent, d o n t c 'e s t ici l'a p p a ritio n dans l'arch itecture dom estique m ésopotam ienne. La cour dessert essentiellem ent deux grandes pièces, disposées à l'équerre généralem ent dans l'angle opposé à l'entrée, et associées ch a cu n e à une ou deux petites pièces annexes. C 'est là le cœ ur de l'ha bitat, qui constitue, a ve c la cour e t l'entrée- cuisine, le m odèle a rch ite ctu ra l p roprem ent dit, q u 'a tte ste n t toutes les habitations du site. Les deux grandes pièces ne sont pas équivalentes, l'une é tant toujours plus vaste que l'autre (35 m
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contre 24 m2
en m oyenne) et l'idé e que l'une d e ces pièces, la plusgrande par exemple, corresponde à une salle de réception p e u t sembler co n ce va b le en première analyse. Les analyses physico-chimiques des sols d ém ontren t néanmoins que nous avons affaire à une opposition fonctionnelle entre les deux grands pièces d e la maison d 'u n autre ordre q u 'à l'Uruk, a v e c une salle d e séjour proprem ent dite, où é taient pris les repas, et une autre, plus spécifiquem ent destinée au co u ch a g e .
Hiérarchisation et dilution des liens sociaux
L 'h a b ita t sumérien té m o ig n e ainsi d 'u n e spécialisation fonctionnelle d e l'espace domestique plus poussée q u 'a u x époques précédentes, e t c e tte évolution va d e pair a v e c un renforcem ent du processus d e repliem ent du groupe familial sur lui- m ême. Un seul trait suffit à montrer la réalité et l'am pleur d e c e dernier phénom ène : la disparition quasi to ta le des co m m unication s entre maisons proches, systématiques à l'Uruk e t ici attestées de fa ç o n résiduelle (trois cas au mieux). L'évacuation des eaux par ailleurs se faisait essentiellement au m oyen d e drains verticaux, e t c e ch a n g e m e n t par rapport à l'Uruk, qui connaissait des canalisations horizontales co n n e cté e s en réseau, té m o ig n e là encore du repli de la cellule familiale sur elle-même, puisque la gestion des eaux usées se fait désormais dans un c a d re strictem ent domestique. Il ne fait pas d e d o u te q u e ces traits trahissent le déclin progressif du rôle social d e la parenté, concurrem m ent à l'élargissement e t à la hiérarchisation a ccru e du corps social, un p h é n o m è n e que les données textuelles attestent au milieu du millénaire (a ve c la dispersion des anciennes propriétés lignagères). Ce nouveau m odèle d 'h a b ita t par ailleurs, apparu dans le Sud vraisem blablem ent au d é b u t du Dynastique Archaïque (c. -2900), voire dès l'Uruk final, se diffusa ra p id e m e n t vers le Nord, en m êm e tem ps que l'urbanisation, e t c e jusqu'en Anatolie, com m e nous avons pu récem m ent le montrer (Vallet 2000, Algaze, Vallet e t al. 2001).
Un urbanisme, des modèles
Enfin, si l'on s'interroge sur les raisons qui ont co n d u it au triom phe du plan centré sur le plan com posite urukien, c'est-à-dire à la généralisation d 'u n e form ule a rc h ite c tu ra le b e a u c o u p plus ramassée, celles-ci tiennent sans aucun d oute à la nécessaire a d a p ta tio n aux im pératifs d e la vie urbaine, ca r la maison sumérienne s'intégre dans un tissu b e a u c o u p plus dense, structuré e t d o n c co n tra ig n a n t q u 'a u IVe millénaire. La généralisation du plan centré perm it en e ffe t d e franchir une nouvelle é ta p e dans l'org anisation d e l'h a b ita t, aboutissant à la création d e véritables îlots à quatre bandes d'habitations, desservies p a r un système d'impasses. Il s'agit là d e l'ap p a ritio n d 'u n e structure du bâti absolum ent typique d e l'urbanisme proche- oriental, que l'on retrouve en e ffe t à toutes les époques, jusque dans la ville arabe, et d o n t les Sumériens furent d o n c les premiers inventeurs. Ces îlots s'intégrent eux-mêmes dans des plans de plus en plus ambitieux, qui tém oignen t de l'accroissem ent considérable du pouvoir d e l'élite. À Abu Salabikh, la population fut ainsi relogée au d é b u t du IIIe millénaire sur un site neuf rigoureusement planifié, dessinant un plan « en échelle » selon le tra c é de la voirie primaire, e t que nous avons d o n c baptisé « plan en échelle sum éro-akkadien ». Il ne s 'a g it pas là d 'u n e c o m m o d ité classificatoire, mais d 'u n véritable m o d è le urbanistique, q u e les c o n ce p te u rs de l'é p o q u e avaient bien en tête, puisque nous avons pu en reconnaître un second exem plaire sur le site de Khafadjé (40 ha), en M ésopotam ie centrale (Vallet 2001, en préparation). Ce m odèle, propre sans doute aux villes d e taille m odeste e t m oyenne (jusqu'à 50 ha environ), dém ontre par sa simple existence qu'il d e v a it en exister d'a utres, e t illustre s p e c ta c u la ire m e n t le d e g ré d 'a c h è v e m e n t, insoupçonné jusqu'à présent, a tte in t par l'urbanisme sumérien. On le voit, l'e n q u ê te ne fa it qu e com m encer.
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