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La retraite spirituelle dans l'Ordre libanais maronite selon ses cofondateurs Qara'ali et Farhat : caractéristiques et actualisations

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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© Marine El Hajj, 2016

La retraite spirituelle dans l'Ordre libanais maronite

selon ses cofondateurs Qara'ali et Farhat -

caractéristiques et actualisations

Mémoire

Marine El Hajj

Maîtrise en théologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

(2)

La retraite spirituelle

dans l’Ordre libanais maronite

selon ses cofondateurs Qara‘alī et Farḥāt.

Caractéristiques et actualisations

Mémoire

Marine El Hajj

Sous la direction de :

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iii

Résumé

La retraite spirituelle est une pause qui implique une rupture avec le train de vie ordinaire, dans un cadre plus ou moins isolé, silencieux et paisible, en vue de permettre une rencontre plus intime avec Dieu, au sein d’une expérience spirituelle intense. Elle est aujourd’hui un exercice spirituel présent dans toutes les Règles des ordres religieux. Ainsi en est-il dans l’Ordre libanais maronite. Qu’est-ce qui caractérise la retraite spirituelle dans cet Ordre, à la lumière des écrits de ses cofondateurs, et quelles en sont les perspectives actuelles ? Telle est la question posée dans ces pages.

Pour y répondre, ce travail propose d’abord une incursion historique pour découvrir et comprendre l’émergence de cette pratique dans la tradition chrétienne proche-orientale. Suit une présentation de l’Ordre libanais maronite et de sa spiritualité. Ensuite est approfondie la lecture des écrits : Modèle des retraitants et La retraite spirituelle ou Note dans

l’organisation de la retraite des retraitants que deux des cofondateurs de cet Ordre, ‘Abd

Allāh Qara‘alī et Ğibrāyil Farḥāt, ont livrés sur le sujet. Enfin les caractéristiques sont présentées et mises à jour tout en les confrontant à quelques défis actuels d’ordre personnel, culturel, social et monastique. L’objectif de cette recherche est de donner des perspectives pour une retraite spirituelle, enracinée dans la tradition, actualisée et propre à l’Ordre libanais maronite.

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iv

Summary

A spiritual retreat means taking a break from one’s daily routine in an environment that is more or less isolated, silent and peaceful, in order to facilitate a more personal encounter with God through an intense spiritual experience. The retreat is now a spiritual exercise present in the Rules of all Religious Orders. This is the case with the Lebanese Maronite Order. What characterizes the spiritual retreat in that Order, in light of the writings of its cofounders, and what are its present perspectives? This is the question addressed in the following pages. To answer it, this research paper first delves into history to discover and understand the emergence of this practice in Near-Eastern Christian tradition. A presentation of the Lebanese Maronite Order and its spirituality followed. An analysis was then made of two writings —

Model for retreatants [Modèle des retraitants] and The spiritual retreat, or Note for the organization of the retreat for retreatants [La retraite spirituelle ou Note dans l’organisation de la retraite des retraitants] — left by two of the co-founders of that Order, ‘Abd Allāh

Qara‘alī and Ğibrāyil Farḥāt. Finally, the characteristics are presented and updated, in the context of contemporary personal, cultural, social and monastic challenges. The goal of this research paper is to offer perspectives for a spiritual retreat that is rooted in tradition yet updated and proper to the Lebanese Maronite Order.

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v

Table des matières

RÉSUMÉ ... III SUMMARY ... IV TABLE DES MATIÈRES ... V TABLEAU DU SYSTÈME DE TRANSLITTÉRATION ... VIII ABRÉVIATIONS ET SIGLES ... IX REMERCIEMENTS ... XII

INTRODUCTION GÉNÉRALE ... 1

CHAPITRE I : L’ÉVOLUTION DE LA RETRAITE SPIRITUELLE ET SON INSERTION DANS L’OLM ... 8

1. LA RETRAITE SPIRITUELLE ET LA VIE ANACHORÉTIQUE... 8

1.1. LA RETRAITE SPIRITUELLE, ÉTYMOLOGIE ET DÉFINITION ... 10

1.2. L’ANACHORÉTISME ORIENTAL, UNE RETRAITE PERMANENTE ... 11

1.3. L’ANACHORÉTISME SYRIAQUE DES PREMIERS SIÈCLES ... 13

1.4. LA RETRAITE DES SEMAINES (AL ŠELYĀ D’ŠABŌ‘Ē) DANS LA TRADITION SYRIAQUE ... 16

1.5. L’ÉRÉMITISME DANS L’ÉGLISE MARONITE AU LIBAN ... 18

2. FONDATION, SPIRITUALITÉ ET RETRAITE SPIRITUELLE DE L’OLM ... 21

2.1. LA RÉFORME DU MONACHISME MARONITE, FONDATION DE L’OLM ... 23

2.2. LA SPIRITUALITÉ DE L’OLM ... 26

2.2.1. Une spiritualité monastique et communautaire ... 27

2.2.2. Une spiritualité biblique ... 28

2.2.3. Une spiritualité ascétique ... 31

2.2.4. Une spiritualité engagée et dynamique ... 33

2.3. LA RETRAITE SPIRITUELLE DANS LES PREMIÈRES RÈGLES DE L’OLM ... 35

2.4. LA RETRAITE SPIRITUELLE, EXERCICE SPIRITUEL EN VIGUEUR DANS L’OLM ... 36

2.5. LA RETRAITE SPIRITUELLE DANS LES RÈGLES ET CONSTITUTIONS ACTUELLESDEL’OLM………...37

3. PRÉSENTATION DES AUTEURS ET DES SOURCES ... 39

3.1. QUI EST ‘ABD ALLĀH QARA‘ALĪ ? ... 40

3.2. PRÉSENTATION DU MODÈLE DES RETRAITANTS DE QARA‘ALĪ ... 41

3.3. QUI EST ĞIBRĀYIL FARḤĀT ? ... 42

3.4. PRÉSENTATION DE LA RETRAITE SPIRITUELLE OU NOTE SUR L’ORGANISATION DE LA RETRAITE DES RETRAITANTS DE FARḤĀT ... 43

4. CONCLUSION ... 48

CHAPITRE II : LA RETRAITE SPIRITUELLE DANS LES ÉCRITS DE QARA‘ALĪ ET DE FARḤĀT ... 49

1. MODÈLE DES RETRAITANTS ... 49

(6)

vi

1.1.1. La relation intime à Dieu ... 50

1.1.2. La conformité de la volonté humaine à la volonté divine ... 52

1.1.3. La pénitence ... 54 1.1.4. La solitude ... 56 1.2. LA RETRAITE PRIVÉE ... 58 1.2.1. La conscience et la lecture ... 58 1.2.2. La droiture d’intention ... 62 1.2.3. Le discernement ... 64 1.2.4. Le directeur spirituel ... 66

2. LA RETRAITE SPIRITUELLE OU NOTE SUR L’ORGANISATION DE LA RETRAITE DES RETRAITANTS ... 68

2.1. DIFFÉRENTS ÉLÉMENTS DE LA RETRAITE SPIRITUELLE OU NOTE SUR L’ORGANISATION DE LA RETRAITE DES RETRAITANTS ... 69

2.1.1. Qu’est-ce qu’une retraite spirituelle ? ... 69

2.1.2. La perfection chrétienne, but de la retraite spirituelle... 71

2.1.3. Le retraitant et le directeur spirituel ... 76

2.1.4. Des consignes sur les divisions de la journée dans la retraite ... 79

2.2. LA VIE DE LA PRIÈRE DANS LA RETRAITE ... 80

2.2.1. La prière mentale et ses difficultés ... 82

2.2.2. Le thème et la lecture dans la retraite ... 84

2.2.3. Les stades de la retraite ... 89

3. CONCLUSION ... 93

CHAPITRE III : CARACTERISTIQUES ET ACTUALISATION DE LA RETRAITE SPIRITUELLE DANS L’OLM... 94

1. DÉFINITION DE LA RETRAITE SPIRITUELLE SELON QARA‘ALĪ ET FARḤĀT, ESSAI DE SYNTHÈSE ... 96

1.1. LA RETRAITE SPIRITUELLE ... 96

1.1.1. Sa nature et son sens ... 96

1.1.2. Le cadre ascétique ... 97

1.1.3. Le but : Discernement et conformité à la volonté divine ... 98

1.1.4. La division du travail durant la retraite ... 99

1.2. LE RETRAITANT ... 101

1.2.1. Sa tâche ... 101

1.2.2. La prière ... 102

1.2.3. La lecture spirituelle ... 103

1.2.4. Les stades de sa progression spirituelle ... 104

1.3. LA DIRECTION SPIRITUELLE ... 107

1.3.1. Le directeur spirituel ... 107

1.3.2. Les enseignements ... 109

2. LA RETRAITE SPIRITUELLE AUJOURD’HUI ... 111

(7)

vii

2.1.1. La retraite spirituelle dans Le rapport général des visiteurs apostoliques auprès des

trois Ordres religieux maronites ... 111

2.1.2. La retraite spirituelle dans Kitāb al-adab al-ruhbānī (Le traité de la morale monastique) ... 112

2.1.3. Une définition de la retraite spirituelle dans Lumières monastiques ... 113

2.1.4. Al-dalīl ilā al-riyāḍah al-rūḥīyah al-sanawīyah (Le guide de la retraite spirituelle annuelle en 2015) ... 114

2.2. QUELQUES DÉFIS PERMANENTS ... 115

2.2.1. Défis d’ordre personnel ... 116

2.2.2. Défis d’ordre social et culturel ... 117

2.2.3. Défis d’ordre monastique ... 119

2.3. DIFFÉRENTES PERSPECTIVES DE LA RETRAITE DANS L’OLM ... 120

2.3.1. La retraite et l’ermitage ... 120

2.3.2. La retraite et la Parole ... 122

2.3.3. La retraite et la pastorale ... 123

3. CONCLUSION ... 125

CONCLUSION GENERALE ... 126

ANNEXE I : MODÈLE DES RETRAITANTS DE QARA‘ALĪ (MRQ) ... 129

ANNEXE II : LA RETRAITE SPIRITUELLE DE FARḤĀT (RSF) ... 133

ANNEXE III : TABLEAU SYNOPTIQUE DES HOMÉLIES, MÉDITATIONS ET THÈMES DE LECTURE DE LA RETRAITE SPIRITUELLE DE FARḤĀT ... 157

(8)

viii

Tableau du système de translittération

De l’alphabet arabe en caractères latins : DIN 316351

1 DIN 31635 est une norme allemande recommandée dans les publications scientifiques en France.

Lettres arabes Nom Translittération

ء hamza ʼ ا ʼalif ā ب bāʼ b ت tāʼ t ث ṯāʼ ṯ ج ǧīm ǧ ح ḥāʼ ḥ خ ẖāʼ ẖ د dāl d ذ ḏāl ḏ ر rāʼ r ز zayn z س sīn s ش šīn š ص ṣād ṣ ض ḍād ḍ ط ṭāʼ ṭ ظ ẓāʼ ẓ ع ‘ayn ‘ غ ġayn ġ ف fāʼ f ق qāf q ک kāf k ل lām l م mīm m ن nūn n ه hāʼ h و wāw w

ū (s’il s’agit d’une voyelle longue)

ي yāʼ

y

ī (s’il s’agit d’une voyelle longue)

(9)

ix

Abréviations et sigles

DDC Dictionnaire de droit canonique

DS Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique : doctrine et histoire DTC Dictionnaire de théologie catholique

LG Lumen Gentium

MRQ Le Modèle des retraitants de Qara‘alī

OLM Ordre libanais maronite

PC Perfectae Caritatis

RSF La Retraite spirituelle de Farḥāt

SO Spiritualité orientale

(10)

x

(11)

xi

Si tu veux vraiment être tranquille, va-t’en maintenant dans le désert intérieur…

(12)

xii

Remerciements

Mes actions de grâce s’élèvent d’abord vers Dieu qui me donne la vie et la faveur d’apprendre davantage sur Lui. Je remercie ensuite, de tout cœur, tous ceux et celles qui ont eu la gentillesse de m’aider à mener à bon terme ce mémoire.

Je suis très reconnaissante à madame Elaine Champagne qui a dirigé de main de maître mon projet par ses conseils méticuleux et sa vision pertinente.

Je traduis également mon remerciement au personnel de la Faculté de théologie et de sciences religieuses (Université Laval), spécialement au doyen Gilles Routhier, au directeur de programme François Nault, à madame Monique Cardinal et à monsieur Etienne Pouliot, qui ont eu la bienveillance de me seconder.

Un grand merci ne suffit point pour reconnaître la bonté des Sœurs du Bon-Pasteur de Québec qui m’ont accueillie généreusement comme l’une des leurs. Un merci tout spécial va à sœur Béatrice Lessard.

À ma supérieure générale Sonia Ghossein et à ma communauté du monastère saint Simon-le-stylite (Ayto-Liban), mes sincères remerciements pour m’avoir fait confiance et encouragée à poursuivre mes études.

Mes chaleureux remerciements vont également à ceux qui m’ont accompagnée au long de ce travail notamment les pères Salim Daccache, Elias Hanna, Elie Azzi et Guy Sarkis, sœur Marana Saad, madame Roula Hadchiti et ma sœur Marie-Thérèse Elia qui m’a amicalement soutenue dans la traduction des textes.

Toutes les personnes que je n'ai pas pu nommer, je les prie de trouver ici l’expression de ma profonde gratitude.

(13)

1

Introduction générale

La personne humaine éprouve de temps en temps le besoin de goûter un moment privilégié de silence et de solitude afin de prendre du recul par rapport à son quotidien, de faire un discernement, ou, chez les croyants, tout simplement de satisfaire le désir d’être davantage avec Dieu. Il s’agit de « la retraite spirituelle », un temps de rupture et d’approfondissement de la foi.

La retraite spirituelle est un exercice important pour tout humain et encore davantage pour tout religieux : « Faire retraite, chose enracinée dans la psychologie humaine, fondée en doctrine et traditionnelle, est aujourd’hui un exercice spirituel obligatoire pour le clergé séculier et les religieux dans un certain nombre de circonstances codifiées2 ».

Le présent travail traite de la retraite spirituelle dans l’Ordre libanais maronite (OLM) 3 à la

lumière des écrits de deux de ses cofondateurs ‘Abd Allāh Qara‘alī et Ğibrāyil Farḥāt. Ce thème bien qu’important n’a jamais été profondément exploré.

1— Motif et but de la recherche

Ma recherche puise sa motivation dans le cadre précis de mon engagement religieux. J’appartiens, en effet, à l’OLM fondé dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Les

cofondateurs ont réussi à introduire pour la première fois l’institutionnalisation dans la vie monastique traditionnelle au Liban. Ils ont persévéré « dans la recherche de la vie monastique avec joie et force4 ». Cette institutionnalisation a été bénéfique et a exercé une grande

influence pendant environ trois siècles.

2 Manuel Ruiz Jurado, « Retraites spirituelles », dans DS, t. XIII, Paris, Beauchesne, 1988, col. 433. 3 Ordre libanais maronite : désormais désigné par le sigle OLM.

4 Abdallah Qara’alī, Mémoires de Abdallah Qara’alī. Fondateur de l’Ordre Libanais Maronite. Archevêque

(14)

2

Après le concile Vatican5, le monachisme maronite a traversé une crise d’identité qui s’est

exprimée par un vide spirituel et charismatique. Depuis Vatican II, la spiritualité du monachisme maronite est devenue objet de recherches scientifiques sérieuses. Plusieurs efforts ont été déployés pour renouveler les Règles, la liturgie, la musique, l’art sacré et d’autres domaines. Jusqu’à présent, les moines et les moniales de l’Ordre tendent sans cesse vers un renouveau de la vie monastique tout en restant fidèles à l’esprit de Qara‘alī et de ses compagnons. Leur projet de réforme est axé autour de la prière, du silence, du travail, du service et de la vie commune6. Jusqu’à présent, la question des retraites spirituelles n’a pas

encore été explorée. Mon intérêt de recherche s’inscrit dans le cadre du renouveau de la spiritualité de mon Ordre, et spécialement celui des retraites spirituelles.

La pratique des retraites spirituelles remonte loin dans l’histoire du monachisme proche-oriental, et elle a pris différentes formes et adaptations d’autant plus qu’elle est essentielle à toute vie religieuse et communautaire. Jadis, toute la vie religieuse constituait une forme de retraite, alors que la retraite spirituelle proprement dite constituait une période plus intensive. Qara‘alī et Farḥāt, deux des cofondateurs de l’OLM ont réformé le monachisme maronite et ont manifesté un large intérêt pour la retraite spirituelle qui fut intégrée dans les Constitutions. Ils ont aussi développé ce thème dans leurs écrits. De nos jours, la retraite reste un temps fort nécessaire pour la vie spirituelle et quotidienne des moines et des moniales. Elle est une occasion privilégiée offerte à ces derniers afin de rompre avec leur quotidien et de consacrer quelques jours à la prière et à la réflexion.

La pratique de la retraite spirituelle dans l’OLM, bien qu’elle ait subi quelques changements en fonction des réalités contemporaines, reste, selon l’intuition de départ, un temps privilégié d’intimité avec Dieu.

5 « Le souhait de réformer la vie monastique conformément au besoin de l’Eglise catholique [les tendances

romaines, de l’époque, penchaient à aligner, au maximum, la discipline des Eglises orientales sur celle de l’Eglise latine tout en maintenant leur particularité liturgique] et les exigences du temps était un long projet entretenu par le Saint-Siège depuis Vatican I jusqu’au Vatican II ». Voir Elie Azzi, « les moines maronites et le Saint-Siège » [https://www.academia.edu/13947880/Les_moines_maronites_et_le_Saint-Siège] (consulté le 11 mai 2016).

6 Voir Marana Saad, « La physionomie monastique de l’Ordre Libanais Maronite à la lumière de ses règles

(15)

3

Ce travail se veut un approfondissement de ce sujet important ; sujet très peu abordée dans les documents de l’Église maronite et de l’OLM. De ce fait, il mettra en lumière un héritage fascinant qui dévoile la spiritualité et les principes de la retraite spirituelle dans le monachisme maronite. Cette richesse ne pourrait qu’être bénéfique aux moines et aux moniales de l’OLM, en vue de les soutenir dans une fidélité créatrice à leur tradition. Ce retour à l’héritage commun se veut une invitation aux moines et moniales de cet Ordre à qui ce travail s’adresse en premier lieu. En portant leur regard sur le rocher dans lequel ils ont été taillés7, les membres de l’OLM s’adonneront mieux à cet exercice. Toutefois, ce travail

s’adresse également à tous les fidèles de l’Église maronite et à toute personne intéressée.

2— Description de la recherche

Qu’est-ce qui caractérise la retraite spirituelle dans l’OLM, à la lumière des écrits de ses cofondateurs, et quelles en sont les perspectives actuelles ? Telle est la question posée dans ces pages. D’ailleurs, le titre du travail : « La retraite spirituelle dans l’Ordre libanais maronite selon ses cofondateurs Qara‘alī et Farḥāt, caractéristiques et actualisations » résume parfaitement le contenu de cette recherche. Je propose d’en définir les termes comme suit : – La retraite spirituelle : Le Dictionnaire de spiritualité définit la retraite spirituelle comme « un exercice spirituel qui implique une rupture avec le régime de vie ordinaire, un cadre plus ou moins isolé, silencieux et paisible, en vue de faciliter une rencontre avec Dieu au sein d’une expérience spirituelle plus ou moins intense8 ». C’est un exercice spirituel obligatoire

pour le clergé et les religieux, ajoute le dictionnaire. Certains instituts de vie consacrée prescrivent une retraite annuelle de huit jours, et d’autres des récollections mensuelles. Vatican II recommande également la retraite spirituelle aux laïcs engagés dans l’apostolat et aux prêtres9.

La retraite spirituelle est pratiquée par des personnes non religieuses comme exercice spirituel communautaire de sagesse humaine où l’on se retire pour prendre du recul, juger sereinement et se concentrer, d’autant qu’elle existe dans différentes traditions religieuses.

7 Voir Is 51, 1. Dans ce travail, les citations bibliques proviennent de la Traduction œcuménique de la Bible

(TOB).

8 M. Ruiz Jurado, « Retraites … », col. 423. 9 Voir M. Ruiz Jurado, « Retraites … », col. 433.

(16)

4

En effet, dans le contexte islamo-chrétien du Proche-Orient, nous remarquons que les musulmans prennent des temps de retraites spirituelles qu’ils nomment i‘tikāf 10. Toutefois,

les chrétiens, à l’exemple des prophètes et de Jésus, ont vécu la retraite spirituelle comme une occasion de rencontre plus profonde avec Dieu11.

Différentes formes de retraite ont surgi selon le contexte, le lieu et les besoins. En effet, à partir du IIIe siècle, les catéchumènes faisaient des retraites qui duraient six semaines en

Occident et huit en Orient afin de se préparer au baptême. Par la suite, avec l’institution du carême au IVe siècle, l’ensemble de la communauté chrétienne faisait une retraite12. Avec le

temps, la retraite fut pratiquée pour des buts différents et dans diverses occasions (la préparation de grandes fêtes ou la préparation aux prises d’habits et aux professions religieuses, etc.). Il y a aussi des retraites adaptées à la vie populaire avec catéchèses, chants et commentaires d’Évangile13. Depuis les temps modernes, surtout en Occident, les Exercices

Spirituels d’Ignace de Loyola ont marqué l’histoire de la pratique des retraites spirituelles en aidant les fidèles à ordonner leur vie et à l’orienter dans tous ses aspects selon la volonté de Dieu recherchée et reconnue à travers l’expérience spirituelle personnelle14.

En outre, dans le bassin méditerranéen, la retraite spirituelle avec les premiers moines du désert du Sinaï a revêtu le sens fort du retrait radical. Elle a évolué de façon singulière chez les syro-maronites. Cette évolution sera développée au premier chapitre.

– L’Ordre libanais maronite : Le dictionnaire de droit canonique qualifie d’Ordre le groupement de religieux dans lequel sont prononcés les vœux solennels15. L’OLM est un

10 « Le Prophète [Muḥammad] (paix et bénédictions d’Allah sur lui) faisait l’i’tikaf durant les dix derniers jours

de Ramadan jusqu’à ce qu’Allah le fasse mourir puis ses épouses ont fait l’i’tikaf après lui. » [Boukhâri +870]. Voir Ahmed El-Shaf’ei, « [Série du Ramadan] I’tikaaf : La Retraite Spirituelle [http://musulmanproductif.com/ramadan-productif/serie-du-ramadan-itikaaf-la-retraite-spirituelle]

(consulté le 15 septembre 2016).

11 Voir M. Ruiz Jurado, « Retraites … », col. 423. 12 Voir M. Ruiz Jurado, « Retraites … », col. 424. 13 Voir M. Ruiz Jurado, « Retraites … », col. 430. 14 Voir M. Ruiz Jurado, « Retraites … », col. 426.

15 Voir Raoul Naz, « Ordres Religieux », dans DDC, t. VI, Paris, Letouzey et Ané, 1957, col. 1166. Voir aussi

« Les ordres et les congrégations » dans Code des canons des Églises orientales, titre XII, chap. I, art. III, can. 504, §1 : « L’ordre est une société érigée par l’autorité écclésiastique compétente, dans lequel les membres, même s’ils ne sont pas moines, émettent une profession qui est équiparée à la profession monastique ».

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5

Ordre monastique. Les moines (du grec monachos) ou moniales (monialis), sont des ascètes célibataires qui habitent dans un monastère (monasterium), séparés du monde16. Le

cofondateur de l’OLM, ‘Abd Allāh Qara‘alī, note dans ses mémoires que « les moines seraient appelés Libanais par rapport au Mont-Liban, comme les moines Carmes s’appellent Carmélites17 », il donna à l’Ordre de moines le nom d’« Ordre libanais », afin qu’ils

transmettent leur spiritualité dans les monastères libanais maronites. En effet, l’Ordre appartient à l’Église Maronite, une Église catholique de rite oriental dont le berceau est situé au monastère Saint Marūn, aux environs d’Antioche. Selon Théodoret de Cyr18, Mārūn, qui

serait mort vers l’an 410, menait une vie de pénitence et de prières. L’austérité de sa vie et ses miracles le rendirent célèbre. Un bon nombre d’ermites de Syrie étaient de ses disciples. Ces moines-solitaires et leurs fidèles, persécutés en raison de leur foi chalcédonienne, ont élu un patriarche à Antioche après que le Siège de ce patriarcat soit resté longtemps vacant et se sont établis au Liban à partir du VIIe siècle. L’ensemble de l’Église maronite a par la suite

évolué dans un climat monastique. Sa langue liturgique est le syriaque.

L’OLM s’inspire de la spiritualité de l’Église maronite syriaque d’Antioche. Il a été fondé en l’an 1695 par quatre moines d’Alep — Ǧibrāyil Ḥawwā, ‘Abd Allāh Qara‘alī, Yūsif al-Bitn et Ǧibrāyil Farḥāt — qui ont voulu renouveler la vie monastique au sein de l’Église maronite19.

– Les cofondateurs ‘Abd Allāh Qara‘alī et Ǧibrāyil Farḥāt : Pour aborder le thème de la retraite spirituelle dans l’OLM, je retourne aux sources et à l’inspiration originelle20 des

cofondateurs de l’Ordre à travers deux écrits qu’ils ont livrés sur ce thème : Le Modèle des

retraitants21 de Qara‘alī et La retraite spirituelle ou Note dans l’organisation de la retraite

16 Voir Émile Jombart, « Monastère », dans DDC, t. VI, Paris, Letouzey Et Ané, 1957, col. 928. 17 Voir A. Qara‘alī, Mémoires de …, p. 92.

18 Voir Théodoret de Cyr, Histoire des moines de Syrie II, Paris, Cerf (coll. Sources chrétiennes 257), 1979, p.

28-33.

19 Règles et constitutions de l’OLM, 2012, chap. I, 1er titre, art. 1.

20 Voir Concile Vatican II, Décret conciliaire Perfectae Caritatis, n2, § 1.

21 Voir ‘A. Qara‘alī, « Modèle des retraitants », dans Būlus Qara’alī, al-la’āli’ fī ḥayāt al-muṭrān ‘Abd Allāh

Qara‘alī (Les perles dans la vie de Mgr ‘Abd Allāh Qara‘alī) ; 1672-1742, t. III, Liban, Imp. Al-‘alam, 1950,

p. 610-613). J’ai traduit le Modèle des retraitants puisqu’il constitue une partie essentielle de mon corpus, voir Annexe I, MRQ.

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des retraitants22 de Farḥāt. La présentation des auteurs et des œuvres sera développée plus

loin23.

– Caractéristiques et actualisation : Une bonne compréhension de la retraite spirituelle exige l’explication de ce concept en en précisant les caractéristiques et les nuances, c’est-à-dire, en montrant ses traits distinctifs. Une fois que les caractéristiques de la retraite sont définies, il est possible d’en vérifier l’actualité, voire de les adapter en les confrontant aux défis d’aujourd’hui afin de retenir ce qui est bon24.

3— Méthodologie du travail

La présentation de la retraite spirituelle dans son sens primitif anachorétique jusqu’à son introduction dans l’OLM, selon une approche historique d'interprétation des données, fait l’objet du premier chapitre. C’est un exposé succinct, dans lequel je me suis arrêtée davantage sur les particularités qui serviront de cadre ou de repères à la recherche. Les seuls détails historiques traités montrent la signification de la retraite spirituelle depuis la naissance de la vie monastique avec l’anachorétisme oriental jusqu’à l’érémitisme dans l’Église maronite au Liban. Ensuite je présente l’histoire et la spiritualité de l’OLM et la place qui est donnée à la retraite spirituelle dans cet Ordre. Suit une présentation de la spiritualité de l’Ordre. Dans une dernière partie, je présente les deux cofondateurs et leurs écrits sur le thème de la retraite spirituelle.

Le deuxième chapitre constitue une lecture théologique critique de ces écrits afin d’en montrer le fonctionnement, d’en déchiffrer le message et d’en dégager les caractéristiques et la spiritualité de la retraite spirituelle. Je n’aborde donc pas les sources de ces textes et je me limite à l’étude de ce qu’écrivent les auteurs sur la retraite spirituelle et ses caractéristiques. Le dernier chapitre comprend une présentation qui fait appel à une approche de méthodologie comparative, elle se veut un essai de synthèse des principaux éléments de la retraite spirituelle

22 Voir Ǧirmānūs Farḥāt, Al-riyāḍah al-ruḥīyah aw al-ḥāšīyah fī tadbīr riyāḍat al-mutarawwiḍīn (La retraite

spirituelle ou la note dans l’organisation de la retraite des retraitants), présenté et commenté par Salīm

Dakkāš, Lubnān, Bayrūt, Dār al-mašriq, 2001. J’ai traduit l’introduction et la première partie de cette œuvre, qui constitue également une partie essentielle de mon corpus, voir Annexe II, RSF.

23 Voir plus bas, p. 39-48. 24 Voir 1Th 5, 21.

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7

à partir des deux écrits de Qara‘alī et de Farḥāt. Je relève ensuite quelques défis et obstacles qui concernent généralement la pratique de la retraite aujourd’hui. Je propose enfin quelques perspectives sur la retraite spirituelle actualisée pour l’OLM.

Après une conclusion générale, je fournis en annexe, une traduction française des deux sources de base étudiées afin d’en simplifier l’exposition et de permettre au lecteur un meilleur suivi. Il est important de souligner que ces traductions ont tenté d’être fidèles aux textes sachant que chaque langue a son génie. Elles ont été faites par moi-même et par Marie-Thérèse Elia (Master en philologie de l'Institut Catholique de Paris, doctorante en Théologie patristique au Centre Sèvres - Facultés Jésuites de Paris).

Cette recherche se base principalement sur les écrits respectifs de Qara‘alī et de Farḥāt : le

Modèle des retraitants et La retraite spirituelle ou Note dans l’organisation de la retraite des retraitants. En plus de ces deux écrits, j’ai cherché dans les bibliothèques des textes qui

se rapportent à la retraite spirituelle selon la spiritualité maronite, sans pour autant trouver quelque chose de consistant. Toutefois, pour élaborer chaque partie de ce travail, j’ai examiné les autres écrits des cofondateurs. J’ai aussi consulté des thèses, des revues et divers ouvrages historiques, monastiques et spirituels à l’Université Saint-Esprit, USEK (Kaslik-Liban), à l’Université Saint-Joseph, USJ (Beyrouth-Liban) en plus de L’Université Laval (Québec-Canada). Enfin, j’ai tiré profit de l’expérience de plusieurs personnes portées vers ce domaine et vers celui de la vie monastique surtout celles qui ont fait des recherches ou des éditions des œuvres des auteurs concernés.

J’espère que cette étude atteindra son objectif, celui d’offrir aux moines et aux moniales de l’OLM un éclairage, « une lanterne », qui illuminera leur vision, les aidera à mettre en pratique la retraite spirituelle selon les intuitions des cofondateurs, et embrasera chez eux la flamme du désir de vivre la retraite selon cette même spiritualité.

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8

Chapitre I : L’évolution de la retraite spirituelle et son

insertion dans l’OLM

La retraite spirituelle a été vécue de différentes façons au fil de l’histoire, surtout dans les mouvements religieux. Je cherche, dans ce premier chapitre, à retracer le fil conducteur de la retraite spirituelle dans le monachisme syriaque et maronite en apportant des indications que j’espère suffisantes pour introduire ce travail, afin de parvenir à sa pratique dans l’OLM. Ce retour dans l’histoire n’a pas pour but de « cultiver des nostalgies inutiles, mais bien plutôt de parcourir à nouveau le chemin des générations passées pour y cueillir l’étincelle inspiratrice, les idéaux, les projets, les valeurs qui les ont mues, à commencer par les Fondateurs, par les Fondatrices et par les premières communautés25 ». Ce parcours du passé

nous permet de redécouvrir les aspects essentiels de notre spiritualité telle que vécue dans la retraite spirituelle.

Il sera nécessaire, dans ce but, de nous arrêter sur la vie anachorétique en tant que retrait du monde pour être seul avec Dieu, notamment sur saint Antoine, père des moines et patron des moines maronites, ensuite sur les syriaques en général et les maronites au Liban en particulier. J’aborde par la suite la retraite spirituelle dans l’OLM selon sa spiritualité, pour arriver, en dernier lieu, à faire une présentation des deux cofondateurs Qara‘alī et Farḥāt et de leurs écrits qui seront analysés dans le deuxième chapitre.

1. La retraite spirituelle et la vie anachorétique

La retraite spirituelle et la vie anachorétique26 furent historiquement liées dans la tradition

chrétienne du fait que les deux font référence au retrait du monde. Le rapport entre solitude du désert et pauvreté spirituelle fut métaphoriquement accentué au cours de l’histoire27 et

désigne la disposition nécessaire à l’accueil du Seigneur. Déjà, pour le peuple juif, le désert représentait le lieu et le temps de l’expérience de Dieu, cristallisée dans le récit de l’Exode.

25 Pape François, Lettre apostolique À tous les consacrés à l’occasion de l’année de la vie consacrée, 21

novembre 2014, n1, § 3.

26 Les Anachorètes ou les ermites sont des religieux qui vivent seuls, en dehors de toute communauté religieuse.

Leur genre de vie est, avec celui des ascètes, la première forme connue de la vie religieuse (voir Hippolyte Hemmer, « Anachorètes », dans DTC, t. I, vol. A, Paris, Letouzey et Ané, 1909, col. 1134-1142).

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Vers le VIe siècle (av. J-C.), Isaïe prophétisait : « Dans le désert dégagez un chemin pour le

Seigneur28 ». Jean-Baptiste en fut l’écho : « Une voix crie dans le désert : préparez le chemin

du Seigneur, rendez droits ses sentiers29 ».

Aussi plusieurs personnes ont-elles désiré la vie retirée dans des lieux solitaires à l’exemple des prophètes et surtout à l’exemple de Jésus dont les enseignements sont à la base de cette vie ascétique.

Après la christianisation de l’Empire Romain, la retraite était radicalement poursuivie comme une recherche eschatologique dans cette tension entre le « déjà là » et le « pas encore », en toute confiance en la seconde parousie30 ; le phénomène monastique n’était-il pas considéré

comme l’héritier de la période des martyrs dans l’Église ?

La vie monastique répandue au Moyen-Orient à partir le IIIe siècle était caractérisée par la

mise à l’écart, le désir d’être seul pour s’unir à Dieu31. Nous reconnaissons principalement le

modèle égyptien dont les promoteurs furent Antoine et Pacôme, le modèle cappadocien avec les règles cénobitiques de saint Basile32 en Cappadoce et le modèle mésopotamien ou

syriaque influencé par les écrits d’Éphrem et d’Aphraate le Sage persan dans le monde syriaque, et dont la figure la plus célèbre est St Maroun (+410) avec ses disciples33. Ces trois

modèles ont influencé le monachisme maronite qui associe singulièrement la vie érémitique à la vie communautaire et à la vie pastorale sans empêcher toutefois la vie solitaire.

Se mettre à l’écart, éloigné du monde dans le silence, faisait partie intégrante de ce mode de vie. Le motif surnaturel de ce choix de vie était le désir de suivre les conseils évangéliques, de s’unir plus étroitement à Dieu.

28 Isaïe 40, 3.

29 Luc 3, 4b.

30 Voir Angelo Di Berardino (dir.), « Eschatologie », dans Dictionnaire encyclopédique du christianisme

ancien, Paris, Cerf, 1990, p. 850.

31 Voir Pierre Massein, « Monachisme », dans DS, t. X, Paris, Beauchesne, 1980, col. 1524-1537.

32 Ces Règles ne tolèrent pas la vie anachorétique, pourtant l’aspiration de saint Basile à la vie au désert, il la

réalisera à la fin de sa vie où il pourrait enfin vivre solitaire : J’ai quitté les occupations de la ville, comme cause de mille maux, mais je n’ai pu encore me quitter moi-même […] la solitude a l’avantage d’endormir les passions » (voir Saint Basile, « Lettre à G. de Naziance », dans Michel Jourdan, Vivre en solitude, Paris, le Relié, 2013, p. 183).

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1.1. La retraite spirituelle, étymologie et définition

Dans son sens étymologique, une retraite signifie le fait de se retirer du monde34. Ce sens est

désigné en langue latine par rěcessǔs35 ou sēcessǔs36, équivalent au terme grec άναχώρησις37,

action de se retirer du monde dans un lieu de retraite. Dans l’Égypte gréco-romaine, les gens qui fuyaient dans les déserts pour échapper à un certain régime politique et social ont été nommés anachorètes38. L’intention première de l’érémitisme était une sorte de retrait du

monde ; l’ermite ou έρημίτης39 est celui qui aime la solitude et vit dans le désert retiré du

monde, même si la vie au désert se développe par des groupements d’ermites. Ce paradoxe se retrouve aussi dans le terme « moine » du grec μοναχός40 qui signifie celui qui vit seul et

désigne plus tard le religieux au sein d’une communauté41. Avec le temps, le terme ermite

est utilisé plus fréquemment pour parler des reclus. Toutefois, au Moyen-Orient, tout moine doit tendre à cette séparation du monde, voire l’hésychia42.

La retraite est, en général, « un exercice spirituel qui implique une rupture avec le régime de la vie quotidienne, un cadre plus ou moins isolé, silencieux et paisible en vue de faciliter une rencontre avec Dieu au sein d’une expérience spirituelle intense43 ». La retraite spirituelle

nous est donc présentée comme phénomène d’érémitisme une recherche de la solitude avec Dieu.

34 Bloch Oscar et Walther Von Wartburg, « Retraite », dans Dictionnaire étymologique de la langue française,

Paris, PUF, 2008, p. 552.

35 Voir Flobert Gaffiot, « Rěcessǔs », dans Le Grand Gaffiot. Dictionnaire Latin-Français, Paris, Hachette,

2000, p. 1336.

36 Voir F. Gaffiot, « Sēcessǔs », dans Le Grand Gaffiot. Dictionnaire Latin …, p. 1429.

37 Anatole Bailly, « άναχώρησις », dansDictionnaire grec francais, Paris, Hachette, 2000, p. 147. 38 Jacques Lacarrières, Les Hommes ivres de Dieu, Paris, Points (Sagesses 33), [1975] 2008, p. 14.

39 Voir Anatole Bailly, « έρημίτης », dans Dictionnaire grec …, p. 802. Voir aussi Pierre Chantraine, « έρήμος »,

dans Dictionnaire étymologique de la langue grecque : histoire des mots, Paris, Klincksieck, 2009. p. 353.

40 A. Bailly, « μοναχός », dans Dictionnaire grec …, p. 1295. 41 Voir J. Lacarrières, Les Hommes ivres …, p. 14.

42 Selon Évagre le pontique (IVe s.), premier systématicien de la pensée ascétique chrétienne, et selon selon

Isaac le syrien, l’hésychia désigne la solitude dans le silence à l’écart du monde, et le repos en Dieu (Pierre, Adnès, « Hésychasme », dans DS, t. VII, Paris, Beauchesne, 1969, col. 381- 400. Voir aussi Ysabel de Andia,

Mystiques d’Orient et d’Occident, Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de Bellefontaine (coll. SO 62), 1994, p.

79).

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1.2. L’anachorétisme oriental, une retraite permanente

Le commencement de la vie monastique au IVe siècle est attribué à trois jeunes égyptiens,

Athanase, Antoine et Pacôme : le premier est évêque et théologien, le second anachorète et le troisième, abbé d’un monastère cénobitique. La confiance mutuelle qui régnait entre ces trois personnes fut d’une importance particulière pour leur génération et pour l’Église universelle44, afin d’intégrer le monachisme dans l’organisme ecclésial. Je mentionne cette

triade de saints, parce que j’y vois une figure, de ce qui couve dans l’être profond du moine ou de la moniale de nos jours : le désir de la connaissance qui nous renvoie à Athanase, la tendance à la solitude à la suite d’Antoine et le besoin communautaire ou social inspiré par Pacôme. À vrai dire, chacune de ces trois composantes constitue un défi à relever. Cependant, vécues ensemble, elles garantissent une harmonie particulière à l’être humain.

La vie de saint Antoine45, père des moines, est devenue un classique idéal de la vie spirituelle.

Les paroles de l’Évangile qui la résument firent de lui un grand témoin de la vie monastique : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis, viens, suis-moi !46 ».

Obéissant à cette parole, pourvoyant toutefois aux besoins de sa sœur, Antoine se retira d’abord dans l’étable de son ancienne maison, dans un tombeau près du village, puis il s’établit dans le désert où il aimait la douceur de la solitude47. Plus tard, le Seigneur lui

demandera d’aller encore plus loin : « Si tu veux vraiment être ermite, va dans le désert intérieur48 ».

44 Derwas J. Chitty, Et le désert devient une cité. Une introduction à l’étude du monachisme égyptien et

palestinien dans l’Empire chrétien, Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de Bellefontaine (coll. SO 31), 1980,

p. 24.

45 Antoine, saint ermite, né vers 250, mort vers 350. Il fut le grand maître de la vie anachorétique. Sa doctrine

est pleine de sagesse et de prudence, elle évite toute exagération, et repose sur le détachement intérieur. Son influence était considérable en Orient et en Occident. (G. Bardy, « Antoine », dans DS, t. VII, Paris, Beauchesne, 1969, col. 702-708. Voir aussi Athanase d’Alexandrie, Vie d’Antoine, Paris, Cerf (éd. Bartelink, Gerhardus Johannes Marinus, coll. SC 400), 1994, 1. Voir aussi Jacques Lacarrières, Les Hommes ivres de

Dieu, Paris, Points (Sagesses 33), [1975] 2008.

46 Mt 19, 21. Voir aussi Athanase d’Alexandrie, Vie d’Antoine …, 2, 3. 47 Athanase d’Alexandrie, Vie d’Antoine …, 50, 1.

48 Saint Athanase, Vie et conduite de notre père saint Antoine, Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de Bellefontaine

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Des ermitages s’élevèrent progressivement autour d’Antoine dans les montagnes. La cellule de l’anachorète devint le noyau autour duquel se forma soit un cœnobium (monastère), soit un groupe érémitique49, et le désert devint une cité de moines50.

Les biographes de ces moines les proposent comme modèles d’édification en relatant qu’ils vivaient en paix avec eux-mêmes, en harmonie avec le monde animal du désert, fixant le regard sur la beauté originelle créée par Dieu, en une parfaite union au corps mystique du Christ qu’est l’Église.

Cette perfection apparaît, pour ces ascètes chrétiens orientaux, comme le retour à la condition naturelle de l’humain avant la chute51. La solitude complète du désert exacerbe la

confrontation de l’homme avec lui-même. Pour Antoine : « Celui qui se tient au désert dans la solitude est libéré de trois combats : de l’ouïe, du bavardage et de la vue. Il n’en a plus qu’un, celui du cœur 52».

Si la vie monastique était considérée à cette époque comme le chemin de perfection chrétienne le plus élevé53, l’érémitisme apparaissait comme le degré suprême, une retraite

permanente : « Il y a un endroit dans le désert intérieur […] À cet endroit se retirent donc ceux qui ont été d’abord formés, qui après les premiers rudiments, veulent mener une vie plus retirée. Le désert est vaste en effet, et les cellules sont séparées entre elles par un espace tel qu’elles ne sont à portée ni de la vue ni de la voix les unes des autres54 ».

La retraite au désert, inaugurée par ces moines, a été le début d’une nouvelle ère de la spiritualité chrétienne55. Les apophtegmes des Pères du désert, la vie de saint Antoine et les

49 Voir H. Hemmer, « Anachorètes », dans DTC …, col. 1134.

50 Vincent Desprez, Le monachisme primitif. Des origines jusqu’au concile d’Éphèse, France,

Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de Bellefontaine (coll. SO 72), 1998, p. 164.

51 Voir D. J. Chitty, Et le désert devient une cité …, p. 29. 52 V. Desprez, Le monachisme primitif …, p. 185.

53 Clément Lialine, « Érémitisme en Orient », dans DS, t. IV, vol. 1, Paris, Beauchesne, 1960, col. 949. 54 V. Desprez, Le monachisme primitif …, p. 279.

55 Voir Adalbert de Vogué, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, t. III, paris, cerf,

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écrits des Pères, montrent que la spiritualité du désert s’appuie sur l’ascèse spirituelle et l’activité cachée, la conversion, la patience, l’humilité et le discernement56.

D’ailleurs, tous ne pratiquaient pas la réclusion de la même manière, ces moines s’ingéniaient à trouver les genres de vie les plus capables de mortifier la nature. On en trouve en Syrie, en Cappadoce, en Mésopotamie et en Palestine. Les uns ne s’enfermaient que pour un temps ou se réservaient la possibilité de sortir dans certaines circonstances ; d’autres, fixant leur demeure dans un endroit plutôt que dans une cellule, s’infligeaient la pénitence de passer leur vie en plein air sans le moindre abri, enfermés dans une étroite enceinte entourée de murs. Quelques-uns s’enfermaient dans une caverne. Une citerne desséchée servit de retraite durant trois ans à Siméon, le futur stylite57.

1.3. L’anachorétisme syriaque des premiers siècles

L'apparition du monachisme n’a pas suivi une ligne continue. On observe sa naissance un peu partout dans le monde méditerranéen. En effet, le monachisme syriaque est né, sans rapport direct avec celui de l’Égypte, sinon de simultanéité, entre les deux. C'est une motivation commune naturelle attirée vers l’idéal évangélique ascétique. Cependant l’influence égyptienne ne tarda pas à s’exercer sur le monachisme syriaque surtout avec la littérature sur la vie de saint Antoine, Pacôme et autres, et avec les pèlerinages des moines58.

Par contre, le monachisme syriaque a été précédé par le prémonachisme :

Les communautés de Mésopotamie, dans les premiers siècles, ont connu comme celles des autres régions, des ascètes, hommes et femmes, qui consacraient toute leur vie au Seigneur et, pour cette raison, renonçaient au mariage ; on les appelait en syriaque îhîdâyê, mot usuel, plus tard pour signifier les moines ; c’est l’équivalent du grec monachoi, le mot désignait d’abord des « solitaires », ainsi appelés, non pas parce qu’ils se retirent dans la solitude, mais simplement parce qu’ils vivent seuls. C’est-à-dire sans être mariés ; ils continuent à vivre au sein de la communauté des fidèles, où leur ascétisme leur vaut un certain prestige. On les appelle alors, notamment Aphraate, qui leur consacre sa VIe

« démonstration », benai, benat qeyâmâ, « fils » et « filles du pacte »59.

56 V. Desprez, Le monachisme primitif …, p. 294-306.

57 Voir H. Hemmer, « Anachorètes », dans …, col. 1138- 1140.

58 Antoine Guillaumont, Études sur la spiritualité de l’Orient chrétien, Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de

Bellefontaine (coll. SO 66), 1996, p. 199.

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Les fils et les filles du pacte ou de l’alliance relèvent du pré-monachisme distingué essentiellement par le renoncement au mariage. Sans se séparer entièrement du monde, ils se dégageaient du soin des choses mondaines, selon le modèle du moine, considéré à cette époque comme type parfait du chrétien60.

Cependant, le monachisme selon la tradition syriaque a commencé le jour où l’ascète s’est séparé du monde pour aller vivre dans la solitude du désert ou des montagnes. Éphrem d’Édesse témoigne de la présence des premiers anachorètes en Mésopotamie qui vivaient dans les cavités des montagnes et se nourrissaient de plantes sauvages61. Théodoret de Cyr

en témoigne aussi dans son « Histoire Philothée »62. En outre, « comme les solitaires

affluaient au désert, l’érémitisme s’est développé et s’est acheminé vers le cénobitisme comme vers sa forme évoluée 63».

Il est important de noter ici que la vie monastique (généralement au sein d’un monastère) a connu deux formes principales : cénobitisme (vie en communauté) et érémitisme (vie en solitude [anachorétisme autrefois]). La différence entre ces deux genres de vie monastique, n’était pas aussi tranchée qu’on le penserait et ne s’est précisée que progressivement. D’une part, la vie anachorétique a donné naissance à la vie cénobitique. D’autre part, ne pourrait parvenir à la vie érémitique que celui qui réussit dans la vie cénobitique64.

Abraham de Cascar ou Abraham le Grand65, fondateur du « grand monastère » au nord de

Nisibe, formé à la vie ascétique parmi les moines de Scété en Égypte, a prescrit des règles monastiques qui furent instrument d’une première réforme monastique dans la région et permettront une évolution de la spiritualité syriaque. Règles qui sont une simple codification

60 Voir Théodoret de Cyr, Histoire des moines de Syrie I. Histoire Philothée I-XIII, Paris, Cerf (coll. Sources

chrétiennes 234), 1977, p. 49.

61 A. Guillaumont, Études sur la spiritualité …, p. 196.

62 Voir l’exemple de Jacques l’ermite dans T. de Cyr, Histoire des moines de Syrie I …, p. 6-193.

63 Georges-Joseph Mahfoud, L’organisation monastique dans l’Église maronite. Étude historique, Beyrouth,

Al-arz, 1967, p. 46.

64 Voir C. Lialine, « Érémitisme en … », col. 950-951

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des préceptes de l’Écriture et de Pères, sans pour autant freiner l’ardeur mystique des moines dans leur conception de la vie monastique66.

Les monastères qui ont suivi les Règles de cette réforme de l’institution monastique syriaque ont offert un remarquable équilibre entre la vie commune et la vie solitaire67.

Les moines syriaques étaient toutefois portés par nature à jouir d’une grande liberté pour tout ce qui concerne la piété personnelle et les exercices de pénitence. Les règles strictes et détaillées de vie ascétique s’avéraient incompatibles avec leur conception de la vie monastique. La seule et unique règle du moine syriaque était l’Écriture sainte. Le succès des règles de Rabbūla, évêque d'Édesse, est dû, en grande partie, au respect de cette liberté du moine syriaque68.

Nous connaissons l’ascétisme syriaque du IVe siècle à travers Aphraate, saint Éphrem69 et le Livre des degrés70. Ce dernier, traité anonyme du début du Ve siècle distingue les fidèles entre

les « justes » qui mènent une vie commune, se marient, possèdent des biens et travaillent, et les « parfaits » qui renoncent à tout, y compris au mariage, pour se consacrer totalement au service de Dieu. De plus, c’est un ascétisme caractérisé par l’apostolat, conséquence de l’amour du Christ : « si vous aimez ardemment Dieu, disait le moine Amion à Eusèbe l’ermite, faites que d’autres l’aiment avec vous71 ».

Cet ascétisme est notamment distingué par un mysticisme pneumatique foncièrement sacramentel et ecclésial72.

66 Voir G.-J. Mahfoud, L’organisation monastique dans …, p. 47. 67 A. Guillaumont, Études sur la spiritualité …, p. 199-200. 68 G.-J. Mahfoud, L’organisation monastique dans …, p. 47.

69 Sebastian Brock, Prière et vie spirituelle. Textes des pères spirituels, Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de

Bellefontaine (coll. SO 90), 2011, p. 23.

70 Livre des degrés ou Liber Graduum, est un livre syriaque des homélies, l’auteur est anonyme mais il est « l’un

des derniers disciples des apôtres », selon l’avant-propos et un des premiers à écrire en syriaque. On estime qu’il a été composé vers l’an 400. Le plus ancien traité avec les Démonstrations d’Aphraate qui soit exclusivement consacré à la vie spirituelle (voir A. Guillaumont, « Liber Graduum », dans DS, t. IX, Paris, Beauchesne, 1976, col. 749-754).

71 Cité par G.-J. Mahfoud, L’organisation monastique dans …, p. 55. 72 Voir A. Guillaumont, Études sur la spiritualité …, p. 193-194.

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1.4. La retraite des semaines

73

(al šelyā d

šabō‘ē

74

) dans la tradition syriaque

La retraite des semaines est un traité important du Dadisho Qatraya75, premier disciple de

Cascar. Šelyā est un terme difficile à rendre en français, mais désigne la solitude et le silence. Il peut être traduit par le terme retraite. En effet :

Il [le terme šelyā] dénote d’abord la quiétude intérieure et le silence, mais parce que ceux-ci sont acquis plus facilement dans une vie en solitude et dans l’isolement, shelyo est devenu tout simplement un synonyme de la vie érémitique, donc d’hidoye. Aussi Bar ‘Ebroyo utilise-t-il ce terme pour traduire les expressions arabes de ‘uzlah et khalwah, deux termes techniques du vocabulaire soufi qui désignent la vie dans l’isolement76.

Dans son traité La retraite des semaines, Dadisho s’adresse à un moine encore novice qui lui demande la manière dont il doit se comporter dans sa cellule durant cette période. Il nous informe sur cette pratique ascétique qui était en usage chez les moines de son époque vers le VIIe siècle. Ceux-ci se retiraient dans la solitude de leur cellule pendant des périodes de

quelques semaines de retraite.

Ce livre distingue six sortes de moines, selon le degré de leur solitude : 1) les cénobites qui mènent en permanence la vie commune dans les monastères ; 2) ceux qui passent la semaine dans leur cellule, et se réunissent, comme le faisaient les moines en Égypte, durant la fin de semaine, pour la liturgie dominicale ; 3) ceux qui pratiquent la solitude des sept semaines ; 4) ceux qui vivent constamment en ermites ; 5) ceux qui mènent une vie itinérante ; 6) les anachorètes qui vivent tout à fait retirés et inconnus du monde77.

73 Voir A. Guillaumont, Études sur la spiritualité …, p. 201. Le traité de la retraite des semaines a été édité par

Alphonse Mingana, Woodbrooke Studies, Cambridge, W. Heffer & Sons limited, t. VII, 1931, p. 71-143 (anglais), p. 201-247 (syriaque).

74 Voir Louis Costaz, Dictionnaire syriaque anglais français arabe, Liban, Beyrouth, Dār el machreq, 2002, p.

369. Voir aussi Robert Payne Smith, A Compendious Syriac Dictionary. Founded Upon the Thesaurus

Syriacus of R. Payne Smith, Oxford, Clarendon press, 1903, p. 580.

75 Voir A. Guillaumont, « Dadišo Qatraya », dans DS, t. III, Paris, Beauchesne, 1957, col. 2-3.

76 Herman Teuley, « Al-Ghazali et Bar ‘Ebroyo. Spiritualités comparées » dans Le monachisme syriaque : du

VIIe siècle à nos jours, vol I, Liban, CERO, 1999, p. 216.

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L’accent n’y est plus sur la continence comme dans le prémonachisme, mais sur la solitude elle-même, la séparation du monde jugée nécessaire pour la perfection chrétienne. La solitude est mesurée par degré.

Trois choses sont, selon Dadisho, requises de celui qui pratique cette forme de retraite. D’abord la rectitude de l’intention : le moine qui s’y engage doit le faire avec un parfait désintéressement, n’ayant en vue que l’amour du Christ et sa contemplation spirituelle. Cette première condition est, pour lui, sans atténuation possible. Les deux autres sont susceptibles d’aménagements. C’est, d’une part, la récitation des prières et de l’office canonique, que le moine peut réduire s’il n’a pas la force de l’accomplir entièrement. D’autre part, le moine reclus a besoin d’un guide qui, à des moments fixés, viendra le voir et s’entretiendra avec lui par la fenêtre de sa cellule ; ce guide lui indiquera par quels moyens il pourra surmonter les épreuves que connaît celui qui vit dans la solitude : l’acédie, c’est-à-dire le découragement qui s’empare du solitaire, et d’autre part, l’effervescence des passions provoquée par les démons.

Mais ces visites du guide seront réduites au minimum : elles auront lieu, sauf cas de nécessité, seulement une fois ou deux durant toute la période des sept semaines. À l’exception de ce guide et aussi du serviteur qui lui apportera ce dont il aura besoin, il ne verra personne, il ne parlera absolument à personne, pendant tout ce temps. Dadisho admet cependant, instruit, dit-il, par sa propre expérience, que cette règle peut être assouplie, chacun n’étant tenu d’agir que selon ses forces, à condition que soit toujours sauvegardée la rectitude de l’intention78.

Rectitude de l’intention, prière et guide spirituel, trois choses retenues dans ce texte pour la pratique de la retraite. Pourtant, la modération pratique se manifeste à travers la note sur l’adoucissement de la règle selon les forces du retraitant, à condition que la rectitude de l’intention soit sauvegardée.

Toujours selon Dadisho, il y a deux vertus qui embrassent toutes les autres et qui permettent de faire progresser tout exercice spirituel, d’acquérir la pureté du cœur et la régulation dans l’exercice de la solitude. Il s’agit de la prière incessante sans distraction et du rejet des pensées des passions lors de leurs apparitions avant qu’elles ne troublent le cœur79.

78 A. Guillaumont, « Christianismes orientaux. Conférence d’Antoine Guillaumont dans l’École pratique des

hautes études, Section des sciences religieuses »

[http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ephe_0000-0002_1977_num_90_86_15331] (Consulté le 28 août 2015, mis à jour le 25 mars 2016).

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Nous constatons donc que les syriaques avaient la coutume de faire des retraites spirituelles. Ils s’y engageaient en cherchant le parfait désintéressement, ayant en vue la contemplation des choses divines et l’amour du Christ. Cet amour explicite, le désir d’être seul avec Dieu dans la pureté du cœur, orientait la retraite.

1.5. L’érémitisme dans l’Église maronite au Liban

Dans son étude sur les ermites dans l’Église maronite, Paul Sfeir80 (olm) montre que la vie

érémitique était en vigueur au Liban avant le VIe siècle et qu’elle s’enracinait dans la tradition

syriaque. Beaucoup de cellules et de grottes taillées dans le rocher formaient des ermitages pour les solitaires qui cherchaient à être inconnus du monde, mais proches de Dieu ; les cavités réparties dans les montagnes libanaises en sont les meilleurs témoins. La tradition populaire accorde à plusieurs lieux le nom de la « demeure des ermites », dans les régions de la Biqā‘, de Firzil, de la Qādīšā et autres81.

D’ailleurs, la communauté maronite doit son nom à Mārūn, un saint ermite qui s’était retiré sur une montagne pour mener une vie de prière et d’ascèse à la manière des moines syriaques. Sa réputation était considérable et il attira beaucoup de disciples qui cherchaient un modèle et un guide spirituel expérimenté. Ces disciples partagèrent sa solitude et sa discipline. Théodoret de Cyr nous apprend que la plupart des solitaires de la région de Cyr s’étaient formés à l’école de Mārūn l’anachorète82.

En outre, Mārūn avait le don des miracles pour la guérison des plus cruelles maladies, jusqu’à délivrer les corps possédés du démon, ce qui favorisait sa célébrité, de sorte que de toutes les parties de la Syrie on accourait à lui83.

Après sa mort, vers l’an 410, son tombeau devint un lieu de pèlerinage. Ses disciples, par la suite, construisirent un monastère en l’honneur de leur maître, le monastère de saint Mārūn, immense édifice entouré de plus de trois cents ermitages habités par les moines. Les fidèles

80 Voir Paul Sfeir, Les ermites dans l’Église maronite-histoire et spiritualité, Liban, USEK, 1986. 81 Voir P. Sfeir, Les ermites dans …, p. 37.

82 Voir P. Dib, « Maronite (Église) », dans DTC, t. X, 1, Paris VI, Letouzey et Ané, 1928, col. 1.

83 Voir Youakim Moubarac (Abbé), Pentalogie antiochienne/domaine maronite, t. I, vol. 1, Liban, Publications

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des sites environnants relevèrent de ce monastère et partagèrent la vie de ses moines. Ce fut le berceau de l’Église maronite84.

À partir du VIIe siècle, les maronites se réfugièrent progressivement au Liban et les moines

y trouvèrent un milieu favorable au recueillement et à la vie austère. Après la chute de Byzance et les conquêtes musulmanes vers le Xe siècle, les maronites persécutés s'installèrent

au Liban85. C’était une période politiquement très chaotique dans la région où la destruction

du monastère de saint Mārūn86 et le transfert de la résidence patriarcale au Liban accélérèrent

ce mouvement d’immigration87. Les maronites se répandirent donc dans le pays des cèdres,

y faisant fleurir ainsi la vie religieuse et cultuelle.

Par ailleurs, l’attrait de la vie monastique libanaise fut décrit par plusieurs pèlerins et missionnaires dans la région. En effet, dans les récits de son voyage en Syrie et au Liban, un journaliste français du XVIIIe siècle, Jean de la Roque nota :

On appelle ce fleuve Nahr Kadisha, c’est à dire le Fleuve Saint, parce que disent les chrétiens maronites, la source est dans une montagne sainte et célèbre dans l’Écriture ; outre que l’une et l’autre montagne qui forment la longue vallée par où il coule sont remplies de grottes, d’ermitages et de chapelles des anciens anachorètes, sans parler des monastères remplis de bons religieux qu’on y voit encore aujourd’hui, toutes choses qui ne respirent que la piété et la sainteté. C’est par les mêmes raisons que cette vallée porte aussi le nom de vallée des Saints88.

Sur le versant nord-est de la vallée de Qādīšā (en syriaque : saint ou sainte), se situe Qannūbīn (en grec : le monastère par excellence), le premier centre de la vie érémitique au Liban, qui par son site prodigieux, attira le plus d’intérêt, et « fut pendant des siècles la maison-mère des ermitages qui peuplèrent les gorges de la vallée » 89. Les moines s’y exerçaient à la vie

anachorétique avant de se retirer dans les grottes de l’entourage.

84 Voir G.-J. Mahfoud, L’organisation monastique dans …, p. 64. 85 Voir P. Dib, « Maronite … », col. 132.

86 Voir Ray Jabre Mouawad, Les maronites. Chrétiens du Liban, Belgique, Brepols, 2009, p. 24. 87 Pierre Dib, Histoire de l’Église maronite, Beyrouth, éditions La sagesse, 1962, p. 71.

88 Jean de la Roque est né à Marseille en 1661. Il était un érudit, linguiste, archéologue, épigraphiste et

numismate, l’un des fondateurs, en 1715, de l’Académie de Marseille (Voir Jean de la Roque, Voyage de

Syrie et du Mont-Liban, Liban, éditions Dār Lahad Khater (coll. Voyageurs d’Orient 1), 1981, p. 17-18).

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Toutes les grottes accessibles qu’on voit dans l’étendue de cette vallée, sur l’un et sur l’autre [sic] 90 du fleuve saint, sont au nombre d’environ huit cents, dans

chacune d’elles un anachorète a fait sa demeure sous l’obéissance et la direction de quelqu’un des monastères, qu’on sait par tradition ou autrement presque tous les noms de ces ermites dont plusieurs ont été massacrés dans leurs cavernes, dans les temps de persécutions, par les ennemis de la foi91.

Beaucoup de maronites ont mené une vie austère, cherchant ainsi à s’identifier toujours plus au Christ crucifié. Loin de se replier sur eux-mêmes, ils sont devenus une bénédiction dans leur Église et dans l’Église universelle.

Même les patriarches étaient parfois élus parmi les ermites. Parmi ces derniers il y a : l’ermite Mẖāʼīl al-Rizzī (1567-1581), l’ermite Sarkīs al-Rizzī (1581-1596) et l’ermite Yūsif al-Rizzī (1596-1608)92. Des hommes solitaires et contemplatifs ont quitté leur solitude et sont venus

assumer des charges pastorales dans l’Église. Dans leur intimité avec Dieu, ils ont croisé leurs frères et ont témoigné que dans le désert il y a à la fois un détachement de soi et une union au Corps du Christ qui est l’Église93.

Cet érémitisme est caractérisé par l’aspiration à l’union à Dieu dans une vie solitaire, conditionnée par une discipline austère. Il est aussi profondément nourri de la Bible et de la célébration eucharistique94 : « Tels furent les ermites maronites, des solitaires passionnés. Ils

aspiraient à posséder Dieu dans leur solitude, à s’unir à Lui et à Le goûter. Caractérisés par cette aspiration toujours intense, ils ont accumulé d’âge en âge et siècle après siècle un patrimoine spirituel très précieux pour les générations futures95 ».

De plus, notons que la vie monastique érémitique a été menée également par des femmes depuis les premières années de l’expansion des Maronites. De ces moniales recluses, Théodoret de Cyr nous relate l’histoire de Marane, Cyre et Domnine96. Les monastères de

femmes se multiplièrent de plus en plus dès le Ve siècle97. Les femmes ermites étaient

90 Nous avons l’impression qu’il manque un mot dans cette phrase, mais la citation est fidèle au texte. 91 J. de La Roque, Voyage de Syrie et du Mont-Liban …, p. 20.

92 Voir P. Sfeir, Les ermites dans …, p. 145, 163, 169. 93 Voir P. Sfeir, Les ermites dans …, p. 171.

94 Voir P. Sfeir, Les ermites dans …, p. 201-225. 95 Voir P. Sfeir, Les ermites dans …, p. 207. 96 Voir P. Sfeir, Les ermites dans …, p. 107.

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« lumineuses comme le matin » selon Gabriel Ibn al-Qila‘i (XVe siècle), et un missionnaire

capucin (XVIIe siècle) témoigne de leur vie si pénitente que même les Turcs les honoraient98.

Des monastères doubles sont aussi attestés où hommes et femmes vivaient dans un même monastère, sous les mêmes règles et sous une même autorité99.

En conséquence, l’érémitisme était la forme de vie dominante dans l’histoire du monachisme maronite. Toutefois, les documents qui nous renseignent sur le style de vie des moines maronites avant la réforme de 1695 font allusion à plusieurs monastères et à des communautés qui y menaient la vie monastique communautaire, souvent sous l’autorité d’un évêque et non d’un moine portant le titre de supérieur100 de sorte que le moine ou la moniale

appartenait à son Église plus qu’à son monastère propre.

La vie monastique maronite, qui a été fondée sur l'expérience du grand monastère saint Maron [Mārūn], ne pouvait se passer de règles monastiques communes. Toutefois, moines et moniales maronites jouissaient toujours d’une certaine liberté qui leur était très chère. Cette liberté de se laisser conduire par l’Esprit Saint et qui pourrait s’exprimer par la spontaniété spirituelle et par l’attachement à un comportement indépendant de la communauté ou de ses règles. Car le but était l’union à Dieu dans l’isolement spirituel101.

Sous forme érémitique ou cénobitique, les moines et moniales étaient porteurs de ce riche patrimoine historique et spirituel, établi sur la vie sacramentelle et sur les exercices spirituels : piété, prière, pénitence, ascèse, jeûne, charité et vertus monastiques par excellence.

2. Fondation, spiritualité et retraite spirituelle de l’OLM

Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, le monachisme maronite se trouvait très proche des origines,

et l’on ne saurait parler d’une organisation monastique proprement dite. Il gardait un

98 Voir R. Jabre Mouawad, Les maronites…, p. 163.

99 Voir Sabine Mohasseb Saliba, Les monastères maronites doubles du Liban : entre Rome et l’Empire ottoman

(XVIIe-XIXe siècles), Paris/Kaslik-Liban, Geuthner/PUSEK, 2008. Voir aussi G.-J. Mahfoud, « Les

monastères doubles dans l'église maronite » dans Parole de l’Orient 3 (1967), p. 105-133.

100 G.-J. Mahfoud, L’organisation monastique dans …, p. 80.

Références

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